NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.249623 janvier 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-onzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2496e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 24 octobre 2007, à 10 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE

Troisième rapport périodique de l’Algérie (suite)

La séance est ouverte à 11 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique de l’Algérie (CCPR/C/DZA/3; CCPR/C/DZA/Q/3; CCPR/C/DZA/Q/3/Add.1) (suite)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation algérienne reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à poser des questions supplémentaires.

3.Mme WEDGWOOD demande si l’état d’urgence déclaré le 13 février 1992 est toujours en vigueur. À propos de la liberté d’expression, il est vrai que les Algériens peuvent désormais parler plus librement, mais le Président de la Commission algérienne des droits de l’homme n’en a pas moins déclaré, le 11 février 2007, que l’article 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale interdisait d’évoquer en public la question des disparus. La diffamation, passible de sanctions pénales, inclut également l’insulte, ce qui peut dissuader de dire la vérité. Il serait bon d’avoir des renseignements concernant les nombreux journalistes qui ont été inquiétés pour leurs opinions, notamment Mohammed Benchicou, directeur du quotidien Le Matin, emprisonné officiellement pour «infraction à la législation sur les mouvements de capitaux» et dont on sait qu’il avait fait l’objet de plus de 10 plaintes pour diffamation émanant du pouvoir. Il y a aussi le rédacteur en chef d’un autre organe de presse, qui a passé onze mois en détention provisoire avant d’être reconnu non coupable d’évasion fiscale, ou encore le journaliste accusé de diffamation pour avoir rendu compte de brutalités policières dans la ville de Jaffa. Il est regrettable qu’il n’y ait pas de totale liberté de la presse, car elle constituerait un précieux facteur de progrès.

4.M. SHEARER demande s’il serait possible d’obtenir dans les jours qui suivent le texte de l’ordonnance no06‑03 du 28 février 2006 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulman, mentionnée au paragraphe 312 du rapport périodique. Dans son rapport de mars 2007, le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction a affirmé que cette ordonnance énonçait les conditions relatives aux lieux où devaient être exercées les traditions et manifestations religieuses et qu’en son article 11, elle criminalisait le fait de tenter de convertir un musulman à une autre religion, passible de deux à cinq ans d’emprisonnement, et même la diffusion d’informations concernant une autre religion. Il serait utile de savoir si cela vise uniquement le «prosélytisme agressif» évoqué pendant le débat ou si cela peut inclure, par exemple, la simple présence de religieuses dans un hôpital ou une école. En tout état de cause, l’ordonnance no 06‑03 semble difficilement compatible avec la liberté de religion énoncée à l’article 18 du Pacte.

5.Mme MOTOC demande comment sont considérées les relations homosexuelles dans la loi et dans les faits.

6.Mme MAJODINA relève que selon le paragraphe 298 du rapport périodique, les mesures de reconduite aux frontières ne concernent pas les réfugiés ni les apatrides qui sont protégés par la Constitution. Or le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a déclaré que tous les demandeurs d’asile sans papiers originaires de pays d’Afrique subsaharienne étaient considérés comme des immigrants illégaux et donc susceptibles d’être arrêtés, placés en détention et expulsés. Plus de 60 réfugiés seraient actuellement détenus, et 28 hommes d’origine congolaise dont le statut de réfugié avait été reconnu par le HCR auraient été reconduits à la frontière avec le Mali et abandonnés là-bas sans eau, sans nourriture et sans aide médicale. Il serait donc utile de savoir s’il existe des dispositions législatives relatives à l’asile et à l’octroi du statut de réfugié et d’avoir des informations sur la collaboration avec le HCR.

7.Le PRÉSIDENT invite les membres de la délégation algérienne à répondre aux questions supplémentaires du Comité.

