Nations Unies

CERD/C/SR.2186

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.générale

19 février 2013

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Quatre-vingt-unième session

Compte rendu analytique de la première partie (publique)*d e la 21 8 6 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 21 août 2012, à 10 heures

Président:M. Avtonomov

Sommaire

Réunion informelle avec des organisations non gouvernementales

Informations concernant les quinzième et seizième rapports périodiques de la République de Corée

La séance est ouverte à 10 h 2 0 .

Réunion informelle avec les organisations non gouvernementales

Informations concernant les quinzième et seizième rapports périodiques de la République de Corée (CERD/C/KOR/15-16)

1. Sur l ’ invitation du Président, les représentants des organisations non gouvernementales prennent place à la table du Comité .

2. M me  Cho Hee-kyoung (MINBYUN – Lawyers for a Democratic Society) indique que la République de Corée est passée en un laps de temps très court de pays exportateur à pays importateur de main d’œuvre. La mutation rapide de la composition de la population, qui était ethniquement homogène et avait été peu confrontée au problème d’intégration des minorités, a donné lieu à de graves manifestations de discrimination raciale. Selon le rapport 2012 de la Commission nationale des droits de l’homme, quelque 1,39 millions d’étrangers vivent aujourd’hui en République de Corée, dont près de 720 000 travailleurs migrants.

3. L’État a octroyé à la grande majorité de travailleurs migrants non-coréens des visas E-9 au titre du système de permis de travail (EPS), qui peuvent également être délivrés aux ressortissants des 15 pays avec lesquels le Gouvernement coréen a signé un mémorandum d’accord. Bien que le système de permis de travail améliore la procédure de recrutement des travailleurs migrants par rapport au système antérieur, à savoir le système des stages professionnels, il n’a pas permis de mettre fin aux mauvais traitements ni à l’exploitation des travailleurs migrants et aux sévères restrictions qui s’appliquent à eux en termes de mobilité professionnelle. Les travailleurs admis au titre du système de permis de travail sont autorisés à demeurer en République de Corée pour une période initiale de trois ans et leur permis doit être renouvelé chaque année, à la discrétion des employeurs. Si leurs contrats ne sont pas reconduits, ils disposent de trois mois pour trouver un nouvel emploi dans le même secteur d’activité avant d’être reconduits à la frontière. En vertu de ce système, les travailleurs migrants peuvent changer d’emploi au maximum trois fois pendant la période initiale. En vertu d’une règle entrée en vigueur en août 2012, s’ils quittent leur emploi en raison de mauvais traitements infligés par l’employeur, ils ne peuvent pas rechercher de travail mais sont placés sur une liste d’attente tenue par le Ministère de travail jusqu’à ce qu’un employeur enregistré leur fasse une offre. Si aucune proposition ne leur est faite dans un délai de trois mois, ils doivent quitter le pays, faute de quoi ils sont expulsés.

4. Deux autres catégories de travailleurs étrangers sont victimes d’exploitations en République de Corée. Les visas E-10 sont délivrés aux migrants qui travaillent sur les bateaux de pêche croisant dans les eaux côtières, dont un grand nombre est originaire du Cambodge, de Chine, d’Indonésie et du Viet Nam. Depuis 2011, quelque 8 000 travailleurs migrants ont reçu ce type de visa et un grand nombre d’entre eux affirment travailler en moyenne 20 heures par jour et ne bénéficier d’aucun jour de repos. En outre, ils font souvent l’objet de violences verbales et physiques, voire sexuelles, extrêmes de la part des marins coréens et perçoivent en général un salaire nettement inférieur au salaire minimum. Les visas E-6 sont presque exclusivement délivrés aux femmes originaires des Philippines, des pays de la Communauté des États indépendants et de Thaïlande qui arrivent en République de Corée attirées par des promesses d’emploi dans le monde de la chanson, du cinéma et du mannequinat. À leur arrivée, elles sont contraintes de travailler dans des bars et dans l’industrie du sexe et peu de mesures ont été prises pour les protéger de la traite des êtres humains et prévenir leur exploitation et maltraitance. La police et le ministère public se concentrent exclusivement sur la traite aux fins de prostitution et n’ont que peu ou pas du tout conscience des problèmes qui se posent dans le processus de traite. En vertu de la législation actuelle, les femmes victimes de la traite ont du mal à être reconnues en tant que victimes.

