Nations Unies

CERD/C/SR.1959

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

18 novembre 2009

Original: français

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Soixante- quinzième session

Compte rendu analytique de la 1959 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 20 août 2009, à 10 heures

Président e: Mme Dah

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (suite)

Septième à seizième rapports périodique s de l’Éthiopie (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Septième à seizième rapports périodique s de l’Éthiopie (CERD/C/ETH/S7‑16) (suite)

1.Sur l’invitation de la Président e , la délégation éthiopienne reprend place à la table du Comité.

2.La Présidente invite les membres du Comité qui n’en ont pas eu le temps à la séance précédente à poser leurs questions à la délégation éthiopienne.

3.M. Huang Yong’an, notant que l’Éthiopie compte plus de 80 ethnies, demande s’il existe une discrimination de facto entre les groupes ethniques. Au sujet de la situation dans la zone dite «de sécurité» à la frontière entre l’Éthiopie et l’Érythrée, il aimerait savoir si les négociations de paix vont reprendre pour permettre notamment aux groupes ethniques d’exploiter les ressources de cette région normalement très fertile. Il voudrait avoir un complément d’information sur le rôle joué par la Commission éthiopienne des droits de l’homme et par le Médiateur dans la protection et la défense des droits des minorités ethniques. Enfin, il demande si l’Éthiopie envisage d’adopter une loi traitant expressément de la discrimination raciale.

4.M. Diaconu, évoquant le système de fédéralisme ethnique en vigueur en Éthiopie, en vertu duquel chaque État régional adopte ses propres lois, demande comment l’État fédéral s’y prend pour s’assurer que les lois régionales sont conformes à la Constitution fédérale et que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme sont respectés par les administrations régionales. Il voudrait également connaître les liens entre le droit coutumier local et le droit fédéral. Citant diverses sources d’information selon lesquelles l’Éthiopie compterait plus de 700 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays, il demande si les droits de ces personnes sont respectés là où elles ont été réinstallées. Il voudrait aussi savoir s’il existe des mesures visant à faciliter leur retour dans leur région d’origine lorsque cela est possible. Enfin, il demande ce que l’État partie entend par «droit à l’autodétermination», expression employée à plusieurs reprises dans le rapport à l’examen, sachant qu’à l’évidence, les autorités fédérales veulent préserver l’intégrité territoriale du pays.

5.M. Lindgren Alves note avec satisfaction que 30 % des sièges du Parlement sont occupés par des femmes et demande si une représentation aussi élevée est due à l’application d’un système de quotas. Se référant au tableau 2 du rapport concernant la représentation des nations, nationalités et peuples d’Éthiopie à la Chambre de la Fédération, il voudrait savoir si le nombre de sièges réservés à tel ou tel peuple ou nationalité est fixe, ou si le tableau fait état de la situation à un moment donné. Il s’étonne de lire au paragraphe 32 du rapport que «la loi électorale interdit à toute organisation politique de pratiquer la discrimination», notamment celle fondée sur l’ethnie et la race, sachant que selon plusieurs sources d’information, un certain nombre d’organisations politiques sont exclusivement ouvertes à telle ou telle ethnie ou nationalité. Il voudrait connaître le point de vue de la délégation sur cette question. Par ailleurs, il évoque les critiques de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG), notamment le Norwegian Refugee Council, selon lesquelles la politique de fédéralisme ethnique, qui s’est notamment traduite par une division des régions en fonction de la composition ethnique, contribue à exacerber les tensions. D’une manière générale, il voudrait que la délégation revienne sur la notion de fédéralisme ethnique, ses origines et ses conséquences.

6.M. Thornberry croit comprendre que le système de fédéralisme ethnique a été institué dans le but d’éviter la domination d’un groupe ethnique par un autre. Force est pourtant de constater que le système a montré ses limites dans la mesure où il existe de fortes tensions entre les ethnies. Il voudrait savoir si l’État partie a donné suite à la recommandation formulée par l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, Mme Gay McDougall, à la suite de la mission qu’elle a effectuée en Éthiopie en 2006, tendant à organiser une conférence sur la question du fédéralisme ethnique. Lisant au paragraphe 109 du rapport que les parcs nationaux «sont entretenus grâce à la participation de la population vivant aux alentours», il se félicite du tableau idyllique dressé par l’État partie en ce qui concerne les peuples autochtones et les parcs nationaux sachant que, dans des pays africains voisins, la création de parcs a souvent entraîné des déplacements de population. Est-ce le cas en Éthiopie? La délégation est invitée à fournir des informations à ce sujet.

