Nations Unies

CAT/C/72/D/793/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

18 février 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article22 de laConvention, concernant la communication no 793/2017*,**

Communication présentée par :R. M. (représenté par un conseil, de TRIALInternational)

Victime(s) présumée(s) :Le requérant

État partie :Burundi

Date de la requête :27 décembre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 5 janvier 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:18 novembre 2021

Objet :Torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; absence d’enquête effective et de réparation

Question(s) de procédure :Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :Torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; mesures visant à empêcher la commission d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ; surveillance systématique quant à la garde et au traitement des personnes détenues ; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit de porter plainte ; droit d’obtenir une réparation

Article(s) de la Convention :2 (par.1), 11, 12, 13 et 14, lus conjointement avec les articles 1er et 16, et 16

1.Le requérant est R. M., de nationalité burundaise, né en 1979. Il prétend être la victime de violations par l’État partie de ses droits protégés au titre des articles2 (par.1), 11, 12, 13 et 14, lus conjointement avec l’article1er et, subsidiairement, avec l’article16 de la Convention, ainsi que de l’article16 de la Convention lu seul. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article22 (par. 1) de la Convention le 10juin 2003. Le requérant est représenté par un conseil de l’organisation TRIAL International.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 9 mars 2014, le requérant a été arrêténon loin de lapermanence du Mouvement pour la solidarité et la démocratie à Bujumbura.La veille, des éléments de la police lourdement armés avaient fait irruption au siège du parti pour disperser les militants qui étaient en réunion à l’intérieur du bâtiment. Deux agents de police qui avaient réussi à s’infiltrer dans ces locaux sans mandat avaient été désarmés et neutralisés par les militants. La police avaitencerclé les lieux avant de pénétrer de force dans le bâtiment en faisant usage de gaz lacrymogène et de balles réelles. C’est au cours de cet assaut que le requérant a été grièvement blessé au niveau du bras droit, par une balle tirée par la police. D’autres membres du parti ont été également blessés au cours de l’opération. La police a refusé l’accès au personnel de la Croix-Rouge du Burundi qui voulait secourir les victimes.

2.2Lors de son arrestation, et malgré son état de santé visiblement critique, les agents de police ont violemment frappé le requérant, lui infligeant de nombreux coups de crosse de fusil, de bottes et de matraque pendant environ un quart d’heure. Le requérant a été frappé sur toutes les parties du corps, notamment aux jambes, à la tête et au dos. Alors qu’il était incapable de se tenir debout, il a été jeté à l’arrière d’une camionnette de la police. Les policiers ainsi que les agents du Service national de renseignements l’ont insulté et l’ont menacé de mort.

2.3En dépit de son état de santé dû notamment à la blessure par balle qu’il avait reçuela veille, le requérant n’a pas été transporté immédiatement à l’hôpital. Il a passé environ quatre heures à l’arrière du véhicule de la police avant d’être transporté à la clinique Prince-Louis-Rwagasore pour y recevoir les premiers soins. Quelques minutes après son arrivée à l’hôpital, des agents du Service national de renseignements ont fait irruption dans l’espace de soins et ont cherché à procéder à son enlèvement.Le 14mars 2014, le requérant a porté plainte devant le Procureur général de la République pour les violations subies. Cette plainte reste sans suite.

2.4Le 27mai 2014, malgré les avis médicaux préconisant des soins plus poussés en faveur du requérant, ce dernier a été arrêté de force sur mandat d’arrêt du Parquet de Bujumbura et conduit à la prison centrale de Mpimba, où subsistent des conditions inhumaines et dégradantes. Le lendemain, soit le 28mai 2014, grâce aux pressionsexercées par plusieurs organisations de la société civile, le requérant a été conduit à l’hôpital Prince-Régent-Charles, où il a passé dix jours avant d’être reconduit à la prison centrale de Mpimba. Ce n’est que le 7octobre 2014 qu’il a pu se faire examiner à nouveau à l’hôpital Prince-Régent-Charles. Devant la dégradation de son état de santé, notamment de son bras droit, qui était presque paralysé en raison d’infections dues aux pansements non renouvelés, le médecin traitant lui a prescrit trois séances de kinésithérapie par semaine. Toutefois, la direction de la prison ne l’a pas autorisé à bénéficier de ces soins.

