Nations Unies

CAT/C/72/D/992/2020

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 février 2022

Français

Original : espagnol

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 992/2020*,* *

Communication soumise par :

Damián Gallardo Martínez, en son nom propre et au nom de ses quatre enfants mineurs (M. M. B.  H., L. K. G. C., X. K. G. C. et E. R. K. G. C.) ; Yolanda Barranco Hernández (sa compagne), Gregorio Gallardo Vásquez et Felicitas Martínez Vargas (ses parents), et ses cinq frères et sœurs, Florencia, Felicita, Idolina, Violeta et Saúl Gallardo Martínez (représentés par l’organisation Consorcio para el Diálogo Parlamentario y la Equidad Oaxaca A.C., l’Organisation mondiale contre la torture et la Commission mexicaine pour la défense et la promotion des droits de l’homme)

Victime(s) présumée(s) :

Les requérants et les quatre enfants mineurs

État partie :

Mexique

Date de la requête :

17 mai 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

18 novembre 2021

Objet :

Détention arbitraire et torture

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; obligation de l’État partie d’empêcher la torture ; obligation de l’État partie de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale ; droit à un recours et à une réparation ; obtention d’aveux par la torture

Article(s) de la Convention :

1, 2, 11, 12, 13, 14 et 15

1.Les requérants sont Damián Gallardo Martínez, agissant en son nom propre et au nom de ses quatre enfants mineurs (M. M. B.  H., L. K. G. C., X. K. G. C. et E. R. K. G. C.) ; sa compagne, Yolanda Barranco Hernández ; ses parents, Gregorio Gallardo Vásquez et Felicitas Martínez Vargas ; et ses cinq frères et sœurs, Florencia, Felicita, Idolina, Violeta et Saúl Gallardo Martínez. Tous sont Mexicains. M. Gallardo Martínez, né en 1969, est défenseur du droit à l’éducation et des droits des peuples autochtones. Les requérants affirment que l’État partie a violé les droits que M. Gallardo Martínez tient des articles 1, 2, 11, 12, 13, 14 et 15 de la Convention et des droits qu’ils tiennent tous de l’article 14. Ils sont représentés par l’organisation Consorcio para el Diálogo Parlamentario y la Equidad Oaxaca, l’Organisation mondiale contre la torture et la Commission mexicaine pour la défense et la promotion des droits de l’homme.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont membres de la communauté autochtone ayuujk de Santa María Tlahuitoltepec (région mixe de l’État de Oaxaca). M. Gallardo Martínez est un enseignant qui défend les droits des peuples autochtones et du droit à l’éducation, et il a passé plusieurs années à œuvrer en faveur de la réalisation de projets d’éducation au bénéfice des communautés autochtones des régions mixe et zapotèque de la sierra de Oaxaca.

Torture et mauvais traitements subis par M. Gallardo Martínez entre son arrestation arbitraire et sa libération plus de cinq ans plus tard

2.2Le 18 mai 2013 à 1 h 30 du matin, M. Gallardo Martínez a été arrêté chez lui par sept agents de la police fédérale cependant qu’il était en train de se reposer dans sa chambre avec sa compagne, Yolanda Barranco Hernández, et sa fille mineure, M. M. B. H. Les policiers ont défoncé la porte de son domicile, l’ont frappé et l’ont traîné à moitié nu dans une camionnette. Pendant les deux heures environ qu’a duré le trajet, ils l’ont obligé à se mettre dans des positions dégradantes et douloureuses, ont menacé de violer et de tuer sa fille et sa compagne et d’assassiner ses parents, lui ont fait subir un simulacre d’exécution, l’ont roué de coups et l’ont étouffé.

2.3Ensuite, M. Gallardo Martinez a été placé au secret dans un lieu de détention clandestin où il a été torturé pendant une trentaine d’heures. Des agents l’ont roué de coups pour lui faire révéler des informations sur d’autres défenseurs des droits à l’éducation et, comme il ne cédait pas, ils l’ont torturé psychologiquement en lui montrant des photos de sa fille et de sa compagne et en lui faisant croire qu’elles étaient aussi en détention et qu’ils allaient les violer et les tuer s’il refusait de leur dire ce qu’ils voulaient savoir sur les autres membres du mouvement social de l’État de Oaxaca et d’admettre sa participation aux infractions dont il a ultérieurement été accusé. M. Gallardo Martínez a été contraint de signer des feuilles vierges, sur lesquelles on a après-coup couché ses prétendus aveux. Pendant sa détention au secret, on l’a privé d’eau, empêché de dormir et d’accéder aux toilettes, frappé au niveau des testicules, du ventre, du dos, du visage et de la tête, étouffé et forcé de regarder d’autres détenus se faire torturer.

2.4Le 19 mai 2013, M. Gallardo Martínez a été transféré dans les locaux du Bureau du Procureur spécial adjoint chargé des enquêtes sur la criminalité organisée, dans le district fédéral. Un médecin requis par les services de coordination des enquêtes techniques et scientifiques du Bureau du Procureur général a constaté qu’il présentait une ecchymose rougeâtre de 1,5 cm de diamètre située au niveau du zygomatique gauche et un œdème sur la face dorsale du pied droit. Les requérants soutiennent que les autorités ont donc pris acte des lésions, quoi que le rapport médical interne n’ait délibérément pas précisé de quand elles dataient et comment elles avaient été infligées. Par ailleurs, une fois dans les locaux du Bureau du Procureur spécial adjoint, le requérant a de nouveau été menacé de la mort de sa compagne, de sa fille et de ses parents, privé d’eau et de nourriture et empêché de dormir, et on lui a fait des injections contre son gré.

2.5En fin de journée, la sœur du requérant, Florencia Gallardo Martínez, a été informée par téléphone que son frère avait été arrêté. Elle s’est rendue dans les locaux du Bureau du Procureur spécial adjoint où, après plusieurs heures d’attente, elle a pu voir l’intéressé pendant cinq minutes et constater qu’il présentait des traces de coups.

2.6Le même jour également, M. Gallardo Martínez s’est vu désigner un avocat commis d’office, qui n’a rien fait d’autre qu’apposer sa signature sur la déclaration que son client avait faite sous la torture en début de journée.

2.7Le 19 mai 2013, en violation du principe de la présomption d’innocence, les autorités ont annoncé lors d’une conférence de presse retransmise par les médias nationaux que M. Gallardo Martínez avait été arrêté pour enlèvement d’enfants et association de malfaiteurs, portant ainsi définitivement atteinte à la réputation de l’intéressé. De fait, aujourd’hui encore, et bien qu’il ait bénéficié d’un non-lieu après plus de cinq ans de détention, M. Gallardo Martínez continue d’être associé aux crimes pour lesquels il a été poursuivi, qui font toujours l’objet de nombreux articles de presse.

2.8Le 20 mai 2013, M. Gallardo Martínez a de nouveau été examiné par un médecin requis par le Bureau du Procureur général, qui a constaté que les cervicales étaient douloureuses à la palpation et a diagnostiqué une cervicalgie et une lombalgie post‑traumatiques.

