Nations Unies

CAT/C/72/D/856/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

9 février 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 856/2017 * , **

Communication soumise par:

G. W. J. (représenté par un conseil, Alison Battisson)

Victime(s) présumée(s):

Le requérant

État partie:

Australie

Date de la requête:

7 décembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application des articles 114 et 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 décembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

12 novembre 2021

Objet:

Expulsion du requérant de l’Australie vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond:

Non-refoulement ; prévention de la torture

Article(s) de la Convention:

3

1.1Le requérant est G. W. J., tamoul de nationalité sri-lankaise, né en 1981. Ayant été débouté de sa demande d’asile, il risque d’être expulsé. Il affirme que son expulsion par l’Australie constituerait une violation par celle-ci des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. L’Australie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 11 décembre 2017, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un demandeur d’asile tamoul originaire de Sri Lanka. Il est arrivé en Australie par bateau le 14 octobre 2012. Il fait l’objet d’un mandat d’arrêt décerné par les autorités sri-lankaises. Il est accusé d’assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et de soutien à une organisation terroriste, pour avoir hébergé des membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Les faits remontent à l’époque de l’attaque contre l’aéroport international Bandaranaike lancée en 2001 par les forces des LTTE. Deux membres des LTTE qui ont participé à cette attaque ont logé chez le requérant pendant la semaine qui a précédé l’opération. À la suite de l’attaque, la police s’est rendue au domicile du requérant et a emmené son père. Une semaine plus tard, celui-ci a été ramené couvert de traces de coups violents. Étant donné que le père du requérant avait sa propre entreprise, la police judiciaire s’est mise à lui extorquer régulièrement de l’argent. Lorsqu’il n’avait pas d’argent à leur donner, il était passé à tabac. Après le décès de son père en 2002, le requérant a repris l’entreprise paternelle et a continué de donner de l’argent à la police. En 2012, il a été incarcéré pour assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et soutien à une organisation terroriste. Il a reçu des coups de poing au visage et a été ligoté aux mains et aux jambes avec des câbles en acier, après quoi on lui a causé des brûlures au moyen de mégots de cigarette. Il souffre encore de séquelles des coups reçus, qui se manifestent par des douleurs dans les jambes, et présente des cicatrices au bras, près d’une oreille et au cou. Vers la fin de 2012, il est parvenu à s’évader et s’est enfui en Australie. Après son évasion, des policiers se sont rendus chez lui et ont demandé à le voir. Ils ont également demandé à voir son frère, qui ne se trouvait pas chez lui à ce moment-là. Pour éviter d’avoir des problèmes, son frère s’est caché chez un ami.

2.2Le 2 septembre 2015, le Ministère australien de l’immigration et de la protection des frontières a invité le requérant à soumettre une demande de visa de protection. Avant cette date, le requérant n’avait pas le droit en vertu de la législation australienne de soumettre une demande de visa. Le 17 septembre 2015, il a déposé une demande de visa de protection temporaire. Le 1er juillet 2016, il a retiré cette demande et a soumis une demande de visa dit de refuge.

2.3La demande de visa de refuge du requérant a été rejetée le 24 août 2016 et son affaire a été renvoyée devant l’Autorité d’évaluation de l’immigration pour examen. Le 30 novembre 2016, cet organe a confirmé la décision par laquelle le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières avait rejeté la demande de visa de refuge du requérant.

2.4Au début de 2017, le requérant a saisi le Tribunal de circuit fédéral d’une demande de contrôle de la légalité de la décision de l’Autorité d’évaluation de l’immigration. À la suite d’audiences tenues sur des requêtes similaires, les représentants en justice du requérant lui ont conseillé de retirer sa demande, ce qu’il a fait.

2.5Le 24 novembre 2017, une demande d’intervention ministérielle concernant le requérant a été déposée auprès du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Ce document était accompagné de la traduction d’un mandat d’arrêt décerné contre lui par les autorités sri-lankaises, qui n’avait pas encore été exécuté. Le 6 décembre 2017, le Ministère a refusé d’examiner cette demande. En vertu du droit australien, le requérant ne peut pas obtenir un réexamen au fond de son affaire, lequel supposerait une prise en compte du mandat d’arrêt.

2.6Le 6 décembre 2017, le requérant a été informé par le fonctionnaire du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières chargé de son dossier qu’il devait se préparer à être renvoyé à Sri Lanka. Il a été placé en détention en janvier 2015 après avoir été inculpé d’entrée illégale dans une propriété privée et, depuis, il n’a pas été remis en liberté. Un non‑lieu a été prononcé le 21 février 2016, mais il a été maintenu en détention administrative.