7.Enfin, s’agissant des mutilations génitales féminines, il se félicite de l’approche répressive adoptée par l’État partie, mais demande si elle s’accompagne de campagnes de sensibilisation et d’information sur les dangers et risques liés à de telles pratiques.

8.M. Lahiri évoque la situation dans les cinq régions du pays qui sont essentiellement habitées par des musulmans, alors que le pays est majoritairement chrétien, et dit que des indicateurs détaillés seraient utiles pour évaluer les éventuelles disparités entre les régions dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’emploi. Il fait observer que la structuration de l’État sur la base de critères ethniques entraîne inévitablement une politisation de la question ethnique et se demande si cela n’explique pas en partie l’ampleur de la violence en Éthiopie. Il invite la délégation à faire part de son point de vue sur la question.

9.M. Yimer (Éthiopie) fait observer que ce ne sont pas les Éthiopiens qui qualifient le système fédéral éthiopien de «fédéralisme ethnique» et que cette appellation émane de sources extérieures au pays. Dans le système juridique éthiopien, l’ethnicité est conçue à partir de la notion de nation, de nationalité ou de peuple. Selon la Constitution «une nation, une nationalité ou un peuple» est «un groupe de personnes qui ont, ou qui partagent, en grande partie, la même culture ou ont des coutumes semblables, une langue commune, la croyance en une identité ou des identités communes ou proches, des caractéristiques psychologiques communes, et qui habitent un territoire identifiable» (CERD/C/ETH/7-16, par. 10).

10.En Éthiopie, l’appartenance ethnique d’un individu repose sur l’auto-identification de cette personne ou son origine à la naissance. Une personne a le droit de s’identifier comme ayant une origine ethnique mixte ou même de ne se rattacher à aucun groupe ethnique particulier et donc de se définir comme Éthiopien. Les groupes minoritaires sont reconnus par la Constitution et des sièges leur sont attribués au Parlement.

11.La République fédérale démocratique d’Éthiopie (HRI/CORE/ETH/2008, par. 6) n’est donc pas née du jour au lendemain et est le fruit d’un long processus de consultation et de participation démocratiques. Ce système a été librement choisi par le peuple éthiopien et mérite, en tant que tel, d’être respecté. C’est pourquoi l’Éthiopie ne peut accepter l’affirmation selon laquelle le système fédéral éthiopien serait la cause de tous les maux du pays. L’Éthiopie n’est pas le seul État fédéral du monde à être confronté à des conflits ethniques et rien ne permet d’affirmer que ces problèmes sont imputables au système fédéral, comme semble vouloir le croire M. Peter, Rapporteur pour l’Éthiopie.

12.M. Yimer se demande en outre si la question 18 de la liste des points à traiter, où il est demandé à l’État partie d’«expliquer comment l’Éthiopie peut devenir un pays homogène alors que sa population est divisée en groupes ethniques et gouvernée en fonction de l’appartenance aux différentes nations, nationalités et peuples», ne sous-entend pas, en réalité, que seul un système non fédéral serait à même d’assurer la cohésion des peuples qui le composent. L’Éthiopie est convaincue que le système fédéral choisi démocratiquement par son peuple accorde davantage de droits aux ethnies et nations qui le composent qu’un système unitaire. La société éthiopienne n’est certes pas homogène, mais cette hétérogénéité doit-elle nécessairement être considérée comme un fléau? Le Gouvernement éthiopien ne le pense pas.

13.Répondant aux observations des experts du Comité au sujet du fonctionnement du système fédéral éthiopien, M. Yimer explique qu’aucun organe judiciaire ou juridictionnel dont les membres ne sont pas élus n’est habilité à interpréter les dispositions de la Constitution fédérale éthiopienne. Le Conseil constitutionnel est un organe consultatif établi auprès de la Chambre de la Fédération (ibid., par. 32), qui certes peut interpréter la Constitution et adresser ses recommandations à la Chambre de la Fédération, mais n’a toutefois pas de pouvoir décisionnaire en la matière. Le Conseil constitutionnel formule des recommandations à la Chambre, qui, parce qu’elle est composée de représentants des Nations, des Nationalités et des Peuples (ibid., par. 35) peut seule accepter ou refuser toute recommandation à cet égard.

