Quatre-vingt-troisième session

Compte rendu analytique de la 2256e séance

Tenue au Siège, à New York, le mardi 1er mars 2005, à 10 heures

Présidente :Mme Chanet

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 40 du Pacte et des situations de pays (suite)

Deuxième rapport périodique du Kenya (suite)

La séance est ouverte à 10 h 15 .

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 40 du Pacte et des situations de pays (suite)

Deuxième rapport périodique du Kenya (suite) (CCPR/C/KEN/2004/2; CCPR/C/82/L/KEN)

À l’invitation de la Présidente, la délégation kényane prend place à la table du Comité.

La Présidente invite les membres du Comité à poser les questions supplémentaires que leur inspirent les points 1 à 18 de la liste.

M. Bhagwati s’inquiète de ce que les droits énoncés dans le Pacte soient éparpillés dans diverses dispositions constitutionnelles et juridiques internes. Il est donc impossible de les invoquer devant les tribunaux nationaux. Actuellement, ils n’ont pas plus de valeur que la loi interne soumise aux caprices des organes législatifs. Il faudrait les consacrer dans la Constitution – moins facile à modifier que la législation nationale. Il espère que la nouvelle constitution leur consacrera un chapitre entier.

M. Bhagwati demande s’il existe un programme de formation des juges et, dans l’affirmative, s’il porte en partie sur le Pacte. Même si la jurisprudence interne ne fait pas de place au Pacte, il est possible de mettre en avant les droits qu’il confère pour l’interprétation du droit interne. On peut d’ailleurs considérer que ce droit assure l’application des droits énoncés dans le Pacte, conformément aux Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire. Il faut donc assurer aux juges une formation qui leur permette d’intégrer les droits de l’homme dans leur interprétation des textes.

L’intervenant veut savoir si la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya est un organisme officiel, quelle sont ses fonctions, comment ses membres sont nommés et s’ils jouissent d’une garantie d’emploi. Il se demande si ses recommandations sont exécutoires et si elle s’est efforcée de modifier les attitudes culturelles et d’ériger une structure démocratique garantissant les droits de l’homme. Il souhaite en savoir davantage sur les mesures – y compris de discrimination à rebours –prises pour améliorer la représentation des femmes au parlement.

Certains paragraphes du rapport appellent des éclaircissements. Le paragraphe 33 semble indiquer que, dans les questions d’héritage, les droits des parents d’un intestat ont préséance sur ceux de l’époux/se et des enfants qui ne recevraient donc rien et devraient dépendre de la belle-famille. M. Bhagwati voudrait savoir si la disposition relative aux droits des femmes à la propriété décrits au paragraphe 37 s’applique sans réserve.

L’accès à la contraception étant limité, il en résulte des grossesses non désirées qui se terminent souvent par des avortement illégaux et dangereux pour la vie de la mère. L’intervenant veut savoir si les pouvoirs publics envisagent de légaliser l’avortement dans certains cas ou de prendre d’autres mesures de prévention. Quant à la mutilation génitale féminine, courante en zone rurale, il demande s’il existe des lois qui l’interdisent. Il faut par ailleurs éduquer les hommes et les femmes pour les encourager à abandonner cette pratique.

M. Johnson López voudrait un complément d’information sur les dispositions constitutionnelles ou légales sur lesquelles repose la décision de révoquer plus de 60 juges et sur les formalités de remplacement de la magistrature assise. Il fait siennes les questions de M. Bhagwati sur la Commission nationale kényane des droits de l’homme.

M. O’Flaherty demande ce que fait le Gouvernement kényan pour protéger les réfugiés comme le prévoit l’article 2 du Pacte, notamment en aidant ceux qui veulent retourner dans le Sud du Soudan et ailleurs. Il voudrait mieux savoir où en est, au parlement, un projet de loi sur les réfugiés et l’accent qu’il met sur les droits énoncés dans le Pacte. Il demande où en est la proposition de créer une commission vérité et réconciliation, visée au paragraphe 44, et combien de principes inscrits dans le Pacte, tels que le principe de réparation en cas de violations des droits de l’homme ont été intégrés dans la proposition.