8.M. JAZAÏRY (Algérie) remercie les membres du Comité de leurs questions et dit qu’il est tout à fait légitime qu’ils contestent certaines pratiques des autorités algériennes. L’État partie y voit une occasion de mieux s’expliquer, et la délégation n’en est nullement offensée. Par exemple, si la délégation a parlé de «quelques» familles déplacées, c’est parce que le troisième rapport périodique de l’Algérie porte sur la période 1999‑2006, pendant laquelle la sécurité a été progressivement rétablie (les mouvements de population étaient plutôt des mouvements de retour). Il est vrai que dans les années 90, plus d’un million de personnes se sont déplacées des zones rurales vers les grandes villes mais il s’agissait de mouvements, sinon entièrement volontaires, du moins spontanés, qui n’étaient pas du tout encouragés par le Gouvernement. En désertant les zones rurales, ces personnes poussées uniquement par la peur servaient malheureusement l’objectif des terroristes. À partir de 1999, il n’y a plus eu de mouvements massifs de population.

9.En ce qui concerne les migrants, la situation économique ou politique de ces dernières années dans certains pays au sud des frontières algériennes a poussé de très nombreuses personnes à traverser l’Algérie pour se rendre au Maroc puis en Europe. Lorsque le Maroc a durci ses contrôles aux frontières, plus de 2 000 migrants illégaux sont restés bloqués du côté algérien, dans des conditions extrêmement pénibles, qui étaient en outre propices à la criminalité. Les autorités algériennes, qui souhaitaient avant tout assurer la protection et la sécurité de cette zone frontalière, les ont déplacés dans le sud‑ouest du pays. Des contacts ont été établis avec les ambassades des pays concernés pour les identifier et le HCR a estimé qu’il y avait parmi eux 66 réfugiés politiques. Les autres étaient des migrants illégaux qui n’ont pas été refoulés mais rapatriés aux frais de l’Algérie, en accord avec les autorités des pays concernés. Il se trouve que sur les 66 étrangers qui ont obtenu le statut de réfugié, certains n’étaient pas vraiment des réfugiés politiques, ce qui a créé une controverse avec le HCR. Celui-ci a eu beaucoup de difficultés à leur trouver des pays de réinstallation. Or le centre d’accueil des réfugiés offrait de très bonnes conditions de vie par rapport à celles de la population locale, attirant d’autres réfugiés, et les autorités algériennes tenaient à ce qu’il soit fermé le plus tôt possible. Il convient de souligner que le HCR leur a adressé récemment une lettre dans laquelle il les remerciait de leur coopération dans cette affaire.

10.La liberté de religion consacrée dans le Pacte est inscrite dans les textes de loi algériens les plus fondamentaux. Il n’existe aucun interdit à la conversion des musulmans; en revanche, elle est parfois perçue comme un problème social, dans la mesure où elle touche à l’identité de la communauté. Les formes agressives de prosélytisme dont il a été question pendant le débat ne concernent pas uniquement les évangélistes, mais aussi les terroristes issus du fondamentalisme islamiste. Quant aux évangélistes, les populations locales ont perçu leur action comme une agression, et c’est à leur demande que les autorités sont intervenues. Il s’agissait donc d’un problème d’ordre public. La conception de l’islam qui prévaut aujourd’hui en Algérie est celle de l’émir Abdelkader, fondateur de l’État algérien moderne qui a sauvé 12 000 chrétiens et juifs d’une mort certaine à Damas et qui, en 1870, a critiqué ceux qui se servaient de la religion comme d’un instrument.

11.Sur les 200 journalistes qui ont été graciés, 26 seulement avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement (d’une durée maximale de six mois) et 2 ou 3 ont effectivement été incarcérés. Les statistiques fournies portent sur plusieurs années (2001‑2007).

12.En réponse aux demandes d’informations concernant certaines affaires précises, M. Jazaïry remet au Président du Comité le texte de plusieurs communications que les autorités algériennes ont adressées au Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en 2007 et celui d’une note verbale portant sur la manifestation du 22 septembre 2007 à Constantine.

