NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.2049

7 janvier 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante-seizième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2049e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,

le vendredi 18 octobre 2002, à 10 heures

Président: M. BHAGWATI

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Troisième rapport périodique de l’Égypte (suite)

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Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l’une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d’édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique de l’Égypte (CCPR/C/EGY/2001/3; CCPR/C/76/L/EGY) (suite)

1.Sur l’invitation du Président, les membres de la délégation égyptienne reprennent place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à continuer de poser oralement des questions complémentaires à la délégation égyptienne.

3.M. SHEARER constate que l’état d’urgence est en vigueur en Égypte depuis 1981 et qu’il a récemment été prorogé jusqu’au 31 mai 2003. Il aimerait connaître les raisons qui justifient cette prorogation. Selon la délégation, l’état d’urgence est uniquement motivé par la nécessité de lutter contre le terrorisme et n’a qu’une portée limitée. Dans ce cas, comment se fait-il que certaines personnes qui ont été arrêtées pour des motifs étrangers au terrorisme puissent être traduites devant des tribunaux d’exception, comme cela a été récemment le cas des 51 hommes poursuivis pour débauche dans l’affaire dite du «Queen Boat»?

4.Par ailleurs, M. Shearer demande des précisions au sujet des lois relativement complexes qui s’appliquent à la garde à vue et à la détention provisoire, dont la durée semble pouvoir varier en fonction de divers critères. Est-il vrai, par exemple, qu’une personne peut être maintenue six mois en détention provisoire avant d’être inculpée? À ce sujet, il serait intéressant de savoir dans quelle mesure les dispositions générales applicables à la garde à vue et à la détention provisoire diffèrent des dispositions applicables en la matière pour les personnes accusées de délits tombant sous le coup des lois d’exception.

5.D’autre part, M. Shearer demande s’il est vrai, comme le Comité en a été informé, que des centaines de détenus dont la libération a été ordonnée faute de preuves n’ont toujours pas été libérés et ont, au contraire, vu leur maintien en détention confirmé en vertu d’un nouveau mandat de dépôt. Enfin, la délégation a donné au Comité des renseignements détaillés sur les inspections régulièrement menées dans les prisons afin de vérifier qu’aucune personne n’y est détenue illégalement et il serait intéressant de savoir combien de personnes ont été libérées à la suite de ces inspections surprise.

6.M. RIVAS POSADA, évoquant la question 4 de la liste de points à traiter, demande dans quelle mesure, en pratique, les membres des forces de police ou de sécurité qui se rendraient coupables d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture ou de mauvais traitements sont réellement sanctionnés et quels sont les magistrats ou tribunaux compétents pour connaître de telles affaires. Par ailleurs, notant que la législation applicable à l’état d’urgence prévoit la création de cours de sécurité de l’État, M. Rivas Posada souhaite avoir des précisions quant aux compétences de ces tribunaux et demande s’ils ne connaissent que des délits prévus par la législation sur l’état d’urgence ou s’ils peuvent également connaître des délits de droit commun. Il demande également des précisions en ce qui concerne les différences entre les compétences des tribunaux de sécurité permanents, qui existent depuis 1995, et les tribunaux de sécurité nés de la proclamation de l’état d’urgence. Enfin, ces derniers sont-ils susceptibles de rester en place lorsque l’état d’urgence aura été levé?

7.Le PRÉSIDENT invite la délégation égyptienne à répondre aux questions orales des membres du Comité.

8.M. KHALIL (Égypte) dit que les agents des forces de sécurité sont soumis au droit commun et relèvent des tribunaux ordinaires. En conséquence, s’ils se rendent coupables d’actes de torture ou de mauvais traitements, ils sont passibles des peines prévues par les lois ordinaires.

