Nations Unies

CERD/C/SR.2197

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

4 septembre 2012

Original: français

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Quatre-vingt -un ième session

Compte rendu analytique de la 2197 e séance

Tenue au Palais des Nations, à Genève, le mardi 28 août 2012, à 15 heures

Président: M. Avtonomov

Sommaire

Débat thématique sur le discours de haine (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

Débat thématique sur le discours de haine (suite)

Le discours raciste dans la vie politique et dans les médias, y compris sur Internet

1.M.  Leyenberger (Commission européenne contre le racisme et l’intolérance − ECRI) dit que l’ECRI partage les préoccupations du Comité en ce qui concerne la montée du racisme dans le discours public, notamment politique. L’ECRI, qui a pour mandat de lutter contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, se heurte à une difficulté majeure, à savoir trouver un juste équilibre entre deux droits fondamentaux, celui d’être protégé du racisme et celui de s’exprimer librement. La Convention européenne des droits de l’homme consacre la liberté d’expression en son article 10, mais reconnaît également des limites à l’exercice de ce droit. Ces limites ont été confirmées par une abondante jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il ressort que la liberté d’expression est un droit conditionnel et non un droit intangible. S’il n’existe pas de définition universellement reconnue de l’expression «discours de haine», la Cour européenne des droits de l’homme a, dans sa jurisprudence, caractérisé le discours politique de haine pour l’exclure du champ de protection que pourrait lui accorder le principe de la liberté d’expression. Ainsi, la Cour s’attache toujours à déterminer s’il y a eu atteinte au respect de la dignité de l’être humain, comme l’illustre un arrêt rendu en juillet 2009 dans lequel elle a condamné un homme politique belge qui avait tenu des propos stigmatisant la communauté immigrée pour incitation publique à la haine et à la discrimination. Elle a ainsi fait passer les droits de la communauté en question avant le principe de la liberté d’expression, ce qui est conforme à l’esprit de la Recommandation de politique générale no 7 de l’ECRI.

2.L’ECRI s’inquiète du fait que les discours racistes ou xénophobes ne se limitent plus aux seuls partis d’extrême droite, mais imprègnent de plus en plus les partis traditionnels, avec le risque de banaliser et de légitimer ce type de discours, ainsi que de perpétuer les préjugés et stéréotypes envers les groupes minoritaires. La facilité avec laquelle Internet permet de propager les discours racistes est également source de préoccupation. En tout état de cause, il est urgent que les États érigent en infractions pénales les comportements de nature à attiser la haine raciale, en particulier dans les discours politiques. Ils doivent aussi incriminer pénalement la diffusion d’écrits ou d’images racistes, notamment sur Internet. Or les États ne sont pas parvenus à s’entendre sur la manière d’empêcher l’utilisation d’Internet à des fins racistes, et plusieurs d’entre eux sont même réticents à adhérer aux instruments internationaux tels que la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe. L’ECRI estime que la lutte contre la diffusion d’idées racistes passe non seulement par l’adoption d’une législation nationale, mais aussi par des mesures d’autorégulation et par le respect de codes de déontologie de la part des fournisseurs d’accès à Internet. La sensibilisation et l’éducation du public sont également de la plus haute importance si l’on veut lutter efficacement contre la diffusion de contenus racistes sur Internet. L’ECRI pense que les partis politiques, dans la mesure où ils peuvent influencer l’opinion publique, ont un rôle décisif à jouer. Ils devraient envisager d’adopter des mesures d’autorégulation et appliquer la Charte des partis politiques européens. Les États devraient, quant à eux, veiller à la mise en œuvre effective des dispositions de droit pénal réprimant les crimes racistes et appliquer des mesures sanctionnant tout groupe qui incite au racisme ou à la haine. Enfin, il faudrait priver de fonds publics les organisations qui véhiculent un message de haine, y compris supprimer le financement des partis politiques qui tiennent des propos incitant à la haine.

