NATIONS

UNIES

CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/SR.16847 mars 2005

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑sixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 1684e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le 1er mars 2005, à 10 heures

Président: M. YUTZIS

SOMMAIRE

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

Débat thématique sur la prévention du génocide (suite)

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l’ordre du jour) (suite)

Débat thématique sur la prévention du génocide (suite)

1.Le président remercie le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide de sa présence qui est un privilège et un avantage en ce que l’interaction que le Comité peut avoir avec d’autres organes spécialisés et d’éminentes personnalités lui permet d’approfondir les questions. Il invite les experts à poursuivre le débat thématique sur la question du génocide.

2.M. SHAHI (Rapporteur du Comité sur la question du génocide) dit que les déclarations faites à la séance précédente, consacrée au débat thématique sur la question du génocide, ont fait ressortir les vraies questions et les lacunes qui existent en matière de prévention. Il a été particulièrement sensible à la communication du Conseiller spécial pour la prévention du génocide, dont la fonction vient combler une vraie lacune dans la mesure où le Comité ne se réunit chaque année que pour deux sessions de trois semaines. Désormais une personne est disponible pour suivre les situations tout au long de l’année, envoyer des alertes et faire des recommandations au Secrétaire général, comme le Conseiller spécial l’a déjà fait à propos du Darfour (Soudan) et de la Côte d’Ivoire. Le Comité entend coopérer étroitement avec le Conseiller spécial lorsque, en examinant la suite donnée par les états parties à ses observations finales et recommandations, il estimera nécessaire d’appeler l’attention du Secrétaire général ou, par son intermédiaire, celle du Conseil de sécurité sur une situation nécessitant une action propre à prévenir un génocide.

3.Si l’alerte rapide, priorité du mandat du Conseiller spécial, est indispensable, le vrai problème demeure celui de l’action urgente et du manque de volonté politique de la communauté internationale pour agir, comme on l’a vu par exemple dans le cas du génocide rwandais. À cet égard, M. Shahi a particulièrement apprécié un rapport d’ONG qui souligne le rôle inestimable que peuvent jouer les ONG et la société civile en exhortant les gouvernements à agir pour prévenir un génocide.

4.Le président, parlant en sa qualité d’expert, observe que, dans l’invitation à participer au débat thématique que le secrétariat du Comité avait envoyée longtemps à l’avance, le Comité avait indiqué que l’identification d’indicateurs était une question fondamentale; or cette question ne semble pas avoir été largement évoquée lors du débat.

5.M. YUTZIS dit que la prévention est un aspect essentiel dans les situations de génocide. Il a souligné à maintes reprises dans différentes circonstances qu’il faut définitivement en finir avec la pratique consistant à agir après les faits ou quand les faits sont en train de se produire, car il est alors toujours trop tard dans la mesure où des vies humaines sont en jeu.

6.Au sein du Comité lui‑même, on a souvent évoqué les difficultés que le Comité avait pu avoir à apprécier la situation dans les pays de l’ex‑Yougoslavie. Les documents de l’époque témoignent d’une certaine cécité devant les symptômes de ce qui allait se produire, même s’il peut être difficile de prévoir sur le moment l’ampleur d’un conflit qui s’annonce.

7.M. VALENCIA rodríguez déclare que les peuples vainqueurs ont de tous temps anéanti les vaincus, sans distinction de sexe, d’âge, de condition sociale, de race ou de situation économique. Nul ne sait au juste combien de millions d’Amérindiens ont péri à la suite de la découverte de l’Amérique et du processus de colonisation. Le même phénomène s’est produit en Afrique où les Noirs furent pourchassés afin d’être emmenés vers d’autres terres comme esclaves. De telles pratiques étaient admises par le droit et la religion car on considérait légitime que les peuples soi‑disant civilisés anéantissent les peuples dits sauvages, seule manière de leur inculquer les principes de leur civilisation et de leur religion. Comme l’a dit le Secrétaire général de l’ONU, le génocide est un nom nouveau pour un crime ancien, aussi vieux que l’histoire de l’humanité.