5. Du fait de ces conditions difficiles, de nombreux travailleurs migrants quittent leur emploi sans le consentement de l’employeur et passent dans la clandestinité. Selon la Commission nationale des droits de l’homme, environ 10 % des travailleurs admis au bénéfice du système de permis de travail sont en situation irrégulière depuis 2011 et ce taux devrait augmenter. Environ 30 % des titulaires de visas E-6 et E-10 n’ont pas de titre de séjour, ce qui les rend plus vulnérables à l’exploitation parce qu’il appartient à l’employeur de ne pas les dénoncer aux autorités, ou à un risque d’expulsion. Les autorités organisent de fréquentes opérations de police pour interpeler les travailleurs en situation irrégulière, qui se soldent souvent par des actes de violence. De nombreux travailleurs ont été grièvement blessés alors qu’ils tentaient d’échapper aux descentes de police ou de s’enfuir sur recommandation de l’employeur. Les autorités ont également recours au profilage racial pour identifier les travailleurs sans papiers. Bien que le Gouvernement coréen affirme que ces derniers jouissent de l’égalité des droits et de l’égale protection de la loi, il leur est interdit depuis 2007 de créer des syndicats, en dépit d’un arrêt contraire de la Cour suprême. Le recours introduit par le Gouvernement pour interjeter appel de cette décision est en instance près la Cour suprême depuis cinq ans. Les dirigeants du syndicat des travailleurs sans papiers ont été expulsés de force, y compris le dernier dirigeant syndical à disposer d’un permis de travail valide. Les membres de la famille des travailleurs migrants ne sont à aucun moment autorisés à leur rendre visite pendant leur séjour en République de Corée. Les mariages entre migrants et Coréens ne sont pas reconnus par la législation coréenne non plus que les enfants issus de ces unions. Les enfants de migrants n’ont donc pas accès aux prestations d’aide sociale, y compris à l’éducation. Les enfants de migrants sans papiers subissent d’importantes discriminations: sur les 8 200 enfants qui se trouvaient dans cette situation pays en 2011, seuls 148 étaient scolarisés. Étant donné que les différents ministères chargés d’appliquer la loi relative aux étrangers ne parviennent pas à coordonner leur action dans ce domaine, MINBYUN prie le Comité de demander au Gouvernement de faire un effort concerté pour protéger les droits des travailleurs étrangers.

6. Mme  Cho Hee-kyoung ajoute que près d’un demi-million de travailleurs migrants étrangers coréens de souche vit sur le territoire de l’État partie. Bien que les autorités leur délivrent facilement un permis de travail, nombre d’entre eux subissent une discrimination raciale qui se manifeste sous la forme d’une hiérarchisation des nationalités. Environ 90 % des Coréens de souche sont originaires de Chine et des pays de la Communauté des États indépendants et détiennent des visas H-2 leur permettant de résider pendant cinq ans en République de Corée et d’occuper 36 types d’emplois peu qualifiés. En revanche, les visas F-4, qui sont délivrés aux Coréens de souche vivant dans d’autres pays, tels que le Japon et les États-Unis d’Amérique, donnent droit à une autorisation de séjour illimitée et à la recherche d’un emploi en toute liberté. La représentante demande au Comité de prier le Gouvernement de mettre fin à ces traitements discriminatoires.