2.7.Le 10 mai 2018, à la demande de l’État partie, le requérant a soumis une copie de l’original du mandat d’arrêt. Il indique que sa famille à Sri Lanka en avait obtenu une copie.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention car il l’exposerait au risque d’être soumis à des actes de torture cautionnés par les autorités. Il soutient qu’à son arrivée dans le pays, le mandat d’arrêt resté en suspens serait exécuté et il serait placé en détention. En tant que Tamoul accusé d’avoir prêté assistance aux LTTE, il court un risque élevé d’être soumis à diverses formes de torture, dont le viol.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 novembre 2019, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la requête. L’État partie estime que les griefs du requérant sont irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 (al. b)) du Règlement intérieur du Comité au motif qu’ils sont manifestement dénués de fondement. Il soutient que les allégations du requérant ont été examinées de manière approfondie par plusieurs organes décisionnels internes, qui ont établi qu’elles n’étaient pas crédibles et ne mettaient pas en jeu l’obligation incombant à l’Australie de respecter le principe de non-refoulement. Renvoyant aux décisions rendues par le Comité dans les affaires I . P . W . F . c . Australieet T . T . P . c . Australie, l’État partie fait observer que les arguments invoqués par le Comité dans ces deux affaires renforcent sa position établie de longue date selon laquelle une communication doit satisfaire aux critères fondamentaux de recevabilité. Il demande au Comité de reconnaître que les griefs du requérant ont fait l’objet d’un examen approfondi dans le cadre de procédures internes, qui ont abouti à la conclusion qu’ils ne mettaient pas en jeu les obligations incombant à l’Australie en vertu de l’article 3 de la Convention.

4.2L’État partie estime que, si le Comité devait déclarer les griefs du requérant recevables, il devrait alors les considérer comme dénués de fondement, comme l’ont fait les autorités australiennes dans leurs conclusions. Il signale que, pendant la procédure d’examen de la demande de visa de refuge soumise par le requérant, l’organe décisionnel (le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières) a mené un entretien avec le requérant, avec l’assistance d’un interprète, et a tenu compte d’autres éléments pertinents, dont des renseignements concernant le pays communiqués par le Ministère des affaires étrangères et du commerce et par le conseil du requérant. L’organe décisionnel a pris en considération les griefs soulevés par le requérant dans les lettres qu’il a adressées au Comité, à l’exception de ses allégations concernant le mandat d’arrêt non encore exécuté.

4.3L’État partie signale en particulier que l’organe décisionnel, s’appuyant sur les informations concernant le pays dont il disposait, a examiné la demande de protection soumise par le requérant, dans laquelle celui-ci invoquait les liens qu’on lui attribuait avec les LTTE, son appartenance à la minorité tamoule et son statut de demandeur d’asile débouté. S’agissant de ses liens avec les LTTE, le requérant a affirmé que son père avait accepté d’accueillir chez eux pendant une semaine deux membres de cette organisation, qui auraient été impliqués dans l’attaque lancée contre l’aéroport Bandaranaike le 24 juillet 2001, et qu’il avait reconnu l’un des auteurs présumés de l’attentat à la bombe sur une photo qui accompagnait un article de journal publié à ce sujet. L’État partie indique que l’organe décisionnel a considéré que ces allégations n’étaient pas crédibles. Cette conclusion reposait notamment sur un examen des articles publiés sur cette attaque dans les médias, dont il ressortait qu’aucune photo des auteurs présumés n’avait pu être retrouvée dans ces sources. L’organe décisionnel a également constaté qu’aucun individu en particulier n’était mentionné et qu’au contraire, les auteurs des actes en question étaient désignés par le terme générique de « rebelles ». L’organe décisionnel n’a pas jugé plausible que des membres des LTTE qui étaient impliqués dans cette attaque et qui y avaient survécu séjournent à Negombo, qui ne se trouve qu’à 35 kilomètres de l’aéroport international Bandaranaike, et qu’ils logent chez le père du requérant. Il n’a pas non plus jugé plausible que le requérant et son frère soient de nouveau interrogés par la police judiciaire au sujet de leurs liens présumés avec l’attentat à la bombe alors que plusieurs années s’étaient écoulées depuis cet événement. Enfin, l’organe décisionnel a relevé que, même si la famille du requérant avait d’après ses dires des problèmes avec la police judiciaire depuis 2001 et que des membres de cette police lui avaient infligé des mauvais traitements, il n’avait tenté de se réinstaller dans une autre région de Sri Lanka ou de quitter le pays que douze ans plus tard. L’organe décisionnel n’a donc pas jugé crédible l’affirmation du requérant selon laquelle il était soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE ni son allégation selon laquelle son frère ou lui-même présentaient un intérêt pour la police judiciaire.

4.4L’État partie signale en outre que, bien que le requérant n’ait pas expressément dit qu’on s’en était pris à lui parce qu’il était tamoul, l’organe décisionnel s’est penché sur la question de savoir si le requérant risquait de subir un préjudice de la part des autorités sri‑lankaises en raison de son appartenance à la minorité tamoule. Pour ce faire, il s’est fondé sur les principes directeurs de 2012 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) relatifs à l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile originaires de Sri Lanka. Il a noté que, bien que les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les LTTE soient désignées dans ces principes directeurs comme un groupe à risque, le HCR ne faisait pas figurer les Tamouls, les jeunes hommes tamouls originaires du nord du pays ou de zones auparavant placées sous le contrôle des LTTE ou les demandeurs d’asile tamouls déboutés parmi les groupes à risque. L’organe décisionnel a également noté que, selon des informations relatives au pays figurant dans un rapport de Human Rights Watch datant de 2014, les Tamouls sri-lankais continuaient de se heurter à de grandes difficultés, mais que, d’après le rapport de 2014 du Ministère des affaires étrangères et du commerce sur les LTTE, le risque que des Tamouls sri-lankais subissent des préjudices en raison de leur appartenance ethnique avait considérablement diminué depuis la fin de la guerre civile en 2009. L’organe décisionnel a constaté en outre que, depuis l’élection de Maithripala Sirisena comme Président en 2015, davantage d’efforts avaient été déployés en faveur de la réconciliation. En témoignaient, par exemple, la nomination en janvier 2015 par le Gouvernement d’un Tamoul au poste de Président de la Cour suprême et la nomination en juillet 2015 de 3 500 anciens cadres des LTTE à des postes permanents au sein des Forces de défense civile. L’organe décisionnel a donc conclu que le requérant n’avait pas un profil susceptible d’intéresser les autorités sri-lankaises.