13.En ce qui concerne les articles 45 et 46 de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, M. Jazaïry ajoute que personne depuis l’adoption de la Charte n’a été inquiété pour avoir exprimé son opinion devant le Comité. Il convient de souligner que la Charte est un texte de justice transitoire qui ne doit en aucun cas servir de modèle pour l’élaboration de futurs instruments, mais qu’elle a été votée par 19 millions d’Algériens qui exigent sa mise en œuvre.

14.M. Jazaïry insiste sur la nécessité de ne pas faire d’amalgame entre les actions menées par l’État sous le régime d’apartheid en Afrique du Sud ou dans certaines dictatures militaires d’Amérique latine, et les actions menées par l’État algérien pendant la décennie noire. Dans les deux premiers cas, l’État a mené une politique de répression violente et systématique destinée à éliminer toute opposition au régime en place, commettant des crimes pour lesquels il était légitime de lui réclamer justice. L’État algérien s’est trouvé confronté à des groupes terroristes sans scrupules qui assassinaient tous ceux qui se mettaient en travers de leur chemin. Les forces de sécurité algériennes ont pu dans un premier temps être déstabilisées face à cet ennemi que leur formation ne les avait pas préparées à affronter. Mais on ne saurait mettre sur le même plan les actions que les forces de l’État algérien ont menées pour combattre les terroristes et les crimes perpétrés par des régimes oppresseurs ou dictatoriaux. Les membres des forces de sécurité algériennes ont fait leur devoir en luttant contre les ennemis de l’État et du peuple algérien. Il serait par conséquent injuste de les traiter en criminels en les faisant comparaître devant une commission pour la vérité et la justice. À l’heure actuelle, la lutte contre le terrorisme est un défi que doivent relever ensemble tous les pays du monde. Le meilleur moyen d’y parvenir tout en garantissant le respect des droits de l’homme serait d’élaborer une convention mondiale sur la lutte contre le terrorisme qui définirait les modalités de cette lutte et permettrait d’instaurer une véritable coopération internationale.

15.M. ABDELWAHAB (Algérie) dit que toute personne placée en garde à vue est informée de ses droits, le droit de connaître la durée de la garde à vue, le droit de communiquer avec sa famille et le droit de se faire examiner par un médecin de son choix. En outre, une instruction interministérielle dispose que la liste complète des droits doit être affichée dans chaque poste de police susceptible d’accueillir des personnes en garde à vue et que ces personnes doivent être informées de ces droits dans une langue qu’elles comprennent. La question a été posée de savoir si le droit de connaître les chefs d’accusation et le droit de garder le silence étaient garantis; ils ne sont pas expressément définis dans le Code de procédure pénale mais l’officier de police judiciaire informe nécessairement la personne arrêtée des motifs de son arrestation pour pouvoir ensuite recueillir sa déposition. Le droit du suspect de garder le silence découle implicitement de l’absence d’obligation de parler. En outre, l’article 52 du Code de procédure pénale prévoit que la personne placée en garde à vue peut contester le procès‑verbal établi par le fonctionnaire de police à partir de sa déposition, en refusant de le signer.

16.L’accès à un avocat pendant la durée de la garde à vue est une question actuellement débattue par la commission chargée de la révision du Code de procédure pénale. Les avis sont partagés entre ceux qui estiment que les garanties accordées à la personne gardée à vue doivent être renforcées et ceux qui privilégient la nécessité de ne pas entraver les investigations de la police judiciaire. Il est déjà arrivé que des informations ont été divulguées par des avocats pendant une enquête préliminaire. Si l’on considère les conséquences tragiques que pourraient avoir des incidents de ce genre dans le contexte d’une enquête sur une affaire de terrorisme, on peut comprendre que la question de l’accès à un avocat fasse débat.

