CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/SR.15691er avril 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑deuxième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1569e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le jeudi 13 mars 2003, à 10 heures

Président: M. DIACONU

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Cinquième à quatorzième rapports périodiques de la Côte d’Ivoire (suite)

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Cinquième à quatorzième rapports périodiques de la Côte d’Ivoire (CERD/C/382/Add.2) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation ivoirienne reprend place à la table du Comité.

2.M. SHAHI souligne que la Côte d’Ivoire a toujours fait montre vis-à-vis des étrangers et des immigrés d’une hospitalité généreuse qui ne s’est pas démentie quand le pays a connu des problèmes économiques.

3.Mme WODIÉ (Côte d’Ivoire) remercie M. Shahi de son observation et relève que la tradition d’hospitalité de la Côte d’Ivoire est inscrite jusque dans son hymne national. La situation difficile du pays s’explique par la lutte pour le pouvoir et non par une politique d’exclusion des non‑Ivoiriens. L’existence de conditions d’éligibilité à la magistrature suprême, l’institution d’une carte de séjour ou les questions relatives à la nationalité, toutes choses avancées par les rebelles pour critiquer le Gouvernement ivoirien, participent de règles universellement admises. Le taux d’immigration − un des plus élevés du monde − et les droits accordés aux étrangers rendent futiles les accusations de xénophobie portées contre la Côte d’Ivoire. La crise ne trouve pas non plus son origine dans une mutinerie puisque les rebelles n’appartiennent pas aux forces armées ivoiriennes.

4.M. BAMBA (Côte d’Ivoire) explique que l’«ivoirité» est un concept culturel qui n’est inscrit ni dans la Constitution ni dans la loi sur la nationalité et qui n’a été contesté par aucun participant aux négociations ayant réuni le Gouvernement et les rebelles à Linas‑Marcoussis en janvier.

5.Dès son accession à l’indépendance, la Côte d’Ivoire a entrepris de recenser la population. La loi no 90‑437, promulguée en mai 1990, et son décret d’application ont fixé les modalités relatives à l’entrée et au séjour des étrangers. Sont considérés comme étrangers tous les individus qui n’ont pas la nationalité ivoirienne, soit qu’ils aient une nationalité étrangère, soient qu’ils n’aient pas de nationalité; ils doivent se faire délivrer une carte de séjour au-delà d’un délai de trois mois. Les autorités ivoiriennes ont pris ces dispositions alors que le pays entrait dans une crise économique et financière préoccupante, afin de percevoir de nouvelles recettes, nécessaires pour garantir l’accès gratuit de tous, nationaux et non-nationaux, à la santé, à l’enseignement et aux infrastructures socioéconomiques. Comme la loi de 1990 ne prévoyait rien en matière de titres d’identité pour les nationaux et qu’une fraude massive avait discrédité l’opération de délivrance de cartes de séjour lancée en octobre 1991, les autorités ont pris l’initiative de la loi no 98‑778, adoptée en août 1998, en vue de recenser et d’identifier l’ensemble de la population vivant sur le territoire ivoirien, et de radier du registre électoral les étrangers auxquels le parti unique au pouvoir avant l’instauration du multipartisme avait fait délivrer des cartes d’identité ivoiriennes. Cette nouvelle opération s’est trouvée à son tour discréditée du fait des soupçons de fraude électorale qui ont entaché les élections d’octobre 2000, des dérives constatées autour du concept d’ivoirité et des tracasseries policières à l’encontre des personnes portant des patronymes non ivoiriens.