7. En 2011, on dénombrait 211 000 personnes mariées à des migrants, ce qui représentait près de 17 % de tous les étrangers vivant en République de Corée, et environ 151 000 enfants nés de telles unions, soit quelque 12 % de la population étrangère. La plupart des conjoints en question étaient originaires de Chine (57 %), d’Asie du Sud-Est (29 %) et du Japon (5 %). La loi coréenne définit une «famille multiculturelle» comme celle formée par une personne de nationalité coréenne et une personne de nationalité étrangère résidant légalement dans le pays. Le Gouvernement mène une politique d’assimilation des conjoints étrangers en les contraignant à suivre des cours de langue et de culture coréennes. Aucune politique n’a pour objectif de s’assurer que les conjoints coréens comprennent la culture de leur partenaire. Les enfants nés de ces unions reçoivent également un enseignement sur la culture et les traditions de la société coréenne mais ont rarement l’occasion d’en savoir plus sur le pays d’origine de leur parent étranger. Les politiques gouvernementales et les systèmes de soutien portent presque exclusivement sur ce type de famille multiculturelle et excluent les mariages entre étrangers. La plupart de ces conjoints étrangers sont des femmes qui dépendent presque exclusivement de leur mari coréen. Pour demander la prorogation de leur permis de séjour ou présenter une demande de naturalisation coréenne, elles doivent obtenir la garantie personnelle de leur conjoint. Par ailleurs, le séjour du conjoint étranger dans le pays dépend du maintien des liens du mariage; en cas de séparation ou de divorce, le conjoint étranger est contraint de quitter le pays, à moins d’être en mesure de démontrer que les torts incombent au conjoint coréen. La seule exception admise est que le conjoint étranger s’occupe de ses ex-beaux-parents. Les enfants issus de familles multiculturelles subissent une discrimination importante en matière d’accès à l’éducation et leur taux de scolarisation est beaucoup plus faible que celui des enfants nés de parents coréens.

8. Entre 1994 et 2012, la République de Corée a reçu 4 500 demandes d’asile et n’a fait droit qu’à 290 d’entre elles. Le taux d’acceptation des demandes formées par des Coréens est de 6,8 %, un chiffre qui contraste fortement avec le taux global d’octroi du statut de réfugié, qui est d’environ 38 %. Près de la moitié des demandeurs d’asile dont la demande a été acceptée sont autorisés à demeurer dans le pays pour des raisons humanitaires. Ils reçoivent une autorisation temporaire de séjour qui doit être renouvelée tous les trois à six mois. En théorie, ils ont le droit de travailler mais ils ne trouvent pas d’employeur du fait du caractère temporaire de leur permis. Ils deviennent donc souvent illégaux et n’ont pas accès à l’assurance-maladie ou à d’autres prestations sociales. Bien que le Gouvernement prétende respecter le principe de non-refoulement, de nombreux demandeurs d’asile ont été expulsés alors que le recours qu’ils avaient introduit contre l’ordonnance d’expulsion dont ils faisaient l’objet était en instance. Ils ne disposent que de 14 jours pour faire appel et leur droit d’être entendu n’est pas respecté durant cette période. Le seul centre d’aide aux demandeurs d’asile et aux réfugiés est situé dans une zone isolée et fait, dans la pratique, davantage office de centre de rétention. Les réfugiés ont du mal à obtenir de l’aide.

9. Même si le Gouvernement coréen affirme que la discrimination raciale est interdite par la Constitution et la législation, en réalité, le cadre juridique en vigueur est parfaitement inadapté pour y donner effet. La Constitution, dans son interprétation commune, ne contient pas de disposition protégeant les droits fondamentaux des étrangers mais les magistrats de la Cour constitutionnelle divergent sur ce point. En outre, étant donné que la discrimination raciale n’est pas expressément interdite par la Constitution, les juges accordent moins d’importance à ce type de discrimination qu’à celle fondée sur d’autres motifs, comme la religion. Le Code pénal ne prévoit pas de sanction contre les délits de racisme. Le Gouvernement prétend que les juges peuvent alourdir les peines encourues pour de tels crimes, mais cela a un faible effet dissuasif. MINBYUN prie en conséquence le Comité de demander à nouveau à l’État partie d’incorporer une disposition générale d’interdiction de la discrimination dans son droit interne.

10. M me Crickley souhaiterait obtenir des renseignements actualisés sur les nouvelles mesures qui ont été prises pour associer les migrants aux efforts de dépistage du VIH/sida afin qu’ils ne soient pas discriminatoires. Il serait utile de savoir si les dispositions relatives à la peine de mort encourue par des étrangers ont été modifiées et si le Gouvernement envisage de modifier celle en vertu de laquelle les étrangers mariés à des Coréens dont le divorce a été prononcé ne peuvent continuer de résider dans l’État partie que s’ils s’occupent de leurs ex-beaux-parents ainsi que celles applicables à ces personnes en matière de succession. Mme Crickley demande également si les travailleurs migrants et les personnes mariées à des Coréens peuvent posséder des biens dans l’État partie.