8.Dans des temps plus récents, alors que le droit était considéré comme la seule norme devant régir la conduite des hommes, l’histoire nous apprend que des millions d’êtres humains − Arméniens, Ukrainiens, Juifs, Tziganes, Slaves, Russes, Chinois, Ibos, Bengalis, Cambodgiens, Rwandais, Nord‑Coréens, Burundais, Soudanais, Ougandais − ont été victimes de génocides. En Afrique et en Asie, on peut dire que ce crime est endémique. Sur le continent américain, en Amérique centrale et du Sud, des régimes militaires ont anéanti des millions d’êtres humains coupables de ne pas se soumettre à ces régimes ou de professer des idées opposées aux leurs.

9.Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays vainqueurs ont créé le Tribunal militaire de Nuremberg pour juger les criminels de guerre. En 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, aujourd’hui en vigueur. Cela n’a pourtant pas permis d’éviter de nouveaux crimes de génocide. En 1994, alors que près d’un million de Tutsis étaient exterminés au Rwanda, les grandes puissances débattaient du point de savoir s’il s’agissait d’un génocide du point de vue juridique. Qu’il s’agisse du Rwanda, du massacre de Srebrenica ou de la République démocratique du Congo, les exemples ne manquent pas où la communauté internationale est restée indifférente ou impuissante face aux événements. Elle fait preuve aujourd’hui de la même passivité devant la situation au Darfour, alors que plusieurs personnalités ont lancé des avertissements à propos du génocide qui s’y déroulerait.

10.Les causes du génocide − politiques, économiques, sociales, culturelles − sont nombreuses mais à y regarder de près elles ont toute une origine commune: la haine d’une race, d’une ethnie, d’une culture ou d’un groupe humain. C’est ce qui a amené le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale à instituer, en 1993, une procédure spéciale appelée «mesures d’alerte rapide et procédure d’action urgente», en application de laquelle il s’est saisi notamment de situations qui menaçaient de dégénérer en génocide.

11.Le Programme d’action adopté en 2001 à l’issue de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée a recommandé que les organismes, organes et programmes compétents des Nations Unies coordonnent davantage leur action en vue d’identifier les violations graves et systématiques des droits de l’homme et du droit humanitaire et d’évaluer les risques d’une détérioration accrue pouvant entraîner un génocide, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Le Comité se demande aujourd’hui ce qu’il pourrait faire de plus pour contribuer à la prévention et à la répression du génocide. Ses efforts seront vains sans une action politique claire et définitive de tous les états Membres, en particulier de ceux qui siègent au Conseil de sécurité. Bien souvent, les intérêts politiques des grandes puissances freinent les mesures que le Conseil devrait prendre pour faire face aux cas possibles de génocide ou pour intervenir efficacement quand un génocide a été commis.

12.Partant des conclusions du rapport de la Commission indépendante d’enquête sur les actions de l’Organisation des Nations Unies lors du génocide de 1994 au Rwanda (S/1999/1257), en date du 15 décembre 1999, et des recommandations de Gregory Stanton, directeur de la campagne mondiale de la World Federalist Association des états‑Unis pour mettre fin aux génocides, M. Valencia Rodríguez résume les points essentiels d’une action de la communauté internationale contre le génocide: un fonctionnement effectif et universel de la Cour pénale internationale; l’appui au dispositif d’alerte rapide et aux procédures d’urgence au moyen duquel le Comité signale au Conseil de sécurité les risques de conflit ethnique et de génocide; la création d’une force de réaction rapide des Nations Unies capable d’intervenir rapidement pour prévenir les actes de génocide ou les violations graves des droits de l’homme où qu’ils se produisent; la réforme du droit de veto au Conseil de sécurité afin d’en assouplir l’utilisation dans les situations de génocide; l’obtention par l’ONU de la coopération la plus large possible d’acteurs extérieurs, y compris celle des ONG dont l’impartialité et la compétence sur le sujet sont reconnues; une vaste action d’information du public sur la nature des génocides et sur leur prévention en vue d’obtenir le soutien le plus large possible de l’opinion publique internationale.

13.M. PILLAI propose que la communauté internationale se penche sur la nécessité d’une étude des effets génocidaires de la mondialisation économique. En effet, partout dans le monde, les gouvernements de toutes tendances politiques paraissent incapables d’empêcher les conséquences de la mondialisation, tout en essayant de s’adapter sur le plan interne de manière à pouvoir faire face le mieux possible à ce changement, au détriment d’une partie de la société, notamment les groupes ethniques et les populations autochtones.

