NATIONS

UNIES

CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/SR.1561

25 mars 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑deuxième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1561e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le vendredi 7 mars 2003, à 10 heures

Président: M. AMIR (Vice‑Président)

puis: M. DIACONU (Président)

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Treizième à dix‑septième rapports périodiques de la Tunisie

Bilan de la mise en œuvre de la Convention dans les États parties dont les rapports périodiques sont très en retard: Papouasie‑Nouvelle‑Guinée

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Treizième à dix-septième rapports périodiques de la Tunisie (CERD/C/431/Add.4; HRI/CORE/1/Add.46) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation tunisienne reprend place à la table du Comité.

2.M. MANSOUR (Tunisie) a écouté avec beaucoup d’intérêt les observations et commentaires formulés par les membres du Comité dans le cadre de l’examen des treizième à dix‑septième rapports périodiques de son pays et se félicite de la satisfaction que ces derniers ont exprimée quant aux mesures qu’elle a prises pour mettre en œuvre la Convention. Il souhaite apporter un complément d’information au sujet d’un certain nombre de points.

3.M. Mansour précise qu’en Tunisie il convient de parler de Berbères et non d’Amazighs et il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de «problème berbère» en Tunisie et que ce groupe de population ne fait l’objet d’aucune discrimination. Son pays ne connaît d’ailleurs aucun problème de minorité, la société tunisienne étant une société homogène issue d’un vaste brassage de populations au fil des millénaires. En outre, le sud tunisien, où se concentre la population berbère, est ouvert au tourisme et en plein essor.

4.M. Mansour précise aussi, à l’intention du rapporteur pour la Tunisie, qu’en vertu de la loi 88 du 25 juillet 1988, le Président est rééligible deux fois et peut donc briguer trois mandats quinquennaux et exercer ses fonctions pendant 15 ans. C’est ce qui explique que le Président Zine El Abidine Ben Ali soit encore à la tête du pays, ayant été élu en 1989, puis réélu en 1994 et en 1999.

5.M. Mansour dit que la Tunisie n’entretient pas de mauvaises relations avec Amnesty International, dont la présence à Tunis remonte à 1988, mais regrette que cette organisation − comme les autres organisations de défense des droits de l’homme − ne permette pas aux États qu’elle incrimine d’exercer leur droit de réponse, ce qui fait obstacle à l’instauration d’un débat ouvert et constructif. Le Gouvernement tunisien n’entrave en rien les activités de ces organisations, mais ne saurait accepter que leurs membres ne respectent pas les lois en vigueur dans le pays. Trop souvent, leurs militants se croient à l’abri de la loi et estiment pouvoir échapper à une sanction sous prétexte qu’ils défendent une cause juste. Mais la loi s’applique à tous et l’ordre établi doit être respecté par tous. M. Mansour rappelle ensuite que la Tunisie et partie à un grand nombre d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, entretient des liens étroits et réguliers avec les organes chargés de suivre leur application et répond promptement à toute demande de renseignements émanant des différents mécanismes et rapporteurs qui s’en occupent, preuve de son attachement au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

6.À ce sujet, M. Mansour informe les membres du Comité que le Président a engagé au début de 2002 une importante réforme constitutionnelle qui accorde aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales une place particulière, introduisant de nouvelles garanties en matière de garde à vue et de détention préventive notamment, prévoyant l’introduction d’une élection présidentielle à deux tours et instituant un parlement bicaméral par la création de la Chambre des conseillers. Fort de sa volonté de renforcer le processus démocratique, le Gouvernement a soumis au peuple tunisien sa proposition de réforme constitutionnelle en organisant le 26 mai 2002 le premier référendum de l’histoire tunisienne, par lequel le peuple a entériné les amendements qui lui étaient proposés.

7.Le représentant de la Tunisie affirme qu’il n’y a pas de prisonniers politiques dans son pays. Les personnes incarcérées en Tunisie ont toutes fait l’objet d’une procédure de droit commun et les tribunaux d’exception ont été abolis.

