NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.2235

31 janvier 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-deuxième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2235e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le lundi 25 octobre 2004, à 10 heures

Président: M. AMOR

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Cinquième rapport périodique du Maroc

La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Cinquième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/MAR/2004/5; CCPR/C/82/L/MAR)

M. Hilale, M. Amzazi, M.Mokhtatar, M. Abdennabaoui, M me Hoummane et M. Farhane (Maroc) prennent place à la table du Comité.

Le PRÉSIDENT souhaite la bienvenue aux membres de la délégation marocaine et en invite le chef à présenter le cinquième rapport périodique du Maroc (CCPR/C/MAR/2004/5).

M. HILALE (Maroc) dit que, depuis son accession au trône en 1999, le Roi Mohammed VI a entrepris de mettre en place un projet de société démocratique et moderniste, fondé sur l’enracinement de la culture des droits de l’homme, la mise en œuvre de la politique de proximité de participation, la revalorisation du rôle de la femme et de la famille et la consolidation de la solidarité sociale. Dans ce cadre, une réforme en profondeur de l’administration et de la justice, piliers essentiels du renforcement de l’état de droit, a été mise en chantier. Cet engagement stratégique en faveur des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme s’est matérialisé lors des élections législatives de 2002, qui se sont déroulées en toute transparence et honnêteté. Le Gouvernement constitué à l’issue de ces élections s’est engagé et mobilisé en faveur de l’état de droit. La décision prise par le roi de faire passer l’âge du vote de 20 à 18 ans a permis à la jeunesse marocaine de s’investir massivement dans la réalisation d’une société moderniste, de donner une puissante impulsion à la citoyenneté responsable et d’apporter un sang nouveau à la pratique démocratique au Maroc.

Parallèlement à ce choix stratégique, le Gouvernement marocain intensifie ses efforts normatifs et institutionnels en matière des droits de l’homme, notamment en vue de clore définitivement, et de manière juste et équitable, le dossier relatif aux disparitions forcées et aux détentions arbitraires. Ainsi, une série de réformes législatives a été lancée touchant particulièrement les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, afin d’harmoniser la législation nationale avec les dispositions pertinentes des instruments internationaux auxquels le Maroc est partie. Une vaste réforme a donc été entreprise, portant notamment sur le Code pénal et le Code de procédure pénale, l’administration carcérale, l’entrée et le séjour des étrangers au Maroc, le Code du statut personnel et l’espace des libertés publiques. La révision du Code pénal et du Code de procédure pénale est la pierre angulaire de la réforme de la justice pénale; elle a notamment permis de consacrer le principe de la présomption d’innocence, d’assurer une relation étroite entre la condamnation et le jugement, de mettre en place des mécanismes de contrôle de la garde à vue, des interrogatoires et des conditions de détention, de créer l’institution du juge d’application des peines et de réorganiser la justice pour mineurs.

Le nouveau Code de la famille consacre le principe de l’égalité entre les époux, qui ont les mêmes droits, les mêmes devoirs et les mêmes responsabilités. Il préconise l’égalité en ce qui concerne l’âge du mariage, fixé uniformément à 18 ans, fait du divorce un droit exercé par les deux conjoints et soumet la polygamie à des conditions légales draconiennes. En réponse aux attentes de la société civile et de toutes les composantes de la nation marocaine, le Code des libertés publiques a été remanié en profondeur, notamment dans le souci de simplifier les procédures administratives, de réduire, voire de supprimer, les sanctions privatives de liberté en faveur des amendes, de garantir la transparence et de renforcer le rôle du pouvoir judiciaire dans le contrôle de la légalité des décisions administratives.

Outre les réformes susmentionnées, il convient de mentionner la réorganisation du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) et la mise en place d’un médiateur dénommé «Diwan Al Madhalim». Le CCDH, dont les attributions ont été élargies et l’indépendance renforcée, a présenté un rapport dans lequel il a souligné les progrès accomplis en matière de promotion des droits de l’homme mais a aussi attiré l’attention sur les cas de violations recensés dans le cadre de la lutte antiterroriste et sur les questions qui préoccupent les militants des droits de l’homme. À la suite de ce rapport, le Gouvernement a ordonné des enquêtes sur les plaintes pour torture dont le CCDH s’est fait l’écho, a fourni des informations et des éclaircissements sur le statut et les attributions des services des renseignements, présenté un avant-projet de loi incriminant la torture, déclaré la levée des réserves formulées au sujet de la Convention contre la torture et constitué un comité de haut niveau chargé de réagir sans tarder en cas d’atteintes aux droits de l’homme. Diwan Al Madhalim créé en décembre 2003, se veut un outil de conciliation souple et un moyen de recours efficace pour ceux qui s’estiment lésés par une décision ou un acte pris par une administration ou un organisme public. Cette institution a pour vocation de donner une impulsion à la réforme de la législation, de l’administration et de la justice. À ce titre, elle se doit de soumettre au roi un rapport annuel et sera appelée à s’occuper, en collaboration avec le CCDH, des droits des Marocains séquestrés à Tindouf, au mépris des dispositions du Pacte relatif aux droits civils et politiques.

Outre ces deux institutions, deux mécanismes d’une importance capitale ont vu le jour: la Commission indépendante d’arbitrage, chargée de l’indemnisation des préjudices matériels et moraux subis par les victimes de la disparition forcée et de la détention arbitraire et leurs ayants droit, et l’Instance Équité et Réconciliation, dont la création a été approuvée le 6 novembre 2003 sur recommandation du CCDH. En cinq ans d’existence, la première a été saisie de 5 127 requêtes d’indemnisation; elle a rendu plus de 4 000 sentences définitives et a alloué aux victimes ou à leurs ayants droit l’équivalent de plus de 100 millions de dollars d’indemnités. Parallèlement, le Gouvernement et le CCDH s’emploient à trouver des solutions aux problèmes de santé et de réinsertion sociale et professionnelle rencontrés par d’anciens disparus ou détenus ou des membres de leur famille. Quant à l’Instance Equité et Réconciliation, dont la création a été annoncée le 15 décembre 2003, elle a pour mandat de régler les cas de violation en suspens et de clore définitivement le dossier des droits de l’homme. À cet effet, elle est chargée de procéder à une évaluation globale de l’état du dossier de la disparition forcée et de la détention arbitraire et de poursuivre les recherches dans les affaires non encore élucidées. Elle doit aussi veiller à la réparation de tous les préjudices subis par les victimes dans le cadre d’un règlement extrajudiciaire.

