Quatre-vingt-troisième session

Compte rendu analytique de la 2262e séance

Tenue au Siège, à New York, le vendredi 18 mars 2005, à 10 heures

Présidente :Mme Chanet

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40du Pacte et de la situation dans les pays (suite)

Quatrième rapport périodique de Maurice (suite)

La séance est ouverte à 10 h 15.

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 40 du Pacte et de la situation dans les pays (suite)

Quatrième rapport périodique de Maurice (suite) (CCPR/C/MUS/2004/4)

À l’invitation de la Présidente, la délégation de Maurice prend place à la table du Comité.

La Présidente invite la délégation de Maurice à continuer de répondre aux questions du Comité relatives aux questions 1 à 16 figurant sur la liste des points à traiter.

M. Boolell (Maurice) dit que des questions ont été posées au sujet du statut juridique des protections garanties par le Pacte, en particulier celles visées aux articles 5, 11 et 13, dans la Constitution et le droit mauriciens. Il assure les membres du Comité que la démocratie mauricienne est fermement ancrée dans le respect de l’état de droit, de la Constitution nationale et de ses garanties et du principe de la séparation des pouvoirs. Même si l’on ne retrouve pas dans la Constitution le libellé exact des protections garanties par le Pacte, Maurice est pleinement déterminée à donner effet à tous les droits garantis par le Pacte selon les règles constitutionnelles. Le Parlement et la Cour suprême ont examiné de près, à maintes reprises, les obligations que Maurice a souscrites en ratifiant le Pacte et les recommandations et observations du Comité concernant la situation dans le pays, et ils ont veillé à ce que les droits garantis par le Pacte soient inscrits dans la Constitution et dans les lois. En ce qui concerne les droits visés à l’article 11 du Pacte, la Cour suprême a, dans l’ensemble, manifesté clairement le souhait de renforcer les garanties d’un procès équitable dans le droit interne, même si elle a rendu des jugements contradictoires à cet égard ces dernières années. L’intervenant cite plusieurs exemples mentionnés dans le rapport à l’appui de ses propos. En ce qui concerne l’article 13 du Pacte, il a examiné la réponse écrite à la question 17 figurant sur la liste des points à traiter et fait observer que Maurice ne dispose d’aucune loi traitant spécifiquement des réfugiés ou des questions relatives à l’asile. Elle a accédé à la Convention de 1951 relative aux réfugiés lorsqu’elle a acquis l’indépendance mais n’a pas ratifié le Protocole de 1967. M. Boolell cite le cas récent d’un immigrant clandestin recherché pour cause d’infraction passible de la peine capitale dans son pays, que les tribunaux mauriciens ont frappé d’un arrêté d’extradition et qui a néanmoins pu demander asile et faire appel de l’arrêté auprès de la Cour suprême, qui n’a pas encore pris de décision.

Répondant aux questions relatives à la Commission nationale des droits de l’homme portant sur sa création, ses fonctions et son statut, l’intervenant appelle l’attention du Comité sur les informations fournies dans les réponses écrites à ces questions. La Commission est dirigée par un ancien juge de la Cour suprême, qui est secondé par deux personnes compétentes qui ont l’expérience des questions relatives aux droits de l’homme. C’est donc un organe dont le statut et l’indépendance sont conformes aux Principes de Paris concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Bien que ses dépenses soient imputées sur le budget du Cabinet du Premier Ministre, la Commission rend compte à l’Assemblée nationale et demeure entièrement indépendante de tout autre organe. Les plaintes dont elle est saisie doivent être déposées dans un délai de deux ans mais il y a dans la société mauricienne des observateurs attentifs, à savoir la presse, les organisations non gouvernementales et les professionnels du droit, ce qui fait que ce délai ne semble pas excessivement court.

En ce qui concerne l’allégation de brutalités policières dont il est question dans l’affaire Martine De s marais, l’intervenant fait observer que le Directeur du parquet demeure saisi de la question en attendant l’achèvement de l’enquête préliminaire. Dans le cas où il y aurait une preuve suffisante à première vue d’une infraction pénale, l’affaire serait renvoyée à la Cour d’assises. Il en va de même en ce qui concerne l’affaire Isabelle Maigrot, dans laquelle l’accusé conteste une confession qu’il aurait faite lorsqu’il a été interrogé par la police. Dans les deux cas, la décision relève du Directeur du parquet.