4.5En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il serait menacé en tant que demandeur d’asile débouté, l’État partie souligne que l’organe décisionnel a admis que le requérant serait peut-être condamné à une amende et probablement détenu en application des dispositions de la législation sri-lankaise relatives au départ illégal, mais que ces mesures ne pouvaient pas être considérées comme de la persécution. L’organe décisionnel a fait observer en outre que cette législation était applicable à tous les citoyens sri-lankais et qu’on ne disposait d’aucun élément de preuve montrant que les autorités sri-lankaises appliquaient la législation pertinente d’une façon discriminatoire à l’égard des Tamouls sri-lankais. Il a considéré que les informations sur le pays ne permettaient pas de conclure que les craintes de persécution que nourrissait le requérant du fait qu’il avait été débouté de sa demande d’asile étaient justifiées. En conséquence, l’État partie affirme que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, le requérant ne courrait pas un risque réel de persécution lié à son statut de demandeur d’asile débouté.

4.6L’État partie indique ensuite que la décision de rejet de la demande de visa soumise par le requérant a été transmise à l’Autorité d’évaluation de l’immigration le 25 août 2016 afin que celle-ci l’examine au fond. Le 30 novembre 2016, l’Autorité a confirmé la décision par laquelle le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières avait rejeté la demande de visa de protection du requérant. Elle a estimé que le récit que le requérant avait fait des événements qui l’avaient amené à quitter Sri Lanka n’était pas crédible, détaillé ou plausible. Elle a relevé en particulier qu’au cours de son entretien sur sa demande de visa de refuge, le requérant avait fait des déclarations contradictoires sur le point de savoir s’il avait déjà signalé les mauvais traitements qu’il avait subis aux mains de la police judiciaire et s’il avait déjà tenté de quitter Sri Lanka avant de se rendre en Australie. L’Autorité a indiqué que dans sa demande de visa de protection temporaire, qui avait ensuite été retirée lorsqu’il avait soumis sa demande de visa de refuge, le requérant avait affirmé que son frère et lui-même avaient porté plainte devant la Commission sri-lankaise des droits de l’homme, mais que celle-ci leur avait dit que rien ne pouvait être fait. Or, en réponse aux questions qui lui ont été posées pendant son entretien sur sa demande de visa de refuge, le requérant a déclaré qu’il n’avait parlé à personne des manœuvres d’extorsion ou des mauvais traitements dont il avait été victime et, en réaction à une question portant précisément sur la Commission sri-lankaise des droits de l’homme, il a prétendu qu’il n’avait jamais entendu parler de cet organe avant son arrivée en Australie. Après une pause, l’entretien a repris et le requérant a alors déclaré que son frère et lui-même avaient tenté à trois reprises de porter plainte auprès de la police mais qu’à chaque fois, les policiers avaient refusé d’enregistrer leur plainte. L’Autorité a relevé en outre que le récit du requérant comportait des incohérences en ce qui concerne la rentabilité de l’entreprise familiale et a considéré peu plausible que le requérant ou sa famille aient été sous surveillance constante de la police judiciaire pendant plus de dix ans ou qu’il ait été victime d’extorsion, de mauvais traitements et d’actes de torture tout au long de cette période. Sur ce dernier point, l’Autorité a estimé que, si le requérant ou ses proches avaient été considérés comme des suspects importants, ils n’auraient probablement pas été maintenus sous surveillance constante pendant plus de dix ans sans que d’autres mesures ne soient prises contre eux.

4.7L’État partie souligne que le requérant a affirmé pour la première fois dans sa lettre adressée à l’Autorité d’évaluation de l’immigration, que, le 23 août 2012, il avait été arrêté et incarcéré pour assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et soutien et assistance à une organisation terroriste. Alors que le requérant indiquait dans sa lettre qu’il y joignait un mandat d’arrêt, il n’a fourni aucun mandat d’arrêt à l’Autorité et ne lui a donné aucune explication sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas mentionné l’existence d’un élément aussi crucial au cours de l’entretien relatif à sa demande de visa de refuge. L’État partie souligne que le requérant était assisté d’un conseil lorsqu’il a rempli sa demande de visa de refuge et qu’en outre, cette personne a assisté à l’entretien relatif à cette demande et a déposé une communication écrite par la suite. Dans ces circonstances, l’Autorité n’était pas disposée à croire que cette information n’aurait pas pu être fournie au Ministère de l’immigration et de la protection des frontières avant que celui-ci ne se prononce. L’Autorité a indiqué que, si cette allégation était fondée, elle ne comprenait pas pourquoi le requérant ne l’avait pas soulevée au cours de la procédure relative à sa demande de visa de refuge, en relevant aussi qu’il n’avait pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas fait. En conséquence, l’Autorité n’a pas pris en considération cette nouvelle information, d’autant que le requérant n’avait produit aucun mandat d’arrêt.

4.8Selon l’État partie, le 3 janvier 2017, le requérant a saisi le Tribunal de circuit fédéral d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision de l’Autorité d’évaluation de l’immigration. Cependant, le 13 septembre 2017, il a retiré sa demande. En conséquence, le Tribunal de circuit fédéral ne s’est pas prononcé sur la légalité de la décision de l’Autorité.

