NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.1881

5 décembre 2000

Original : FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante-dixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*

DE LA 1881ème SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,

le mardi 24 octobre 2000, à 15 heures

Présidente : Mme MEDINA QUIROGA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Quatrième rapport périodique du Pérou (suite)

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*Le compte rendu analytique de la deuxième partie (privée) de la séance est publié sous la cote CCPR/C/SR.1881/Add.1.

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Le présent compte rendu est sujet à rectifications.

Les rectifications doivent être rédigées dans l'une des langues de travail. Elles doivent être présentées dans un mémorandum et être également incorporées à un exemplaire du compte rendu. Il convient de les adresser, une semaine au plus tard à compter de la date du présent document, à la Section d'édition des documents officiels, bureau E.4108, Palais des Nations, Genève.

Les rectifications aux comptes rendus des séances publiques du Comité seront groupées dans un rectificatif unique qui sera publié peu après la session.

La séance est ouverte à 15 heures 5.

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Quatrième rapport périodique du Pérou (suite) (CCPR/C/PER/98/4; CCPR/C/70/L/PER)

1.Sur l'invitation de la Présidente, la délégation péruvienne reprend place à la table du Comité.

2.La PRÉSIDENTE invite les membres du Comité à poser leurs questions supplémentaires sur les points 20 à 30 de la Liste des points à traiter (CCPR/C/70/L/PER).

3.M. SOLARI YRIGOYEN dit que bon nombre de témoignages dignes de foi contredisent l'affirmation de la délégation selon laquelle la liberté de la presse est totale. Il se félicite d'apprendre que M. Ivcher, président d'une chaîne de télévision a recouvré la nationalité péruvienne, mais demande si l'État partie a entamé d'autres actions, au civil comme au pénal, contre l'intéressé, sa famille, ses employés, ses avocats ou d'autres proches. Il voudrait aussi connaître la position du Gouvernement concernant la décision de la Commission interaméricaine des droits de l'homme qui a considéré que les droits de M. Ivcher à la nationalité, à un procès équitable, à la liberté d'expression, à la propriété et à l'assistance judiciaire avaient été violés. Par ailleurs, il s'interroge sur la décision du Gouvernement péruvien de ne plus reconnaître la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme dans cinq affaires dont celle-ci était saisie, et ce d'autant plus que cette décision n'a pas été motivée par les affaires concernant M. Ivcher et les membres du Tribunal constitutionnel, respectivement.

4.Du fait de son autonomie limitée, le pouvoir judiciaire n'est de toute évidence pas en mesure de garantir l'exercice effectif des droits de l'homme au Pérou, notamment en ce qui concerne la liberté de la presse. Les journalistes subissent des pressions qui vont de la simple menace à des attaques constituant des violations graves de leurs droits fondamentaux. Il faut rappeler à ce sujet que des voix se sont élevées pour dénoncer l'impossibilité pour la presse télévisée de s'exprimer librement et de bénéficier de garanties légales et pour protester contre les sommes considérables investies dans une campagne visant à rendre les médias économiquement tributaires de la publicité officielle et contre les manipulations exercées sur le pouvoir judiciaire. Il semble également que les élections tenues récemment au Pérou aient servi de prétexte pour exercer des pressions contre la presse et que des journalistes qui avaient dénoncé des irrégularités et critiqué le pouvoir dictatorial aient été victimes de violences graves.

5.M. Solari Yrigoyen constate par ailleurs que les réponses données à la question 26 de la liste, concernant le sort de plusieurs anciens députés, ne portent que sur M. Mohme Llone, aujourd'hui décédé, qui fut propriétaire de la "Republica". Il rappelle, à ce propos, que la Commission interaméricaine des droits de l'homme a indiqué que ce journal était l'un des organes de presse les plus critiques à l'égard du Gouvernement péruvien et qu'il avait, de ce fait, été la cible d'une campagne de dénigrement, s'accompagnant de menaces de mort. En outre, la Commission a pris note de la mise sur écoute téléphonique et de l'interception du courrier électronique de M. Del Castillo, l'un des parlementaires dont le nom est évoqué dans la question 26. Le Comité a appris par ailleurs que ces derniers avaient tous fait l'objet d'actes d'intimidation, dont des menaces proférées par un escadron de la mort. Pour toutes ces raisons, il est indispensable que la délégation fournisse les renseignements demandés.