14.S’agissant du droit constitutionnel à la sécession accordé à chaque nation, nationalité et peuple d’Éthiopie en vertu de l’article 39 de la Constitution (ibid., par. 119), M. Yimer souligne que l’Éthiopie est le seul État du monde à garantir un tel droit à son peuple mais que cela ne signifie nullement, comme certains experts du Comité semblent le croire, que le pays est en voie de désintégration. Ce droit est strictement encadré et ne peut être appliqué que selon des modalités extrêmement codifiées.

15.M. Mulugeta (Éthiopie) indique que contrairement à certaines allégations, son pays dispose d’une législation spécifique sur les réfugiés, dont la «Proclamation» ou décret no409 de 2004 qui établit le cadre national en matière de protection des refugiés. Il rappelle que l’Éthiopie est partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et à la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique. Le Gouvernement éthiopien a également signé le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

16.L’organe éthiopien responsable des réfugiés est le Bureau de la Direction des affaires des réfugiés et rapatriés. Le Bureau applique les lois, règlements et directives promulgués en vue de régler les cas des réfugiés et coordonne et supervise les services rendus aux réfugiés par ses bureaux auxiliaires établis dans les régions où sont installés les camps de réfugiés. En outre, en collaboration avec le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Bureau de liaison régional du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et d’autres organisations caritatives, le Bureau offre aux réfugiés de la nourriture, de l’eau, des abris et d’autres services sociaux tels que des services de santé et d’éducation. Une attention spéciale est accordée aux enfants et aux femmes en raison de leur vulnérabilité particulière. Outre ces services de protection sociale, le Bureau s’engage à assurer la sécurité et le bien-être des réfugiés durant leur séjour dans les camps. L’organe de planification préalable et de prévention des catastrophes naturelles du Gouvernement fédéral intervient également en faveur des personnes déplacées à la suite de catastrophes naturelles telles que la sécheresse et les famines.

17.S’agissant des allégations selon lesquelles l’Éthiopie aurait maltraité et expulsé des réfugiés érythréens, M. Mulugeta affirme que son pays est toujours venu en aide, avec l’aide du Bureau de liaison régional du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, aux personnes qui ont fui l’Érythrée au moment du conflit entre l’Érythrée et l’Éthiopie. La vérité est que l’Éthiopie doit faire face à un flux continu d’immigrants érythréens constitué, en majeure partie, de jeunes hommes qui fuient leur pays pour éviter la conscription. Tous les jours, l’Éthiopie accueille sur son sol quelque 300 jeunes Érythréens auxquels elle s’efforce de venir en aide, malgré ses ressources limitées, avec l’aide du Bureau de liaison régional du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

18.L’Éthiopie peut se prévaloir d’avoir adhéré à la plupart des principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Elle ne compte pas s’arrêter là, mais les autorités compétentes doivent d’abord passer en revue et examiner de près tous les nouveaux instruments ouverts à la ratification des États en vue de prendre une décision en connaissance de cause, sachant qu’ils sont chaque jour plus nombreux.

19.Pour ce qui est de l’application de ces instruments, M. Mulugeta indique que l’article 9 4) de la Constitution dispose que tous les traités ratifiés par l’Éthiopie font partie intégrante du droit national. et que ces instruments peuvent même servir à interpréter les dispositions de la Constitution relatives aux droits de l’homme.

20.M. Mulugeta évoque la question de savoir s’il est préférable qu’un État partie accédant à un traité international en publie à son journal officiel une traduction dans sa langue officielle seulement ou dans celle de ses différents États ou régions, auquel cas elle risque de créer une abondante jurisprudence dans différentes langues. Dans le cas de l’Éthiopie, nombre d’instruments internationaux sont traduits avec l’aide du Comité international de la Croix-Rouge ou encore de la Commission éthiopienne des droits de l’homme mais il s’agit de traductions officieuses, qui ne sont pas publiées au Journal officiel.