M me  Wedgwood demande combien des neuf personnes poursuivies pour avoir tiré sur des policiers ont été condamnées et combien de personnes responsables de décès survenus en détention ont été poursuivies et/ou condamnées. Tout en admettant la possibilité d’une commission vérité et réconciliation, elle en juge l’idée sans doute prématurée : il ne peut y avoir de réconciliation sans poursuites. Elle demande si cette commission serait habilitée à ordonner la révocation des fonctionnaires de police qui provoquent la mort de détenus. Il semble qu’il y ait une pénurie d’aliments dans les prisons, en particulier pour les prisonniers en détention provisoire; elle demande donc un complément d’information sur la ration calorique que reçoivent les prisonniers. Elle en voudrait un aussi sur les mesures prises pour protéger les victimes de violences familiales ainsi que des éclaircissements sur les statistiques concernant le VIH/sida qui figurent au paragraphe 63 du rapport. Elle demande qu’une comparaison soit établie entre les méthodes kényanes et ougandaises pour faire face à l’épidémie de sida.

La Présidente invite la délégation à répondre à ces questions complémentaires.

M. Wako (Kenya) dit que la Commission de lutte contre la corruption est un organe totalement indépendant, constitué pour connaître des plaintes portées par le public, l’Assemblée nationale et le procureur général pour enquêter sur la corruption et pour promouvoir sa répression. Ses procédures de nomination sont absolument transparentes : les postes doivent être annoncés et les candidats sont sélectionnés par un conseil consultatif sans que le gouvernement intervienne. Le directeur et son adjoint sont inamovibles. Après enquêtes suffisamment probantes, les affaires sont déférées au Procureur général qui engage les poursuites. La procédure est transparente. Le Bureau du Procureur général est résolu à éliminer la corruption et le système adopté a donné de bons résultats.

Les dates contradictoires citées pour la création de la Commission nationale kényane des droits de l’homme sont toutes deux correctes. La confusion vient de la promulgation en 2002, peu avant les élections législatives, du projet de loi portant création de la Commission. Le retard engendré par le processus électoral a empêché la loi d’entrer en vigueur jusqu’en 2003. Les procédures de nomination à la Commission des droits de l’homme et à la Commission de lutte contre la corruption sont semblables.

M. Wako accepte la position de M. Bhagwati sur la place du Pacte en droit interne; le Gouvernement kényan souscrit pleinement aux Principes de Bangalore. Bien que la jurisprudence nationale n’ait guère encore mentionné le Pacte, la situation va changer. Une fois que le Kenya aura ratifié le Protocole facultatif, les citoyens prendront mieux conscience du Pacte. À ce moment là, l’interprétation des lois en vigueur par les tribunaux, dans les limites de la Constitution et de la législation nationale, intégrera le Pacte à la jurisprudence nationale.

Le Kenya a raison de ne pas promulguer de législation nationale pour assurer les droits énoncés dans le Pacte. Il a une constitution écrite et, s’il adoptait pareille législation, les droits accordés seraient subordonnés à l’interprétation de la Constitution. Or, aux termes du projet de constitution, les droits de l’homme ne sont pas contestables. Il suffit de considérer la Charte des droits pour voir que la portée des droits qu’elle garantit dépasse même celle des droits garantis par le Pacte. Mais si le processus constitutionnel n’aboutit pas, le Gouvernement devra modifier la Constitution actuelle pour la conformer aux dispositions du Pacte.

La politique du Gouvernement kényan n’est pas discriminatoire à l’égard des femmes. Il a entrepris, notamment par des mesures préférentielles, de leur garantir l’égalité des droits politiques, économiques et sociaux. C’est l’objectif de la Commission sur le genre et le développement.