Des mesures concrètes axées sur l’enseignement et l’éducation aux droits de l’homme ont été prises, soutenues par le dynamisme remarquable de la société civile. Convaincu de l’importance primordiale de l’éducation, le Gouvernement marocain a créé un centre de documentation, d’information et de formation dans le domaine des droits de l’homme, avec la contribution du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et du Programme des Nations Unies pour le développement.

Les actes terroristes qui ont endeuillé le Maroc en mai 2003 ont poussé le Gouvernement à déposer au Parlement un projet de loi antiterroriste. Plusieurs organisations non gouvernementales et associations ont été associées à la révision de ce texte.

Pour conclure, M. Hilale indique que les progrès réalisés par le Maroc en matière de promotion et de protection des droits de l’homme ne doivent pas être un motif d’autosatisfaction mais doivent être un encouragement à poursuivre l’édification de l’état de droit. Les autorités marocaines demeurent résolument déterminées à poursuivre dans cette voie.

Le PRÉSIDENT remercie M. Hilale et invite la délégation à répondre aux questions écrites du Comité.

M. HILALE (Maroc), répondant à la question du Comité relative à l’évolution de la situation au Sahara marocain, indique que, depuis l’adoption du plan de règlement en 1991, le Maroc fait preuve d’une coopération sans réserve avec la MINURSO. Toutefois, l’application du plan s’est heurtée à des obstacles et des manœuvres dilatoires visant à exclure des dizaines de milliers de Sarahouis de la liste provisoire des votants, et à fausser ainsi la consultation référendaire, au mépris des principes d’équité, d’égalité et de justice. En 2000, Secrétaire général a reconnu qu’il n’avait pas été possible d’appliquer dans son intégralité quelque disposition principale que ce soit du plan de règlement en raison de divergences de vues fondamentales entre les parties. Tirant les conséquences de ce constat, le Conseil de sécurité a recommandé au Secrétaire général de prendre l’avis des Parties et d’étudier les moyens de parvenir à un règlement rapide, durable et concerté de leur différend. Dans ce contexte, le Secrétaire général et son envoyé personnel de l’époque, M. James Baker, ont présenté un projet d’accord‑cadre, qui constituait une solution de compromis fondée sur la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale reconnaissant au nombre des moyens qu’a un peuple d’exercer son droit de disposer de lui‑même, outre l’indépendance, l’association et l’intégration, «l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple». Dans cet esprit, le Maroc a accepté de négocier sur la base d’un accord‑cadre qui comporterait «une substantielle délégation de pouvoir», car la réalisation de l’autonomie dans ces provinces s’inscrit parfaitement dans les choix démocratiques et de décentralisation de l’État marocain. Malheureusement, l’Algérie et le Front POLISARIO ont refusé la négociation qui leur était proposée. Pire encore, l’Algérie a soumis, en novembre 2001, un plan de partage du Sahara, que le Maroc a naturellement rejeté pour des raisons à la fois juridiques et politiques, comme il ressort de la lettre du Maroc datée du 25 février 2002 (S/2002/192). Devant le refus des membres du Conseil de sécurité de choisir entre les options qui leur étaient alors soumises, M. Baker a proposé en janvier 2003, sans consultations préalables avec les parties, son projet de «plan de paix» dans lequel il tentait de combiner deux approches inconciliables: le plan de règlement et le projet d’accord‑cadre. Il a alors demandé au Conseil de sécurité d’appuyer le plan et aux parties de le mettre en œuvre, ce qui est incompatible avec le Chapitre VI de la Charte des Nations Unies, qui exige l’accord préalable de toutes les parties. Dans sa résolution 1495, du 30 juillet 2003, le Conseil de sécurité a finalement rétabli l’ordre naturel des choses, en mettant l’accent sur l’indispensable accord des parties. Tout récemment, cette volonté du Conseil de sécurité a été clairement confortée par la communauté internationale qui s’est abstenue majoritairement de soutenir le projet de résolution que l’Algérie a présenté à la Quatrième Commission de l’Assemblée générale. Le fait que les trois quarts de la communauté internationale, dont l’ensemble des pays arabes et musulmans, les deux tiers des États africains, l’ensemble des membres de l’Union européenne et 11 des 15 membres du Conseil de sécurité n’aient pas appuyé la proposition algérienne témoigne de leur volonté d’encourager le Secrétaire général et son représentant spécial à persévérer sur la voie d’une solution pacifique consensuelle et définitive. Dans le rapport qu’il vient de présenter au Conseil de sécurité, le Secrétaire général a explicitement reconnu qu’un accord entre les parties sur le plan de la paix semblait plus éloigné aujourd’hui. Aussi a‑t‑il proposé la prorogation de la MINURSO jusqu’au 30 avril 2005, en formulant l’espoir que les parties utiliseraient cette période pour coopérer de bonne foi avec son représentant spécial, afin de mettre un terme à l’impasse actuelle. Comme l’a réaffirmé le Roi Mohammed VI à la cinquante‑neuvième session de l’Assemblée générale, le Royaume du Maroc demeure disposé à coopérer de manière sincère et déterminée avec l’ONU et toutes les parties concernées, afin de parvenir à une solution politique négociée, garantissant la souveraineté, l’unité nationale et l’intégrité territoriale du Royaume et permettant aux habitants de ses provinces du sud de gérer eux‑mêmes leurs affaires régionales dans un environnement démocratique, stable et propice au développement intégré.

M. AMZAZI (Maroc), répondant à la question no 2 du Comité sur l’exercice des droits énoncés dans le Pacte par la population du Sahara occidental, indique qu’en vertu du principe de la territorialité de la loi et du principe de l’égalité des citoyens, il n’y a pas de différence entre les habitants du Sahara marocain et ceux du reste du pays, qui jouissent des mêmes droits et des mêmes garanties judiciaires. Il n’y a donc aucune spécificité propre aux provinces du sud en ce qui concerne les droits eux‑mêmes, les modalités de leur exercice et les possibilités de recours. À ce propos, les efforts que mène la société civile dans cette région pour garantir le plein exercice des droits et des libertés consacrés par le Pacte méritent d’être salués.