9.M. HAMAD (Égypte) précise que le Ministère de l’intérieur est doté d’un Département de l’évaluation et de l’inspection. Ce département, dont les fonctionnaires ont été choisis parmi les meilleurs éléments des forces de police, relève directement de l’autorité du Ministre et est chargé de procéder à des enquêtes au sujet de tout acte de torture, mauvais traitement ou violation des droits de l’homme qui aurait été commis par des membres des forces de sécurité. Lorsque les investigations permettent à ce département de conclure qu’une violation a été commise, le dossier est soumis au Ministre de l’intérieur. Celui-ci le transmet d’une part à un conseil de discipline, habilité à prononcer diverses sanctions disciplinaires, telles qu’une retenue sur traitement ou une mutation, et, d’autre part, au parquet qui peut, après enquête, transmettre le dossier à une juridiction pénale. Récemment, des membres des forces de police ont ainsi été condamnés à des peines de trois ans d’emprisonnement pour des faits de cette nature. Par ailleurs, le Département de l’évaluation et de l’inspection effectue régulièrement des visites surprise dans les commissariats de police, ainsi que dans les prisons, pour mener des enquêtes au sujet d’allégations de torture ou de violations des droits de l’homme.

10.Le Ministère de l’intérieur est également doté d’un comité des droits de l’homme chargé d’établir la stratégie du Ministère en matière de protection des droits de l’homme. Le Ministère a également élaboré un plan de développement des prisons égyptiennes, dans le cadre duquel il collabore avec un certain nombre de pays donateurs, avec le Comité international de la Croix‑Rouge, ainsi qu’avec des organisations de la société civile.

11.Mme GABR (Égypte) indique en outre que le Ministère de l’intérieur collabore avec diverses organisations de défense des droits de l’homme, ainsi qu’avec le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme, en vue d’améliorer la formation des agents des forces de sécurité dans le domaine des droits de l’homme.

12.M. KHALIL (égypte), répondant aux questions figurant au paragraphe 10 de la liste des points à traiter (CCPR/C/76/L/EGY), dit que la torture est considérée comme un crime en droit égyptien depuis près de 150 ans. La définition de la torture n’est en aucun cas limitée à des exactions physiques et les institutions judiciaires, en particulier la Cour suprême, ont adopté nombre de décisions dans lesquelles elles énumèrent les actes qu’elles considèrent comme des actes de torture. Par exemple, le fait d’attacher un prisonnier pour lui soustraire des aveux ou de le menacer de maltraiter ses proches est considéré comme un acte de torture. À cet égard, l’article 126 du Code pénal porte sur les actes de torture visant à obtenir des aveux tandis que l’article 282 couvre tous les actes de torture physique, quelle que soit leur finalité. Les tribunaux ont l’obligation de ne pas tenir compte des aveux obtenus sous la torture. En outre, il n’existe aucune restriction concernant le droit de porter plainte pour acte de torture. Il s’agit d’un droit constitutionnel pour lequel il n’y a aucune prescription, ce qui signifie qu’une victime peut porter plainte quand elle le souhaite. S’agissant des possibilités d’appel d’une décision de justice, la pratique actuelle veut simplement que le bureau du procureur général vérifie le bien-fondé des allégations et des accusations formulées par la victime avant que l’affaire ne soit portée devant une juridiction supérieure.

13.Mme GABR (égypte) tient à souligner que l’élaboration des rapports soumis aux organes conventionnels constitue une très lourde tâche pour l’Égypte, comme pour tous les pays en développement. Elle compte donc sur la compréhension des membres du Comité, notamment en ce qui concerne le manque de statistiques détaillées et actualisées dans certains domaines.

