Quatre-vingt dix-huitième session

Compte rendu analytique de la 2686e séance

Tenue au Siège, à New York, le lundi 8 mars 2010, à 15 heures

Président :M. Iwasawa

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique du Mexique (suite)

La séance est ouverte à 15 h 15.

Examen des rapports présentés par les États Parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique du Mexique (suite)

(CCPR/C/MEX/5)

À l’invitation du Président, les membres de la délégation du Mexique prennent place à la table du Comité.

M me Heredia Rubio (Mexique), présentant le cinquième rapport périodique du Mexique (CCPR/C/MEX/5), dit qu’il y a eu des changements depuis le quatrième. Les élections présidentielles de 2000 ont marqué une transition vers la pluralité politique et la transparence électorale, instaurant un État démocratique et régi par le droit dont les droits de l’homme figurent à son ordre du jour. Le cinquième est particulièrement important dans la mesure où il montre ce qu’est la situation actuelle des droits de l’homme et où des organisations de la société civile y ont contribué. Il est regrettable que la Commission nationale des droits de l’homme ne puisse pas participer à sa présentation.

La décennie 1999-2009 a connu trois évolutions marquantes, à savoir la transition vers la transparence en politique, l’accélération de l’instauration d’un État démocratique moderne régi par la règle du droit et l’aggravation des menaces posées par le crime transnational organisé. D’importants défis ont été relevés et des progrès ont été faits. Des institutions électorales indépendantes garantissent la transparence des élections et la mise en place de mécanismes conçus pour assurer l’équité d’accès à la direction des affaires publiques. Les réformes électorales de 2005 ont donné le droit de vote aux Mexicains qui vivent en dehors du pays, droit qui a été exercé pour la première fois en 2006. La réforme électorale de 2007 a garanti l’égalité d’accès à la direction des affaires publiques en limitant la durée des mandats, en assurant le financement des campagnes par des fonds publics plutôt que par des fonds privés et en augmentant les quotas de femmes dans les candidatures aux postes de direction publique des affaires fédérales.

Le Gouvernement mexicain regrette de n’avoir pas pu présenter sa documentation dans toutes les langues de travail du Comité et il espère que le département des services de conférences des Nations Unies fournira des traductions.

Grâce aux réformes électorales, le Tribunal électoral jouit maintenant d’un droit constitutionnel de regard sur les jugements rendus en matière de droits relatifs aux élections de nature politique, ce qui comble une lacune notée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme. Des progrès ont été faits aux niveaux fédéral et local pour améliorer l’accès du public à l’information. En vertu de la Loi fédérale de 2002 sur la transparence et l’accès du public à l’information gouvernementale, le Gouvernement fédéral est tenu de garantir l’accès à l’information et de protéger l’information à caractère personnel. La loi contient aussi des dispositions concernant la responsabilisation de l’État et porte création de l’Institut fédéral d’accès à l’information publique chargé de connaître de plaintes portées par des citoyens qui estiment que l’information qu’ils ont reçue n’est pas satisfaisante. L’accès à l’information publique est garanti aussi par les réformes constitutionnelles de 2007.

En ce qui concerne le droit de réunion, le Gouvernement a activement encouragé la société civile à participer à la gestion des affaires publiques. Les lois, et notamment la Loi fédérale pour promouvoir les activités des organisations de la société civile, permettent à celles-ci d’être plus présentes dans les affaires publiques. Le Conseil national pour la prévention de la discrimination a été créé en vertu de la Loi fédérale pour empêcher et éliminer la discrimination qui prescrit au Gouvernement de s’employer à mettre en place les conditions propres à assurer l’égalité. Le Programme national 2008-2012 pour les droits de l’homme encourage les organismes publics à faire respecter les droits de l’homme et a mis au point un système d’enquêtes (de « diagnostics ») pour suivre l’évolution de la situation des droits de l’homme au niveau local. Un certain nombre d’organismes ont été créés pour œuvrer en faveur des droits de l’homme et du plein développement des peuples autochtones, des invalides et des femmes. La Commission de la politique gouvernementale sur les droits de l’homme travaille à faire valoir la politique publique à cet égard avec le concours de la société civile.

