Nations Unies

CAT/C/72/D/916/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

8 février 2022

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 916/2019 * , **

Communication présentée par :

Y (représenté par un conseil, Rêzan Zehrê)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

21 février 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 6 mars 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

12 novembre 2021

Objet :

Expulsion vers l’Érythrée

Question(s) de procédure :

Recevabilité − épuisement des voies de recours internes

Question(s) de fond :

Risque pour la vie et risque de torture ou de mauvais traitements en cas d’expulsion vers le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3 et 16

1.1Le requérant est Y, de nationalité érythréenne, né le 5 novembre 1998. Par suite du rejet de sa demande d’asile en Suisse, il fait l’objet d’une décision de renvoi vers l’Érythrée. Il considère qu’un tel renvoi constituerait une violation par l’État partie des articles 3 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil, Rêzan Zehrê.

1.2Le 16 juin 2021, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Érythrée tant que la requête serait à l’examen. Le 23 juin 2021, l’État partie a informé le Comité qu’il avait suspendu le renvoi du requérant vers l’Érythrée.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1D’ethnie tigrinya et de confession catholique, le requérant est né à Hadish Adi, en Érythrée. Son frère a obtenu l’asile en Suisse, où il réside. Le requérant a un autre frère qui a également demandé l’asile en Suisse. Ces deux derniers ont déserté les forces armées de l’Érythrée.

2.2En janvier ou février 2014, le requérant a assisté à un cours sur le VIH, dispensé par un médecin. Comme celui-ci était pentecôtiste, il en aurait profité pour prêcher la parole de Dieu à une quinzaine d’élèves qui étaient restés à la fin du cours. Sept soldats les ont alors arrêtés et les ont fait monter à bord d’un camion. Le requérant et les autres élèves ont été placés en détention. Le requérant a passé deux mois et demi dans une ancienne base militaire située à proximité d’Ila Berid. Pendant sa détention, le requérant travaillait en journée dans un champ maraîcher de l’armée et, la nuit, il était enfermé dans un conteneur et dormait par terre, à l’instar de 24 codétenus.

2.3En mars 2014, le requérant a été interrogé par des gardes. Il a alors affirmé être de confession catholique, et ignorer que le médecin ne l’était pas. Grâce à ces affirmations et aux interventions répétées de son oncle, les autorités ont reconnu l’avoir soupçonné à tort d’être un adepte du pentecôtisme, un mouvement religieux non reconnu par l’État.

2.4Le requérant a été libéré à la fin de mars 2014. Il s’est par la suite adressé au Directeur de son école pour y être réintégré, mais celui-ci a rejeté sa demande et lui a signifié qu’il était exclu en raison de son absence injustifiée. Ne pouvant poursuivre sa scolarité, le requérant a commencé en mars 2014 à aider son oncle aux travaux agricoles.

2.5En août 2014, la mère du requérant lui a rapporté une discussion qu’elle avait eue avec l’administrateur du village ; celui-ci avait affirmé que le requérant allait devoir commencer son entraînement militaire, puisqu’il n’était plus scolarisé.

2.6Le requérant s’opposait à la politique du régime, notamment au fait de devoir servir dans l’armée pour une durée indéterminée. En octobre 2014, de crainte d’être pris dans une rafle et d’être à nouveau mis en détention, le requérant a quitté illégalement l’Érythrée. Son voyage a été financé par le produit de la vente de bétail par ses parents et par des économies de son frère, qui séjournait à Djouba.

2.7Le requérant a voyagé dans un véhicule depuis son village jusqu’à Awgaro. Il était muni d’une carte d’élève faisant office de laissez-passer. Il a ensuite traversé à pied la frontière avec le Soudan, avec trois autres personnes. Il est resté pendant cinq mois dans un camp de réfugiés géré par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à Khartoum, où il a été enregistré comme réfugié. Il a jeté sa carte d’élève avant d’entrer dans le camp, car un tiers l’avait informé que s’il la conservait sur lui, il ne serait pas accueilli comme réfugié dans un camp du Haut-Commissariat.

2.8En raison de la dureté des conditions de vie des réfugiés au Soudan, le requérant a quitté ce pays à travers le désert, vers la Libye, où il est resté trois mois. Ensuite, il a pris un bateau pour arriver en Italie, où il est resté une semaine.

2.9Le 26 mai 2015, le requérant, alors mineur non accompagné, a été interpellé à la gare de Sihlbrugg, en Suisse, alors qu’il prenait un train en provenance de Milan. Sa demande d’asile a été enregistrée le 28 mai 2015. Le 8 juin 2015, le requérant a fait l’objet d’une audition sur les données personnelles, au cours de laquelle il n’a été assisté ni par un conseil juridique ni par un mandataire d’office.

