NATIONS

UNIES

CERD

Convention internationale

sur l'élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/SR.1557

26 mars 2003

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑deuxième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1557e SÉANCE

tenue au Palais des Nations, à Genève,le mercredi 5 mars 2003, à 10 heures

Président: M. DIACONU

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Treizième à seizième rapports périodiques de l’Équateur (CERD/C/384/Add.8) (suite)

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (suite)

Débat sur la réforme du système des Nations Unies proposée par le Secrétaire général

La séance est ouverte à 10 h 10.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Treizième à seizième rapports périodiques de l’Équateur (CERD/C/384/Add.8) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation de l’Équateur reprend place à la table du Comité.

2.M. PONCE‑ALVARADO (Équateur) indique que les recensements de population sont effectués, en Équateur, sur la base de paramètres tels que le nombre total d’habitants, la ventilation de la population par sexe, par âge et par zone géographique. Les données relatives à la composition ethnique sont fondées sur la définition que donnent d’elles‑mêmes les personnes interrogées au moyen d’un questionnaire, méthode qui comporte inévitablement une certaine marge d’erreur due à la subjectivité des questions et des réponses. Partant, les chiffres obtenus lors du recensement de 2001 sont certainement plus proches de la réalité en ce qui concerne les Afro‑Équatoriens que les Blancs, qui sont probablement moins nombreux que ne l’indiquent les réponses au questionnaire.

3.Comme les ethnies pures n’existent pas en Équateur, l’appartenance à une ethnie donnée est davantage liée à des pratiques sociales déterminées qu’à des caractéristiques physiques. Par conséquent, l’affirmation de la CONAIE (Confédération des nationalités autochtones d’Équateur) selon laquelle l’Équateur compterait 40 % d’autochtones est dénuée de fondement car elle ne repose pas sur un recensement circonscrit aux personnes qui se considèrent comme des autochtones. Par ailleurs, le représentant indique que la rubrique «Autres groupes ethniques» figurant dans le recensement de 2001 désigne les citoyens d’origine asiatique, groupe qui comprend de petites colonies de Chinois, de Coréens et de Japonais vivant en Équateur.

4.Répondant aux questions concernant le Secrétariat national des affaires autochtones et des minorités ethniques (SENAIME), M. Ponce‑Alvarado indique que les populations autochtones ont à plusieurs reprises manifesté leur hostilité aux instances créées en faveur des peuples autochtones et des Afro‑Équatoriens, lesquelles constituaient, à leurs yeux, une ingérence de l’État dans les affaires autochtones. C’est pourquoi en 1997, le Gouvernement a créé le Conseil national de planification et de développement des peuples autochtones et noirs en remplacement du SENAIME. En 1998, ce Conseil a été remplacé par le Conseil de développement des nationalités et peuples de l’Équateur (CODENPE), entité publique placée sous l’autorité de la présidence de la République et composée de représentants des nationalités autochtones. Le Conseil est chargé de définir les politiques de renforcement des nationalités et peuples d’Équateur, d’exécuter et de proposer, en cogestion avec l’État, des programmes de développement intégral et durable, et de coordonner les activités de coopération et d’exécution des divers plans, programmes et projets de développement avec les organismes nationaux et internationaux, gouvernementaux et non gouvernementaux. Il n’existe cependant pas de structure administrative permettant de faciliter la coordination entre le CODENPE et les autres organismes publics chargés de questions relatives aux autochtones et aux Afro‑Équatoriens.

5.Pour ce qui est de savoir si la justice autochtone constitue une exception à la loi générale et contrevient aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, M. Ponce‑Alvarado précise que le principe constitutionnel qui régit la justice autochtone est clair en ce qu’il reconnaît la compétence des autorités autochtones pour exercer des fonctions judiciaires sur la base de normes et procédures appropriées conformes aux coutumes et au droit coutumier, ainsi qu’à la Constitution politique et aux lois du pays. Cela ne signifie pas que la justice autochtone prévaut sur la justice ordinaire, mais simplement que l’une ou l’autre est appliquée, selon qu’il convient, dans le cadre du droit équatorien. Il convient de rappeler à cet égard que le Président de la Cour suprême a estimé que l’existence d’une justice autochtone ne contrevenait pas au principe d’unité de juridiction constitutionnelle et qu’elle ne s’exerçait pas en marge du système de justice du pays.