Le code de la justice militaire a été amendé dans le sens de l’abolition de la peine capitale et, dans le cadre de la réforme du système de sécurité publique et de justice pénale de 2008, le système de justice pénale a été entièrement revu.

Le Mexique a maintenant ratifié la quasi-totalité des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit humanitaire international ainsi qu’un certain nombre de protocoles, dont le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Protocole à la Convention américaine relative aux droits de l’homme traitant de l’abolition de la peine de mort, le Statut de Rome, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Gouvernement souhaite vivement coopérer avec les instances des Nations Unies créées en vertu de traités et il a adressé une invitation ouverte aux titulaires de mandat des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les recommandations faites par ces instances ont été prises en compte dans les documents nationaux relatifs aux droits de l’homme et ont suscité la création de programmes sur les droits de l’homme. Des activités de promotion et de protection des droits de l’homme ont été entreprises en étroite collaboration avec la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Certains droits, dont la liberté d’expression, ont été renforcés; calomnie et diffamation ont été dépénalisées et le Cabinet du Procureur spécial chargé de connaître de délits commis contre des journalistes a été créé pour renforcer la protection des communicateurs et des journalistes. Des dispositifs juridiques sont en place pour combattre la torture et les disparitions forcées, comme la Loi fédérale pour prévenir et réprimer la torture et le dispositif national pour la prévention de la torture en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Un organe fédéral spécial chargé de connaître des questions de traite des personnes ainsi que la Commission interinstitutions pour prévenir et réprimer la traite des personnes ont également été créés. Le Protocole d’Istanbul a été incorporé au droit national et le code pénal a été amendé dans le sens d’une pénalisation des disparitions forcées. Le Gouvernement mexicain envisage aussi de mettre en place, pour le milieu de l’année 2010, des programmes d’initiation aux droits de la personne et à ceux des personnes âgées.

Malgré les progrès réalisés, il reste d’importants définis à relever sur la voie du renforcement de la primauté du droit dans un État démocratique. Des mesures ont été prises pour garantir les droits des citoyens à la sécurité et à la participation à la gestion des affaires publiques. Une réforme de la Constitution est en cours qui renforcera les mécanismes compétents et incorporera une prise en compte des droits de l’homme dans la justice pénale et les systèmes politiques. Le Gouvernement est résolu à promouvoir et défendre les droits de l’homme. Un dialogue franc et respectueux avec le Comité aidera le Mexique à relever les défis que posent l’édification d’un État démocratique moderne et la lutte contre le crime organisé.

Le Président invite la délégation à répondre aux questions 1 à 13 de la liste (CCPR/C/MEX/Q/5).

M. Negrin Munoz (Mexique) dit que d’appréciables progrès ont été faits dans la réponse apportée aux préoccupations dont il est fait état dans la liste des questions du Comité. Le projet de décret concernant divers amendements à apporter à la Constitution nationale dans le domaine des droits de l’homme a été approuvé par la Chambre des Députés du Congrès de l’Union en avril 2009. Il prévoit de remplacer les termes « garanties individuelles » par « droits de l’homme », d’étendre la liste des droits fondamentaux pour y inclure ceux qui sont reconnus dans les traités internationaux ratifiés par le Mexique, d’adopter une démarche d’attention à la personne dans l’application des normes relatives aux droits de l’homme, de faire inscrire dans la Constitution l’obligation où est le Gouvernement de promouvoir et de respecter les droits de l’homme et de rechercher, pour les punir et les faire payer, les auteurs d’atteintes aux droits de l’homme, de garantir que l’article 33 de la Constitution ne sera pas appliqué sans qu’il y ait eu audience et de renforcer les instances autonomes chargées de protéger les droits de l’homme. Le projet de décret fait l’objet d’un examen de la part du Sénat. La Cour suprême de justice a décidé que la place des traités internationaux dans le droit interne vient après celle de la Constitution fédérale mais avant celle des lois de la Fédération et des États. Le projet de décret respectera cette hiérarchie quand il entrera en vigueur. Le Gouvernement a fourni une information détaillée sur un certain nombre d’exemples de procédure judiciaire, dont celle d’amparo, dans lesquels les dispositions du Pacte ou d’autres normes internationales ont été invoquées. La délégation comprend des représentants du Judiciaire fédéral qui peuvent en donner des exemples.