14.En réponse aux questions posées par Mme Chanet à la précédente séance, Mme Gabr explique que la dot est une somme peu élevée que l’époux donne à sa femme lors de son mariage. Cette somme est effectivement rendue à l’homme si la femme a donné son accord pour divorcer. S’agissant de l’égalité des sexes, le Conseil national des femmes élabore de nombreuses recommandations visant à remédier aux différences de traitement entre l’homme et la femme, notamment pour ce qui est de l’adultère. En ce qui concerne la liberté de circulation des femmes et des enfants, aucune restriction n’est imposée conformément à la Constitution. Pour ce qui est de l’excision, il s’agit d’une tradition africaine qui n’est aucunement liée à la charia islamique. Elle est formellement interdite en Égypte, sauf si elle est pratiquée à des fins médicales. Le Ministère de la santé a lancé une vaste campagne de lutte contre cette pratique dans les régions rurales. Parmi les autres problèmes évoqués par Mme Chanet, celui de l’analphabétisme occupe toute l’attention des autorités égyptiennes. Le taux moyen d’analphabétisme est de 53 % chez les moins de 55 ans. Le Ministère de l’éducation a adopté un large éventail de mesures pour remédier à ce problème qui est dû en grande partie aux difficultés économiques que connaissent de nombreuses familles. Il est notamment parvenu à réduire sensiblement le nombre d’abandons scolaires, en particulier chez les jeunes filles. Dans les zones rurales, le Ministère de l’éducation s’emploie à faire connaître aux filles les diverses professions qu’elles pourraient exercer en fonction de leur niveau d’études. Mme Gabr tient à souligner que, d’une manière générale, les femmes sont considérées avec beaucoup de respect dans la société égyptienne. Si elles jouent traditionnellement un rôle clef au sein de la famille, elles peuvent aussi occuper des postes à responsabilité, par exemple dans la magistrature.

15.M. KHALIL (égypte), répondant à une question sur la place qu’occupe le Pacte dans l’ordre juridique égyptien, explique que le statut des traités internationaux est régi par l’article 151 de la Constitution, en vertu duquel une fois accomplies les procédures constitutionnelles obligatoires, lesdits traités sont considérés comme faisant partie intégrante de la législation du pays. Les dispositions du Pacte sont donc assimilées à celles des textes législatifs égyptiens applicables et peuvent être invoquées devant toutes les autorités législatives, exécutives et judiciaires de l’État. En outre, les principes relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales bénéficient, du fait de leur incorporation au texte de la Constitution, de la protection accordée aux règles constitutionnelles. Si certains droits fondamentaux tels que le droit à la vie ne sont pas inscrits dans la Constitution, ainsi que l’ont fait remarquer des experts du Comité, M. Khalil note que les droits de l’homme forment un tout et rappelle le principe selon lequel ces droits sont indivisibles et interdépendants. Par ailleurs, l’Égypte maintient sa réserve générale au Pacte car elle doit veiller à ce que certaines dispositions du Pacte ne soient pas incompatibles avec la charia islamique.

16.S’agissant de la peine de mort, il convient d’abord de signaler que tous les crimes passibles de la peine de mort sont énumérés de manière exhaustive dans la loi. C’est aux tribunaux qu’il incombe bien entendu de prononcer les sentences de condamnation à mort. La délégation égyptienne regrette de ne pas pouvoir fournir de statistiques détaillées et actualisées concernant les personnes condamnées à mort. En effet, des statistiques sont recueillies au fur et à mesure que l’informatisation du système judiciaire progresse, ce qui représente une tâche de longue haleine. Toutefois, M. Khalil peut indiquer qu’en 1999, 25 condamnations à mort ont été prononcées, contre 30 en 2000.

17.M. ZOHNI (Égypte) énonce les crimes passibles de la peine capitale. Il s’agit de l’atteinte à la sécurité de l’État provenant de l’extérieur (haute trahison), de l’atteinte à la sécurité de l’État provenant de l’intérieur, des crimes avec utilisation d’explosifs ayant occasionné la mort, de l’incendie criminel ayant occasionné la mort, de l’homicide, de l’enlèvement d’une femme accompagné de viol, du faux témoignage ou du faux serment s’il entraîne la condamnation d’un tiers à la peine capitale et de l’introduction de stupéfiants sur le territoire national.

18.Une question a été posée sur les dispositions légales qui définissent le délit de terrorisme. Il s’agit des articles 86 et 86 bis du Code pénal. La peine de mort est applicable à toute personne ayant créé un groupe illégal au sens de l’article 86 bis qui utilise le terrorisme pour parvenir à ses fins.

19.M. KHALIL (Égypte), répondant à une question sur les garanties dont jouissent les personnes jugées par un tribunal militaire pour un crime passible de la peine capitale, dit que les garanties sont les mêmes que devant une juridiction civile. La condamnation doit par ailleurs être approuvée par un organe composé de juges ayant une longue expérience des affaires militaires. En cas de rejet d’une demande de révision du procès, la personne condamnée peut solliciter la grâce du Président de la République.