8.M. Mansour insiste sur le fait que les rares cas de discrimination raciale qui se produisent en Tunisie donnent lieu à la saisine sans délai des autorités compétentes.

9.M. Mansour dit que les propositions d’amendements à l’article 8 de la Convention visant à assurer le financement du Comité par prélèvement sur le budget ordinaire de l’Organisation des Nations Unies seront soumises très prochainement à son gouvernement qui les acceptera probablement. La déclaration prévue à l’article 14 de la Convention est en cours d’examen, et le Comité devrait être fixé sur cette question avant la soumission du prochain rapport périodique de la Tunisie.

10.M. Mansour reconnaît que le rapport à l’examen aurait gagné à fournir des statistiques sur la croissance économique et sur la répartition du produit de cette croissance par région et par groupe social. Il veillera à ce que ces données figurent dans le prochain rapport périodique de la Tunisie. Il reconnaît aussi que les données auraient pu être exprimées dans une monnaie plus familière aux membres du Comité que les dinars tunisiens, mais estime que ce qui importe réellement, c’est l’évolution des montants d’une période à l’autre.

11.Enfin, M. Mansour informe les membres du Comité que le Gouvernement a engagé une consultation nationale des différentes parties compétentes − associations, ministères, conseils régionaux − sur la meilleure manière de mettre en œuvre la Déclaration et le Programme d’action de Durban.

12.M. KHEMAKHEM (Tunisie) rappelle que son pays a connu au début des années 90 une recrudescence du phénomène intégriste. Il indique que pour se prémunir contre le risque terroriste, le Gouvernement tunisien a appliqué la loi sans jamais instaurer l’état d’urgence ni mettre en place des tribunaux d’exception. Il a engagé une réforme profonde en vue de mieux garantir les droits économiques et sociaux de la population, le lien entre la pauvreté et le terrorisme n’étant plus à prouver, et a créé le Fonds national de solidarité. Du point de vue législatif, un nouvel article 52 bis qualifiant «de terroriste toute infraction en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de porter atteinte aux personnes et aux biens par l’intimidation ou la terreur» a été inséré dans le Code pénal. Le législateur a fait preuve d’audace en assimilant les actes d’incitation à la haine à des actes terroristes plutôt que d’en dresser une liste exhaustive, en disposant dans cet article que «sont traités de la même manière les actes d’incitation à la haine ou au fanatisme racial ou religieux». De même, l’article 44 du Code de la presse dispose qu’: «est puni de deux mois à trois ans d’emprisonnement celui qui aura directement soit incité à la haine entre les races ou les religions ou les populations, soit à la propagation d’opinions fondées sur la ségrégation raciale ou sur l’extrémisme religieux (…)».

13.Quant à la question des voies de recours ouvertes aux personnes qui ont été reconnues coupables de délits d’incitation à la haine raciale, M. Khemakhen rappelle que le système tunisien est fondé sur un double degré de juridiction, la personne condamnée pouvant interjeter appel ou se pourvoir en cassation. Il ajoute qu’en 2000 la réforme du Code de procédure pénale a instauré ce même principe en matière criminelle.

14.Le représentant de la Tunisie explique qu’il n’existe pas de fonds spécial d’indemnisation des victimes d’actes de discrimination raciale, mais celles‑ci peuvent soit se constituer partie civile devant le tribunal de première instance, soit engager une action en justice pour obtenir réparation. En matière de droits, la législation ne fait strictement aucune différence entre les athées et les croyants, les droits et obligations inhérents à chacun relevant de la citoyenneté et non de la foi. La seule exception à cette règle est énoncée à l’article 38 de la Constitution, qui dispose que le chef de l’État doit être musulman.

15.M. Khemakhem explique enfin que les traités multilatéraux approuvés et ratifiés par la Chambre des députés sont incorporés dans la législation interne sans adopter une loi spéciale à cette fin et sont supérieurs aux lois internes. Les dispositions de la Convention relatives à toute forme de discrimination raciale peuvent donc être invoquées directement devant les tribunaux.