M me  Wambua (Kenya) dit que le Gouvernement a toujours reconnu le rôle essentiel des femmes dans le développement national. Le Bureau de la condition féminine, créé en 1976 au sein du Département des services sociaux pour que les femmes soient prises en compte dans le développement, est même devenu en décembre 2004 le Département de la femme. Citant des chiffres de 2003 qui font état de la présence des femmes dans divers domaines de la société, elle note que, dans le secteur agricole, où la main-d’œuvre totale se chiffre à 316 000, elles sont 78 500. Dans le secteur industriel, elles constituent 141 100 du total des ouvriers, les hommes étant au nombre de 199 600. Dans l’administration publique, on compte 55 600 femmes contre 94 200 hommes. Le Kenya n’a jamais eu autant de femmes parlementaires – 18 sur 220 parlementaires. Dans l’enseignement primaire, les filles représentent 49,9 % des inscriptions totales, les garçons représentant 50,1 %. Dans l’enseignement secondaire, les pourcentages sont de 48,2 % pour elles et de 51,8 % pour eux. Les femmes représentent 45,5 % des 8 021 étudiants d’universités privées; et 30,8 % des 52 408 étudiants d’universités publiques.

M. Kiai (Kenya) dit que la Commission kényane des droits de l’homme est dotée d’un vaste mandat intégrant les droits politiques, civils, économiques, culturels et sociaux. Elle détermine son propre programme et son plan stratégique a été publié en 2003. Dans le domaine de la culture, il y a en substance trois grands obstacles – la culture traditionnelle, la culture sociétale et la culture gouvernementale. Dans le domaine de la culture traditionnelle, la Commission associe son action à celle des institutions traditionnelles pour modifier les droits de propriété et de succession des femmes. En effet, malgré la loi en vigueur, les Kényanes, en particulier rurales, ne peuvent hériter ni de leurs parents ni de leur mari. La pandémie de VIH/sida a aggravé la situation en renforçant leur pauvreté. La culture sociétale qui a supporté plus de 40 ans d’un régime autocrate oppresseur commence à changer. La Commission s’efforce également de donner à la population les moyens d’interpeller ses dirigeants et de militer pour obliger tous les niveaux de l’État à rendre des comptes. Elle s’emploie également à transformer en une culture au service du peuple la culture gouvernementale qui l’a brimé et spolié de ses droits et de ses biens.

Malheureusement, la Commission ne dispose pas des capacités ni du financement voulus. En outre, comme c’est une institution nouvelle qui est censée surveiller le gouvernement, elle jouit rarement de la coopération des pouvoirs publics et en particulier de la police. Elle jouit toutefois de celle des services du Procureur général. Mais l’indépendance financière est cruciale. Actuellement, la Commission s’efforce vaillamment de repousser les efforts menés pour n’en faire qu’un département ministériel.

M me  Angote (Kenya) dit que le programme de réforme des secteurs de la gouvernance, de la justice et de la sécurité publique a pour objectif de réformer et de renforcer leurs institutions afin de rendre l’administration de la justice efficace, responsable et transparente. Quatre ministères et plus de 32 départements sont concernés. Il s’agit de passer d’une approche institutionnelle étroite à une approche plus large axée sur l’exécution. Dans le cadre de ce programme, les magistrats débutants sont formés aux procédures de condamnation avant d’être envoyés dans divers tribunaux du pays; ils comprennent ainsi que leurs jugements peuvent contribuer au surpeuplement des prisons. Les policiers et les directeurs de prison sont formés à la promotion et à la protection des droits de l’homme dans l’accomplissement de leurs tâches, y compris à l’impact que peuvent avoir les arrestations, par exemple sur ce surpeuplement.