La Commission nationale des droits de l’homme a une vision globale de ces droits, se préoccupant de questions telles que les droits des détenus et les conditions de détention et d’affaires individuelles, et elle a formulé des recommandations sur la base de ses conclusions. Ainsi qu’il ressort des statistiques figurant dans l’annexe au quatrième rapport de Maurice, des plaintes contre des policiers déposées auprès du Bureau d’investigation des plaintes ont, après avoir été examinées par la Commission, donné lieu à des poursuites. De plus, une nouvelle loi sur la torture a été promulguée et a déjà été invoquée contre un agent de la force publique, qui a été démis de ses fonctions.

En ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, il n’y a pas encore eu d’affaire relevant de la loi de 2002 sur la prévention du terrorisme. La question de la conformité de cette loi avec la Constitution devra être dûment examinée par la Cour suprême, en ce qui concerne particulièrement la dérogation au chapitre 2 de la Constitution qu’elle pourrait entraîner. Établissant un parallèle avec la loi de 2002 sur les drogues dangereuses, dont la Cour a estimé qu’elle contenait suffisamment de garanties contre la privation de liberté, l’intervenant se dit favorable à la proposition tendant à étendre ces garanties à la loi sur la prévention du terrorisme. La présomption d’innocence est un principe fondamental à Maurice; il existe des garanties appropriées de son application et elles sont utilisées. En particulier, il est fait des enregistrements vidéo des détenus, ce qui permet d’avoir un compte rendu complet et détaillé de leurs interrogatoires et de leurs mouvements pendant toute la durée de leur détention. Les objections soulevées par les détenus sont enregistrées et signées par une tierce partie. Toute demande de réexamen susceptible d’en résulter est soumise aux tribunaux et personne ne peut être accusé de terrorisme tant que les conditions nécessaires ne sont pas réunies.

M me  Narain (Maurice), répondant à une question posée à la séance précédente, fait observer qu’aucune décision n’a été prise dans son pays concernant l’euthanasie, qui est qualifiée d’homicide avec circonstances atténuantes. Le code déontologique médical offre des protections contre les abus.

En ce qui concerne la question de l’égalité de rémunération entre hommes et femmes, l’intervenante se réfère à la loi de 2002 sur la discrimination sexuelle, en vertu de laquelle des plaintes peuvent être déposées auprès de la Division de la discrimination sexuelle, qui fait partie de la Commission nationale des droits de l’homme. Tout est fait pour apporter une réparation adéquate aux victimes, notamment sous forme d’indemnisation financière, sans préjudice d’un recours judiciaire.

S’agissant du rapport d’une organisation non gouvernementale faisant état d’un taux très élevé de violence physique contre les femmes à Maurice, l’intervenante dit qu’il y a bel et bien un problème à cet égard dans son pays mais que les chiffres cités sont grossis. En ce qui concerne le trafic de femmes et d’enfants, un groupe dirigé par un représentant du Bureau du Procureur général étudie la question au niveau régional; ses conclusions seront communiquées au Comité en temps utile. Peu de cas d’exploitation de la main-d’œuvre enfantine sont signalés et il s’agit rarement d’exploitation, les enfants travaillant habituellement pour aider leurs parents. Le Ministère du travail et le Ministère de la condition féminine suivent la situation à cet égard. En ce qui concerne l’avortement, peu de cas ont été signalés au Directeur du parquet et il n’y a pas eu de poursuites. Répondant à une question concernant l’absence de suivi du rapport par l’équipe spéciale de travail concernée, l’intervenante fait état des difficultés découlant des susceptibilités religieuses.