21.La Constitution dispose que pour toutes les affaires ayant trait à la famille, ce sont les dispositions du droit coutumier ou du droit religieux (customary and religious laws) qui s’appliquent, à condition qu’elles respectent les principes et valeurs des droits de l’homme. Dans le même temps, le Gouvernement éthiopien consacre dans sa Constitution la primauté du droit international des droits de l’homme sur les lois internes et encourage les groupes religieux et coutumiers à procéder à la codification des lois coutumières. C’est notamment ce qu’a fait le groupe ethnique des Gurage, qui à l’issue de séminaires réunissant des chefs traditionnels et les membres de la communauté, a codifié les pratiques. Cette codification a même eu parfois pour effet de moderniser la pratique: en vertu du nouveau droit coutumier codifié, c’est désormais l’homme – et non plus la femme – qui est tenu de quitter le domicile en cas de conflit au sein d’un couple.

22.Les chefs traditionnels ayant une influence considérable sur les communautés, c’est grâce à eux qu’il est possible de lutter contre les mutilations génitales féminines et sensibiliser les populations aux droits des femmes ainsi qu’aux moyens de se protéger contre le VIH/sida.

23.Pour éviter les conflits entre les lois d’un État régional et les lois fédérales, la Constitution définit précisément les domaines de compétence respectifs de l’État fédéral et des États régionaux. En cas de conflit entre des lois de différents niveaux, l’on se réfère à la Constitution, qui l’emporte sur toutes les autres lois. La Chambre de la Fédération peut en outre se prononcer sur la non-conformité d’une Constitution ou d’une loi régionale avec la Constitution fédérale.

24.Pour ce qui est des mutilations génitales féminines, le Code pénal révisé, en son article 565, punit d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois mois toute personne qui pratique une excision sur une femme. L’article 566 prévoit une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à quinze ans pour les formes les plus graves d’excision, notamment l’infibulation.

25.Les enquêtes menées par le Gouvernement éthiopien pour évaluer l’incidence des mutilations génitales féminines ont révélé un recul de cette pratique, ce qui témoigne de l’efficacité de la sensibilisation au niveau local. Selon une enquête démographique et sanitaire (DHS) de l’UNICEF l’incidence de cette pratique a diminué de 40 % entre 2000 et 2005, statistiques confirmées par diverses autres enquêtes.

26.Le Front démocratique révolutionnaire des peuples d’Éthiopie (EPRDF) n’est pas dirigé par le Front populaire de libération du Tigré (FPLT), même si celui-ci a joué un rôle particulièrement influent dans sa création en 1989 et a lancé le mouvement de libération. L’EPRDF comptait en 2006 4 millions de membres, dont 3,5 % de paysans, ce qui traduit une forte implantation dans les zones rurales. La composition du Parlement, des ministères ou des forces de sécurité ou de l’armée ne révèle la prédominance d’aucun groupe particulier.

27.La proclamation 621 de 2009 sur l’homologation des organisations caritatives et des associations a pour objectif d’instaurer un environnement propice à la création de telles organisations, d’en reconnaître la diversité et de leur permettre de se fédérer au sein d’un consortium. Elle autorise en outre lesdites organisations à participer à des activités génératrices de revenus, ce qui n’était pas le cas auparavant.

28.Pour ce qui est du financement des organisations caritatives, s’il est vrai que toute organisation ou association qui tire plus de 10 % de son revenu de donateurs étrangers n’est plus considérée comme une organisation nationale mais comme une société internationale, il est par contre faux de dire que ce statut différent l’empêche de poursuivre ses activités en Éthiopie comme cela a été suggéré par un membre du Comité.

29.L’agence créée en vertu de la proclamation no 621 pour procéder à l’homologation des organisations caritatives et des associations a permis d’accélérer les procédures d’enregistrement. Contrairement aux accusations portées par certaines organisations comme Human Rights Watch ou Amnesty International, cette agence n’est pas omnipotente et nombre d’ONG ne sont pas soumises à son autorité, comme les organisations religieuses, les associations d’entraide et les organisations internationales. En outre, toute organisation interdite d’exercice ou dissoute par l’Agence peut porter plainte auprès du Directeur général de l’Agence, saisir le Conseil de l’Agence qui se compose entre autres de membres de la société civile ou encore porter l’affaire devant la Haute Cour de justice.