2.10Le 17 juin 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a auditionné le requérant, à nouveau sans représentant légal, en lui posant des questions sur son identité et son âge. Sa minorité a ensuite été reconnue par les autorités suisses en matière d’asile, et le requérant a été dirigé vers le canton de Fribourg, où la demande d’asile de son frère était en cours d’examen. Une curatrice a été désignée pour être la représentante légale du requérant jusqu’à sa majorité.

2.11Le 14 juillet 2016, le requérant a été auditionné sur ses motifs d’asile en présence de sa curatrice. Le 6 mars 2017, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté sa demande d’asile, estimant que le requérant, désormais majeur, n’avait pas eu de problèmes avec les autorités érythréennes entre sa libération en mars 2014 et son départ d’Érythrée, six à sept mois plus tard. Ses déclarations relatives à la discussion entre sa mère et l’administrateur du village ne seraient pas décisives, dès lors que cette discussion n’aurait pas été suivie d’une convocation officielle. En outre, le fait d’avoir appris par sa mère qu’il pourrait être recherché était insuffisant pour admettre une crainte objectivement fondée de persécution. Son départ illégal d’Érythrée ne serait pas pertinent, aucun élément ne faisant apparaître le requérant comme une personne indésirable aux yeux des autorités militaires. L’astreinte future au service ne serait pas non plus pertinente, dans la mesure où il s’agirait d’un devoir civil imposé à tout citoyen érythréen sans aucune discrimination. Estimant que les déclarations du requérant n’étaient pas pertinentes, le Secrétariat d’État s’est dispensé d’un examen « approfondi » de leur vraisemblance. De plus, le Secrétariat d’État a retenu qu’aucun élément ne ferait obstacle à un renvoi, le déclarant licite, exigible et possible.

2.12Le 7 avril 2017, le requérant a déposé un recours de la décision du Secrétariat d’État aux migrations auprès du Tribunal administratif fédéral. Le requérant a fait valoir − entre autres − que par son départ illégal, il s’était soustrait au recrutement annoncé à sa mère par l’administration locale consécutivement à son exclusion de l’école. En conséquence, il serait considéré en cas de retour comme un insoumis. De plus, deux de ses frères étaient des déserteurs. Des éléments supplémentaires s’ajouteraient donc à son départ, le faisant apparaître comme une personne indésirable aux yeux des autorités érythréennes. Il a fait aussi valoir que son départ illégal l’exposerait à son retour à des traitements prohibés, entre autres, par l’article 3 de la Convention. En outre, le service national, d’une durée indéterminée, serait assimilable à de l’esclavage ou à du travail forcé.

2.13Le 22 mai 2017, le requérant a envoyé au Tribunal administratif fédéral une copie et sa traduction d’une convocation du service de la population de Hadish Adi, datée du 5 janvier 2015, l’ayant invité à se présenter, trois jours plus tard, dans ses bureaux. Cette convocation, qui avait été délivrée à la famille du requérant après son départ, avait été trouvée par la sœur du requérant dans les affaires de leur mère, illettrée.

2.14Par courrier du 18 août 2017, le requérant a également produit les originaux de son certificat de baptême et de la convocation du 5 janvier 2015, ainsi que l’enveloppe d’envoi. Il a aussi invoqué le principe d’égalité de traitement par rapport à des affaires similaires dans lesquelles deux jeunes Érythréens que le Secrétariat d’État aux migrations avait considérés comme lui « inconnus par les autorités érythréennes » avaient été reconnus réfugiés par ladite autorité, sur reconsidération, parce qu’ils avaient atteint l’âge de servir.