Les représentants de la Commission pour prévenir et éradiquer la violence faite aux femmes et de l’Institut national de la femme présents dans la délégation peuvent donner au Comité des détails sur l’évolution des choses dans les domaines institutionnel, législatif et budgétaire ainsi que dans celui des politiques publiques. Entre 1993 et mai 2008, il y a eu 432 cas de fémicide à Ciudad Juarez, Chihuahua, et 243 personnes ont été impliquées. Les tribunaux ont rendu des décisions dans environ 50 pour cent de ces affaires. Dix-sept pour cent sont en jugement et le reste fait l’objet d’enquêtes.

Dans le cadre d’une démarche à orientations multiples à l’égard du fémicide et des disparitions forcées de femmes à Ciudad Juarez (questions 3 et 4 de la liste), le Bureau du Procureur spécial pour actes de violence à l’égard de femmes et traite des êtres humains a collaboré avec le Bureau du Procureur général de Chihuahua, participé à la recherche de femmes et de filles portées disparues par l’intermédiaire d’un système national d’alerte conçu pour mobiliser les autorités à tous les niveaux et contribué au financement du fonds d’assistance économique aux parents de victimes d’homicide dans la municipalité de Juarez. Une stratégie plus large est en place et le Gouvernement compte en informer le Comité.

Chihuahua est l’un des premiers États à avoir réformé son système judiciaire et à passer d’une procédure inquisitoire à une procédure accusatoire. Le Bureau du Procureur spécial de cet État a été saisi de 36 rapports de disparitions forcées de femmes en janvier et février 2009. Trente-deux ont été retrouvées. Il y a eu un cas signalé de fémicide au cours de la même période; 11 cas de fémicide liés au crime organisé et trois homicides font l’objet d’une enquête.

Répondant à la question 5, M. Negrin Munoz dit que le Ministère du travail et de la sécurité sociale travaille à promouvoir un environnement plus inclusif et plus équitable pour le travail, à garantir les droits des travailleurs et à prévenir leur exploitation, notamment dans l’industrie maquiladora. En avril 2002, un accord de coopération pour y améliorer les conditions de travail des femmes a été signé par le Ministère du travail et de la sécurité sociale et le Conseil national de l’industrie maquiladora. D’autres initiatives seront mises en place en 2010. Une norme mexicaine officielle sur la fourniture de soins de santé aux victimes de violence domestique a également été établie par le Gouvernement fédéral.

Passant à la question 6, M. Negrin Munoz dit que la Norme mexicaine officielle sur la violence domestique et la violence sexuelle faites aux femmes et les critères de réaction et de prévention disposent qu’en cas de fécondation consécutive à un viol, les établissements publics sont tenus d’assurer des services d’urgence pour mettre fin légalement à la grossesse. Le code pénal du District fédéral et celui de chacun des 31 États (entités fédératives) contiennent des dispositions réglementaires sur l’avortement adaptées à la situation qui leur est propre. Le décret du District fédéral portant réforme du code pénal et amendement de sa Loi générale sur la santé tendant à dépénaliser l’avortement avant la douzième semaine a été jugée conforme à la Constitution par la Cour suprême de justice en 2008. Le droit à la vie depuis la conception ou la fécondation a récemment été incorporé dans la Constitution de 18 États.