6.Après le coup d’État de 1999, le Centre national d’identification sécuritaire (CNIS) mis en place dans le cadre de la deuxième opération de recensement et d’identification a été accusé de jouer sur la délivrance des cartes d’identité pour influer sur le registre électoral. Il s’est d’ailleurs avéré, après recoupement des fichiers du CNIS et de l’Institut national de la statistique, que 100 000 non‑Ivoiriens avaient été inscrits comme électeurs. À son arrivée au pouvoir en 2000, le Président Laurent Gbagbo a pris l’initiative d’un projet de loi − devenu la loi 2002‑3 du 3 janvier 2003 relative à l’identification et au séjour des étrangers en Côte d’Ivoire − visant à corriger cet état de choses, ainsi qu’à moderniser les procédures d’état civil, à déterminer les besoins du pays en matière de développement et de lutte contre la pauvreté et à analyser les flux migratoires. L’Office national d’identification (ONI), créé en février 2001, et la Société ivoirienne de télécommunications (SITEL) ont reçu la mission d’émettre les cartes d’identité et passeports. De cette manière, il devrait être possible d’éliminer le trafic de passeports ivoiriens et d’établir un registre électoral exact et transparent.

7.Les disparités régionales entre le nord et le sud du pays sont plus d’ordre économique que religieux et s’expliquent par l’histoire du pays. Le colonisateur a introduit dans les zones forestières du sud, propices à ce genre de culture, des cultures de rente telles que le café et le cacao. Conscientes du déséquilibre, les autorités ivoiriennes ont encouragé dans le nord la culture, entre autres, du coton et de la canne à sucre, institué des allégements fiscaux pour les entreprises et mis sur pied des sociétés de développement qui viennent en aide à différents secteurs de production. Enfin, la décentralisation est allée de pair avec la mise en place de conseils généraux chargés de promouvoir le développement au niveau des départements. En matière d’instruction, les populations du sud, exposées plus tôt à l’influence européenne, sont mieux scolarisées. Dans le nord, les familles rechignent davantage à envoyer les enfants à l’école, surtout les petites filles. En outre, le taux d’analphabétisme de 34 % enregistré dans la population étrangère est le fait de jeunes adultes arrivés dans le pays en quête d’un travail et des travailleurs saisonniers employés dans les secteurs de la canne à sucre et du coton.

8.Concernant le charnier de Yopougon découvert en 2000, M. Bamba indique que seules 10 victimes ont pu être identifiées et qu’il est donc difficile de dire si les corps retrouvés sont ceux de Malinkés, de musulmans ou de personnes appartenant à d’autres groupes. Les huit gendarmes initialement inculpés ont été acquittés. Ainsi que le Président de la Côte d’Ivoire l’avait promis, plusieurs magistrats, libérés de tout autre dossier et dotés des moyens nécessaires, ont été affectés à une nouvelle enquête, qui progresse, sur cette affaire.

9.Mme WODIÉ explique qu’en Côte d’Ivoire, la nationalité, régie par la loi du 14 décembre 1961, modifiée en 1972, est définie comme l’appartenance à la population constitutive d’un État. Répondant au reproche selon lequel le Code de la nationalité comporterait des conditions d’éligibilité trop rigoureuses depuis la suppression de la possibilité d’acquérir la nationalité par déclaration, elle rappelle qu’en l’état actuel du droit international, les questions de nationalité sont considérées comme relevant du domaine réservé des États, qui décident librement des conditions d’attribution de celle‑ci. Il n’existe donc pas d’exception ivoirienne en la matière. Le problème est que certains voudraient faire croire que la nationalité est la cause du conflit ivoirien, alors qu’elle n’a rien à voir avec le drame que vivent chaque jour, depuis le 19 septembre 2002, tous les Ivoiriens. Car si la loi de 1972 était aussi restrictive que le prétendent ses détracteurs, pourquoi n’a-t-elle pas eu les effets qu’on lui impute plus tôt? La vérité est que certains hommes politiques ont cherché à accroître leur audience politique en exploitant habilement le passé et en poussant sur la scène politique des migrants qui, à l’origine, n’ont jamais entendu exercer un quelconque droit de citoyenneté en Côte d’Ivoire.