2.5Par suite de son emprisonnement le 27mai 2014, le requérant a comparu pour la première fois devant un juge le 25 juin 2014. Au cours de cette audience, le requérant a vainement sollicité une expertise médicale, conformément aux articles103 et 104 du Code de procédure pénale, tout en réitérant sa plainte du 14mars 2014 au Parquet général de la République pour les actes de torture qu’il avait subis.

2.6À la suite de l’audience du 25juin 2014, la détention du requérant n’a fait l’objet d’un réexamen par un juge qu’en date du 30décembre 2014, soit plus de six mois après la première ordonnance autorisant sa mise en état de détention préventive, ce qui constitue une violation de l’article 115 du Code de procédure pénale.

2.7Le 30décembre 2014, le dossier a été appelé en audience publique, laquelle a été remise au 15janvier puis au 20février 2015. Le 26février 2015, le tribunal a rendu un jugement avant dire droit ordonnant la création d’une commission médicale de trois médecins du Gouvernement pour examiner si l’état de santé du requérant nécessitait des soins médicaux à l’étranger, tout en sursoyant à statuer sur sa demande de mise en liberté provisoire. Aucune suite n’a été donnée à ce jugement.

2.8Le requérant soutient qu’aucune autre instance internationale d’enquête n’a été saisie de la question.

2.9Le requérant rappelle que selon l’article22 (par. 5b)) de la Convention, une personne n’est pas tenue d’épuiser les voies de recours internes qui seraient vaines, et que le Comité n’exige, aux fins de la recevabilité des communications individuelles, que l’épuisement des recours efficaces, utiles et disponibles. Il soutient qu’en dépit de sa plainte au Procureur général de la République pour les mauvais traitements subis, les autorités judiciaires n’ont pas réagi alors qu’elles auraient dû ouvrir, sur la base de ses dires, une enquête pénale en vertu de l’article 64 du Code de procédure pénale. D’autres démarches entreprises auprès de l’Ombudsman et de la Commission nationale indépendante des droits de l’homme du Burundi n’ont rien donné. Les correspondances adressées aux responsables de la clinique Prince-Louis-Rwagasore le 30 mars 2015, pour obtenir une attestation de son hospitalisation, et le 15décembre2015, pour solliciter des éléments de son dossier médical, restent sans suite.Les actes d’intimidation et menaces suivis de l’exil de deux des avocats du requérant constituent une preuve éloquente qu’il est impossible de saisir des autorités indépendantes et impartiales sur le dossier du requérant, qui ne peut concrètement obtenir gain de cause devant les juridictions nationales.

2.10De plus, le «climatgénérald’impunité» au Burundi, qualifié comme tel par le Comité en raison de violations graves des droits humains, notamment les actes de torture, implique qu’il est peu probable que le requérant aurait pu obtenir gain de cause devant les juridictions nationales.

2.11En conséquence, le requérant fait valoir ce qui suit : a) les voies de recours internes disponibles ne lui ont donné aucune satisfaction, les autorités n’ayant pas réagi à ses dénonciations alors qu’elles auraient dû ouvrir une enquête pénale sur la base de ses allégations ; b) ces voies de recours ont excédé les délais raisonnables, puisque trois ans et quatre mois après la dénonciation des actes de torture en date du 14 mars 2014, aucune enquête n’avait été ouverte ; et c) il était dangereux pour lui d’entreprendre d’autres démarches car les personnes responsables des faits de torture étaient des policiers et des proches du Gouvernement en place. Le requérant estime qu’il lui est impossible d’épuiser les voies de recours internes, vu que celles-ci se révèlent inefficaces et vaines.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant prétend être victime de la violation par l’État partie de ses droits protégés par les articles2 (par.1), 11, 12, 13 et 14, lus conjointement avec l’article1er et, subsidiairement, avec l’article16 de la Convention, ainsi que de l’article16 de la Convention lu seul.

3.2Selon le requérant, les sévices qui lui ont été infligés ont provoqué des douleurs et des souffrances aiguësqui ont encore un impact aujourd’hui sur sa santé tant physique que psychologique. Il a été délibérément et grièvement blessé par balle le 8mars 2014. Les agents de l’État ont d’ailleurs empêché le personnel de la Croix-Rouge du Burundi de le secourir. La police l’a ensuite violemment frappé le lendemain,soit le 9mars 2014, au cours de son arrestation, malgré sa blessure par balle et son état de santé visiblement critique, lui assénant de nombreux coups à l’aide de crosses de fusil, de bottes et de matraques, l’insultant et le menaçant de mort. Le requérant a été emprisonné et privé des soins que nécessitait son état, en dépit d’avis médicaux en ce sens. La direction de la prison ne l’a pas autorisé à bénéficier des soins de kinésithérapie que sa situation réclamait. Le requérant soutient que les actes de torture infligés par les membres de la Police nationale visaient à l’intimider, à le punir et à faire pression sur lui en raison de son appartenance politique. Il maintient donc que ces sévices constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention.