14.Au cours des années 90, on a assisté à une évolution croissante des réglementations nationales vers des conditions plus favorables à l’investissement étranger direct (IED). Or cet investissement va en priorité aux secteurs où l’investisseur étranger peut obtenir le maximum de profit en un minimum de temps. Du coup, le gouvernement du pays récepteur se concentre sur la fourniture de services, notamment d’infrastructure, afin de rentabiliser le plus possible cet investissement, souvent au détriment de secteurs sociaux comme la santé et l’éducation. Souvent l’investissement bénéficie à certaines zones géographiques du pays, au détriment de vastes régions habitées par des groupes ethniques qui sont délaissées, et les disparités socioéconomiques entre les collectivités s’accroissent. Dans d’autres cas, les investissements portent sur des projets gigantesques dans des secteurs tels que l’extraction minière, la production d’électricité, la foresterie ou les plantations agricoles qui s’installent dans des régions habitées en grande partie par des populations autochtones, perturbant les modes de vie et dégradant l’environnement, sans que le droit des populations à la terre et aux ressources soit dûment reconnu, et sans s’assurer de leur consentement libre et éclairé préalable. Quand elles reçoivent une compensation financière, ces populations se retrouvent plongées dans une réalité économique dont les modalités de fonctionnement sont étrangères à une culture autochtone. Elles migrent de façon dispersée vers les centres urbains pour trouver du travail, perdant progressivement leur identité.

15.La mondialisation économique a sensiblement accru la mobilité des capitaux, ce qui a eu pour conséquence d’affaiblir considérablement le pouvoir de négociation des travailleurs. La concurrence internationale accrue que se livrent les pays pour obtenir l’IED et l’accès aux marchés les a amenés à réduire la protection sociale. La détérioration qualitative de l’emploi est une préoccupation croissante. Les catégories de population les plus touchées sont les pauvres, les analphabètes et les non‑qualifiés, ainsi que les travailleurs migrants.

16.Il paraît difficile que les gouvernements de nombreux pays en développement et développés puissent trouver une réponse satisfaisante aux problèmes qui touchent les minorités ethniques et les populations autochtones lorsque dans le pays même de puissants groupes d’intérêt nationaux, cherchant à obtenir des contreparties aux exigences de développement, désavantagent ces groupes de population et les forcent à abandonner leurs repères socioéconomiques.

17.M. Pillai souhaite seulement signaler certains aspects de l’impact de la mondialisation économique sur certains groupes de population et montrer comment cette évolution pourrait conduire à un phénomène de «disparition qualitative» de ces populations. Devant cette situation nouvelle, il conviendrait peut‑être de reconsidérer ce que l’on appelle le génocide, et les pays pourraient parvenir à une compréhension commune des aspects génocidaires de la mondialisation.

18.M. THORNBERRY fait observer que l’incitation à la haine, en déshumanisant et en dégradant autrui, ouvre la voie à des situations pouvant aboutir à un génocide, en particulier lorsqu’elle est assortie d’un discours prônant la supériorité d’une civilisation sur une autre ou l’idée que certaines populations sont plus avancées ou attardées que d’autres. Les théories de ce type, qui ont fleuri dès le XIXe siècle, ne résistent pas aux normes contemporaines relatives aux droits de l’homme, qui mettent en avant la diversité et l’égalité. Dans ce contexte, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est particulièrement bien placé pour déceler, lorsqu’il examine les rapports des États parties, les symptômes annonciateurs d’un génocide naissant, notamment en passant en revue les questions relatives à l’administration de la justice, à la place des langues minoritaires dans le pays, aux stéréotypes, à la discrimination dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, à l’éducation à la tolérance − autant de facteurs qui permettent d’établir «le bilan de santé» de la société observée.