30.M. Reda (Éthiopie) dit que les conflits ne sont pas seulement interethniques, mais opposent parfois les membres d’une même ethnie qui se disputent l’accès aux ressources naturelles (pâturages, eau, terres arables). En cela, ils sont souvent le résultat d’une mauvaise gestion des richesses et des ressources par les autorités, et n’ont d’autre cause que la pauvreté. En revanche, l’octroi ou non de subventions, par la Chambre de la Fédération, n’a jamais été à l’origine de tels conflits.

31.Pour tenter de mettre un terme aux conflits d’une manière générale, le Gouvernement éthiopien a mis en place deux stratégies de prévention: l’une consiste à promouvoir une culture de la paix par le biais de l’enseignement, l’autre, à créer des mécanismes d’alerte précoce et d’intervention rapide aux niveaux local, régional et fédéral. Il espère ainsi être en mesure d’éviter quelque 90 % des conflits. Pour les 10 % restants, susceptibles de dégénérer en conflits violents, le Gouvernement éthiopien prévoit, dans un premier temps, de déployer rapidement des forces de sécurité afin de réduire au maximum les pertes humaines et matérielles et, dans un deuxième temps, de favoriser le dialogue entre les parties au conflit, en réunissant les chefs de clans et les responsables religieux. À l’issue des conflits, les responsables peuvent avoir à rendre des comptes à la justice.

32.M. Yibabe (Éthiopie) dit qu’avant l’adoption de la Constitution, certaines langues et cultures prédominaient de fait, ce qui poussait les locuteurs des autres langues à se rebeller pour que leurs langue et culture propres soient respectées. Pour mettre un terme aux conflits de cette nature, la Constitution a consacré en son article 5 l’égalité de toutes les langues et cultures du pays. Les États régionaux peuvent désormais choisir leur langue officielle, la langue officielle nationale restant l’amharique. Dans le cadre des procédures judiciaires, des services d’interprétation sont fournis gratuitement aux personnes qui ne connaissent pas la langue officielle de l’État régional ni l’amharique.

33.La Constitution interdit toute forme de discrimination, mais aucune loi n’a encore été adoptée pour la réprimer. La Convention elle-même n’exige d’ailleurs pas des États parties qu’ils en adoptent une.

34.De graves violations des droits de l’homme ont eu lieu sous le régime militaire, un chapitre très triste de l’histoire du pays. Lorsqu’il a accédé au pouvoir, le nouveau Gouvernement a pris des mesures pour que les personnes soupçonnées d’avoir commis ces actes odieux, y compris celles qui appartenaient aux plus hautes sphères du pouvoir, s’expliquent devant la justice et soient punies. Un procureur spécialement chargé de ces crimes a été nommé pour instruire les différents dossiers. Certains prévenus ont été acquittés, d’autres condamnés à des peines d’emprisonnement à vie ou allant de cinq à quinze ans d’emprisonnement selon les faits dont ils ont été reconnus coupables. Certains ont fait appel de leur condamnation, ou se sont pourvus en cassation.

35.Les juges et les procureurs reçoivent tous une formation juridique dans une école spécialisée afin d’être capables d’interpréter les lois et de connaître parfaitement les institutions fédérales et régionales du pays.

36.M. Berude (Éthiopie) dit que des internats ont été créés pour accueillir notamment les élèves des nations et nationalités du sud afin de permettre aux membres des minorités de tirer le meilleur parti des mesures correctives mises en œuvre par le Gouvernement. Des campagnes de sensibilisation ont également été mises en place pour combattre les pratiques traditionnelles néfastes profondément ancrées.

37.M. Yimer (Éthiopie) souhaite que le Comité donne la parole à M. Hersho, Président de la Commission éthiopienne des droits de l’homme, qui bien que ne faisant pas partie de la délégation officielle de l’Éthiopie, est bien placé pour donner un aperçu de la situation des droits de l’homme dans le pays.