2.9Ce n’est que le 21 mai 2013 que M. Gallardo Martínez a pu désigner un avocat de son choix, ce qui lui a permis de rétracter sa déclaration du 19 mai 2013, qui avait été obtenue par la torture, et de donner sa version des faits.

2.10Le 22 mai 2013, sur la base des aveux qui lui avaient été arrachés, M. Gallardo Martínez a été mis en examen pour association de malfaiteurs et enlèvement aggravé de deux mineurs dont l’oncle était un des hommes d’affaires les plus importants du Mexique et était de surcroît proche de l’ancien Président Enrique Peña Nieto. Il a été transféré à la prison de très haute sécurité de Puente Grande, à Guadalajara (Jalisco). Une procédure a été ouverte devant le sixième tribunal pénal d’El Salto (Jalisco) sous le numéro 136/2013. Après cinq années d’instruction, le ministère public fédéral a recommandé le non-lieu.

2.11Du 22 mai 2013 au 28 décembre 2018, M. Gallardo Martínez a été incarcéré à la prison de très haute sécurité de Jalisco. Durant ces cinq années, il a été très difficile pour ses proches de lui rendre visite. Comme ce sont des autochtones et ils n’ont que peu de moyens, il leur était compliqué de faire le déplacement jusqu’au centre de détention, qui se trouve à l’autre bout du pays, à des milliers de kilomètres de chez eux. De surcroît, même lorsqu’ils y arrivaient, on les empêchait souvent d’entrer, par pure discrimination.

2.12Le 22 mai 2013, M. Gallardo Martínez a été examiné pour la troisième fois par un médecin requis par le Bureau du Procureur général, qui a constaté des douleurs cervicales et dorsales sans lésion externe, une ecchymose violacée virant au verdâtre de 3 cm sur 1,5 cm sur la face antérieure de l’extrémité proximale du bras gauche, un ecchymose rougeâtre de 6 cm sur 3 cm légèrement enflée sur le dos du pied droit et des excoriations dermo‑épidermiques sur le bras gauche.

2.13Jusqu’au jour où il a été libéré comme suite au non-lieu prononcé sur la recommandation du ministère public − cinq ans, sept mois et dix jours après son arrestation −, M. Gallardo Martínez a subi des actes de torture. Dès son arrivée à la prison de très haute sécurité, le 22 mai 2013, il a reçu des coups sur le dos et des coups de pied aux fesses, on lui a hurlé dans les oreilles, on l’a entièrement déshabillé pour le soumettre à une fouille corporelle (orale et anale) et on lui a rasé les cheveux. Dans les jours qui ont suivi, un ptérygion s’est développé sur ses deux yeux, entraînant de graves troubles de la vue qui nécessitaient une intervention chirurgicale immédiate sous peine de dommages irréparables. M. Gallardo Martínez a demandé à plusieurs reprises aux autorités pénitentiaires de lui permettre de consulter un ophtalmologue, mais sa demande est restée sans suite Il a alors saisi le juge, en vain. Compte tenu de la gravité de son état de santé, il a finalement été opéré par un médecin de la prison le 20 juin 2017. Faute d’avoir reçu les soins post‑opératoires nécessaires, il a dû subir une nouvelle opération en 2018. Tout au long de sa détention, M. Gallardo Martínez a souffert du surpeuplement carcéral (six détenus cohabitaient dans un espace de 2 m sur 4), a été placé plusieurs fois à l’isolement et a été privé de sommeil, et il lui est arrivé de rester enfermé dans sa cellule vingt-deux heures par jour.

2.14Une expertise médico-psychologique réalisée le 9 septembre 2014 conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) a établi que le stress post-traumatique chronique et la dépression dont souffrait M. Gallardo Martínez étaient directement liés aux tortures subies. L’expert a constaté que la lésion sur le dos du pied, décrite comme une tumeur kystique post-traumatique mesurant environ 3 cm sur 2 située sous la malléole, à l’extrémité du pied droit, était toujours visible, et que, compte tenu de sa taille et sa forme, cette lésion pouvait tout à fait avoir été causée dans les conditions décrites par le requérant. Il a estimé que les coups avaient été délibérément donnés de manière à ne laisser aucune trace et dans le but d’annihiler complétement le requérant, de le terroriser et de le faire physiquement et émotionnellement souffrir afin d’affaiblir son corps et son esprit, de le mettre dans un état de panique et de le convaincre que ses agresseurs étaient capables de lui infliger des douleurs mortelles. L’expert a conclu que M. Gallardo Martinez avait été soumis à des actes de torture, estimant que les résultats des examens physique et psychologique, les antécédents du patient, les tests diagnostiques, interprétés à la lumière de la littérature spécialisée, et les signes, symptômes, syndromes, affections et séquelles constatés s’inscrivaient tous dans la même logique, et a recommandé un accompagnement psychologique spécialisée. Le requérant a plusieurs fois demandé tant aux autorités pénitentiaires qu’au juge de lui fournir pareil accompagnement, en vain.

2.15Le 18 mars 2016, un psychologue de la Commission d’assistance aux victimes a rendu un rapport dans lequel il concluait que le requérant souffrait d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique.

2.16Le 30 mars 2016, un autre rapport établi par la Commission d’assistance aux victimes est venu confirmer que le requérant souffrait de stress post-traumatique et d’anxiété, indiquant en outre que l’intéressé présentait des séquelles de blessures à l’épaule gauche et à la cheville droite dues aux coups reçus et avait mal au pied droit quand il le bougeait.

Recours internes

2.17Le 18 mai 2013, Florencia Gallardo Martínez, sœur de M. Gallardo Martínez, a déposé un recours en amparo pour disparition, détention au secret, torture et risque de privation de la vie.

2.18Le 19 mai 2013, Mme Gallardo Martínez a signalé la détention au secret et la disparition de son frère à la Commission nationale des droits de l’homme. C’est sur le fondement de sa plainte que la Commission a adopté, le 20 mars 2017, la recommandation 5/2018, qui mettait en cause les autorités fédérales pour violations de domicile, recours excessif à la force, détentions arbitraires, violations du principe de la sécurité juridique et manquement au devoir d’enquêter sur les allégations de torture. La Commission a déposé plainte le 28 février 2018 auprès du service d’inspection de la police fédérale et le 30 août 2018 auprès de la cellule du Bureau du Procureur général spécialisée dans les enquêtes sur les infractions commises par des agents de l’État contre l’administration de la justice. Les deux plaintes sont restées lettre morte.

2.19Le 24 mai 2013, Mme Gallardo Martínez a saisi la direction générale des enquêtes sur les infractions commises par des agents de l’État, qui relève du parquet spécialisé dans les affaires internes, auprès de laquelle elle a déposé plainte pour torture contre des agents du Bureau du Procureur général. Une instruction a été ouverte, qui, à ce jour, n’a pas avancé.