4.9L’État partie indique que, le 24 novembre 2017, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle au titre de l’article 48B de la loi sur les migrations. Dans le cadre de cette procédure, le requérant a fourni des documents et des renseignements supplémentaires à l’appui de ses allégations. En particulier, il a produit une traduction anglaise du mandat d’arrêt qui aurait été décerné contre lui en 2012 ainsi que de nouvelles informations sur le pays postérieures à la décision de l’Autorité. En outre, le conseil du requérant a affirmé pour la première fois que celui-ci souffrait de troubles de santé mentale qui avaient été « causés ou aggravés par la détention arbitraire » dont il avait été victime.

4.10En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il a été arrêté et incarcéré pour assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et pour soutien et assistance à une organisation terroriste, l’État partie note que le requérant n’a pas fourni de copie de l’original du mandat d’arrêt et n’a pas expliqué comment ni quand il en avait obtenu une traduction anglaise. Le requérant a déclaré qu’il n’avait pas soulevé cette allégation au cours de la procédure de demande de visa de refuge parce qu’il avait peur et n’était pas encore familiarisé avec le « contexte australien » à l’époque, et qu’il avait oublié de fournir une copie de ce mandat d’arrêt à l’Autorité. Le fonctionnaire chargé du dossier a tenu compte des conclusions de l’Autorité concernant la crédibilité du requérant et l’absence d’explication de sa part sur la manière dont il avait obtenu le mandat d’arrêt et, en conséquence, il a estimé qu’il n’était pas plausible que le requérant ait oublié de produire le mandat d’arrêt au cours de la procédure de détermination de l’Autorité. Le fonctionnaire concerné n’a donc accordé aucun poids à la traduction anglaise du mandat d’arrêt lorsqu’il a évalué la demande d’intervention ministérielle du requérant.

4.11L’État partie fait observer à propos des allégations du requérant concernant ses troubles de santé mentale que le fonctionnaire chargé du dossier a examiné deux rapports établis par un thérapeute du Service de traitement et de réadaptation des victimes de la torture et de traumatismes de Nouvelle-Galles du Sud. Ces deux rapports aboutissaient à la conclusion qu’il était souhaitable que le requérant continue de se faire suivre. Cependant, le fonctionnaire chargé du dossier a constaté que le requérant n’avait pas fourni d’éléments de preuve récents attestant qu’il avait eu une consultation pour un quelconque motif. Il a également constaté que les deux rapports du Service de traitement et de réadaptation des victimes de la torture et de traumatismes avaient été établis avant la décision de l’Autorité, mais que le requérant n’avait fourni aucune explication concernant le retard avec lequel il avait produit ces documents. Enfin, il a conclu qu’en tout état de cause, aucun élément ne permettait de dire que le requérant n’aurait pas la possibilité de bénéficier d’un traitement médical à son retour à Sri Lanka.

4.12En ce qui concerne le mandat d’arrêt décerné contre le requérant, l’État partie indique qu’après avoir reçu ce qui était censé être une copie de l’original du mandat d’arrêt, les autorités australiennes ont procédé à une évaluation des allégations du requérant et sont parvenues à la conclusion que le mandat d’arrêt n’était manifestement pas authentique. Il fait valoir qu’il a procédé à des vérifications concernant le mandat d’arrêt et que celles-ci ont permis d’établir que l’affaire B1254/2008 portée devant le tribunal de Negombo, dont la référence figurait sur le mandat d’arrêt, ne concernait pas le requérant. En effet, le numéro de l’affaire en question correspondait à une affaire de vol de téléphone portable par un individu non identifié, qui concernait une autre personne. L’État partie fait observer que le numéro de référence B1254/2008 permet de supposer que l’année 2008 revêt une certaine importance en l’espèce. Constatant qu’au cours de l’entretien organisé à son arrivée dans le pays, le requérant a affirmé qu’il avait été arrêté pour la première fois en 2000, que son père avait été arrêté à la suite de l’attaque à l’explosif de l’aéroport en 2001, et que lui-même aurait été arrêté une nouvelle fois en 2012, l’État partie ne voit pas en quoi ces événements ont un lien avec l’année 2008. Il fait observer en outre que, si cette affaire faisait l’objet d’une enquête en 2008 et si le requérant était régulièrement harcelé par la police judiciaire depuis 2001 comme il l’affirme, on ne saurait raisonnablement expliquer pourquoi les autorités sri‑lankaises ont mis au moins quatre ans à arrêter le requérant.

