NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/SR.191518 janvier 2010

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante-quatorzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1915e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 24 février 2009, à 10 heures

Président: Mme DAH

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Rapport initial et deuxième à troisième rapports périodiques de la Turquie (suite)

La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial et deuxième à troisième rapports périodiques de la Turquie (CERD/C/TUR/3; HRI/CORE/TUR/2007; liste des points à traiter et réponses écrites à la liste des points à traiter, documents sans cote distribués en séance, en anglais seulement) (suite)

1. Sur l’invitation de la Présidente, la délégation turque reprend place à la table du Comité.

2.M. KEMAL comprend parfaitement que la Turquie chérisse le principe d’indivisibilité de son territoire et se félicite que la Turquie, État laïc, soit à la fois un pont entre l’Asie et l’Europe et l’Islam et l’Occident.

3.S’agissant de la question de l’identité culturelle, M. Kemal demande à la délégation turque si les autorités pourraient envisager d’accorder davantage de ressources à la promotion de l’identité culturelle et linguistique des minorités telles qu’elles sont définies dans le Traité de Lausanne.

4.M. GÖĞǗŞ (Turquie) s’étonne que, lors de la séance précédente, quasiment toutes les observations des membres du Comité aient porté sur la notion de minorités nationales et en particulier qu’il ait été suggéré à son pays de modifier la définition des minorités énoncée dans le Traité de Lausanne, que certains experts ont jugé «dépassée». Il rappelle qu’en Turquie, les droits des minorités sont régis par le Traité de paix signé en 1923 à Lausanne, conformément auquel, les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane relèvent de la définition des «minorités». Les articles 37 à 45 du Traité de Lausanne, qui sont le fondement de la législation turque et qui portent sur les droits et obligations des personnes appartenant à une minorité non musulmane, sont considérés comme des textes fondamentaux du droit interne turc. M. Göğüş attire l’attention du Comité sur le fait que, conformément à la philosophie de l’État selon laquelle tous les citoyens sont égaux sans discrimination, les citoyens turcs appartenant à une minorité non musulmane jouissent exactement des mêmes droits et libertés que le reste de la population et les exercent dans les mêmes conditions.

5.M. Göğüş réaffirme que le fait de revendiquer l’appartenance à une minorité nationale ne conditionne pas l’existence d’une minorité nationale et n’impose pas aux États l’obligation de reconnaître un groupe de personnes comme constituant une minorité nationale. Il rappelle qu’il n’existe aucune définition internationalement acceptée de la notion de minorité nationale et souligne que son pays n’adhère pas à l’approche de l’auto‑identification qui prône d’octroyer le statut de minorité à un groupe sur la base de ses sentiments ou des perceptions purement subjectives de ses membres. La Turquie réitère que chaque État a le droit souverain de décider quels groupes de citoyens constituent à ses yeux des minorités.

6.M. Göğüş rappelle que la Turquie n’est pas le seul État à ne pas avoir signé la Convention‑Cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales et précise que trois États européens ne l’ont pas signée tandis que quatre autres qui l’ont fait ne l’ont pas encore ratifiée. En outre, plusieurs des États européens signataires ont fait valoir que la reconnaissance des minorités nationales relevait exclusivement du droit des États souverains. M. Göğüş souligne que malgré cet état de fait, la Turquie respecte les droits de l’homme de tous et que quelle que soit leur origine ethnique, tous les citoyens turcs ont le droit de participer sur un pied d’égalité à la vie économique, sociale, culturelle et politique du pays.

7.S’agissant des observations relatives à l’absence de définition de la discrimination dans la législation turque, M. Göğüş rappelle que la Turquie a ratifié la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 2002, qui est entrée en vigueur la même année. L’article 90 de la Constitution turque disposant que les conventions internationales dûment mises en vigueur ont force de loi en Turquie, il s’ensuit que la Convention fait partie du droit interne. La Turquie dispose donc d’une définition de la discrimination, telle qu’énoncée dans l’article premier de la Convention, qui est contraignante pour tous les pouvoirs de l’État.