17.De nombreuses questions ont été posées au sujet de la compatibilité des condamnations de journalistes avec le respect de la liberté d’expression. Les journalistes constituent sans conteste un contre‑pouvoir indispensable pour la démocratie. Ils n’en sont pas moins tenus de respecter la loi, en particulier les dispositions qui établissent l’obligation de respecter l’honneur d’autrui. Malheureusement certains journalistes, parfois par manque d’expérience ou par méconnaissance de la déontologie, ne remplissent pas cette obligation. Il faut savoir qu’entre 2001 et 2007, 87 % des plaintes pour diffamation dirigées contre des journalistes émanaient de particuliers. On ne peut pas attendre des juges qu’ils rejettent ces plaintes, les déclarent irrecevables ou prononcent systématiquement un non‑lieu en faveur du journaliste mis en cause sous prétexte de protéger la liberté d’expression. Les juges sont tenus, sous peine de déni de justice, de faire droit à une requête, de l’instruire et de lui donner les suites qui conviennent en application de la loi. Rien dans le Code pénal ni dans l’application qui en est faite par les tribunaux ne peut être interprété comme visant à restreindre indûment la liberté d’expression et le droit à l’information. Ces droits sont garantis par la Constitution, laquelle prévoit néanmoins que l’ensemble des libertés de chacun s’exerce dans le respect du droit reconnu à autrui, particulièrement dans le respect du droit à l’honneur et à l’intimité (art. 63). L’article 19 du Pacte ne dit pas autre chose lorsqu’il dispose que l’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales et peut en conséquence être soumis à certaines restrictions nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui. Il appartient donc au journaliste de trouver le juste équilibre entre l’exercice de son droit à la liberté d’expression et son obligation de respecter les droits et la réputation d’autrui.

18.M. LAKHDARI (Algérie) dit qu’avant la modification du Code pénal en 2001, il y avait un vide juridique concernant les délits de presse. En effet, le Code pénal adopté en 1966 n’avait conservé la qualification d’outrage définie dans la loi française de 1881 sur la liberté de la presse qu’au sens d’outrage envers des fonctionnaires. La jurisprudence des tribunaux algériens a précisé la portée de cette notion et l’a étendue au Président de la République et à tous les corps constitués de l’État − Parlement, appareil judiciaire, etc. Les modifications apportées au Code pénal en 2001 ont codifié cette jurisprudence dans les articles 144 et suivants. Elles ont également établi la responsabilité pénale de la personne morale, de sorte que les poursuites sont engagées non seulement contre l’auteur de l’infraction et les responsables de la publication et de la rédaction, mais aussi contre la publication elle‑même. C’est peut‑être ce qui explique le nombre relativement élevé de journalistes poursuivis. Il convient toutefois de signaler que le nombre de condamnations de journalistes pour diffamation n’a pas augmenté depuis la modification du Code pénal, en 2001.

19.M. TILMATINE (Algérie) dit qu’un battage injustifié entoure souvent les condamnations de journalistes étant donné que dans bien des cas, les journalistes concernés sont condamnés pour des infractions totalement indépendantes de leurs activités de journaliste. Il ne faut pas oublier que la liberté d’expression est un droit mais qu’elle n’est pas absolue et qu’elle doit être exercée dans les limites prévues par la loi. L’application de la loi mais aussi la synergie entre les conseils de presse, les conseils d’éthique et de déontologie, les syndicats et la commission nationale de la carte de journaliste professionnel permettent de maintenir un juste équilibre entre exercice de la liberté d’expression et respect des restrictions légales, dont la meilleure preuve est la liberté de ton qui caractérise les journaux algériens.

20.M. JAZAÏRY (Algérie) réfute l’idée qu’en Algérie les journalistes font l’objet d’une surveillance particulière. Ils sont au contraire soumis aux mêmes droits et devoirs que les autres citoyens. Ainsi, un journaliste reconnu coupable de fraude fiscale ne peut pas bénéficier d’une immunité au motif qu’il est journaliste et il est condamné en conséquence. Il est certain que les condamnations de journalistes sont davantage médiatisées que les condamnations de citoyens ordinaires pour des infractions similaires, il en va ainsi de toutes les personnes qui jouissent d’une relative notoriété.