38.M. Hersho (Commission éthiopienne des droits de l’homme) dit que la Commission éthiopienne des droits de l’homme est un organe indépendant créé conformément à la Constitution, qui rend compte de ses activités au Parlement. D’après son mandat, décrit dans le document de base (HRI/CORE/ETH/2008, par. 161 à 164), il est notamment habilité à ouvrir des enquêtes sur les violations des droits de l’homme, dont les actes de discrimination raciale, et à suivre les mesures prises par le Gouvernement éthiopien pour appliquer les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Éthiopie est partie, dont la Convention, et est chargé de mener des activités de sensibilisation et de formation dans le domaine des droits de l’homme. Étant une institution relativement jeune, la Commission éthiopienne des droits de l’homme n’est pas encore en mesure de jouer pleinement son rôle; cependant, depuis qu’elle est opérationnelle, c’est-à-dire depuis 2005, elle a mené un nombre relativement élevé d’activités. Elle a organisé des séminaires, des ateliers et des forums de discussion sur les droits de l’homme, notamment sur la discrimination raciale, à l’intention des membres du Parlement, de fonctionnaires de l’administration fédérale et des organes publics régionaux, des fonctionnaires de la police nationale, de personnes appartenant à des groupes vulnérables, dont des minorités ethniques, et de représentants d’organisations de la société civile. Grâce à ces activités de sensibilisation, le nombre de plaintes dont la Commission est saisie a augmenté et une bonne part d’entre elles concerne des faits de discrimination raciale (voir CERD/C/ETH/ 7‑16, tableau no 3 p. 45 et 46).

39.Dans le cadre de son mandat, la Commission éthiopienne des droits de l’homme a commencé à traduire les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Éthiopie est partie dans les trois principales langues vernaculaires, soit l’amharique, l’oromiffa et le tigrigna. Il est prévu de les traduire également dans d’autres langues locales.

40.M. Hersho conteste à une affirmation du rapporteur selon laquelle la Commission n’aurait pas mené d’activités d’éducation aux droits de l’homme et n’aurait pas ouvert d’enquêtes sur des plaintes pour discrimination raciale, dont il dit qu’elle ne correspond pas à la réalité et ne rend pas justice aux activités menées par la Commission. En effet, même si celle-ci n’a pas été aussi active qu’on aurait pu le souhaiter, elle a fait beaucoup d’efforts pour devenir accessible au public et elle s’emploie activement à mettre en place des bureaux locaux dans toutes les régions du pays.

41.En outre, la Commission a lancé une initiative visant à aider le Gouvernement éthiopien à s’acquitter de l’obligation qui lui incombe de présenter des rapports périodiques aux organes conventionnels. Cette initiative a pu se concrétiser grâce à l’assistance technique et au soutien du bureau pour l’Afrique de l’Est du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, qui se trouve à Addis-Abeba. L’élaboration du rapport à l’examen a comporté plusieurs étapes: l’organisation d’activités d’information sur la procédure de présentation des rapports, la constitution d’un comité de rédaction, la création d’un comité interministériel, la collecte de données auprès d’organismes fédéraux et régionaux et d’organisations non gouvernementales et de membres de minorités. La version finale du rapport a été établie à l’issue de vastes consultations auxquelles des organisations gouvernementales et non gouvernementales ont participé.

42.Pour conclure, M. Hersho invite la délégation éthiopienne à accorder toute son attention à certaines des recommandations des membres du Comité, notamment celles concernant la ratification de certains des principaux instruments relatifs aux droits de l’homme auxquels l’Éthiopie n’est pas encore partie, la sensibilisation de la population aux pratiques traditionnelles néfastes et l’élimination des préjugés à l’égard de certains groupes ethniques. Enfin, il dit que la Commission éthiopienne des droits de l’homme recommande au Gouvernement éthiopien de créer un organe permanent chargé spécifiquement d’élaborer les rapports périodiques. De cette façon, l’Éthiopie serait en mesure de présenter ses rapports périodiques aux organes conventionnels avec ponctualité et régularité.