8.S’agissant de la prétendue absence de loi spécifique interdisant la discrimination raciale en Turquie, M. Göğüş indique que plusieurs lois et règlements l’interdisent expressément. Ainsi, l’article 10 de la Constitution dispose que tous les individus sont égaux devant la loi sans distinction de langue, de race, de couleur, de sexe, d’opinions politiques, de croyances philosophiques ou de religion, notamment. En outre, le nouveau Code pénal turc, qui est entré en vigueur le 1er juin 2005, érige la discrimination en infraction pénale et réprime les actes de discrimination fondés sur la race, la langue, la religion, la nationalité, la couleur de la peau, le sexe, les opinions politiques ou autres, les convictions philosophiques, l’origine nationale ou sociale, la naissance, et la situation économique ou sociale. De plus, l’article 122 du Code pénal dispose que toute personne pratiquant une discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur, le sexe, le handicap, les opinions politiques, les convictions philosophiques, la religion, l’appartenance à une secte ou d’autres considérations similaires et qui, notamment, empêche l’exécution d’un service ou empêche autrui de bénéficier d’un service, ou qui emploie ou refuse d’employer une personne pour ces motifs, ou empêche une personne d’exercer une activité économique régulière, est punie d’un emprisonnement de six mois à un an ou d’une amende judiciaire.

9.M. Göğüş précise que les tribunaux invoquent de plus en plus fréquemment dans leurs jugements les nombreux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme signés depuis une décennie par la Turquie.

10.S’agissant de la signification du terme «Turc» dans l’article 66 de la Constitution, qui dispose qu’«est Turc quiconque est rattaché à l’État turc par le lien de la nationalité», M. Göğüş explique que la Constitution n’ajoute au terme «Turc» aucune connotation raciale ou ethnique et que ce terme renvoie à l’identité nationale de tous les citoyens turcs, quelle que soit leur origine. L’idée exprimée dans l’article 66 de la Constitution illustre les grands principes de la République turque, laquelle n’établit entre ses citoyens aucune distinction fondée notamment sur l’origine ethnique, la religion et la race. Le représentant de la Turquie explique qu’aucune importance n’est attachée juridiquement à l’origine raciale ou ethnique d’un citoyen étant donné que l’identité nationale et la conscience nationale turques ont été définies, au moment de l’établissement de la République, selon des critères territoriaux et non en fonction des liens de sang.

11.M. Göğüş explique en outre que le Parlement a été saisi en mai 2008 d’une proposition d’amendement à l’article 201 du Code pénal tendant à remplacer la notion de «caractère turc» par celle de «nation turque», une formule qui, selon le Gouvernement, renvoie plus largement que la précédente à la notion d’unité nationale. L’article ainsi amendé devrait entrer en vigueur en mai 2009.

12.Concernant l’absence de statistiques sur la composition ethnique de la population turque, M. Göğüş dit que l’article 135 du Code pénal interdit la collecte de données personnelles et leur utilisation, sauf aux fins des assurances, des banques et des services de santé ou pour des travaux de recherche scientifique. La disponibilité de données sur la composition ethnique de la société peut certes s’avérer utile lorsqu’il s’agit de définir des mesures spéciales en faveur des groupes défavorisés, mais le Gouvernement turc est d’avis que, dans une société multiculturelle comme la société turque, il faut mettre en valeur les dénominateurs communs plutôt que les particularismes. En outre, comme l’appartenance ethnique est un sujet sensible, la collecte d’informations à ce sujet risquerait d’être perçue comme une atteinte à la vie privée. Il existe toutefois des statistiques sur l’origine nationale ou la nationalité des personnes vivant en Turquie.

13.Étant donné les disparités socioéconomiques entre régions, le Gouvernement turc a adopté des stratégies ciblées de développement régional afin de garantir les droits économiques et sociaux des populations vivant dans les zones peu développées, dont l’une des principales est le projet de développement de l’Anatolie sud-orientale, dit «projet GAP» (Güneydogu Anadolu Projesi). Ce projet a notamment pour objectif de mettre en valeur le potentiel hydroélectrique et de favoriser le développement économique et social de cette région, d’améliorer le niveau de vie de la population, de favoriser la croissance économique et d’accroître les possibilités d’emploi. Ce projet multisectoriel prévoit la construction de 22 barrages et de 19 centrales hydroélectriques et l’irrigation de 1,7 million d’hectares de terres ainsi que le développement des infrastructures, des transports, de l’industrie, des services de santé, de l’éducation et du tourisme. Le coût total de ce projet est estimé à 32 milliards de dollars des États-Unis d’Amérique. Actuellement, 56,4 % de cette somme a été affecté à l’exécution du projet, dont 83 % à des projets liés à la production d’énergie et 24,5 % à des projets agricoles.