2.15Le 22 novembre 2018, le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours du requérant aux motifs suivants : a) la détention arbitraire n’était pas à l’origine de la fuite du requérant d’Érythrée en septembre ou octobre 2014, ce que le requérant n’avait pas contesté ; b) l’analyse faite par le Secrétariat d’État aux migrations de l’absence, en soi, de pertinence d’un départ illégal d’Érythrée était correcte, car elle se basait sur sa nouvelle pratique instaurée en juin 2016, confirmée par le Tribunal dans son arrêt de référence D-7898/2015 du 30 janvier 2017 ; c) la convocation datée du 5 janvier 2015 n’était pas de nature à établir que le requérant était destiné à être recruté, vu qu’il n’était pas encore en âge de servir dans l’armée ; d) au vu du fait que ladite convocation n’émanait pas des autorités militaires, mais du service de la population de son domicile, on ne pouvait pas déduire que le requérant serait considéré comme un insoumis ayant violé ses obligations militaires ; e) la discussion de la mère du requérant avec un administrateur local en août 2014 n’était pas suffisante pour rendre vraisemblable l’existence d’un contact concret préalable à son départ d’Érythrée avec les autorités militaires érythréennes en vue de son recrutement ; f) aucun facteur ne faisait apparaître le requérant comme une personne indésirable aux yeux des autorités érythréennes, ce qui en conséquence ne l’exposait pas, en cas de retour, à un risque majeur de sanction en raison de son départ illégal ; g) il ne ressortait des pièces du dossier aucun élément permettant de considérer que l’autorité de première instance avait estimé à tort que l’exécution du renvoi était licite, raisonnablement exigible et possible ; h) puisque le requérant n’était pas en âge de servir au moment de son départ d’Érythrée, il n’y avait pas lieu d’admettre un risque réel, pour lui, de subir une peine d’emprisonnement pour violation d’une obligation militaire à son retour ; et i) en l’absence de circonstances particulières propres au cas d’espèce, on ne saurait admettre l’illicéité de l’exécution du renvoi d’un ressortissant érythréen astreint au service national.

2.16Le 28 novembre 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a annoncé au requérant qu’il était tenu de quitter la Suisse le 27 décembre 2018 au plus tard. Le requérant affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes et n’avoir soumis sa plainte à aucune autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient que l’État partie manquerait aux obligations que lui imposent les articles 3 et 16 de la Convention en l’expulsant vers l’Érythrée. Ayant quitté l’Érythrée d’une manière illégale et étant en âge de conscription, il serait puni, et exposé à un risque réel et imminent de subir un traitement inhumain et dégradant, qui aurait comme conséquence de mettre son intégrité physique et psychique en grave danger. En cas de renvoi, il risquerait d’être emprisonné de nouveau dans des conditions inhumaines, et de subir des actes de torture et des mauvais traitements avant d’être enrôlé de force dans l’armée.

3.2Selon le requérant, les décisions des autorités suisses seraient entachées de vices de procédure. Notamment, le Secrétariat d’État aux migrations et le Tribunal administratif fédéral ont retenu à tort qu’au vu de la pertinence manquante des motifs d’asile du requérant, ils n’étaient pas obligés d’examiner leur vraisemblance. Or, l’État partie est tenu d’entreprendre un examen approfondi de la demande d’asile du requérant, comme l’a conclu le Comité dans l’affaire M. G. c. Suisse . De plus, les autorités suisses ont refusé de prendre en compte les informations sur les départs illégaux d’Érythrée, ainsi que les faits pertinents du cas.

3.3Par ailleurs, ni le Secrétariat d’État aux migrations ni le Tribunal administratif fédéral n’ont contesté les éléments suivants : a) la nationalité du requérant ; b) le fait qu’il a atteint l’âge de servir en Érythrée ; c) la vraisemblance de ses motifs de fuite et d’asile ; d) ses déclarations quant à sa sortie illégale d’Érythrée ; et e) ses déclarations quant à son emprisonnement en Érythrée. En effet, il ressort de ses auditions que son récit est cohérent, détaillé et sans contradictions majeures. Vu que le requérant a disparu et est parti sans aucune autorisation, s’absentant du pays pendant plus de quatre ans, il serait interpellé et interrogé par les autorités érythréennes en cas de retour au pays. Il est évident que la convocation reçue par le requérant concernait son enrôlement dans l’armée, l’âge de recrutement officiel étant fixé à 18 ans.

3.4En ce qui concerne la vraisemblance de son départ illégal, dans la pratique, depuis de nombreuses années, l’autorisation de partir d’Érythrée est uniquement donnée à un très petit nombre de personnes, considérées comme loyales au régime et en échange d’une importante somme d’argent. Un passeport valide, un visa de sortie et un certificat de santé international sont nécessaires pour quitter l’Érythrée légalement. En raison des restrictions applicables à l’émission de visas de sortie, les citoyens érythréens ordinaires rencontrent généralement de grandes difficultés à quitter le pays légalement. Pour ces raisons, les déserteurs et les insoumis comme le requérant, qui n’a jamais possédé de passeport et ne remplissait pas les critères pour obtenir un visa de sortie, ont tendance à quitter le pays illégalement en passant par le Soudan ou l’Éthiopie.