3.M.  Ruteere (Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée) dit que la question du discours de haine occupe une place centrale dans son mandat et est largement traitée dans son rapport à la vingtième session du Conseil des droits de l’homme (A/HRC/20/38).Il signale qu’uneétude approfondie sur l’utilisation d’Internet pour propager la rhétorique raciste et les discours xénophobes est en cours de réalisation, avec la participation des diverses parties concernées par la question. Le Rapporteur explique que la crise économique mondiale et les problèmes sociaux qu’elle a entraînés ont créé un climat propice à la diffusion de discours racistes ou xénophobes dans les médias, en particulier sur Internet. Il est alarmant de constater que le monde politique reprend de plus en plus à son compte les discours xénophobes diffusés par le biais d’Internet et que les médias électroniques sont utilisés pour recruter les membres de groupes extrémistes et organiser des rassemblements. On estime qu’en 2008, il y avait près de 8 000 sites Web à contenu raciste dans le monde, sans compter les nombreux médias sociaux, qui contribuent à diffuser des idées racistes et xénophobes. Face à ce problème, les États ont un rôle clef à jouer en adoptant des mesures législatives et réglementaires visant à lutter contre la propagation du discours de haine et en concluant des accords régionaux à cette fin. À cet égard, le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques est une avancée importante. En outre, chaque pays devrait se doter de lois visant à lutter concrètement contre la propagation d’idées xénophobes, dans le respect de ses obligations internationales, et en se fondant sur les conclusions du document final de la Conférence d’examen de Durban.

4.M. Ruteere partage l’opinion du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, selon qui toute forme de restriction de la diffusion de contenus sur Internet devrait se faire dans un cadre législatif strictement défini et en conformité avec le droit international des droits de l’homme, l’objectif étant de déterminer dans quelle mesure il faut limiter la liberté d’expression et d’opinion pour combattre le racisme. La lutte contre la diffusion de messages xénophobes sur Internet passe notamment par la concertation entre tous les acteurs concernés, dont les fournisseurs d’accès à Internet, les sociétés multimédias et les États, en vue de s’entendre sur des mesures d’autorégulation. Par ailleurs, le rôle des organisations non gouvernementales (ONG) est essentiel, dans la mesure où elles peuvent exercer une pression sur les administrateurs de sites Web pour exiger le retrait des contenus racistes, même en l’absence de dispositions législatives à cet effet. Enfin, M. Ruteere souligne combien il est important de débattre dans les instances internationales de la diffusion de contenus racistes sur Internet et dans les milieux politiques, afin de trouver une solution concertée à ce problème.

5.M. Mc Gonagle (Université d’Amsterdam) dit que la notion de discours de haine raciale, à forte connotation politique, est difficile à définir, chacun en ayant une interprétation différente. L’expression «haine raciale» n’a rien de technique, ni de sens juridique précis. Elle n’est pas explicitée dans le droit international des droits de l’homme et les universitaires ne se sont pas accordés sur une définition faisant autorité. Il s’agit plutôt d’une expression pratique qui permet par exemple aux experts du Comité de ne pas avoir à citer l’article 4 de la Convention dans son intégralité lorsqu’ils évoquent ce phénomène. Il convient cependant de l’utiliser avec circonspection, car elle peut désigner un large éventail de discours et de comportements − incitation à la haine, insultes, mauvais traitements, préjugés, diffamation − qui ne font pas tous l’objet de la même protection juridique. Le discours de haine est répréhensible de par sa nature et ses effets, mais pour l’interdire ou le réglementer, il est nécessaire d’établir une typologie des discours de haine, car ils n’ont pas tous la même virulence et ne causent pas les mêmes préjudices. Il faut également établir une distinction entre les différentes formes de discours de haine: direct ou indirect, proféré une seule fois ou de manière répétée, bénéficiant ou non de l’appui des autorités, assorti ou non de menaces. Certains discours de haine requièrent des mesures pénales alors que dans d’autres cas, il faut mener une action préventive pour étouffer dans l’œuf toute velléité d’un tel discours. Une fois établie, la typologie des discours pourra être examinée à la lumière des dispositions de la Convention. C’est ainsi que l’on pourra savoir quels types de discours de haine sont visés par la Convention et d’autres instruments, ce qui permettra de les combattre de manière beaucoup plus ciblée et efficace qu’en ayant recours à la notion générale de discours de haine.