14.En mai 2008, le Premier Ministre, M. Erdogan, a annoncé le lancement d’un nouveau plan d’action ambitieux de développement de l’Anatolie du Sud‑Est pour la période 2008-2012, qui vise à combler l’écart en matière de développement entre cette région et d’autres régions du pays. Depuis le lancement de ce plan, auquel 50 millions d’euros ont été affectés, des progrès substantiels ont été accomplis. Toutefois, il convient de rappeler que l’obstacle majeur au développement socioéconomique de la région est le terrorisme.

15.En ce qui concerne la création d’un organe indépendant de suivi des observations finales du Comité, M. Göğüş indique que le Gouvernement a pris des mesures en vue de créer, conformément aux Principes de Paris, une institution nationale de défense des droits de l’homme qui sera chargée de promouvoir et de protéger les droits de l’homme et d’assurer le suivi des observations finales des organes conventionnels. Le Gouvernement turc entend nommer un médiateur mais il ne pourra le faire que lorsque la Cour constitutionnelle se sera prononcée sur la question de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Le Gouvernement envisage en outre de mettre en place une commission pour l’égalité, qui relèvera soit du Médiateur, soit de l’institution nationale de défense des droits de l’homme. Enfin, la délégation turque signale que la Turquie n’a reçu de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) aucune recommandation tendant à ce que le pays modifie son approche à l’égard des minorités ethniques.

16.En ce qui concerne la minorité orthodoxe grecque et la question des écoles religieuses, M. Göğüş confirme que le séminaire orthodoxe grec de l’île d’Heybeliada est fermé depuis 1971, à la suite d’une décision de justice fondée sur une interprétation des dispositions de la Constitution et de la législation concernant l’enseignement privé. En vertu de la législation turque, les écoles religieuses ne sont autorisées que si elles sont placées sous le contrôle de l’État, restriction qui vaut non seulement pour la communauté orthodoxe grecque, mais aussi pour toutes les autres minorités religieuses établies en Turquie. Les deux propositions qui ont été soumises respectivement en 1971 et en 1999 pour surmonter les obstacles juridiques à la réouverture du séminaire d’Heybeliada ont été rejetées par le Patriarcat et une proposition tendant à rouvrir cet établissement au sein de l’une des universités publiques d’Istanbul n’a suscité aucune réaction des intéressés. Néanmoins, le Ministère de l’éducation nationale continue de rechercher une solution qui permettrait à cet établissement de rouvrir ses portes.

17.Conformément au traité de paix de Lausanne de 1923, le Patriarcat a été autorisé à rester en Turquie à condition de se limiter à des activités strictement religieuses ciblant exclusivement la minorité orthodoxe grecque d’Istanbul. Ainsi, le Patriarcat a dû abandonner tous les privilèges politiques et administratifs qui lui avaient été octroyés par les autorités de l’Empire ottoman, ce qui était indispensable puisque la République turque était devenue un État laïc. La laïcité de la République turque est la raison pour laquelle les communautés religieuses ne peuvent pas être dotées de la personnalité juridique, ce qui vaut également pour les communautés musulmanes. En conséquence, les communautés non musulmanes qui souhaitent avoir la personnalité juridique l’obtiennent en créant des fondations. À la suite de modifications apportées en 2002 à la législation pertinente, des fondations créées par la communauté orthodoxe grecque ont entrepris des démarches à l’issue desquelles 190 biens immobiliers ont été enregistrés à leur nom. En vertu d’un amendement adopté en 2003, des restrictions limitant les droits des fondations non musulmanes ayant été abolies, celles-ci peuvent désormais acquérir des biens immobiliers. L’affirmation selon laquelle le nombre de biens immobiliers appartenant aux communautés non musulmanes serait en baisse est erronée: au cours des six derniers mois écoulés, 128 nouveaux biens immobiliers ont été enregistrés au nom d’une fondation religieuse non musulmane.