À propos de la déclaration d’un état d’exception, M. Wako (Kenya) dit que le Comité doit considérer la Constitution kényane comme un tout. Son article 83, intitulé « Dérogation aux libertés et droits fondamentaux », énumère les droits auxquels il peut être dérogé si l’état d’exception est promulgué. Il ne peut être dérogé à aucun des autres droits, conformément aux dispositions du Pacte. Les sections spéciales de la Constitution promulguées face à la guerre de sécession dans la province du nord-est du Kenya lors de l’indépendance ainsi que les lois promulguées en application de ces sections ont été abrogées. Toute déclaration de l’état d’exception doit être soumise à l’approbation du Parlement.

En ce qui concerne la distinction entre les affaires de vol à main armé et les meurtres ordinaires, passibles dans les deux cas de la peine capitale, l’intervenant note que les affaires de meurtre ordinaires sont entendues par la Haute Cour du Kenya. Selon le système actuel, tout accusé qui n’a pas les moyens de s’attacher les services d’un avocat est représenté par un avocat commis d’office, alors que pour les affaires de vol à main armé, qui sont entendues en correctionnelle, l’accusé ne jouit pas de telles garanties procédurales. Des réformes sont en cours pour assurer des garanties procédurales dans toutes les affaires capitales.

Le Gouvernement n’a jamais donné à la police l’ordre de tuer. Elle ne peut utiliser d’armes à feu que conformément à la loi et aux normes énoncées dans le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l’application des lois. Des programmes de formation aux droits de l’homme sont organisés pour les agents et le département de la police permet même aux groupes de la société civile, y compris aux défenseurs des droits des femmes, de venir y concourir dans ses centres de formation. Dans certains postes de police, des services d’accueil aux femmes ont été mis sur pied afin de recevoir les rapports et les plaintes notamment sur les questions de violence familiale et de viols. À terme, l’objectif est d’avoir des services de ce type dans chaque poste de police du pays.

Il est impossible de dire combien il y a de condamnés à mort mais le Gouvernement sait bien que leur incarcération prolongée constitue une peine cruelle, dégradante et inusitée. Un grand nombre de peines de mort ont été commuées en détention à perpétuité et des condamnés à mort en prison depuis plus de 20 ans ont même été mis en liberté. Les chiffres relevés en 2002 indiquent que plus de 19 policiers ont été traduits en justice pour violations des droits de l’homme et qu’un certain nombre ont été condamnés tandis qu’Interpol recherche les contumaces. La hiérarchie policière est très stricte. Tous les agents relèvent du chef de la police et ont à répondre de leurs actes devant lui. C’est pourquoi, dans le cadre des réformes juridiques, l’accent est mis avant tout sur les devoirs du chef de la police en matière de droits de l’homme. À la connaissance de l’intervenant, la torture n’est pas pratiquée dans les forces armées.

L’ancien gouvernement a mis en place la Commission Akiwumi pour examiner la question des conflits fonciers. À part un certain nombre de recommandations de suivi, le rapport de cette Commission a notamment conclu que la plupart de ces conflits sont dus aux demandes exercées sur la terre et en particulier à l’utilisation concurrente des ressources fluviales, hydriques et foncières. La solution à long terme consiste à répartir équitablement les ressources hydriques entre toutes les communautés. Une équipe spéciale chargée de créer une commission vérité, justice et réconciliation a présenté son rapport au Gouvernement.

L’avortement reste interdit sauf si la grossesse menace la vie de la mère – ce dont doit attester un médecin. Certains groupes font campagne en faveur d’une modification de la loi pour faciliter l’accès à l’avortement mais d’autres, religieux notamment, demandent que les restrictions soient renforcées et veulent pratiquement son abolition pure et simple.

Le Kenya n’a toujours pas de loi antiterroriste mais un projet de loi est actuellement examiné par des organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme aussi bien internationales que nationales afin de garantir un juste équilibre entre la nécessité de faire face à la menace du terrorisme et celle de préserver les droits de l’homme. Le Kenya veut éviter de donner trop de pouvoir judiciaire à l’exécutif. On espère que le projet de loi sera adopté d’ici à la fin de l’année.