6.Lord COLVILLE déplore le fait que l'État partie ait présenté une nouvelle fois un rapport qui ne comprend aucune donnée factuelle ou chiffrée et ne permet donc pas au Comité de se rendre compte de la façon dont les dispositions du Pacte sont appliquées dans la réalité. Rappelant que le paragraphe 5 de l'article 2 de la Constitution péruvienne prévoit de mettre en place un cadre législatif pour garantir la liberté d'information, il constate qu'aucune disposition de ce type ne semble avoir été adoptée ni promulguée. Si tel est le cas, l'État partie doit expliquer pourquoi il n'a pas été donné effet à une disposition de la Constitution dans le droit interne.

7.En ce qui concerne le fait que les nombreuses attaques lancées contre des journalistes qui critiquent le Gouvernement ne se limitent pas à des menaces anonymes mais prennent souvent la forme de violences physiques, la question se pose de savoir si l'État partie a prévu des recours pour les victimes de tels actes. Enfin, Lord Colville indique que deux juges provisoires ont été mutés immédiatement après avoir déclaré recevables les plaintes dont les avait saisis, en mai 1999, un groupe de journalistes ayant enquêté sur le Service national du renseignement. Considérant que ces faits illustrent l'absence d'indépendance du pouvoir judiciaire et l'impossibilité d'assurer la protection judiciaire du droit fondamental à la liberté d'expression prévu au paragraphe 4 de l'article 2 de la Constitution, il demande où en est l'affaire portée devant les tribunaux par les journalistes, si tant est que de nouveaux juges aient été nommés pour l'instruire.

8.Mme CHANET souhaite recevoir des précisions sur les aspects techniques de l'application des dispositions relatives au délit de diffamation. À ce sujet, elle doute que le principe de la proportionnalité ait été respecté dans les articles 132 et 314 du Code pénal qui autorisent des peines d'emprisonnement plus lourdes en cas d'atteinte à la réputation d'une personne publique. Or, une personne publique est a priori mieux armée qu'une personne privée pour supporter ce genre d'attaque. De plus, la distinction n'est pas toujours facile à établir entre critique et attaque personnelle quand il s'agit de personnes publiques qui, comme c'est le cas dans toute démocratie, sont amenées à s'exposer aux critiques de leurs concitoyens. La question est d'autant plus préoccupante que les peines prévues n'ont rien de symbolique puisqu'elles sont effectivement prononcées.

9.Mme Chanet en outre, demande des explications sur l'application des dispositions concernant la manière dont la preuve du fait diffamatoire doit être apportée car elles ne semblent pas s'appliquer de la même façon selon que le fait allégué concerne une personne publique ou une personne privée. Enfin, elle s'associe à la question posée par Lord Colville au sujet du paragraphe 5 de l'article 2 de la Constitution, car omettre de préciser clairement les restrictions applicables à la liberté d'expression, c'est ouvrir la porte à l'arbitraire.

10.M. WIERUSZEWSKI juge insatisfaisantes les réponses données au sujet de l'application de l'article 19 du Pacte. Il voudrait notamment savoir comment sont interprétées en droit interne les dispositions de la Constitution qui limitent le droit à la liberté d'expression pour des raisons de sécurité nationale. Si cette interprétation revient uniquement au pouvoir judiciaire, on peut craindre que l'absence d'indépendance de ce dernier entraîne de graves restrictions du droit à la liberté d'expression. En outre, il serait intéressant de savoir combien de fois le Gouvernement a eu recours aux dispositions en question. Par ailleurs, différentes sources indiquent que les journalistes continuent de faire l'objet d'attaques, principalement à l'intérieur du pays. La délégation ayant affirmé que cette pratique était totalement inacceptable et que les victimes bénéficiaient d'une protection efficace, M. Wieruszewski demande des explications sur l'absence de mesures de sécurité concernant les personnes qui critiquent l'action gouvernementale.

