Nations Unies

CERD/C/SR.2128

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

10 septembre 2012

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Quatre-vingtième session

Compte rendu analytique de la 2128 e séance*

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 14 février 2012, à 10 heures

Président: M. Avtonomov

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Réunion informelle avec les ONG

La séance est ouverte à 10 h 20.

Examen des rapports, observations et renseignements présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la Convention

Réunion informelle avec les ONG

Discussion concernant les seizième et dix-septième rapports périodiques du Mexique

1.Le Président invite les représentants des ONG à présenter leurs observations concernant la mise en œuvre de la Convention au Mexique.

2.M me Brewer (Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juárez) dit que la population autochtone du Mexique est toujours confrontée à des niveaux et des formes de racisme qui pourraient paraître inconcevables pour des observateurs extérieurs. Il est pratiquement impossible de distinguer les régions les plus marginalisées du pays de celles comptant le plus d’autochtones. Ces derniers ne bénéficient pas du même accès aux services de santé et à l’éducation; les terres autochtones sont envahies et polluées; des lieux sacrés sont menacés de destruction par des grands projets d’extraction des ressources, qui n’ont pas fait l’objet d’une étude appropriée.

3.Les autorités mexicaines profitent de la vulnérabilité des victimes autochtones en les utilisant comme boucs émissaires pour des crimes non résolus. Elles utilisent aussi la loi comme instrument de répression sociale contre les autochtones qui tentent de défendre les droits de leurs communautés et elles envoient en prison des chefs autochtones dont le seul crime a été de distribuer de l’eau potable gratuitement à leur communauté, comme cela a été le cas de José Ramón Aniceto et Pascual Agustín Cruz dans l’État de Puebla. Face à l’attitude des autorités, qui mettent en avant ces arrestations pour montrer que la police fait bien son travail, une réaction rapide est nécessaire afin d’éviter que des victimes innocentes soient emprisonnées de manière arbitraire.

4.Une affaire, actuellement devant la Cour suprême mexicaine, pourrait non seulement rendre la liberté à une victime injustement emprisonnée, mais aussi faire changer les pratiques de la police et de la justice qui encouragent la détention arbitraire d’autochtones, comme en témoignent les cas dans lesquels la police a invoqué «l’attitude suspecte» d’une personne pour l’interpeller et la fouiller, appliquant un critère qui, de fait, ouvre toutes les portes à la discrimination raciale et économique.

5.L’affaire dont est saisie la Cour suprême doit être jugée dans les semaines à venir. Elle concerne Hugo Sánchez, un jeune autochtone mazahua de l’État de Mexico, qui a été arbitrairement arrêté par la police en 2007 en raison de son «attitude suspecte». L’intéressé a été inculpé arbitrairement d’un enlèvement non résolu qui avait eu lieu plusieurs mois auparavant. Les charges ont été maintenues, bien que des témoins aient expliqué qu’il était physiquement impossible qu’Hugo Sánchez ait commis le crime et que les seules déclarations contre lui − faites par les deux mineurs victimes de l’enlèvement, sous pression de la police − aient été retirées pendant le procès. Malgré l’absence de preuve valable, Hugo Sánchez a été condamné à plus de trente-sept ans de prison.

6.En outre, les responsables de l’établissement pénitentiaire dans lequel il a été placé ont déclaré que même si Hugo Sánchez a «prouvé» devant la Cour son appartenance au groupe autochtone mazahua, il ne devrait pas être considéré comme tel étant donné qu’il parle couramment espagnol mais n’est pas capable de s’exprimer dans le dialecte autochtone, le comprenant seulement, qu’il a poursuivi sa scolarité jusqu’à la première année de l’école secondaire, et qu’il était chauffeur de taxi au moment de son arrestation. L’assimilation de l’identité autochtone au «dialecte», au manque d’éducation et à certains types de travail trahit les stéréotypes négatifs qui perpétuent le cycle actuel de la discrimination au Mexique.

7.La mère d’Hugo Sánchez, appelant l’attention sur les documents écrits prouvant l’innocence de son fils, a demandé s’il avait été placé en détention uniquement en raison de son origine ethnique et si le fait d’être un Mazahua rendait une personne suspecte. Il s’agit d’une question cruciale, à laquelle l’État mexicain n’a pas encore répondu. Si, dans cette affaire, la Cour suprême rend une décision conforme aux engagements du pays dans le domaine des droits de l’homme, en rejetant l’utilisation de critères comme l’«attitude suspecte» et en apportant une réponse appropriée à d’autres questions essentielles concernant la garantie d’une procédure régulière, elle pourrait mener le système judiciaire vers un nouveau modèle dans lequel l’appartenance raciale et la situation économique d’une personne ne constituent pas des indices de culpabilité. C’est pourquoi le Comité est instamment invité à recommander à l’État partie de libérer Hugo Sánchez et de s’assurer que cette affaire fasse jurisprudence, mettant fin à la détention arbitraire et discriminatoire d’autochtones innocents au Mexique.

8.M me Magaña García (Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer) regrette que le rapport de l’État partie (CERD/C/MEX/16-17) ne tienne pas compte de la Recommandation générale no 35 du Comité concernant la dimension sexiste de la discrimination raciale, dans laquelle le Comité note que la discrimination raciale n’affecte pas toujours pareillement ou de la même manière les femmes et les hommes. Qui plus est, les renseignements concernant les personnes d’ascendance africaine, les non-citoyens, les personnes handicapées et les femmes sont présentés dans une partie intitulée «Autres groupes spécifiques», ce qui est révélateur de l’attitude de l’État partie vis-à-vis de ces groupes. Dans l’ensemble, il est préoccupant de noter que le rapport n’aborde pas les questions liées à l’égalité des sexes.