10.La Côte d’Ivoire applique le principe du jus sanguinis et octroie également la nationalité par naturalisation, par adoption et par mariage. La femme étrangère mariée à un Ivoirien acquiert de plein droit la nationalité ivoirienne à moins qu’elle n’y renonce expressément avant la célébration du mariage lorsque la loi du pays dont elle est ressortissante lui permet de conserver sa nationalité d’origine. Son consentement n’est donc pas nécessaire. De même, l’enfant non reconnu a, de facto, la nationalité ivoirienne. La Côte d’Ivoire a en outre ratifié la Convention sur les apatrides.

11.En matière de droit électoral, les étrangers ayant acquis la nationalité ivoirienne ne peuvent être élus qu’aux élections municipales et régionales. Les élections législatives et présidentielles ne sont ouvertes qu’aux Ivoiriens d’origine conformément au Code électoral et à la Constitution du 1er août 2000.

12.Évoquant les conditions d’éligibilité à la magistrature suprême et répondant au reproche du Rapporteur pour la Côte d’Ivoire selon lequel l’article 35 de la Constitution serait constitutif d’exclusion dans ce domaine et aurait motivé le rejet de 14 candidatures à la présidence de la République, Mme Wodié explique que 12 candidatures seulement ont été rejetées pour non‑respect des formalités, deux candidats s’étant auparavant désistés. Elle rappelle que la Constitution ivoirienne a été adoptée à 86 % des voix, et que tous les partis politiques, y compris le parti du Rassemblement des républicains (RDR), ont appelé à voter en faveur de la nouvelle Constitution. Elle rappelle en outre qu’il n’existe pas de constitution type dans le monde et que la Constitution ivoirienne a, en l’espèce, établi des conditions d’éligibilité à la présidence beaucoup moins restrictives que d’autres pays africains comme l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso ou le Gabon, dont elle cite les dispositions excluant les citoyens qui ne jouissent pas de la nationalité d’origine.

13.Mme Wodié précise qu’il était proposé dans les Accords de Linas‑Marcoussis d’amender l’article 35 de la Constitution comme suit: «Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Le candidat doit jouir de ses droits civils et politiques et être âgé de 35 ans au moins. Il doit être exclusivement de nationalité ivoirienne né de père ou de mère ivoirien d’origine». Cependant, l’article 127 de la Constitution ivoirienne dispose qu’aucune procédure de révision constitutionnelle ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire, ce qui est le cas actuellement.

14.S’agissant du domaine foncier rural, Mme Wodié indique que contrairement aux affirmations du Rapporteur pour la Côte d’Ivoire, ce domaine n’était pas régi, avant la loi de 1998 portant création du Code foncier rural, par un seul décret mais par trois décrets datant de 1932, 1964 et 1971, et par une loi de 1970. Le décret de 1932, adopté durant la période coloniale, avait par ailleurs valeur de loi. Elle précise qu’avant l’adoption de la réforme foncière, les députés ivoiriens ont sillonné tout le territoire afin de recueillir l’avis des communautés villageoises, y compris les communautés étrangères, sur la meilleure réforme foncière à effectuer. Toutes les communautés sont donc les inspiratrices de cette réforme et tous les députés, y compris ceux qui la remettent aujourd’hui en question, ont voté à l’unanimité en sa faveur. Celle‑ci définit le domaine foncier rural et en détermine la composition mais ne supprime pas l’exigence de l’immatriculation comme préalable de l’accès à la propriété. La réforme innove en prévoyant une procédure probatoire des droits coutumiers sachant que les tribunaux ont souvent éprouvé de vives difficultés à trancher les questions très complexes de propriété coutumière. Hormis le cas de contrat relatif à la cession de terres immatriculées au nom de l’État, qui est réglementée par l’article 15 de la loi de 1998, les propriétaires de terrains ruraux en disposent librement, y compris en concluant des contrats avec des étrangers ou des Ivoiriens, dans les limites de la loi qui réserve l’exclusivité de la nue propriété aux personnes ivoiriennes, que celles‑ci soient ivoiriennes d’origine ou par naturalisation. Le nouveau domaine foncier ivoirien protège donc les possesseurs étrangers de bonne foi, ceux‑ci étant désormais protégés contre les autochtones indélicats qui souvent leur vendaient ou leur louaient des terres sans en être propriétaires et en dehors des procédures légales.