4.13L’État partie souligne que, d’après les informations concernant le pays, les faux documents sont très répandus et faciles à obtenir à Sri Lanka. Par exemple, dans un rapport publié en novembre 2019, le Ministère des affaires étrangères et du commerce a indiqué qu’à Sri Lanka, la plupart des documents officiels étaient conservés dans un lieu central, en version papier, et que les ministères n’étaient pas dotés de bases de données informatisées. Il était en outre possible de se procurer des documents d’identité authentiques en présentant de fausses pièces justificatives telles que de faux actes de naissance et de fausses cartes d’identité. Les documents de contrefaçon étaient la principale cause de la production frauduleuse de cartes d’identité, de passeports et de permis de conduire. De plus, d’après ce rapport, d’autres pays de destination des demandeurs d’asile signalaient que les documents d’identité que les demandeurs d’asile leur présentaient étaient des faux. Compte tenu de ces informations, et étant donné que c’est au requérant qu’il incombe de fournir au Comité tous les éléments de preuve pertinents à l’appui de ses allégations, l’État partie considère que le mandat d’arrêt fourni par le requérant n’est pas authentique.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 20 mars 2020, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Le requérant y fait observer que comme de nombreux demandeurs d’asile, une fois dans l’État partie, il n’a pas osé dire aux autorités australiennes qu’un mandat d’arrêt avait été décerné à son encontre dans son pays d’origine. Il signale qu’en ce qui le concerne, il a passé plus de trois ans dans un centre de détention avant d’être invité à déposer une demande de protection. Il indique que, dans le cadre des prestations offertes par le Service d’information sur les premières demandes de visa, il a bénéficié de l’assistance d’un conseil qui l’a aidé à remplir sa demande de visa de protection. Il précise toutefois que, si elles sont utiles, les prestations du Service ne sont pas complètement satisfaisantes. Les demandes de visa de protection sont souvent traitées très rapidement, souvent en une heure seulement, et les possibilités de communiquer ultérieurement avec le prestataire du Service sont limitées, voire nulles. De plus, comme ces prestataires sont rémunérés par le Gouvernement, de nombreux réfugiés ont des réticences à leur donner toutes les informations concernant leur demande. Le requérant indique que c’est ce qui lui est arrivé : il ne se sentait pas à l’aise avec son interlocuteur et, de ce fait, il ne lui a pas donné tous les renseignements nécessaires sur sa demande, y compris en ce qui concerne le mandat d’arrêt décerné contre lui. Il soutient en outre que rien ne montre qu’il ait été assisté par un conseil pendant son entretien relatif à sa demande de visa de protection. Il ajoute qu’il n’a aucun souvenir de la présence à ses côtés d’un conseil pendant cet entretien.

5.2Pour ce qui est du contrôle juridictionnel exercé par l’Autorité d’évaluation de l’immigration, le requérant signale que cette procédure est largement critiquée. Les demandeurs n’ont pas la possibilité d’être entendus et l’Autorité ne retient les nouveaux éléments de preuve dont elle est saisie que dans un nombre très limité de cas. En outre, le requérant n’a pas été aidé d’un conseil dans le cadre de cette procédure.

5.3Enfin, pour ce qui est des demandes d’intervention ministérielle, le requérant soutient que ladite procédure ne présente pas les garanties d’indépendance voulues. Il s’agit en effet d’une procédure interne conduite par le Ministère de l’intérieur, dont l’issue n’est pas susceptible de recours. Les demandes sont examinées selon des directives strictes qui ne prévoient pas de possibilité de réexamen au cas où de nouveaux éléments de preuve seraient produits.

5.4Le requérant affirme qu’en réalité, le mandat d’arrêt n’a fait l’objet d’un examen approfondi à aucun stade de la procédure, et qu’il n’a même pas donné lieu à un échange dans le cadre duquel il aurait pu répondre aux allégations selon lesquelles ce document était un faux. Le requérant fait observer que l’Autorité d’évaluation de l’immigration n’a même pas demandé à voir ce mandat.

5.5Le requérant affirme qu’il est extrêmement difficile pour lui de répondre à l’allégation par laquelle l’État partie conteste l’authenticité de son mandat d’arrêt car il faudrait pour cela qu’il contacte le Gouvernement sri-lankais, ce qui serait irresponsable compte tenu de sa demande de protection. En outre, les autorités sri-lankaises n’auraient aucune raison de donner suite à une éventuelle demande de renseignements de sa part. En ce qui concerne les dates indiquées sur le mandat d’arrêt, le requérant précise qu’il est normal pour les autorités sri-lankaises d’émettre un mandat d’arrêt des années après le dépôt d’une plainte. Le dépôt de la plainte en 2008 coïncide avec la fin de la guerre civile sri-lankaise, période pendant laquelle le pays était en proie au chaos. Il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’un mandat d’arrêt n’ait pas été délivré à ce moment-là. Le requérant signale en outre qu’il n’y a pas encore de base de données centrale et informatisée à Sri Lanka, ce qui signifie qu’il peut arriver que des informations soient reproduites et que des erreurs humaines se glissent dans les dossiers. Il signale également que le mandat d’arrêt porte le tampon d’A. M. N. P. Amarasinghe qui, comme l’attestent des documents, était magistrat à Negomboen 2012. D’après le requérant, s’il est peut-être possible d’obtenir de faux documents à Sri Lanka, cela vaut pour certaines catégories de documents, mais c’est très rarement le cas pour les mandats d’arrêt. Enfin, le requérant fait valoir que l’État partie n’a fourni aucun élément de preuve montrant qu’il avait eu des échanges avec le Gouvernement sri-lankais et qu’en conséquence, on ne saurait raisonnablement considérer comme fondée l’allégation selon laquelle il a été confirmé que l’affaire B1254/2008 portée devant le tribunal de Negombo, dont la référence figure sur le mandat d’arrêt, ne le concerne pas.