9.Le rapport met en avant la loi fédérale relative à la prévention et l’élimination de la discrimination promulguée en 2003, qui a mené à la création du Conseil national pour la prévention de la discrimination. Toutefois, il ne contient aucun renseignement concret sur les progrès réalisés dans l’élimination de la discrimination raciale, notamment à l’encontre des femmes autochtones et d’ascendance afro-mexicaine.

10.Entre 2008 et 2011, sept cas de meurtres de femmes ont été signalés dans la région autochtone de Zongolica, dans l’État de Veracruz. Un exemple saisissant, qui illustre l’inégalité de traitement à l’égard des femmes autochtones au Mexique, est le cas d’Ernestina Asencio Rosaria, âgée de 73 ans et originaire de Veracruz, qui aurait été victime d’une agression sexuelle commise par des soldats en 2007, ce qui aurait conduit à la dégradation de son état de santé puis à sa mort. Comme sa dernière déclaration n’a pas été correctement traduite, personne n’a été poursuivi pour les crimes commis. Cette affaire illustre la discrimination aggravée dont sont victimes les femmes autochtones dans un contexte militaire. Leur corps, quel que soit leur âge, est souvent considéré comme un butin de guerre sans importance.

11.Les taux d’analphabétisme et de monolinguisme sont beaucoup plus élevés chez les femmes autochtones. En 2010, le pourcentage d’hommes de 15 ans et plus analphabètes et parlant une langue autochtone était de 9,6, soit plus de trois fois la moyenne nationale, située à 2,6 %. Pour ce qui est des femmes autochtones, le taux correspondant était de 17,4 %, soit plus de quatre fois la moyenne nationale de 4,2 %. Le pourcentage de monolinguisme parmi les autochtones était de 9,2 en 2010 pour les femmes, contre 5,4 pour les hommes.

12.Les femmes autochtones représentent 11,4 % des employés de maison. Il s’agit d’un domaine dans lequel les stéréotypes liés à la classe sociale, au sexe et à la race sont très nombreux. Il est par exemple commun de considérer que les femmes autochtones sont naturellement prédestinées à ce genre de travail.

13.Les États d’Oaxaca, du Chiapas et de Guerrero, dont la population compte le plus d’autochtones et de personnes d’ascendance africaine, enregistrent les taux de mortalité maternelle les plus élevés, avec respectivement 98,7 ‰, 96,8 ‰ et 96,5 ‰, alors que la moyenne nationale est de 57,2 ‰. Le risque de mortalité maternelle est trois fois plus élevé chez les adolescentes autochtones que chez les adolescentes non autochtones. Selon les chiffres établis par le Conseil national de la population en 2010, l’avortement arrivait en troisième position parmi les causes de décès liés à la maternité. En raison de leur pauvreté et de leur vulnérabilité, les femmes autochtones et d’ascendance africaine sont davantage susceptibles de mourir des suites d’un avortement illégal.

14.M. Calí Tzay, se référant aux renseignements qu’il a reçus concernant la stérilisation forcée de femmes autochtones dans les États d’Oaxaca, du Chiapas et de Guerrero, demande si les ONG disposent d’informations supplémentaires sur le sujet.

15.Il demande également des renseignements sur la situation des personnes arrêtées à la suite des affrontements qui ont opposé la police municipale d’Oaxaca et des membres de communautés autochtones qui protestaient contre des projets d’exploitation minière de leurs terres.

16.M. Murillo Martínez (Rapporteur pour le Mexique) dit sa surprise de n’avoir vu aucune mention de la Convention no 169 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, ni dans le rapport de l’État partie, ni les rapports parallèles des ONG. Il se demande si les communautés autochtones ont connaissance de son existence, et, plus généralement, si des mesures ont été prises pour que les dispositions de cette convention soient mises en œuvre.

17.M. de Gouttes rappelle que lors de l’examen des douzième à quinzième rapports périodiques du Mexique (CERD/C/MEX/CO/15), en 2006, le Comité avait exprimé sa préoccupation concernant la situation des travailleurs autochtones migrants originaires du Guatemala, du Honduras et du Nicaragua, concernant notamment les allégations de mauvais traitements à l’égard des femmes originaires de ces pays. Il demande si les ONG peuvent informer le Comité de l’évolution de la situation en la matière.

18.L’État partie fait mention, au paragraphe 335 de son rapport, d’un projet de loi concernant la consultation des populations et des communautés autochtones. Il serait intéressant de savoir si celui-ci a été adopté.

19.M me Brewer (Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juárez) indique que Bernardo Méndez Vásquez a été tué au cours des récents affrontements à Oaxaca par un homme armé qui travaillerait pour le Gouvernement. Il défendait les intérêts de sa communauté contre un projet minier. Sa collègue Abigail Vásquez Sánchez a été blessée lors du même incident. Le projet serait illégal étant donné que la demande d’exploitation minière n’est pas conforme au droit mexicain ni au droit international. Mme Brewer ne dispose pas de renseignements concernant le nombre de personnes arrêtées qui se trouvent toujours en prison, ni sur l’état d’avancement de la procédure judiciaire.

20.Il est vrai que la Convention no 169 de l’OIT n’est pas invoquée comme source des droits des autochtones au Mexique, pas même dans la version modifiée de la Constitution. La procédure relative à la reconnaissance des droits fonciers, par exemple, n’est pas conforme au droit international. L’État a tendance à contrôler les ressources foncières en faisant fi de ses propres lois concernant la consultation, au profit d’entreprises multinationales qui polluent et détruisent les terres autochtones.