6.S’agissant des châtiments corporels infligés en guise de sanction par la justice autochtone et du point de savoir s’ils ne sont pas en contradiction avec le respect des dispositions de certains instruments ratifiés par le pays, M. Ponce‑Alvarado explique que certains châtiments corporels, tels que le bain glacé ou l’application de feuilles d’orties sur la peau, sont peut‑être des sanctions moins nocives que l’incarcération et donc plus utiles à long terme. Par ailleurs, il indique qu’aucune étude de fond n’a été effectuée afin de comprendre pourquoi les peuples autochtones et la population dans son ensemble ne font pas confiance au système de justice. Les divers problèmes qui existent dans le système d’administration de la justice, qui se manifestent notamment par l’important retard accusé par les procédures judiciaires, ont été reconnus par les autorités. C’est pourquoi l’appareil judiciaire mène un programme de réforme administrative et organisationnelle depuis bientôt cinq ans, en coopération avec la Banque mondiale.

7.Les fonctions du Défenseur du peuple ont été élargies aux questions relatives aux peuples autochtones. En 1999 a été créé un service spécialisé dans les affaires autochtones, notamment les affaires concernant les Afro‑Équatoriens. Le Défenseur du peuple, qui est chargé de questions très concrètes dans le domaine des droits des minorités ethniques, a été saisi de plusieurs plaintes concernant la violation des droits économiques et environnementaux des autochtones et des Afro‑Équatoriens. Plus concrètement, le Défenseur du peuple a par exemple contribué à régler la question qui opposait la municipalité de Quito à 5 600 commerçants autochtones du secteur informel regroupés dans l’organisation Jatún Ayllu. Dans son prochain rapport périodique, l’Équateur s’efforcera de fournir au Comité davantage d’informations concrètes sur les activités menées par le Défenseur du peuple en faveur des autochtones et des Afro‑Équatoriens.

8.M. Kjaerum s’est étonné que des plaintes individuelles ne soient jamais soumises par des Équatoriens au Comité alors que l’Équateur a fait la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention. M. Ponce‑Alvarado explique à son intention que cette situation est due au fait que le pays a connu très peu d’incidents graves de discrimination raciale. L’Équateur est l’un des pays qui font le moins l’objet des plaintes individuelles déposées auprès des organes conventionnels de l’ONU ou au titre de la procédure 1503 de la Commission des droits de l’homme. Le fait est qu’aucun tribunal équatorien n’a été saisi de plaintes pour discrimination raciale.

9.S’agissant des droits des autochtones à la terre et à un environnement sain, M. Ponce‑Alvarado explique que les articles 86 et 91 de la Constitution, qui sont les fondements de la protection légale de l’environnement, garantissent la protection des terres et territoires autochtones et que la loi sur la gestion de l’environnement, de 1999, établit différents types de mécanismes de participation sociale à la gestion de l’environnement, notamment les consultations et audiences publiques, l’examen de projets et de propositions et la collaboration entre les secteurs public et privé.

10.Pour ce qui est des mesures prises par les autorités pour réduire l’écart économique et social entre les populations autochtones et noires et le reste de la population, le représentant indique qu’une douzaine de plans opérationnels sectoriels ont été mis en place depuis 1999 aux niveaux local, provincial et national pour traiter des questions liées à la discrimination raciale, la xénophobie et autres formes d’intolérance dans le cadre du Plan national des droits de l’homme adopté en 1998. Ces plans ont été conçus en concertation avec tous les secteurs de la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme pour défendre notamment les droits de la population noire, les migrants, les réfugiés, les apatrides et les personnes déplacées, ainsi que les droits de la femme. Ces plans, dont certains, notamment celui qui porte sur la population noire et les migrants, s’inspirent des recommandations du Programme d’action de Durban, sont gérés par une sous‑commission sectorielle du travail. En 2003, sept plans opérationnels sectoriels ont été mis en œuvre.

11.Les mesures prises par l’Équateur pour améliorer la situation de la population pauvre ne visent pas spécifiquement les populations autochtones ou noires, mais aussi les «montubios», qui constituent un groupe particulièrement pauvre. Un régime de sécurité sociale rurale a été mis en œuvre afin de protéger de manière effective les populations rurales et les pêcheurs artisanaux. M. Ponce‑Alvarado reconnaît que les ressources allouées par son pays à la protection des personnes les plus défavorisées ne sont peut‑être pas suffisantes, mais souligne que cela est dû à d’autres engagements découlant de la dette extérieure du pays, 16 milliards de dollars des États‑Unis, dont le service ponctionne 40 % du budget de l’État.