Un réseau de plus de 70 refuges pour femmes victimes de violence a été créé. Une ligne téléphonique de téléassistance pour femmes victimes de violence a répondu à plus de 70 000 appels entre 2007 et 2009 et des campagnes continuelles de sensibilisation sont en cours. Le Congrès a approuvé un budget de plus de 700 millions de dollars pour la mise en place d’une politique d’égalité des sexes et la prévention de la violence à l’égard des femmes. Des centres d’assistance judiciaire pour femmes ont été créés à titre de projet pilote à Ciudad Juarez en vue de créer un modèle condensé pour l’accès des femmes à la justice.

La Loi générale sur l’accès des femmes à une vie exempte de violence (question 7 de la liste) a été ratifiée par 31 entités fédératives et 18 en ont publié les dispositions. Elle porte création d’une base nationale de données sur les affaires de violence à l’égard des femmes et d’un système d’alerte pour empêcher, réprimer et éradiquer la violence à l’égard des femmes. Chihuahua, le District fédéral, Guerrero, Jalisco, Mexico, Nayarit et Tamaulipas envisagent de mettre en place un mécanisme semblable au niveau de l’État. Une formation est assurée sur l’utilisation du système d’alerte, mais aucune alerte n’a encore été déclenchée.

Dans une décision récente sur l’affaire Campo Aldonero, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a demandé la simplification des procédures d’enquête sur la violence sexuelle, l’actualisation du système d’alerte et la création d’une page Internet sur les disparitions de femmes et d’une base de données ADN pour identifier les femmes et les enfants portés disparus. Ces mesures auront pour effet de renforcer les politiques publiques et institutionnelles de lutte contre la violence faite aux femmes.

Passant à la question 5 de la liste, M. Negrin Munoz dit que le projet d’amendement de la Loi sur la sécurité nationale ne soumet pas à dérogation les droits reconnus dans le Pacte ni ne révoque les garanties individuelles prévues par l’article 29 de la Constitution. Soumis au Congrès en avril 2009, le projet est conçu pour permettre aux forces armées et autres forces de sécurité d’État d’intervenir dans des situations d’urgence mettant en danger la sécurité nationale et est tout à fait conforme à l’article 4 du Pacte. Il dispose qu’un état d’urgence doit être déclaré dans toute situation qui, s’il n’y était pas immédiatement pris garde, conduirait à une grave perturbation de la sécurité et de l’ordre publics. Toutefois, cela n’implique et n’impliquerait pas la suspension des droits de l’individu.

Les forces armées sont subordonnées au pouvoir civil, mais elles peuvent lui porter assistance dans la lutte contre le crime organisé dans des zones désignées à cet égard (question 9 de la liste). Il ressort d’études sur la jurisprudence en la matière que cette assistance est conforme à la Constitution. Les droits reconnus dans le Pacte sont respectés dans la lutte contre le crime organisé et les forces armées ont un devoir de transparence et de coopération dans le traitement de violations des droits de l’homme. Des programmes de formation aux droits de l’homme ont été organisés pour tous les membres des forces armées et un cadre est en place pour investiguer sur des violations des droits de l’homme et pour les punir. Le Ministère de la défense nationale a été saisi de 3 430 plaintes pour violation de droits de l’homme par le personnel militaire entre le 1er décembre 2006 et le 28 février 2010, ce qui a conduit la Commission nationale des droits de l’homme à faire 51 recommandations, qui ont été acceptées et qui ont mené à des enquêtes et à des condamnations. Quatre membres des forces armées ont été reconnus coupables par un tribunal jugeant au civil et 55 ont été déférés à un tribunal militaire, qui a prononcé huit condamnations à ce jour.