21.M. ABDELWAHAB (Algérie), revenant sur les condamnations de MM. Benchicou, Benamou et Ghoul, rappelle que les deux premiers ont été condamnés dans des affaires de droit commun qui n’avaient rien à voir avec leurs activités de journalistes. M. Ghoul a effectivement été condamné pour diffamation après qu’il a fait paraître dans différents journaux des accusations très graves et infondées contre l’ensemble des autorités locales de la wilaya de Djelfa.

22.M. SOUALEM (Algérie) indique que la question de l’homosexualité ne se pose pas en Algérie en raison des spécificités culturelles, sociologiques et religieuses du pays. L’Algérie, tout en reconnaissant la dimension universelle et interdépendante des droits de l’homme, considère que ces droits doivent être appliqués compte dûment tenu de ces spécificités.

23.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ces compléments d’information et donne la parole aux membres du Comité.

24.Sir NIGEL RODLEY demande si l’instruction diffusée par le Ministère de la justice à l’intention de la police judiciaire s’applique également au Département du renseignement et de la sécurité, notamment en ce qui concerne l’obligation d’informer les suspects de leurs droits. Dans plusieurs affaires soumises au Comité en vertu du Protocole facultatif, il était question de dispositions établissant la compétence des tribunaux militaires pour connaître des infractions politiques portant atteinte à la sécurité de l’État, qui étaient punissables de plus de cinq ans d’emprisonnement. Sir Nigel Rodley demande si ces dispositions sont toujours en vigueur et, dans l’affirmative, si cela signifie que des civils soupçonnés d’une infraction visée par ces dispositions peuvent être jugés par un tribunal militaire. Dans ce cas, il serait utile de savoir si ces civils bénéficient des mêmes garanties entourant la détention avant jugement que celles qui leur seraient applicables dans le cadre d’une procédure civile.

25.La délégation a assuré le Comité que le droit des détenus d’informer leurs familles de leur détention était garanti. Pourtant, le Comité reçoit de nombreuses allégations selon lesquelles les familles ont souvent des difficultés à savoir que la personne a été arrêtée, dans quelles circonstances et l’endroit où elle se trouve. Il serait utile de connaître les causes de ces difficultés.

26.Mme CHANET rappelle, à propos de l’interprétation de l’article 19 du Pacte, que si la liberté d’expression est effectivement soumise à certaines restrictions tenant au respect des droits d’autrui et de la réputation d’autrui en vertu de cet article, ces restrictions doivent tenir compte du critère de proportionnalité. Les jurisprudences du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme établissent clairement ce principe. Ainsi, les atteintes aux droits d’autrui ou à la réputation d’autrui par voie de presse devraient être punies de sanctions civiles ou à la rigueur de certaines sanctions pénales, mais ne devraient en aucun cas emporter une peine d’emprisonnement.

27.Mme WEDGWOOD fait observer qu’en l’absence de loi qui leur donne accès à des informations gouvernementales précises, les journalistes sont logiquement amenés à faire des suppositions. Il est en outre étonnant que le Gouvernement ait un droit de regard sur l’éthique des journalistes, alors qu’il est la principale cible de leurs critiques.

28.Mme MOTOC insiste sur le fait que, même s’il faut aborder la protection des droits de l’homme en tenant compte des spécificités de chaque pays, et surtout en faisant preuve d’empathie avec les victimes, dont les besoins sont souvent négligés, il n’en reste pas moins que certaines normes sont universelles. Il existe un ensemble intangible de droits essentiels, dont le droit d’être protégé contre toute discrimination, y compris celle qui est fondée sur l’orientation sexuelle.