2.20En juillet 2013, M. Gallardo Martínez a interjeté appel de ses condamnations à des peines d’emprisonnement pour enlèvement et association de malfaiteurs et a déposé un recours en amparo contre ses deux déclarations de culpabilité. En mai 2015, les juges ont conclu à des violations de procédure et renvoyé la cause devant la juridiction inférieure en lui enjoignant de purger les vices de forme constatés.

2.21Le 28 mai 2014, les requérants ont déposé plainte contre les agents de la police fédérale auprès du parquet spécialisé dans les enquêtes sur les crimes de torture. Une instruction a été ouverte, qui, à ce jour, n’a pas avancé.

2.22En juin 2016, M. Gallardo Martínez a déposé un recours en amparo et a obtenu le droit de ne pas être rasé sans son consentement, le juge estimant que cela portait atteinte à la libre expression de sa personnalité. En représailles, il a été placé à l’isolement les 30 et 31 juillet 2016.

2.23Le 6 mars 2017, M. Gallardo Martinez a entamé une grève de la faim, à laquelle plus de 100 autres détenus se sont joints, pour protester contre les conditions de détention et les actes de torture et les autres traitements cruels, inhumains et dégradants auquel il était soumis (isolement, enfermement en cellule 22 heures sur 24, obligation de rester dans certaines positions sans bouger, fouilles exhaustives, absence de soins médicaux adéquats). En représailles, il a été harcelé de plus belle.

2.24En mars 2017, M. Gallardo Martínez a demandé la protection urgente du mécanisme de protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes. Sa demande est restée sans suite jusqu’à ce qu’elle soit contestée en août 2017 au motif qu’elle n’était pas recevable, et a finalement été rejetée huit mois plus tard. Après sa libération, compte tenu du risque élevé qu’il courrait à cause du lynchage médiatique dont il faisait l’objet, l’intéressé a de nouveau sollicité la protection du mécanisme. Sa demande a été officieusement accueillie en mars 2019, mais il n’a toujours pas reçu confirmation officielle, ni bénéficié de mesures de protection.

Prises de position de mécanismes internationaux

2.25Le 22 avril 2014, face aux violations dénoncées par le requérant, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association ont lancé l’appel urgent no 3/2014. Le 26 août 2014, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a rendu l’avis no 23/2014, dans lequel il a conclu que M. Gallardo Martínez était détenu arbitrairement et a recommandé sa libération immédiate. Le 24 janvier 2017, dans le rapport final sur sa mission au Mexique, le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains a aussi demandé la libération de l’intéressé.

Contexte − Incrimination des protestations sociales

2.26Les requérants allèguent que les poursuites engagées contre M. Gallardo Martínez s’inscrivent dans un contexte de torture et d’incrimination des protestations sociales. À Oaxaca, en particulier, la répression s’est intensifiée en 2013, les autorités ayant voulu briser la résistance des enseignants face aux réformes structurelles, et au moins 141 détentions arbitraires de défenseurs et défenseuses du droit à l’éducation ont été recensées. Cette nouvelle vague de répression s’est notamment caractérisée par le fait que les militants se sont vu reprocher des chefs nouveaux : alors qu’auparavant, ils étaient accusés de terrorisme, de sabotage et de conspiration, à compter de 2013, ils ont été mis en cause pour enlèvement, association de malfaiteurs et blanchiment d’argent. De ce fait, il est devenu plus difficile pour eux de se défendre, d’être soutenus et de recevoir la visite de leurs proches, parce qu’ils ont été incarcérés dans des prisons de haute sécurité, loin de chez eux. En outre, le Gouvernement a investi des millions de dollars pour que les accusations fassent la une des journaux en vue de décrédibiliser complètement les intéressés.

2.27Les requérants signalent que plusieurs éléments de preuve viennent montrer que M. Gallardo Martínez n’a pas commis les crimes dont il a été accusé. Comme l’a révélé un compte rendu d’écoutes téléphoniques du 6 mars 2014, l’intéressé n’a jamais appelé les parents des enfants enlevés pour négocier une libération. De surcroît, le 13 mars 2015, le premier tribunal collégial du troisième circuit de l’État de Jalisco, saisi du recours en amparo indirect no 48/2014, a ordonné l’exclusion d’un témoignage à charge au motif qu’il avait été obtenu par la torture, et, le 14 juillet 2015, un interrogatoire des policiers ayant procédé à l’arrestation de M. Gallardo Martínez a révélé que l’intéressé avait été arrêté non pas en flagrant délit, comme le ministère public le prétendait, mais chez lui, dans sa chambre, où il se trouvait avec sa fille et sa compagne. Le 28 juillet 2016, les autorités municipales et deux membres de la communauté locale ont déclaré que, le 14 janvier 2013, date de l’enlèvement dont il était accusé, M. Gallardo Martínez était à Oaxaca, où il exerçait ses activités auprès de diverses populations. Enfin, les 21 juin 2017 et 3 janvier 2018, des transports sur les lieux ont permis de constater que l’adresse à laquelle les policiers avaient dit avoir interpellé le requérant en flagrant délit n’existait pas.

2.28Après que M. Gallardo Martínez a passé cinq ans et sept mois en prison dans le cadre d’une procédure qui n’a jamais dépassé le stade de l’instruction, le ministère public a demandé le non-lieu, l’instance a été close et l’intéressé a été libéré.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants soutiennent que la communication n’a pas été soumise à une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, car, s’ils ont saisi le Groupe de travail sur la détention arbitraire, les avis adoptés par celui-ci n’ont pas le même caractère contraignant que les décisions des organes conventionnels et ses recommandations ont une portée plus limitée.

3.2Les requérants soutiennent également que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas puisque les enquêtes sur les actes de torture dénoncées excèdent les délais raisonnables.

3.3Les requérants affirment qu’il y a eu violation des droits que M. Gallardo Martínez tient des articles 1, 2, 11, 12, 13, 14 et 15 de la Convention et des droits qu’ils tiennent tous de l’article 14.

3.4En ce qui concerne la violation de l’article 1 de la Convention, les requérants rappellent que, après avoir été emmené de force, M. Gallardo Martínez a été soumis à nombre de mauvais traitements destinés à lui causer des souffrances physiques et émotionnelles − entre autres, les policiers l’ont roué de coups et l’ont menacé de violer et de tuer des membres de sa famille − et à lui faire avouer les crimes dont il a ensuite été accusé. En détention, il a continué d’être brutalisé et a été placé à l’isolement et privé de tout contact avec le monde extérieur. Les requérants rappellent également que, selon l’expertise médico‑psychologique, les tortures que M. Gallardo Martínez a subies étaient destinées à l’annihiler complétement, le terroriser et le faire physiquement et émotionnellement souffrir afin d’affaiblir son corps et son esprit, le mettre dans un état de panique et le convaincre que ses agresseurs étaient capables de lui infliger des douleurs mortelles (voir par. 2.14 ci-dessus).