16.Enfin, M. Khemakhem dit que pour promouvoir davantage encore la culture des droits de l’homme dans le pays, le Gouvernement tunisien a modifié l’article 5 de la Constitution, qui se lit désormais comme suit: «La République tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l’homme dans leur acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante. La République tunisienne se fonde sur les principes de l’état de droit et du pluralisme et œuvre pour la dignité de l’homme et la promotion de sa personnalité. L’État et la société œuvrent à ancrer les valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations.».

17.S’agissant des institutions nationales de protection des droits de l’homme, le représentant indique qu’il a été créé par décret en janvier 1991, un comité supérieur des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui émet des avis sur les questions que lui soumet le Président de la République concernant les droits de l’homme et présente des suggestions à cet égard. Il réalise également des études en matière de droits de l’homme, et effectue des visites aux prisons, aux maisons d’arrêt et aux centres d’hébergement ou d’observation des mineurs en vue de vérifier le degré de respect des lois et règlements organisant la garde à vue, l’emprisonnement, l’hébergement ou l’observation des mineurs. À la suite de chaque visite d’inspection, le Président du Comité soumet un rapport au Président de la République.

18.M. Khemakhem indique que le médiateur administratif, dont la fonction a été créée en 1992, est chargé de recevoir des requêtes individuelles au sujet d’affaires administratives concernant les citoyens. Le médiateur a traité en 2000 plus de 7 000 requêtes de ce type. Son statut a été renforcé en février 2002 aux fins de le soustraire à toute injonction émanant d’une autorité publique.

19.M. Khemakhem souligne que des progrès ont également été réalisés dans le domaine du droit successoral, qui vont dans le sens de la consécration de l’égalité entre les sexes. Ainsi, la situation successorale de la femme tunisienne a été sensiblement améliorée grâce à la mise en place de plusieurs mécanismes législatifs tels que le mécanisme du retour qui accorde à la fille le bénéfice de la totalité de la masse successorale si elle est l’unique héritière. Le second mécanisme est relatif à l’instauration du régime du legs obligatoire qui permet aux petits‑enfants nés d’un fils prédécédé ou d’une fille prédécédée le droit de bénéficier d’une créance sur la succession. Le troisième mécanisme concerne le régime de la communauté des biens instauré en vertu d’une loi de 1998 qui a favorisé l’égalité entre l’homme et la femme quant au droit de propriété dans le couple. De plus, les dispositions du statut général de la fonction publique promulgué en 1983 consacrent le principe de la non-discrimination entre les femmes et les hommes dans le domaine du travail.

20.Mme SAFI (Tunisie) indique qu’un enseignement spécialisé sur les droits de l’homme est dispensé aux étudiants en sciences juridiques et politiques et à ceux de l’Institut supérieur de la magistrature. Des mesures ont également été prises pour promouvoir l’enseignement des droits de l’homme au sein du Ministère de l’intérieur. Tous les fonctionnaires de police doivent obéir à un code de conduite et respecter les règles et principes fondamentaux relatifs aux droits de l’homme. Une campagne nationale multimédia pilotée par le Ministère de la jeunesse et de l’enfance a été organisée sous forme de messages radio diffusés et télévisés relayés par des communicateurs locaux et régionaux afin de promouvoir une culture de dialogue, d’écoute et de concertation au sein de la famille et de la société.

21.M. NASRAOUI (Tunisie) affirme que son pays ne pratique aucune forme d’exclusion ou de discrimination à l’égard des travailleurs étrangers, lesquels sont soumis aux mêmes règles de la législation du travail que les employés nationaux. Pour exercer une activité rémunérée en Tunisie, un travailleur doit disposer d’un contrat de travail et d’une carte de séjour en règle.

22.S’agissant du Fonds de solidarité nationale, M. Nasraoui explique que le Président de la République a décidé de créer ce fonds à l’issue d’une visite effectuée au début des années 90 dans une région rurale enclavée dans le nord-ouest du pays, au cours de laquelle il a constaté que les habitants n’avaient pas bénéficié des effets du développement économique et social général du pays. L’objectif du Fonds était de désenclaver la zone en créant une infrastructure susceptible de faciliter la communication avec un environnement plus large et de créer des conditions de vie décentes pour la population. Le Fonds a permis de financer l’installation de services collectifs de base, tels que l’eau potable, l’électricité, les services de santé et d’éducation, les voies de communication, et de construire des établissements scolaires. Le Fonds a également offert aux habitants des sources supplémentaires de revenus qui ont permis de freiner le phénomène d’exode rural. Le Fonds a été ouvert aux souscriptions citoyennes: en mars 2002, 2 millions de Tunisiens y ont souscrit.