11.S'agissant de l'utilisation de la publicité officielle pour subventionner les médias favorables au Gouvernement, il serait utile de savoir à quelles dispositions réglementaires ou législatives cette pratique obéit et qui contrôle les dépenses correspondantes. Dans le même ordre d'idées, la délégation devrait donner des explications sur les mesures fiscales appliquées pour réprimer certains organes de l'opposition.

12.M. KRETZMER dit qu'il trouve quelque peu décevantes les réponses apportées par la délégation. Il déplore notamment que celle-ci se soit bornée à citer la législation en vigueur pour expliquer la décision des autorités de retirer la nationalité péruvienne à M. Ivcher, alors que de toute évidence cette décision a été prise immédiatement après que la chaîne de télévision qui appartenait à l'intéressé, a critiqué l'action du Gouvernement. La même observation s'applique à la réponse donnée au sujet des trois juges démis de leurs fonctions après avoir rendu un jugement défavorable au Président péruvien dans une importante affaire touchant l'interprétation de la Constitution.

13.M. ANDO souscrit à toutes les observations des membres du Comité, y compris aux observations faites par M. Scheinin à la séance précédente au sujet des populations autochtones. Pour sa part, il demande quelles sont, de l'avis du Gouvernement, les causes réelles des irrégularités qui ont entaché l'organisation des élections et quelles mesures ont été prises pour y remédier.

La séance est suspendue à 15 h 45; elle est reprise à 16 heures.

14.M. QUESADA INCHAÚSTEGUI (Pérou), répondant aux questions supplémentaires posées par les membres du Comité, dit que le Gouvernement, les partis politiques et la société civile se sont engagés dans une dynamique de dialogue sur bon nombre des questions évoquées et veut croire que dans un futur proche, bon nombre des problèmes qui se posent au Pérou trouveront des réponses. Il admet que des irrégularités ont été constatées dans les élections qui ont eu lieu en 2000, ce qui s'explique par des erreurs informatiques ainsi que par la difficulté d'exercer un contrôle strict dans certaines zones reculées du territoire. Cependant, comme l'a indiqué non seulement le Gouvernement, mais aussi le chef de la mission d'observateurs constituée bien avant le début du processus électoral, il s'agit bien de simples irrégularités et non de fraude. Concernant les attaques subies par des journalistes, M. Quesada Inchaústegui tient à préciser que certains de ces journalistes n'ont pas présenté de plaintes par voie interne, mais ont directement saisi des instances internationales. En tout état de cause, il ne peut s'agir que de cas isolés. La liberté d'expression est une réalité dans l'État partie, comme en atteste la variété des journaux et des organes de presse en général et la qualité du débat politique. Le problème de l'indépendance du pouvoir judiciaire est l'un des sujets abordés à la "table de dialogue" et a d'ores et déjà fait l'objet d'initiatives au Congrès. Sur la question de la dénonciation de la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, M. Quesada Inchaústegui indique que cette décision a été prise de la même manière que la décision antérieure d'accepter cette même compétence. Cette décision a fait suite à la prise par la Cour interaméricaine d'une décision que le Gouvernement péruvien a jugée irrégulière, c'est‑à‑dire incompatible avec d'autres décisions rendues dans des cas similaires. Quoi qu'il en soit, la possibilité d'accepter de nouveau la compétence de la Cour interaméricaine est à l'ordre du jour de la "table de dialogue".