20.Sir Nigel RODLEY s’est dit préoccupé par les conditions dans lesquelles se sont déroulées les visites rendues à deux personnes qui ont été expulsées de Suède et sont actuellement emprisonnées en Égypte. M. Khalil indique que la présence d’un représentant de l’administration pénitentiaire était nécessaire lors de ces visites, étant entendu que celui‑ci n’était pas autorisé à entendre les échanges entre le détenu et ses visiteurs mais qu’il devait pouvoir observer ces échanges. En tout état de cause, les personnes détenues qui se considèrent victimes de mauvais traitements peuvent présenter une plainte.

21.À propos de la prorogation de l’état d’urgence, M. Khalil indique qu’elle est l’aboutissement d’une longue procédure, qui n’engage pas seulement le pouvoir exécutif. L’état d’urgence ne peut être prorogé qu’en vertu d’une loi spécifique adoptée, à l’issue d’un débat parlementaire public, et l’Assemblée du peuple doit approuver la prorogation.

22.En ce qui concerne la détention préventive, elle est de deux types. Il existe une détention préventive décidée par le parquet pour une durée maximale de quatre jours, après quoi le juge peut décider de prolonger la détention pendant 40 jours au plus. Le deuxième type de détention préventive est celle relevant d’une juridiction d’appel, qui peut décider le maintien en détention d’une personne pendant six mois au plus. La même procédure est appliquée par les cours de sûreté de l’État, à cette réserve près que, dans ce cas, seul le Procureur général peut décider le maintien en détention préventive. M. Khalil précise encore que seules les personnes soupçonnées de crime contre la sécurité de l’État peuvent être placées pendant sept jours en détention préventive sans décision judiciaire. En ce qui concerne le droit des personnes détenues de s’entretenir avec un avocat, ce droit est consacré dans la Constitution et la législation. Il s’applique à tous les stades de la procédure et quelle que soit la juridiction. Enfin, un membre du Comité s’est interrogé à propos de l’affaire dite du «Queen Boat». Cette affaire illustre bien le respect des garanties de procédure par les organes judiciaires. Deux des personnes impliquées dans ce cadre ont été accusées d’offense à la religion. Ce délit relève des cours de sûreté de l’État, et les deux intéressés ont été condamnés. Toutes les autres personnes qui ont été condamnées dans cette affaire ont vu leur jugement annulé et leur dossier a été renvoyé devant des juridictions ordinaires, compétentes pour apprécier les charges qui pesaient contre elles.

23.M. SHEARER s’est interrogé sur le sort de 99 personnes qui seraient arbitrairement détenues. La délégation égyptienne ne dispose pas d’informations à ce sujet, mais ne manquera pas de communiquer ultérieurement au Comité tous éléments pertinents. D’une façon générale, la délégation égyptienne réunira toutes les données disponibles sur les cas de détention illégale mis en évidence par des inspections des établissements pénitentiaires, et fournira au Comité des informations à ce sujet ultérieurement.

24.M. RIVAS POSADA s’est interrogé sur la réparation qui a été accordée aux victimes d’abus commis par des membres de la police et des forces de sécurité, et les sanctions qui ont été prises contre les coupables. Là encore, la délégation égyptienne fera parvenir ultérieurement au Comité des informations sur les indemnités qui ont été versées aux victimes en application de décisions judiciaires, ainsi que sur les mesures disciplinaires et les condamnations pénales qui ont été infligées aux membres des forces de sécurité impliqués dans ces affaires. M. Khalil précise que les agents de la police sont jugés par des juridictions civiles ordinaires. Quant aux tribunaux militaires, ils connaissent des infractions de droit commun commises par les membres des forces de sécurité ainsi que des atteintes à la propriété des forces armées. Enfin, les cours de sûreté de l’État (tribunaux d’exception) ne peuvent être établies que dans le cadre de l’état d’urgence, et sont dissoutes une fois l’état d’urgence levé.