18.S’agissant de l’affaire Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique) c. Turquie, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à la violation par la Turquie de l’article premier (Protection de la propriété) du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, M. Göğüş indique que les autorités turques élaborent actuellement la réponse que la Cour a demandé à la Turquie de lui soumettre avant avril 2009.

19.Concernant la situation des Roms en Turquie, M. Göğüş indique qu’il existe 931 fonds de solidarité sociale dans le pays, ce qui permet aux administrations locales des provinces où vivent des ressortissants turcs d’ascendance rom d’allouer à ces personnes des aides sous forme d’allocations familiales, d’allocations d’études et de logement et de bourses d’études, entre autres. Le Ministère de la culture et du tourisme organise diverses manifestations culturelles afin de promouvoir et de préserver la musique et le folklore des Roms de Turquie.

20.Concernant les droits des ressortissants turcs d’origine kurde et les affirmations selon lesquelles les hommes politiques kurdes seraient en butte à des persécutions, M. Göğüş dit que les Turcs d’origine kurde qui respectent les lois ne sont pas persécutés et qu’aucun groupe ou individu n’est la cible de persécutions en Turquie, uniquement en raison de son origine ethnique. En outre, il signale que la Cour européenne des droits de l’homme n’a constaté dans aucune de ses décisions que les Kurdes étaient victimes de discrimination en Turquie. S’agissant de l’enregistrement des enfants dont le nom comporte des lettres qui n’existent pas dans l’alphabet turc, M. Göğüş indique qu’une requête concernant cette question est en instance devant la Cour européenne des droits de l’homme et que les autorités turques attendent la décision de cette juridiction pour prendre des mesures.

21.Notant que des cas de violence raciste ont été évoqués par des membres du Comité, M. Göğüş indique à propos du meurtre du journaliste turc d’origine arménienne, Hrant Dink, que les auteurs présumés de ce crime ont été arrêtés dans les trente‑six heures, qu’une enquête a été immédiatement ouverte et que la procédure est en cours. Bien que le fait qu’un acte de violence soit motivé par des sentiments racistes ne soit pas considéré comme une circonstance aggravante dans la législation turque, cet incident a été qualifié par les tribunaux d’homicide volontaire avec préméditation, soit une infraction passible d’une peine d’emprisonnement à vie, conformément à l’article 82 du Code pénal. Les affaires de cette nature sont traitées avec diligence par les autorités compétentes, qui ne ménagent aucun effort pour que les responsables soient traduits en justice. Dans une circulaire publiée en juin 2007, le Ministère de l’intérieur a ordonné à toutes les autorités concernées d’être extrêmement vigilantes afin d’empêcher que des incidents de ce type ne se reproduisent.

22.En 2005, dans le cadre du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, le Gouvernement a annoncé son intention de lever la réserve géographique de la Turquie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le délégué dit que le retrait de cette réserve aura probablement lieu au moment de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, en 2012.

23.L’élimination de la violence contre les femmes figure au nombre des priorités du Gouvernement turc en matière de droits de l’homme et la prévention et la lutte contre la violence contre les femmes fait partie intégrante du plan national de développement pour 2007‑2013. Avec l’adoption du nouveau Code pénal, qui est entré en vigueur en 2005, des dispositions réprimant les homicides commis contre des femmes en raison des coutumes ont été introduites dans le droit interne. Ainsi, en vertu de l’article 82 dudit code, le fait qu’un homicide soit commis au nom des coutumes constitue une circonstance aggravante et ce type d’infraction est puni d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.

24.En juillet 2005, une commission parlementaire d’enquête a publié un rapport complet sur les causes profondes des violences infligées aux femmes et aux enfants en Turquie. Le Gouvernement a approuvé ce document sans réserve et a donné suite aux recommandations qui y étaient contenues en publiant, en juillet 2006, une circulaire prévoyant un plan d’action pour la prévention et l’élimination des violences contre les femmes, dont les meurtres commis au nom des coutumes et de l’honneur. La coordination au plan national de l’application de cette circulaire a été confiée à la Direction générale chargée de la condition de la femme et un ensemble d’actions concertées sont en cours. En 2004, une campagne de sensibilisation à la violence contre les femmes a été lancée dans le cadre d’un programme à long terme mis en œuvre par le Ministère d’État de la femme et de la famille, en collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP).