Répondant à la question 10 de la liste, M. Negrin Munoz dit que les disparitions forcées sont considérées comme un délit dans le District fédéral, dans l’État de Chiapas ainsi que dans les villes de Durango, Oaxaca et Guerrero. À la suite de la fermeture en 2006 du Bureau du Procureur spécial pour les mouvements sociaux et politiques du passé (question 11), le Coordonnateur général des enquêtes du Bureau du Procureur général a assumé ses attributions. Le comité interdisciplinaire d’indemnisation des victimes, ou soi-disant telles, de violations de droits de l’homme dans le cas d’individus associés aux mouvements sociaux et politiques du passé reste ouvert; d’ailleurs, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a récemment rendu une décision concernant une affaire de disparition forcée qui avait eu lieu en 1974. Le Bureau du Procureur spécial a traité 275 affaires de disparition forcée et la Cour interaméricaine des droits de l’homme a prescrit au Gouvernement d’amender l’article 215 du code pénal fédéral sur les disparitions forcées afin de l’aligner sur les normes internationales. Elle lui a également prescrit d’amender l’article 57 du code de justice militaire et d’organiser des programmes de formation à l’intention des autorités d’État. Le Gouvernement entend s’y conformer pleinement et continuer à lutter contre les disparitions forcées.

Entre 1992 et 2006, 74 personnes ont purgé des peines pour cause de torture (question 12 de la liste). Six ont été condamnées par des tribunaux fédéraux et une est en cours de jugement. Deux membres des forces armées sont jugés pour cause de torture. Le Gouvernement a beaucoup fait au cours de la dernière décennie pour combattre la torture, comme en témoigne la chute des plaintes reçues par la Commission nationale des droits de l’homme, tombées de 225 en 1991 à 4 en 2007. La réforme constitutionnelle du système judiciaire de 2008 a instauré le concept de présomption d’innocence et invalidé les aveux obtenus par la force. Des textes de loi visant à prévenir et punir le crime de torture sont en place au niveau national et dans toutes les entités fédératives. La Loi générale No.9 de 2009 sur le système national de sécurité publique interdit au personnel de sécurité de torturer ou de tolérer des actes de torture en toutes circonstances. Le Manuel d’enquête sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) a été adopté dans toutes les institutions fédérales.

En ce qui concerne la question 13 de la liste, M. Negrin Munoz dit que l’Opinion médico-psychologique spécialisée pour les affaires de torture et/ou de mauvais traitements éventuels a été adoptée dans 13 États et les procureurs de tous niveaux ont été formés à son utilisation. Le Mexique a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et il s’emploie à appliquer les recommandations du Sous-comité pour la prévention de la torture dans le sillage de sa récente visite. La torture continue à poser un grave défi. On la caractérise actuellement comme abus d’autorité, mais il faut aligner sa pénalisation et sa répression sur les normes internationales et l’efficacité du Protocole d’Istanbul comme instrument de formation doit faire l’objet d’une évaluation constante. Enfin, la mise en place d’un registre national des affaires de torture contribuerait à établir des paramètres fiables permettant de continuer à lutter contre ce fléau.

Sir Nigel Rodley, se référant aux questions 1 et 18 de la liste concernant l’amendement de l’article 33 de la Constitution, dit qu’on ne voit pas bien si la décision finale d’expulsion de demandeurs d’asile relève de l’exécutif. Il serait utile d’avoir un horizon temporel quant à l’approbation du projet de décret par le Sénat et quant à son adoption par les entités fédératives. Le sens du membre de phrase « instruments pour leur protection » dans la réponse écrite à la question 1 n’est pas clair (CCPR/C/Mex/Q/5/Add.1, par. 5). Il serait intéressant de savoir de manière plus précise comment se fait l’incorporation des traités internationaux dans le droit interne et on aimerait en particulier en savoir davantage concernant la décision de la Cour suprême du 4 mars 2010 selon laquelle les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme n’ont pas automatiquement force de loi.