3.5Les requérants allèguent que les actes de torture et les autres mauvais traitements infligés à M. Gallardo Martínez au moment de son arrestation, puis au centre de détention clandestin, dans les locaux du Bureau du Procureur spécial adjoint chargé des enquêtes sur la criminalité organisée et en prison ont laissé des séquelles irréversibles. Sur le plan physique, les troubles oculaires survenus n’ont pas été soignés assez rapidement et sont devenus chroniques, et les coups reçus à l’avant-bras gauche et au pied droit ont laissé des traces toujours visibles. Sur le plan psychologique, l’intéressé n’a pas reçu l’accompagnement dont il avait besoin, malgré la recommandation du médecin, et ce n’est qu’après sa libération qu’il a pu consulter un spécialiste dans le privé.

3.6Les requérants allèguent également qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en ce que l’État partie n’a pas fait le nécessaire pour empêcher les actes de torture et les autres mauvais traitements. La procédure a été entachée d’irrégularités dès le départ puisque M. Gallardo Martinez n’était pas accusé de quoi que ce soit et faisait seulement l’objet d’un mandat d’amener. Son arrestation n’ayant procédé ni d’un mandat d’arrêt, ni d’une interpellation en flagrant délit, ni de circonstances urgentes, elle était illégale. Les requérants rappellent que le Comité a constaté avec préoccupation que, au Mexique, les détentions arbitraires conduisaient souvent à la torture. Ils rappellent également que, dans son rapport sur la visite qu’il a effectuée au Mexique en 2014, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a signalé que les garanties fournies étaient insuffisantes, surtout s’agissant de prévenir la torture et de la repérer dès le début, que les registres de détention et les rapports médicaux étaient souvent lacunaires et ne contenaient aucune information sur les allégations ou les signes de torture, qu’il n’y avait pas de véritable contrôle de la légalité des arrestations et du respect du délai dans lequel la personne arrêtée doit être présentée devant le ministère public, que les prévenus n’avaient pas immédiatement accès à une défense adéquate et que leurs déclarations étaient recueillies hors le contrôle du juge et hors la présence d’un avocat.

3.7Les requérants allèguent qu’il y a eu violation de l’article 11 de la Convention en ce que, bien que l’État partie ait l’obligation de garantir le respect des lois et règlements en vigueur en procédant à une surveillance systématique, les mécanismes de contrôle établis ne fonctionnent pas, comme le montrent les graves irrégularités constatées dans les registres de détention et le fait que les détenus n’ont pas accès à un avocat et à un médecin indépendant.

3.8Les requérants allèguent également qu’il y a eu violation des articles 12 et 13 de la Convention. Ils ont fait valoir que, dès le moment où M. Gallardo Martínez a été arbitrairement arrêté et jusqu’à sa libération, ils ont intenté plusieurs actions en justice pour dénoncer les tortures qu’il avait subies sans qu’aucune enquête soit menée à bien. En 2016, la division d’Oaxaca du Bureau du Procureur général a ouvert une enquête d’office, affirmant avoir eu connaissance des faits par la presse, mais cette enquête non plus n’a pas avancé. En 2018, la Commission nationale des droits de l’homme a déposé deux plaintes, respectivement auprès de l’inspection de la police fédérale et auprès de la cellule du Bureau du Procureur général spécialisée dans les enquêtes sur les infractions commises par des agents de l’État contre l’administration de la justice. Toutes deux sont restées sans suite. Les requérants rappellent que le Comité a précédemment estimé que ne pas enquêter pendant quinze mois constituait une violation de l’article 12 de la Convention, or, en l’espèce, les autorités se sont abstenues d’enquêter pendant plus de six ans, et n’ont donc pas mené une enquête rapide, immédiate et approfondie sur les actes de torture dénoncés.

3.9Les requérants allèguent en outre qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention en ce qui concerne non seulement M. Gallardo Martínez, mais aussi le reste d’entre eux. À cet égard, ils rappellent que sont également considérés comme des victimes, au sens où ils ont droit à une réparation intégrale, « les membres de la famille proche ou les ayants cause de la victime ».

3.10Les requérants soulignent que, si M. Gallardo Martínez est la victime directe des faits dénoncés, ils en sont tous des victimes indirectes. En effet, l’arrestation de l’intéressé a eu des répercussions physiques et psychologiques sur sa compagne, Yolanda Barranco Hernández, dont le projet de vie a été bouleversé. Des personnes cagoulées ont fait irruption chez M. Gallardo Martínez aux premières heures du matin, défonçant la porte de son domicile en toute illégalité cependant qu’il se reposait avec sa compagne et leur fille de 9 ans. Outre qu’elle a été traumatisée par cet événement, Mme Barranco Hernández a été la cible de diverses formes de représailles parce qu’elle a demandé justice (elle a participé à des marches, des manifestations, des forums, des réunions et d’autres activités de protestation, dans son pays et à l’étranger) : retenues sur salaire, et donc perte de revenus, persécution, intimidation, diffamation et surveillance constante. En conséquence, elle a demandé à bénéficier de mesures de protection auprès du bureau du défenseur des droits de l’homme d’Oaxaca et a changé sa façon de se déplacer, prenant des taxis et d’autres moyens de transport privé parce qu’elle ne se sentait plus en sécurité dans les transports publics. Alors qu’elle était auparavant en parfaite santé, elle a commencé à souffrir de diverses pathologies à forte composante émotionnelle (colite nerveuse, gastrite, troubles gynécologiques, allergies et anxiété). Elle a dû déménager à trois reprises à cause de la pression sociale qu’elle subissait dans son quartier et au travail et, bien qu’elle ait pu rendre visite à son compagnon en prison, sur place, elle était soumise à des traitements humiliants (on l’obligeait à se déshabiller et, chaque fois qu’elle résistait, on la faisait attendre excessivement longtemps avant de la laisser entrer).

3.11La fille de M. Gallardo Martínez et de Mme Barranco Hernández, M. M. B. H., âgée de 9 ans au moment des faits, a été le témoin oculaire de l’arrestation arbitraire de son père et de la violation de la sécurité de son domicile. Comme sa mère, elle a été harcelée et persécutée et a dû déménager trois fois, et a aussi dû changer d’école. Parce qu’elle était la fille d’un homme réputé être un ravisseur d’enfants, elle a été montrée du doigt et exclue par ses pairs. En outre, la prison était trop loin de chez elle pour qu’elle puisse s’y rendre, et les contrôles à l’entrée trop vexatoires, et elle a donc été physiquement et émotionnellement éloignée de son père dans une période de construction de la personnalité où la présence de la figure paternelle est pourtant extrêmement importante.

3.12Au moment de l’arrestation de leur père, les trois autres enfants mineurs de M. Gallardo Martinez, L. K .G. C., 16 ans, X. K. G. C., 13 ans, et E. R. K. G. C., 12 ans, issus d’un premier mariage, vivaient chez leurs grands-parents paternels, au sein de la communauté autochtone à laquelle ceux-ci appartenaient, mais ont dû en partir en 2014 parce qu’ils étaient harcelés.