25.Un comité de surveillance des violences contre les femmes composé notamment de représentants d’organisations non gouvernementales et de tous les services publics concernés a été créé par la Direction générale chargée de la condition de la femme. Ce comité a pour tâche de vérifier si la circulaire susmentionnée est effectivement appliquée. En 2008, le Ministre de la femme et de la famille a présenté au Parlement, qui l’examine, un projet de loi portant création d’une commission pour l’égalité des chances.

26.En outre, dans la circulaire susmentionnée, le Gouvernement a encouragé les autorités locales à intensifier leurs efforts pour appliquer dans les meilleurs délais la loi prévoyant la création, dans toutes les villes comptant au moins 50 000 habitants, de foyers d’accueil pour les femmes et les enfants victimes de la violence familiale. En janvier 2009, il y avait 49 foyers de ce type.

27.La Turquie a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le Protocole facultatif s’y rapportant, et a déjà accueilli deux fois la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, Mme Yakin Ertürk, en mai 2006 et en 2008. Certaines des recommandations formulées par la Rapporteuse spéciale dans son rapport ont déjà été appliquées.

28.La délégation turque s’insurge contre la comparaison qui a été faite par certains membres du Comité entre la situation dans la zone nord de Chypre et la situation dans les territoires occupés par Israël. La présence d’une force militaire turque dans le nord de l’île est parfaitement légitime car elle se justifie par la nécessité d’assurer la sécurité de la population et de maintenir la paix. La délégation turque estime que le Comité n’a pas pour mandat de traiter des questions à caractère politique et que d’autres organes de l’ONU sont mieux qualifiés que lui pour s’occuper de la situation à Chypre.

29.Enfin, M. Göğüş dit qu’une chaîne publique de télévision, TRT-6 a commencé à diffuser des émissions en kurmandji et en zaza vingt-quatre heures sur vingt-quatre et que, dans un avenir proche, elle pourra diffuser également des émissions en sorani et en persan.

30.M. LINDGREN ALVES demande des précisions sur le délit de dénigrement et voudrait savoir si le fait de critiquer vivement la Turquie est passible de poursuites, rappelant que la liberté d’expression est un principe sacré, à moins que les propos tenus ne mettent en péril la sécurité nationale. Il demande ensuite à la délégation s’il est vrai que les noms propres écrits dans un alphabet autre que l’alphabet turc sont interdits, ce qui empêcherait les membres de certaines ethnies de donner à leur enfant un prénom propre à leur communauté.

31.M. Lindgren Alves dit qu’octroyer à des groupes ethniques le statut de minorités n’est pas le seul moyen de les protéger contre les persécutions, et que d’une manière générale, toute utilisation excessive de la force contre un groupe quel qu’il soit est condamnable.

32.M. DIACONU est lui aussi d’avis que l’État partie n’est pas tenu de reconnaître officiellement le statut de minorités nationales aux différents groupes ethniques du pays, mais estime que celui-ci devrait se fonder sur certains critères objectifs – tels que la langue, la culture, les traditions ou encore la religion – pour faire une distinction entre ces groupes en vue de leur octroyer certains droits. Quoi qu’il en soit, il considère que donner le statut de minorité ethnique à certains groupes ne met aucunement en péril la souveraineté de l’État.

33.Étant donné que la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale fait partie intégrante du droit interne, l’État partie devrait recueillir impérativement, officiellement ou non, des données statistiques sur les divers groupes ethniques du pays afin de déterminer si ceux‑ci sont victimes de discrimination fondée sur l’un des motifs énoncés dans la Convention. C’est ainsi que l’État partie pourra formuler des politiques en vue d’améliorer la situation politique et sociale du pays, comme il l’a d’ailleurs fait en faveur de la région de l’Anatolie.

34.M. Diaconu souligne que la diversité des groupes ethniques fait la richesse du pays et devrait être préservée. L’État partie devrait donc veiller à bien faire respecter sur son territoire les principes consacrés à l’article 5 de la Convention, relatifs notamment à l’enseignement et à la formation ainsi qu’à la possibilité de tous de prendre part, dans des conditions d'égalité, aux activités culturelles. Pour cela, il devra veiller à ce que l’enseignement soit dispensé dans la langue maternelle des différents groupes ethniques.