M. Boolell (Maurice), évoquant la partie du rapport de son pays relative à l’archipel des Chagos, souligne que Maurice privilégie le bilatéralisme pour tenter de rétablir sa souveraineté sur l’archipel. Il déplore que le Royaume-Uni ait continué à agir unilatéralement et n’ait pas répondu à l’appel de son pays au dialogue. Le Gouvernement mauricien continue à étudier tous les moyens de parvenir à un règlement, en gardant particulièrement à l’esprit les tragiques conséquences humaines de l’expulsion forcée des habitants des îles Chagos et la nécessité de parvenir à un règlement acceptable du problème.

M. Amor souhaiterait avoir davantage de précisions sur la place du Pacte dans la législation mauricienne, en particulier dans la hiérarchie des normes.

M. Bhagwati demande des précisions sur le rôle de la Commission nationale des droits de l’homme, compte tenu notamment des affirmations d’une ONG selon lesquelles la Commission aurait communiqué des plaintes à un Bureau d’investigation pénale. S’agit-il simplement d’un organe d’investigation, sans pouvoir de décision? Peut-il intenter une action en justice et l’a-t-il jamais fait? L’intervenant souhaiterait savoir dans combien d’affaires criminelles il est intervenu. Il aimerait aussi être renseigné sur l’interdiction de l’avortement et se demande si le Gouvernement ne pourrait pas envisager d’adopter des lois qui l’autoriseraient dans certaines circonstances.

Sir Nigel Rodley, faisant référence à la liste des policiers poursuivis en justice, fait observer que la seule mesure prise à leur encontre depuis 2000 est une amende. En ce qui concerne le policier reconnu coupable de voies de fait, il aimerait savoir s’il s’en est rendu coupable en cours d’interrogatoire. Evoquant à nouveau l’affaire Martine Desmarais, il se demande pourquoi il y a eu un tel retard et fait observer qu’il n’y a pas eu d’audition préliminaire depuis 2002.

L’intervenant soulève la question du délai de deux ans applicable aussi bien aux affaires renvoyées devant la Commission nationale des droits de l’homme qu’aux actes commis par des agents de la fonction publique. Il se demande si la loi sur la protection de ces agents pose un délai de prescription. Si des éléments d’information sur un homicide venaient à être connus plus de deux ans après sa commission, des mesures ne seraient-elles pas prises? Comment le système de recours législatif et institutionnel fonctionne-t-il dans de telles conditions?

M. Gele Ahanhanzo demande un complément d’information sur l’importance et le rôle du Comité judiciaire du Conseil privé dont il est question dans le rapport.

M. Boolell (Maurice) dit que la Cour suprême a déclaré très clairement à plusieurs reprises que toute interprétation de la Constitution devait être compatible avec le Pacte et précise que le Comité judiciaire du Conseil privé a fait des déclarations en ce sens.

La Commission nationale des droits de l’homme est un organe d’enquête qui suit l’application de ses recommandations et leurs résultats. Elle adresse ses conclusions au Ministère de la justice et des droits de l’homme, qui l’informe de la suite donnée aux plaintes, notamment de leur communication au Directeur du parquet.

Le Gouvernement continue à débattre de la question de l’avortement et prendra une décision de principe à ce sujet ultérieurement.

En ce qui concerne les voies de fait susmentionnées, l’intervenant ne sait pas si elles ont été commises en cours d’interrogatoire. Les sentences sont proportionnées à l’infraction et des policiers ont été rayés des cadres de la police après avoir été condamnés. Le retard pris dans l’affaire Maigrot est dû à la saisine, par la Cour suprême, d’un différend concernant la divulgation de documents.

Conformément à la politique adoptée par le Gouvernement, la loi sur la protection des agents de la fonction publique est très rarement invoquée et le délai de deux ans prévu pour le dépôt des plaintes n’a pas été fixé par rapport aux affaires dont les tribunaux sont saisis.

La Cour suprême a posé que ses décisions pouvaient être soumises au Comité judiciaire du Conseil privé si elles portaient sur des questions de droit ou d’une grande importance pour le pays. Le droit de se pourvoir en appel auprès du Conseil privé ne sera pas aboli car il n’y a pas de consensus sur la nécessité de créer une cour de cassation qui fasse office d’organe suprême du système judiciaire.

La Présidente invite la délégation de Maurice à aborder les questions 17 à 24 figurant sur la liste des points à traiter.