19.Étant donné qu’il ne siège pas de manière permanente, le Comité ne peut pas toujours réagir aussi rapidement lorsque la situation est particulièrement alarmante dans l’un des États parties à la Convention. Aussi sa fonction première est‑elle d’encourager ces derniers à procéder à un examen critique régulier de la situation des droits de l’homme sur leur territoire en tenant compte des normes internationales en vigueur, et notamment des dispositions de la Convention. Par ailleurs, pour éviter de dévaloriser son action et de saper les efforts déployés au niveau international pour lutter contre les violations des droits de l’homme, il est préférable que le Comité ne prenne des mesures d’alerte rapide ou n’engage une procédure d’action urgente qu’en cas de violations graves de la Convention exigeant une attention immédiate. À cet égard, l’on peut se féliciter de la création récente du Groupe de travail chargé des mesures d’alerte rapide et des procédures d’action urgente et du projet qu’a le Comité de définir des critères plus précis applicables à ces procédures, notamment une procédure d’examen de leur recevabilité semblable au dispositif appliqué aux communications individuelles. L’action du Comité en sera ainsi renforcée et il pourra espérer instaurer un monde de paix et de tolérance.

20.M. TANG dit que le Comité peut jouer un rôle important dans la prévention du génocide en faisant en sorte que les États parties éliminent dès qu’elles apparaissent les causes profondes de ce phénomène que sont l’incitation à la haine, l’intolérance et la discrimination raciale.

21.M. Tang affirme que le rôle du Comité serait renforcé s’il était investi d’un mandat de suivi qui lui permettait d’appeler, en temps voulu, l’attention du Secrétaire général sur la gravité de la situation dans un pays donné. Il souligne qu’il importe que le Comité reçoive des informations exhaustives, fiables et actualisées pour mener à bien son action et analyser la situation en toute connaissance de cause et, à ce sujet, appelle de ses vœux l’intensification de la coopération avec les ONG, dont l’aide est précieuse. M. Tang se félicite à son tour de la création du Groupe de travail chargé des mesures d’alerte rapide et des procédures d’action urgente et préconise de l’investir de pouvoirs supplémentaires. Il pense que le rôle du Comité est limité par l’absence d’un mécanisme de mise en œuvre de la Convention et qu’il serait primordial de modifier le mandat du Comité de manière à lui permettre de travailler de concert avec les autres organes conventionnels en vue d’une plus grande efficacité. Enfin, le Comité devrait accorder la même importance à la lutte contre la discrimination raciale et à la prévention du génocide, afin qu’aucune de ces questions ne prenne le pas sur l’autre.

22.M. KJAERUM dit que partout dans le monde les minorités raciales, ethniques et autres sont victimes de violations massives et systématiques des droits de l’homme, rendues possibles par des lois et des pratiques discriminatoires ou le non‑respect du principe de l’égalité de tous indépendamment de la race, de l’origine ethnique, de la couleur de la peau ou de la nationalité. Aucune de ces formes de violence, qu’il s’agisse de génocide ou d’ethnocide, ne devrait échapper à la vigilance de la communauté internationale. En tant que principal organe de l’ONU chargé de l’élimination de la discrimination raciale, le Comité a un rôle important à jouer et doit garder à l’esprit le lien qui existe entre l’éradication de la discrimination raciale et la prévention de conflits violents, y compris des génocides.

23.Le Comité a déjà recouru à plus de 20 reprises à des mesures d’alerte rapide ou à la procédure d’action urgente, y compris pour tenter d’arrêter le massacre de 800 000 Tutsis au Rwanda en 1994 et d’enrayer le processus de purification ethnique en Bosnie‑Herzégovine en 1994‑1995. Dans ces deux derniers cas, les efforts entrepris par le Comité en vue de faire cesser le conflit et les violations massives des droits de l’homme ont été vains, comme l’ont été dans une large mesure ses appels récents pour la cessation des crimes contre l’humanité au Darfour, qui confinaient au crime de génocide. Dans le cas de l’ex‑Yougoslavie et du Darfour, le Comité ne s’est pas prononcé suffisamment tôt pour réussir à mettre un frein aux violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme. Dans d’autres, les solutions préconisées auraient dû être plus concrètes. Une analyse plus approfondie de ces situations permettrait sans doute d’apprendre des erreurs du passé.