23.M. Nasraoui fait valoir que la Tunisie est l’un des rares pays à avoir accordé une priorité absolue aux questions sociales. Les trois-quarts du budget de l’État sont consacrés aux dépenses d’éducation, de santé et de développement culturel. Cent dix mille familles en situation précaire bénéficient ainsi de soins médicaux et hospitaliers gratuits, et un nombre équivalent, du ticket modérateur accordé par le régime tunisien de sécurité sociale, dont bénéficient 80 % des Tunisiens.

24.M. MANSOUR (Tunisie) ajoute que le Fonds de solidarité nationale a marqué l’avènement d’une plus grande solidarité au plan national en fonctionnant comme un vecteur d’entraide. La Tunisie a tenu compte du lien indissociable qui existe entre la lutte contre la pauvreté et la promotion des droits de l’homme pour concevoir une approche globale, progressive et dynamique des droits de l’homme.

25.M. KHEMAKHEM (Tunisie) explique que les partis politiques tunisiens peuvent être sanctionnés en application de la loi organique de 1998 relative à l’organisation des partis politiques s’ils contreviennent aux dispositions de l’article 2 de cette loi, en ne respectant pas les droits de l’homme ou les acquis de la nation ou en prônant la violence, le fanatisme, le racisme et toute autre forme de discrimination. L’article 3 de cette loi dispose qu’un parti politique «ne peut s’appuyer fondamentalement dans ses principes, objectifs, activités ou programmes, sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une religion». La violation des dispositions de cette loi est punie d’une peine d’un mois à trois ans d’emprisonnement et d’une amende pouvant aller jusqu’à 5 000 dinars.

26.Le représentant de la Tunisie rappelle que les associations sont régies par une loi de 1959 qui a été amendée à deux reprises et qu’il existe en Tunisie de nombreuses associations de défense des droits de l’homme qui œuvrent en toute liberté. Elles sont régies par les mêmes dispositions légales que les partis politiques et ne peuvent donc pas non plus prôner la violence, le fanatisme, le racisme ni d’autre forme de discrimination. Le Gouvernement tunisien estime qu’il existe une différence très nette entre une association et un parti politique, une association n’étant pas censée traiter de questions relatives aux droits civils ou politiques.

27.Le représentant rappelle que la loi tunisienne interdit les organisations et les activités de propagande organisée ou non, incitant à la discrimination raciale, ainsi que la participation à ces organisations et à leurs activités. Les tribunaux ont été saisis de trois affaires de ce type dans lesquelles ces dispositions avaient été violées. Dans la première, la cour d’appel de Tunis a examiné le 18 octobre 1994 un cas de manifestation de haine raciale et religieuse et a confirmé le jugement du tribunal de première instance, condamnant l’inculpé à deux ans de prison assortis d’une amende de 1 000 dinars. Dans la deuxième, en mars 1995, une personne qui avait distribué des tracts antisémites a été condamnée à trois ans de réclusion et soumise à une procédure de contrôle administratif. Dans la troisième affaire, en mars 1995, un tribunal de première instance a condamné à six mois d’emprisonnement une personne qui avait diffusé des tracts pour un groupe qui s’était dénommé «Résistants démocratiques et nationaux». Ainsi, il n’y a pas de véritable discrimination raciale en Tunisie mais des situations particulières qui sont combattues par le Ministère de la justice et des droits de l’homme. Dans son prochain rapport, la Tunisie s’efforcera de fournir au Comité des chiffres à ce sujet.