Liberté de mouvement et interdiction d’expulser arbitrairement des étrangers (art. 12 et 13 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), répondant à la question 17, dit que Maurice n’est pas dotée de loi traitant spécifiquement des réfugiés ou de l’asile et n’a accédé à aucun instrument international sur la question en raison de sa taille et de son manque de ressources. C’est le Gouvernement qui prend la décision d’accorder l’asile, sous réserve de l’approbation des autorités judiciaires. Dans le cas où l’asile n’est pas accordé, Maurice se comporte humainement, comme en témoigne le transfert d’un certain nombre de demandeurs d’asile congolais vers l’Australie. L’arrêté d’expulsion peut être soumis au contrôle juridictionnel de la Cour suprême, mais sans que le recours ait automatiquement un effet suspensif.

Droit à un procès équitable (art. 14 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), répondant à la question 18, dit qu’un procès dure en moyenne entre un et deux ans, selon la complexité de l’affaire, la disponibilité des témoins et du conseil et d’autres facteurs. Répondant également à la question 19, il dit que l’aide juridique s’applique à presque toutes les procédures civiles et pénales et est toujours octroyée aux mineurs.

Droit à la liberté de religion (art. 18 du Pacte)

M. Boolell (Maurice) dit, que conformément à la décision du Conseil privé mentionnée dans la question 20, on ne réserve plus de places aux écoliers en fonction de leur religion dans les écoles.

Droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association (art. 19, 21 et 22 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), répondant à la question 21, dit que la création de l’Agence indépendante de l’audiovisuel, après la suppression du monopole d’État sur la radio et la télévision, avait pour but d’assurer des pratiques équitables et conformes aux règles de l’éthique dans ces deux secteurs. Un Comité des plaintes s’est occupé des plaintes relatives à l’invasion de la publicité, au respect de la vie privée et aux traitements injustes dans les émissions. Les plaintes anonymes sont jugées inacceptables.

Répondant à la question 22, M. Boolell dit que les libertés de réunion et d’expression sont garanties par la Constitution. Lors des événements qui ont abouti à l’affaire en question, le Directeur de la police a abusé de son autorité. Comme suite au jugement, il est peu probable qu’il s’opposera à une manifestation pacifique, à moins qu’il puisse prouver devant un tribunal que cette manifestation remet en cause le droit à l’ordre public.

Répondant à la question 23, l’intervenant dit que la nouvelle législation est examinée en collaboration avec l’Organisation internationale du Travail (OIT). Le livre blanc dont il est question dans le rapport recommande que le droit de grève soit rétabli en dernier ressort et soumis à des conditions. Les consultations avec l’OIT se poursuivent et le Gouvernement se conformera à toutes les conventions de l’OIT relatives au droit de négociation collective.

Diffusion du Pacte et du Protocole facultatif (art. 2 du Pacte)

M. Boolell (Maurice), répondant à la question 24, dit qu’une formation aux droits de l’homme et aux obligations souscrites par Maurice en vertu du Pacte est périodiquement dispensée aux policiers, aux avocats et aux juges. Les observations finales du Comité sur le rapport à l’examen seront affichées sur le site Web du Bureau du Procureur général et communiquées à la Commission nationale des droits de l’homme. Celle-ci a diffusé des informations sur les divers instruments internationaux relatifs à ces droits, dont le Protocole facultatif, auprès d’organisations éducatives et professionnelles et d’organismes publics.

La Présidente remercie la délégation de Maurice de ses réponses et invite les membres du Comité à poser les questions qu’ils pourraient encore avoir à poser concernant les questions 17 à 24.

M. Glele Ahanhanzo dit qu’il souhaiterait savoir quel enseignement a été tiré de l’affaire S. Tengur v. The Minister of Education. Il se demande si Maurice, dont la population est pluriethnique, connaît des problèmes liés à ses minorités et comment elle assure sa cohésion sociale. Il aimerait savoir quelles mesures ont été prises pour dispenser un enseignement aux enfants dans leur langue maternelle, le créole, et si les enseignants qui enseignent le créole reçoivent une formation. Il aimerait aussi avoir des informations sur les mesures prises pour promouvoir l’utilisation officielle du créole, par exemple dans les tribunaux.