21.L’utilisation de stéréotypes est fréquente, même parmi les représentants du Gouvernement. Dans un récent entretien, le Directeur de la Commission nationale pour le développement des peuples autochtones a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas s’inquiéter au sujet des statistiques faisant état de la pauvreté disproportionnée de la population autochtone, car celle-ci n’aspirait pas à devenir riche mais voulait juste de quoi manger.

22.La situation des migrants constitue toujours une urgence humanitaire. Selon les derniers chiffres, plus de 22 000 travailleurs migrants passant par le Mexique sont enlevés chaque année par des groupes criminels organisés, qui sont parfois liés aux autorités. Les migrants sont confrontés à des situations extrêmement violentes qui leur coûtent souvent la vie. Une nouvelle loi sur les migrations a récemment été promulguée, mais elle ne devrait pas changer cette situation. Les représentants du Gouvernement ont récemment approuvé la création de centres d’hébergement pour les migrants dans des endroits où les migrants se voient refuser tout contact avec la population locale. Les autorités ont également mis en garde la population, lui déconseillant d’aider les migrants, au motif que nombre d’entre eux seraient des malfaiteurs et des criminels.

23.M me Magaña García (Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer) convient que la Convention no 169 de l’OIT aurait dû être mentionnée explicitement dans les différents rapports. Il y a eu, par exemple, de graves violations de l’article 25 de la Convention, concernant l’accès des communautés autochtones aux services de santé. L’État n’a pas assumé ses responsabilités en la matière.

24.Les travailleurs migrants, et notamment les femmes, connaissent des problèmes dans tout le Mexique. De nombreuses femmes utilisent des contraceptifs lorsqu’elles voyagent dans le pays, afin d’être protégées en cas de viol. Beaucoup de Honduriennes passant par Guadalajara sont enlevées et prises en otage par la police fédérale qui menace ensuite leurs maris.

25.M. Thornberry, relevant la tendance à associer l’ethnicité à la criminalité, demande si des conclusions générales pourraient être tirées de l’affaire dont est saisie la Cour suprême. Il souhaite solliciter l’avis de Mme Brewer quant à l’issue probable de cette affaire.

26.Il est frappé par les chiffres rapportés au paragraphe 14 du rapport de l’État partie, selon lesquels un tiers des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête nationale considèrent que la seule chose que la population autochtone doit faire pour sortir de la pauvreté est de ne pas se comporter comme telle.

27.Le rapport détaille la formation dispensée aux fonctionnaires dans le domaine des droits de l’homme. Il serait intéressant de savoir si cette formation a aussi un impact au niveau local.

28.M. Ewomsan demande des renseignements supplémentaires concernant la population d’ascendance africaine.

29.M me Brewer (Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juárez) dit qu’il est possible de tirer des conclusions générales du cas d’Hugo Sánchez. Il s’agit d’une des nombreuses affaires mentionnées dans le rapport parallèle soumis par son organisation, qui pourrait créer un précédent aux conséquences positives.

30.Les réponses à l’enquête sur la discrimination mentionnée dans le rapport sont en effet, dans leur ensemble, très préoccupantes. Toutefois, les citoyens mexicains ne sont pas entièrement responsables de cette manière stéréotypée de voir la population autochtone. Leur attitude est influencée par les politiques, les actions et les déclarations de l’État ainsi que par l’impunité généralisée qui entoure les violations des droits des peuples autochtones.

31.Les rapports de l’État partie portent actuellement sur les lois, les politiques, les programmes et les formations, et ne contiennent pas de détails pratiques. L’ensemble des ONG est d’avis que les formations sont inefficaces face aux incitations à commettre des violations des droits de l’homme et à l’impunité qui règne. Du fait de la vague de crimes violents perpétrés au Mexique, la police subit une énorme pression afin qu’elle arrête et inculpe les coupables. Il est plus facile pour elle de procéder si les personnes concernées sont vulnérables et si l’espagnol n’est pas leur première langue.

32.En ce qui concerne le dénouement de l’affaire Hugo Sánchez, actuellement devant la Cour suprême, Mme Brewer croit et espère qu’elle sera jugée dans le respect du droit mexicain et des normes internationales relatives aux droits de l’homme.

33.M me Magaña García (Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer) indique que, selon les statistiques officielles, quelque 450 000 personnes au Mexique sont d’ascendance africaine. La majorité vit dans le sud du pays, principalement dans les États de Guerrero et d’Oaxaca. Toutefois, des sources universitaires affirment que ces personnes représentent 9 % de la population. Il n’est pas facile de déterminer si l’imprécision des statistiques est due à la difficulté d’obtenir des informations précises ou simplement au peu d’importance accordé au groupe en question. En 2010, l’Institut national de statistique, de géographie et d’informatique du Mexique a déclaré qu’il n’avait pas pu établir des statistiques car les Mexicains d’ascendance africaine ne se désignaient pas comme tels.

34.M. Amir demande s’il existe des lois relatives à la protection des sources et si des ONG ont déjà été poursuivies en justice pour avoir refusé de divulguer leurs sources d’information.

35.M. Vásquez, se référant au paragraphe 28 du rapport de l’État partie, demande si le projet de décret portant modification de la Constitution mexicaine et rendant les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme directement applicables, a été approuvé par la Chambre des députés. Si tel est le cas, il souhaite savoir si la Cour suprême appliquera directement ces instruments dans l’affaire Hugo Sánchez.