3.13Le père de M. Gallardo Martínez, Gregorio Gallardo Vásquez, enseignant autochtone à la retraite âgé de 75 ans, est parti de chez lui et s’est mis à passer chaque jour de 8 heures à 18 heures à réclamer justice pour son fils sur la place principale de la ville d’Oaxaca, espérant attirer l’attention des autorités et obtenir gain de cause. Il n’a eu de cesse de participer à des activités visant à dénoncer l’injustice dont son fils était victime, à tel point qu’il s’est épuisé et que son état de santé physique et psychologique s’est irrémédiablement dégradé. Pendant les cinq ans, sept mois et dix jours que son fils a passés en détention, il lui a régulièrement rendu visite alors que la prison se trouvait à une quinzaine d’heures de route, ce qui a lui a coûté cher non seulement financièrement, mais aussi physiquement et émotionnellement étant donné qu’il a été brutalisé et a dû se soumettre à des procédures attentatoires à la dignité qui ont été d’autant plus lourdes de conséquences sur le plan psychoémotionnel qu’il est âgé et autochtone.

3.14La mère de M. Gallardo Martínez, Felicitas Martínez Vargas, qui ne sait ni lire ni écrire l’espagnol, a elle aussi été soumise lors de ses visites en prison à des mauvais traitements particulièrement pénibles sur le plan physique et émotionnel pour une femme âgée et autochtone. En outre, il lui est arrivé de se voir refuser l’entrée à la prison au motif qu’elle portait des tongs, décision arbitraire qui constitue un grave abus d’autorité et participe de la discrimination raciale.

3.15La détention de M. Gallardo Martínez a été très difficile pour ses cinq frères et sœurs. Florencia Gallardo Martínez a été le premier membre de la famille à pouvoir rendre visite à l’intéressé en prison. Sur place, elle a été harcelée par les autorités. La tension nerveuse et la fatigue physique ont nui à sa santé : le stress a aggravé son diabète et les conséquences psychoémotionnelles de la situation se sont ressenties sur sa vie sociale et sa vie de couple. En outre, comme elle a assumé une grande partie des frais liés à la défense de son frère, elle a dû mettre de côté plusieurs projets personnels (construction de sa maison) et professionnels, ce qui a sérieusement entravé son projet de vie.

3.16Idolina Gallardo Martínez, enseignante, a pris la tête de la campagne de protestation lancée après l’arrestation de son frère, coordonnant les activités du Comité des parents et amis de Damián Gallardo Martínez. Cela lui a valu d’être persécutée, et elle s’est jointe à Mme Barranco Hernández pour demander au bureau du défenseur des droits de l’homme d’Oaxaca de prendre des mesures de protection en sa faveur. En outre, c’est elle qui allait le plus régulièrement à la prison, servant d’intermédiaire entre son frère et le reste de la famille et s’efforçant de maintenir un lien constant, et elle a dû abandonner son doctorat au cours du dernier trimestre. Pour couvrir ses frais de déplacement, elle a dû vendre un terrain de famille qui avait une grande valeur sentimentale et sur lequel elle comptait construire une maison. Le stress constant lui a provoqué une fausse couche, et la mise au ban de sa famille a nui à sa relation avec son compagnon et avec les enfants de celui-ci. En effet, comme son frère était présenté comme un criminel dans les médias et l’intégrité morale de la famille était mise en question, elle a été considérée comme une « mauvaise influence » et n’a plus été autorisée à s’approcher des enfants. Dans la prison, elle aussi a été maltraitée, et elle s’est vue refuser l’entrée à trois reprises.

3.17Saúl Gallardo Martínez a beaucoup souffert psychologiquement de la stigmatisation dont sa famille était l’objet, et en a notamment subi les conséquences au travail, où il a été montré du doigt parce que son frère avait été arrêté pour enlèvement. Cette situation l’a fait sombrer dans la dépression. En outre, comme il n’avait pas les moyens de rendre visite à son frère en prison, la relation entre eux s’est délitée.

3.18Violeta Gallardo Martínez a commencé à faire des crises d’angoisse et à présenter des symptômes de paranoïa et de stress aigu. Financièrement, elle s’est trouvée dans une situation difficile, car elle a dû prendre en charge sa nièce, la fille de Mme Barranco-Hernández, cette dernière s’étant consacrée à réclamer justice.

3.19Felicita Gallardo Martínez a elle aussi beaucoup souffert psychologiquement à cause de l’arrestation de son frère. Ne vivant pas dans l’État de Oaxaca, elle a dû particulièrement se démener pour participer à l’action menée pour obtenir justice, ce qui l’a drainée émotionnellement et a nui à ses relations avec sa famille.

3.20Enfin, les requérants affirment qu’il y a eu violation de l’article 15 de la Convention au motif que les autorités ont contraint M. Gallardo Martínez à avouer des infractions qu’il n’avait pas commises en le menaçant de s’en prendre à sa famille et que le ministère public s’est appuyé sur les aveux qui lui avaient été extorqués pour le faire incarcérer pendant plus de cinq ans.

3.21En conséquence, les requérants demandent, à titre de mesures de réparation : a) que tous les responsables soient poursuivis, jugés et punis ; b) que toutes les victimes se voient accorder réparation intégrale, sous la forme : i) de services médicaux et psychologiques de réadaptation spécialisés et respectueux de leur vision du monde ; ii) de mesures de protection leur permettant de reprendre leurs activités de défense des droits de l’homme ; iii) d’une indemnisation ; iv) d’une reconnaissance publique de responsabilité par les auteurs et d’excuses publiques, présentées selon des modalités convenues avec les victimes ; v) de garanties de non-répétition, à savoir : a. l’adoption de mesures visant à faire cesser tous les discours de délégitimation et de criminalisation des activités de défense des droits de l’homme et l’établissement d’un processus participatif aux fins de l’élaboration d’une politique globale de protection des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme ; b. l’élaboration et la mise en œuvre d’un registre national des détenus ; c. l’adoption de mesures garantissant à toutes les victimes de torture un accès facile et rapide à des mécanismes leur permettant d’obtenir réparation intégrale, notamment l’inscription immédiate au registre national des victimes et l’élaboration d’un dispositif de soins par la Commission d’assistance aux victimes ; d. l’adoption et la mise en œuvre rapides du programme national pour la prévention et la répression de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 23 novembre 2020, l’État partie explique que M. Gallardo Martínez a été poursuivi au pénal pour l’enlèvement de deux mineurs après avoir été arrêté en flagrant délit pour association de malfaiteurs et que l’instance a été close en décembre 2018.

4.2L’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que les requérants n’ont pas épuisé les recours internes, les instructions ouvertes sur les allégations de torture étant toujours en cours. Il précise que les requérants n’ont pas dénoncé un manquement à agir ni un retard de sa part et que, s’ils souhaitent mettre en cause les autorités compétentes parce qu’elles auraient dû enquêter et ne l’ont pas fait, il leur est loisible de former un recours en amparo.