29.M. LALLAH rappelle que le Comité a exprimé à plusieurs reprises sa préoccupation au sujet de l’état d’urgence, en vigueur depuis 1992. Un État en butte au terrorisme est dans une situation très difficile et il est donc légitime qu’il prenne des mesures d’urgence. Cependant, il est fondamental dans ce contexte de se référer à l’article 4 du Pacte, ainsi qu’à l’Observation générale no 29 du Comité sur cet article, pour savoir quelles dérogations sont permises. Les mesures d’urgence ne doivent pas aller jusqu’à mettre la population entière en état de siège, ni rendre exceptionnel l’exercice de droits habituels. En outre, l’État algérien excipe souvent de l’état d’urgence dans le cadre des communications soumises au Comité par des particuliers; or il ne suffit pas d’invoquer cette situation, il faut aussi la justifier.

30.Le droit à la liberté d’expression consacré à l’article 19 du Pacte est un droit nécessaire dans une société démocratique. Réprimer pénalement la presse, c’est revenir à une époque où il était habituel d’emprisonner des journalistes. De nos jours, la diffamation ne devrait pas être une infraction pénale. Ceux qui en sont victimes ont largement les moyens de faire valoir leurs droits par des procédures civiles.

31.M. BHAGWATI s’étonne que le Conseil supérieur de la magistrature soit présidé par le Président de la République et que la vice‑présidence en soit assumée par le Ministre de la justice, tandis que le Président de la Cour suprême n’est qu’un simple membre. Cet organe, qui est chargé des nominations et des mutations des magistrats ainsi que des procédures disciplinaires les concernant, peut difficilement être indépendant si la majorité de ses membres ne sont pas des représentants du pouvoir judiciaire.

32.Le PRÉSIDENT invite la délégation à répondre aux dernières questions du Comité, en lui rappelant qu’elle peut également le faire par écrit.

33.M. SOUALEM (Algérie) rappelle que l’état d’urgence a été instauré dans le respect des normes prévues par le Comité (proportionnalité avec la menace posée, publicité, etc.). L’historique de cette mesure est décrit en détail aux paragraphes 227 à 256 du rapport. À l’exception des opérations de police qui sont confiées à l’armée, toutes les mesures prises en 1992 − comme le couvre-feu, les cours spéciales ou l’internement administratif − ont été levées ou sont désormais régies par le droit commun. En outre, les élections présidentielles, législatives et locales qui ont été organisées à plusieurs reprises montrent que l’état d’urgence n’entrave aucunement le processus démocratique.

34.M. ABDELWAHAB (Algérie) indique que l’instruction interministérielle obligeant à afficher la liste des droits est signée par trois ministres dont celui de la défense et s’applique à tous les officiers de police judiciaire, qu’ils soient civils ou militaires. Les dispositions du Code de procédure pénale s’appliquent également à ceux qui exercent leur mission dans le Département du renseignement et de la sécurité.

35.En ce qui concerne le Conseil supérieur de la magistrature, il convient de préciser que la loi du 6 septembre 2004 visait justement à renforcer l’indépendance de cet organe. Outre le Président de la République et le Ministre de la justice, il est formé du premier Président et du Procureur général de la Cour suprême, de 10 magistrats élus par leurs pairs et de 6 personnalités choisies par le Président de la République pour leurs compétences, en dehors du corps de la magistrature. La majorité des membres sont donc des magistrats, contrairement à ce qui a été dit. Quant aux procédures disciplinaires, elles relèvent de la compétence du premier Président de la Cour suprême.

36.M. CHABANI (Algérie) explique que l’accès des journalistes aux informations est réglementé par quelques articles de la loi de 1990 relative à l’information, mais il est assez difficile dans la pratique car il dépend des chargés de communication des administrations. Un séminaire de formation à l’intention de ces derniers est en préparation et devrait permettre de remédier à ce problème.