36.M me Brewer (Centro de Derechos Humanos Miguel Agustín Pro Juárez) dit qu’elle n’a connaissance d’aucun cas de poursuites engagées à l’encontre d’ONG qui auraient refusé de révéler leurs sources d’information. Les instruments relatifs aux droits de l’homme ont désormais un statut constitutionnel au Mexique. L’affaire Hugo Sánchez servira ainsi de test en permettant de voir comment les réformes législatives seront appliquées par la Cour suprême.

37.M me Magaña García (Comité de América Latina y el Caribe para la Defensa de los Derechos de la Mujer) indique que, même si aucune procédure n’a été engagée concernant la confidentialité des sources, des chefs de communautés autochtones et des défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés sans respect de la procédure régulière.

Discussion concernant les quatorzième à seizième rapports périodiques d’Israël

38.M. Epshtain (Comité israélien contre les démolitions d’habitations) dit qu’Israël a démolit plus de 26 000 maisons palestiniennes dans le territoire palestinien occupé depuis 1967, ce qui exclut dans les faits la possibilité d’un État palestinien viable. Les démolitions de maisons et les expulsions forcées sont une forme de traitement inhumain et dégradant qui a de graves conséquences psychologiques pour les hommes, les femmes et les enfants. Les politiques et pratiques d’Israël à l’égard des habitants palestiniens de Jérusalem-Est constituent une discrimination institutionnalisée et ont pour but de perpétuer la domination d’un peuple sur un autre. Le maintien d’un équilibre démographique fondé sur l’origine ethnique ou la nationalité constitue, de prime abord, une pratique discriminatoire illégale assimilable à l’apartheid. Les politiques et pratiques discriminatoires d’urbanisation et de logement menées par Israël à Jérusalem-Est, y compris les démolitions de maisons au titre de mesures administratives et les politiques discriminatoires de résidence, ont marqué le début d’un processus de déplacement ethnique de la population palestinienne. Les réfugiés palestiniens et les personnes déplacées sont également victimes d’apartheid du fait du déni actuel de leur droit de retourner chez eux en toute sécurité et dans la dignité.

39.Un processus de déplacement ethnique est également en cours dans la zone C de la Cisjordanie. Les habitants qui ne peuvent exercer leur droit au logement du fait des politiques israéliennes sont contraints de se déplacer vers les zones A et B, qui sont sous contrôle de l’Autorité palestinienne. De telles politiques sont non seulement à l’origine d’une situation de déplacement, mais constituent également une violation de la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid.

40.L’État d’Israël devrait abroger toutes les lois et pratiques discriminatoires, et faire cesser les actes de persécution à l’encontre des Palestiniens sur le territoire palestinien occupé et en Israël même. Il devrait garantir au peuple palestinien le droit à l’autodétermination et mettre fin à la démolition de maisons, d’écoles et d’infrastructures palestiniennes. Toutes les personnes réfugiées et déplacées devraient être autorisées à rentrer chez elles en toute sécurité et dans la dignité et recevoir une indemnisation pour les préjudices subis.

41.M. Tundo (Centre palestinien pour les droits de l’homme) dit qu’en vertu de la Convention, Israël est tenu de garantir à la population palestinienne le droit à la justice de manière non discriminatoire, en lui assurant notamment une égalité d’accès à la justice et une égalité de traitement et de protection devant la loi. Toutefois, l’organisation qu’il représente dispose d’éléments montrant que les pratiques israéliennes empêchent les résidents palestiniens du territoire palestinien occupé d’avoir pleinement accès à la justice. Ces pratiques comprennent notamment l’interdiction pour les demandeurs, témoins et avocats palestiniens de se présenter devant les tribunaux israéliens, conformément à la politique de bouclage de la bande de Gaza appliquée par Israël depuis de nombreuses années. Les mesures discriminatoires restreignant le droit des Palestiniens à la justice, ajoutées aux autres violations des droits de l’homme commises dans le cadre du bouclage de la bande de Gaza, peuvent constituer une persécution, forme de crime contre l’humanité, comme le signale la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza. Le Comité devrait prendre toutes les mesures voulues pour garantir aux Palestiniens leur droit à la justice, dans l’égalité et la non-discrimination, et mettre un terme aux violations systématiques des droits de l’homme par Israël.

42.M. Mansfield (Tribunal Russell sur la Palestine) dit qu’il existe de nombreuses preuves de la pratique par Israël d’un apartheid systématique et institutionnalisé. Depuis que le Comité a évoqué le sujet lors de sa soixante-dixième session, la situation n’a cessé d’empirer; Israël ne respecte pas le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire, bafoue les résolutions des Nations Unies et nie l’existence d’un apartheid. Des mesures concrètes doivent être prises pour changer le cours des choses. Le Comité devrait tout d’abord envisager de reconnaître la situation d’apartheid en Israël. Si le Comité hésite à se prononcer à ce sujet, il pourrait obtenir un avis consultatif de la Cour internationale de Justice. Nombre des conclusions de la Cour, dans l’avis consultatif qu’elle a rendu sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, concernent de très près l’apartheid. Un avis supplémentaire devrait donc être demandé à la Cour sur la question.

43.Dans le même temps, les Nations Unies devraient envisager de reconstituer le Comité spécial contre l’apartheid afin de mettre en évidence l’existence de ce problème en Israël et en Palestine. La question devrait également être soumise à la Cour pénale internationale puisque le Statut de Rome incorpore la notion d’apartheid telle que définie dans la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. La question se pose de savoir si un État qui a ignoré les recommandations de la Cour internationale de Justice doit être considéré comme un membre légitime de la communauté internationale. Il conviendrait d’indiquer clairement à Israël que son manquement aux obligations qui sont les siennes peut entraîner l’adoption de mesures de l’ordre de celles qui viennent d’être évoquées.