11. M.  Kut demande confirmation du fait que les Coréens de souche de l’étranger sont titulaires d’un passeport émis par le pays où ils résident habituellement. Il aimerait obtenir davantage de précisions sur les familles multiculturelles et les raisons pour lesquelles les enfants issus de ce type d’unions sont peu scolarisés. Il serait également utile de savoir sur quelles bases les différents types de visas sont délivrés aux diverses catégories de travailleurs migrants.

12. M.  de Gouttes demande à la représentante de Lawyers for a Democratic Society de commenter les résultats du Plan d’action national pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Il souhaite également savoir si la Commission nationale des droits de l’homme a reçu des plaintes portant sur des faits de discrimination raciale et, dans l’affirmative, il souhaite en connaître le nombre ainsi que le nombre de personnes inculpées et condamnées. Des informations complémentaires sur le statut de la Commission et sa composition seraient bienvenues et il serait utile de savoir si elle dispose de ressources suffisantes pour assurer sa réelle indépendance.

13. M.  Ewomsan demande si des travailleurs migrants africains vivent en République de Corée et, dans l’affirmative, combien d’entre eux ont obtenu la nationalité coréenne.

14. M.  Murillo Martínez souhaiterait recevoir des précisions supplémentaires sur le cadre institutionnel en vigueur dans l’État partie en matière de lutte contre le racisme et la discrimination raciale. Étant donné que très peu d’enfants de familles multiculturelles sont scolarisés, il demande si la République de Corée dispose d’une loi encourageant l’accès à l’instruction jusqu’à un certain âge. Il juge intéressant de savoir si l’État partie dispose de données sur les mariages blancs, ce qui pourrait expliquer pourquoi les étrangers mariés à des Coréens jouissent de droits restreints.

15. M.  Calí Tzay aimerait disposer d’informations plus précises sur les politiques d’emploi des entreprises multinationales coréennes disposant de succursales à l’étranger, par exemple dans l’industrie textile et de la confection. Il souhaite savoir si les entreprises coréennes établies à l’étranger traitent leurs employés plus mal que les entreprises coréennes traitent les travailleurs migrants en République de Corée, comme cela vient d’être indiqué.

16. M.  Amir demande si la notion de peuples autochtones existe dans l’État partie et, dans l’affirmative, si des étrangers vivant en Corée se revendiquent comme autochtones mais ne sont pas reconnus comme tels.

17. M me Cho Hee-kyoung (MINBYUN – Lawyers for a Democratic Society) dit que la notion de peuples autochtones comme celle de peuples aborigènes en Australie ou d’Aïnous au Japon, pour ne citer que deux exemples, n’existe pas en République de Corée. Le concept de société homogène est pourtant issu de cette notion. Lors de précédents dialogues avec le Comité, l’État partie a indiqué que la discrimination raciale n’existe pas dans le pays parce que la société coréenne est ethniquement homogène. Or, cela n’est certainement plus le cas à l’heure actuelle, puisqu’au moins 2 % de la population coréenne est d’origine étrangère.

18. De nombreuses entreprises coréennes transnationales sont en effet spécialisées dans la production textile mais aussi dans l’industrie lourde et l’industrie chimique, telles que Samsung Electronics, Hyundai Motor Company, LG Electronics, et d’autres. Elles disposent de filiales à l’étranger, en Inde notamment, où de graves violations des droits de l’homme ont été signalées. Bien que des efforts aient été déployés pour tenir les entreprises pour responsables de violations présumées survenues à l’étranger, peu de progrès ont été accomplis dans ce domaine.

19. Du fait de l’absence de cadre institutionnel requis pour lutter contre la discrimination raciale, le Gouvernement coréen a dû s’appuyer sur une disposition constitutionnelle et une série de lois qui sont insuffisantes à cet effet. Le Comité devrait encourager le Gouvernement coréen à se doter d’un cadre approprié en matière de lutte contre la discrimination raciale.

20. Seuls 148 des 8 200 enfants de travailleurs migrants sans papiers sont scolarisés. Bien que le Gouvernement prétende que ces enfants ont droit au même type de soutien et de prestations que les enfants coréens, il n’a en réalité pris aucune mesure institutionnelle pour veiller à leur scolarisation. En outre, étant donné que les parents craignent d’être expulsés s’ils envoient leurs enfants à l’école puisque les établissements scolaires exigent une attestation de domicile, peu d’enfants de travailleurs migrants vont à l’école.