Le formulaire administratif qui, dans les dossiers des prisonniers, précise et justifie le mode et la durée de leur détention est en cours de révision; il fournira désormais plus de détails et sera d’accès plus facile. La loi précise les peines criminelles maximales mais laisse aux tribunaux une certaine latitude de sentencer en fonction des circonstances. La sécurité des juges a été traitée dans la réponse écrite de la délégation kényane à la question 18 de la liste des points. Plusieurs allégations ayant fait état de corruption dans la magistrature, le Président de la Haute Cour a nommé une commission chargée d’entendre les doléances, d’enquêter et de faire des recommandations et un tribunal a été créé. Contre toute attente, plus de 50 % des juges de la Haute Cour et de la Cour d’appel se sont démis plutôt que de se soumettre à une enquête, si bien qu’un grand nombre de postes judiciaires sont à pourvoir.

Les chiffres sur le VIH/sida qui figurent dans le rapport sont malheureusement exacts. Un comité national de lutte contre lui a été créé pour sensibiliser la population aux risques de certains comportements. Le coût élevé des médicaments accentue le problème. La violence familiale fait l’objet d’un projet de loi que le Gouvernement examine en même temps que d’autres textes concernant les pratiques traditionnelles néfastes telles que la mutilation génitale féminine imposée aux filles de moins de 18 ans.

La loi sur les réfugiés a été rédigée en consultation avec le Haut Commissariat pour les réfugiés pour tenir compte des préoccupations liées au droit international humanitaire.

Sir Nigel Rodley demande comment le Kenya envisage d’intégrer les dispositions du Pacte à sa constitution. Les clauses actuelles relatives aux droits de l’homme ne sont pas entièrement compatibles avec lui et le projet que le Comité a vu ne fait pas apparaître d’amélioration dans des domaines essentiels tels que le droit à un avocat dans les affaires capitales, sans lequel le détenu est pratiquement au secret. Sir Nigel voudrait aussi un complément d’information sur les mesures que le Gouvernement a prises pour que les institutions nationales de protection des droits de l’homme puissent compter sur l’entière coopération de la police lorsqu’elles cherchent à avoir accès aux prisons et aux détenus.

M. Lallah suggère que, lors de la rédaction de la loi sur la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement examine de près les documents qu’il pourrait obtenir du Comité à cet égard, y compris les observations générales relatives aux articles 2 et 4.

M me  Wedgwood demande si quelqu’un a jamais été reconnu coupable d’avoir causé la mort d’un prisonnier ou si un policier l’a jamais été pour usage excessif de la force, y compris d’arme à feu ayant causé la mort. Elle demande également quel genre de nourriture reçoivent les détenus.

M. Wako (Kenya) se réjouit de la possibilité d’examiner les observations générales du Comité, en particulier celles qui se rapportent à la législation antiterroriste. Il note qu’il n’a pas été facile d’assurer aux institutions de protection des droits de l’homme un plein accès aux détenus mais que les problèmes rencontrés étaient isolés et non systémiques. L’aide judiciaire aux détenus indigents est un objectif que la plupart des pays en développement n’ont pas les moyens d’atteindre. Il salue les activités des groupes de la société civile qui s’efforcent de combler les lacunes financières que connaît le Gouvernement. On a obtenu la condamnation de gardiens de prison qui avaient assassiné des prisonniers et de policiers dont l’abus de la force avait fait des morts. Toutefois, certains des accusés ont fui le pays et sont recherchés par les autorités kényanes par le biais d’Interpol. Une équipe spéciale chargée de la réforme de la police a prescrit la mise en place d’un parquet indépendant pour connaître de ces crimes.

La Présidente invite la délégation kényane à aborder les points 19 à 30 de la liste.