3.5Dans sa décision en l’affaire M. G. c. Suisse, le Comité citait le rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée daté de 2018, en relevant, entre autres, que la torture et d’autres actes inhumains continuaient à être commis en Érythrée, notamment dans le cadre du service national. Le Comité avait conclu qu’un renvoi en Érythrée du requérant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

3.6L’affirmation du Tribunal administratif fédéral selon laquelle un risque majeur de sanction en cas de retour ne peut désormais être admis qu’en présence de « facteurs supplémentaires » à la sortie illégale n’a aucun fondement. Selon le requérant, il serait puni pour avoir quitté l’Érythrée sans autorisation expresse des autorités. De plus, il est déjà connu par les autorités locales qui l’ont convoqué. Il ne s’est pas présenté, ce qui soulève un doute sur sa soumission ou le rend suspect d’insoumission. Le requérant, étant en âge de servir sous les drapeaux et au vu de son départ non autorisé d’Érythrée, serait considéré comme « insoumis » par le Gouvernement érythréen et, dès lors, comme un ennemi de la patrie.

3.7Par ailleurs, le requérant conteste les conclusions de l’arrêt de référence D-7898/2015 du Tribunal administratif fédéral, sur lequel ledit tribunal se base dans son arrêt E-2076/2017 du 22 novembre 2018, confirmant le renvoi du requérant dans son pays d’origine. Jusqu’à cet arrêt de référence, le Tribunal appréhendait la question de l’illégalité de la sortie d’Érythrée de la même manière que l’avait fait la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M. O. c. Suisse, en considérant que la sortie illégale d’une personne approchant ou ayant atteint l’âge de servir entraînait une persécution politiquement motivée en cas de retour.

3.8Or, avec sa nouvelle jurisprudence, le Tribunal administratif fédéral a changé son point de vue sur la question de la punition d’un ressortissant érythréen approchant ou ayant atteint l’âge de servir par suite de son départ illégal, en donnant plus de crédit à des sources d’information peu claires, non fiables et non objectives qu’à celles d’organisations internationales établies. Ainsi, les autorités suisses n’ont pas respecté les critères de qualité établis par la Cour européenne des droits de l’homme, qui sont essentiels pour le processus de décision, et n’ont pas consulté, en plus des informations dont dispose l’autorité compétente en matière d’asile, d’autres sources, notamment celles issues d’organisations non gouvernementales ou d’organismes des Nations Unies. L’État partie s’est contenté d’examiner des informations issues de sources dont il n’a pas étudié l’autorité et la réputation, et s’est basé sur ces informations sans vérifier si elles étaient compatibles avec d’autres informations disponibles. Le départ illégal d’un ressortissant approchant ou ayant atteint l’âge de servir est toujours considéré comme un crime contre la nation et est puni de manière disproportionnée par le régime érythréen.

3.9En outre, le requérant risque d’être forcé à un service militaire à durée indéterminée, ce qui équivaut à une soumission à un travail forcé contraire à ses droits fondamentaux. Le service national est illimité dans le temps depuis 2002, et la torture est une pratique très répandue dans le cadre du service national érythréen.

3.10Le Tribunal administratif fédéral, se basant sur son arrêt de référence E-5022/2017 du 10 juillet 2018, retient que l’exécution du renvoi n’est illicite qu’en cas de risque réel d’une violation flagrante de l’article 4 (par. 2) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Or, le travail forcé constitue en soi un mauvais traitement, que son application soit flagrante ou non, et le service national érythréen doit même être considéré comme une forme d’esclavage.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans ses observations du 28 août 2019, l’État partie fournit des informations détaillées sur les procédures d’asile et le traitement des demandes d’asile des ressortissants érythréens en Suisse. Ensuite, l’État partie considère que la requête doit être rejetée sur le fond. En mai 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a établi le rapport « Érythrée − étude de pays », regroupant l’ensemble des informations concernant la situation en Érythrée. Ce rapport a été validé par quatre autorités partenaires, un expert scientifique et le Bureau européen d’appui en matière d’asile. En février et mars 2016, le Secrétariat d’État a effectué une mission sur place afin de réexaminer, d’approfondir et de compléter ces informations, en y incluant d’autres sources parues entre-temps. Sur la base de toutes ces informations, il a publié une actualisation le 10 août 2016. Dans des rapports publiés entre décembre 2015 et août 2016, plusieurs autorités nationales − telles que celles de Suède et de Norvège, ou encore le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni − sont parvenues à des conclusions similaires.