12.M. Ponce‑Alvarado regrette de ne pas être en mesure d’indiquer à M. Yutzis quel pourcentage du PIB de l’Équateur est consacré aux dépenses sociales des communautés autochtones et noires et doute même que des données du budget national équatorien ventilées de cette manière soient disponibles. Vu la pertinence de la question, il s’efforcera d’obtenir que les organismes spécialisés de son pays fassent les calculs appropriés à l’intention du Comité.

13.S’agissant des réfugiés et des migrants, M. Ponce‑Alvarado indique que les réfugiés qui se trouvent dans le pays en conformité aux instruments de droit international auxquels l’Équateur est partie ont un statut juridique adapté aux dispositions de ces instruments. Les normes d’acquisition de la nationalité équatorienne ne font pas de discrimination à l’encontre des réfugiés, encore moins en raison de leur condition d’autochtones ou de personnes d’ascendance africaine. Il précise en outre que les réfugiés établis à la frontière entre l’Équateur et la Colombie se trouvent dans des camps contrôlés conjointement par les autorités équatoriennes et le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

14.Le Gouvernement équatorien est conscient que si la majorité des autochtones vivent et travaillent dans des zones rurales, une partie importante de ce groupe de population vit dans des zones urbaines, en particulier dans les grandes agglomérations. Il n’a pas élaboré de programmes spécifiquement destinés aux autochtones qui ont émigré à la ville car il est difficile d’atteindre des personnes isolées de leur communauté et contraintes d’adopter un mode de vie urbain qui gomme beaucoup de différences ethnoculturelles. Cependant, la délégation équatorienne n’est pas en mesure de fournir au Comité des informations détaillées sur les différents programmes de développement urbain mis en œuvre par les autorités locales ou nationales en faveur des personnes qui ont émigré à la ville, et qui bénéficient sans aucun doute également aux autochtones.

15.M. Ponce‑Alvarado indique que le Gouvernement équatorien a pris plusieurs mesures visant à lutter contre la discrimination à l’égard d’Équatoriens qui émigrent à l’étranger, non seulement les autochtones ou les Afro‑Équatoriens mais aussi les Métis, qui constituent la majorité de ceux qui quittent le pays pour rechercher de meilleures conditions de vie.

16.À l’échelon national, des mesures législatives, judiciaires et administratives visent à empêcher l’émigration illégale et, par là, la discrimination à l’encontre des Équatoriens vivant à l’étranger, surtout les Noirs ou les autochtones. Le «coyoterismo» (trafic de migrants) est maintenant interdit par la loi et les tribunaux ont déjà jugé des affaires concernant ce délit. Sur le plan administratif, les services des migrations sont mis en mesure d’empêcher les sorties illégales du territoire et le trafic de personnes. Le Plan national d’assistance par des Équatoriens vivant à l’étranger a pour objectif de fournir, par délégation du Défenseur du peuple, une assistance spécialisée aux ressortissants équatoriens victimes de discrimination ou de violations des droits de l’homme dans plusieurs grandes villes étrangères, notamment par l’intermédiaire des représentations diplomatiques équatoriennes.

17.À l’échelon international, l’Équateur a ratifié la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et de leur famille et a préconisé, au sein de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, l’adoption durant deux années consécutives de résolutions en faveur des droits des migrants et de leur famille. Il a également conclu, avec des États d’immigration, des accords bilatéraux sur les flux migratoires visant à protéger les droits de l’homme et à lutter contre la discrimination raciale, la xénophobie et l’exploitation économique. Les médias mentionnés au paragraphe 160 du rapport bénéficient d’une totale liberté. L’État ne contrôle qu’une station de radio et de nombreuses communautés autochtones ont leurs radios locales. Le prochain rapport contiendra des renseignements plus précis sur l’accès des autochtones et des Afro‑Équatoriens aux médias. Comme cela est indiqué dans le rapport, l’Équateur interdit et sanctionne sévèrement toute propagande raciste. Pour ce qui est de l’éventuelle diffusion de stéréotypes dégradants à l’encontre des minorités ethniques, aucune plainte concernant cette infraction n’a encore été déposée. Le Gouvernement est toutefois déterminé à intervenir auprès des médias si cela s’avérait nécessaire. M. Ponce‑Alvarado indique ensuite, en réponse à différentes questions des membres du Comité, que l’Équateur ratifiera l’amendement à la Convention mentionné dans la résolution 57/198 de l’Assemblée générale, concernant le financement du Comité.