28.Concernant les prisons, le représentant de la Tunisie précise qu’une nouvelle loi carcérale qui s’inspire des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus et classe les personnes incarcérées selon le sexe, l’âge, les antécédents et le délit commis a été adoptée en 2001. En réponse aux questions posées par les membres du Comité sur les lois relatives à la nationalité, M. Khermakhem indique que le Code de la nationalité, adopté en 1963 et modifié en 2002, donne aux non‑Tunisiens la possibilité d’acquérir la nationalité tunisienne et prévoit une procédure de déchéance de la nationalité applicable aux personnes naturalisées. La déchéance peut être prononcée pour les motifs exposés à l’article 33 du Code (les crimes ou délits contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’État, les actes incompatibles avec la qualité de Tunisien commis au profit d’un État étranger, la condamnation en Tunisie ou à l’étranger pour un acte criminel au regard de la loi tunisienne, le non‑respect de la loi sur la conscription), selon les modalités prévues à l’article 34. La déchéance de la nationalité ne peut être prononcée que si les faits reprochés à l’intéressé se sont produits dans les 10 ans qui suivent l’acquisition de la nationalité et dans les cinq ans qui suivent l’infraction, c’est‑à‑dire dans des circonstances bien précises, qui sont toujours examinées au cas par cas.

29.S’agissant du droit d’accès des étrangers à la propriété, le représentant de la Tunisie précise que la loi sur les étrangers du 8 mars 1968 autorise l’acquisition de biens meubles et immeubles par des étrangers pour autant que le candidat acheteur ait suivi une certaine procédure administrative. Par ailleurs, la Tunisie a conclu des accords bilatéraux avec la Libye, l’Algérie, le Maroc et le Niger qui fixent certaines règles particulières aux ressortissants de ces pays.

30.M. MANSOUR (Tunisie) ajoute que l’accord liant la Tunisie et le Saint‑Siège ne contredit en rien le principe de liberté totale de culte inscrit dans la Convention: il porte sur l’organisation de l’Église catholique en Tunisie, notamment pour ce qui est de la désignation des prélats.

31.M. de GOUTTES, à propos de l’article 52 bis du Code pénal et du nouvel article 44 du Code de la presse, comprend que la montée de l’intégrisme puisse amener les autorités tunisiennes à assimiler au terrorisme l’incitation à la haine et au fanatisme religieux ou racial. Il reste à voir comment les textes répressifs sont appliqués contre le terrorisme. À cet égard, des informations sur des cas concrets où les deux articles susmentionnés ont été appliqués seraient utiles au Comité.

32.Quant aux relations entre le Gouvernement tunisien et les organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme auxquelles les autorités tunisiennes seraient très attachées, selon la délégation, mais qui seraient difficiles, selon les ONG, M. de Gouttes remarque qu’elles ne pourraient que s’améliorer si les autorités tunisiennes consultaient les ONG au moment d’établir les différents rapports requis par les traités relatifs aux droits de l’homme.

33. M.  Diaconu reprend la présidence.

34.M. HERNDL dit qu’un problème essentiel demeure dans la mise en œuvre de l’article 4 de la Convention, en partie que le Comité n’a pas eu de discussion approfondie sur la question en 1994, lors de la présentation du douzième rapport périodique de la Tunisie. En effet, certaines dispositions législatives, conçues pour traduire dans le droit tunisien l’article 4 de la Convention, étaient nouvelles à l’époque et n’ont été mentionnées à cette occasion qu’oralement par la délégation tunisienne. Divers membres du Comité ont néanmoins souligné qu’en matière d’incitation à la haine raciale, seuls les délits de presse étaient incriminés et non les actes de violence ou les activités de propagande. Il se peut que le problème de la discrimination raciale ne se posait pas alors et ne se pose pas maintenant en Tunisie, mais la Convention n’en fait pas moins obligation aux États parties de déclarer illégales et d’interdire les organisations ainsi que les activités de propagande qui incitent à la discrimination raciale. Il serait donc bon que la Tunisie fournisse à l’occasion de l’examen de son prochain rapport périodique un tableau complet et le texte des dispositions pénales et administratives qu’elle a prises pour donner effet à l’article 4 de la Convention.