25.M. HAMAD (Égypte), revenant sur la question des effets dont sont suivies les inspections périodiques des établissements pénitentiaires effectuées par le parquet, dit que des commissions ont été mises en place au sein du Ministère de l’intérieur pour évaluer les résultats de ces inspections. Un grand nombre de personnes détenues ont été remises en liberté récemment à la suite d’inspections. D’une façon générale, tout détenu malade ou dont l’état de santé se détériore est immédiatement remis en liberté. En outre, même dans le contexte de l’état d’urgence, toute personne détenue peut contester sa détention devant la justice. Cela étant, si l’on soupçonne ou établit qu’une personne présente un danger pour la sûreté publique ou prépare un attentat terroriste, elle peut être arrêtée de nouveau. C’est le seul motif permettant de réarrêter un individu.

26.En complément à la réponse de M. Khalil concernant l’affaire de Muhammad Muhammad Suleiman Ibrahim El Zari et d’Ahmad Hussein Mustafa Kamil Agiza, qui ont été expulsés de Suède et emprisonnés en Égypte, M. Hamad précise que l’Ambassadeur de Suède leur a rendu visite à plusieurs reprises dans l’établissement pénitentiaire où ils se trouvent, et des représentants des médias publics suédois ont également pu s’entretenir avec eux. Pour comprendre la présence d’un membre du personnel pénitentiaire lors des visites que reçoivent ces détenus, il faut replacer l’affaire dans son contexte. M. Agiza occupe la deuxième place au sein de la direction du Jihad islamique, juste derrière M. Ayman al‑Zawahry. L’administration pénitentiaire est tenue d’assurer la sécurité des personnes qui rendent visite à d’autres détenus et de les protéger contre le danger représenté par M. Agiza. Plus généralement, M. Hamad indique qu’un certain nombre de dirigeants d’organisations terroristes ayant malheureusement la nationalité égyptienne ont quitté l’Égypte à destination de pays européens et autres. Les autorités égyptiennes ont informé leurs homologues dans les pays concernés du danger que ces personnes représentaient, et cela bien avant les événements du 11 septembre 2001, mais elles n’ont pas pu obtenir leur renvoi vers l’Égypte. Depuis ces événements, un grand nombre des personnes recherchées par la justice égyptienne sont rentrées de leur plein gré en Égypte, où elles se sont présentées devant les tribunaux et ont été jugées. Certaines d’entre elles ont été condamnées et d’autres ont été innocentées.

27.M. ZOHNI (Égypte), en complément aux réponses qui ont été apportées aux questions de M. Shearer, précise que le délit n’est pas considéré comme un crime grave en vertu du droit pénal égyptien. La détention préventive ne s’applique aux personnes soupçonnées d’un délit qu’en cas de risque de fuite, d’influence de témoins ou de destruction de preuves. Dans tous les cas, conformément au principe selon lequel toute personne est innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie, les charges portées contre une personne ne peuvent servir à déterminer s’il y a lieu de la placer en détention préventive. À l’issue de la période de détention préventive, quelle qu’en soit la durée, la personne se voit signifier son inculpation définitive et est traduite devant un tribunal, qui statue à partir du dossier de l’instruction et des éléments de preuve dont dispose le parquet.

28.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à poser oralement des questions complémentaires à la délégation égyptienne.

29.Sir Nigel RODLEY, revenant sur l’affaire des deux personnes soupçonnées de terrorisme qui ont été expulsées de Suède, dit que, si l’on ne peut ignorer les atrocités que peuvent commettre les terroristes, il n’en demeure pas moins essentiel de veiller à la protection des droits de la personne, en particulier des droits auxquels il ne saurait être dérogé conformément au Pacte, mais aussi à la législation égyptienne. Il a noté que les personnes détenues en Égypte ont en principe accès à un défenseur dès le moment de leur placement en détention. Dans ces conditions, comment se fait‑il que deux personnes comme MM. El Zari et Agiza aient été détenues pendant un mois dans un ou des lieux secrets sans pouvoir s’entretenir avec un avocat?