4.2Dans trois arrêts de référence récents concernant l’Érythrée, le Tribunal administratif fédéral s’est penché sur les limitations spécifiques relatives aux sources d’information sur la situation en Érythrée. Dans l’arrêt E-5022/2017, le Tribunal traite également sur deux pages et demie des aspects critiques de certaines catégories de sources importantes concernant l’Érythrée et indique qu’il existe certaines réserves méthodologiques en ce qui concerne toutes les sources. Dans le même arrêt, le Tribunal a tenu compte des informations disponibles sur l’Érythrée de manière conforme aux normes de qualité et aux méthodes scientifiques entérinées par les autorités de l’Union européenne et des États membres compétentes en matière de migrations, spécialement en matière d’asile et de renvoi. Tout en étant conscient des difficultés inhérentes à la recherche d’informations sur l’Érythrée, il a pris en considération non seulement les faits rapportés par des organisations internationales de défense des droits humains, dont certains datent quelque peu, mais aussi ceux rapportés plus récemment par des journalistes étrangers et des spécialistes d’autorités européennes dans le cadre de missions sur place de collecte d’informations. Le Tribunal a donc examiné, de manière très détaillée et sur plusieurs dizaines de pages, la situation en Érythrée en s’inspirant de très nombreuses sources. Il y a minutieusement évalué les informations, rapports et arguments contenus dans ces sources. Dans les affaires récentes qui concernent l’Érythrée, le Tribunal a maintenu ses constatations. C’est la raison pour laquelle l’État partie renvoie à ces arrêts pour l’examen de la présente affaire.

4.3Selon les autorités suisses en matière de migration, si l’examen d’un cas individuel révèle que la punition sert non seulement à faire respecter ses obligations militaires à l’intéressé, mais aussi à considérer celui-ci comme un opposant politique qui sera sanctionné de manière disproportionnée et traité de façon inhumaine, il y a persécution pertinente au regard du droit des réfugiés.

4.4Le Tribunal administratif fédéral a constaté que le refus de servir et la désertion étaient sévèrement punis en Érythrée. La sanction infligée s’accompagne en général d’une incarcération dans des conditions inhumaines, et souvent de tortures, dans la mesure où la désertion et le refus de servir sont considérés comme une manifestation d’opposition au régime. En tant que telle, cette sanction revêt le caractère d’une persécution et la crainte fondée d’y être exposé entraîne la reconnaissance de la qualité de réfugié. Une telle crainte n’est cependant fondée que si la personne en cause a déjà été concrètement en contact avec l’autorité militaire ou avec une autre autorité, dans la mesure où ce contact laissait présager un prochain recrutement (par exemple, à la suite de la réception d’une convocation de l’armée). La seule possibilité qu’une convocation puisse lui être adressée dans un avenir plus ou moins proche n’est pas suffisante. De plus, le seul fait de devoir éventuellement accomplir le service militaire n’est pas déterminant.

4.5La question de savoir si un enrôlement éventuel au service national après le retour du requérant en Érythrée constituerait un traitement prohibé par le droit international relève de l’examen relatif à l’illicéité, respectivement à l’inexigibilité de l’exécution du renvoi. L’exécution d’un renvoi est illicite lorsque la Suisse, pour des raisons de droit international public, ne peut contraindre un étranger à se rendre dans un pays donné ou qu’aucun autre État, respectant le principe du non-refoulement, ne se déclare prêt à l’accueillir. Selon la loi interne, l’exécution d’une décision de renvoi est inexigible si le renvoi ou l’expulsion de l’étranger dans son pays d’origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale.

4.6Depuis juin 2016, le Secrétariat d’État aux migrations considère que le seul fait d’avoir quitté l’Érythrée de manière illégale n’expose pas la personne concernée, en cas de retour dans son pays, à une persécution déterminante. Aussi, les ressortissants érythréens qui n’ont pas encore été convoqués pour accomplir leur service militaire national, en sont exemptés ou en ont été libérés ne sont-ils plus reconnus comme réfugiés pour cette seule raison. Le Secrétariat d’État continue toutefois d’examiner soigneusement chaque demande d’asile. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé et explicité cette pratique dans ses arrêts de référence susmentionnés.

4.7Dans son arrêt de référence D-7898/2015 du 30 janvier 2017, le Tribunal administratif fédéral a examiné à quel point les Érythréens qui avaient quitté leur pays illégalement devaient craindre des mesures de persécution, pour ce motif, en cas de retour. Le Tribunal a résumé ses constatations dans son arrêt E-1218/2019 du 16 avril 2019. Au terme d’une analyse approfondie des informations disponibles, il est arrivé à la conclusion que la pratique selon laquelle la sortie illégale d’Érythrée justifiait en soi la reconnaissance de la qualité de réfugié ne pouvait pas être maintenue. Cette appréciation repose essentiellement sur le constat que des membres de la diaspora, parmi lesquels se trouvent également des personnes qui ont quitté illégalement leur pays, retournent en Érythrée, pour de brefs séjours, sans subir de préjudices. Dès lors, les personnes sorties sans autorisation d’Érythrée ne peuvent plus être considérées, de manière générale, comme exposées à une peine sévère pour un motif pertinent en matière d’asile.