3.3Au titre de l’article2 (par.1) de la Convention, le requérant fait valoir que l’État partie n’a pas pris de mesures efficaces pour prévenir la commission d’actes de torture sous sa juridiction. Premièrement, il soutientne pas avoir eu la possibilité d’accéder à des recours judiciaires, les autorités burundaises ne s’étant pas acquittées de leur obligation d’enquêter sur les tortures qui lui ont été infligées. Deuxièmement, les garanties procédurales qui doivent encadrer toute privation de liberté n’ont pas été respectées, notamment la possibilité pour le requérant de contester la légalité de sa détention. Le requérant en veut pour preuve le refus des autorités, lors de l’audience du 25juin 2014,d’accéder à une demande d’expertise médicale sur sa situation, et le refus de lui accorder la liberté provisoire lors de l’audience du 20février 2015 malgré l’irrégularité de la procédure et la dégradation de son état de santé. Troisièmement, le requérantsoutient qu’en dépit de son état de santé et du fait qu’il n’avait pas bénéficié de soins médicaux, notamment pour la grave blessure par balle du jour précédent, il n’a reçu les premiers soins que quatre heures après son arrestation. Du fait qu’il n’a pas été autorisé à bénéficier des soins qu’il nécessitait, son état de santé a été irrémédiablement compromis. De plus, malgré les dénonciations et une plainte formelle présentées par le requérant, l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations d’enquêter sur les tortures infligées et de traduire en justice les responsables de ces actes. Enfin, le requérant souligne qu’en droit burundais, hormis lorsqu’ils sont commis dans le contexte de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou du crime de génocide, les actes de torture sont soumis à un délai de prescription de vingt ou trente ans selon les circonstances.

3.4Invoquant l’article11 de la Convention et la pratique du Comité, le requérant fait valoir que l’État partie a failli à son obligation de surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques et sur les dispositions concernant son traitement au cours de son arrestation et de sa détention. Cela est illustré par le refus des autorités de lui permettre d’accéder aux soins appropriés au cours de sa détention, par les actes de torture dont il a été victime lors de son arrestation ainsi que par les entraves à la jouissance de ses garanties judiciaires.

3.5Par ailleurs, le requérant fait valoir qu’alors qu’elles étaient informées des tortures qu’il avait subies par l’intermédiaire d’une plainte déposée le 14 mars 2014 ainsi que des dénonciations faites lors de l’audience du 25 juin 2014, les autorités burundaises n’ont pas effectué d’enquête prompte et effective sur les allégations de torture, en violation de l’obligation imposée par l’article 12 de la Convention. Il allègue également que l’État partie n’a pas respecté son droit de porter plainte en vue de l’examen immédiat et impartial des faits allégués, contrevenant ainsi à l’article 13 de la Convention.

3.6En privant le requérant d’une procédure pénale, l’État partie l’a privé par la même occasion de toute voie de recours pour obtenir une indemnisation par suite de crimes graves tels que la torture. En outre, il n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation après les tortures subies, avec pour objectif sa réadaptation la plus complète possible, sur les plans physique, psychologique, social et financier. Au regard de la passivité des autorités judiciaires, d’autres recours, notamment pour obtenir réparation au moyen d’une action civile en dommages et intérêts, n’ont objectivement aucune chance de succès. Peu de mesures d’indemnisation des victimes de torture ont été prises par les autorités burundaises, ce qui avait été relevé par le Comité dans ses observations finales concernant le rapport initial du Burundi, en 2006. En 2014, tout en notant que le nouveau Code de procédure pénale burundais prévoyait une indemnisation pour les victimes de torture, le Comité a exprimé sa préoccupation sur le manque d’application de cette disposition en violation de l’article 14 de la Convention. Enfin, en 2016, le Comité a réitéré l’obligation pour l’État partie de garantir l’accès des victimes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants à des réparations adéquates. Ainsi, les autorités burundaises n’ont pas respecté leurs obligations au titre de l’article 14 de la Convention car, d’une part, les violations perpétrées contre le requérant restent impunies du fait de la passivité de l’État et, d’autre part, le requérant n’a reçu aucune indemnisation et n’a bénéficié d’aucune mesure de réhabilitation.