15.Mme Wodié rappelle en outre que la Constitution de 2000 a prévu d’instituer le Médiateur de la République mais que la loi organique visant à créer officiellement ce poste n’ayant pas encore été votée c’est le Grand Médiateur institué avant la Constitution de 2000 qui s’acquitte entre temps de ses fonctions, à savoir jouer un rôle de conciliateur et intervenir dans des conflits dépassant les questions relatives aux droits de l’homme. La Commission nationale des droits de l’homme, instance chargée exclusivement de questions relatives aux droits de l’homme, est un organe primaire et non un organe de recours qui peut être saisi par toute personne estimant que ses droits ont été violés. Cependant, la loi portant création de la Commission n’a pas encore été votée.

16.Par ailleurs, pour protéger les justiciables contre les détentions arbitraires et préserver leurs droits relatifs à la liberté et à la présomption d’innocence, la loi permet aux avocats d’intervenir au cours des enquêtes préliminaires. La loi du 23 décembre 1998 portant modification du Code de procédure pénale prévoit en outre qu’à titre exceptionnel, dans les localités où il n’existe pas d’avocats, le prévenu peut être autorisé à se faire assister d’un parent ou d’un ami. L’article 76 de cette loi prévoit que l’avocat doit relever et faire mentionner au procès-verbal toute irrégularité éventuelle qu’il estime de nature à préjudicier aux droits de son client. Ces prescriptions s’appliquent à tous les individus, quelle que soit leur nationalité, leur religion ou leur race, sur tout le territoire ivoirien.

17.S’agissant des questions relatives aux médias et notamment à la presse, Mme Wodié reconnaît que la déontologie de la presse a souvent été violée, essentiellement en raison de l’interprétation abusive que font certains journalistes de l’engagement du chef de l’État à ne jamais les poursuivre pour diffamation. Plusieurs organes de régulation de la presse existent en Côte d’Ivoire, tels que l’Observatoire de la liberté de la presse, de l’éthique et de la déontologie, la Commission nationale de la presse, qui est chargée de la presse écrite et le Conseil national de la communication audiovisuelle. Conformément aux articles 4 et 5 de la Convention, la Côte d’Ivoire prend désormais l’engagement de poursuivre les auteurs de délits de presse.

18.S’agissant des dispositions du Code pénal relatives à la discrimination et à la répression de certains groupes, Mme Wodié rappelle qu’à l’instar de tous les pays du monde, la responsabilité pénale en Côte d’Ivoire est individuelle. L’article 98 du Code pénal dispose que lorsqu’une infraction est commise dans le cadre de l’activité d’une personne morale, la responsabilité pénale incombe à celui ou ceux qui ont commis l’infraction. La personne morale en cause, eu égard aux circonstances de l’infraction, peut, par décision motivée, être déclarée responsable solidairement avec le ou les condamnés du paiement de tout ou partie des amendes, frais et dépens envers l’État ainsi que des réparations civiles. En clair, sur le plan pénal, les groupes de personnes ne peuvent faire l’objet que de sanctions pécuniaires.

19.Évoquant les perspectives d’avenir en matière de lutte contre la discrimination, Mme Wodié déclare que celles‑ci dépendront essentiellement du programme d’action du Gouvernement tel que déterminé par les Accords de Linas‑Marcoussis de janvier 2003 qui prévoient notamment la création de trois nouveaux ministères chargés respectivement de la réconciliation nationale, des cultes et enfin des victimes de guerre, des déplacés et des exilés. Elle rappelle que le Président, en application de ces Accords, a nommé, le 24 janvier 2003, M. Diarra Premier Ministre de consensus et lui a délégué le 10 mars 2003 certains de ses pouvoirs exécutifs. Le Premier Ministre doit annoncer aujourd’hui la composition de son gouvernement. Pour contourner le blocage dû à l’attribution des postes des Ministères de la défense et de l’intérieur, les parties signataires des Accords ont mis en place un Conseil national de sécurité dans lequel elles sont toutes représentées, qui est chargé de choisir en son sein des hommes de consensus pour occuper les postes de la défense et de l’intérieur.