18.Certains membres du Comité s’étant inquiétés que des militaires participent à des projets en faveur des autochtones et des Afro‑Équatoriens et Amnesty International ayant dénoncé en 2002 les actions répressives menées par l’armée contre des communautés autochtones, M. Ponce‑Alvarado explique que l’armée contribue à des activités d’intérêt général, notamment à des programmes de vaccination et de construction d’écoles qui bénéficient à ces communautés. Il arrive également qu’elle collabore avec les forces de police lorsque l’ordre public est menacé, comme lors des soulèvements autochtones, mais ce sont là des interventions ponctuelles qui n’ont rien à voir avec les programmes mentionnés.

19.M. Ponce‑Alvarado indique à l’intention de M. Kjaerum que l’Équateur a bien l’intention d’élaborer un plan national pour l’application des documents finals de la Conférence de Durban, tâche dont s’acquittera la Commission de coordination publique pour les droits de l’homme, nouvellement créée. Il dit ensuite, à l’intention de M. Bossuyt, que la loi sur les migrations et les étrangers n’impose aucune restriction au droit des Équatoriens de quitter le pays, sauf si une décision judiciaire interdit à l’intéressé de sortir du territoire national.

20.Pour ce qui est de la coexistence entre la langue officielle nationale, l’espagnol, et les langues officielles des communautés autochtones, l’Équateur est bien loin de la situation que connaît le Paraguay, seul pays latino‑américain véritablement bilingue. La grande majorité des hispanophones ne connaissent même pas le quechua qui est la langue autochtone la plus répandue. Cependant, il y a dans le système d’éducation bilingue 40 000 enseignants représentant une dizaine de nationalités autochtones, qui connaissent à la fois l’espagnol et leur langue maternelle. L’Institut national des statistiques effectue actuellement un travail de ventilation de données en vue de connaître le nombre de Noirs et d’autochtones qui accèdent à l’enseignement primaire, secondaire et supérieur.

21.Enfin, M. Ponce‑Alvarado dit que les réponses à d’autres questions posées par les membres du Comité, qui ont trait notamment aux indicateurs sociaux relatifs aux autochtones et aux Équatoriens, à l’exploitation économique des membres des minorités ethniques et à la participation des femmes noires et autochtones à la vie sociale, en particulier politique, seront fournies dans le prochain rapport de l’État Partie.

22.M. LINDGREN ALVES est frappé par les ressemblances entre l’Équateur et son pays, le Brésil, comme la participation de l’armée à la mise en œuvre de projets en faveur des minorités. Il explique que les membres des forces armées peuvent offrir un renfort très utile lorsqu’il s’agit d’atteindre des groupes de population vivant dans des zones isolées ou difficiles d’accès.

23.M. KJAERUM souhaiterait connaître l’état du débat sur les relations entre le droit coutumier appliqué par les communautés autochtones et les normes juridiques internationales relatives aux droits de l’homme. Il aimerait savoir si l’on envisage de remplacer les châtiments corporels par des amendes ou toute autre sanction acceptable.

24.M. AMIR fait observer que les experts trouveraient peut‑être la réponse à certaines de leurs questions dans les rapports que l’État partie a présentés à d’autres comités, comme le Comité contre la torture ou le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Le gain de temps qui en résulterait permettrait un examen plus approfondi des questions directement liées à la discrimination raciale.

25.M. de GOUTTES dit qu’il prend note des explications fournies par la délégation équatorienne et par M. Lindgren Alves au sujet de la participation de l’armée à des projets en faveur des communautés autochtones. Par ailleurs, comme l’absence de plaintes pour discrimination raciale est probablement due au fait que la population n’est pas suffisamment informée de ses droits, il importe que le texte de la Convention, les rapports de l’État partie et les conclusions du Comité soient diffusés aussi largement que possible.

26.M. PILLAI, relevant au paragraphe 114 du rapport de l’Équateur que les autorités des peuples et nationalités autochtones sont reconnues et rendent la justice dans leurs villages et circonscriptions territoriales en appliquant leur propre système juridique, demande si la justice autochtone s’applique aux questions civiles et pénales, si le critère déterminant est l’origine ou le lieu de résidence des intéressés, et s’il y a eu des cas de contradiction entre les deux systèmes.