15.M. CHAVEZ BASAGOITIA (Pérou) réaffirme l'attachement du Gouvernement péruvien à la liberté de la presse. Le chemin est difficile, mais la coopération avec les organismes internationaux est l'un des meilleurs moyens pour progresser en la matière. Preuve de la bonne volonté de l'État partie, le Gouvernement péruvien a invité le Rapporteur sur la liberté d'expression de la Commission interaméricaine des droits de l'homme à effectuer une mission dans le pays. Les efforts ne sont cependant pas limités à l'échelle du continent américain, car par le passé, le Gouvernement a lancé une invitation similaire au Rapporteur sur la liberté d'expression de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, dont il attend une réponse s'agissant de la date d'une éventuelle rencontre. Pour ce qui est de la liberté de religion, M. Chavez Basagoitia confirme les liens historiques entre l'État péruvien et l'Église catholique, illustrés par l'existence d'un traité international entre le Pérou et le Saint‑Siège. Cette relation privilégiée, qui s'explique par le fait que la population péruvienne est très majoritairement de confession catholique, ne doit pas être interprétée comme une discrimination à l'égard des autres confessions. Ainsi, tous les établissements d'enseignement ‑ qu'ils soient catholiques, d'autres confessions ou bien laïcs ‑ reçoivent des subventions de l'État. La proportion plus importante de fonds publics octroyés aux établissements catholiques n'est que le reflet de la proportion très importante de catholiques dans la population.

16.Pour ce qui est de la question des autochtones, M. Chavez Basagoitia indique qu'il a eu l'honneur de présider le Groupe de travail de la Commission des droits de l'homme chargé d'élaborer un projet de Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. En cette qualité, il se permet de souligner que le droit à l'autodétermination et les conséquences juridiques de l'exercice de ce droit donnent lieu à de vives discussions et que l'interprétation que fait le Comité de l'article premier du Pacte est loin de faire l'objet d'un consensus. Il espère qu'une Déclaration pourra rapidement être adoptée. Le Gouvernement péruvien sera plus à même de prendre position lorsque la communauté internationale se sera elle‑même prononcée.

17.M. QUESADA INCHAÚSTEGUI (Pérou) ajoute que la délégation a pris note des questions posées par le Comité sur la situation particulière de certaines minorités autochtones et que des réponses écrites sur ces cas nécessitant une analyse plus approfondie lui seront fournies ultérieurement.

18.M. FIGUEROA (Pérou) dit que l'accord passé entre le Gouvernement péruvien et le Comité international de la Croix‑Rouge est toujours en vigueur et que les représentants du CICR ont donc toute liberté pour accéder aux établissements pénitentiaires du pays. Répondant par ailleurs à Mme Chanet, il indique que le délit de diffamation est un délit contre l'honneur prévu dans le Code pénal et qu'il relève de l'action pénale privée, c'est‑à‑dire que le ministère public n'intervient pas et que seule la personne estimant être victime de diffamation peut engager une action pénale. Il est vrai qu'en cas de circonstances aggravantes, c'est‑à‑dire, en général, lorsque la victime est une personne publique, la peine imposée peut être une peine de privation de liberté. Cependant, la peine ne peut en aucun cas excéder quatre années d'emprisonnement et, de fait, elle est rarement effective, car le juge en décrète généralement la suspension et impose en contrepartie des règles de conduite au condamné. Le fait que la charge de la preuve revienne à la victime découle directement du fait que le ministère public n'intervient pas, raison pour laquelle le Gouvernement péruvien considère qu'il n'y a pas incompatibilité avec l'article 14 2) du Pacte. En tout état de cause, des limitations existent, et il est notamment impossible de recourir à ce mécanisme si l'intimité ou l'intérêt privé d'une personne est en jeu.

19.M. LAZO PICCARDO (Pérou) dit que le recours en habeas data n'a été introduit dans la Constitution qu'en 1993, et que l'on n'a pas encore assez de recul pour en évaluer les effets. L'État partie pourra cependant envoyer au Comité des statistiques sur le nombre de recours déjà intentés. Par ailleurs, les normes en matière de sécurité nationale sont actuellement en révision et les autorités examinent en particulier comment définir les informations qui doivent être réservées ou classifiées, l'objectif étant que cette définition ne doit pas être arbitraire mais suivre une logique juridique cohérente. Enfin, s'agissant des publications officielles, pour les campagnes électorales, par exemple, il n'y a pas de discrimination de type politique dans le choix des journaux choisis, mais l'État signe des contrats avec certains d'entre eux en fonction de critères techniques (tirage, zones géographiques de diffusion) et économiques (négociations directes entre l'État et les journaux).