6.À l’évidence, les médias peuvent grandement contribuer à la diffusion des messages de haine, mais la réalité est parfois plus complexe. Par exemple, dans l’affaire Jersild, un journaliste danois avait été condamné pour complicité de diffusion de propos racistes après avoir diffusé un entretien télévisé avec un groupe de jeunes extrémistes ayant proféré des propos injurieux à l’égard d’immigrés. La condamnation a été annulée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé que le fait de ne pas prendre explicitement position contre le discours raciste n’était pas nécessairement de la complicité. L’utilisation des médias à des fins de propagande totalitaire pendant la Seconde Guerre mondiale a provoqué une méfiance justifiée à l’égard du droit à la liberté d’expression. Cela étant, les médias peuvent également être utilisés pour invalider les discours de haine. Omniprésents dans notre vie quotidienne, ils sont les vecteurs de toutes les formes de communication et d’information que nous utilisons. L’exercice du droit à l’information dépend donc de l’accès aux médias, dont l’influence est énorme. Cette influence peut être utilisée de manière positive, dans la mesure où les médias sont aussi des vecteurs puissants de culture. Ils peuvent contribuer à la préservation de l’identité et à l’expression de minorités souvent marginalisées, défavorisées ou victimes de discrimination, et constituer un puissant antidote contre le discours de haine. Les médias peuvent également encourager le dialogue et la communication et jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement d’une société démocratique. À cet égard, la démarche adoptée par l’ECRI, qui a rappelé aux médias leur responsabilité sociale en application de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales et a développé de bonnes pratiques dans ce domaine, est exemplaire. L’article 7 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale pourrait également être utilisé à cette fin.

7.Avec l’avènement d’Internet, les médias deviennent de plus en plus réactifs, internationaux et interactifs et le discours de haine raciste peut se propager, s’amplifier et devenir rapidement accessible à tous. Chacun peut y avoir accès et diffuser son message sans intermédiaire. Les nouvelles possibilités offertes par Internet, comme les groupes de discussion ou les médias sociaux, ont permis aux mouvements racistes de mieux s’organiser que par le passé dans de nombreux domaines (recrutement, formation, collecte de fonds, vente de publications…). Cette évolution technologique entraîne des problèmes juridiques, en matière de responsabilité et de compétence. La responsabilité peut incomber soit à l’auteur de propos racistes soit au fournisseur d’accès Internet, ce qui incite souvent les personnes malintentionnées à sélectionner le prestataire qui les protégera le mieux. Elles auront également tendance à choisir les sites hébergés dans des pays dont la législation n’incrimine pas le discours de haine. L’anonymat que permet Internet accroît par ailleurs la souffrance des victimes de messages de haine raciale. Si le Comité veut lutter efficacement contre le discours de haine, il devra élargir son champ d’action aux médias et à Internet et développer une connaissance approfondie de ces domaines.

8.M me Hivonnet (Union européenne) dit que la Décision-cadre du Conseil de l’Union européenne sur la lutte contre certaines formes de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal respecte le droit à la liberté d’expression tel qu’il est défini à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Si le droit à la liberté d’expression n’est pas un droit absolu, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a confirmé dans plusieurs décisions, il peut s’avérer nécessaire, dans une société démocratique, de sanctionner les formes d’expression incitant à la haine fondée sur l’intolérance. Il revient à la justice d’évaluer, en fonction des circonstances et du contexte, quels discours constituant une incitation à la haine ou à la violence raciale ou xénophobe ne sont pas protégés par la liberté d’expression. Outre les problèmes déjà évoqués, par les précédents orateurs, Mme Hivonnet soulève celui de la frontière très floue entre la vie publique et la vie privée, notamment sur les réseaux sociaux. S’agissant du discours de haine dans la vie politique, elle estime qu’il ne faut pas restreindre l’analyse aux partis politiques, mais évaluer également le rôle des dirigeants et des personnalités publiques, c’est-à-dire également des chefs religieux et communautaires.