21. S’agissant des mariages mixtes, Mme ChoHee-kyoung explique qu’il s’agit la plupart du temps d’unions sollicitées par des Coréens. En effet, étant donné que peu de Coréennes souhaitent épouser des Coréens vivant en zones rurales, les autorités locales ont lancé, dans les années 1990, un programme pour permettre à ces derniers de fonder une famille en épousant une ressortissante étrangère. La plupart des mariages internationaux sont contractés par des femmes originaires du Sud-Est asiatique et de Chine et des Coréens vivant en zone rurale.

22. Le taux de scolarisation des enfants nés d’unions mixtes est d’environ 80 %, alors que celui des enfants dont les deux parents sont coréens avoisine les 100 %. Le nombre d’enfants de travailleurs migrants sans papiers non scolarisés est encore plus important. Le faible taux de scolarisation des enfants de familles multiculturelles est notamment dû aux discriminations et aux brimades dont ils font l’objet à l’école. Quelque 25 % des familles multiculturelles sont issus de milieux socioéconomiques défavorisés. L’école est obligatoire et gratuite jusqu’au niveau 10 mais un grand nombre des familles les plus démunies n’ont pas les moyens d’assumer les coûts de scolarisation dans l’enseignement secondaire supérieur.

23. La République de Corée compte beaucoup moins de travailleurs migrants originaires d’Afrique que d’Asie. Quelques Africains ont demandé l’asile à la République de Corée et ont par la suite été naturalisés mais ils sont très peu nombreux. Les travailleurs migrants employés dans le cadre du Système de permis de travail ont le droit de travailler pendant une période initiale de trois ans. A l’expiration de ce délai, leur permis peut être prorogé pour une période de 22 mois, en vertu de quoi ils ne parviennent jamais à satisfaire à l’obligation de cinq ans minimum de résidence continue requise aux fins de naturalisation. Quatre ans et dix mois après leur arrivée, les travailleurs habilités à travailler dans le cadre de ce système doivent quitter le pays pendant au moins trente jours. Ils sont ensuite autorisés à revenir en République de Corée s’ils peuvent justifier d’un emploi et d’un permis de travail. En fait, un travailleur migrant titulaire d’un visa E-9 (emplois non qualifiés) ne peut jamais espérer obtenir la citoyenneté coréenne par naturalisation.

24. Mme Cho Hee-kyoung indique que même si le Gouvernement a plusieurs fois affirmé que l’article 11 de la Constitution interdit la discrimination, cet article ne protège en réalité que les citoyens coréens et ne proscrit que la discrimination fondée sur la religion, le sexe et le statut social. La discrimination fondée sur la race n’est pas expressément interdite. MINBYUN considère que cette disposition est tout simplement inadéquate, un point de vue que partagent également les juges conservateurs de la Cour constitutionnelle coréenne.

25. Mme Cho Hee-kyoung regrette l’absence de progrès véritables effectués, en particulier ces dernières années, dans la mise en œuvre du Plan d’action national pour la promotion et la protection des droits de l’homme lancé par Ministère de la justice en 2007. Le problème est aussi dû à l’affaiblissement de la Commission nationale des droits de l’homme, qui n’a quasiment aucune indépendance. L’actuel Président de la Commission a fait l’objet d’importantes controverses, notamment suite à la déclaration suivante: «la Corée est devenue une société multiculturelle. Les Nègres sont parmi nous». Il n’est pas difficile d’imaginer comment une personne ayant tenu de tels propos dirige les travaux de la Commission. Bien que cette instance ait publié plusieurs études intéressantes, celles-ci sont le fruit de travaux antérieurs. La Commission s’est presque révélée être un obstacle à la promotion des droits des travailleurs migrants et à l’élimination de la discrimination raciale.

26. L’histoire des Coréens de souche de l’étranger remonte à loin. De nombreux Coréens ont été envoyés de force en Chine et dans l’actuel territoire de la Communauté des États indépendants, dont l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan, notamment, pendant l’occupation coloniale de la République de Corée par le Japon, entre 1910 et 1945. Les Coréens de souche ont bénéficié d’un traitement légal privilégié sur le fondement des liens du sang et de l’ethnicité.