M. ABDENNABAOUI (Maroc) ajoute que les tribunaux du Sahara marocain fonctionnent exactement de la même façon que ceux des autres régions du Royaume et veillent comme eux à la pleine application du principe de l’égalité des citoyens devant la loi. En ce qui concerne le Pacte, il s’applique au Sahara marocain comme ailleurs au Maroc, et pour ce qui est des voies de recours au Sahara marocain, il existe des cours d’appel, dont les arrêts comme ceux de toutes les autres juridictions d’appel du Royaume, peuvent être contestés devant la Cour suprême.

Répondant à la question no 3 de la liste relative à la possibilité d’invoquer les dispositions du Pacte pour contester une décision de justice, et notamment demander l’application de l’article 11 du Pacte, M. Abdennabaoui dit que le droit interne marocain énonce expressément que le droit international l’emporte en cas de conflit avec le droit interne. La Cour suprême l’a d’ailleurs confirmé en septembre 2000 lorsqu’elle a cassé le jugement rendu par un tribunal marocain, en considérant que l’article 11 du Pacte était pleinement applicable dans le cas d’espèce. Cet exemple montre bien que les autorités du Royaume sont soucieuses d’assurer l’application sans réserve des dispositions du Pacte.

En réponse à la question no 4 relative aux juridictions spécialisées dans le droit de la famille, M. Abdennabaoui indique que le nouveau Code de la famille, entré en vigueur le 5 février 2004, vise à la fois à préserver les valeurs traditions et principes régissant la société marocaine, tout en reflétant par des règles modernes, les transformations qu’elle connaît aujourd’hui. En particulier, le nouveau Code consacre l’égalité des époux dans le cadre de la fondation d’une famille, de l’exercice des responsabilités familiales et de la gestion des affaires familiales. Il prévoit en outre que, dans les affaires d’obligation alimentaire, le tribunal est tenu de statuer dans un délai de six mois. D’une façon générale, les droits des enfants et de l’épouse sont mieux protégés, et en particulier des limitations strictes ont été imposées à la polygamie, qui n’est plus autorisée que sous certaines conditions extrêmement strictes. Le Ministère de la justice a pris toutes les dispositions nécessaires pour que le Code de la famille soit appliqué dans les meilleures conditions; il a notamment organisé à cet effet des stages à l’intention des juges, cadres du greffe et des auxiliaires de justice, adouls et notaires, s’occupant des affaires familiales, ainsi que des séminaires d’information sur les nouvelles dispositions du Code. Il a également élaboré un guide pratique exposant la teneur de ces dispositions et, d’une façon plus générale, il est soucieux d’assurer la vulgarisation des concepts et de l’esprit des principales dispositions du nouveau code. Celui‑ci est entré en vigueur trop récemment pour que l’on puisse en mesurer les effets, mais les membres du Comité pourront utilement se référer au tableau chiffré figurant dans le texte écrit des réponses à la liste de points qui leur a été distribué (document sans cote, en français seulement). Les juridictions spécialisées dans le droit de la famille et le Ministère de la justice suivent de très près l’application du nouveau Code et s’efforcent de lever progressivement tous les obstacles au bien‑être de la famille.

M. MOKHTATAR (Maroc), répondant aux questions du point 5 relatives à la condition de la femme au Maroc, dit que les autorités du Royaume ont à cœur de mettre en place les fondements d’une société dans laquelle l’homme et la femme seront égaux et où la femme pourra exercer pleinement ses droits dans tous les domaines. Cette stratégie procède de la conviction fondamentale, que toute stratégie de développement du pays passe nécessairement par l’intégration des femmes à ce processus. Dans ce cadre, les autorités marocaines ont adopté un certain nombre de mesures visant à donner aux femmes la place qui leur revient dans la société: ouverture de l’Institution royale sur les compétences féminines et nomination pour la première fois d’une femme comme conseillère auprès du roi, nomination de femmes en qualité d’ambassadeur et de représentant auprès d’organisations internationales et ouverture aux femmes de l’Académie du Royaume. En outre, une femme a été nommée Gouverneur à l’Agence urbaine de Casablanca, ce qui est une première et un certain nombre d’autres femmes ont accédé à des postes de responsabilité comme celui de directeur d’une administration centrale ou de président d’université. Sur le plan du droit, une série de textes ont été modifiés de façon à assurer aux femmes une meilleure protection juridique, en particulier le Code de la famille, le Code du travail, le Code pénal et le Code de procédure pénale, etc. Ces réformes contribuent au développement d’une culture nouvelle fondée sur le principe de l’égalité effective entre les hommes et les femmes et elles ouvrent à ces dernières de vastes possibilités d’initiative dans tous les domaines. Cela étant, les femmes se heurtent encore à un certain nombre de difficultés qui entravent leur participation effective au développement du pays et à la gestion des affaires publiques. Mais le Gouvernement marocain est résolu à poursuivre et à multiplier les réformes en vue d’assurer la justice sociale. Il entend notamment mener à bien sa politique de scolarisation et d’alphabétisation des femmes. Ainsi, de grands efforts ont été déployés dès le début des années 90 pour augmenter le budget du Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse. Ce ministère a notamment adopté une stratégie de développement de l’enseignement en milieu rural qui est appliquée depuis 1996 et a permis de faire passer le taux de scolarisation des filles en région rurale de 53,6 % en 1998/1999 à 70,4 % en 2000/2001. Conformément à la Charte nationale pour l’éducation et la formation, la période 2000‑2009 a été proclamée Décennie de l’éducation et de la formation, et plusieurs lois nouvelles ont été adoptées dans ces deux domaines. Par ailleurs, le Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse offre une assistance financière et matérielle visant à encourager la scolarisation et à réduire le taux d’abandon scolaire − notamment des filles en milieu rural − ainsi qu’à garantir l’égalité des chances des enfants et à améliorer la qualité de l’enseignement. L’analphabétisme demeure un fléau social qui frappe majoritairement les femmes (61,9 % d’entre elles à l’échelle nationale), surtout dans les régions rurales. Durant l’année 2000/2001, l’action d’alphabétisation a touché plus de 300 000 personnes, dont 70 % de femmes. Les femmes en région rurale représentent 85 % des bénéficiaires pour cette même année, alors qu’elles n’en représentaient que 50 % l’année précédente. La Charte nationale pour l’éducation et la formation prévoit de ramener le taux global d’analphabétisme à 20 % en 2010 et d’éradiquer le phénomène d’ici à 2015; le Gouvernement marocain, qui a créé un secrétariat d’État à cette fin, poursuivra sans relâche ses efforts pour atteindre les objectifs fixés.