3.7Le requérant réitère que les violences qui lui ont été infligées sont des actes de torture, conformément à la définition de l’article premier de la Convention. Si le Comité ne devait pas retenir cette qualification, il maintient que les sévices qu’il a endurés constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants et que, à ce titre, l’État partie était également tenu de prévenir et de réprimer leur commission, leur instigation ou leur tolérance par des agents étatiques, en vertu de l’article 16 de la Convention. En outre, il rappelle les conditions de détention qui lui ont été imposées dans les cachots du Service national de renseignements et au sein de la prison centrale de Mpimba. Le requérant se réfère de nouveau aux observations finales du Comité concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles celui‑ci avait considéré les conditions de détention au Burundi comme assimilables à un traitement inhumain et dégradant. Enfin, le requérant rappelle qu’il n’a reçu aucun soin médical durant sa détention, malgré son état critique, et conclut que les conditions de détention auxquelles il a été exposé sont constitutives d’une violation de l’article 16 de la Convention.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 5 janvier 2017, 4 juillet 2019 et 28 avril 2020, l’État partie a été invité à présenter ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité note qu’il n’a reçu aucune réponse et regrette l’absence de collaboration de l’État partie pour partager ses observations sur la présente plainte. Il rappelle que l’État partie concerné est tenu, en vertu de la Convention, de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations du requérant qui ont été dûment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée parune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, le Comité procède à l’examen quant au fond des griefs présentés par le requérant au titre des articles 1er, 2 (par. 1), 11 à 14 et 16 de la Convention.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties. L’État partie n’ayant fourni aucune observation sur le fond, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations du requérant.

6.2Le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle il a étégrièvement blessé par balle au bras droit au cours d’une intervention de la police, à la permanence du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, et que, malgré son état, les policiers lui ont administré des coups de crosse de fusil et de matraque, ainsi que des coups de pied sur tout le corps pendant environ un quart d’heure. Le Comité note également : a) que les policiers ont gardé le requérant à l’arrière de leur véhicule pendant plus de quatre heures avant de l’emmener à l’hôpital ; b) que les policiers n’ont pas permis au personnel de la Croix-Rouge du Burundi de s’occuper du requérant pour lui prodiguer des soins ; c) que le requérant a été insulté et intimidé ; et d) que ce n’est que par suite de pressions exercées par une organisation de la société civile que le requérant a été conduit à l’hôpital. Le Comité note en outre que l’hôpital n’a pas donné suite aux demandes de l’avocat du requérant de lui fournir son dossier médical afin de pouvoir présenter des preuves aux autorités des sévices qu’il avait subis. Le Comité prend également note des allégations du requérant selon lesquelles les coups reçus lui ont occasionné des douleurs et des souffrances aiguës, y compris des souffrances morales et psychologiques, et lui auraient été infligés intentionnellement par des agents étatiquesdans le but de le punir et de l’intimider.Le Comité note aussi que ces faits n’ont été contestés à aucun moment par l’État partie. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits, tels qu’ils sont présentés par le requérant, sont constitutifs de torture au sens de l’article premier de la Convention.

6.3Le requérant invoque également l’article 2 (par. 1) de la Convention, en vertu duquel l’État partie aurait dû prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes constitutifs de torture soient commis sur l’ensemble du territoire sous sa juridiction. À cet égard, le Comité rappelle ses conclusions et recommandations concernant le rapport initial du Burundi, dans lesquelles il a exhorté l’État partie à prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires effectives pour prévenir tout acte de torture et tout mauvais traitement, et à prendre des mesures urgentes pour que tout lieu de détention soit sous autorité judiciaire afin d’empêcher ses agents de procéder à des détentions arbitraires et de pratiquer la torture. Dans le cas présent, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles il a été battu par des policiers, puis détenu dans un état critique sans pouvoir bénéficier des soins appropriés, et que ses démarches auprès des autorités pour lui permettre de contester la légalité de sa détention ont été vaines. Le Comité note également que l’État partie n’a pris aucune mesure pour protéger le requérant jusqu’à ce que des organisations non gouvernementales interviennent pour le soutenir. Finalement, les autorités étatiques n’ont pris aucune mesure pour enquêter sur les actes de torture subis par le requérant et prendre les sanctions qui s’imposaient, et ce, malgré les plaintes qu’il avait présentées à cet égard à plusieurs reprises. Au vu de ce qui précède, le Comité conclut à une violation de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1er de la Convention.