27.Mme Cho Hee-kyoung explique que la République de Corée délivre différents types de visas parce qu’elle a besoin de main-d’œuvre étrangère. Parallèlement, le Gouvernement s’emploie à réguler très strictement les flux de main-d’œuvre et n’accorde pas aux travailleurs migrants la protection sociale auxquels les travailleurs coréens ont droit. Ces derniers ne travaillent généralement pas dans de petites entreprises. Or, près de 80 % des travailleurs recrutés dans le cadre du Système de permis de travail sont employés dans des entreprises comptant moins de dix salariés, qui ont souvent tendance à verser des salaires inférieurs à ceux des grandes entreprises. Il arrive parfois que les travailleurs migrants ne soient pas payés mais ils n’ont guère de recours. Le nouveau régime des visas E-9 constitue une amélioration par rapport au régime antérieur mais même si le processus de recrutement a été amélioré, il ne permet pas de protéger les travailleurs migrants contre l’exploitation. Les visas E-10 sont accordés aux pêcheurs étrangers, le secteur de la pêche étant déserté par les Coréens tandis que les visas E-6 sont délivrés pour répondre au besoin de main d’œuvre dans l’industrie du sexe, secteur dans lequel les femmes coréennes ne peuvent pas être employées.

28. Des mesures de dépistage du VIH ont été mises en place à l’intention des travailleurs migrants titulaires de diverses catégories de visas, dont les visas E-2, E-6 et E-9. Attendu que le Gouvernement s’emploie à mondialiser la société coréenne, il accorde des visas E-2 aux anglophones originaires en particulier du Canada, des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni, d’Irlande, de Nouvelle-Zélande, d’Australie et même d’Afrique du Sud, afin qu’ils enseignent l’anglais dans les établissements scolaires. Le Gouvernement refuse cependant de délivrer des visas E-2 aux ressortissants philippins, même lorsqu’ils sont anglophones, ce qui témoigne d’une discrimination fondée sur la race.

29. La législation relative à la peine de mort n’a pas été modifiée depuis l’examen de la République de Corée dans le cadre de l’Examen périodique universel. Une affaire de condamnation à mort a été portée devant la Cour suprême, qui a confirmé à une courte majorité des voix la constitutionnalité du jugement rendu. Bien que l’État partie ait déclaré un moratoire les exécutions capitales, la peine de mort peut être requise à tout moment.

30. Le droit des épouses étrangères au divorce est un grave sujet de préoccupation. Alors que les Coréens peuvent demander la reconnaissance du divorce sans faute par consentement, les étrangères mariées à des Coréens doivent être en mesure de prouver que la faute incombe à ces derniers pour pouvoir rester dans le pays après le prononcé du divorce. Cela vaut sauf si elles ont obtenu le droit de garde des enfants, ce qui est rare, attendu que les tribunaux coréens l’accordent rarement aux étrangères, même si ce sont habituellement les mères qui en jouissent, ou si elles s’occupent de leurs ex beaux-parents.

31. La loi coréenne reconnaît certains droits de propriété, dont le droit de posséder des biens immobiliers, mais pas aux titulaires de visas à durée limitée. Les Chinois d’origine coréenne titulaires de visas H-2 (travail intérimaire) rencontrent plus de difficultés en matière d’accès à la propriété que les titulaires de visas F-4, par exemple, qui sont délivrés aux Coréens de l’étranger.

32. M.  Thornberry, notant que le projet de loi d’interdiction de la discrimination de 2007 n’a pu être adopté du fait des objections des groupes religieux, demande si celles-ci étaient dues uniquement aux dispositions du texte relatives à l’orientation sexuelle ou si elle portait aussi sur les dispositions relatives à la couleur et à l’origine nationale. Il rappelle que le Comité s’était montré critique à l’égard du rapport périodique précédent de l’État partie et qu’il s’était, notamment, interrogé sur l’utilisation de termes tels que «sang pur» et «sang mêlé» et dit préoccupé qu’une telle terminologie, avec l’idée de supériorité raciale qui en découle, ait toujours cours dans la société coréenne. M. Thornberry souhaite savoir dans quelle mesure ces expressions sont courantes dans les conversations, voire dans les discours officiels, attendu que les informations qui viennent d’être communiquées au Comité donnent à penser qu’elles sont fréquemment employées. Compte tenu de l’importance que la République de Corée attache à la notion d’homogénéité et du temps qu’il faudra pour que la population s’adapte aux changements induits par la transformation de la République de Corée en pays de destination des migrants, il serait intéressant de connaître les progrès réalisés par l’État partie pour mieux harmoniser sa législation avec les normes établies par la Convention, en particulier depuis la présentation de son rapport périodique précédent.