44.M me  Kohn (ADALAH − Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël) relève que l’absence d’un droit à l’égalité garanti par la Constitution a eu pour conséquence la promulgation de plus de 40 lois discriminatoires à l’égard des citoyens palestiniens d’Israël. L’une de ces lois empêche la réunification familiale entre des citoyens israéliens et leur épouse vivant sur le territoire palestinien occupé, et une autre loi refuse aux citoyens palestiniens le droit de choisir leur lieu de résidence. En vertu des articles 2 c), 5 et 6 de la Convention, Israël est tenu d’abroger ces lois, de protéger les droits civils et d’offrir des voies de recours efficaces en cas de violation.

45.Mme Kohn souhaite également appeler l’attention sur la discrimination dont sont victimes les citoyens bédouins arabes autochtones d’Israël qui vivent dans les villages dits «non reconnus» du Néguev. Ces citoyens voient régulièrement leurs maisons détruites et n’ont pas accès aux services de base. En ce qui concerne les droits des Bédouins arabes, Israël viole de manière flagrante les obligations qui lui incombent en vertu des articles 2 et 5 de la Convention. Dans ses observations finales, le Comité devrait demander à Israël d’inscrire le droit à l’égalité dans la Constitution, d’abroger les lois discriminatoires et d’abandonner les projets de loi qui auraient pour conséquence le déplacement des Bédouins.

46.S’exprimant au nom duNegev Coexistence Forum for Civil Equality,Mme Kohn fait part de la vive préoccupation du Forum devant la multiplication des lois, politiques et pratiques discriminatoires à l’encontre des Bédouins due à la détermination d’Israël à accroître la population juive dans la région, au détriment des citoyens arabes. Elle exprime notamment son inquiétude face au plan de réinstallation des Bédouins qui forcerait des milliers de familles à quitter leurs foyers et leurs terres traditionnelles. Elle demande au Comité d’engager Israël à ne pas mettre en œuvre ce plan.

47.M me  Jalajel (Al-Haq) dit que les Palestiniens de Cisjordanie connaissent une importante pénurie d’eau. Certaines communautés ont accès à moins de 25 litres par jour, ce qui est bien en deçà du minimum de 100 litres par jour nécessaire pour vivre dignement. Cette situation découle directement des politiques et pratiques discriminatoires et inégalitaires mises en œuvre par Israël pour le seul bénéfice des colons juifs, dont les colonies dans le territoire palestinien occupé sont illégales au regard du droit international. L’attitude d’Israël a pour but d’établir et de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre et révèle la véritable nature de l’occupation qui permet à Israël de maintenir un régime d’apartheid. Les politiques et pratiques d’Israël relatives à l’eau constituent une forme directe de discrimination et contreviennent à l’article 3 de la Convention. Mme Jalajel demande au Comité d’engager Israël à permettre aux Palestiniens d’exercer leurs droits souverains sur leurs ressources naturelles, y compris l’eau.

48.M me  Madi (Centre de ressources BADIL pour le droit à la résidence et le droit des réfugiés palestiniens) dit que la distinction opérée entre les citoyens juifs et les citoyens palestiniens ou les Arabes israéliens peut être source de pratiques discriminatoires tant en Israël même que dans le territoire palestinien occupé, les deux zones étant traitées comme une seule d’un point de vue juridique. Les citoyens juifs bénéficient de droits et de privilèges qui ne sont pas reconnus aux Arabes palestiniens. Ces derniers vivent sous un régime d’apartheid qui restreint leurs droits à la résidence, à la propriété foncière, à la liberté de circulation et à la citoyenneté. Cette situation se traduit par la domination d’un groupe, les citoyens juifs, sur un autre, les Arabes palestiniens, qui dispose d’un statut juridique et politique inférieur.

49.Afin de faciliter l’application du système d’apartheid, les Palestiniens sont divisés en plusieurs sous-catégories dont les droits diffèrent: les citoyens palestiniens d’Israël, les résidents permanents de Jérusalem, les titulaires d’une pièce d’identité de Cisjordanie, les titulaires d’une pièce d’identité de la bande de Gaza et les réfugiés palestiniens en exil forcé. La législation israélienne distingue citoyenneté et nationalité. Les Juifs bénéficient à la fois de la citoyenneté et de la nationalité alors que les Palestiniens ne peuvent acquérir que la citoyenneté, subissent un certain nombre de restrictions et ne peuvent pas exercer pleinement leurs droits fondamentaux, ce qui est contraire aux alinéas c et d de l’article 2 de la Convention des Nations Unies sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Mme Madi prie instamment le Comité d’examiner le système d’apartheid en Israël et dans le territoire palestinien occupé.

