Quatre-vingt-douzième session

Compte rendu analytique de la 2514e séance

Tenue au Siège, à New York, le mardi 18 mars 2008, à 15 heures

Président:M. Rivas Posada

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique de la Tunisie (suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte (suite)

Cinquième rapport périodique de la Tunisie (suite) (CCPR/C/ TUN/5; CCPR/C/TUN/Q/5 et Add.1 )

À l’invitation du Président, les membres de la délégation de la Tunisie reprennent leur s place s à la t a ble du Comité.

Le Président invite les membres de la délégation à répondre aux questions restantes de la liste des points à traiter (CCPR/C/TUN/Q/5).

Se référant au point 21 de la liste, qui concerne les droits des personnes appartenant à une minorité, et plus particulièrement à la question de la liberté de religion en Tunisie, M me  Souayhi (Tunisie) dit que le chapitre V de la Constitution, ajouté à un corpus législatif très tolérant, garantit une entière liberté de culte à toutes les minorités religieuses, tant chrétiennes que juives. Les activités des 14 paroisses catholiques romaines sont encadrées par une convention entre l’État et le Vatican. Tous les citoyens tunisiens, sans distinction de culture, de religion, de conviction, de couleur ou de sexe, jouissent des mêmes libertés. La paix religieuse qui règne en Tunisie est une condition préalable de la paix générale qui règne dans la société. La majorité musulmane respecte par tradition toutes les religions minoritaires. Le Ministère des affaires religieuses – et non pas « du culte musulman », ce qui a son importance – accorde une aide financière pour l’entretien de toutes les églises et mosquées ainsi que de leurs cimetières. Il n’est pas fait mention de la religion sur les documents d’identité. La tolérance, le respect de l’autre et le droit à la différence sont enseignés à tous les niveaux, depuis l’école élémentaire jusqu’à l’université.

Sous le régime de la loi de 2005 relative à la coexistence et à la tolérance, les chrétiens qui épousent des musulmans peuvent exercer librement leur religion; une nouvelle chaire pour le dialogue des civilisations et des religions a été établie en 2001 à l’Université de Tunis El Manar; un centre de recherche sur les civilisations et les cultures a été ouvert en 2003; et toute une série de colloques et de proclamations ont encouragé la paix et la liberté de religion. La Tunisie est un pays arabe islamique moderne, à la différence de certains autres pays du monde arabe. Une dérive vers l’intégrisme, surtout dans des domaines sensibles comme celui des droits des femmes, a poussé le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’idéologie intégriste de déferler sur le pays, et ses décisions en ce sens sont conformes aux articles 18 et 27 du Pacte.

M. Bismuth (Tunisie) déclare qu’il peut porter témoignage, à partir de son expérience de citoyen juif de Tunisie, fier de son double patrimoine, des changements qui ont pris place depuis l’indépendance. Après avoir travaillé comme homme d’affaires et administrateur dans divers secteurs, il a passé les 40 dernières années dans l’administration et a maintenant l’honneur de siéger au Sénat. Toute sa vie, il a toujours été libre d’exercer activement ses droits. L’adhésion de la Tunisie au Pacte n’a fait que ratifier l’état de choses existant. Le mot « tolérance » est trop faible pour décrire la liberté de religion qui règne dans son pays : le Gouvernement exige en effet que ses citoyens respectent toutes les religions, dont il encourage et souvent parraine les célébrations. Juifs, chrétiens et musulmans sont libres de pratiquer leurs cultes, et leurs modes de vie sont à l’image de leurs identités culturelles, créant ainsi une diversité que le Gouvernement favorise.

Se référant à la question 22 de la liste des points à traiter et soulignant l’importance que son gouvernement attache à la consolidation d’une culture des droits de l’homme et à la diffusion des principes du Pacte, M. Khemakkem (Tunisie) rappelle que le Gouvernement tunisien a organisé, à l’intention des magistrats, des agents de police et des agents pénitentiaires, des cours sur les droits de l’homme qui examinent les dispositions de tous les instruments internationaux en la matière et éclairent le droit des droits de l’homme.