24.M. Kjaerum est convaincu que le Comité, en coopération avec de nombreuses institutions, a permis de prévenir des conflits violents qui auraient pu dégénérer et aboutir à un génocide. Les efforts du Comité n’ont pas été vains, même si le système mérite d’être renforcé. Les mesures d’alerte rapide et la procédure d’action urgente dont dispose le Comité lui permettent de répondre à la fois aux violations graves de la Convention, qui exigent une attention immédiate, et aux pratiques qui risquent d’aboutir à un conflit violent si elles ne sont pas maîtrisées à temps.

25.M. Kjaerum affirme que le Comité peut jouer un rôle crucial en communiquant au Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide, M. Mendez, des informations relatives aux lois, aux politiques ou aux pratiques qui peuvent être le signe d’une discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique et risquent d’aboutir à des conflits violents ou à un génocide. Aussi est‑il favorable à l’idée de nouer des relations étroites avec le Conseiller spécial, de manière à renforcer les liens entre les mécanismes de l’ONU relatifs aux droits de l’homme et les mécanismes de sécurité de l’Organisation, tels que le Conseil de sécurité.

26.La question du suivi revêt une importance toute particulière lorsque les violations massives et flagrantes des droits de l’homme comportent un élément de discrimination raciale. Le coordonnateur du Comité chargé des questions de suivi a donc un rôle important à jouer pour combattre les manifestations de racisme qui risquent d’aboutir à un génocide.

27.M. Kjaerum se félicite également de ce que le document de base élargi destiné à tous les organes conventionnels comportera plusieurs chapitres sur la discrimination raciale, qui appelleront l’attention des autres organes conventionnels sur les causes profondes du génocide. Le Président du Comité sera donc en mesure d’aborder aisément les questions relatives à ce thème à l’occasion de la réunion annuelle des présidents d’organes de traités. M. Kjaerum souhaite à ce propos que ces réunions se tiennent plus régulièrement et déplore le manque de ressources qui entrave le travail du Comité, l’empêchant notamment d’envoyer certains de ses membres se faire une idée de la situation directement sur le terrain, plutôt que par le biais d’informations fournies par des ONG et de rapports présentés par les États parties.

28.M. Kjaerum insiste ensuite sur la nécessité de renforcer les liens entre les mécanismes internationaux eux‑mêmes mais aussi entre les structures locales et mondiales, sans oublier les institutions nationales et la société civile dont le rôle est très important, et avec lesquelles le Comité devrait établir une relation plus formelle.

29.Enfin, reprenant l’idée évoquée récemment par la Haut‑Commissaire de veiller à ce que soient élaborées des stratégies nationales de prévention du génocide, M. Kjaerum suggère que ces stratégies soient établies dans le cadre des plans d’action nationaux pour l’élimination de la discrimination raciale, qui seraient mis au point en étroite collaboration avec la société civile, les institutions nationales, les gouvernements et le Comité.

30.M. de GOUTTES dit qu’il conviendrait que le Comité réfléchisse aux causes sous‑jacentes du génocide énumérées la veille par de nombreux intervenants, parmi lesquelles le poids des mots et des discours, le rôle de la mémoire collective, le poids de l’histoire, le lien entre génocide et construction identitaire d’un groupe, l’influence des médias ou encore les effets du multiculturalisme.

31.Il juge important que le Comité s’attache à déceler dans les rapports présentés par les États parties et dans le cadre du dialogue qu’il instaure avec eux les indicateurs qui permettent de conclure à l’existence d’une situation pouvant aboutir à un génocide, déplorant au passage qu’en 1993 le Comité n’ait pas repéré ces symptômes dans le cas l’ex‑Yougoslavie. C’est d’ailleurs en réponse à cette situation que le Comité a procédé à l’élaboration des principes directeurs applicables aux mesures d’alerte rapide et à la procédure d’action urgente. Dix ans plus tard, il convient de s’interroger sur le rôle du Comité à cet égard, sachant que celui‑ci ne peut pas agir concrètement car il n’a pas de mandat opérationnel, pas plus qu’il ne peut sanctionner un État partie qui commettrait des violations massives des droits de l’homme.

32.La question se pose également de savoir quelle est la place du Comité par rapport aux autres organes chargés des questions de discrimination, parmi lesquels le Conseiller spécial du Secrétaire général pour la prévention du génocide, le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme et les autres rapporteurs spéciaux et procédures spéciales de la Commission des droits de l’homme, sachant qu’il est souhaitable d’instaurer une coopération étroite et permanente entre toutes ces instances pour éviter tout chevauchement de leurs activités, et que chacune d’entre elles définisse son secteur d’intervention spécifique.