50.M. Charron (Centre de surveillance des déplacements internes) dit que les politiques discriminatoires du Gouvernement israélien en matière de logement, d’implantation et d’urbanisation placent les droits des colons juifs au-dessus de ceux des Palestiniens, en violation du statut de personnes protégées reconnu à ces derniers en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

51.La communauté palestinienne est victime d’une discrimination flagrante fondée sur la nationalité et l’origine ethnique, qui se traduit notamment par le déplacement forcé de Palestiniens dans le territoire palestinien occupé. Les effets des politiques discriminatoires sont particulièrement manifestes lorsque l’on considère les conséquences de la multiplication des colonies juives à Jérusalem-Est et dans la zone C. Il résulte de la politique d’expansion du Gouvernement israélien que plus de 500 000 colons juifs vivent dans le territoire palestinien occupé, dont près de 200 000 à Jérusalem-Est. Les colons bénéficient d’un traitement et d’un accès aux infrastructures préférentiels. Ils se voient délivrer de nombreux permis d’urbanisme et sont favorisés par l’instauration de comités spéciaux d’urbanisme composés de colons qui gèrent les processus consultatifs de prise de décisions. Les Palestiniens, à l’inverse, n’ont pas accès aux décisions d’urbanisme, sont rarement consultés pendant la phase d’élaboration et s’exposent à des procédures d’un coût prohibitif s’ils s’opposent à ces décisions. Les mesures prises par les autorités publiques israéliennes perpétuent un système de discrimination et de déplacement. Ces dix dernières années, des milliers de Palestiniens ont été expulsés de force et ont vu leurs maisons détruites pour avoir refusé de se plier à des règlements d’urbanisme discriminatoires, tandis que des milliers d’autres Palestiniens étaient contraints de vivre dans des conditions précaires ou insalubres.

52.Les communautés autochtones bédouines sont également victimes de discrimination, de déplacement forcé, ainsi que d’entraves à leur mode de vie traditionnel et à leurs pratiques agricoles. De très nombreux Palestiniens n’ont pas accès aux services essentiels.

53.Dans la zone C, 70 % du territoire est réservé à l’armée israélienne ou aux colons juifs. Avec seulement 1 % du territoire disponible pour le développement palestinien, plus de 94 % des demandes de permis de construire déposées par des Palestiniens entre 2000 et 2007 ont été rejetées. À Jérusalem-Est, où une politique visant à maintenir un équilibre démographique de 70 % de Juifs pour 30 % de Palestiniens est en place, il est difficile pour les Palestiniens de construire ou rénover leur maison, seulement 13 % du territoire étant disponible pour les projets de construction palestiniens. Le fait d’entreprendre des travaux de construction sans avoir obtenu de permis de construire de la part des autorités israéliennes peut conduire à l’expulsion forcée.

54.M. Charron prie instamment le Comité d’envisager d’adopter un certain nombre de recommandations appelant notamment l’État d’Israël à faire cesser la construction de colonies et l’extension des parcs nationaux ainsi que l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé, à examiner tous les cas de construction de colonies illégales sur des «terres du domaine public», à créer des organes civils de planification urbaine dans la zone C, à permettre la participation de la communauté palestinienne aux décisions d’urbanisme, à renoncer à la politique destinée à imposer un «équilibre démographique» à Jérusalem, à veiller à ce que les besoins humanitaires et le statut des Palestiniens soient pris en compte lors de l’attribution des permis de construire, et à mettre un terme à toutes les expulsions forcées et démolitions, qui sont illégales et ont des effets dévastateurs sur les communautés palestiniennes.

55.M. Al-Khorshan (Communauté bédouine jahalin du territoire palestinien occupé) dit que les Bédouins, en particulier ceux qui vivent à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, sont les propriétaires d’origine des terres qu’ils occupent. Environ 40 000 Bédouins vivent dans des camps ou des zones d’installation, principalement dans la zone C. Vivant dans le désert ou dans des zones rurales, ils ne peuvent subsister sans accès à l’eau et aux pâturages. Depuis leur déplacement en 1948, leurs moyens de subsistance et leur situation économique ont fortement pâti des difficultés à accéder à l’eau et aux pâturages en raison de la transformation de la plupart des terres où ils vivaient en zones militaires ou en zones d’installation, et de la construction du mur qui limite leur mobilité. Les communautés bédouines n’ont plus accès à Jérusalem, principal centre d’activité dans les domaines de l’éducation, la santé, la culture et l’économie. Les politiques du Gouvernement israélien sont en train de détruire les communautés bédouines, leur mode de vie, leur culture et leur identité, du fait des colonies juives illégales qui empêchent ces communautés d’accéder aux terres et à l’eau, et donc de s’installer de manière permanente et de vivre en paix.

56.M. Al-Khorshan invite le Comité à prendre en considération la situation de la communauté bédouine. Il réclame la reconnaissance des Bédouins en tant que communauté autochtone déplacée vivant sous occupation et l’adoption de mesures visant à garantir que les autorités d’occupation respectent les droits de l’homme de la communauté bédouine, en particulier le droit d’accéder à l’eau, aux pâturages et aux services de base. Toute violence commise à l’encontre des Bédouins, que ce soit par des colons ou des membres de l’armée israélienne, doit être dûment sanctionnée. M. Al‑Khorshan demande que les Bédouins puissent avoir accès au pôle économique et culturel qu’est Jérusalem-Est, par le retrait des restrictions et des points de contrôle, et qu’ils puissent intervenir dans les processus de prise de décisions. Il exhorte le Comité à examiner la situation de la communauté bédouine, en particulier celle des Bédouins de la Cisjordanie et de la zone C, et l’invite à effectuer des visites diplomatiques auprès des communautés bédouines.

57.M. Amir relève que la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël ne fait aucune référence à la Palestine ou au peuple palestinien, mentionnant uniquement «Eretz Israel», et que malgré plusieurs changements politiques, le contenu de cette déclaration n’a jamais été remis en question. Il se demande pourquoi le Tribunal Russell, dans sa proposition consistant à demander un avis consultatif à la Cour internationale de Justice, n’a pas utilisé ce texte comme un élément de preuve essentiel.

58.M. Kemal demande à M. Al‑Khorshan si la situation des Bédouins s’est améliorée ou détériorée au cours des cinq dernières années. Il invite M. Mansfield à préciser si les Arabes ont la possibilité de vivre dans les mêmes communautés que les Israéliens et si le système d’apartheid en Israël est différent de celui qui a existé en Afrique du Sud.