9.M. Kashaev (Fédération de Russie) dit que l’extrémisme politique à tonalité nationaliste, beaucoup plus dangereux que l’extrémisme des masses populaires, a été alimenté par les bouleversements géopolitiques qui se sont produits ces vingt dernières années. La Fédération de Russie apprécie les mesures prises par l’Union européenne pour lutter contre la diffusion des idéologies racistes et xénophobes, ainsi que les recommandations de l’ECRI, notamment celle visant à interdire la diffusion de symboles nazis. Le représentant demande à M. Leyenberger comment l’ECRI évalue la mise en œuvre de ses recommandations, notamment pour ce qui est de l’interdiction des activités des organisations extrémistes. Il convient que la liberté d’expression n’est pas un droit absolu et demande si les États qui défendent la liberté d’expression en toutes circonstances sont conscients des risques qu’entraîne la diffusion débridée et sans contrôle d’idéologies haineuses. Il demande quelles mesures il faudrait prendre aux niveaux régional et international pour combattre la libre diffusion de propos haineux et racistes par les réseaux sociaux et la blogosphère, en l’absence d’une réglementation internationale concernant Internet.

10.M. Leyenberger (ECRI) dit que l’ECRI évalue la mise en œuvre de ses recommandations à la faveur de visites dans les pays. Elle ne dispose pas d’instruments précis pour mener à bien cette évaluation mais peut vérifier les progrès de la législation en matière de lutte contre le racisme. Dans ses recommandations, l’ECRI rappelle aux journalistes les règles déontologiques auxquelles ils doivent se conformer dans l’exercice de leur profession. En tout état de cause, l’éducation aux droits de l’homme devrait être intégrée à la formation des journalistes. Par ailleurs, l’ECRI rappelle également aux États leurs obligations lorsque ses recommandations n’ont pas été respectées. Elle ne peut imposer de sanctions aux États mais dénonce publiquement les violations de la Convention européenne des droits de l’homme le cas échéant.

11.M. Mc Gonagle (Université d’Amsterdam) partage le point de vue selon lequel les mêmes règles doivent s’appliquer à tous les médias, mais fait remarquer que certains médias ont un pouvoir bien supérieur aux autres, du fait de leur portée et de leur impact. La frontière entre la sphère publique et la sphère privée est très difficile à établir, d’autant plus que les réseaux sociaux eux-mêmes ont tendance à se diversifier et à offrir de nouveaux services. Une réglementation internationale des nouveaux médias n’est pas indispensable mais il faudrait privilégier la mise en place d’une structure de corégulation ou d’autorégulation à laquelle participeraient le plus de partenaires possible.

Le discours de haine raciale et la liberté d ’ opinion et d ’ expression

12.M.  Rute ere (Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée) estime que le problème n’est pas tant lié aux prises de position racistes des grands partis politiques qu’à l’appropriation par ces derniers de thèmes et discours racistes véhiculés par les mouvements et groupes extrémistes. Ces discours doivent être réprimés dans la sphère politique mais aussi dans la sphère religieuse, compte tenu de l’influence qu’ont eue par le passé les chefs religieux dans des situations de conflits interethniques.

13.M.  La Rue (Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression) dit que le seul moyen, à son sens, de lutter contre la discrimination sous toutes ses formes est d’améliorer et de protéger la liberté d’expression. Cette liberté n’est pas absolue et ne s’applique par exemple pas aux discours portant atteinte à la réputation d’autrui ou à la sécurité nationale, ou à ceux qui incitent au génocide. La difficulté est toutefois d’identifier les propos moins directs et moins flagrants, qui se répandent dans tous les pays, notamment via Internet. Les États doivent réprimer les discours de haine et d’incitation à la haine raciale mais ils devraient parallèlement s’intéresser à leurs causes profondes, qui sont bien souvent liées aux valeurs éducatives et culturelles prônées par les États et à la manière dont les différentes composantes ethniques d’une société sont ou non reconnues et respectées sur leur territoire. De leur côté, les médias ont un rôle essentiel à jouer en favorisant la compréhension entre les cultures. Les codes de conduite professionnelle des médias et des journalistes doivent refléter les principes de l’égalité, et des mesures efficaces doivent être prises pour adopter et appliquer ces codes.