M. O’Flaherty s’inquiète de ce que l’État partie n’ait pas ratifié la Convention de Genève relative aux réfugiés et de ce que ses lois sur l’immigration et l’expulsion n’intègrent pas les critères applicables en matière de droits de l’homme dans le processus de décision. Il aimerait savoir quel est le nombre réel d’expulsions auxquelles il a été procédé ces dernières années, où les personnes expulsées ont été envoyées et dans quelle mesure les personnes non encore légalement admises sur le territoire mauricien bénéficient des lois relatives à l’expulsion. Il se demande quelles mesures Maurice a prises pour que ces personnes ne soient pas refoulées. Il se demande par ailleurs s’il est prévu une aide juridique pour les procédures prévues par la loi sur l’expulsion, si les personnes faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion sont informées de la possibilité de le soumettre à un contrôle juridictionnel et si elles peuvent bénéficier d’une aide judiciaire à cet égard. Il se demande aussi, si tel est le cas, dans quelle mesure la Commission nationale des droits de l’homme intervient dans ces questions.

Les efforts consentis pour diffuser le Pacte et son premier Protocole facultatif et former les agents de la fonction publique semblent être axés exclusivement sur les avocats et la police, alors que l’application des droits de l’homme est une question qui engage la responsabilité du Gouvernement dans de nombreux secteurs et ne concerne pas que les juristes et les agents de la force publique. L’intervenant saurait donc gré aux représentants de Maurice d’indiquer dans quelle mesure les fonctionnaires de tous les ministères responsables des politiques et des programmes sont informés de leurs responsabilités relativement au Pacte. L’approche actuellement retenue pour faire connaître les observations finales du Comité en les affichant sur le site Web du Procureur général est passive. Le Gouvernement se montre-t-il actuellement plus actif pour diffuser ces observations, notamment par l’intermédiaire des médias? Malgré ce qui a été dit au sujet des enseignants dans la réponse à la question 24, on ne sait pas dans quelle mesure les droits de l’homme sont promus et le Pacte est porté à la connaissance des enseignants à l’intérieur du système éducatif.

Sir Nigel Rodley demande d’autres précisions sur l’aboutissement des affaires de voies de fait impliquant des policiers, faisant observer que les documents dont le Comité est saisi ne donnent pas d’indications claires sur les mesures disciplinaires prises.

M. Kälin dit que, si personne ne s’attend à ce que Maurice devienne une destination de premier choix pour les réfugiés, il est clair que même les petits pays sont désormais confrontés à des demandeurs d’asile qui disent risquer d’être persécutés si on les renvoie dans leur pays d’origine. La loi de Maurice sur l’expulsion ne garantit en rien que les droits de l’homme des personnes susceptibles d’être expulsées seront protégés. L’intervenant se félicite de ce que la période de détention précédant l’expulsion – 28 jours – soit très courte mais fait observer que cela contraint les autorités à agir rapidement, situation qui permet difficilement aux personnes concernées de faire réviser leur dossier. Il se demande à cet égard si Maurice envisage d’adopter des lois pour modifier les instruments juridiques pertinents de façon à garantir que le droit au contrôle juridictionnel de la Cour suprême soit effectif.

M. Castillero Hoyos dit que, si la législation de Maurice relative aux droits de l’homme s’est beaucoup améliorée, certains problèmes demeurent. Il se demande si le Gouvernement envisage d’élargir le mandat, d’augmenter les ressources et de garantir l’indépendance de la Commission nationale des droits de l’homme. Il se demande également pourquoi la Commission a insisté sur l’adoption, dans les affaires de brutalités policières aussi bien que d’agressions sexuelles par des policiers, d’une procédure de conciliation qui a contraint les victimes à dialoguer avec leurs agresseurs. Se référant par ailleurs à une enquête menée par une organisation non gouvernementale qui a établi l’existence d’un lien étroit entre le nombre important d’affaires de violence au foyer et de maltraitance des femmes et l’incidence élevée de l’alcoolisme et de la toxicomanie, il demande quelles mesures le Gouvernement prend pour faire baisser la consommation de drogue et d’alcool.