59.M. Diaconu demande si, au cours des deux dernières décennies, les Gouvernements israéliens successifs ont essayé de justifier légalement leurs politiques et sur quel fondement juridique ils se sont appuyés.

60.M. de Gouttes demande si l’un des représentants des ONG connaît l’issue du second appel contre la loi sur la citoyenneté votée par la Knesset en 2003.

61.M. Lindgren Alves souhaite savoir si le système d’apartheid est également mis en œuvre en Israël même, M. Mansfield ayant surtout fait référence au territoire palestinien occupé.

62.M. Kut s’associeà la question de M. Lindgren Alves et estime que le cas du plateau du Golan, autre territoire occupé, mérite aussi d’être étudié. Il demande si, étant donné les changements politiques en Israël, des évolutions tangibles ont eu lieu depuis 2010, autrement dit depuis l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement de coalition.

63.M. Thornberry souhaite savoir si la notion de peuples autochtones est reconnue en Israël. Il demande également si les ONG font référence, dans leurs activités de plaidoyer, aux normes internationales telles que la Convention de l’OIT (no 169) relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989, ou la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et si elles ont établi des contacts avec le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

64.Prenant note des arguments relatifs à la Convention invoqués par le représentant du Tribunal Russell pour la Palestine, il demande si ce dernier souhaite que le Comité se penche sur d’autres éléments de discrimination raciale ou sur l’article 3 en particulier.

65.M. Mansfield (Tribunal Russell sur la Palestine) dit qu’en effet le rapport du Tribunal Russell ne mentionne pas expressément la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, mais qu’il est fait plusieurs fois référence à la notion d’Eretz Israël, ou à la non‑existence de la Palestine dans le contexte du Grand Israël, dans les comptes rendus des sessions mis en ligne sur le site Internet du Tribunal. Si l’Afrique du Sud a connu l’une des nombreuses formes possibles d’apartheid, l’ensemble des observateurs − y compris M. Ronald Kasrils, membre du jury du Tribunal, qui a vécu sous le régime de l’apartheid en Afrique du Sud − s’accorde à dire que la situation en Israël est bien plus grave.

66.Les Arabes n’ont pas la possibilité de vivre dans les mêmes communautés que les citoyens juifs. L’apartheid est pratiqué dans tout Israël et le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et Gaza, mais sous des formes distinctes. Le Gouvernement israélien a légitimé dans les faits l’apartheid, ou la discrimination raciale, comme l’illustre l’ensemble des lois ou projets de lois énumérés dans le rapport, qui entérinent la discrimination à l’égard des Palestiniens, aussi bien ceux du territoire palestinien occupé que ceux vivant en Israël même. Les personnes qui osent dénoncer ces lois risquent de se voir retirer leur citoyenneté, et toute forme d’opposition est réprimée.

67.M. Mansfield souhaite que le Comité se penche sur l’élément pénal de l’apartheid, au regard non seulement de l’article 3 de la Convention mais aussi du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’État partie commet régulièrement des violations de ces deux instruments et d’autres. La communauté internationale doit reconnaître l’existence d’un apartheid en Israël, déclarer qu’un grand nombre d’instruments internationaux ont été violés, et mettre en avant la nécessité de prendre des mesures. Depuis 2010, la seule évolution observée est celle d’une nette dégradation de la situation. En témoignent les sanctions collectives infligées aux Palestiniens lorsque l’État de Palestine a été reconnu par l’UNESCO, ainsi que la multiplication des plans de construction de colonies à Jérusalem‑Est dans le cadre des efforts pour bâtir un Grand Israël, synonyme de l’anéantissement du peuple palestinien.

68.M me  Kohn (ADALAH – Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël), s’exprimant aussi au nom du Forum pour la coexistence et l’égalité des droits dans le Néguev, dit que de nombreuses lois discriminatoires, dont le rapport d’ADALAH fait état, ont été adoptées depuis la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël. Non seulement la situation de la communauté bédouine ne s’est pas améliorée au cours des cinq dernières années, mais certaines des rares décisions de justice favorables aux Bédouins ont été annulées. L’État partie avait par exemple ouvert des centres de santé à proximité de certains villages non reconnus à la fin des années 1990, sur ordonnance des tribunaux, mais il a récemment décidé de les fermer.

69.La ségrégation est inscrite dans les lois et les politiques d’Israël, en particulier dans la législation foncière. En outre, il n’existe pas d’instrument juridique visant à prévenir la discrimination dans les domaines du logement et de la propriété foncière. Dans la plupart des cas, l’État utilise l’excuse de la sécurité pour justifier des lois discriminatoires. Lorsque les lois sont débattues au parlement, ce ne sont en revanche pas les questions de sécurité qui sont évoquées, mais les «questions démographiques», à savoir le rapport entre la majorité juive et la minorité palestinienne.

70.ADALAH a déposé un recours contre la loi discriminatoire de 2003 sur la citoyenneté et l’entrée en Israël. En 2006, la Cour suprême d’Israël a rejeté ce recours, avec un jury partagé, 6 juges sur 11 ayant rendu un avis défavorable. Suite à la prorogation de la loi, ADALAH a récemment déposé de nouveau un recours, qui a également été rejeté avec la même majorité. En raison de cette loi, des familles sont séparées depuis une décennie.