33. M me Cho Hee-kyoung (MINBYUN – Lawyers for a Democratic Society) indique que le Gouvernement coréen n’a pris aucune initiative depuis 2007 en vue de la promulgation d’une nouvelle loi de lutte contre la discrimination. L’argument principal des opposants à une telle législation était que le texte proposé interdisait la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. L’interdiction de la discrimination fondée sur la race ou la couleur de la peau n’avait pas posé problème. Les termes «sang pur» ou «sang mêlé» ont quasiment disparu des déclarations publiques. Le Gouvernement s’est employé à trouver une terminologie neutre pour désigner les mariages interethniques et a opté pour le terme «famille multiculturelle», lequel est souvent employé dans un sens péjoratif. Les enfants issus de telles unions sont souvent moqués de ce fait. On a également constaté une augmentation des discours de haine et des propos discriminatoires à motivation raciale, en particulier sur Internet ainsi qu’un accroissement du nombre d’organisations racistes militantes. MINBYUN considère que cette tendance est due à l’absence de législation de lutte contre la discrimination. En outre, le Code pénal n’incrimine pas ce type d’agissements.

34. Quelques progrès, même s’ils sont mineurs, ont été réalisés en matière d’élimination de la discrimination. Globalement, toutefois, la population ne sait toujours pas ce qu’est la discrimination raciale et continue d’y être insensible. Par exemple, toute personne résidant en République de Corée est tenue d’avoir sur elle une carte nationale d’immatriculation comportant un numéro à 13 chiffres. Les six premiers chiffres renvoient à la date de naissance. Les sept suivants commencent par un 1 pour les Coréens, par un 2 pour les Coréennes, par un 5 pour les étrangers et par un 6 pour les étrangères. Cette carte est requise pour toute une série de services, y compris le raccordement au téléphone. Le numéro d’identification d’un individu permet donc de savoir s’il est étranger. L’État partie devrait mener davantage d’actions pour informer, en particulier les décideurs, les agents des services chargés de l’application des lois et les autorités en général, du caractère discriminatoire de ces politiques.

35. M me Crickley demande des informations sur les discriminations commises en République de Corée à l’encontre de personnes originaires de la République populaire démocratique de Corée.

36. M me Cho Hee-kyoung (MINBYUN – Lawyers for a Democratic Society) dit qu’il s’agit en effet d’une question importante. Les Nord-Coréens ne sont pas considérés comme des réfugiés par le Gouvernement de l’État partie. En théorie, ils ne subissent aucune discrimination mais que de plus en plus de Nord-Coréens arrivés en République de Corée émigrent dans d’autres pays du fait de la discrimination intolérable dont ils sont victimes dans l’État partie. Ces personnes ont traversé de terribles épreuves pour pouvoir simplement franchir la frontière pour se retrouver, au final, stigmatisés par leurs concitoyens du seul fait qu’ils viennent du nord de la péninsule. L’aide apportée par l’État partie aux Nord-Coréens consiste à les placer dans des centres de rétention de facto, certains y étant détenus pendant des années.

37. M.  Lindgren Alves s’est dit frappé de constater, à la lecture du rapport périodique de la République de Corée, que le pays ne se décrit plus comme une société homogène mais comme une société multiculturelle et que le multiculturalisme est devenu l’une des préoccupations du Gouvernement. Il souhaite savoir si la République de Corée a adhéré à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Si tel n’est pas le cas, le Comité devrait soulever cette question auprès de l’État partie.