S’agissant de la tentative qui est faite d’autoriser à nouveau les mariages religieux musulmans, l’intervenant demande ce qu’il en est, faisant observer que les mariages en question aboutiraient probablement à des actes de discrimination et entraîneraient toute une série de violations de droits, notamment du droit à la propriété. Il demande également si Maurice a promulgué un instrument juridique de lutte contre la traite d’êtres humains et si elle envisage d’accéder à des instruments internationaux relatifs à l’asile et aux réfugiés et de les traduire dans son droit interne. En ce qui concerne les garanties procédurales, l’intervenant voudrait savoir quelles mesures ont été prises pour que le Département d’investigation pénale et la Brigade des stupéfiants cessent d’empêcher les détenus d’accéder à un conseil. Il voudrait aussi savoir si la loi sur le commerce maritime a été alignée sur les normes internationales en matière de travail forcé. Est-il envisagé, dans le Livre blanc du Gouvernement dont il a été question dans l’exposé oral et les réponses écrites, de cesser d’interdire le droit de grève, d’éliminer la période de médiation et de conciliation de 21 jours et de rendre la loi adoptée applicable dans les zones franches industrielles, où de très nombreuses plaintes pour mauvais traitements et restriction du droit d’association des travailleurs ont été déposées? L’intervenant aimerait à ce propos avoir des informations sur les droits des travailleurs étrangers à Maurice, compte tenu en particulier d’articles parus récemment dans la presse internationale, selon lesquels une manifestation de travailleurs chinois qui protestaient contre la violation de leurs droits aurait été brutalement réprimée par la police.

Il serait intéressant de savoir pourquoi le créole et les langues autochtones du pays ne sont pas des langues de travail au Parlement, comme l’anglais et le français. L’intervenant craint que la création du Centre culturel d’État n’aboutisse à ghettoïser les minorités. Il se déclare préoccupé par les directives sur lesquelles s’appuient les grandes chaînes d’hôtel pour recruter, qui seraient racistes et défavorables à différentes ethnies, et aimerait savoir quelle est la position du parti au pouvoir sur la question. Enfin, il aimerait savoir quelles mesures le Gouvernement a prises pour que les différentes ethnies du pays soient mieux représentées dans la police, où les personnes d’ascendance indienne sont de loin les plus nombreuses.

M. Boolell (Maurice) dit que le créole, qui est la langue maternelle de la majorité des Mauriciens, est utilisé comme langue orale depuis que le pays a accédé à l’indépendance; il devient peu à peu une langue écrite. Un projet pilote a permis de jeter les bases de son enseignement et on est parvenu à un accord en ce qui concerne l’harmonisation de son orthographe et de sa grammaire. Le Gouvernement a indiqué très clairement que le créole devait faire partie des matières enseignées à l’école et a pris des dispositions pour que les enseignants reçoivent la formation voulue. À Maurice, État laïc, la population est composée de personnes de différentes races et confessions entre lesquelles il n’est pas fait de distinction devant la loi. Quiconque a le sentiment d’être victime de discrimination peut saisir la Cour suprême. Maurice est un pays pacifique, où les tensions ethniques ne donnent lieu qu’à des incidents isolés.

Il n’y a pas de groupe ethnique prédominant dans la police. Le recrutement dans la fonction publique, qui relève de la Commission de la fonction publique, est fondé sur le mérite. Quiconque a le sentiment d’avoir été injustement traité dans le cadre d’une procédure de recrutement peut saisir la Cour suprême. Il serait erroné de voir Maurice à travers le prisme ethnique. Le travail forcé sera aboli. Les grèves ne sont pas illégales, bien qu’il soit nécessaire, avant de les engager, de recourir à une longue procédure de médiation et de réconciliation. De nouvelles lois seront adoptées dans peu de temps, qui reconnaîtront pleinement le droit de grève. Les travailleurs étrangers jouissent des mêmes droits que les travailleurs mauriciens. Se référant à l’observation selon laquelle les moyens utilisés pour faire connaître les droits de l’homme sont passifs, l’intervenant convient que l’observation est pertinente mais fait observer que la Commission nationale des droits de l’homme et, notamment, le Ministère des affaires féminines, l’« Ombudsperson pour enfants » et les organisations non gouvernementales ont la responsabilité de diffuser des informations sur les traités, les obligations qui en découlent et les droits de l’homme auprès des agents de la fonction publique autres que ceux chargés de faire appliquer la loi.