20.La PRÉSIDENTE remercie la délégation pour les réponses apportées, mais ne peut manquer de souligner qu'elles n'ont guère porté que sur les normes juridiques et très peu sur l'application réelle de ces normes. Malgré les progrès accomplis, le Comité conserve des préoccupations majeures s'agissant du respect du Pacte. Ainsi, l'article 56 de la Constitution péruvienne ne dit rien du rang du Pacte dans la législation interne et aucune disposition ne prévoit de règles en cas d'incompatibilité entre le Pacte et l'ordre juridique interne du Pérou. Un autre domaine dans lequel le Pacte n'est pas respecté est celui des lois d'amnistie. Les réponses apportées en la matière ont été formulées uniquement en termes politiques, sans aucune référence aux dispositions du Pacte. À cet égard, il y a lieu de rappeler que dans ses observations finales formulées à l'issue de l'examen du troisième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/83/Add.1), le Comité avait demandé à l'État partie de faire le nécessaire pour réviser systématiquement les condamnations prononcées par les tribunaux militaires dans les affaires de trahison et de terrorisme. La délégation péruvienne venue présenter le quatrième rapport périodique a indiqué que ces condamnations n'étaient pas susceptibles de révision ex officio mais pouvaient faire l'objet d'un recours en révision. La Présidente fait cependant observer que les motifs ouvrant droit à ce recours ne concernent aucune des communications mettant en cause le Pérou qui ont été soumises au Comité.

21.Pour ce qui est de la compétence des juridictions militaires dans les affaires de terrorisme, le transfert de cette compétence à des juridictions civiles marque certes un progrès mais le délit de trahison continue de relever des tribunaux militaires. En outre, la loi No 27235 portant modification du décret‑loi No 895 ne fournit aucune indication quant à la procédure de ce transfert, qui reste apparemment régie par ledit décret‑loi. Or ce dernier ne prévoit pratiquement aucune possibilité de défense pour l'accusé. En particulier, il fixe des délais trop courts pour assurer le respect des dispositions du paragraphe 2 b) de l'article 14 du Pacte. Le Comité constate par ailleurs, à partir des chiffres fournis par la délégation péruvienne, qu'une multitude de civils ont été jugés et condamnés par des juridictions militaires. En outre, conformément au décret‑loi No 895, les juges militaires ne peuvent être destitués. Tous ces éléments montrent que le respect de l'article 14 du Pacte est loin d'être assuré au Pérou.

22.Un autre aspect avait préoccupé le Comité dans le cadre de l'examen du troisième rapport périodique du Pérou, à savoir la durée excessive de la garde à vue. Le Comité ne peut aujourd'hui que réitérer son inquiétude, qui est encore avivée par le fait que des dispositions autorisant le maintien d'un suspect en garde à vue pendant 15 jours ont été étendues à d'autres délits que le terrorisme, notamment au "délit aggravé".

23.En ce qui concerne les sanctions disciplinaires applicables aux personnes détenues pour terrorisme, en particulier l'isolement pendant un an dans un quartier de haute sécurité, le Comité avait fait observer, lors de l'examen du troisième rapport périodique du Pérou, qu'elles étaient clairement contraires au Pacte. Ces sanctions sont prévues dans des textes, ce qui montre bien que non seulement la situation dans les faits mais aussi les dispositions législatives et réglementaires elles‑mêmes soulèvent beaucoup de questions au regard de l'application du Pacte.

24.Pour ce qui est de l'indépendance de la magistrature, elle n'est à l'évidence pas garantie au Pérou. La Présidente a lu le texte de la loi No 27235 qui modifie le décret‑loi No 895 et constate qu'il y est question d'une commission exécutive du pouvoir judiciaire. La délégation péruvienne n'a fourni aucun renseignement sur cette commission. Conformément à la loi, celle‑ci peut modifier la compétence des juges appelés à connaître des affaires de terrorisme spécial. Par ailleurs, la même commission aurait ajourné pendant 18 mois la procédure de formation des magistrats, qui restent ainsi en attente de nomination. Tout cela laisse à penser que ladite commission occupe un rang plus élevé dans la hiérarchie judiciaire que le Conseil supérieur de la magistrature. Compte tenu de l'organisation du système judiciaire, on ne saurait s'étonner que les journalistes qui ont été poursuivis en justice hésitent à exercer les voies de recours disponibles.