En ce qui concerne le nombre de femmes employées dans la fonction publique, la délégation marocaine s’engage à fournir au Comité des données précises à ce sujet dans les meilleurs délais. Sur le plan politique, l’égalité entre hommes et femmes est garantie par l’article 8 de la Constitution. Le Gouvernement marocain a cependant entrepris une réforme fondamentale du système juridique en vue d’accroître la participation des femmes à la gestion des affaires publiques. Ainsi, grâce à la révision du Code électoral qui a introduit le système des quotas, 30 femmes ont été élues sur les listes nationales de candidats à la Chambre des représentants aux dernières élections législatives de 2002. Si l’on ajoute les cinq candidates élues sur les listes locales, les femmes représentent actuellement près de 11 % des députés, contre 0,6 % dans la législature précédente. Si l’expérience pionnière de la femme marocaine en matière de participation à la vie politique du pays est un modèle pour le monde arabe, il n’en demeure pas moins que les partis politiques doivent davantage promouvoir la cause des femmes et leurs instances dirigeantes devraient notamment comporter systématiquement des femmes. Le Gouvernement entend contribuer à cet objectif et a ainsi élaboré un projet de loi sur les partis politiques, qui devrait être adopté prochainement et qui prévoit des dispositions encourageant la fixation de quotas pour la représentation des femmes au sein de la direction des partis.

M. ABDENNABAOUI (Maroc), répondant aux questions du point 6 concernant la protection juridique des femmes victimes de violences au sein de la famille, dit que les efforts considérables déployés par les autorités marocaines depuis quelques années ont permis d’améliorer sensiblement cette protection. En particulier, avec la réforme du Code pénal en août 2003, les dispositions discriminatoires qui figuraient dans l’ancien texte notamment eu égard à l’adultère, ont été supprimées et le nouveau Code pénal interdit toute discrimination au motif du sexe. Il prévoit en outre des sanctions pour toutes les formes de mauvais traitement infligées à une femme, et les médecins ne sont pas tenus au secret professionnel dans les cas de mauvais traitements infligés aux femmes. Le nouveau Code pénal prévoit également que le Procureur général peut ordonner le retour d’une femme dans sa famille si elle a subi des violences conjugales. D’une façon générale, la nouvelle législation pénale permet à la femme d’exiger le respect de ses droits et d’obtenir une assistance de la part des institutions de l’État lorsqu’elle est victime de violences au sein de la famille. En outre, les femmes ont désormais davantage accès aux voies de recours que par le passé. En réponse à la question concernant la situation des étrangers et des immigrés par rapport aux nationaux (point 7 de la liste), M. Abdennabaoui donne au Comité l’assurance que la nouvelle législation qui est entrée en vigueur récemment est pleinement conforme aux dispositions pertinentes du droit international.

M. MOKHTATAR (Maroc) dit, au sujet de l’application de l’article 4 du Pacte (question no 8), que tout d’abord un état d’exception n’implique pas la suspension ou le gel de l’application de la Constitution, et les articles 6, 7, 8, 11, 16, 17 et 18 du Pacte continuent ainsi de bénéficier des mêmes garanties constitutionnelles qu’en temps normal. Ensuite, dans la pratique, l’état d’exception qui était en vigueur de 1965 à 1970 prévoyait simplement la concentration des pouvoirs législatif et exécutif par le roi, qui était habilité à prendre les mesures nécessaires à la défense de l’intégrité territoriale, au rétablissement du fonctionnement normal des institutions et à la conduite des affaires de l’État. Il n’a pas eu pour effet de conférer au roi des pouvoirs exceptionnels qui auraient dérogé aux garanties reconnues en matière de droits et de libertés des citoyens. En outre, depuis les révisions constitutionnelles de 1992 et 1996, la proclamation d’un état d’exception n’entraîne plus la dissolution du Parlement. En conséquence, si les craintes du Comité des droits de l’homme pouvaient avoir quelque fondement avant 1992, elles n’ont plus lieu d’être depuis cette date. Enfin, depuis l’entrée en vigueur du Pacte pour le Maroc, tous les engagements souscrits par l’État ont été respectés.

M. ABDENNABAOUI (Maroc), répondant aux questions relatives à la peine capitale (question no 9), dit qu’effectivement la peine de mort n’a toujours pas été abolie au Maroc, mais elle n’a été appliquée que deux fois au cours des 30 dernières années, et le deuxième cas remonte à 1993, en général, les personnes condamnées à mort bénéficient d’une grâce royale. Le Ministère de la justice prévoit d’organiser un séminaire national consacré à la politique pénale, dont l’un des thèmes sera l’abolition de la peine capitale.

Le Comité s’inquiète du décès de personnes durant leur garde à vue (question no 10); il peut avoir l’assurance que les autorités marocaines ont pleinement conscience de la nécessité d’élucider tous les cas suspects et de sanctionner les coupables, le cas échéant. La loi régissant la garde à vue est d’ailleurs aujourd’hui plus stricte et des mesures de supervision régulière de la détention dans les locaux de la police ont été mises en place. Dans ce cadre, les parquets des différentes juridictions du Royaume ont effectué en 2003 des centaines de visite de postes de police et de gendarmerie pour s’assurer de la légalité des conditions de la garde à vue. En outre, si quelqu’un décède en garde à vue, le ministère public ouvre une enquête et un médecin légiste pratique une autopsie. En 2003, cinq cas de décès en garde à vue ont suscité des interrogations. Dans un cas (celui de Mohammed Fidaoui, à Tanger), les agents de la police ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison ainsi qu’au versement de dommages‑intérêts. Dans un autre cas, où une personne placée en garde à vue était décédée à la suite d’une bagarre, des agents de la police seraient impliqués et sont actuellement en jugement. Une enquête a été ouverte également sur le décès, pendant son transfèrement, d’une personne placée en garde à vue dont les hommes d’escorte affirment qu’elle avait cherché à s’échapper du véhicule de transfert mais dont l’autopsie avait montré qu’elle était décédée des suites notamment d’une fracture du cou. Enfin, dans le cas d’une personne qui avait été placée en garde à vue dans le cadre des événements terroristes de Casablanca, il a été établi que son décès était dû à une crise cardiaque et à des problèmes rénaux et que les fonctionnaires de police ne pouvaient pas en être tenus pour responsables.