5.6Enfin, le requérant note que, depuis la date de soumission de sa demande de visa de protection, la famille Rajapaksa a repris le contrôle sur le Gouvernement sri-lankais. Il fait observer en particulier que l’actuel Président était Secrétaire du Ministre de la défense pendant la guerre civile sri-lankaise, période pendant laquelle de nombreux Tamouls ont été tués ou ont été victimes de disparition.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 28 octobre 2020, l’État partie a soumis ses observations complémentaires sur le fond de la requête. Il y souligne que le requérant a été assisté par un conseil au moment de la soumission de sa demande de visa de protection et pendant son entretien, comme l’atteste le raisonnement de l’Autorité d’évaluation de l’immigration. Il répète que le requérant a été considéré comme relevant de la catégorie des demandeurs d’asile dont le cas peut être traité de manière accélérée et que la procédure d’évaluation accélérée australienne présente toutes les garanties d’équité voulues. L’objectif premier de cette procédure est de gérer plus efficacement le nombre considérable de demandes d’asile résultant de l’afflux massif de personnes arrivant dans le pays par bateau. Dans le cadre de cette procédure, il importe que les demandeurs d’asile formulent leur demande de protection en donnant des informations complètes et exactes dès que possible. L’État partie indique que la procédure d’évaluation accélérée prévoit des délais plus brefs, notamment en ce qui concerne les réponses aux demandes d’informations complémentaires, et que ses principales caractéristiques sont les suivantes : a) dans certains cas, notamment lorsque les allégations du demandeur sont considérées comme manifestement dénuées de fondement, ou lorsque l’intéressé a déjà la possibilité de bénéficier d’une protection dans un autre pays, l’Autorité ne procède pas à un examen au fond ; b) si la demande peut être examinée au fond, ce qui est le cas de la plupart des demandes, l’Autorité procède à un examen « sur le papier » plutôt qu’à une nouvelle évaluation complète des allégations du demandeur. Toutefois, l’Autorité réexamine la décision au fond en reprenant l’affaire depuis le début et ne se contente pas de rectifier les éventuelles erreurs commises par un représentant du Ministère de l’intérieur.

6.2L’État partie souligne que l’Autorité jouit du pouvoir discrétionnaire de prendre en considération des informations nouvelles et pertinentes (communiquées oralement ou par écrit), mais qu’elle n’a aucune obligation d’accepter ou de demander un complément d’information ou d’entendre le demandeur. Les nouvelles informations ne sont retenues que si l’Autorité constate l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant leur examen. Les circonstances que l’Autorité considère comme exceptionnelles aux fins du réexamen d’une décision relèvent généralement de l’une des trois grandes catégories de faits qui peuvent survenir après la décision rendue par le représentant du Ministère de l’intérieur à l’issue de l’examen d’une demande d’asile selon la procédure accélérée, à savoir : a) les cas dans lesquels des événements importants et une détérioration rapide de la situation se sont produits dans le pays où le demandeur d’asile concerné courrait un risque de persécution, notamment une évolution du contexte politique ou de la situation en matière de sécurité ; b) les cas dans lesquels de nouvelles informations personnelles et crédibles qui n’étaient pas connues et disponibles auparavant sont parvenues à la connaissance du demandeur d’asile concerné, lorsque ces informations montrent que, s’il était renvoyé dans le pays où il dit courir un risque de persécution, l’intéressé verrait sa sécurité personnelle, ses droits humains ou sa dignité humaine gravement menacés ; c) les cas dans lesquels les dispositions pertinentes de la loi sur les migrations ont été modifiées après que le représentant du Ministère de l’intérieur a rendu sa décision, si les modifications en question s’appliquent à l’affaire du demandeur d’asile concerné.

6.3S’agissant de l’affirmation du requérant selon laquelle la procédure d’intervention ministérielle ne présente pas toutes les garanties d’indépendance au motif qu’elle est menée en interne par le Ministère de l’intérieur et n’est pas susceptible de recours, l’État partie réaffirme que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 48B de la loi sur les migrations, le Ministre de l’intérieur (auparavant le Ministre de l’immigration et de la protection des frontières) peut intervenir dans des cas particuliers s’il estime qu’il est dans l’intérêt général de le faire. Le 6 décembre 2017, le Ministère a considéré que les griefs du requérant ne répondaient pas aux critères définis dans les directives relatives aux interventions ministérielles. Selon l’État partie, le Ministre considère comme exceptionnelles les circonstances ci-après : a) l’intéressé soutient de manière crédible que l’information n’avait pas encore été portée à sa connaissance ou n’existait pas au moment du dépôt de sa demande de visa de protection ; b) l’information n’a pas été communiquée au moment du dépôt de la demande de visa de protection pour des motifs impérieux et humanitaires ; c) des allégations crédibles concernant un besoin de protection ont été formulées en raison de l’évolution de la situation dans le pays d’origine de l’intéressé.

6.4En ce qui concerne l’information communiquée par le requérant selon laquelle la famille Rajapaksa a repris le contrôle sur le Gouvernement sri-lankais, l’État partie souligne que les organes décisionnels australiens n’ont pas pu tenir compte de cet élément puisque les résultats de l’élection présidentielle sri-lankaise n’ont été confirmés qu’après que le Gouvernement australien a saisi le Comité de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication du requérant. L’État partie considère toutefois que cette nouvelle information ne démontre pas à elle seule que le requérant risque personnellement de subir un préjudice, et rappelle que l’existence d’un risque général de violence dans un pays ne constitue pas en soi un motif permettant de conclure qu’une personne courrait le risque d’être soumise à la torture si elle était renvoyée dans le pays en question. Il répète qu’aucun organe décisionnel interne n’a constaté que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, le requérant serait constamment soupçonné de mener des activités en lien avec les LTTE ou qu’il présenterait un intérêt pour les autorités.