Passant au point 23, il dit que son gouvernement s’emploie à faire connaître les dispositions du Pacte et à diffuser les observations finales du Comité, car il apprécie les idées et les commentaires qu’elles contiennent. En outre, le Gouvernement s’efforce toujours d’associer un large éventail d’organisations non gouvernementales représentant les journalistes, les travailleurs, les femmes, les défenseurs des droits de l’enfant et d’autres catégories de la population à la préparation de ses rapports au Comité et aux autres organes de suivi des traités.

M. Tekkari (Tunisie) précise que son gouvernement, estimant que le dispositif en place est insuffisant, a décidé de créer un service qui sera placé sous l’autorité du Coordonnateur des droits de l’homme au Ministère de la justice et des droits de l’homme et qui, en coordination avec les ministères et les associations compétentes, sera chargé du suivi des recommandations du Comité et du contrôle de leur application.

Revenant au point 14 de la liste, M. Khalil demande ce que ferait un juge à qui, au cours d’un procès, un défendeur déclarerait que ses aveux ont été obtenus par la force.

En ce qui concerne le point 15, il évoque plusieurs développements favorables sur le plan de la liberté d’opinion et d’expression. Ainsi, des délits de presse comme la diffamation de l’ordre public ont été abolis afin qu’ils ne fassent pas obstacle à l’exercice légitime de leur profession par les journalistes; les journaux, stations de radio et chaînes de télévision privées se multiplient; et, surtout depuis les amendements de 2006 au Code de la presse, le nombre des publications d’opposition et le montant des subventions qui leur sont accordées par le Gouvernement ont augmenté, ce fait ayant d’ailleurs attiré l’attention de l’étranger. On ne peut cependant manquer d’être frappé par le nombre relativement élevé des allégations de violations de la liberté d’expression, comme celles qui sont signalées dans le rapport de 2002 de la Représentante spéciale du Secrétaire général pour la question des défenseurs des droits de l’homme (E/CN.4/2002/106). Ce phénomène confirme nettement l’opinion de ceux pour qui il existe en Tunisie un large fossé entre le droit et la pratique.

Dans sa réponse au point 16, la délégation tunisienne a soutenu que le Gouvernement ne place aucune restriction sur les sites d’information et les journaux électroniques, à l’exception de ceux qui portent atteinte aux droits de l’homme; pourtant, des organisations non gouvernementales internationales fiables affirment que c’est ce même argument que le Gouvernement avance pour restreindre les activités légitimes des défenseurs des droits de l’homme ou des partis d’opposition, dont les sites Web sont bloqués ou dont les articles sont exclus de la presse. Les rapports de ces organisations et les restrictions à la liberté d’expression mentionnées en 2006 par la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la question des défenseurs des droits de l’homme mettent en évidence le harcèlement auquel ceux qui font usage de leur liberté d’expression s’exposent de la part des pouvoirs publics.

Passant au point 17 de la liste, M. Khalil demande si tous les partis politiques reçoivent bien un traitement égal dans la presse officielle tunisienne et, si tel est le cas, pourquoi certains d’entre eux voudraient faire connaître leurs idées politiques par des canaux situés à l’extérieur du pays. Pour ce qui est du point 18 de la liste, il cite des extraits d’un bulletin de l’Organisation arabe des droits de l’homme dans lequel la Ligue tunisienne des droits de l’homme dénonce le siège de deux ans auquel les autorités tunisiennes ont soumis ses locaux en violation du droit national et de plusieurs traités internationaux ratifiés par la Tunisie et demande que ce siège soit levé. Selon le même bulletin, les autorités ont empêché à deux reprises la Ligue de réunir son congrès national et ont exposé ses représentants à des actes d’intimidation et à des agressions physiques pour les empêcher d’exercer leur liberté de réunion. De surcroît, le Gouvernement continue d’empêcher les activités des associations indépendantes et des partis d’opposition. Malgré cela, le Comité apprécie le fait que le Gouvernement, comme il l’a déclaré dans sa réponse écrite, a autorisé Amnesty International et deux partis d’opposition à tenir des réunions publiques en Tunisie. Il veut voir dans cette autorisation une amélioration par rapport à la situation en 2006, quand la Représentante spéciale du Secrétaire général s’était déclarée gravement préoccupée par les entraves à l’exercice de la liberté de réunion.