27.M. THORNBERRY dit que le débat sur la place accordée au droit coutumier concerne de nombreux pays et que l’expérience de l’Équateur dans ce domaine serait donc intéressante à connaître. Il fait également remarquer que les systèmes juridiques autochtones sont souvent empreints de davantage d’humanité et de bon sens que les autres.

28.M. YUTZIS est d’avis que l’absence de plaintes pour discrimination raciale n’est pas seulement due au fait que la population est mal informée mais aussi à la perception qu’ont souvent les groupes minoritaires de la justice, comme l’explique d’ailleurs le paragraphe 152 du rapport. Les personnes les plus vulnérables ont souvent le sentiment qu’elles ne seront pas écoutées si elles tentent de faire valoir leurs droits, attitude très répandue dans les pays d’Amérique latine.

29.M. PONCE‑ALVARADO (Équateur) souscrit à l’opinion de M. Yutzis. Conscient de ce problème, qui dérive notamment de la structure sociale du pays, le Gouvernement équatorien a entrepris de rétablir la confiance des pauvres et des minorités dans la justice en réformant les procédures judiciaires pour les rendre, par exemple, plus accessibles aux analphabètes ou aux personnes vivant dans des zones isolées.

30.M. Ponce‑Alvarado reconnaît que les autochtones et les Afro‑Équatoriens n’ont pas suffisamment connaissance de leurs droits et ne savent pas souvent qu’ils peuvent saisir la justice s’ils ont été lésés ou ont subi une discrimination. C’est pourquoi le Gouvernement envisage de lancer de vastes campagnes de sensibilisation à cette question, axées tout particulièrement sur ces groupes de population.

31.Le débat concernant la possibilité d’accorder à la justice autochtone un poids identique à celui du système judiciaire de type occidental en vigueur en Équateur reste à l’heure actuelle circonscrit aux cercles d’intellectuels et aux juristes. M. Ponce‑Alvarado regrette que le citoyen ordinaire considère que la justice autochtone, et ses applications concrètes, appartient au folklore du pays, alors qu’il s’agit là d’un système judiciaire séculaire qui n’a jamais été contesté par le passé. Du fait de cette dualité de régimes, il est arrivé qu’un contrevenant fasse l’objet d’une double condamnation pour le même délit et il est donc nécessaire d’instaurer un système unifié qui respecterait les principes de chacun d’eux. Pour cela, il faut que le débat prenne davantage d’ampleur et que la société tout entière voie la nécessité d’une telle réforme. M. Ponce‑Alvarado précise que la justice autochtone s’applique autant aux questions civiles qu’aux questions pénales et qu’elle vise uniquement les communautés autochtones, la compétence des tribunaux autochtones ne dépendant pas de critères géographiques.

32.M. TANG (Rapporteur pour l’Équateur) salue l’honnêteté avec laquelle la délégation équatorienne a souligné les problèmes rencontrés par l’État partie dans la mise en œuvre de la Convention ainsi que les efforts déployés par le Gouvernement pour combler les lacunes qu’il a relevées dans ce domaine. Il ajoute que le Comité se félicite de l’engagement pris par la délégation de fournir dans son prochain rapport périodique un complément d’information, sur la question des terres, du logement et de l’éducation, du statut des femmes, notamment des femmes autochtones et afro‑équatoriennes, sur les chaînes de radio et de télévision dirigées par des communautés autochtones ainsi que sur les cas traités par le Défenseur du peuple. Des informations complémentaires sur le fonctionnement des tribunaux autochtones, sur les lois adoptées par les communautés autochtones et sur la question de l’indemnisation des autochtones et des Afro‑Équatoriens pour les dommages causés à l’environnement seraient utiles au Comité.

33.Le PRÉSIDENT salue lui aussi l’ouverture d’esprit et la franchise de la délégation équatorienne et juge très encourageante la façon dont l’Équateur entend s’inspirer de l’expérience acquise dans d’autres pays d’Amérique latine pour mettre en œuvre la Convention.

La séance est suspendue à 11 h 40; elle est reprise à 11 h 50.