33.M. de Gouttes déplore le manque de moyens dont dispose le Comité pour prendre des mesures d’alerte rapide ou engager une procédure d’action urgente, malgré le soutien qu’ont manifesté en faveur de ces procédures les participants à la Conférence mondiale contre le racisme tenue à Durban. Il estime que, si le Secrétaire général et la Commission des droits de l’homme veulent voir s’intensifier le rôle du Comité dans le domaine de la prévention du génocide, ils devront lui octroyer les ressources nécessaires, notamment pour qu’il puisse prévoir d’envoyer des experts en mission dans les pays. Enfin, les membres du Comité devront eux‑mêmes réfléchir au mandat précis dont ils souhaiteraient que le Comité soit investi, afin de pouvoir en formuler la demande auprès des autorités compétentes de l’ONU.

34.M. MENDEZ (Conseiller spécial du Secrétaire général chargé de la prévention des génocides) se félicite de nouer le dialogue avec les membres du Comité et assure qu’il n’épargnera aucun effort pour partager avec eux toutes les informations dont il dispose sur des problèmes de discrimination raciale et des risques de génocide. Les interventions qui ont eu lieu dans le cadre du débat sur la prévention des génocides montrent que l’enjeu est de fournir une protection immédiate aux populations en danger tout en s’attaquant aux causes profondes du problème. À titre d’exemple, à la suite de la mission qu’il a effectuée au Darfour en septembre 2004, le Conseiller spécial a appelé l’attention de la communauté internationale sur la nécessité d’adopter quatre mesures d’urgence: déployer un plus grand nombre de Casques bleus dans la région du Darfour afin d’assurer la sécurité de la population, mettre un terme à l’impunité et poursuivre en justice les auteurs d’exactions, fournir une assistance humanitaire pour protéger la population et circonscrire les risques de famine et, enfin, promouvoir la négociation en vue de trouver une solution définitive au problème du Darfour.

35.M. AMIR note qu’un certain nombre d’idées et d’observations formulées lors du débat sur la prévention des génocides mériteraient d’être attentivement étudiées par le Comité, notamment celle de M. Doudou Diène, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, selon laquelle les causes profondes de la haine et, partant, des génocides, ne sont pas seulement économiques et sociales mais aussi culturelles. C’est pourquoi, d’une manière générale, il importe de mieux étudier les origines de la haine afin de mieux l’éradiquer. Parmi les solutions préconisées, le renforcement de la législation des États parties dans le domaine de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie devrait être un moyen efficace de prévenir les risques de génocide. Par ailleurs, M. Amir partage l’idée selon laquelle on ne saurait attendre du Comité qu’il joue un rôle accru dans le domaine de la prévention des génocides sans lui donner les moyens financiers nécessaires pour mettre en œuvre les mesures qu’il préconise.

36.Mme JANUARY‑BARDILL appelle l’attention des membres du Comité sur la dimension sexiste de la discrimination raciale et en particulier sur le fait que la discrimination raciale n’affecte pas toujours pareillement ou de la même manière les hommes et les femmes, comme indiqué au paragraphe 1 de la recommandation générale XXV du Comité. Elle déplore que le Comité, qui n’est composé que de deux femmes, ne traite pas suffisamment de la situation spécifique des femmes dans le cadre de ses travaux et que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne mentionne pas spécifiquement les femmes parmi les victimes de génocide. Enfin, elle souligne qu’en tant que Présidente du Groupe de travail chargé des mesures d’alerte rapide et des procédures d’action urgente, elle veillera à ce que la dimension sexiste de la discrimination raciale, du racisme et de l’intolérance soit dûment prise en compte.