S’agissant du point 19 de la liste, M. Khalil souhaite obtenir des informations plus détaillées sur les critères appliqués par le Gouvernement pour déclarer une réunion illégale. En effet, dans sa réponse écrite, le Gouvernement s’est contenté de déclarer que les critères appliqués sont ceux prévus par la loi. M. Khalil demande si les réunions qui ont pu être déclarées illégales au cours des cinq années précédentes concernaient uniquement des associations internationales de soutien aux prisonniers politiques. Il voudrait aussi savoir combien de prisonniers politiques se trouvent encore derrière les barreaux. Il a clairement l’impression que le Gouvernement est loin de tolérer la critique et rappelle que le Comité a déjà souligné ce problème dans ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de la Tunisie.

M. Lallah remercie la délégation de son rapport détaillé, et en particulier des utiles informations qu’il contient sur les Berbères; en même temps, il regrette que certaines des réponses de la délégation aux réponses du Comité soient insuffisantes, notamment sa réponse à la question du point 20 de la liste, qui concerne la reconnaissance et l’enregistrement des associations de défenseurs des droits de l’homme. Le défaut de précision de ces réponses aux questions du Comité est troublant. Le Comité a posé des questions légitimes, en se fondant sur les informations fournies par la Représentante spéciale du Secrétaire général sur la question des défenseurs des droits de l’homme dans son rapport (E/CN.4/2006/95/Add.5). En réponse aux questions du Comité, le Ministre de la justice a conseillé aux défenseurs des droits de l’homme d’introduire des recours devant les tribunaux pour obtenir la reconnaissance et l’enregistrement officiel de leurs associations. M. Lallah voudrait savoir s’il existe des associations qui ont satisfait aux critères requis pour qu’elles soient légalement constituées; si les associations dont les demandes ont été rejetées ont été informées des motifs du rejet; et combien de temps il faudrait à une association pour se faire enregistrer par la voie judiciaire conseillée par le Ministre.

Nul ne conteste que le fanatisme constitue un véritable problème pour la Tunisie. Mais ce n’est pas un problème qui peut être réglé uniquement par l’action du Gouvernement et l’application des lois. La collaboration des couches pensantes de la société, représentées par les associations de défenseurs des droits de l’homme, est indispensable; s’aliéner ces alliés potentiels contre l’extrémisme ne peut qu’entraîner une perte de confiance dans l’administration et apporter de l’eau au moulin des extrémistes. L’orateur exhorte la délégation à trouver rapidement une solution efficace qui garantisse le droit d’association prévu à l’article 22 du Pacte.

Se référant à la liberté d’expression, M me  Wedgwood, dit que, tout en reconnaissant et partageant les sincères préoccupations du Gouvernement face aux incitations à la violence et au terrorisme, elle ne manque pas d’être troublée par son approche de la liberté de la presse. Elle se félicite certes des amendements introduits au cours des dernières années, mais se demande si le Gouvernement ne devrait pas envisager d’en adopter de nouveaux, notamment pour modifier les dispositions du Code tunisien de la presse susceptibles d’empêcher les journalistes d’exprimer leur opinion sur le fonctionnement des administrations publiques. Elle s’étonne, par exemple, que le Code de la presse incrimine le fait de diffamer non seulement des particuliers, mais aussi des institutions, et qu’il incrimine aussi la diffamation de fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions.

Se référant à la réponse de l’État partie sur la question de savoir si la loi organique no 2003-58 est conforme à l’article 19 du Pacte, elle fait observer que, bien que les élections relèvent de l’exercice exclusif de la souveraineté, on peut s’étonner que les Tunisiens se voient interdire de faire connaître leur préférence pour tel ou tel candidat.