La faiblesse du taux de poursuites pour cause de torture et autres violations de droits de l’homme par des membres des forces armées trahit un manque de sérieux dans la répression de tels actes. Sir Nigel Rodney aimerait qu’on lui explique mieux la démarche de l’État partie quant à la charge de la preuve et à l’irrecevabilité dans les procès pour torture et il demande si les États suivent l’exemple du District fédéral en procédant à un enregistrement audio-visuel des interrogatoires. Il se félicite des efforts qui sont faits pour que soit systématiquement établi un compte rendu médical de torture et de maltraitance, mais il note que très peu des États qui ont formé à la méthode approuvée pour l’établissement d’un dossier médico-légal la mettent effectivement en pratique. Enfin, il est difficile de comprendre pourquoi la définition de la torture que donnent les organes internationaux n’a pas été respectée par un certain nombre d’États alors qu’elle figure dans leur législation.

M. Savioli aimerait recevoir une information plus précise sur la violence faite aux femmes et sur le principe d’égalité et de non-discrimination. Dans son quatrième rapport périodique, l’État partie a dit que la situation de la violence faite aux femmes au Mexique est comparable à ce qu’elle est dans le monde. Pourquoi le cinquième a-t-il réfuté cette assertion ? Il serait utile de recevoir un complément d’information sur la réponse du Mexique à la décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Campo Algodonero ainsi que sur le nombre d’auteurs de violence sexiste et de fémicides qui ont été reconnus coupables et punis. M. Savioli aimerait savoir aussi si le Gouvernement réagit quand des États mettent des obstacles constitutionnels à l’application des dispositions du Pacte. Se référant à la question 7 de la liste, il note que certains États n’ont pas engagé les réformes nécessaires pour aligner leur législation sur la Loi générale concernant l’accès des femmes à une vie exempte de violence et sur les dispositions du Pacte. Il n’a pas été adopté de lois pour combattre la discrimination et il n’y a pas de statistiques sur les plaintes pour discrimination ou la suite donnée à ces plaintes. La décision rendue par la Cour suprême de justice restreignant la juridiction de la Commission nationale des droits de l’homme a de quoi inquiéter. On aimerait en savoir plus sur les stratégies de lutte contre la violence faite aux femmes à Ciudad Juarez ainsi que sur la situation des femmes dans les prisons.

M. Rivas Posada dit que les amendements apportés à la Loi sur la sécurité nationale ont omis de considérer le risque qu’il y a à déroger à des droits garantis par le Pacte ou à limiter ces droits dans la lutte contre le crime organisé. On aimerait en savoir davantage, notamment sur la durée de la participation des forces armées. Il faut que l’État partie sache qu’il peut être dérogé à des droits et que des entités fédératives peuvent adopter des dispositions législatives pour se soustraire aux prescriptions des traités internationaux. Les forces armées dérogent-elles aux droits garantis par la Constitution et le Pacte en décrétant l’état d’urgence à Chihuahua ? Enfin, le Comité aimerait un complément d’information sur le nombre de plaintes reçues pour violation des droits de l’homme et sur le nombre de celles auxquelles il a été donné suite.

M me Chanet dit qu’un aperçu des initiatives et des programmes aiderait le Comité à comprendre comment les droits sont garantis dans la Constitution. Comme l’État a engagé une réforme constitutionnelle, il pourrait souhaiter envisager de lever en même temps ses réserves sur le Pacte. On ne voit pas bien si la loi contre les disparitions forcées est applicable dans l’ensemble des 31 entités fédératives. Il serait utile de savoir comment et quand l’État partie amendera l’article 215 du code pénal fédéral. Le Comité aimerait savoir pourquoi on a fermé le Bureau du Procureur spécial pour les mouvements sociaux et politiques du passé (question 11 de la liste) et pourquoi il n’a pas été rouvert comme l’a recommandé le Conseil des droits de l’homme. Il faudrait donner des précisions sur la question de la disparition forcée de Jose Angel Alvaredo Herrera, qui a été arrêté le 12 janvier 2010 par les forces armées. Il serait utile aussi de savoir où en est la question de l’amendement à l’article 57 du code de justice militaire recommandé par la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