4.8Dans le cas d’espèce, le renvoi du requérant ne serait pas inexigible. L’Érythrée ne connaît pas une situation de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée qui permettrait d’emblée − et indépendamment des circonstances du cas d’espèce − de présumer, à propos de tous les ressortissants du pays, l’existence d’une mise en danger concrète. En outre, les conditions de vie s’y sont améliorées, bien que la situation économique reste difficile ; l’état des ressources médicales, l’accès à l’eau et à la nourriture ainsi que les conditions de formation se sont stabilisés. Les transferts d’argent importants effectués par la diaspora profitent d’ailleurs à une grande partie de la population. L’accord de paix signé avec l’Éthiopie le 9 juillet 2018 a mis fin au conflit entre les deux pays. Dans ce contexte, l’exécution du renvoi ne cesse d’être exigible qu’en présence de circonstances personnelles particulières, de nature à mettre en péril la capacité de survie de la personne renvoyée ; cette exécution ne requiert plus, comme le prévoyait la jurisprudence antérieure, des circonstances individuelles spécialement favorables. Le risque d’être incorporé dans le service national ne peut être considéré en soi comme un obstacle à l’exécution du renvoi.

4.9Par ailleurs, le renvoi du requérant ne serait pas illicite. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, le requérant qui indique avoir quitté son pays par crainte d’être convoqué dans le futur au service national doit en outre établir la forte probabilité qu’il soit visé personnellement − et non pas simplement du fait d’un hasard malheureux − par des mesures incompatibles avec le droit international pertinent. Dans son arrêt de référence E‑5022/2017, le Tribunal s’est penché sur la question de la licéité de l’exécution du renvoi vers l’Érythrée, en cas de retour volontaire, dans le cas où existe un risque d’incorporation dans le service national militaire ou civil. Pour ce faire, il a tenu compte des objectifs du service, du système de recrutement, de la durée des obligations, du cercle des personnes intéressées et des conditions qui caractérisent ce service. Le Tribunal a reconnu qu’il ressortait des nombreuses sources d’information consultées que tous les ressortissants érythréens, hommes et femmes, étaient astreints au service national. Selon ses connaissances, le recrutement pour le service national s’effectue généralement par l’intermédiaire du système scolaire. Tous les élèves sont affectés au centre national d’entraînement militaire de Sawa pour la douzième année scolaire, où ils reçoivent une formation militaire, terminent leurs études et passent leur examen final. Ceux qui ne fréquentent plus l’école à ce moment‑là peuvent être envoyés directement au service national par l’autorité administrative locale, dès l’âge de 18 ans. La formation de base à accomplir dans ce cadre peut durer jusqu’à six mois avant que les intéressés soient incorporés dans le service militaire ou le service civil, pour une durée pouvant varier entre cinq et dix ans. Le Tribunal a également admis que les conditions de vie étaient pénibles, aussi bien durant la formation de base que pendant le service national, et que les sources consultées faisaient notamment mention de mauvais traitements et d’abus sexuels. Il a ainsi constaté que les soldats étaient exposés, durant leur formation militaire, à l’arbitraire de leurs supérieurs, qui punissaient sévèrement les manifestations d’indiscipline, les opinions divergentes et les tentatives de fuite. Cette situation arbitraire prévaut également durant l’accomplissement du service militaire ; les mêmes abus peuvent être constatés, sans pour autant qu’ils puissent être tenus pour généralisés. S’agissant du service civil, il est très peu rémunéré ; ceux qui y sont incorporés ont peine à couvrir leurs besoins avec la solde versée.

4.10Cela étant, le Tribunal administratif fédéral ne considère pas que les mauvais traitements et atteintes infligés aux militaires incorporés sont à ce point généralisés que chacun et chacune d’entre eux risquent concrètement et sérieusement de se voir infliger de tels sévices. L’existence d’un danger sérieux, du fait de l’accomplissement du service national, d’être exposé à du travail forcé ou obligatoire ne peut ainsi être retenue ; il en va de même du risque d’être soumis à un traitement inhumain ou dégradant. De plus, la différenciation entre service militaire accompli dans l’armée et service militaire exercé pour un employeur civil ou une administration civile est importante à plusieurs égards : a) les conditions d’incorporation à l’un ou à l’autre de même que de libération du service diffèrent, en cela que les moins qualifiés et les plus récalcitrants ont tendance à être versés préalablement au service strictement militaire ; b) les chances d’être affecté dans un secteur civil sont notablement plus importantes, dès lors que la grande majorité des personnes y accomplissent leur service national, dans le cadre de l’économie d’État planifiée ; et c) les sanctions pour insoumission sont en règle générale moins coercitives et moins dures dans le secteur civil. On ne saurait donc procéder à des généralisations, d’autant moins que les informations à disposition sur les statistiques et pratiques en vigueur en matière de service national sont lacunaires.