4.3En ce qui concerne le fond, l’État partie avance qu’il n’a commis aucune violation de la Convention. S’agissant des articles 1 et 2, en particulier, il soutient que la charge de la preuve incombe aux requérants. À propos des allégations selon lesquelles M. Gallardo Martínez a été torturé au moment de son arrestation, il souligne que les lésions décrites dans les rapports médicaux n’étaient pas de nature à mettre la vie de l’intéressé en danger et auraient pu tout à fait être dues à un mauvais pas.

4.4L’État partie soutient que, étant donné que rien ne prouve que le requérant a été torturé, il ne saurait être tenu responsable d’une violation des articles 14 et 15 de la Convention.

4.5L’État partie soutient également qu’il n’a pas porté atteinte aux articles 12 et 13 de la Convention, l’obligation d’enquêter étant une obligation de moyens et non de résultat.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans leurs commentaires du 4 avril 2021, les requérants font observer que les observations de l’État partie s’inscrivent dans une logique de criminalisation. Bien que M. Gallardo Martínez ait bénéficié d’un non-lieu, l’État partie continue de le présenter comme un criminel, comme il a commencé à le faire dès l’arrestation arbitraire de l’intéressé, et reproduit les arguments mis en avant au pénal sans tenir compte du fait que sa thèse comporte de graves omissions et incohérences. À cet égard, les requérants réaffirment que M. Gallardo Martínez n’a bénéficié d’aucune garantie pendant sa détention et n’a même pas été inscrit sur le registre des détenus, et que c’est justement cela qui a déclenché de nombreuses violations graves de ses droits de l’homme.

5.2L’État partie continue de prétendre que M. Gallardo Martínez a été arrêté en flagrant délit d’association de malfaiteurs alors que les éléments de preuve à décharge, y compris les déclarations des policiers ayant procédé à l’arrestation, ont permis d’établir que c’est totalement faux, et même invraisemblable, étant donné que l’intéressé a été arrêté chez lui, dans sa chambre, où il se trouvait avec sa fille et sa compagne (voir par. 2.27 ci-dessus).

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif que M. Gallardo Martínez n’a pas formé un recours en amparo pour dénoncer l’inaction des autorités qui auraient dû enquêter sur ses allégations de torture et n’a donc pas épuisé les recours internes, les requérants rappellent que l’amparo est un recours extraordinaire qu’il n’est pas obligatoire d’épuiser. Ils rappellent également que, en l’espèce, les procédures de recours excèdent des délais raisonnables, les faits reprochés s’étant produits il y a plus de huit ans.

5.4S’agissant des violations des articles 1 et 2 de la Convention, les requérants font observer que l’État partie se borne à dire que les lésions constatées chez le requérant n’étaient pas nécessairement dues à des actes de torture, faisant fi des incohérences et des lacunes que cette thèse comporte.

5.5Les requérants font observer également que l’État partie n’a pas répondu à l’allégation de violation de l’article 11 de la Convention et que ce silence vaut reconnaissance de sa responsabilité.

5.6Pour ce qui est des violations des articles 12 et 13 de la Convention, les requérants allèguent que l’État partie n’a pas démontré qu’il avait pris des mesures raisonnables pour faire avancer l’enquête et punir les responsables. Ils soutiennent, de plus, que les autorités ont tenté d’intimider Florencia Gallardo Martínez chaque fois qu’elle a cherché à savoir où en était l’enquête. Ils ajoutent qu’ils n’ont pas accès aux informations officielles sur l’état d’avancement du dossier d’instruction 738/UEIDAPLE/DT/8/2014 (voir par. 2.21 ci-dessus) et que, le 30 décembre 2019, ils ont été informés que le ministère public avait recommandé le non-lieu dans le cadre du dossier d’instruction 045/AP/DGCSPI/14 (voir par. 2.19 ci‑dessus) après que des appels avaient été interjetés.

5.7Les requérants rappellent que les violations de l’article 14 de la Convention ont été constatées par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, dans son avis no 23/2014, ainsi que par divers rapporteurs spéciaux (voir par. 2.25 ci-dessus) et par la Commission nationale des droits de l’homme (voir par. 2.18 ci-dessus). Ils ajoutent que, en septembre 2020, le Bureau du Procureur général a apparemment reconnu à M. Gallardo Martínez la qualité de victime de torture, bien que l’intéressé n’en ait à ce jour pas été officiellement informé, et que, le 29 mars 2021, la Commission d’assistance aux victimes a inscrit Felicita Gallardo Martínez et les enfants L. K. G .C., X. K. G. C. et E. R. K. G. C. sur le registre des victimes indirectes, les dossiers des autres requérants étant toujours en attente. Il s’ensuit que, contrairement à ce que l’État partie soutient, la perpétration d’actes de torture a été reconnue. Les requérants signalent de surcroît que M. Gallardo Martínez a demandé à la Commission d’assistance aux victimes de lui accorder réparation intégrale, à savoir des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction, une indemnisation et des garanties de non-répétition. La demande a été enregistrée sous le numéro CEAV/CIE/034/2020, mais aucune information n’est disponible concernant son état d’avancement. Les requérants ajoutent que M. Gallardo Martínez garde des séquelles des lésions constatées dans les divers rapports médicaux et que son médecin, qui a soigné de nombreuses victimes de torture, a diagnostiqué chez lui des céphalées de tension chroniques et des troubles du sommeil directement liés au traumatisme vécu ainsi que des altérations métaboliques dues au régime alimentaire de la prison, qui est de mauvaise qualité et riche en acides gras insaturés.

5.8Enfin, en ce qui concerne la violation de l’article 15 de la Convention, les requérants rappellent que, bien que M. Gallardo Martínez ait dû signer des aveux sous la torture, aucun élément de preuve n’a jamais été recueilli contre lui, et le juge saisi du recours en amparo direct a d’ailleurs ordonné l’exclusion d’un témoignage à charge au motif qu’il avait été obtenu par la torture physique et psychologique (voir par. 2.27 ci-dessus). L’arrestation et la détention illégales de M. Gallardo Martínez, incarcéré pendant cinq ans et sept mois, étaient donc fondées sur deux déclarations faites sous la torture.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention.

6.2Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité constate que la situation de M. Gallardo Martínez a été portée à l’attention du Groupe de travail sur la détention arbitraire et du Rapporteur spécial sur la question de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Toutefois, il note que la compétence ratione materiae du Groupe de travail sur la détention arbitraire couvre la privation arbitraire de liberté, et non la torture. En ce qui concerne l’examen de la question par le Rapporteur spécial, il rappelle que les procédures spéciales chargées par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme d’examiner la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou les violations massives de ces droits commises dans le monde entier et d’en rendre compte ne sont pas des instances d’enquête ou de règlement au regard de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention. En conséquence, il estime que le fait que d’autres procédures se soient penchées sur le cas de M. Gallardo Martínez ne l’empêche pas d’examiner la communication.