37.M. HERNDL trouve très intéressantes les idées formulées par les organisations non gouvernementales sur ce que le Comité pourrait faire pour contribuer à la prévention des génocides. Il souligne que le Comité a un rôle essentiellement consultatif puisqu’il est chargé de faire des suggestions et des recommandations d’ordre général fondées sur l’examen des rapports et des renseignements reçus des États parties à l’Assemblée générale en vertu de l’article 9 de la Convention et qu’il n’est en aucun cas un organe décisionnel. En établissant un mécanisme d’alerte rapide, le Comité a donc élargi de facto son mandat. Comme d’autres experts, M. Herndl regrette que le Comité ne puisse compter que sur les informations écrites fournies par les États parties pour se prononcer sur tel ou tel sujet de préoccupation et qu’il n’ait pas les moyens d’effectuer des visites sur le terrain. S’agissant de la prévention des génocides, le Comité aurait intérêt à accroître sa coopération avec le Conseiller spécial chargé de la prévention des génocides dans la mesure où ce dernier rend directement compte au Secrétaire général de l’ONU. Le Comité sera vraisemblablement amené à jouer un rôle plus important en matière de prévention des génocides car la proposition du Secrétaire général de créer un comité pour la prévention des génocides a été rejetée par la majorité des États parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide au motif qu’il ferait double emploi avec d’autres organes conventionnels. Enfin, M. Herndl note que la Haut‑Commissaire aux droits de l’homme a souligné qu’il importait d’élaborer des stratégies de prévention des génocides à l’échelon national et que le Comité devrait donc appeler l’attention des États parties sur ce point lorsqu’il examine leurs rapports.

38.M. CALITZAY se félicite des propos tenus par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, selon lequel la non‑reconnaissance des réalités multiculturelles d’une société accroît les risques de génocide. Il fait observer que les populations autochtones ont été victimes de génocide depuis le XVIe siècle alors que le crime de génocide n’a été officiellement reconnu que par la Convention de 1948. Il note à cet égard que le Comité devrait alerter les États parties sur le fait que la prévention des génocides passe notamment par la reconnaissance des droits des populations autochtones.

39.M. BOYD appuie la proposition de M. Herndl visant à ce que le Comité entre directement en contact avec les États parties dans lesquels se déroulent des conflits violents en vue de prévenir les actes de génocide. Il appuie également le point de vue de M. Thornberry selon lequel les discours haineux peuvent inciter à la violence et provoquer des génocides.

40.M. Boyd estime en outre que les conclusions et recommandations formulées par le Conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la prévention du génocide au sujet de la crise humanitaire au Darfour peuvent s’appliquer à d’autres pays. Le Comité devrait notamment réfléchir aux mesures d’action urgente que le Conseiller spécial a proposées car elles pourraient servir de feuille de route pour éviter une nouvelle inaction de la communauté internationale face à des drames humains colossaux. Ces mesures comprennent notamment le renforcement du mandat des forces de maintien de la paix sur les plans tant numérique que théorique et le déploiement des Casques bleus dans les zones éloignées où ont été évacuées les personnes les plus vulnérables. M. Boyd estime que les pays développés pourraient également jouer un rôle clef en la matière en fournissant un appui logistique et financier.

41.M. AVTONOMOV estime que le Comité doit désormais s’interroger sur ce qu’il peut et doit faire pour prévenir concrètement les génocides. Compte tenu du fait que les États Membres ne semblent pas, pour l’instant, être favorables à la création d’un comité sur le génocide, il conviendrait peut‑être de renforcer la coordination entre les organes conventionnels chargés de veiller à l’application des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme en vue d’une réaction rapide et concertée de l’Organisation des Nations Unies dans son ensemble. Le Comité pourrait également sélectionner une série d’indicateurs qui permettraient de déceler les signes avant‑coureurs de violences ethniques et demander aux États parties de les inclure dans leurs rapports périodiques.

42.M. LINDGREN ALVES partage l’optimisme de M. Kjaerum qui estime que le Comité a sans doute permis d’éviter que des conflits violents ne dégénèrent en génocides en formulant des recommandations appropriées et opportunes à l’adresse de certains États parties. Il s’étonne que la proposition visant à créer un comité sur le génocide ne recueille pas l’approbation des États Membres et souhaite que le débat sur le génocide donne lieu à des recommandations concrètes et réalistes.

43.Le PRÉSIDENT remercie les membres du Comité pour leurs suggestions et observations sur la question très importante de la prévention des génocides et indique que le débat reprendra à une séance ultérieure.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 40.

-----