S’agissant de l’accès à l’Internet, elle prie la délégation de s’exprimer sur la question de l’indépendance des fournisseurs d’accès à l’Internet à l’égard du Gouvernement dans le contexte des allégations selon lesquelles les deux sociétés tunisiennes de prestations de services dans ce domaine appartiennent à des parents du Président Ben Ali. Au paragraphe 286 du rapport de la Tunisie, on peut lire qu’il devient essentiel de mettre le réseau Internet au centre d’une bataille publique et citoyenne pour la maîtrise de son contenu et de sa mise en circulation. Bien que l’oratrice comprenne la nécessité de faire obstacle aux incitations à la haine raciale ou religieuse et qu’elle apprécie à sa juste valeur la tolérance manifestée par la Tunisie à l’égard de ses différentes communautés ethniques, elle considère qu’en dehors des problèmes de pornographie et d’incitation à la violence, un gouvernement n’a pas à se mêler de contrôler le contenu de l’Internet. L’Internet est devenu le principal moyen de communication des jeunes, en même temps qu’un nouveau moyen de diffusion. Elle trouve préoccupant que l’on ne puisse pas télécharger depuis la Tunisie des informations que l’on peut télécharger facilement dans la plupart des autres pays.

L’oratrice fait observer que les dispositions du Code de la presse qui imposent aux journaux d’employer un certain nombre de diplômés d’écoles de journalisme risquent d’empêcher les citoyens ordinaires de publier leurs propres journaux et, partant, de limiter la liberté d’expression, ce qui serait une conséquence à long terme peu souhaitable pour la Tunisie. Enfin, le fait que les journaux doivent déposer une caution avant de pouvoir être publiés risque de contraindre leur liberté d’expression en faisant intervenir le Gouvernement à un stade aussi précoce. Notant l’importance qui s’attache à assurer l’autonomie de la presse et à la laisser se réglementer elle-même, elle invite le Gouvernement à revenir sur cette politique dans sa prochaine série de réformes administratives et législatives.

M me  Motoc demande comment la Tunisie a reçu les nouveaux principes introduits par la Convention relative aux droits des personnes handicapées et ce qu’elle fait pour garantir que les droits de ces personnes soient respectés.

Se référant au droit à un procès équitable, M. Tekkari (Tunisie) dit qu’il importe de considérer le contexte des allégations d’iniquité. Il arrive en effet que jusqu’à 100 avocats demandent à assister à un procès, alors même qu’il n’est pas toujours possible de les recevoir physiquement dans la salle d’audience. Il y a même une affaire où, lorsque le juge a demandé aux avocats d’assister au procès par petits groupes, ceux-ci se sont retirés en proclamant que le procès n’était pas équitable. Au procès récent de Soliman, le Tribunal a été obligé d’écouter 24 heures ininterrompues de plaidoiries, car chacun des nombreux avocats de la défense a tenu à s’exprimer sans limites, et on a encore prétendu que ce procès n’était pas équitable. Il faut éviter de mêler politique et droits de l’homme.

Sur la question de savoir comment les tribunaux traitent les plaintes des victimes de torture, la Cour de cassation a fait savoir clairement que les déclarations obtenues par la torture sont irrecevables. Quiconque a subi des sévices peut en saisir les tribunaux.

En ce qui concerne la liberté d’opinion, l’orateur rappelle que des subventions directes et indirectes sont mises à la disposition des journaux qui préparent leur publication. Aucun journal n’a été suspendu, et la presse écrite comme la presse audiovisuelle se caractérisent par leur diversité. Les journaux des partis aussi bien que les médias privés et indépendants critiquent les partis politiques. La situation n’est peut-être pas parfaite, mais elle s’améliore.