M. Lallah dit qu’il est regrettable que, dans son cinquième rapport périodique, l’État partie n’ait pas réagi aux observations finales faites par le Comité en 1999 et que la présentation tardive du rapport en ait empêché l’analyse par le Rapporteur spécial pour le suivi des observations finales. Il serait utile de recevoir des exemples de la manière dont le Gouvernement apprécie le travail du Comité. Le Protocole facultatif n’a encore été saisi d’aucune affaire. M. Lallah rappelle à l’État partie que le Comité a un rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures intérimaires relatives au Protocole facultatif et il demande s’il a fait connaître les obligations que lui fait le Pacte. L’État partie devrait respecter les calendriers fixés pour que le Comité puisse s’acquitter de la tâche qui est la sienne de veiller à l’application effective du Pacte. Il est regrettable qu’un certain nombre de membres du Comité n’aient pas pu évaluer le rapport du fait qu’il n’a pas été traduit. M. Lallah espère qu’à l’avenir les rapports périodiques du Mexique seront disponibles dans toutes les langues de travail du Comité.

M. Amor demande un complément d’information sur les cas où le Pacte a été invoqué devant les tribunaux et sur ce qu’a été leur réaction. Il faudrait clarifier les relations entre les entités fédératives et le Gouvernement national. Il serait intéressant de savoir si des initiatives sont prises au niveau des États pour combattre des stéréotypes misogynes qui perpétuent la discrimination entre sexes dans des domaines comme la famille, l’économie et la société et s’il y a des incitations à se conformer au droit et un prix à payer dans le cas contraire. L’État partie devrait être plus précis quant aux initiatives prises pour provoquer un changement de mentalité dans le sens d’un refus de discrimination entre les sexes.

M. Perez Sanchez-Cerro dit que, si certains États peuvent refuser de suivre les prescriptions du Pacte en ce qui concerne la liberté d’expression, le Gouvernement doit, lui, s’y conformer et il note à cet égard que 13 meurtres de journalistes n’ont fait l’objet d’aucune enquête. Le Gouvernement devrait enquêter sur le déni de procédure régulière dans des affaires de torture et d’emprisonnement. Il faudrait aussi enquêter sur le meurtre ou l’emprisonnement en toute illégalité de défenseurs des droits de l’homme. Malgré les efforts du Gouvernement, il n’y a pas de législation sur les sexes et les droits des détenues ne sont pas bien protégés. L’État partie devrait revoir son système pénitentiaire dans le sens d’une prise en compte des droits des deux sexes.

M me Keller dit que les prisons mixtes sont une violation du Pacte. Il serait utile de savoir combien de femmes il y a dans ce type de prison, quelles mesures ont été prises pour protéger leurs droits et ce qui a été fait en vue de résoudre le problème.

M me Motoc aimerait en savoir davantage sur les efforts qui sont faits pour promouvoir l’égalité des sexes et la participation des femmes à la politique et sur la manière dont le Gouvernement concilie tradition et égalité dans le cas des femmes autochtones. Le Comité aimerait aussi en savoir davantage sur la situation des détenues avec enfants.