6.3Le Comité prend note des allégations de l’État partie selon lesquelles les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que la plainte pour torture est toujours en cours d’instruction et les requérants ne se sont pas prévalus du recours en amparo pour dénoncer un retard ou un manquement à agir de la part des autorités. Il prend note également des allégations des requérants, qui soulignent que le recours en amparo est un recours extraordinaire qu’ils ne sont pas tenus d’épuiser et que les autres procédures de recours excèdent des délais raisonnables, les faits reprochés s’étant produits il y a environ huit ans.

6.4Le Comité rappelle que la règle de l’épuisement des recours internes ne s’applique pas dans les cas où les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée. En l’espèce, il constate que plus de huit ans se sont écoulés depuis que les requérants ont initialement demandé l’ouverture d’une enquête sur les allégations de torture et que, alors que le ministère public dispose des informations nécessaires pour enquêter avec toute la diligence voulue et identifier et poursuivre les auteurs présumés et malgré la recommandation 5/2018 de la Commission nationale des droits de l’homme, qui prescrivait une enquête rapide, et les deux plaintes que cette commission a déposées les 28 février et 30 août 2018 auprès du service d’inspection de la police fédérale et de la cellule du Bureau du Procureur général spécialisée dans les enquêtes sur les infractions commises par des agents de l’État contre l’administration de la justice (voir par. 2.18 ci-dessus), aucune enquête n’a véritablement progressé. Or, l’État partie n’a fourni aucune explication venant justifier ce retard considérable.

6.5Dans ces circonstances, le Comité estime que les procédures de recours internes ont excédé des délais raisonnables. Par conséquent, les dispositions de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ne l’empêchent pas d’examiner la communication sur le fond.

6.6Le Comité considère que les griefs soulevés par le requérant au titre des articles 1, 2 et 11 à 15 de la Convention ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il les déclare donc recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 22 (par .4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Avant d’examiner les griefs que les requérants tirent des articles de la Convention qu’ils invoquent, le Comité doit déterminer si les actes auxquels M. Gallardo Martínez a été soumis constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention.

7.3Le Comité note que les requérants soutiennent que, au moment de son arrestation, M. Gallardo Martínez a été frappé et traîné à moitié nu jusqu’à une camionnette dans laquelle, pendant deux heures environ, des policiers l’ont obligé à se mettre dans des positions dégradantes et douloureuses, ont menacé de violer et de tuer sa fille et sa compagne et d’assassiner ses parents, lui ont fait subir un simulacre d’exécution et l’ont étouffé. Il note également que, toujours selon les requérants, M. Gallardo Martínez a ensuite été détenu au secret pendant une trentaine d’heures durant lesquelles on l’a privé d’eau, empêché de dormir et d’accéder à des toilettes, frappé au niveau des testicules, du ventre, du dos, du visage et de la tête, étouffé, forcé de regarder d’autres détenus se faire torturer, et encore une fois menacé de tuer ses proches. Pendant sa détention dans les locaux du Bureau du Procureur spécial adjoint chargé des enquêtes sur la criminalité organisée, on lui a fait des injections contre son gré et, de nouveau, on l’a menacé de tuer sa compagne, sa fille et ses parents, on l’a privé d’eau et de nourriture et on l’a empêché de dormir. Les requérants soutiennent que les autorités entendaient ainsi forcer M. Gallardo Martínez à passer aux aveux et qu’elles lui ont fait signer des feuilles vierges qui leur ont par la suite servi à faire croire qu’il s’était auto-incriminé. Enfin, pendant les cinq ans et sept mois qu’il a passés dans la prison de très haute sécurité surpeuplée de Puente Grande, à Guadalajara, l’intéressé a continué de recevoir des coups sur le dos et des coups de pied aux fesses et de se faire hurler dans les oreilles, a été soumis à des fouilles anales, a été plusieurs fois placé à l’isolement et coupé de tout contact avec l’extérieur, enfermé dans sa cellule 22 heures sur 24, a été privé de sommeil et n’a pas pu bénéficier en temps voulu d’une intervention chirurgicale dont il avait besoin.

7.4Le Comité note que l’État partie avance que les lésions observées chez M. Gallardo Martínez par les médecins requis par le Bureau du Procureur général ont aussi bien pu être causées par l’arrestation de l’intéressé que par un mauvais pas. Il constate néanmoins que, selon une expertise médico-psychologique réalisée conformément au Protocole d’Istanbul, M. Gallardo Martínez a été soumis à des actes de torture qui visaient à l’annihiler complétement et à le convaincre que ses agresseurs pouvaient lui infliger des souffrances mortelles (voir par. 2.14 ci-dessus), et que les médecins de la Commission d’assistance aux victimes ont conclu qu’il souffrait d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique, gardait des séquelles de ses blessures à l’épaule gauche et à la cheville droite et avait mal quand il bougeait le pied droit (voir par. 2.15 et 2.16 ci-dessus). Le Comité considère que les conditions dans lesquelles M. Gallardo Martínez a été arrêté et détenu et les traitements auxquels il a été soumis en prison, tels qu’ils ont été décrits par les requérants, constituent des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention.

7.5Les requérants soutiennent qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention en ce que l’État partie a manqué à l’obligation d’empêcher les actes de torture infligés à M. Gallardo Martínez au moment de son arrestation et pendant sa détention. Le Comité constate que M. Gallardo Martínez n’a pas été appréhendé en flagrant délit et ne faisait pas l’objet d’un mandat d’arrêt et qu’il a dû attendre près de deux jours pour pouvoir communiquer avec sa compagne et quatre jours pour pouvoir communiquer avec un avocat de son choix. Pendant ce temps, on l’a soumis à des interrogatoires durant lesquels on l’a torturé pour le contraindre à signer des aveux, et il n’a pas été présenté devant un magistrat excepté celui qui est venu apposer sa signature sur la déclaration qui lui avait été extorquée. Le Comité constate également que, nonobstant les lésions observées par les médecins, les juges saisis des recours formés contre les mandats de dépôt ont décidé de maintenir M. Gallardo Martínez en détention sur la base de ses prétendus aveux et se sont contentés d’enjoindre à la juridiction inférieure de purger les vices de forme constatés (voir par. 2.20 ci-dessus). Le Comité rappelle que, dans ses observations finales sur le septième rapport périodique du Mexique, il a demandé à l’État partie de prendre des mesures garantissant que les personnes détenues bénéficient dans la pratique de toutes les garanties fondamentales dès le début de leur privation de liberté, conformément aux normes internationales, en particulier le droit d’accéder sans délai à l’assistance d’un avocat, le droit d’être examiné immédiatement par un médecin indépendant, le droit d’être informé des motifs de leur arrestation, le droit de voir leur détention inscrite sur les registres pertinents, le droit d’informer rapidement leurs proches de leur arrestation et le droit d’être présenté rapidement devant un juge. Dans ces circonstances, et étant donné que l’État partie n’a fourni aucune information au sujet des faits susmentionnés, le Comité estime que le Mexique a manqué à l’obligation qui lui est faite à l’article 2 (par. 1) de la Convention de prendre des mesures efficaces pour empêcher la torture.