En réponse à une question sur la fermeture de sites Web, l’orateur précise que ces sites ne sont fermés que s’ils contiennent de la pornographie ou des incitations à la violence. Le cas des Internautes de Zarzis est bien connu à cet égard : il y a trois ans, un groupe de Tunisiens a été arrêté et accusé de participation à des actes de terrorisme parce que ses membres avaient appris sur l’Internet comment fabriquer des explosifs, avaient procédé à des essais et avaient repéré les lieux qu’ils voulaient détruire. Ils ont été libérés ultérieurement, mais l’un d’eux est mort peu de temps après en Somalie dans une action terroriste, tandis qu’un autre a été condamné par contumace en France pour infraction de terrorisme. Bien que, fondamentalement, l’Internet favorise la liberté, il importe cependant de faire la distinction entre son utilisation comme moyen d’accès à l’information et son utilisation à des fins terroristes, car il existe de nombreux abus dans ce domaine. Un autre site Web qui a été fermé préconisait les attentats-suicides et les décapitations en Tunisie. Les sites de ce genre risquent d’exercer une influence dangereuse sur des jeunes qui peuvent être facilement persuadés de commettre des attentats-suicides à la bombe.

À propos du point 16 de la liste, M. Khalil a mentionné 64 communications concernant 78 personnes qui avaient été victimes d’actes de harcèlement et d’intimidation. Le seul journaliste actuellement en prison est détenu non pas pour ses opinions, mais pour un délit de droit commun, celui d’insulte à agent de la puissance publique. Le fait qu’il s’agisse d’un journaliste ne lui confère aucune immunité à cet égard.

Passant au droit d’association pacifique et à la Ligue tunisienne des droits de l’homme, l’orateur explique que la Ligue traverse un conflit interne que ses propres organes ne réussissent pas à régler. Dans la préparation de son congrès, la Ligue a violé son propre règlement et ce sont des membres de la Ligue qui ont porté l’affaire devant les tribunaux. Le congrès a été annulé non pas pour faire obstacle au droit d’association, mais en exécution d’une décision de justice. Le fait que certains de ses membres soient proches du parti majoritaire ne leur donne pas plus de droits qu’aux autres, et le juge n’a tenu aucun compte de leurs affiliations politiques. La Tunisie n’en considère pas moins la Ligue comme un acquis national et elle espère que ses membres parviendront finalement à un accord afin qu’elle puisse occuper la place qui lui revient dans la société civile tunisienne en sa qualité d’organisme de défense des droits de l’homme.

Il existe deux critères pour décider si une réunion est illégale : sont illégales les réunions qui n’ont pas fait l’objet d’une déclaration préalable et celles qui représentent une menace pour la sécurité publique. Le Gouvernement ne soumet pas les réunions à autorisation, mais il peut les interdire. Par « réunion », on entend un groupe important et non pas six personnes se retrouvant dans un café. Les affaires concernant l’ordre public relèvent du juge administratif. Dans le cas de la Ligue des droits de l’homme, le juge a rendu sa décision dans un délai de trois jours. Certaines questions de fond peuvent prendre plus longtemps, mais il arrive aussi que les accusés emploient délibérément des tactiques dilatoires. Les délais qui s’ensuivent leur permettent de se faire passer pour des victimes, ce qui offre pour eux certains avantages.

Passant à la question des prisonniers politiques, l’orateur affirme que personne, en Tunisie, ne se trouve en prison à cause de ses opinions politiques ou d’actes politiques pacifiques. Certains prisonniers sont membres de partis politiques, mais s’ils sont en prison, c’est parce qu’ils ont commis des infractions de droit commun, ce qui ne fait pas d’eux des prisonniers politiques. Il y a des trafiquants de drogues dans toutes sortes de groupes politiques. Certains criminels sont membres de mouvements terroristes violents. Cela ne fait pas non plus d’eux des prisonniers politiques. Tous les prisonniers peuvent exercer tous leurs droits, y compris celui d’être admis au bénéfice de la libération conditionnelle ou d’une grâce, quelles que soient leurs opinions et leur appartenance politique.

Sur la question de l’enregistrement des associations, l’orateur explique que les associations dont la demande d’enregistrement a été rejetée ont la possibilité de saisir le Tribunal administratif. Dans plusieurs affaires récentes, ce tribunal a annulé la décision du Ministère de l’intérieur de rejeter une demande après avoir examiné les motifs fondant ce rejet. Dans l’une de ces affaires, le motif avait été que l’association se proposait d’offrir un service public. Le juge administratif a décidé que l’administration publique n’a pas le monopole de la prestation des services publics et qu’une association pouvait les offrir.