35.M. YUTZIS, comparant le cas de la Tunisie à celui de l’Argentine, souligne l’importance de la langue dans l’identité culturelle, qu’il s’agisse des populations autochtones argentines ou des Berbères. Il se demande donc ce qu’il en est, outre les recherches et projets universitaires, des programmes mis en place par les autorités nationales tunisiennes pour reconnaître et promouvoir la langue et, incidemment, la culture millénaire des autochtones. Il importe que le Comité puisse approfondir ces aspects pour comprendre comment les groupes de population concernés peuvent être protégés conformément à la Convention.

36.M. TANG remercie la délégation tunisienne des explications fournies concernant les Amazighs, notamment sur la difficulté de définir qui entre dans ce groupe en Tunisie. Néanmoins, il aimerait recevoir des précisions sur leur part dans la population et leur structure sociale.

37.S’agissant des réfugiés, la délégation tunisienne a évoqué l’accueil en Tunisie des Juifs chassés d’Espagne au XVe siècle et la ratification du Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967, deux faits historiques à porter au crédit de la Tunisie. Il serait néanmoins utile que le prochain rapport fournisse au Comité de plus amples informations sur la protection accordée aux réfugiés. Enfin, le Comité serait certainement très intéressé par des précisions complémentaires sur les fonctions et l’action du médiateur institué en 1992.

38.M. ABOUL‑NASR salue le rôle joué par la Tunisie dans l’implantation de la culture des droits de l’homme au sud de la Méditerranée et, plus anciennement, dans la transmission de la civilisation islamique à l’Europe. Par ailleurs, M. Aboul‑Nasr relève avec fierté que le régime matrimonial normal en Tunisie, comme en Égypte, est celui de la séparation des biens, ce qui permet de préserver l’indépendance de la femme mariée, qui conserve aussi son nom propre si elle le souhaite. Il dit qu’il serait erroné de préconiser l’atténuation de la charia, ou la loi islamique, car cette dernière est immuable, mais que des modalités d’application pourraient être envisagées.

39.M. LINDGREN ALVES (Rapporteur pour la Tunisie) dit que la Tunisie est un exemple pour sa région et même d’autres régions du monde. Néanmoins, la composante berbère étant constitutive de l’identité tunisienne, le Gouvernement devrait accorder aux Berbères le statut de population autochtone. À ce propos, la délégation tunisienne pourrait-elle indiquer si les patronymes berbères sont interdits, comme certains le prétendent?

40.M. Lindgren Alves remercie la délégation tunisienne des compléments d’information très utiles qu’elles a fournis au Comité. Il se félicite en particulier d’apprendre qu’en Tunisie, la liberté de culte n’est pas garantie uniquement aux pratiquants des trois religions monothéistes mais aussi aux adeptes de toutes les croyances, que la Convention prévaut sur les lois nationales, et que la pauvreté a nettement régressé même si les Berbères demeurent défavorisés. Tout cela le conforte dans l’opinion que la Tunisie est parvenue à un bon équilibre entre la foi et le droit, et il espère que cet équilibre se consolidera dans les années à venir.

41.M. KHEMAKHEM (Tunisie) revient sur deux points qui semblent faire l’objet de malentendus. En premier lieu, certains membres du Comité ont semblé relever des insuffisances dans la manière dont la Tunisie appliquait l’article 4 de la Convention. Or, comme cela a été souligné pendant le débat, toutes les dispositions de la Convention font partie intégrante du droit interne tunisien. En second lieu, l’incitation à la haine raciale est passible de sanctions pénales, mais il est hors de question de condamner quelqu’un qui a des idées racistes tant qu’il ne les propage pas.

42.M. ABOUL‑NASR a abordé la question du patrimoine des époux. En Tunisie, le principe de la séparation des biens est toujours en vigueur, conformément à la charia islamique. La modification de la loi a seulement instauré la possibilité de se marier sous le régime de la communauté de biens, sachant que le choix est laissé aux époux. Cet exemple illustre bien l’orientation qui a été prise, à savoir l’adoption d’un système juridique nourri par la jurisprudence qui ne s’oppose pas à la loi islamique mais la complète utilement. À ce propos, le terme «atténue», employé précédemment, était sans doute inadéquat.