7.6Le Comité prend note de l’argument des requérants selon lequel l’État partie a porté atteinte à l’article 11 de la Convention en ce qu’il n’a pas contrôlé le respect des lois et règlements en vigueur, ce qui a conduit à de graves irrégularités dans l’enregistrement de la détention et a empêché M. Gallardo Martínez d’accéder à un avocat et à un médecin indépendant. Il constate que l’État partie n’a pas contesté ces allégations. Il rappelle que, dans ses observations finales sur le septième rapport périodique du Mexique, il a exhorté l’État partie à contrôler systématiquement le respect des procédures relatives à la détention et aux interrogatoires, comme prévu par l’article 11 de la Convention. Compte tenu de ce qui précède, il conclut que l’État partie a porté atteinte à l’article 11 du Pacte.

7.7En ce qui concerne les articles 12 et 13 de la Convention, le Comité note que les requérants soutiennent que, malgré les divers recours qu’ils ont introduits dès 2013, l’ouverture d’une enquête par la division d’Oaxaca du Bureau du Procureur général, qui s’est saisie d’office en 2016, la recommandation 5/2018 de la Commission nationale des droits de l’homme et les deux plaintes que la Commission a déposées en 2018 auprès du service d’inspection de la police fédérale et de la cellule du Bureau du Procureur général spécialisée dans les enquêtes sur les infractions commises par des agents de l’État contre l’administration de la justice, les autorités compétentes n’ont pas enquêté rapidement et exhaustivement sur les allégations de torture. Les requérants soutiennent également que l’État partie n’a pas démontré qu’il avait pris des mesures raisonnables pour faire avancer les enquêtes et punir les responsables, les autorités ayant au contraire cherché à les intimider chaque fois qu’ils ont cherché à obtenir des informations, et qu’ils ne savent rien de l’état d’avancement d’un des deux dossier d’instruction en cours, l’autre étant en passe d’être clôturé (voir par. 5.6 ci‑dessus). Le Comité note aussi que l’État partie soutient qu’il n’a pas enfreint les dispositions des articles 12 et 13 de la Convention puisque l’obligation d’enquêter est une obligation de moyens, et non de résultat.

7.8Le Comité rappelle que l’article 12 de la Convention fait obligation à l’État partie de procéder immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. En l’espèce, il constate que, malgré les lésions visibles que M. Gallardo Martínez présentait lorsqu’il a été examiné par les médecins requis par le Bureau du Procureur général les 19, 20 et 22 mai 2013 (voir par. 2.4, 2.8 et 2.12 ci-dessus), les autorités n’ont pas immédiatement ouvert une enquête.

7.9Le Comité rappelle également que, pour s’acquitter des obligations découlant de l’article 12 de la Convention, l’État partie doit non seulement mener une enquête, mais aussi le faire de manière impartiale et rapide étant donné qu’il faut éviter que la victime soit soumise à de nouveaux actes de torture et que, en général, les traces physiques de torture disparaissent rapidement. Or, il constate que, plus de huit ans après que les requérants ont saisi les autorités pour dénoncer les tortures, non seulement les enquêtes sont au point mort et les responsables n’ont pas été punis mais la procédure n’a pas non plus dépassé le stade de l’instruction, et que l’État partie n’a pas justifié ce retard excessif ni tenu les requérants au courant de l’avancée des investigations. Il constate également que ni l’enquête ouverte par la division d’Oaxaca du Bureau du Procureur général en 2016 ni les deux plaintes déposées par la Commission nationale des droits de l’homme en 2018 n’ont conduit à des avancées.

7.10Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 12 et 13 de la Convention.

7.11Le Comité note que les requérants allèguent que ni M. Gallardo Martínez ni les autres membres de sa famille aux noms desquels la communication est présentée n’ont obtenu réparation pour le préjudice subi. Il rappelle qu’il ressort de son observation générale no 3 (2012) que sont également considérés comme des victimes, au sens où ils ont droit à une réparation intégrale, les membres de la famille proche ou les ayants cause de la victime. À cet égard, il note que l’État partie a entrepris de reconnaître la qualité de victimes indirectes à certains membres de la famille de M. Gallardo Martínez (voir par. 5.7 ci-dessus). Il rappelle en outre que, dans cette observation générale également, il a souligné que les États parties devaient prendre des mesures de restitution, d’indemnisation, de réadaptation et de satisfaction, faire éclater la vérité et mettre en œuvre, les moyens nécessaires pour que toute personne ayant subi un préjudice résultant d’une violation de la Convention puisse bénéficier d’une réadaptation aussi complète que possible, notamment en fournissant une prise en charge médicale et psychologique et un accompagnement juridique et social. Étant donné que les autorités n’ont pas enquêté rapidement et de manière impartiale sur les allégations de torture, et compte tenu de tous les éléments exposés dans les paragraphes précédents, le Comité conclut que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 14 de la Convention en ce qui concerne M. Gallardo Martínez et les autres requérants.

7.12Enfin, le Comité note que les requérants soutiennent que M. Gallardo Martínez a été victime d’une violation de l’article 15 de la Convention en ce qu’il a avoué des crimes qu’il n’avait pas commis de peur que les menaces visant sa famille soient mises à exécution. Le Comité constate en outre que c’est sur les aveux extorqués à l’intéressé et sur la déclaration d’un tiers, également obtenue par la torture, que le ministère public s’est appuyé pour faire incarcérer M. Gallardo Martínez pendant cinq ans et sept mois, jusqu’à ce qu’un non-lieu soit prononcé (voir par. 5.8 ci-dessus). En conséquence, il estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, de l’obligation de veiller à ce que les déclarations faites sous la torture ne puissent pas être utilisées en justice.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2, lu seul et conjointement avec les articles 1, 11, 12, 13, 14 et 15 de la Convention à l’égard de M. Gallardo Martínez et une violation de l’article 14 à l’égard des autres requérants.

9.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à : a) ouvrir une enquête impartiale, approfondie, efficace et indépendante sur les faits de torture ; b) poursuivre, juger et condamner à des peines appropriées les personnes responsables des violations commises ; c) accorder aux requérants réparation intégrale, y compris sous la forme d’une indemnisation juste et adéquate, et faire en sorte que M. Gallardo Martínez bénéficie de services de réadaptation les plus complets possible respectant la vision du monde des membres du peuple autochtone ayuujk ; d) présenter des excuses publiques aux requérants selon des modalités convenues avec eux ; e) fournir des garanties de non-répétition, notamment faire en sorte que le respect des procédures relatives à la détention et aux interrogatoires soient systématiquement contrôlé et cesser d’ériger en crime les activités de défense des droits des peuples autochtones ; f) rendre publique la décision et la diffuser largement, notamment dans un journal à grand tirage de l’État de Oaxaca. Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci‑dessus.