QUESTIONS D’ORGANISATION ET QUESTIONS DIVERSES (point 2 de l’ordre du jour) (suite)

Débat sur la réforme du système des Nations Unies proposée par le Secrétaire général: question de l’élaboration d’un rapport unique, de la coordination des activités des comités et de l’harmonisation des règles en matière de présentation de rapports

34.M. KJAERUM dit qu’il n’est pas sûr que tous les États parties seraient disposés à élaborer un rapport unique dressant le bilan de la situation de l’ensemble des droits de l’homme sur leur territoire plutôt que des rapports séparés destinés à chacun des organes conventionnels auxquels ils sont parties. Leur tâche n’en serait pas nécessairement facilitée car ils ne pourraient plus se référer aux principes directeurs concernant la forme et la teneur des rapports qui leur sont très utiles. M. Kjaerum estime que l’adoption d’un rapport unique aurait pour conséquence de compliquer la tâche des experts qui seraient obligés d’extraire d’un rapport volumineux les informations concernant la convention ou le pacte dont ils sont chargés de suivre l’application. Il estime en outre que les informations fournies y seraient nécessairement moins approfondies.

35.Le PRÉSIDENT pense qu’il faudrait peut‑être suggérer au secrétariat de consulter les États parties aux divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme sur le sujet.

36.M. AMIR dit qu’il serait souhaitable que le Comité se procure les réponses des autres organes conventionnels sur la question avant de se prononcer. Il se demande si les thèmes qui seraient abordés dans un rapport unique resteraient ceux qui sont pour l’heure examinés individuellement par les différents organes conventionnels et si la question de l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ne risquerait pas de recevoir une attention moindre. M. Amir soulève aussi le problème du caractère volumineux du document unique envisagé et se demande si tous les organes conventionnels seraient à même de siéger en même temps au même endroit. Dans la négative, qu’adviendrait‑il des six organes conventionnels et, partant, des conventions et pactes dont ils sont les garants.

37.M. HERNDL fait observer que le seul organe conventionnel à avoir abordé la question du rapport unique avec les États parties est le Comité des droits de l’enfant, lors d’une réunion tenue le 29 janvier 2003, dont il est ressorti (voir CRC/C/SR.858) qu’à l’exception de la Suisse, qui s’est dite favorable à l’établissement d’un tel rapport, les États parties n’avaient pas d’opinion sur la question ou ont suggéré d’entreprendre une étude de faisabilité, soulevant les inconvénients que présenterait un rapport unique. M. Herndl soutient donc la proposition de consulter les États parties.

38.M. Herndl ajoute que dans sa réponse à la demande d’information du Haut‑Commissaire concernant la réforme du système des Nations Unies, la Présidente du Comité des droits économiques, sociaux et culturels a fait savoir que des membres de cet organe conventionnel s’étaient dits préoccupés à l’idée qu’en «résumant» la façon dont ils observent l’ensemble des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels ils sont parties, les États membres pourraient ne pas dresser un bilan approfondi de la mise en œuvre de ces obligations. Des membres se sont dits également préoccupés à l’idée qu’un rapport unique aurait pour conséquence de réduire l’importance que les États parties accordent actuellement aux droits économiques, sociaux et culturels.

39.M. Herndl déduit de ce qui précède que d’une manière générale, la proposition tendant à ce qu’un rapport unique soit présenté aux six organes conventionnels suscite plus de réticences que d’avis favorables. Il est convaincu que l’acceptation d’une telle proposition conduira inexorablement à la question de savoir qui devra examiner ce rapport et pourquoi conserver six organes de suivi des traités lorsqu’il n’y aura plus qu’un seul rapport à examiner. Il est donc opposé à cette proposition. En revanche, il suggère de réfléchir aux moyens d’alléger la tâche des États parties en matière d’établissement de rapports et estime que la proposition du Secrétaire général de coordonner les activités des comités et d’harmoniser les règles en matière de présentation des rapports est fort judicieuse et invite les membres du Comité à y réfléchir plus avant.

40.M. de GOUTTES estime lui aussi qu’avant de se prononcer, il serait très utile que le Comité demande au Secrétaire général de consulter les États sur la question du rapport unique envisagé. À l’instar de M. Kjaerum, il n’est pas persuadé qu’un tel rapport unique allégerait la charge de travail des États, même présenté sous la forme d’un document de base complété d’annexes traitant chacune des droits visés par telle convention ou tel pacte. Il craint lui aussi que la question du racisme et de la discrimination raciale reçoive une attention moindre. Il pense que d’une manière générale, le Comité devrait se dire préoccupé de ce que les organes conventionnels, jugés tantôt trop durs à l’égard des États parties, tantôt inefficaces, font de plus en plus souvent l’objet de critiques et que leurs recommandations ne soient pas prises au sérieux par ces derniers. M. de Gouttes ne conteste pas la nécessité de réformer les organes conventionnels, afin de simplifier les procédures et les méthodes de travail, mais il estime que le système actuel a fait ses preuves et qu’il faut réfléchir avant de le sacrifier.