M. MOKHTATAR (Maroc), répondant à la question relative à la torture dans les postes de police (question no 11), dit que la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) est une institution chargée de répondre à la nécessité de mettre en place un service de renseignement veillant à la protection et à la sauvegarde de la sûreté de l’État et de ses institutions, comme il en existe dans beaucoup d’autres pays. Elle dispose de services relevant de l’échelon central et de services régionaux qui lui sont directement rattachés. Relevant du Ministère de l’intérieur et placée sous l’autorité d’un directeur général, la DGST est chargée de rechercher et de prévenir les activités de mouvements à caractère subversif ou terroriste mais aussi, dans le cadre de sa mission de contre-espionnage, de contrer les ingérences soutenues par certains États étrangers à travers leurs services spéciaux. Pour ce faire, elle s’appuie essentiellement sur la recherche du renseignement. Dans tous les cas, ce sont les officiers de la police judiciaire de la Direction générale de la sûreté nationale et de la Gendarmerie royale qui, saisis par la DGST, procèdent aux interpellations, car les officiers de la DGST ne sont pas officiers de police judiciaire.

M. ABDENNABAOUI (Maroc) précise, en ce qui concerne la détention dans les locaux de la police, que toute personne placée en garde à vue est inscrite sur les registres officiels internes, qui sont informatisés et portés à la connaissance du parquet. La durée maximale de la garde à vue est de 48 heures et peut être prorogée, une seule fois, de 24 heures sur décision du parquet, sauf dans le cas de personnes soupçonnées de certains crimes touchant à la sécurité de l’État, comme les crimes terroristes, qui peuvent être placées en garde à vue pour une période de 96 heures, prorogeable deux fois de 96 heures si nécessaire. L’avocat général se rend une fois par semaine, de jour comme de nuit et sans s’annoncer, dans les postes de police dans lesquels des individus sont placés en garde à vue pour y effectuer une visite inopinée. Tout dépassement du délai légal de la garde à vue constitue un placement en détention arbitraire et expose à des sanctions disciplinaires et éventuellement pénales. La visite de l’avocat dès la première heure de la prolongation de la garde à vue est l’un des acquis majeurs de la nouvelle loi sur les prisons, entrée en vigueur en octobre 2003. Cette visite peut être reportée de 48 heures au maximum par le parquet lorsque les faits en cause entrent dans la catégorie des crimes très graves, parmi lesquels figurent par exemple l’empoisonnement ou le terrorisme. Le parquet ou l’avocat – engagé par l’intéressé ou commis d’office – doit demander que la personne placée en garde à vue soit examinée par un médecin s’il constate des signes de violences, ce qui ne peut pas être refusé.

La loi antiterroriste adoptée par le Maroc s’inspire de la loi française en la matière, y compris dans sa définition du crime de terrorisme. Elle prévoit des peines plus lourdes pour le crime de terrorisme qui peut être puni de mort, alors que le simple homicide emporte au maximum la peine de réclusion à perpétuité. Hormis cet alourdissement des peines et un délai légal de garde à vue plus long, il n’existe pas de différence selon que les faits constituent le crime de terrorisme ou un autre crime: tous les éléments d’un procès équitable sont garantis par cette loi, qui a été unanimement demandée par la population après les événements du 16 mai 2003 et a fait l’objet d’un vaste débat dans tous les secteurs de la société avant d’être adoptée. On ne dispose pas encore de données sur des procès qui auraient été menés en application de cette loi car toutes les personnes jugées pour actes terroristes à ce jour l’ont été avant la promulgation de cette nouvelle loi.

En ce qui concerne les conditions carcérales (question no 16), il est indéniable que le surpeuplement est l’un des problèmes que rencontrent les établissements pénitentiaires marocains qui abritent actuellement environ 57 000 détenus, et ce, malgré les efforts déployés par le Ministère de la justice. Treize nouveaux établissements ont été construits au cours des cinq dernières années, six autres sont en cours de réalisation et certaines unités existantes ont été agrandies. Les parquets essaient de limiter les placements en détention provisoire en recourant de plus en plus au maintien en liberté sous caution ou sous contrôle judiciaire. Pour les condamnés, ils ont été de plus en plus nombreux à bénéficier de la grâce royale, la libération conditionnelle et la mise en liberté provisoire en attente d’une grâce, comme l’atteste le tableau présenté à la page 11 des réponses écrites. Au nombre des mesures ayant permis une amélioration des conditions de détention, on pourra citer les modifications apportées à la loi sur les prisons, qui ont rendu ce texte conforme aux normes internationales en matière de droits de l’homme, et les formations dont bénéficient de plus en plus de membres du personnel pénitentiaire.

M. MOKHTATAR (Maroc) répondant à la question no 17, dit que l’Instance Équité et Réconciliation (IER) est l’aboutissement d’un long processus entamé avec la mise en place, en 1990, du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), en vue d’un règlement extrajudiciaire de la question des violations passées, en coordination étroite avec le mouvement de défense des droits de l’homme. Moins d’un mois après son arrivée au pouvoir, le Roi Mohammed VI a créé la Commission d’arbitrage, pour statuer sur un certain nombre de dossiers relatifs auxdites violations. À la fin d’octobre 2003, la Commission a alloué des indemnités pour un montant d’environ 94 millions de dollars des États‑Unis afin d’aider à la réadaptation physique et à la réinsertion sociale des victimes de disparition forcée et de détention arbitraire. En avril 2001, l’organisation du CCDH a été complètement remaniée dans le souci de renouveler ses structures, d’élargir ses attributions, de rationaliser ses méthodes de travail et de renforcer son indépendance par l’élargissement de sa représentativité. La volonté marocaine de réconciliation s’est traduite par la grâce accordée aux détenus politiques, la régularisation de leur situation professionnelle et administrative, le retour des exilés et expatriés, l’indemnisation des victimes des détentions arbitraires et des disparitions forcées, ainsi que les recherches visant à élucider le sort des personnes disparues. S’inspirant de l’expérience de pays qui se sont engagés dans la réconciliation avec leur passé, le chef de l’État a ensuite créé, en janvier 2002, l’Instance Équité et Réconciliation afin de régler au plus vite les cas restés en suspens et de clore définitivement le chapitre des violations passées des droits de l’homme, sur la base des principes de justice et d’équité.