M. Flaherty appelle l’attention sur une information émanant d’une organisation non-gouvernementale (ONG) selon laquelle l’État partie n’applique pas sa législation en matière d’orientation sexuelle et d’identité sexuelle. Les changements qui y ont été apportés ne font rien pour remédier aux graves problèmes de discrimination sur les lieux de travail et dans les écoles et la législation antidiscrimination des entités fédératives ne dit rien sur l’identité sexuelle. Le Comité aimerait savoir quels efforts sont faits pour combler l’écart entre les réalités de droit et les réalités de fait et pour modifier la législation antidiscrimination de manière à y inclure des dispositions sur l’identité sexuelle. Il serait utile aussi d’être informé sur les campagnes de sensibilisation et d’éducation du public organisées en vue de changer les stéréotypes qui ont cours dans la société. La délégation pourrait-elle dire comment le Gouvernement s’y prend pour enquêter d’une manière uniforme et efficace sur les crimes de haine perpétrés contre les minorités sexuelles ? Il serait utile d’avoir des précisions sur le point de savoir si le mandat de la Commission nationale des droits de l’homme a été élargi de manière à inclure les problèmes de travail. En conclusion, M. Flaherty demande comment le Gouvernement mexicain a l’intention d’appliquer les recommandations faites dans le cadre de l’Examen périodique universel, qu’il a accepté, et s’il envisagerait de répondre dans le même esprit de coopération et à l’aide des mêmes mécanismes aux observations finales qui seront adoptées par le Comité.

M me Carrera Lugo (Mexique) dit que le quatrième rapport périodique n’avait pas fait état de violence à l’égard des femmes parce qu’on ne disposait pas de données fiables à l’époque. Des initiatives tendant à recueillir des données ont été lancées après la Quatrième Conférence mondiale sur les Femmes. La première étude sur la violence familiale et la violence faite aux femmes a été réalisée en 1999 et une autre en 2003, mais celle de 2006 a été la plus complète. Néanmoins, tous les textes de loi et programmes qui ont été adoptés ont peu fait pour éradiquer la violence faite aux femmes, peut-être parce qu’on a trop mis l’accent sur les mesures judiciaires et pénales et pas assez sur la sensibilisation du public et l’organisation de programmes pour changer les stéréotypes qui ont cours dans l’ensemble de la société.

La question de la violence faite aux femmes est à aborder de manière différente selon les États parce que chacun est confronté à des défis différents posés par les valeurs culturelles et sociétales propres à sa population. La violence à Juarez et Tijuana dans le nord du pays est radicalement différente de ce qu’elle est à Tapachula dans le sud. Ciudad Juarez, l’une des plus grandes villes du nord du Mexique, a été le théâtre de conflits tout au long de son histoire en raison des nombreuses nationalités qui s’y rencontrent et de son rôle comme pôle d’immigration pour toute l’Amérique latine. La situation hautement complexe et problématique que cela crée a des incidences sur l’utilisation de l’espace et sur la manière dont les gens interagissent, source d’une grande diversité de comportements sociaux. C’est pourquoi les programmes réalisés à Ciudad Juarez doivent prendre en compte les préoccupations sociogéographiques et multiculturelles de la population et intervenir à chaque niveau de la municipalité et de la société civile dans un effort pour construire le tissu social et pour modifier des comportements d’ordre culturel qui ont marginalisé les femmes pour la simple raison qu’elles sont femmes. Les intérêts de toutes les catégories de population, y compris ceux des catégories marginalisées, sont à prendre en considération. Le but est de tempérer une dynamique sociale génératrice de violence par la réalisation de programmes et plans d’action à court et à long terme pour prévenir la violence, rétablir la sécurité et le bien-être et favoriser la cohésion culturelle et sociale. Et les femmes jouent un rôle de premier plan à cet égard.

Au nombre des initiatives prises pour améliorer l’accès des femmes au système judiciaire, on citera la création de centres polyvalents d’assistance judiciaire qui regroupent les services publics et judiciaires pour les femmes. La plupart des États ont certes adopté des lois qui tiennent compte de la spécificité des sexes et adhéré au système d’alerte au respect des droits de la femme, mais des efforts plus soutenus s’imposent pour mettre la législation du pays et celle des États en harmonie avec les traités internationaux. Le Gouvernement devra travailler à cette fin en rapport étroit avec les États et, en attendant, il s’emploie à établir une plus grande uniformité pénale entre les entités fédératives.

La séance est levée à 18 heures.