41.M. ABOUL‑NASR est fermement opposé à l’idée de consulter les États parties, qui pourraient se prononcer majoritairement en faveur de l’établissement d’un rapport unique, ce qui n’est pas souhaitable selon lui car les obligations spécifiques découlant des différents pactes ou des conventions s’en trouveraient affaiblies. Il ne serait pas opposé, en revanche, à une solution intermédiaire qui consisterait pour les États à présenter un document de base étoffé à l’intention des six organes de suivi des traités, assorti de rapports spécifiques traitant des droits dont chacun d’entre eux s’occupe.

42.M. TANG estime que d’une manière générale, le processus d’établissement d’un rapport unique assorti de six annexes faisant intervenir six ministères différents entraînerait des délais trop longs. En revanche, il pense que cette solution pourrait convenir aux pays les moins avancés, qui n’ont pas toujours les ressources humaines et financières nécessaires à l’élaboration de nombreux rapports. Il serait préférable d’obtenir de ces pays un rapport unique plutôt qu’aucun. La question qui se pose est donc celle de savoir s’il est possible de faire une distinction entre les pays disposant de suffisamment de fonds pour rédiger des rapports multiples et ceux qui n’ont pas les ressources nécessaires.

43.M. YUTZIS dit que l’adoption ou non du principe d’un rapport unique sera déterminante pour la force de chacun des organes conventionnels. Les arguments avancés en faveur de ce principe, même s’il est indéniable que la multiplication des obligations découlant des traités relatifs aux droits de l’homme représente pour les États parties un lourd fardeau au regard des ressources dont ils disposent, ne sont pas entièrement convaincants. De plus, certains pays mettraient à profit le rapport unique pour diluer leurs obligations en matière de présentation de rapports. Par ailleurs, tous les États parties ne sont pas d’accord sur le principe et continuent de se poser de nombreuses questions, restées jusqu’ici sans réponse.

44.M. Yutzis est d’avis que le Comité devrait examiner la question en profondeur, sans précipitation et sans s’engager dans la voie dangereuse, choisie par le Comité des droits de l’enfant sur la question dans un document (E/CN.4/2003/126, par. 6) qui contient des propositions favorables à un rapport unique.

45.M. VALENCIA RODRIGUEZ note que les États préparant un rapport unique devront procéder à de très nombreuses consultations internes, qui rendront le gain de temps espéré insignifiant. On peut craindre de plus que certaines questions soient négligées, notamment la discrimination raciale, au profit de problématiques relevant de traités perçus comme plus importants, en particulier les deux Pactes internationaux.

46.M. Valencia Rodriguez pense qu’une solution serait peut‑être d’étoffer le document de base constituant la première partie des rapports des États parties, qui devrait alors être mis à jour de manière plus régulière qu’actuellement. Les rapports soumis aux différents organes conventionnels en constitueraient le développement dans un domaine particulier.

47.Par ailleurs, il a été dit que le mécanisme de rapport unique rendrait nécessaire une réforme des six traités concernés, notamment de leurs dispositions relatives à la périodicité des rapports. Or, il n’entre pas dans les prérogatives des organes conventionnels de modifier les traités. On peut aussi se poser la question de savoir quelle procédure s’appliquerait si un ou plusieurs États ne présentaient pas en temps voulu le rapport unique envisagé. Une conséquence logique du rapport unique serait peut‑être l’abandon du système des organes conventionnels au profit d’un comité élargi composé d’une trentaine ou d’une quarantaine de membres, qui tiendrait des sessions plus longues. La meilleure solution serait sans doute de mieux programmer la présentation et l’examen des rapports et de veiller à une plus grande coordination entre les États et les organes conventionnels. Enfin, s’il convient de consulter les États parties, ceux‑ci attendent aussi des organes conventionnels qu’ils donnent leur point de vue sur la question.

48.M. RESHETOV dit que la proposition visant à l’établissement d’un rapport unique va à l’encontre des recommandations issues de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui visent à renforcer le rôle des instruments et mécanismes conventionnels. De plus, le rapport unique pourrait inciter les fonctionnaires chargés de son établissement à ne traiter des questions pratiques relevant, par exemple, des droits économiques et sociaux, qu’ils pourraient considérer comme plus importantes que d’autres, moins immédiates, telles que les contrôles d’identité liés à l’appartenance ethnique. Enfin, si on lui retirait sa principale fonction, qui est d’examiner les rapports présentés par les États parties, le Comité perdrait sa raison d’être.