6.5Enfin, en ce qui concerne les allégations du requérant concernant le mandat d’arrêt décerné contre lui, l’État partie répète que ce document a été pris en compte par l’Autorité lorsqu’elle a réexaminé la décision du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, ainsi que par le Ministère de l’intérieur dans le cadre de l’examen de la demande d’intervention ministérielle soumise par le requérant. En outre, conformément à sa politique relative au traitement des demandes de mesures provisoires, l’État partie a procédé à un nouvel examen des allégations du requérant, y compris celles concernant son mandat d’arrêt, après que le Comité a reçu sa communication. À chaque stade de l’examen, l’authenticité du mandat d’arrêt a été mise en doute.

6.6Compte tenu de ce qui précède, l’État partie soutient que les griefs du requérant sont irrecevables car ils sont manifestement dénués de fondement au regard de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité. Dans l’hypothèse où le Comité conclurait à la recevabilité des allégations du requérant, l’État partie affirme que celles-ci sont dénuées de fondement car elles ne sont pas étayées par des éléments de preuve montrant qu’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant court un risque d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 24 février 2021, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Il y répète que, comme l’équité procédurale n’est pas garantie dans le cadre de la procédure actuelle d’évaluation de l’Autorité d’évaluation de l’immigration, son mandat d’arrêt n’a pas été examiné par l’État partie. Il souligne que la loi de 1958 sur les migrations dispose que l’Autorité n’a pas l’obligation de prendre en considération de nouvelles informations relatives à une demande de visa de protection, sauf si ces informations n’ont pas été communiquées à l’organe qui a rendu la première décision pour des motifs impérieux, c’est-à-dire s’il y avait des informations dont le demandeur ne pouvait avoir eu connaissance même si elles étaient disponibles avant l’audience menée par l’Autorité. Selon le requérant, ce critère est extrêmement strict et donc presque impossible à remplir. Cela signifie en outre que la procédure devant l’Autorité d’évaluation de l’immigration ne constitue pas un nouvel examen complet de l’affaire et que la procédure d’évaluation est donc fondée sur le principe selon lequel toutes les allégations et tous les éléments de preuve doivent être présentés par le demandeur au début de la procédure d’asile, devant le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Le requérant juge cela très problématique car les demandeurs ont souvent une connaissance limitée de l’anglais et ne connaissent que mal, voire pas du tout, les procédures administratives. Dans son cas, il affirme qu’au cours de l’évaluation initiale, il a minimisé les problèmes qu’il avait eus avec les autorités sri‑lankaises parce qu’il souhaitait montrer aux autorités australiennes qu’il serait un bon citoyen.

7.2En ce qui concerne le changement de présidence à Sri Lanka, le requérant conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle il ne courrait personnellement aucun risque s’il était renvoyé dans son pays. Il fait valoir que ses liens présumés avec les LTTE, le harcèlement et les persécutions dont il a été victime dans le passé et le mandat d’arrêt décerné contre lui montrent qu’il présente un intérêt pour les autorités, et que tous ces éléments lui font courir le risque d’être inculpé et détenu à Sri Lanka et d’être soumis à diverses formes de torture. Il souligne que la famille Rajapaksa a joué un rôle majeur dans des affaires de meurtre et de torture dans lesquelles les victimes étaient des membres des LTTE et des personnes considérées comme liées à cette organisation. Ainsi, tout individu qui a des liens avec les LTTE, comme c’est son cas, et qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et pour soutien et assistance à une organisation terroriste est dans la ligne de mire du Gouvernement Rajapaksa.

Autres observations de l’État partie

8.Le 28 avril 2021, l’État partie a soumis des observations complémentaires sur le fond de la requête. Il y précise qu’il a déjà répondu aux arguments avancés par le requérant dans ses commentaires du 24 février 2021 sur ses précédentes observations. Il répète que le requérant a d’abord dit avoir été torturé à Sri Lanka, mais qu’ensuite, il n’a pas affirmé dans ses observations complémentaires ou dans le cadre de la procédure d’évaluation interne qu’il avait été détenu et torturé par des agents du précédent Gouvernement Rajapaksa. En conséquence, l’État partie maintient que l’argument du changement de présidence à Sri Lanka ne permet pas à lui seul de montrer que le requérant court personnellement un risque de préjudice.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication.

9.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement, le requérant n’ayant pas établi qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il considère cependant que la requête a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête suffisamment en détail pour lui permettre de statuer. Ne voyant aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare recevable la communication soumise en vertu de l’article 3 de la Convention et passe à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

10.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.4Le Comité, renvoyant à son observation générale no 4 (2017), rappelle qu’il détermine s’il y a des « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits crédibles démontrant que ce risque en lui-même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention si celui-ci était expulsé. Les facteurs de risque personnel peuvent inclure, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) un mandat d’arrêt sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; e) les actes de torture subis antérieurement. Pour ce qui est du fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de montrer de façon détaillée qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations. Il s’ensuit qu’il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

10.5Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle il risquerait d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka parce qu’il a été accusé d’assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et de soutien à une organisation terroriste et qu’un mandat d’arrêt a été décerné contre lui. Il prend également note de l’allégation du requérant selon laquelle son père a été torturé par la police judiciaire en 2001 pour avoir hébergé au domicile familial de deux membres présumés des LTTE qui avaient ensuite participé à l’attaque contre l’aéroport international Bandaranaike. Selon le requérant, après avoir relâché son père, la police judiciaire a commencé à lui extorquer de l’argent et, après la mort de ce dernier, survenue en 2002, elle a continué de réclamer de l’argent au requérant du fait qu’il dirigeait l’entreprise familiale. En 2012, le requérant a été incarcéré pour assistance à la réalisation d’activités antigouvernementales et pour soutien à une organisation terroriste. Pendant sa détention, il a été torturé par la police judiciaire et, actuellement, il a encore des douleurs dans les jambes, qui sont des séquelles des passages à tabac qu’il a subis, et présente des cicatrices sur le corps.