30.Mme CHANET, revenant sur les difficultés auxquelles se heurtent les États parties pour s’acquitter à leur obligation de faire rapport aux organes conventionnels, qui ont été évoquées par le chef de la délégation égyptienne, précise que le Comité est pleinement conscient de ces difficultés et révise constamment ses méthodes de travail pour tenter d’y remédier. Cela étant, le Pacte et les procédures qu’il établit sont l’œuvre de l’Organisation des Nations Unies et, partant, des États eux‑mêmes, et non pas du Comité des droits de l’homme. Mme Chanet espère que la réunion du Comité avec les représentants des États parties au Pacte qui se tiendra dans les jours à venir fournira l’occasion de débattre de ces questions en toute franchise.

31.Pour ce qui est de la déclaration que l’Égypte a faite lorsqu’elle a ratifié le Pacte et de la place du Pacte dans la législation interne, les informations fournies par la délégation égyptienne ne permettent pas de comprendre pleinement la situation, et Mme Chanet ne voit pas clairement quelle est la hiérarchie des normes de droit dans l’État partie, compte tenu de la pluralité des sources principales du droit (charia, Constitution et instruments internationaux). Apparemment, la hiérarchie varie d’une situation à l’autre, et un droit consacré dans la Constitution est plus facilement appliqué par les tribunaux que celui énoncé dans un instrument international. En dehors de la charia, il ne paraît pas exister de terrain juridique sûr pour invoquer telle ou telle norme. En outre, il peut arriver qu’une loi interne soit en contradiction avec le Pacte, et il serait important de savoir comment ce type de situation est réglé.

32.Enfin, à propos de la question de la délivrance d’un passeport aux femmes, le chef de la délégation égyptienne a indiqué que les femmes «étaient libres» d’avoir un passeport. Cela signifie‑t‑il qu’une femme, quel que soit son statut matrimonial, peut solliciter un passeport sans demander une autorisation quelconque à un membre masculin de sa famille?

33.M. LALLAH s’interroge encore, lui aussi, sur la compatibilité de la charia avec les droits énoncés dans le Pacte et sur la hiérarchie des normes. Cela étant, il existe apparemment en Égypte une doctrine de l’interprétation, et M. Lallah voudrait savoir si elle est utilisée pour appliquer la charia d’une façon compatible avec les dispositions du Pacte. Enfin, en ce qui concerne les droits de succession dont jouissent les femmes en Égypte, il constate qu’ils sont inférieurs de moitié à ceux des hommes. Les membres de la famille peuvent‑ils cependant modifier cette situation dans la pratique, et le font‑ils effectivement?

34.M. KRETZMER demande quelle est la politique suivie par les autorités concernant les droits de visite reconnus aux détenus, car il croit comprendre que ces droits ne sont pas toujours respectés.

35.Le PRÉSIDENT, s’exprimant en son nom personnel, demande si des mesures ont été prises dans les prisons pour femmes pour remplacer le personnel de sécurité masculin, notamment les surveillants, par du personnel féminin étant donné que certains cas d’abus sexuels ont été recensés par une ONG. Il demande aussi s’il est vrai que la loi autorise la détention prolongée sans chef d’accusation lorsque la sécurité ou l’ordre public sont menacés et, dans l’affirmative, dans quelle mesure une telle disposition est compatible avec l’article 9 du Pacte. Il demande en outre quelles sont les mesures prises pour faire diminuer le nombre de condamnation à mort. Enfin, il souhaiterait que la délégation précise les fonctions du Bureau du Procureur général qui, parmi de nombreuses prérogatives, semble disposer de pouvoirs judiciaires et, notamment, du pouvoir de placer des personnes en attente d’un procès en détention durant quatre jours sans intervention d’un représentant de la justice.

36.M. HENKIN demande sur quelle base la détention en attente d’un procès est imposée en l’absence d’un délit apparent. La délégation pourrait-elle fournir une liste des dispositions du Pacte concernées par les réserves émises en raison de l’application de la charia islamique? L’état d’urgence imposé en 1981 est-il toujours d’actualité aujourd’hui? Qu’en est-il aujourd’hui de l’affaire du Queen Boat et du Dr Saad Eddin Ibrahim?