Cette approche se caractérise par l’absence de tout esprit de rancœur ou de revanche, de même qu’elle se démarque de toute recherche de responsabilité pénale. À cet égard, l’action de l’IER s’inscrit dans le cadre d’un règlement extrajudiciaire. L’Instance ne peut en aucun cas invoquer des responsabilités individuelles. L’objectif est que les Marocains se réconcilient avec eux‑mêmes et avec leur histoire et de tirer les enseignements qui s’imposent, gage de prévention de toute récidive. L’Instance exprime également la volonté d’établir les faits et malgré l’absence de traitement judiciaire de la question, l’action de l’IER va dans le sens de la recherche de la vérité.

M. ABDENNABAOUI (Maroc) passant à la question no 18, dit qu’il y a déjà été en grande partie répondu. La contrainte par corps n’est plus en vigueur au Maroc ni en cas d’impossibilité de remplir une obligation contractuelle ni pour aucune autre forme de dette, dettes personnelles comprises.

Le PRÉSIDENT remercie la délégation de ses réponses et invite les membres du Comité à poser des questions supplémentaires.

M. GLÈLÈ AHANHANZO constate que le cinquième rapport périodique du Maroc est le reflet des efforts méritoires que déploie le pays pour se moderniser depuis l’accession au trône du Roi Mohammed VI. Il se félicite de la création de l’Instance Équité et Réconciliation, qui aurait mérité des informations plus fournies. Il invite la délégation à expliquer si les mesures de réconciliation se révèlent efficaces et en quoi elles consistent concrètement.

Il serait très utile que le Comité dispose d’un exemplaire du Code de la famille, adopté en janvier 2004, qui a porté création de juridictions spécialisées pour la famille, et ait des renseignements sur la formation reçue par le personnel de ces juridictions et sur leurs règles de fonctionnement. Il serait bon aussi de savoir comment les facteurs sociologiques sont pris en compte dans les efforts de lutte contre la discrimination à l’égard des femmes, comment les programmes en la matière sont perçus dans la population et si ceux-ci ont déjà donné des résultats perceptibles. Les mesures prises dans la pratique pour lutter contre les violences domestiques restent à préciser. Il est dit au paragraphe 253 du rapport que les réformes apportées par le Code de la famille ont introduit des restrictions en matière de polygamie, sans que soit spécifié en quoi consistent ces restrictions et si elles sont pleinement compatibles tant avec le Pacte qu’avec l’Observation générale n° 28 du Comité («Égalité des droits entre hommes et femmes»).

M. Glèlè Ahanhanzo se demande enfin si un enfant né d’un étranger et d’une Marocaine peut avoir la nationalité marocaine et quel est le statut juridique des étrangers et immigrés, y compris les immigrés clandestins – nombreux notamment à venir d’Afrique subsaharienne et à transiter au Maroc dans l’espoir de rallier l’Europe.

M. LALLAH remercie la délégation de toutes ses réponses. Il a pris note avec un certain pessimisme de l’échec des parties au conflit du Sahara occidental à parvenir à un accord. Il forme le vœu qu’une solution sera trouvée rapidement. À la question relative à l’exercice des droits énoncés dans le Pacte par la population du Sahara occidental (question n°2), la délégation a apporté une réponse purement théorique, qu’il conviendrait de compléter en expliquant quelles facilités ont concrètement été mises à la disposition de la population du Sahara occidental.

Se référant au paragraphe 153 du rapport, où il est dit que la contrainte par corps est prévue pour l’exécution des condamnations à l’amende, mais aussi aux dommages-intérêts, M. Lallah craint que l’interdiction de la contrainte par corps pour manquement à une obligation contractuelle court-circuitée. En effet, si les amendes sont le résultat d’une procédure pénale, bénéficiant des garanties de l’article 14 du Pacte, il n’en est pas de même des dommages-intérêts, alors que la contrainte par corps devrait dans tous les cas résulter d’un processus répondant à toutes les garanties d’un procès équitable, avec la charge de la preuve incombant à l’accusation.

La nouvelle loi antiterroriste laisse perplexe, non seulement parce que le terme de terrorisme n’y est défini que de manière très vague mais surtout parce qu’avant l’adoption de ce texte, le Maroc avait présenté, en décembre 2001, au Comité contre le terrorisme du Conseil de sécurité, un rapport dans lequel il affirmait que sa législation en vigueur à l’époque suffisait amplement à couvrir l’ensemble des situations découlant du terrorisme. Il demande donc si un autre rapport a été établi à l’intention du Comité contre le terrorisme depuis la promulgation de la nouvelle loi, et, dans l’affirmative, si le Comité pourrait en prendre connaissance afin de pouvoir procéder à une analyse et en débattre avec des représentants du pays. En tout état de cause, la délégation devrait détailler les procédures spécifiques prévues par la nouvelle loi, dont elle a fait état sans plus de précisions. En l’état actuel de ses connaissances, en effet, le Comité est fondé à se demander si cette loi ne risque pas de conduire à qualifier de terrorisme des actes qui relèvent simplement de l’exercice légitime de la liberté d’expression, comme la participation à des manifestations, et à craindre que certaines de ses dispositions ne soient contraires aux articles 9, 14 et 10 du Pacte. Dans le même ordre d’idées, M. Lallah demande quelle est la situation actuelle des Marocains extradés de la base militaire américaine de Guantanamo, combien ils sont et où ils se trouvent, quelles charges pèsent contre eux et s’ils ont été extradés en vertu de traités spéciaux conclus dans le cadre des mesures de coopération prévues par la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité.