20.Mme Wodié souligne en outre que le Ministère délégué aux droits de l’homme dont elle a la charge a mis en place un programme d’enseignement des différents instruments juridiques internationaux dans les établissements scolaires et universitaires, ainsi que dans les écoles de formation des forces de l’ordre et de sécurité. Des films seront projetés à l’intention du grand public et des messages radiotélévisés de sensibilisation aux droits de l’homme continueront d’être diffusés dans les langues nationales.

21.M. AMIR dit que le droit international prime le droit interne mais que rien n’oblige un État à ratifier une convention internationale dont certaines dispositions sont en contradiction avec son droit interne. En revanche, l’examen d’une convention internationale qu’un État envisage d’adopter peut le conduire à réfléchir au bien‑fondé de certaines dispositions de son droit interne. Une fois partie à la Convention, l’État peut se demander si le cadre législatif et judiciaire qu’il a adopté est similaire au système mis en place dans les autres pays du monde et s’il lui permet d’obtenir d’aussi bons résultats. Enfin, M. Amir reconnaît que les questions relatives à la nationalité et à la révision de la Constitution sont de la compétence exclusive des États et ne sauraient être débattues au sein du Comité.

22.M. SICILIANOS remercie la délégation pour l’exposé brillant et structuré qu’elle a présenté. Il reconnaît à son tour que les questions de nationalité sont de la compétence exclusive des États, comme l’a souligné la représentante ivoirienne, en citant notamment l’avis consultatif de la Cour permanente de Justice internationale du 7 février 1923 et l’arrêt du 6 avril 1955 de la Cour internationale de Justice dans l’affaire Nottebohm. Il se demande toutefois s’il ne conviendrait pas, vu la situation actuelle en Côte d’Ivoire, de tenir davantage compte des réalités et de renoncer à l’application stricte de la règle de droit relative à la nationalité. À cet égard, il juge tout à fait bienvenus les Accords de Linas‑Marcoussis qui ont introduit un certain assouplissement des conditions d’éligibilité à la magistrature suprême. Il faudrait selon lui que le Gouvernement veille à faire appliquer ces Accords, même si l’article 127 de la Constitution dispose qu’aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire, comme c’est le cas actuellement. De la même façon, s’agissant de l’accès des étrangers à la propriété foncière, il fait remarquer que la Côte d’Ivoire pourrait peut‑être décider de ne pas se retrancher derrière la règle de droit international selon laquelle il n’y a discrimination que lorsque la distinction manque de justification objective, et assouplir la loi qui interdit aux étrangers d’acquérir, de céder et de transmettre la propriété domaniale rurale, ou encore la restreindre à certaines régions, compte tenu du contexte actuel, de la signature des Accords d’Accra et de la mise en place imminente d’un nouveau gouvernement.

23.M. de GOUTTES dit que le Comité ne peut qu’accueillir avec une grande satisfaction l’engagement solennel du Gouvernement ivoirien, exprimé par Mme Wodié, Ministre déléguée aux droits de l’homme, de poursuivre les auteurs de délits de presse liés à l’incitation à la haine raciale ou ethnique.

24.Le PRÉSIDENT, s’exprimant en sa qualité d’expert, rappelle que le Comité attend des États parties à la Convention qu’ils rendent punissables par la loi toute propagande et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discriminations raciales, conformément à l’article 4 de la Convention.