6.4Le Comité note également l’argument du requérant selon lequel l’article 11 de la Convention aurait été violé, car l’État partie n’a pas exercé la surveillance nécessaire quant au traitement qui lui a été réservé durant sa détention. Il allègue, en particulier, ce qui suit : a) malgré son état critique au moment de l’arrestation, il n’a pas reçu de soins appropriés ; b) il n’a eu accès à un avocat qu’un mois et demi après son arrestation, sans avoir été assisté lors de l’interrogatoire au parquet en date du 14 mars 2014 ; c) il a été arrêté sans être informé des chefs d’accusation retenus contre lui ; d) il n’a pas bénéficié de voies de recours efficaces pour contester les actes de torture ; et e) il a été détenu dans des « conditions déplorables » à la prison de Mpimba, malgré son état de santé critique. Le Comité rappelle ses observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Burundi, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par la durée excessive de la garde à vue, les nombreux cas de dépassement du délai de garde à vue, la non-tenue et tenue incomplète des registres d’écrou, le non-respect des garanties juridiques fondamentales des personnes privées de liberté, l’absence de dispositions prévoyant l’accès à un médecin et à l’aide juridictionnelle pour les personnes démunies, et le recours abusif à la détention préventive en l’absence d’un contrôle régulier de sa légalité et d’une limite à sa durée totale. En l’espèce, le requérant semble avoir été privé de tout contrôle judiciaire. En l’absence d’information probante de la part de l’État partie susceptible de démontrer que la détention du requérant a en effet été placée sous sa surveillance, le Comité conclut à une violation de l’article 11 de la Convention.

6.5S’agissant des articles12 et 13 de la Convention, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles,le 8mars 2014, il a été blessé par balle et battu par des agents de police lors d’une intervention à la permanence du Mouvement pour la solidarité et la démocratie. Bien qu’il ait déposé une plainte le 14 mars 2014 devant le Procureur général de la République à Bujumbura et dénoncé les tortures subies devant le juge lors des audiences du 25 juin 2014 et du 20 février 2015,aucune enquête n’avait été menée presque six ans après les faits. Le Comité considère qu’un tel délai avant l’ouverture d’une enquête sur des allégations de torture est manifestement abusif. À cet égard, il rappelle l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article12 de la Convention, qu’il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale d’office chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, le Comité constate donc une violation de l’article12 de la Convention.

6.6N’ayant pas rempli son obligation relative à l’enquête, l’État partie a également manqué à la responsabilité qui lui incombait, au titre de l’article13 de la Convention, de garantir au requérant le droit de porter plainte,qui présuppose que les autorités apportent une réponse adéquate par le déclenchement d’une enquête prompte et impartiale. Le Comité conclut que l’article13 de la Convention a également été violé.

6.7S’agissant des allégations du requérant au titre de l’article14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît non seulement le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de tortureobtienne réparation. Le Comité rappelle que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation ainsi que des mesures propres à garantir la non‑répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.En l’espèce, en l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale, malgré l’existence de preuves matérielles manifestes indiquant que le requérant a été victime d’actes de torture –restés impunis–, le Comité conclut que l’État partie a également manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article14 de la Convention.

6.8Pour ce qui est du grief tiré de l’article 16de la Convention, le Comité a pris note des allégations du requérant, selon lesquelles il a été détenu à la prison centrale de Mpimba, où les conditions de détention ont été particulièrement dégradantes et inhumaines, sans pouvoir accéder à des soins médicaux appropriés. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que les faits de l’espèce révèlent une violation par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 16 de la Convention.

7.Le Comité, agissant en vertu de l’article22 (par. 7) de la Convention, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles2 (par.1), 11, 12, 13 et 14, lus conjointement avec l’article1er, et de l’article16 de la Convention. Le Comité prend note de l’absence de coopération de l’État partie, qui entraîne également une violation de l’article22 de la Convention.

8.Le Comité invite instamment l’État partie à lancer une enquête impartiale sur les événements en question, dans le but de poursuivre en justice les personnes qui pourraient être responsables du traitement infligé au requérant.

9.Conformément à l’article118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus, notamment une indemnisation adéquate et équitable, qui comprenne les moyens nécessaires à la réadaptation la plus complète possible de la victime.