10.6Le Comité relève que l’État partie fait valoir qu’il a procédé à une évaluation des allégations du requérant et qu’il est parvenu à la conclusion que le mandat d’arrêt n’était manifestement pas authentique, et que les enquêtes qu’il a fait diligenter ont permis d’établir que l’affaire B1254/2008 portée devant le tribunal de Negombo, dont la référence figure dans le mandat d’arrêt, ne concerne pas le requérant. Selon l’État partie, le récit que le requérant a fait des événements qui l’ont amené à quitter Sri Lanka n’est ni crédible, ni détaillé, ni plausible. L’État partie considère que le requérant n’a pas produit d’éléments de preuve montrant qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture.

10.7À ce propos, le Comité renvoie à un document d’orientation du HCR dans lequel il est dit que, conformément aux principes généraux du droit de la preuve, la charge de la preuve incombe à la personne qui formule l’allégation. En conséquence, s’agissant des demandes d’asile, c’est au demandeur qu’il incombe de démontrer la véracité de ses allégations et l’exactitude des faits sur lesquels sa demande repose. Pour s’acquitter de cette charge, le demandeur doit rendre fidèlement compte des faits pertinents, afin qu’une décision opportune puisse être prise sur la base de ces faits. Compte tenu des particularités de la condition de réfugié, la tâche consistant à établir et à apprécier tous les faits pertinents est partagée avec l’autorité qui statue sur la demande. La bonne exécution de cette tâche dépend dans une large mesure du fait que l’autorité en question sait quelle est objectivement la situation dans le pays d’origine, est au courant des faits pertinents qui sont de notoriété publique, aide le demandeur à fournir les renseignements utiles et vérifie de manière adéquate les allégations qui peuvent être étayées.

10.8Le Comité prend également note de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est dit préoccupé par, entre autres, les informations indiquant que les forces de sécurité sri-lankaises, notamment l’armée et la police, avaient continué de commettre des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les LTTE, en mai 2009. Il renvoie également à des informations dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales, qui contiennent une description du traitement réservé par les autorités sri-lankaises aux personnes renvoyées dans le pays. Il rappelle toutefois que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine du requérant ne suffit pas en elle-même à établir que celui-ci court personnellement un risque d’être soumis à la torture. En outre, s’il est vrai que des événements passés peuvent avoir leur importance, la principale question dont est saisi le Comité est de savoir si le requérant courrait actuellement un risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

10.9En l’espèce, le Comité constate que les autorités de l’État partie ont estimé que les arguments du requérant selon lesquels il aurait été lié aux LTTE et aurait présenté un intérêt pour la police judiciaire n’étaient pas crédibles compte tenu des déclarations contradictoires qu’il avait faites aux différents stades de la procédure d’asile. Pour ce qui est du mandat d’arrêt − élément central de sa requête − le requérant n’a pas fourni de copie de l’original de ce document à l’État partie ou au Comité tant que les autorités australiennes ne lui ont pas expressément demandé de le faire. Selon l’État partie, dans sa demande à l’Autorité d’évaluation de l’immigration, le requérant a déclaré qu’un mandat d’arrêt était joint à sa lettre, mais il n’a fourni aucun mandat d’arrêt à l’Autorité et n’a donné aucune explication sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas mentionné cet élément crucial au cours de son entretien concernant sa demande de visa de refuge. Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel il a minimisé les problèmes qu’il avait eus avec les autorités sri‑lankaises afin de montrer aux autorités australiennes qu’il serait un bon citoyen. Il relève toutefois que le requérant n’a pas donné d’explications crédibles permettant de comprendre pourquoi il a choisi de ne révéler cette information qu’à ce moment précis de la procédure et pourquoi il a été incarcéré en 2012 pour assistance à des personnes se livrant à des activités antigouvernementales et pour soutien à une organisation terroriste, alors que les attaques contre l’aéroport avaient eu lieu en 2001 et que, d’après ses dires, sa famille et lui-même recevaient régulièrement la visite de la police pendant cette période. Le Comité indique que, même s’il décidait de faire abstraction des incohérences relevées dans le récit du requérant concernant ce qu’il a vécu à Sri Lanka et de considérer ses déclarations comme dignes de foi, il ne pourrait que conclure que le requérant n’a donné aucune information crédible montrant qu’il présenterait actuellement un intérêt pour les autorités sri-lankaises. Ayant examiné en outre la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité estime que les informations dont il dispose ne lui permettent pas de conclure qu’une expulsion vers ce pays exposerait le requérant au risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

10.10Compte tenu de ce qui précède et de toutes les informations soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité estime qu’en l’espèce, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait car il n’a pas montré que son renvoi à Sri Lanka lui ferait courir personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à la torture. En outre, il n’a pas non plus montré que les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’enquête en bonne et due forme sur ses allégations.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.