Mme WEDGWOOD dit qu’il y a lieu de saluer le progrès constitué par l’adoption du nouveau Code du statut personnel et le fait que le Maroc prenne l’initiative en matière d’amélioration de la condition des femmes. Sur la question de la fonction publique, le rapport mentionne aux paragraphes 28 et 85 des statistiques sur la participation des femmes qu’il serait utile d’avoir; des femmes ont été nommées à des postes d’échelon supérieur mais il semble que les progrès ne soient pas aussi nets au niveau intermédiaire. En ce qui concerne la polygamie, malgré les efforts consentis pour garantir une égalité matérielle de la deuxième femme avec la première, le fait de ne pas pouvoir faire objection à l’entrée d’une autre femme dans le mariage est dégradant pour la première et Mme Wedgwood se demande si la création d’un droit d’objection a été envisagée. À propos de la nationalité, elle relève qu’il est indiqué dans plusieurs des rapports reçus par le Comité que la femme marocaine ne peut pas transmettre sa nationalité à l’enfant qui ne naît pas sur le sol marocain et aimerait savoir si la question de l’égalité a été envisagée de ce point de vue également. D’après une source, encore aujourd’hui, les enfants de sexe masculin héritent selon un taux double de celui des filles, ce qui semble difficilement conciliable à long terme avec l’égalité pour les femmes au sens du Pacte. Il a également été rapporté au Comité que les femmes héritent une part plus ou moins grande selon qu’elles ont un fils ou une fille, de sorte qu’une femme dispose de moins de moyens pour subvenir aux besoins de son enfant si c’est une fille. Mme Wedgwood se félicite que l’égalité des femmes sur le plan des droits civils et politiques ait été inscrite dans la Constitution et demande s’il est envisagé de faire de même pour les droits économiques, sociaux et culturels, rappelant que le Comité interprète désormais l’article 26 du Pacte comme une garantie indépendante d’égalité pour tous les droits quels qu’ils soient, y compris en dehors du Pacte. À propos de la contrainte par corps (question no 18 de la liste des points à traiter), cette procédure consiste en un emprisonnement pour l’exécution d’une condamnation financière, par exemple le paiement de dommages‑intérêts qui constituent une forme de dette, et l’article 11 du Pacte n’autorise explicitement aucune exception au principe de l’interdiction de la prison pour dette. Il est certes essentiel de permettre à un plaignant d’obtenir le recouvrement d’un montant ordonné par jugement dans un procès civil, mais Mme Wedgwood se demande pourquoi ce ne sont pas simplement les avoirs du défendeur qui sont visés dans la procédure de recouvrement, ce qui serait une manière plus directe d’exécuter une décision que l’antique méthode de la contrainte «sur le corps du défendeur», qui ne semble plus avoir sa raison d’être aujourd’hui.

À propos des conditions pénitentiaires (question no 16), la construction de nouvelles prisons pour lutter contre le surpeuplement et le recours à des mesures autres que la privation de liberté sont louables, mais au moins un des rapports dont le Comité a eu connaissance fait toujours état d’une situation précaire dans bon nombre d’établissements sur le plan notamment des services médicaux, de l’insuffisance de la nourriture et de l’inadéquation des lieux prévus pour les visites et de l’insuffisance des programmes d’éducation pour les détenus. À ce sujet, bon nombre de pays considèrent très utile d’avoir un programme vigoureux d’inspection des prisons et Mme Wedgwood demande s’il existe des dispositions en ce sens et s’il existe un moyen pour les détenus, dans les cas extrêmes, de saisir la justice pour contraindre un responsable d’établissement à remédier à un manque grave de soins médicaux ou de nourriture ou à tout autre problème critique. Enfin, tout en saluant le travail de mémoire entrepris par le Maroc sur son passé, Mme Wedgwood note que la façon dont le paragraphe 10 des observations finales du Comité sur le précédent rapport a été prise en compte ne résoud pas le problème important de savoir quels secteurs de l’armée ou de la police sont peut-être responsables d’un certain nombre de cas de disparitions. Il importe en effet pour la consolidation de l’avenir de la démocratie que les citoyens sachent que de telles disparitions appartiennent bien au passé. Elle se demande donc si le Roi Mohammed VI envisage des initiatives complémentaires pour retrouver les responsables de disparitions et informer spécialement toutes les familles concernées par les cas non élucidés, qui seraient au nombre de 600.

M. KHALIL se félicite que le Maroc soit allé au‑delà des bonnes intentions pour s’engager dans une véritable réforme de son système pénitentiaire visant à humaniser les conditions de détention, entre autres mesures citées dans son rapport. Il note également avec satisfaction des initiatives comme la Fondation Mohammed VI pour la réinsertion des détenus et des mineurs dans les centres de sauvegarde de l’enfance et la signature entre le Gouvernement marocain et Amnistie International d’une convention de partenariat sur l’éducation aux droits de l’homme concernant principalement les forces de l’ordre et le personnel pénitentiaire. Il est cependant difficile de ne pas évoquer les allégations de plusieurs ONG et les articles de presse faisant état de nombreux cas de décès en garde à vue, sans qu’aucune enquête sérieuse n’ait été menée sur les circonstances de la mort de ces personnes. Quelque 24 cas de décès ont été signalés au Comité pour 1999 et 2000, dont cinq sont survenus dans les tous premiers jours de la détention. Il semblerait que deux ou trois autres cas se soient produits après les attentats terroristes de mai 2003. Le fait que l’Organisation arabe des droits de l’homme mentionne ces cas dans son rapport annuel témoigne de la gravité du problème. Des ONG dignes de foi signalent dans leur rapport que des pratiques comme le fait de ne pas informer la famille lorsqu’une personne est arrêtée, ou de l’en informer seulement lorsque la personne comparait devant un magistrat, ont cours à l’heure actuelle, et M. Khalil s’interroge sur le rôle de la Direction générale de la surveillance du territoire dont le Comité contre la torture a relevé à l’issue de son examen du rapport du Maroc, en février 2004, qu’elle était impliquée dans un nombre élevé et croissant d’allégations de tortures ou de châtiments cruels, inhumains ou dégradants. D’après les explications données par la délégation, la DGT ne fait pas partie de la police judiciaire et n’exerce aucune autorité particulière à ce titre, mais d’un autre côté, une ONG comme Human Rights Watch affirme qu’il existe à Témara un centre de détention où des suspects seraient détenus, interrogés, torturés et forcés à signer des aveux les incriminant. Au sujet des sanctions aggravées prévues par le Code pénal lorsque les violences sont le fait d’agents ou de préposés de l’autorité (par. 103 du rapport), M. Khalil voudrait en savoir davantage sur les peines en question et aussi sur les mesures prises pour prévenir la torture lors des interrogatoires et dans les lieux de détention, qualifiées d’importantes dans le rapport (par. 104), à moins qu’il ne s’agisse des mesures décrites aux paragraphes suivants. M. Khalil souhaiterait aussi savoir si le Code pénal exige désormais la présence d’un avocat lors d’un interrogatoire, et à quel moment exactement une personne placée en détention peut exercer le droit de communiquer avec un conseil. De plus, il se demande si la nouvelle définition de la torture est plus conforme que l’ancienne, celle qui figure à l’article premier de la Convention contre la torture, ce qui lui semble être le cas. Enfin, il se félicite des informations reçues selon lesquelles le principe de la présomption d’innocence est inscrit dans le nouveau code et demande s’il y est énoncé expressément.