49.M. LINDGREN ALVES dit qu’il a appuyé l’idée du rapport unique sachant les difficultés que l’établissement des rapports pose aux autorités nationales. Par ailleurs, on ne peut produire les rapports destinés, par exemple, au Comité des droits de l’homme sans aborder la question de la discrimination raciale, d’où des chevauchements.

50.M. PILLAI partage les préoccupations exprimées quant à la charge que l’établissement des rapports représente actuellement pour les États parties. Il n’en reste pas moins que la communauté internationale a jugé que des traités différents devaient être adoptés pour des questions différentes et qu’il s’ensuit que leur suivi doit être à la fois spécifique et détaillé. De plus, la communauté internationale attend l’entrée en vigueur d’un septième traité, la Convention internationale relative à la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, et envisage d’adopter une convention protégeant les droits des personnes handicapées. Ces conventions exigeront un mécanisme spécifique et détaillé conforme à l’intérêt que suscitent les questions auxquelles elles se rapportent.

51.En outre, l’idée d’un rapport unique ne couvre que l’aspect formel du rapport; si le vrai problème touche aux ressources disponibles au niveau national, ce sont les obligations de rendre compte de l’application des traités qu’il faudrait revoir, pour éventuellement les alléger, ainsi que les mécanismes d’examen des rapports.

52.M. THORNBERRY considère que la principale objection à opposer au principe d’un rapport unique est que les questions liées, par exemple, au racisme ou aux droits des femmes risquent d’y être marginalisées. Cela ne ferait que renforcer la difficulté qu’il y a déjà à obtenir des États parties qu’ils reconnaissent en plus grand nombre la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de personnes ou de groupes de personnes, ainsi qu’à faire en sorte que les États saisissent le Comité de situations de discrimination raciale dans d’autres États, comme prévu à l’article 11 de la Convention. Le critère qui devrait guider toute décision en la matière est la capacité du mécanisme mis en place de défendre les droits de l’homme. Quant à l’idée de consulter les États, il fait observer que ces derniers attendent de connaître eux‑mêmes les vues des organes conventionnels sur la question.

53.Par ailleurs, il a été reproché aux organes conventionnels d’adopter des recommandations auxquelles les États concernés ne donnent pas suite. C’est ignorer le fait que les États procèdent le plus souvent à des modifications des dispositions législatives et constitutionnelles dont les effets se font sentir à long terme. À cet égard, les organes conventionnels n’ont pas à changer de cap.

54.Enfin, les problèmes auxquels les États se heurtent dans l’établissement de leurs rapports périodiques requièrent davantage une assistance concrète qu’un affaiblissement des normes internationales.

55.M. BOSSUYT estime que la possibilité de simplifier la tâche des gouvernements grâce à un rapport unique est illusoire, en raison d’obstacles juridiques insurmontables: les différences entre les dispositions et procédures inscrites dans les traités, les États parties à chaque traité ou les méthodes de travail employées par les divers organes conventionnels. Unifier les rapports supposerait que l’on unifie les traités et que l’on adopte donc un instrument supplémentaire unique, que les États devraient ratifier. Une autre voie consisterait à étoffer le document de base. Au demeurant, le Comité a déjà fait un effort en acceptant que les États parties lui présentent un rapport tous les quatre ans, au lieu des deux ans initialement prévus.

56.M. SHAHI doute que le rapport unique envisagé contribuerait à faire mieux respecter les droits de l’homme dans le monde. Le fardeau qui pèse sur les États parties n’en serait pas allégé pour autant puisqu’il faudrait établir le rapport unique en tenant compte des exigences de six traités. Si la tâche des États n’est assurément pas simple, c’est surtout parce qu’ils doivent se transformer radicalement pour se conformer aux normes prescrites dans les traités, chose qui ne peut se faire que progressivement.

57.M. Shahi estime que le questionnaire qui devrait être envoyé aux États parties devrait porter sur tous les aspects afférents aux différents traités. Enfin, les procédures du Comité pourraient être améliorées, notamment sur le plan de la collecte des données, souvent disponibles dans d’autres rapports que ceux fournis par les États. Ainsi, il serait loisible au Comité d’établir lui‑même un rapport concernant un État partie et de le transmettre à cet État pour recueillir ses observations.

La séance est levée à 13 h 5.

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