25.M. BÉKÉ DASSYS (Côte d’Ivoire) remercie les membres du Comité pour l’accueil qu’il a réservé à la délégation ivoirienne, qui appréhendait cette réunion en raison de la situation actuelle dans son pays et des critiques acerbes et régulières dont ce dernier fait l’objet depuis quelques années. Elle avait même eu le sentiment que la critique internationale légitimait la rébellion et accordait davantage de crédit aux rebelles qu’au Gouvernement. À cet égard, il se félicite de ce que M. Amir, dans son analyse de la situation ivoirienne, a posé la question de savoir si, tout bien considéré, les personnes qui commettent des crimes odieux ne s’arrangent pas pour en attribuer la paternité au Gouvernement.

26.M. Béké Dassys appelle l’attention du Comité sur le fait que l’Union européenne et de nombreux pays ont condamné les ingérences étrangères dans la crise ivoirienne et regrette que ce constat n’ait pas été suivi d’actions concrètes visant à les faire cesser. Enfin, il salue certains pays africains, l’Afrique du Sud et l’Algérie notamment, pour l’amitié qu’ils ont manifestée à son pays depuis le début de la crise et formule le vœu que les relations avec la France, «amie de toujours», reviennent à l’apaisement.

27.M. THIAM (Rapporteur pour la Côte d’Ivoire) remercie la délégation ivoirienne pour la franchise, la sérénité et le courage avec lesquels elle a abordé les problèmes que connaît la Côte d’Ivoire actuellement. Il se félicite en outre de la reprise du dialogue entre la Côte d’Ivoire et le Comité. Il salue aussi le rôle joué par la Côte d’Ivoire dans la préparation et le déroulement de la Conférence mondiale contre le racisme qui s’est tenue à Durban (Afrique du Sud) en septembre 2001. Il note avec satisfaction que la Côte d’Ivoire s’apprête à ratifier la Convention no 138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi. Il salue en outre le fait que la Côte d’Ivoire a créé de nombreuses institutions et mis en place de nombreux services ou organes, notamment le Ministère des droits de l’homme, la Commission nationale des droits de l’homme, le Médiateur de la République, le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes, la Commission pluridisciplinaire sur le phénomène des enfants de la rue, le Ministère chargé de l’insertion des handicapés, l’assurance maladie universelle et la Direction de l’assistance aux populations et groupes vulnérables, ce qui témoigne de la volonté de la Côte d’Ivoire de promouvoir les droits de l’homme et d’en assurer le respect. En outre, l’abolition de la peine de mort et l’introduction de formations aux droits de l’homme destinées aux forces de l’ordre démontrent la ferme volonté de la Côte d’Ivoire de promouvoir les droits de l’homme.

28.M. Thiam note cependant qu’un certain nombre de sujets de préoccupation persistent, tels que les lacunes de certains textes, qui ne répondent pas toujours entièrement aux exigences des conventions internationales en général, et en particulier, à celle de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale concernant la pénalisation de certains aspects de la discrimination raciale. Il se dit également préoccupé par le caractère sensible de certaines dispositions constitutionnelles qui ont fait l’objet de manipulations xénophobes et par les possibles conflits de compétence entre les institutions créées pour donner effet aux mesures de défense et de promotion des droits de l’homme. En outre, le dialogue entre les organes de l’État et les partis politiques, la société civile et les ONG pour conférer aux mesures législatives et judiciaires ainsi qu’aux conventions internationales efficacité et effectivité est insuffisant. Enfin, il insiste en particulier sur l’absence de mesures qui permettraient à un citoyen ivoirien d’invoquer directement les dispositions de la Convention devant les tribunaux nationaux ou de saisir le Comité au titre de la procédure prévue à l’article 14 de la Convention.

29.M. Thiam souhaite savoir si l’État partie envisage d’accepter les amendements à l’article 8 de la Convention relatifs au financement des dépenses des membres du Comité par le budget ordinaire de l’Organisation des Nations Unies, mesure qui témoignerait plus avant de la volonté de la Côte d’Ivoire de mettre en œuvre la Convention.