37.La délégation n’a pas voulu dire que l’État était responsable de la déontologie de la presse. Un Conseil d’éthique et de déontologie a été créé en 2000 à l’initiative des journalistes eux‑mêmes, qui n’ont pas renouvelé son mandat en 2004. L’État entend favoriser la création d’organes de représentation de ce type.

38.M. JAZAÏRY (Algérie) ajoute que le Gouvernement ne peut certainement pas assumer le rôle à la place de la profession. Par contre, il encouragera la création d’organismes de ce genre, indispensables pour autoréguler la presse et donner un contenu à la liberté d’expression dans un cadre responsable. En ce qui concerne la criminalisation de certaines activités des journalistes, il est vrai que des changements sont nécessaires, et on en observe déjà dans la pratique. Il reste que l’Algérie a hérité ses lois et ses règles de la France, et son seul tort est peut-être de ne les avoir pas adaptées quand la France l’a fait.

39.Mme MOTOC a souligné à juste titre qu’il fallait se laisser guider par les besoins des victimes. Or les victimes, ce sont les 30 millions d’Algériens qui ont vécu l’enfer pendant dix ans. Ce sont eux qui ont demandé des protections contre le terrorisme. Certes, comme l’a relevé M. Lallah, il aurait fallu se conformer davantage à l’article 4 du Pacte, et expliquer les conditions dans lesquelles les mesures d’urgence étaient prises. Mais la situation n’était pas simple. Les autorités ont été prises au dépourvu. Il faut savoir qu’en Algérie, c’est l’État et toute la population qui ont été pris en otage. La situation qu’a connue le pays n’est comparable à aucune autre.

40.Le Comité et l’Algérie partagent les mêmes valeurs, qui sont effectivement universelles. Mais les conditions dans lesquelles elles prospèrent ne sont pas nécessairement les mêmes partout. Les pays occidentaux n’ont pas été les premiers à adopter ces valeurs, même s’il faut reconnaître qu’ils les ont considérablement renforcées. Au Conseil des droits de l’homme, la question des droits de l’homme se transforme en une confrontation entre le Nord et le Sud et il ne devrait pas en être ainsi. C’est en trouvant un juste équilibre entre l’universalité des valeurs et les spécificités de chaque société que tous les États ensemble pourront rendre le monde meilleur.

41.Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses. Le Comité reste préoccupé par un certain nombre de questions, qui seront reflétées dans ses observations finales. Ainsi, il regrette de ne pas avoir de renseignements sur l’invocation des dispositions du Pacte devant les tribunaux, bien que l’État partie affirme que plusieurs jugements ont été rendus sur la base de l’article 11 du Pacte. La situation des femmes reste caractérisée par d’importantes restrictions qui, même si elles sont liées à des pratiques traditionnelles et à des valeurs religieuses ou culturelles, n’en sont pas moins en contradiction avec le Pacte. La liberté d’expression et d’association suscitent aussi des préoccupations. L’État partie doit impérativement chercher d’autres moyens que la répression pénale pour sanctionner les excès irresponsables dans l’exercice de ces droits. L’article 26 de l’ordonnance no 01‑06 interdit les activités politiques en termes si généraux qu’il en résulte des restrictions inacceptables à l’exercice de droits aussi essentiels que la liberté d’opinion. Le Comité donne toutefois acte des améliorations apportées dans d’autres domaines, notamment en ce qui concerne la peine de mort.

42.M. JAZAÏRY (Algérie) remercie le Comité de ses commentaires et de l’esprit dans lequel s’est déroulé le dialogue. L’État algérien est fermement résolu à poursuivre sa coopération avec tous les organes des Nations Unies, le Comité des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme, dans le cadre de l’examen périodique universel, et les titulaires de mandat, afin de progresser toujours plus sur la voie du respect absolu des droits fondamentaux.

43. La délégation algérienne se retire.

La séance est levée à 13 h 15.

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