4.11Le requérant critique le fait que, selon le Tribunal administratif fédéral, le service national en Érythrée doit être considéré comme un travail forcé et non comme un esclavage. Dans son arrêt de référence E-5022/2017, se basant sur les sources disponibles, le Tribunal a retenu qu’il ne pouvait présumer qu’il existait une condition permanente en matière de servitude au sens du droit international. En revanche, dans la mesure où ce service, mal rémunéré, est sans durée préalablement déterminée et peut se prolonger sur cinq à dix ans, il ne constitue pas une obligation civique normale ; il représente une charge disproportionnée et se trouve susceptible d’être qualifié de travail forcé. Cette qualification correspond, par ailleurs, à l’approche du Conseil des droits de l’homme qui, dans sa résolution 38/15 adoptée le 6 juillet 2018, n’a pas fait référence à l’esclavage lorsqu’il s’est référé au rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée. En outre, le Comité des droits de l’homme n’a pas non plus fait référence à l’esclavage dans le contexte du service national.

4.12De plus, le requérant n’a pas apporté d’élément nouveau qui le concerne spécifiquement et qui permettrait d’inférer un risque de traitement prohibé d’un accomplissement potentiel du service militaire. En réalité, il cherche à obtenir une nouvelle analyse de la situation en Érythrée qui lui serait favorable, sans pour autant apporter des arguments décisifs en lien avec sa situation personnelle. Enfin, comme il est mentionné ci‑dessus, le requérant ne peut pas être considéré comme une personne réfractaire à l’armée.

4.13Il ressort des décisions des autorités internes que le requérant a eu un examen approfondi de sa demande d’asile. Le requérant ne démontre toutefois aucunement en quoi son droit à un recours utile contre la décision d’exécution du renvoi aurait été violé.

4.14Le requérant allègue à plusieurs reprises qu’il risque d’être renvoyé en Érythrée sous la contrainte. Cependant, la Suisse ne pratique plus de renvoi forcé de ressortissants érythréens vers l’Érythrée depuis l’indépendance de ce pays, pour la simple raison que l’Érythrée n’accepte pas de telles mesures à l’égard de ses propres ressortissants séjournant de facto en Suisse. Du fait que le renvoi forcé du requérant n’est pas possible, l’examen de l’affaire se concentre uniquement sur les risques courus par le requérant s’il obtempérait volontairement à son obligation de retour.

4.15En ce qui concerne le retour dit « volontaire », celui-ci requiert que le requérant accepte de se présenter auprès d’une représentation consulaire de l’Érythrée à l’étranger en vue de la délivrance d’un passeport ou d’un laissez-passer. En effet, comme il a déclaré être dépourvu de documents nationaux de voyage, il ne saurait sans de tels documents monter à bord d’un avion pour quitter la Suisse à destination de l’Érythrée ni entrer sans visa par la frontière terrestre dans un État voisin de la Suisse, au risque de se voir appliquer le Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin III), valant également pour la Suisse. En s’adressant à une représentation consulaire érythréenne, le requérant a les moyens, sinon d’obtenir des assurances pour son retour au pays, du moins de les négocier, puis, en cas d’échec, de renoncer à retourner volontairement chez lui.

4.16Au vu des conclusions auxquelles est arrivé le Tribunal administratif fédéral à la suite d’une analyse circonstanciée du service national érythréen, l’éventualité pour le requérant d’être appelé à effectuer le service militaire national à son retour en Érythrée ne contrevient ni à l’article 3 ni à l’article 16 de la Convention.

4.17L’État partie ne conteste pas l’illégalité du départ du requérant d’Érythrée. Cependant, c’est le profil de la personne concernée plutôt que les circonstances de son départ d’Érythrée qui intéresse les autorités érythréennes. S’agissant des Érythréens mineurs ayant quitté leur pays avant d’avoir atteint l’âge ordinaire de servir, les sources sont lacunaires, voire contradictoires. Concernant les mineurs qui retournent après coup au pays, il n’est pas exclu qu’ils soient exemptés de sanctions pour sortie illégale du pays, cela est même probable, surtout s’ils y retournent volontairement. Le requérant n’a pas un profil personnel susceptible d’attirer négativement l’attention des autorités érythréennes, dès lors que : a) il est de religion catholique, laquelle est autorisée en Érythrée ; b) il a été libéré de toute charge à la fin mars 2014, les autorités ayant admis leur méprise quant à ses croyances religieuses ; et c) il n’a pas rendu vraisemblable l’affirmation selon laquelle il aurait violé ses obligations militaires préalablement à son départ illégal. De plus, les sources disponibles indiquent que les Érythréens séjournant à l’étranger depuis trois ans ont la possibilité de régler leur statut de membre de la diaspora auprès des autorités érythréennes en payant la taxe de la diaspora et, pour les personnes qui ont enfreint leurs obligations relatives au service national, en signant une lettre de regrets. Ces personnes peuvent alors retourner en Érythrée et y séjourner provisoirement sous ce statut, sans risquer d’être exposées à des sanctions en raison de leur seul départ illégal d’Érythrée. En règle générale, après un séjour ininterrompu en Érythrée d’un à trois ans maximum, ces personnes perdent leur statut de membre de la diaspora et sont à nouveau soumises aux obligations du service national, ainsi qu’à celles relatives à la sortie du pays.