43.M. MANSOUR (Tunisie) dit que tous les enfants tunisiens apprennent à l’école que les Berbères ont été les premiers habitants du pays. La reconnaissance de cette évidence historique est indispensable à l’enracinement de l’identité nationale. Vis-à-vis de l’étranger, la richesse des traditions berbères constitue également un atout largement mis en valeur dans les brochures touristiques qui décrivent le sud tunisien. À ce propos, il importe de souligner que les villages emblématiques de cette culture, comme Tataouine, ont tous conservé leur nom d’origine. Quant aux patronymes berbères, ils n’ont jamais été interdits. Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, il n’y a pas de «problème» berbère en Tunisie.

44.Le Gouvernement tunisien maintient des contacts permanents avec les organisations compétentes en vue d’établir un cadre juridique adéquat qui permettra de mieux gérer la situation des personnes réfugiées sur le territoire national. Il en sera rendu compte dans le prochain rapport périodique de la Tunisie au Comité.

45.M. Mansour souligne que les progrès observés en Tunisie sont le fruit des efforts constants qui ont été accomplis depuis une quinzaine d’années en vue d’améliorer le paysage économique, social et culturel. Cette métamorphose n’aurait pas été possible si la Tunisie n’avait pas été ouverte sur le monde et acquise aux principes des droits de l’homme. Le pays est également à l’écoute de la société civile, et le Gouvernement est entièrement disposé à collaborer avec les ONG, pourvu que soit adoptée de part et d’autre une attitude constructive empreinte de compréhension et de respect mutuels ainsi que d’honnêteté intellectuelle écartant tout parti pris.

46.Le représentant de la Tunisie se félicite du dialogue ouvert qui s’est instauré entre son pays et le Comité et réaffirme la volonté de ce dernier de mettre en œuvre, non seulement la Convention mais aussi tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il est partie.

47.Le PRÉSIDENT souhaiterait éclaircir un malentendu: l’article 4 de la Convention ne condamne pas les idées racistes mais leur diffusion, et exige que les États parties interdisent toute organisation incitant à la haine raciale. Il remercie la délégation tunisienne de l’esprit de coopération dont elle a fait preuve au cours du dialogue avec le Comité.

48. La délégation tunisienne se retire.

La séance est suspendue à 12 h 45; elle est reprise à 12 h 50.

Bilan de l’application de la Convention dans les États parties dont le rapport est très en retard

Papouasie-Nouvelle-Guinée

49.M. VALENCIA-RODRIGUEZ (Rapporteur pour la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée) dit que, conformément au paragraphe 7 de sa décision 1 (60) en date du 14 mars 2002, le Comité doit à nouveau examiner la situation en Papouasie‑Nouvelle‑Guinée, car cet État partie ne s’acquitte pas des obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention, n’ayant présenté au Comité aucun rapport périodique depuis l’examen de son rapport initial, le 15 mars 1984. Il rappelle également que la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée a émis une réserve concernant l’article 4 de la Convention, faisant valoir que les obligations qui y étaient énoncées devaient être conformes aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’homme relatives à la liberté de pensée et d’expression et à sa constitution. Le Comité a appelé, à maintes reprises, l’attention de l’État partie sur le fait que les obligations en question ne s’opposaient nullement aux dispositions de la Déclaration.

50.M. Valencia-Rodriguez explique que dans ce pays où coexistent un millier de tribus et 800 langues et dialectes, des réalités ethniques et culturelles anciennes alimentent d’âpres luttes locales et tribales à tendances nationalistes surtout dans les régions montagneuses. La majorité de la population de la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée est d’origine mélanésienne, tandis que celle de l’île de Bougainville est d’origine majoritairement indonésienne.