25.La situation des femmes au Pérou pose également des problèmes graves. En particulier, le viol continue de relever du domaine privé et les violences dans la famille sont traitées dans le cadre d'une procédure de conciliation qui n'offre aucune protection aux femmes qui en sont victimes. En outre, la délégation péruvienne a indiqué que des instructions nouvelles avaient été établies en matière de stérilisation forcée, ce qui laisse supposer qu'il existait auparavant des instructions d'une teneur tout autre. On peut ainsi en déduire que la stérilisation forcée a été effectivement pratiquée.

26.Le respect de la liberté d'expression continue de susciter de vives inquiétudes, compte tenu en particulier des dispositions relatives au délit de diffamation. Ce délit fait aujourd'hui l'objet d'une controverse dans tous les pays d'Amérique latine car il est à l'origine de fréquentes violations de la liberté d'expression. Pour ce qui est du Pérou les autorités réagissent à l'exercice de cette liberté d'une façon à l'évidence inadmissible.

27.En ce qui concerne la suite donnée aux recommandations du Comité concernant les communications présentées en vertu du Protocole facultatif, la délégation péruvienne a indiqué que cette question serait traitée avec le Rapporteur spécial chargé du suivi des constatations du Comité. Elle a indiqué également que les autorités compétentes examinaient les possibilités de régler le cas de Mme Ato del Avellanal (communication No 202/1986) et que, s'agissant de Mme Polay Campos (communication No 577/1994), celle‑ci avait la possibilité de former un recours en révision. La lecture attentive des textes pertinents révèle que l'absence d'équité d'une procédure, motif pour lequel le Comité a demandé à l'État partie d'assurer à l'auteur un nouveau procès, ne permet pas de former un tel recours. Par ailleurs, la délégation péruvienne a indiqué que la loi No 23506 prévoyait que les décisions rendues par des juridictions internationales comme la Cour interaméricaine des droits de l'homme étaient applicables au Pérou dans les mêmes conditions que les décisions des tribunaux péruviens. Si cette loi est en vigueur, pourquoi n'a‑t‑il toujours pas été donné effet aux recommandations du Comité concernant les communications émanant de ressortissants péruviens ?

28.En conclusion, la Présidente souligne que l'État partie connaît une situation politique très difficile, qui a des retentissements dans toute l'Amérique latine. Au nom du Comité, elle adresse au peuple péruvien tous ses vœux pour sortir des difficultés actuelles et espère que des initiatives comme la "table de dialogue" et surtout le rétablissement complet de la démocratie, qui implique, entre autres, de mettre fin à l'impunité pour les violations des droits de l'homme, permettront d'envisager l'avenir plus sereinement.

29.M. QUESADA INCHAÚSTEGUI (Pérou) remercie tous les membres du Comité pour leurs commentaires et leurs observations, qui seront dûment transmis aux autorités compétentes. La délégation péruvienne a présenté le quatrième rapport périodique au Comité dans un esprit de franchise et de transparence et, si la discussion a mis en évidence un certain nombre de problèmes, l'essentiel est que le dialogue entre le Comité et les représentants du Pérou porte des fruits. Les difficultés dans lesquelles le Pérou se débat ne datent pas d'hier, mais M. Quesada Inchaústegui est convaincu qu'un grand nombre d'entre elles pourront être surmontées.

30.En ce qui concerne le rapport, les autorités péruviennes avaient estimé important de mettre en évidence les progrès réalisés dans le domaine législatif, ce qui explique l'abondance d'informations sur les textes. Toutefois, la délégation péruvienne a pris bonne note des observations du Comité concernant la nécessité d'établir des rapports plus factuels. Enfin, le Gouvernement péruvien fera parvenir ultérieurement au Comité un document consignant les réponses aux questions qui n'ont pu être éclaircies oralement.

31.La PRÉSIDENTE remercie la délégation péruvienne et annonce que le Comité a achevé l'examen du quatrième rapport périodique du Pérou.

32.La délégation péruvienne se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 16 h 50.

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