M. SOLARI‑YRIGOYEN dit que le rapport du Maroc et les exposés oraux de la délégation marocaine le conduisent à penser que la situation des droits de l’homme a progressé et voit dans la ratification par le Maroc de la majorité des instruments relatifs aux droits de l’homme un signe particulièrement positif. Il note que les recommandations formulées par le Comité dans les observations finales concernant le quatrième rapport ont été partiellement appliquées pour certaines. Ainsi, des mesures ont été prises pour restreindre la polygamie mais l’institution n’en continue pas moins d’exister même si elle fait l’objet de limitations nombreuses, et il souhaiterait voir le Maroc continuer dans cette voie afin d’abolir une institution qui porte atteinte à la dignité des femmes. M. Solari‑Yrigoyen souligne aussi combien il apprécie le fait que l’éducation représente 27 % du budget national, ce qui a un effet très favorable pour l’enfance et les droits des enfants et des jeunes. À propos des questions nos 14 et 15 de la liste des points à traiter, le Comité ne peut ignorer les incidences des graves attentats du 16 mai 2003, que leur caractère d’actes terroristes et racistes à la fois rend doublement condamnables, à la suite desquels, d’après les informations fournies oralement au Comité, la population a souhaité unanimement une loi spéciale, la loi no 03 du 28 mai 2003. Cette loi repose sur une conception très large du terrorisme qui risque de prêter à confusion: sont en effet sanctionnés tous les actes délibérés ayant pour objet d’attenter de façon grave à l’ordre public au moyen de l’intimidation, de la terreur ou de la violence, ce qui pourrait s’appliquer à des délits de droit commun. En outre, toutes les peines ont été augmentées, la réclusion à perpétuité se transformant en peine de mort en cas de terrorisme, ce qui est d’autant plus préoccupant que la peine de mort n’est plus appliquée au Maroc depuis déjà quelque temps. La loi no 03‑03 permet de nombreuses mesures, comme les assignations à domicile entre 21 heures et 6 heures, la surveillance téléphonique sans autorisation judiciaire et la prolongation de la garde à vue jusqu’à 10 ou 12 jours. En outre, le Comité a reçu des informations dénonçant des restrictions de l’accès à un avocat pour les personnes soupçonnées de terrorisme, et M. Solari‑Yrigoyen souhaiterait une réponse concrète de la délégation à ce sujet.

Un problème sur lequel M. Solari‑Yrigoyen souhaite appeler plus particulièrement l’attention de la délégation est celui du recours à la torture pour obtenir des aveux dans le cadre des mesures antiterroristes. Certaines ONG ont fait état de cas de détention illégale, de torture et de mauvais traitements, notamment au centre de détention de Témara où des personnes auraient été conduites en secret. Il souhaiterait des éclaircissements sur ce point. Le Comité a également été informé que certaines des personnes détenues à Témara étaient des Marocains livrés par les autorités pakistanaises, syriennes ou américaines. Il est important de savoir si c’est exact et dans ce cas, quelle procédure légale est appliquée à ces détenus venus de l’étranger. Concernant le recours à la torture et aux mauvais traitements pour obtenir des aveux – encore que ces personnes se soient ensuite rétractées devant le juge –, M. Solari‑Yrigoyen note que l’article 293 du Code de procédure pénale marocain prévoit qu’aucune procédure judiciaire ne peut se fonder sur des aveux obtenus par la violence ou par la force. De même, la Convention contre la torture que le Maroc a ratifiée, interdit l’utilisation par la justice des aveux obtenus sous la contrainte. Le Comité est en possession d’une liste de noms de personnes qui auraient été torturées et qu’il pourra transmettre à la délégation si elle l’estime nécessaire.

Mme CHANET dit qu’elle observe une évolution positive au Maroc au fil des rapports successifs, malgré des sujets de préoccupation aggravée à la suite des attentats de mai 2003. Elle se félicite également de l’accès facilité du pays aux ONG et du fait que la Cour suprême marocaine a invoqué le Pacte dans la motivation d’un de ses arrêts, ce qui est un élément nouveau et très positif. Concernant la suite donnée aux observations finales du Comité à l’issue de l’examen du quatrième rapport du Maroc, il serait temps, comme le Comité l’avait recommandé en 1999, que le Maroc envisage très sérieusement d’adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Au sujet de l’article 35 de la Constitution et de la proclamation de l’état d’exception, Mme Chanet ne partage pas l’optimisme de la délégation marocaine dans sa réponse à la question concernant l’article 4 du Pacte, et se demande comment la disposition prévoyant que le chef de l’État peut prendre toutes les mesures qu’il juge utiles «sauf disposition contraire» peut s’articuler avec le Pacte et si ces «dispositions contraires» peuvent s’entendre comme renvoyant à l’article 4 du Pacte en l’absence de textes précis dans la législation marocaine. Ce point n’a pas été clarifié. De plus, elle partage les remarques de M. Lallah sur le caractère très vague de l’article 218‑1 du Code pénal qui qualifie d’acte de terrorisme toute atteinte grave à l’ordre public commise en recourant à diverses méthodes, notamment à la violence. Dès lors que la définition n’intègre ni la nature ni le degré de la violence, on crée une insécurité juridique dangereuse qui est utilisable en période de troubles et risque d’entraîner toute une série de mesures d’exception.

En ce qui concerne les droits des femmes, Mme Chanet s’associe aux remarques de Mme Wedgwood sur le maintien de la polygamie dans le nouveau statut personnel. Elle souhaiterait d’autres éclaircissements sur les droits de succession respectifs de l’homme et de la femme. Elle demande également si la répudiation existe toujours et si tel est le cas, quelles sont ses nouvelles conditions, ou si au contraire elle a été éliminée du droit marocain. Elle demande enfin si l’avortement est toujours interdit au Maroc même en cas de viol et d’inceste.

Le PRÉSIDENT invite la délégation marocaine et les membres du Comité à poursuivre l’examen du rapport du Maroc à la prochaine séance.

La séance est levée à 12 h 55.

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