30.M. Thiam est convaincu que le Gouvernement ivoirien s’attachera à rendre publics les rapports périodiques qu’il présente en vertu des instruments internationaux auxquels la Côte d’Ivoire est partie et veillera à ce que les ONG participent à leur élaboration. À ce sujet, il invite la Côte d’Ivoire à recourir à l’assistance du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme.

31.M. Thiam salue les efforts faits par le Président de la République ivoirienne qui, en application de l’Accord de Linas‑Marcoussis, a délégué le 10 mars 2003 une partie de ses pouvoirs constitutionnels et a accepté la mise en place d’un Conseil national de sécurité regroupant toutes les parties concernées, témoignant ainsi de son désir d’apporter la paix au peuple ivoirien.

32.Mme WODIÉ (Côte d’Ivoire), précisant ses réponses précédentes, dit que les articles 199 et 201 traitent des actes de diffamation, d’injure ou de menace à l’égard de groupes de personnes qui appartiennent à une race, une ethnie ou à une religion donnée. Ces articles prévoient que la commission de tels actes par voie de presse écrite ou audiovisuelle constitue une circonstance aggravante. Mme Wodié assure les membres du Comité que le Gouvernement ivoirien répondra à toutes les questions soulevées par les experts, à l’occasion de la présentation du rapport périodique suivant de la Côte d’Ivoire.

33. La délégation ivoirienne se retire.

La séance est suspendue à 12 h 5; elle est reprise à 12 h 25.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l’ordre du jour) (suite)

Méthodes de travail du Comité

Examen des projets de conclusions du Comité

34.Le PRÉSIDENT suggère que le Comité achève son débat sur la question de savoir s’il doit examiner ses projets de conclusions concernant les rapports présentés par les États parties en séance publique ou en séance privée. Il rappelle que le Comité a été saisi par M. Herndl d’un document informel à ce sujet, dans lequel il propose la seconde solution.

35.M. ABOUL-NASR est opposé à la nouvelle pratique suggérée par M. Herndl, qui lui paraît injuste.

36.Le PRÉSIDENT indique que si M. Herndl la maintient, sa proposition pourra être mise aux voix.

37.M. HERNDL précise qu’il a simplement voulu soumettre à ses collègues une idée sur laquelle ceux‑ci pourraient se prononcer à titre officieux sans recourir au vote. Il est prêt à se rallier à l’opinion générale sur cette question.

38.M. YUTZIS est opposé à la nouvelle formule proposée. Il suggère, en l’absence d’un consensus clair, que le Comité continue d’examiner ses projets de conclusions en séance publique, comme il le fait actuellement.

39.M. RESHETOV accepte qu’il n’y ait pas de vote sur la proposition de M. Herndl, ce qui ne signifierait pas cependant qu’elle est adoptée par consensus.

40.M. ABOUL-NASR estime que, s’il n’y a pas d’objections, la proposition formulée par M. Yutzis devrait être considérée comme acceptée.

41.M. de GOUTTES estime que la proposition de M. Herndl aurait l’avantage d’aligner la pratique du Comité sur celle de la plupart des autres comités, qui adoptent leurs conclusions en séance privée, alignement qui irait dans le sens des efforts de rationalisation entrepris actuellement. Par contre, la modification de la pratique existante risquerait de donner lieu à des interprétations qui pourraient être gênantes pour le Comité. En cas de vote, M. de Gouttes s’abstiendrait.

42.M. HERNDL explique qu’il a fait la proposition à l’examen dans le souci de préserver l’indépendance et la liberté d’expression des membres du Comité, qui sont parfois appelés à formuler des opinions sur la situation dans certains États. Toutefois, afin d’éviter toute controverse, il est disposé à se rallier à la proposition de M. Yutzis.