35.M. de GOUTTES croit comprendre qu’en vertu de l’article 216 du Code pénal, l’incitation à la haine raciale doit, pour être qualifiée d’infraction, à la fois viser un groupe de personnes et «constituer un danger évident et imminent pour l’ordre public». Il voudrait savoir si les particuliers sont protégés à titre individuel par cette disposition du Code pénal, en particulier dans les cas où les actes dont ils sont victimes ne mettent pas en danger l’ordre public.

36.Se référant au paragraphe 86 du rapport à l’examen, M. de Gouttes aimerait également savoir si en pratique, des poursuites ont déjà été engagées contre des personnes ayant recueilli illicitement des données personnelles relatives à l’origine raciale ou ethnique.

37.L’expert prie la délégation d’indiquer si l’État partie envisage d’introduire dans sa législation pénale une disposition prévoyant que la motivation raciale d’un crime ou d’un délit constitue une circonstance aggravante générale, et s’il a prévu d’inverser la charge de la preuve en matière civile, notamment dans les affaires de racisme et de discrimination raciale. En outre, la délégation voudra bien indiquer si en matière pénale, l’État partie admet la pratique du «testing», qui consiste à constater dans les faits que les responsables de restaurants, discothèques et autres établissements font des discriminations à l’entrée entre les clients.

38.M. SICILIANOS cite un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) qui demande instamment aux autorités turques d’instaurer un dialogue constructif avec les représentants des groupes minoritaires, encore perçus comme une menace plutôt que comme un atout au sein de l’État partie. C’est bien, selon M. Sicilianos, la preuve que cette instance du Conseil de l’Europe a invité l’État partie à changer d’attitude vis-à-vis des autorités.

39.M. Sicilianos affirme ensuite que la Cour européenne des droits de l’homme a rendu de nombreux arrêts dans des affaires concernant des Kurdes, ayant trait à des disparitions forcées ainsi qu’à des violations des articles de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs au droit à la vie, à l’interdiction de la torture ou au droit à la propriété. La seule raison pour laquelle l’État partie n’a pas été expressément condamné en application de l’article 14 de cette Convention est que cet article n’est pas une disposition autonome et doit être lu en conjonction avec une disposition substantielle de cet instrument. L’on ne peut donc pas en conclure qu’il n’y a eu dans l’État partie aucun cas de discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique, et que les membres des minorités grecque et kurde sont à l’abri de ce phénomène.

40.Pour ce qui est de la diminution drastique du nombre de personnes appartenant à la minorité grecque, les chiffres parlent d’eux‑mêmes: de 130 000 membres à l’époque de la signature du traité de Lausanne en 1923, elle est tombée à quelque 3 000 personnes aujourd’hui. Ces statistiques corroborent les informations du rapport de l’ECRI, qui appelle l’État partie à prendre des mesures urgentes pour que la communauté grecque puisse survivre en Turquie.

41.M. Sicilianos fait observer que la Cour européenne des droits de l’homme a constaté dans son arrêt du 10 mai 2001 concernant l’affaire Chypre c. Turquie que la Convention européenne des droits de l’homme s’appliquait en dehors du territoire national, et notamment dans la partie nord de l’île de Chypre, et que les violations de cette Convention étaient imputables à la Turquie.

42.M. PROSPER dit que le Comité a pour vocation de s’assurer que les États parties veillent à créer dans leur pays les conditions propices à l’instauration de l’égalité des chances, à savoir qu’ils donnent aux différents groupes ethniques des moyens identiques de progrès social.

43.M. Prosper ne juge pas nécessaire que l’État partie confère aux groupes ethniques le statut de minorité nationale, mais estime qu’il devrait faire en sorte de recueillir des données statistiques sur ces groupes afin de dresser un tableau plus précis de la composition ethnique de la population. L’importance numérique de chacun des groupes ethniques permettra par la suite aux autorités compétentes d’évaluer leur situation individuelle au regard de la discrimination, et au besoin, de prendre des mesures correctives. M. Prosper souligne que la collecte de ces données statistiques n’exige pas obligatoirement un recensement officiel de la population: une procédure volontaire conviendrait également.

La séance est suspendue à 11 h 55; elle est reprise à 12 h 15.