38. M.  Kemal rappelle qu’il était Rapporteur pour la République de Corée lors de l’examen du rapport périodique précédent. Le Comité avait évoqué la composition ethnique de la population coréenne auprès de la délégation et formulé une recommandation à cet égard (CERD/C/63/CO/9). Que le pays évolue vers le multiculturalisme est un point positif mais il n’en demeure pas moins que la question est complexe. Nul ne peut s’attendre à ce que policiers épient les conversations. Certaines valeurs sociales ont été inculquées au peuple coréen, qui est fier d’appartenir à la nation coréenne, mais il est aussi possible qu’il ait tendance à dénigrer les personnes qui viennent d’ailleurs. M. Kemal souhaite savoir comment les autorités préviennent concrètement les actes de discrimination raciale et s’ils sont condamnés. Si les autorités coréennes hésitent à engager des poursuites contre les auteurs de tels actes, les travailleurs étrangers n’ont probablement pas d’autre choix que de continuer à endurer les insultes régulières qui leur sont faites. Le Comité ne peut exiger de l’État partie qu’il adhère à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et ne peut que lui recommander d’agir en ce sens. Les conseils additionnels que pourra donner Lawyers for a Democratic Society à ce sujet sont bienvenus.

39. M.  de Gouttes dit que Mme Cho Hee-kyoung a fourni au Comité des informations très intéressantes sur des questions qui ne sont pas abordées dans le rapport de l’État partie, comme par exemple l’augmentation des discours xénophobes et des discours de haine, les mauvais traitements infligés aux enfants issus de mariages mixtes, et le numéro d’immatriculation figurant sur les cartes d’identité qui indique si une personne est étrangère ou coréenne. Il serait intéressant de savoir si les discours xénophobe émanent d’organisations racistes, des médias, de certaines personnalités politiques ou d’autres sources.

40. M.  Kut s’interroge sur les raisons de la hausse perceptible des discours racistes. Il souhaite savoir si des faits de violence raciale se sont déjà produits dans l’État partie et dans ce cas qui en étaient les auteurs.

41. M me Cho Hee-kyoung (MINBYUN – Lawyers for a Democratic Society) explique que l’augmentation significative des propos racistes ces dernières années est principalement attribuable à la plus grande visibilité des ressortissants étrangers dans la société coréenne. Le Parti conservateur Saenuri a désigné une Philippine naturalisée coréenne, Mme Jasmine Lee, pour conduire les dernières élections générales et témoigner du soutien ostensible du Parti au multiculturalisme. On a constaté par la suite une nette augmentation des discours de haine et des discours xénophobes dans les médias et les organisations politiques.

42. Très peu de cas de violence raciale ont été signalés. Les médias mettent souvent l’accent sur les actes de violence commis par des étrangers à l’encontre des Coréens mais évoquent moins les affaires dans lesquelles ce sont des étrangers qui sont les victimes.

43. Mme Cho Hee-kyoung considère que la question soulevée par M. Kemal au sujet des mesures prises pour prévenir la discrimination raciale est complexe et importante. Elle estime qu’il faudrait, en premier lieu, éduquer et sensibiliser la population à ce propos. Les Coréens sont généralement bienveillants à l’égard des étrangers blancs de peau, c’est-à-dire des ressortissants de pays occidentaux, socioéconomiquement avantagés, mais ont des attitudes négatives à l’égard des étrangers mats de peau qui sont originaires de pays en développement. Un changement radical de comportement ne pourra avoir lieu que si la population reçoit un enseignement de base sur les droits de l’homme.

44. Les actes à caractère raciste ne sont pas expressément érigés en infractions par le Code pénal. Les plaintes pour discrimination raciale peuvent être adressées à la Commission nationale des droits de l’homme mais, à ce jour, celle-ci n’a mené à terme qu’une seule affaire visant un étranger, M. Bonojit Hussain, un ressortissant indien insulté dans un bus. Les coupables ont supposé que c’était un immigré sans papier à cause de sa couleur de peau. L’intéressé a été détenu par la police et a subi des violences verbales avant d’être finalement libéré une fois démontré qu’il était professeur d’université. M. Hussain a saisi la Commission des droits de l’homme et perçu une indemnisation de moins de 1 000 dollars des États-Unis Les policiers impliqués ont simplement été réprimandés. Les fonctionnaires de police et les procureurs ne sont pas suffisamment incités à poursuivre les auteurs de tels actes, même si cela ne signifie pas, selon Mme Cho Hee-kyoung, que la majorité de la population considère que ces faits doivent rester impunis. En outre, la Commission nationale des droits de l’homme ne peut formuler que des recommandations et ses décisions ne sont pas contraignantes.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 55.