43.M. SHAHI pourrait accepter le maintien de la pratique actuelle du Comité, mais il n’en partage pas moins l’avis de M. Herndl selon lequel l’examen des projets de conclusions en séance privée autoriserait une plus grande liberté d’expression, d’autant que les membres du Comité risquent d’être soumis dans l’avenir à des pressions croissantes, en raison des opinions qu’ils expriment au sein du Comité.

44.Le PRÉSIDENT constate qu’un consensus clair ne s’est pas dégagé au cours du débat en faveur de la méthode proposée par M. Herndl. Le Comité continuera donc à ce stade d’examiner les projets de conclusions concernant les rapports présentés par les États parties en séance publique.

45. Il en est ainsi décidé.

Participation du Comité aux réunions du Groupe de travail sur l’application effective de la Déclaration et du Programme d’action de la Conférence mondiale contre le racisme (CERD/C/62/Misc.14/Rev.1)

46.M. SICILIANOS rappelle que le Groupe de travail était parvenu à un accord sur les sections 1 et 2, mais que les sections 3, 16 et 18, notamment, appelaient une discussion plus approfondie.

47.M. LINDGREN ALVÈS souhaite donner quelques précisions au sujet de la question, abordée à la séance précédente, de l’éventuelle élaboration de normes complémentaires relatives à la lutte contre la discrimination raciale. Selon ses informations, cette idée a été lancée dans le cadre des travaux préparatoires de la Conférence de Durban et rappelée lors de la réunion du Groupe de travail intergouvernemental sur l’application effective de la Déclaration et du Programme d’action de Durban qui s’est tenue au début de 2003, à Genève. Apparemment, il ne s’agissait au départ que d’établir des règles destinées à éviter l’utilisation de l’Internet pour des activités de propagande incitant à la haine raciale, question pour laquelle la Convention est bien le seul instrument international applicable.

48.Le PRÉSIDENT dit qu’il serait sans doute opportun qu’à l’avenir le Comité soit représenté aux réunions du Groupe de travail intergouvernemental évoqué par M. Lindgren Alvès et y expose ses positions.

49.M. PILLAI dit à ce propos que le Comité devrait peut‑être demander à être informé suffisamment tôt de la tenue de ces réunions afin qu’il puisse s’y préparer et y participer de manière effective.

50.Le PRÉSIDENT informe les membres du Comité qu’il a déjà effectué une démarche en ce sens auprès du secrétariat du Groupe de travail intergouvernemental et que le Comité devrait envoyer une délégation importante à ses réunions, où sont en effet examinées des questions qui le touchent directement.

51.M. SHAHI estime prématuré de discuter de la participation future du Comité aux travaux du Groupe de travail intergouvernemental. Il serait selon lui préférable que le Comité attende que ce groupe formule des propositions qui le concernent pour exprimer son opinion et décider de la conduite à tenir.

52.Le PRÉSIDENT exprime à titre personnel une opinion inverse: le Comité devrait adopter une attitude volontariste et s’associer au processus dès le départ, sans quoi le Groupe de travail intergouvernemental, composé de représentants d’États parties, pourrait fort bien agir dans un sens qui ne serait pas conforme à l’esprit de la Convention.

53.M. RESHETOV estime qu’il serait utile aux membres du Comité de disposer d’un bref résumé de la réunion que le Groupe de travail intergouvernemental a déjà tenue.

54.Le PRÉSIDENT informe les membres du Comité qu’un rapport sur cette réunion est en cours d’élaboration et qu’ils en recevront copie dès qu’il sera prêt.

55.M. YUTZIS rappelle que, comme cela a été dit à la séance précédente, le Groupe de travail intergouvernemental a pour mandat non seulement de veiller à l’application effective de la Déclaration et du Programme d’action de Durban, mais aussi d’élaborer des normes internationales complémentaires visant à renforcer et actualiser les instrumentaux internationaux contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Il lui paraît donc impératif que le Comité ne reste pas en marge de ses travaux.

La séance est levée à 13 heures.

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