51.À plusieurs reprises, lorsqu’il a examiné la situation en Papouasie‑Nouvelle‑Guinée, en particulier à partir de 1993 le Comité a jugé particulièrement préoccupants les graves événements qui ont eu lieu à Bougainville, où se trouve la plus grande mine de cuivre du monde. En 1990, après une décennie d’affrontements avec les forces armées régulières, l’Armée révolutionnaire de Bougainville a proclamé l’indépendance de l’île, qui n’a jamais été reconnue. Ce conflit a fait près de 20 000 morts et des milliers de réfugiés et de personnes déplacées. Malgré l’accord de paix conclu en août 2001, qui prévoit l’établissement d’un régime autonome à Bougainville ainsi que l’organisation d’un référendum sur la question de l’indépendance, de graves violations des droits de l’homme fondées sur l’appartenance ethnique continuent de se produire. Par ailleurs, en mars 2002, l’armée nationale a rasé un camp situé près de Vanimo, géré par l’Église catholique, où s’étaient réfugiés un grand nombre d’Indonésiens qui avaient fui la province d’Irian Jaya, en proie à un conflit entre un groupe séparatiste et l’armée régulière. Au début de 2002, les Gouvernements de la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée et de l’Indonésie se sont entendus sur le retour de milliers de demandeurs d’asile indonésiens, qui a été appliqué selon des méthodes contraignantes qui ont été condamnées par l’Église catholique.

52.Le Rapporteur pour la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée appelle également l’attention des membres du Comité sur la situation préoccupante qui a résulté de l’affaire des réfugiés du «Tampa». Il explique qu’aux termes d’un accord conclu en octobre 2001 entre les autorités australiennes et le Gouvernement papouan‑néo‑guinéen, 216 sur 400 demandeurs d’asile afghans qui avaient été secourus en mer par un navire norvégien, le «Tampa», et qui comptaient demander asile en Australie, ont été transférés sur l’île de Manus, sur le territoire de la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée. Toutefois, des troubles ont éclaté entre la police de Papouasie‑Nouvelle‑Guinée et les demandeurs d’asile ont subi une épidémie de malaria due à des conditions sanitaires déplorables, et fait une grève de la faim. Des groupes de défense des droits de l’homme et des religieux ont demandé la suspension de cet accord dénommé «Solution du Pacifique». Outre le Comité, le Conseil économique et social, la Commission des droits de l’homme et plusieurs ONG ont exprimé leur préoccupation face à la situation qui prévaut à Bougainville et dans les autres lieux qui ont été cités, soulignant que les causes de ces conflits sont économiques et politiques, mais principalement ethniques.

53.En conclusion, M. Valencia-Rodriguez estime que le Comité devrait réitérer à l’intention de la Papouasie‑Nouvelle‑Guinée ses cinq décisions auxquelles cet État partie n’a toujours pas donné suite: insister pour que l’État partie présente au Comité un rapport complet et à jour regroupant les dix rapports périodiques qui auraient dû lui être soumis depuis 1985; demander que ce rapport contienne des renseignements précis sur la composition démographique du pays ainsi que sur la situation économique, sociale et culturelle des différents groupes ethniques et tribaux, sur les situations de discrimination raciale et l’action gouvernementale et, en particulier, des renseignements précis sur la situation à Bougainville; recommander au Gouvernement d’envisager de retirer la réserve à l’article 4 de la Convention; prier le Gouvernement de l’informer de la mise en œuvre de la Déclaration et du Plan d’action de Durban en Papouasie‑Nouvelle‑Guinée; rappeler au Gouvernement qu’il peut bénéficier des services consultatifs et d’assistance technique du Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme pour l’établissement de ses rapports périodiques; indiquer que le Comité fera de nouveau le bilan de l’application de la Convention en Papouasie‑Nouvelle‑Guinée si cet État partie ne manifestait pas l’intention de s’acquitter de l’obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention, et appeler l’attention de l’Assemblée générale sur le cas des autres États parties qui ne remplissent pas non plus cette obligation, afin qu’elle adopte des mesures appropriées.

54.Le PRÉSIDENT dit que, conformément à la pratique du Comité, les recommandations proposées par M. Valencia‑Rodriguez seront transmises à l’État partie après avoir été approuvées par les membres du Comité.

La séance est levée à 13 heures.

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