14.M me Dah (modératrice du débat) interrompt la communication établie par audioconférence avec M. La Rue au Guatemala en raison de son caractère inaudible, qui en rend l’interprétation impossible. Elle demande au Rapporteur de transmettre ultérieurement au Comité une copie de son intervention.

15.M me Callamard (Article 19 − International Centre against censorship) dit qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée des discours de haine en droit international même si l’expression est fréquemment utilisée. Les nombreuses études menées sur le sujet par l’organisation qu’elle dirige révèlent une banalisation croissante des discours de haine. Article 19 s’intéresse particulièrement aux moyens d’empêcher le «petit racisme ordinaire» de proliférer et de se généraliser. Pour Article 19 ainsi que pour la plupart des philosophes et sociologues qui se sont penchés sur la question du racisme, la liberté d’expression joue un rôle essentiel pour la protection de la démocratie, des droits de l’homme et de la dignité humaine. La liberté d’expression n’est pas l’apanage des pays occidentaux mais un droit qui appartient à tous. Les éléments constitutifs du discours de haine sont énoncés dans les articles 19 et 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans l’article 4 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, mais l’approche suivie par ces deux textes est différente. L’article 19 du Pacte érige la liberté d’expression en droit mais prévoit que celui-ci peut être restreint pour préserver la réputation d’autrui ou sauvegarder la sécurité nationale ou l’ordre public, tandis que l’article 20 du Pacte fait obligation aux États parties d’interdire par la loi l’incitation à la discrimination ainsi que la propagande en faveur de la guerre et l’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse. L’article 4 de la Convention va plus loin puisqu’il demande aux États parties de prendre des mesures immédiates et positives pour réprimer par la loi non seulement l’incitation à la haine mais surtout la diffusion d’idées fondées sur la haine raciale. En outre, l’article 4 contient un élément fondamental, qui est de ne pas permettre aux autorités publiques ni aux institutions publiques nationales ou locales d’inciter à la discrimination raciale ou de l’encourager.

16.Article 19 propose au Comité un certain nombre de pistes de réflexion. Il faudrait, en premier lieu, établir des points de convergence entre les différents instruments internationaux qui traitent des discours de haine. En deuxième lieu, il conviendrait de définir un seuil de gravité au-delà duquel les discours de haine seraient considérés comme des infractions à la législation pénale. La notion de gravité est importante car tous les discours ne sont pas destructeurs et ne conduisent pas au génocide. Troisièmement, il faudrait mettre l’accent sur la définition des sanctions pénales applicables aux discours de haine qui ont atteint un degré de gravité préoccupant, en tenant compte des éléments suivants: l’intention de l’auteur des propos incriminés; la forme et le contenu du discours; le statut de l’auteur dans la société et le public ciblé par lui; le mode de diffusion du discours et l’importance numérique du public ciblé; et enfin, le caractère imminent et potentiel du danger causé par de tels propos. Article 19 est fermement convaincu que la lutte contre le racisme sous toutes ses formes passe par la défense et la promotion d’une liberté d’expression véritable, laquelle repose sur la protection de la liberté des médias. Ces derniers ne devraient subir aucune forme de censure et devraient pouvoir traiter tous les sujets se rapportant aux situations de conflits ethniques. Les discours de haine ciblent certains groupes de population mais l’objectif ultime est de saper les fondements de la démocratie.