En réponse à une question sur le Code de la presse, il fait observer que le droit tunisien est basé sur le droit romain et le droit français et qu’il est par conséquent plus formel et moins libéral que d’autres systèmes fondés sur la common law. La diffamation, selon la définition qu’en donne le Code de la presse, ne se réduit pas à la simple critique, mais consiste en une atteinte à la réputation de la personne. Prétendre qu’une personne a fourni un mauvais service est certes une question d’opinion, mais prétendre que cette personne est un voleur peut relever de la diffamation et donc exposer son auteur à la sanction pénale. En réponse à une question sur le code électoral, l’orateur fait valoir qu’une campagne électorale s’inscrit dans un cadre temporel déterminé par la loi. Les individus ont le droit de faire valoir leur point de vue, mais pas de mener une campagne parallèle pour inciter les gens à voter d’une certaine façon. Ce principe s’applique aux élections législatives aussi bien qu’à l’élection présidentielle.

M. Romdhani (Tunisie) s’inscrit en faux contre l’idée que l’agence de presse publique, Tunis Afrique Presse, ait le monopole de l’information. Cette agence offre ses dépêches aux journaux et autres organes de presse qui ont souscrit auprès d’elle un abonnement, mais ses clients n’ont nullement l’obligation de les publier. Les dirigeants de l’opposition et les représentants des organisations non gouvernementales jouissent d’une pleine liberté d’expression et leurs propos sont très largement reflétés dans la presse indépendante. Tout en reconnaissant que le processus de mise en place d’une presse libre n’est pas achevé, il déclare sans fondement l’idée qu’il y aurait en Tunisie un fossé entre la théorie et la pratique de la liberté d’expression.

Passant à la question de l’Internet comme voie d’accès à l’information, il fait observer que les Tunisiens peuvent se connecter sans entrave aux sites Web d’organisations internationales de défense des droits de l’homme comme Amnesty International et Human Rights Watch. Il importe toutefois de bien comprendre que ceux qui instrumentalisent l’Internet abusent de la liberté d’expression. Répondant aux allégations selon lesquelles le Président tunisien exercerait un contrôle sur les fournisseurs de services Internet, il dit que son pays compte 12 fournisseurs indépendants d’accès à l’Internet et il invite les experts à vérifier eux-mêmes ce fait.

En ce qui concerne la disposition de la loi qui impose aux journaux de recruter des journalistes diplômés d’écoles de journalisme, il ne voit pas pourquoi elle porterait préjudice à la liberté d’expression. Cette disposition répond uniquement au souci de faire en sorte que les diplômés d’écoles de journalisme trouvent suffisamment de débouchés professionnels.

Répondant à une question sur le rôle de la société civile, M. Tekkari (Tunisie) affirme que les organisations de la société civile ont un rôle important à jouer et que le Gouvernement n’épargne aucun effort pour les associer à son action. Le rapport de la Tunisie illustre bien la participation de ces organisations aux affaires publiques ainsi que l’adhésion du Gouvernement aux recommandations du Comité concernant la protection des droits de l’homme.

La Tunisie a signé la Convention relative aux droits des personnes handicapées ainsi que son Protocole facultatif. Dans ce contexte, de nombreuses mesures d’action positive ont été prises, notamment pour rendre tous les bâtiments publics accessibles aux personnes handicapées. Des établissements scolaires spéciaux et gratuits pour les personnes présentant des handicaps physiques ou mentaux ont été ouverts. Des mesures ont également été prises pour assurer la pleine intégration des personnes handicapées dans la société et pour faciliter leur accès à l’emploi. À cette fin, la loi relative à la fonction publique réserve 1 % des postes de fonctionnaires mis en recrutement aux personnes handicapées.