43.M. Yimer (Éthiopie) indique qu’il n’existe pas de quotas permettant de garantir la représentation des femmes au Parlement, mais que les partis fixent pour leur propre compte le pourcentage de femmes qu’ils souhaitent voir dans leurs rangs. Le nombre des représentants des nations, nationalités et peuples d’Éthiopie siégeant à la Chambre de la Fédération est stable et est sensiblement le même que celui indiqué dans le rapport (CERD/C/ETH/7-16, par. 115). Enfin, M. Yimer souligne qu’aucun individu ne peut se voir refuser le droit de s’affilier à un parti et de se présenter à des élections en raison de son origine ethnique.

44.M. Amir pense comme la délégation éthiopienne que le terme «fédéralisme ethnique» est impropre car l’appartenance à un groupe ethnique n’a aucun rapport avec le fédéralisme et ne peut qu’affaiblir la portée morale et politique d’un tel système. S’agissant de l’application de l’article 4 de la Convention, M. Amir fait observer que plusieurs des affaires citées dans le rapport (CERD/C/ETH/7-16, tableau 3, p. 45 et 46) ont trait à la question de la supériorité ethnique et sont donc directement liées à l’article 4 de la Convention. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la délégation, les juridictions de l’État partie ont déjà eu à connaître d’affaires de violation de cet article de la Convention.

45.M. Ewomsan tient à réparer un malentendu, la délégation éthiopienne s’étant apparemment méprise sur ses intentions. Il précise que sa question concernant le système fédéral éthiopien ne visait nullement à remettre en cause sa validité, dont il est personnellement convaincu. Il souhaitait uniquement savoir si la délégation pensait que ce système permettait de prévenir plus efficacement les conflits interethniques que les systèmes unitaires en vigueur dans d’autres pays d’Afrique.

46.M. Avtonomov espère que l’État partie fournira des informations détaillées dans son rapport périodique suivant sur le droit coutumier appliqué dans certaines régions du pays, en particulier le gedda (Oromia), l’abbo-gereb (Tigré) et le xeer (État régional somali) (CERD/C/ETH/7-16, par. 47).

47.M. de Gouttes dit qu’il souhaiterait voir dans le rapport périodique suivant de l’État partie une description des dispositions de la législation interne donnant effet aux paragraphes a) et b) de l’article 4 de la Convention ainsi que des statistiques sur les plaintes, les poursuites et les jugements rendus pour sanctionner la diffusion d’idées racistes et interdire les organisations encourageant la discrimination raciale.

48.M. Peter (Rapporteur pour l’Éthiopie), se félicitant du caractère franc, ouvert et constructif du dialogue avec la délégation éthiopienne, regrette toutefois que l’État partie n’ait pas fourni de réponses écrites à la liste des points à traiter qui lui a été adressée, même si les réponses détaillées fournies oralement par la délégation en ont partiellement pallié l’absence. Il se félicite également de ce que le Comité ait pu renouer le dialogue avec l’État partie après plus de deux décennies de silence et note que le gouvernement actuel semble disposé à collaborer activement avec les organes conventionnels.

49.M. Peter indique par ailleurs qu’il s’est rendu en avril 2009, en Éthiopie, où il s’est procuré un grand nombre d’ouvrages afin de mieux connaître la situation du pays et se préparer de manière approfondie à l’examen du rapport. Il s’est servi de ces documents ainsi que d’autres sources de provenances et d’époques diverses. Toutes ses affirmations, questions et remarques reposaient donc sur au moins trois sources différentes. Enfin, le rapporteur se dit heureux d’avoir entendu le représentant de la Commission éthiopienne des droits de l’homme appeler l’attention de la délégation sur les mêmes questions que le Comité.

50.La Présidente tient à souligner l’importance que revêtent les réponses écrites à la liste des points à traiter pour le bon déroulement du dialogue entre le Comité et la délégation car les renseignements qu’elles contiennent permettent d’éclaircir de nombreux points et, partant, d’éviter des malentendus. Elle espère que l’État partie tiendra compte de cette remarque et qu’il soumettra ses réponses écrites suffisamment tôt lorsqu’il présentera ses rapports périodiques au Comité. Elle espère également que l’État partie soumettra ses rapports avec régularité et qu’il fera en sorte que la délégation qui présentera le rapport périodique suivant de l’Éthiopie compte au moins une femme.

51. La délégation éthiopienne se retire.

La séance est levée à 13 h 5.