17.M me Lynch (Réseau européen contre le racisme − ENAR Irlande) dit que, depuis plusieurs années, l’organisation qu’elle représente suit attentivement l’émergence des partis d’extrême droite dans divers pays et leur progressive institutionnalisation, qui se manifeste par leur entrée au gouvernement. Ce phénomène est en expansion là où l’on n’aurait jamais imaginé assister à une poussée de l’extrême droite, notamment dans des pays scandinaves, et s’explique notamment par la détérioration du tissu social, qui pousse de plus en plus d’électeurs à se tourner vers ces partis, et par la formation de coalitions entre partis modérés et partis d’extrême droite. Aucun pays n’est désormais épargné par ce fléau. On peut certes ne plus être choqué par les discours racistes, qui se sont banalisés, mais on doit s’inquiéter de la vitesse avec laquelle ils se répandent et occupent le devant de la scène. La journée de débat thématique organisée par le Comité est une bonne occasion de réfléchir aux moyens de freiner cette progression, mais il faut agir vite car, comme l’a souligné M. Doudou Diène à la séance précédente, il y a urgence.

18.M. Charlier (Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme) dit que la lutte contre la discrimination raciale se pose en termes relativement simples: l’interdiction de la discrimination est la règle et les différences de traitement l’exception. En revanche, la situation est plus délicate lorsqu’il s’agit de discours de haine raciale: la liberté d’expression est la règle et les limites imposées à cette liberté sont l’exception. La marge de manœuvre est donc plus étroite. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a mené des études sur la théorie des actes de langage d’où il ressort qu’une limite est franchie dès lors qu’un mot n’est plus simplement un mot mais qu’il équivaut à un acte. Ce critère permet de déterminer si des propos sont répréhensibles. À cet égard, l’humour et ses divers degrés de lecture n’a encore été évoqué par aucun intervenant alors qu’il est étroitement lié à la question débattue ce jour. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme n’est pas favorable à ce que l’on agisse en amont des discours racistes en adoptant des lois interdisant la diffusion de ces propos mais juge préférable de prévenir ces discours en menant des activités de sensibilisation et de formation.

19.M. Mulrean (États-Unis d’Amérique) dit qu’une contribution écrite exposant en détail la position de son pays a été soumise au Comité avant la tenue du débat thématique et que la version électronique peut être consultée sur le site Web de la Mission des États-Unis d’Amérique auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (http://geneva.usmission.gov). Résumant les grandes lignes de ce document, M. Mulrean dit que son gouvernement est fermement convaincu qu’interdire les discours de haine n’est pas le bon moyen de lutter contre ce phénomène. En effet, ce procédé limite indûment des droits fondamentaux universellement reconnus, notamment le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Le Gouvernement des États-Unis a opté pour d’autres stratégies permettant de combattre l’intolérance et la discrimination tout en protégeant les libertés fondamentales. Il s’est notamment doté de lois réprimant les infractions motivées par la haine et de lois interdisant la discrimination dans l’accès aux lieux publics, et met en œuvre des programmes de prévention des brimades chez les jeunes et de promotion du dialogue entre les collectivités locales et la police. L’expérience a montré que la meilleure façon de réagir efficacement à un discours offensif est de lui opposer d’autres discours. Aux États-Unis, les pouvoirs publics et les ONG n’hésitent pas à faire entendre leur voix pour manifester leur désaccord face à des propos intolérants.

20.Les États-Unis considèrent que l’article 4 de la Convention devrait être interprété à la lumière du principe selon lequel la liberté d’expression ne doit être limitée qu’à titre exceptionnel, notamment en cas d’incitation à des violences imminentes, raison pour laquelle ils ont formulé une réserve à cet article, comme une vingtaine d’autres États parties à la Convention. M. Mulrean doute donc de l’opportunité de consacrer davantage de temps et de ressources à débattre des discours de haine. Si le Comité tient à poursuivre ses travaux dans ce domaine, il devrait se concentrer sur les méthodes de lutte contre le discours de haine qui n’empiètent pas sur d’autres droits, dont la liberté d’expression.