M. Ayed (Tunisie) ajoute que la loi d’orientation de l’éducation et de l’enseignement scolaire de 2002 oblige le Gouvernement à garantir l’exercice par les enfants handicapés de leur droit à l’éducation. Des dispositions spéciales ont été prises pour intégrer ces enfants dans les classes ordinaires. En outre, l’effectif des classes est limité à 15 enfants afin de permettre aux enseignants de consacrer une égale attention à tous leurs élèves. Il existe aussi des écoles spécialisées pour les personnes handicapées dont les besoins dépassent les capacités des écoles ordinaires.

M. Bismuth (Tunisie) affirme que de nombreuses personnes handicapées sont des membres productifs de la population active occupée.

Le Président se félicite des progrès accomplis par l’État partie dans la protection des droits de l’homme et du fait que les instruments internationaux y priment sur la législation nationale.

Dans les autres pays, le Chef de l’État ne préside pas l’ordre judiciaire. Malgré les assurances qui ont été données que la fonction de Président du Conseil supérieur de la magistrature exercée par le Président de la République tunisienne est de pure forme, le Comité n’en est pas moins préoccupé par l’effet qu’un tel dispositif peut avoir sur l’indépendance des juges.

Passant à la question de la législation antiterroriste de l’État partie, il dit craindre qu’elle ne menace les droits de l’homme. Le recours à des juges et à des témoins anonymes, s’il ne constitue pas en lui-même une violation du Pacte, n’en risque pas moins de limiter certaines des garanties stipulées par le Pacte. Il incombe donc à l’État partie de veiller à ce que cet anonymat ne compromette pas le plein exercice par l’accusé des droits de la défense.

Tout en se félicitant des progrès accomplis vers l’abolition de la peine de mort, le Comité note avec inquiétude que l’État partie entend continuer d’imposer cette peine, même s’il n’a pas l’intention de la faire exécuter. Or pour un prisonnier condamné à mort, la seule crainte d’être exécuté constitue un traitement dégradant, quelles que soient les assurances en sens contraire que puisse donner l’État partie.

Le Comité accueille avec satisfaction les informations détaillées qui lui ont été communiquées sur les poursuites judiciaires engagées contre des agents de police et des agents de l’administration pénitentiaire accusés de torture ou de traitements cruels et inhumains. Il n’en reste pas moins préoccupé par un certain nombre de rapports et d’accusations précises qui donnent à penser que l’État partie continue de pratiquer la torture, et il compte recevoir de lui des informations plus détaillées sur la question. Le Comité compte aussi surveiller de près les procédures judiciaires centrées sur la liberté d’expression et souhaite se faire communiquer des informations plus détaillées sur les journalistes mis en prison pour avoir exercé leur métier.

La liberté de réunion et d’association est soumise en Tunisie à des règles qui risquent d’aboutir à des violations des droits consacrés par le Pacte. En effet, bien que les réunions publiques ne soient pas subordonnées à l’obtention d’une autorisation officielle, la loi permet de limiter le droit de réunion. Le Président du Comité souhaite obtenir de plus amples informations sur les critères de sécurité et les autres critères appliqués par les tribunaux pour décider si telle ou telle réunion sera interdite.

M. Tekkari (Tunisie) remercie les membres du Comité du dialogue fructueux engagé avec eux. Évoquant les préoccupations suscitées par le fait que le Président de la République soit concurremment Président du Conseil supérieur de la magistrature, il fait observer que la même situation existe dans des pays comme la France, l’Italie et le Maroc. Or cette situation ne compromet nullement l’indépendance des juges, puisque le rôle du Chef de l’État est pure forme.

Évoquant la question de la torture, il affirme que le Gouvernement invitera le Rapporteur spécial sur la torture et les autres châtiments cruels, inhumains ou dégradants à se rendre en Tunisie et qu’il continuera d’honorer l’accord conclu avec Human Rights Watch pour la visite des prisons tunisiennes. Il se dit impatient de recevoir les recommandations du Comité et affirme que son pays continuera de progresser vigoureusement sur la voie des droits de l’homme.

La séance est levée à 17 h 5.