M. Wako (Kenya) rappelle brièvement la réponse écrite de sa délégation à la question 19 sur la magistrature et souligne que l’indépendance de la Commission de la magistrature est garantie par la Constitution. La question 20 qui porte sur la corruption judiciaire a largement été traitée dans les réponses déjà présentées oralement et l’obligation de divulguer les revenus et les avoirs qu’impose la loi sur l’éthique dans la fonction publique et les activités de la Commission kényane anticorruption se sont avérées efficaces contre la corruption. Les réponses déjà présentées oralement ont traité de la question de l’aide judiciaire, soulevée au point 21 et la réponse écrite au point 22 a traité à fond de la relation entre tribunaux séculiers musulmans. Il assure aux membres du Comité, au sujet du point 23 qui porte sur la manière dont sont traités les habitants de bidonvilles, en particulier dans la région de Nairobi qu’il n’ y a pas eu d’expulsions et que les ministères concernés cherchent, en consultation avec Habitat, des solutions au problème de ces bidonvilles. Les questions soulevées au point 24 relativement à une prétendue manipulation des permis d’émettre au détriment des partis d’opposition ont posé un problème sous l’administration précédente mais le Gouvernement actuel a adopté pour politique d’octroyer ces permis sans tenir compte des tendances politiques.

En ce qui concerne la caution que les maisons d’édition sont tenues de verser avant l’impression de toute publication, M. Wako fait valoir qu’elle n’est pas élevée et que cette mesure, qui ne s’applique pas aux publications existantes, vise à réglementer l’édition sans bâillonner la presse. On demande également aux maisons d’édition d’avoir un siège social au cas où par exemple elles seraient attaquées en diffamation. À propos du point 26, il souligne que nombre des restrictions jadis en place concernant les articles 21 et 22 du Pacte ont été levées lorsque la loi a été amendée en décembre 1992 et qu’il n’est par exemple plus nécessaire de demander une autorisation pour se réunir entre amis. Toutefois, dans le cas de réunions politiques, les autorités doivent être prévenues et les réunions consignées dans un registre officiel, surtout pour des raisons d’ordre pratique. Les rencontres qui ont lieu à l’initiative des députés en sont dispensées.

En ce qui concerne le travail des enfants (point 27), le Ministère du travail et les syndicats se penchent actuellement sur cette question avec l’aide de l’Organisation internationale du Travail. Par ailleurs, la Commission kényane des droits de l’homme sensibilise la population à ce problème mais la définition donnée du travail de l’enfant n’est pas toujours littérale.

Répondant aux préoccupations exprimées au sujet de l’âge minimum du mariage, l’intervenant précise qu’il est de 18 ans mais que, sous l’influence de la religion ou des coutumes, des jeunes se marient parfois à 16 ans. Lorsque ces cas lui sont signalés, le Gouvernement prend les mesures voulues et oblige notamment les filles à réintégrer l’école.

En ce qui concerne la sensibilisation de la population aux dispositions de la Convention, des mesures ont été prises que M. Wako trouve d’ailleurs insuffisantes; elles s’adressent en particulier aux juges et aux responsables du maintien de l’ordre. C’est avant tout à la Commission kényane des droits de l’homme qu’il incombe de populariser la Convention et de vérifier le respect des obligations qui en découlent.

M. Shearer demande des précisions sur la structure de la magistrature et sur les qualifications des juges, en particulier dans les tribunaux d’instance qui ont été dotés de larges attributions afin de décharger les tribunaux supérieurs. Les magistrats de ces tribunaux ont-ils des qualifications juridiques? Ont-ils été formés ou ont-ils déjà pratiqué le droit? M. Shearer voudrait que le Gouvernement lui communique, en temps voulu, des précisions sur ce programme de formation – s’il existe. Il aimerait aussi savoir ce qui se passe en cas d’appel.

Se référant à la question 21 de la liste des points abordés (peut-on obtenir une aide judiciaire), il note un décalage entre les obligations de l’État aux termes de l’alinéa d) du paragraphe 3 de l’article 15 de la Convention et les mesures prises par le Gouvernement à cet égard. Tout en comprenant que les pays en développement disposent de ressources limitées, M. Shearer estime qu’il faut en faire plus. Notant les mesures proposées pour l’élargissement du système d’aide judiciaire, il propose que l’on demande l’aide d’organismes officieux et attend avec intérêt d’en savoir davantage.