44.M. GÖĞǗŞ (Turquie) informe les membres du Comité que le second forum de l’Alliance des civilisations se tiendra à Istanbul les 6 et 7 avril 1009. Il assure les membres du Comité que le principe de l’égalité des chances est dûment appliqué et respecté en Turquie, comme en témoigne le fait que des citoyens turcs d’origines diverses, y compris kurde, occupent des postes à responsabilité dans l’administration et dans l’armée, ainsi que des sièges au Parlement.

45.Répondant à une intervention, M. Göğüş fait observer que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais affirmé dans ses arrêts que des membres de minorités étaient victimes de discriminations fondées sur l’origine raciale ou ethnique en Turquie. Par ailleurs, il dit que les échanges de populations entre la Turquie et Chypre ont toujours été effectués à titre volontaire. Aucune minorité n’a été contrainte de quitter le territoire turc pour s’installer, par exemple, dans la partie grecque de Chypre. Il rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais parlé d’occupation pour décrire les opérations militaires de la Turquie dans le nord de l’île de Chypre.

46.Sur un autre point, M. Göğüş confirme que nul n’a été condamné pour avoir recueilli des données relatives à l’origine raciale ou ethnique à des fins scientifiques ou universitaires. Il ajoute que différents mécanismes sont compétents pour recueillir des plaintes émanant de particuliers s’estimant victimes de discrimination à l’échelon local. Comme l’a déjà expliqué sa délégation, il existe plus d’une dizaine de communautés qui parlent des langues et dialectes autres que le turc et que l’on ne pourrait obliger la Turquie à dispenser un enseignement dans la langue maternelle de chaque communauté. En revanche, les minorités sont libres de s’exprimer dans la langue de leur choix et d’organiser des cours pour l’enseignement de leur langue.

47.M. Göğüş prend note de la suggestion faite par un expert de faire de la motivation raciale d’un crime une circonstance aggravante et la transmettra au Ministère de la justice. Il partage l’avis de l’expert du Comité selon lequel les forces de sécurité ne devraient pas faire un usage excessif de la force contre les manifestations pacifiques, y compris celles organisées par des groupes minoritaires. Afin de lutter contre les dérives de ce type, le Gouvernement a décidé d’inscrire un numéro sur tous les casques des agents des forces de l’ordre. Ainsi, ces agents peuvent être dûment identifiés et dénoncés s’ils se livrent à des exactions et à des violations des droits de l’homme.

48.Enfin, M. Göğüş affirme que les parents sont libres de donner le prénom de leur choix à leur enfant, à condition que ce prénom puisse s’écrire dans l’alphabet turc. Aucune autre restriction ne s’applique en la matière.

49.M. THORNBERRY (Rapporteur pour la Turquie) se félicite des nombreux amendements apportés à la législation par les autorités turques, notamment dans l’optique de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. La délégation a fourni nombre d’informations précieuses sur son arsenal législatif. Pour ce qui est de la discrimination de facto, le Comité souhaiterait que l’État partie fournisse au Comité, dans son prochain rapport périodique, des éclaircissements sur le statut des minorités nationales ainsi que sur les restrictions de la liberté d’expression. Le Rapporteur note avec satisfaction que l’exercice des droits fondamentaux pose de moins en moins de problèmes dans le pays mais regrette qu’une législation antidiscriminatoire n’ait pas été adoptée. La Turquie est l’un des pays du continent européen qui évoluent très rapidement. Au‑delà de la promotion de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les citoyens, l’État partie doit encore accomplir des progrès en matière de promotion de la diversité.

50.La PRÉSIDENTE remercie chaleureusement la délégation turque pour le dialogue de qualité qu’elle a instauré avec le Comité. La Turquie est un pays qui a décidé d’ouvrir les frontières de l’Europe à de nouveaux horizons, notamment sur le monde musulman. Cette décision politique aura certainement des effets considérables sur la promotion des droits de l’homme dans le monde entier.

51.M. GÖĞǗŞ (Turquie) dit que son pays est déterminé à s’acquitter de toutes les obligations qui lui incombent en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il rappelle que la Turquie ne tolère aucune pratique discriminatoire et n’épargne aucun effort pour promouvoir l’État de droit et l’égalité de traitement entre tous les citoyens, sans distinction aucune. La délégation turque a pris bonne note des observations et suggestions constructives des membres du Comité et en fera part aux autorités compétentes dès son retour à la capitale.

La séance est levée à 12 h 50.

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