Tout policier accusé d’avoir commis une infraction pénale est automatiquement suspendu jusqu’à ce qu’un tribunal l’ait entendu et jugé. Le Directeur de la police attend de connaître le jugement du tribunal avant de prendre des mesures disciplinaires. Dans la plupart des cas, le policier est renvoyé.

M me  Narain (Maurice) dit que la législation relative à l’Agence indépendante de l’audiovisuel s’applique à la télévision aussi bien qu’à la radio. Le rapport du Département d’État des États-Unis s’explique probablement par le fait qu’avant la libéralisation du secteur de la radio en vertu de la loi portant création de l’Agence, le Gouvernement exerçait un monopole sur la radio. S’agissant de la procédure d’expulsion, l’intervenante tient à assurer les membres du Comité que les droits de l’homme sont pris en compte à ses différents stades mais convient avec eux qu’il serait hautement souhaitable que des dispositions relatives à ces droits soient incorporées dans les textes de loi relatifs à l’expulsion. Elle fera part des préoccupations du Comité concernant la question aux autorités gouvernementales concernées.

La Présidente dit qu’il y a eu de nets progrès depuis le premier rapport du pays en 1996, en particulier en ce qui concerne les droits collectifs, et fait observer le rôle clef joué par l’« Ombudsperson pour enfants ». Les membres du Comité ont des vues plutôt mitigées sur la Commission nationale des droits de l’homme. Si certains considèrent avec satisfaction qu’elle est parvenue à rendre compte d’un certain nombre d’infractions pénales, d’autres estiment que son bilan est insuffisant. Il y a eu quelques difficultés pour garantir l’indépendance et l’impartialité de la Commission. Le fait que toutes les violations des droits de l’homme n’aient pas fait l’objet de poursuites au pénal est aussi un sujet d’inquiétude. Le Comité aimerait que la Commission joue pleinement son rôle.

La Présidente s’inquiète particulièrement de la place faite au Pacte, en particulier à l’article 15, dans la Constitution mauricienne. Certaines dispositions de la Constitution sont compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme mais ne le sont pas encore avec le Pacte. La délégation mauricienne elle-même a reconnu que les articles 2 et 26 du Pacte n’avaient pas été pleinement transposés dans la Constitution.

La Présidente se dit encouragée par les efforts consentis par le Gouvernement en ce qui concerne la langue créole, qui est une langue internationale parlée à l’extérieur de Maurice, notamment dans son propre pays. Il serait très utile que les enseignants soient formés à son enseignement et que les enfants en aient une connaissance écrite. Étant donné les larges ramifications des brutalités policières, les mesures disciplinaires décrites dans les annexes au rapport ne semblent pas appropriées. Comme l’ont fait observer plusieurs membres du Comité, il est dangereux que les textes de loi sur le terrorisme soient trop vagues. D’autres questions posant problème méritent d’être signalées, notamment la violence à l’égard des femmes, l’avortement, la limitation excessive des droits syndicaux et la liberté des médias.

M. Leung Shing (Maurice) dit que la loi sur la prévention du terrorisme n’est peut-être pas idéale mais qu’elle constitue le moyen le plus raisonnable de protéger les intérêts nationaux tout en préservant les droits fondamentaux des citoyens.

Ainsi qu’il est indiqué aux paragraphes 7 à 13 du rapport, l’archipel des Chagos a été illégalement détaché du territoire mauricien. Le Gouvernement mauricien a tenu la communauté internationale périodiquement informée du sort des habitants de l’archipel qui ont été déplacés de force. Maurice est déterminée à continuer d’examiner la question du rétablissement de sa souveraineté sur l’archipel par tous les moyens juridiques et diplomatiques. Des opérations militaires ne sont pas réalistes pour un petit pays comme elle.

La séance est levée à 13 h 15.