M. Glele Ahanhanzo voudrait des précisions sur les « tribunaux de cadis », notamment sur leur nombre et leurs liens avec les autres tribunaux. Il demande ce qui se passe en cas de conflit entre un musulman et un non-musulman – comment garantit-on l’égalité devant la loi? A-t-on chargé une institution d’harmoniser la loi au Kenya?

En ce qui concerne les expulsions forcées et la démolition de logements, il tient à être informé par écrit des mesures prises par le Gouvernement pour préserver le droit au logement et en particulier sur le programme de formation destiné aux policiers et aux autres fonctionnaires compétents.

M. Castillero Hoyos demande des détails sur les activités de la commission interministérielle mise sur pied pour s’occuper des expulsions forcées. Il demande si les conclusions en seront publiées et si les communautés touchées ont été consultées. Il demande aussi quelles mesures seront prises en réponse aux recommandations de la commission, si elles sont à la hauteur des normes internationales et comment on s’assurera que les évacuations se font conformément à la loi. Enfin, proposera-t-on une autre forme de logement aux évacués, bénéficieront-ils de prestations sociales et seront-ils indemnisés?

M. Rivas Posada, tout en se félicitant des mesures prises pour créer davantage de stations de radio et de chaînes de télévision dans le pays, demande quelle est la situation réelle en ce qui concerne l’octroi de permis d’émettre. Il se demande si le fait que les maisons d’édition sont tenues de verser une caution ne se prête pas à des abus. N’y a-t-il pas là en fait une atteinte aux droits? En ce qui concerne les limites à la liberté de réunion et d’association, il voudrait savoir quelles sont les autorités qui les imposent et quelles voies de recours sont ouvertes. Pour ce qui est du travail des enfants, l’intervenant est très préoccupé par le nombre très élevé de ceux qui travailleraient dans la Province centrale et par le pourcentage très élevé d’enfants se livrant à la prostitution et au trafic de stupéfiants. Il voudrait des précisions sur la situation dans tout le pays sur le plan tant législatif que pratique. Il est extrêmement inquiet d’apprendre, en lisant le rapport du Kenya, que l’âge de la responsabilité pénale n’y est que de huit ans et il veut savoir pourquoi il est si précoce. Enfin, en ce qui concerne les droits des femmes, il s’interroge sur les différents régimes matrimoniaux auxquels elles ont accès et sur leur compatibilité avec les dispositions du Pacte tendant à protéger la dignité de la femme; il demande en particulier si la polygamie est légale.

M. Wieruszewski, invoquant l’article 26 de la Convention, largement soutenu par la jurisprudence, veut savoir si une modification de la loi est envisagée afin de prévenir la discrimination liée à l’homosexualité.

M. Solari Yrigoyen demande si le service militaire est obligatoire au Kenya et si le droit à l’objection de conscience y est reconnu, conformément à l’article 18 de la Convention. Il veut aussi savoir si on offre aux objecteurs de conscience la possibilité de s’acquitter de tâches civiles d’intérêt public.

M. O’Flaherty partage nombre des préoccupations déjà exprimées, en particulier en ce qui concerne la discrimination contre les homosexuels et le traitement des enfants. Il note que les châtiments corporels ont beau avoir été interdits dans les écoles, ils continuent d’être administrés dans le pays; le Gouvernement doit donc s’occuper en priorité de cette question. En ce qui concerne la traite des enfants, il faut adopter une démarche intersectorielle et multiforme et l’intervenant voudrait savoir si le Gouvernement a intégré cette question à ses préoccupations de politique générale ou s’il a mis en place un mécanisme institutionnel face à ce problème.

La séance est levée à 12 h 55.