37.Le PRÉSIDENT invite les membres de la délégation égyptienne à répondre aux questions complémentaires posées par les membres du Comité.

38.Mme GABR (Égypte) dit que les femmes en Égypte peuvent aujourd’hui obtenir librement un passeport et qu’un nouveau mécanisme, mis en place au sein du Comité des droits de la femme, permet de mieux traiter les plaintes relatives à la violence à l’égard des femmes. Pour ce qui est de la charia islamique, elle dit que son application est extrêmement souple et que si des réserves ont été émises en raison de son application dans le pays, elle constitue néanmoins une base de développement de la société égyptienne et en particulier des femmes égyptiennes.

39.M. KHALIL (Égypte) ajoute que la charia islamique, en matière de succession, ne s’applique que si le défunt ne laisse aucune disposition testamentaire. Par ailleurs, un nouveau système a été mis en place pour garantir aux femmes le droit au divorce en toutes circonstances. À cet égard, il n’y a pas incompatibilité entre la charia islamique et le Pacte. L’entrée en vigueur d’une loi présuppose le respect de la charia islamique, mais également la conformité avec les instruments internationaux ratifiés par l’Égypte, qui constituent la source principale du droit. Ainsi, tant dans l’élaboration des lois que dans leur modification, le législateur est tenu d’une part, de respecter la Constitution et d’autre part, de respecter les dispositions du Pacte.

40.M. Khalil indique que les prisons réservées aux femmes sont entièrement gérées par du personnel féminin, du personnel masculin étant toutefois employé pour la surveillance extérieure des bâtiments. Par ailleurs, la détention en attente d’un procès revêt un caractère préventif et a toujours un fondement juridique. Elle est décidée par le Bureau du Procureur général et vise à préserver les intérêts de l’enquête. Elle n’entraîne donc pas nécessairement la condamnation ou des poursuites. Le Procureur général dispose à cet égard d’une série d’options telles que la libération sous caution, la résidence surveillée, etc. Un délai maximum pour l’instruction de l’enquête est prévu, au terme duquel l’individu doit comparaître devant le juge qui décidera de l’incarcérer, si nécessaire, pour une durée maximum de 45 jours. Il appartient ensuite au tribunal de prolonger l’incarcération de 6 mois. Au-delà de ce délai, l’affaire est confiée aux tribunaux pénaux. En ce qui concerne les condamnations à mort évoquées par les ONG, des chiffres sont en préparation et seront communiqués ultérieurement.

41.Mme GABR (Égypte) dit que la peine de mort continue à faire l’objet d’un débat dans de nombreux pays, que l’Égypte suit cette évolution avec attention, mais qu’elle n’a pas encore abouti à un consensus dans ce domaine. Elle souligne toutefois que l’application de la peine capitale fait l’objet d’une procédure particulièrement stricte et qu’elle n’est appliquée que dans des cas extrêmes. Concernant l’affaire du Queen Boat, Mme Gabr souligne que l’orientation sexuelle ne fait l’objet d’aucune discrimination dans la loi égyptienne, mais que les dispositions de la loi égyptienne relatives à la prostitution, aux atteintes à la moralité, etc., s’appliquent tant aux femmes qu’aux hommes.

42.M. KHALIL (Égypte) dit que l’affaire du Dr Saad Eddin Ibrahim fait actuellement l’objet d’un recours devant la Cour suprême, suite à une contestation du verdict. Il convient toutefois de rappeler que le jugement prononcé est pleinement conforme aux lois égyptiennes. Concernant l’affaire du Queen Boat, le jugement rendu par la Haute Cour de sécurité de l’État a été confirmé pour deux accusés, pour outrage à la religion et diffamation de l’Égypte, ces chefs d’accusation étant de son ressort. Quant aux verdicts prononcés à l’égard des autres accusés, ils ont été annulés, la Haute Cour de sécurité de l’État s’étant déclarée incompétente.

43.Le PRÉSIDENT remercie la délégation égyptienne pour les réponses complètes qu’elle a fournies.

La séance est levée à 13 heures.

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