71.La situation dans le territoire palestinien occupé et celle en Israël même sont toutes deux extrêmement préoccupantes. Cela fait trente ans que le plateau du Golan a été illégalement annexé par Israël. On assiste depuis 2010 à une institutionnalisation des violations des droits de l’homme, avec la transformation des politiques en lois.

72.La notion de peuples autochtones n’est pas officiellement reconnue en Israël. Les ONG ont fait référence aux normes internationales pertinentes dans leurs activités de plaidoyer, mais sans succès. Le plan Prawer (loi réglementant la résidence des Bédouins dans le Néguev) représente une menace pour le peuple le plus marginalisé de l’État d’Israël, à savoir les communautés bédouines du Néguev, en particulier celles des villages non reconnus. Si le plan est adopté, des dizaines de milliers de Palestiniens appartenant à un groupe autochtone distinct ne seront plus en mesure de préserver leur culture et leur mode de vie traditionnels.

73.M. Epshtain (Comité israélien contre les démolitions d’habitations) explique qu’en grandissant en Israël, il a souvent entendu dire qu’Israël est une terre sans peuple pour un peuple sans terre. Le projet de judaïsation consiste en substance à déplacer les Palestiniens, soit à l’intérieur d’Israël soit dans le territoire palestinien occupé, à les exproprier de leurs terres et à étendre les colonies. M. Epshtain rappelle au Comité les conclusions préliminaires de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant qui, lors de sa récente visite en Israël, a constaté que le modèle d’aménagement du territoire excluait les minorités d’Israël, était discriminatoire à leur encontre et les contraignait au déplacement, et que ce modèle était également appliqué dans le territoire palestinien occupé.

74.M. Charron (Centre de surveillance des déplacements internes) précise que les citoyens israéliens d’origine palestinienne vivent généralement au sein de leur communauté et dans leur propre ville ou village à l’intérieur d’Israël. Si certains d’entre eux vivent aux côtés de Juifs dans des «villes mixtes», qu’Israël présente de manière trompeuse comme des exemples de coexistence pacifique, c’est simplement parce que certains Palestiniens ont refusé de partir lors du déplacement de la population palestinienne en 1948. Ils ne vivent plus sous régime militaire depuis les années 1970, mais sont contraints à l’isolement par les lois sur le développement et l’occupation des sols.

75.Quelque 22 000 citoyens syriens vivent dans environ quatre villes du plateau du Golan occupé. Ces villes sont entourées de parcs nationaux, ce qui rend impossible leur extension et qui a conduit à leur surpeuplement et à des inégalités d’accès à l’eau. Les Syriens sont confinés dans ces agglomérations. Leur situation est meilleure que celle constatée dans le territoire palestinien occupé car ils relèvent des lois civiles israéliennes, ont accès aux soins médicaux et jouissent de droits politiques s’ils choisissent d’acquérir la citoyenneté israélienne. Les droits les plus élémentaires concernant la terre, le logement et la propriété restent cependant très limités.

76.Répondant au représentant de la communauté bédouine jahalin, M. Charron signale qu’au cours des cinq dernières années, les problèmes rencontrés par les Bédouins jahalin se sont aggravés, en particulier près de Jérusalem et dans la vallée du Jourdain. Des écoles et des centres communautaires ont été fermés ou détruits et l’accès à d’autres écoles a été bloqué. Les autorités israéliennes ne reconnaissent pas cette communauté − qui considère Israël comme une force d’occupation − comme un peuple autochtone.

Discussion concernant les quinzième à vingtième rapports périodiques du Koweït

77.M. Alenezi (Kuwaiti Bedoon Movement) indique que les Bidouns koweïtiens sont des apatrides qui vivent au Koweït et qui étaient organisés en tribus avant la période de domination britannique. Il rappelle plusieurs recommandations adressées au Koweït par des organes conventionnels des Nations Unies, dont le Comité, afin que l’État partie trouve des solutions aux problèmes rencontrés par les Bidouns dans le pays, mette fin à la discrimination généralisée dont ils sont victimes, leur accorde la nationalité koweïtienne et les autorise à manifester pacifiquement sans risque d’être détenus ou de subir des violences. L’État n’a donné aucune suite à ces recommandations. Quelque 70 personnes qui ont récemment participé à des manifestations pacifiques ont été arrêtées et emprisonnées pendant trente-cinq jours. Il est clairement fait état dans les rapports d’organisations telles que Human Rights Watch ou Refugees International de cas de violence et de brutalité à l’encontre de personnes apatrides et de manifestants pacifiques au Koweït. Le Gouvernement devrait appliquer d’urgence les recommandations des organes conventionnels étant donnée la forte diminution du nombre de Bidouns au Koweït. La possibilité de participer à des manifestations pacifiques constitue un droit de l’homme.

78.Le Président, s’exprimant en tant que Rapporteur pour le Koweït, souhaite des précisions sur l’origine des Bidouns et demande quel motif juridique est invoqué pour leur refuser la citoyenneté koweïtienne. Davantage de questions seront soulevées lors d’une réunion qui se tiendra le 16 février.

79.M. Alenezi (Kuwaiti Bedoon Movement) dit qu’il ne pourra malheureusement pas assister à cette réunion. Les Bidouns koweïtiens ont les mêmes origines que les citoyens koweïtiens, dont la plupart sont originaires d’Arabie saoudite, d’Iraq, de République arabe syrienne ou de République islamique d’Iran. M. Alenezi appartient à la même tribu que l’Émir du Koweït. L’adoption d’une loi octroyant la citoyenneté aux Bidouns koweïtiens a constamment été repoussée et le Gouvernement empêche les tribunaux de traiter des questions de nationalité.

La séance est levée à 13 heures.