21.M me Dawkins (Australie) dit que la diversité est la caractéristique essentielle de l’identité nationale australienne, un Australien sur quatre étant né à l’étranger. Le Gouvernement applique des politiques multiculturelles qui visent à promouvoir la compréhension mutuelle par la prévention et la sensibilisation, et à lutter contre l’intolérance et la discrimination. L’Australie s’est dotée de tout un arsenal juridique interdisant la discrimination raciale mais considère que les textes de loi ne suffisent pas à eux seuls à prévenir et combattre efficacement les discours de haine et qu’ils doivent être accompagnés de programmes de sensibilisation. En août 2012, le Gouvernement a lancé une nouvelle stratégie de lutte contre le racisme pour 2012-2015 qui est axée sur la sensibilisation du public et la mobilisation des jeunes. Cette stratégie a été élaborée après de larges consultations de divers secteurs de la population, dont des groupes particulièrement touchés par le racisme. En conclusion, l’Australie encourage le Comité à utiliser sa vaste expérience pour mettre en exergue les meilleures pratiques propres à prévenir les discours de haine plutôt que les sanctions à prendre en réaction à ces discours.

22.M. Thornberry, faisant le bilan de la journée de débat, note que tous les participants se sont accordés à reconnaître la nocivité des discours de haine et la nécessité de les combattre, et ont relevé que ces discours ne connaissaient pas de frontières et se répandaient rapidement sur Internet et les réseaux sociaux. Diverses conceptions de la notion de discours de haine raciale ont été évoquées, mais même s’il n’existe pas de définition universellement acceptée, cela n’empêche pas la réflexion. Toute tentative de lutte contre les discours de haine doit prendre en considération la diversité infinie des situations et des contextes dans lesquels ils sont proférés. À cet égard, M. Thornberry constate que plusieurs intervenants ont insisté sur l’importance du contexte dans lequel sont mises en œuvre les mesures de prévention et de sanctions. Le Comité n’a pas une approche figée de l’interprétation de la Convention. Il tient toujours compte de l’apparition de nouveaux phénomènes et de nouvelles réalités, et s’intéresse aux points de jonction entre la discrimination raciale et d’autres formes de discrimination, dont la discrimination à l’égard des femmes, des minorités religieuses et, plus récemment, des personnes vivant dans la pauvreté.

23.Bien que les dispositions de l’article 4 de la Convention soient relativement explicites, des intervenants ont relevé qu’elles comportaient certaines ambiguïtés, notamment en ce qui concerne la diffusion d’idées racistes. Le Comité aura à réfléchir plus avant à cette question ainsi qu’à d’autres thèmes évoqués durant le débat, dont la distinction entre vie privée et vie publique dans le contexte de l’utilisation d’Internet, l’emploi de stéréotypes, le négationnisme et les liens entre l’article 4 et d’autres articles de la Convention, dont l’article 7. L’article 4 de la Convention a une forte valeur préventive et il faut se garder de renvoyer dos à dos l’interdiction des discours de haine et la liberté d’expression. En effet, il ne faut pas oublier que les discours de haine raciale réduisent d’autres voix au silence, dont celles des minorités autochtones, comme l’ont souligné plusieurs intervenants.

25.Notant que les ONG ont souhaité que le Comité élabore un projet de recommandation générale sur la question du discours de haine raciale, M. Thornberry souligne que tous les débats thématiques organisés par le Comité ne débouchent pas nécessairement sur l’élaboration d’un tel document et que les membres du Comité n’ont pas encore pris de décision à ce sujet mais qu’ils le feront probablement avant la fin de la session en cours. Quoi qu’il en soit, si une nouvelle recommandation générale devait voir le jour, l’expression «discours de haine raciale» ne figurerait pas dans le titre étant donné qu’elle n’est pas utilisée dans la Convention.

26.Le Président se félicite des échanges fructueux qui ont eu lieu tout au long du débat thématique et remercie toutes les personnes présentes d’y avoir participé.

La séance est levée à 18 heures.