4.18Il n’y a guère d’informations actuelles, précises et fondées sur des faits quant au traitement par les autorités érythréennes des personnes qui retournent en Érythrée après un départ illégal. De plus, les sources ne distinguent parfois pas explicitement le retour volontaire du renvoi forcé. En outre, la situation a évolué en Érythrée, depuis la signature en 2018 d’une déclaration de paix et d’un accord sur la paix entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Cet accord a conduit à l’ouverture de trois frontières terrestres en septembre 2018, et d’une quatrième le 7 janvier 2019. Un journaliste a rapporté en octobre 2018 comment la situation à la frontière avait changé et comment des dizaines de milliers de ressortissants érythréens avaient quitté le pays sans passeport et sans autorisation de sortie. Comme il n’y a aucune information à ce sujet, il semble que les autorités érythréennes n’ont pas empêché le passage de la frontière en direction de l’Éthiopie de personnes soumises à autorisation de sortie. Bien qu’elles s’efforcent de mettre en place des structures de contrôle aux frontières plus efficaces et de réintroduire une obligation de visa de sortie, il semble qu’actuellement, au poste de frontière d’Omhajer-Humera, les passages de la frontière sans un tel visa soient encore tolérés.

4.19La convocation du 5 janvier 2015 n’est pas de nature à établir que le requérant était destiné à être recruté, indépendamment de l’authenticité de la pièce. Le requérant n’explique pas en quoi il serait évident que cette convocation de l’autorité administrative de la localité de Hadish Adi − et non pas de l’armée − concernait son enrôlement dans l’armée, alors même que celle-ci ne mentionnait pas le but de sa délivrance. De plus, au moment de cette dernière, le requérant était âgé de 16 ans, et ce, même si l’on admet qu’il est né en mai 1998. Il n’était donc pas en âge de servir ni suffisamment proche de cet âge. L’extrait du rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile cité par le requérant mentionne que les jeunes gens ayant dû arrêter l’école avant leur douzième année peuvent être directement conscrits par l’administration locale, lorsqu’ils atteignent l’âge de 18 ans. La convocation a également été remise à la famille du requérant plus de trois mois après la date alléguée de son départ illégal. En outre, le requérant a déclaré devant le Secrétariat d’État aux migrations qu’il n’avait pas été convoqué au service militaire et qu’il avait peur d’être recruté de force dans le cadre d’une rafle (giffa). Par ailleurs, il n’y a pas de sources d’information fiables et convergentes qui permettraient d’admettre qu’à l’époque considérée, les autorités administratives locales érythréennes avaient pour pratique de convoquer dans leurs bureaux des mineurs en rupture scolaire, actifs aux travaux agricoles auprès de leur famille, et pouvant rendre vraisemblable leur année de naissance, afin de les contraindre à effectuer le service militaire nonobstant leur minorité. Partant, il n’y a actuellement pas de raison sérieuse de penser qu’en cas de retour volontaire en Érythrée, le requérant serait considéré comme ayant violé ses obligations militaires préalablement à son départ illégal et qu’il serait sanctionné pour ce motif.

4.20Le requérant ne prétend pas avoir été torturé ou maltraité dans son pays d’origine. En outre, sa détention n’était pas à l’origine de sa fuite d’Érythrée. Le requérant ne prétend pas avoir exercé des activités politiques à l’intérieur ou hors de l’Érythrée. Il n’a jamais exercé une quelconque activité d’opposition au régime érythréen. À cela s’ajoute que le requérant a remis la convocation du 5 janvier 2015 seulement dans le cadre de la procédure de recours, c’est-à-dire deux ans après sa délivrance, sans avoir mentionné son existence même auparavant.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans ses commentaires datés du 30 janvier 2020, le requérant réitère et développe ses arguments, et conteste certaines des appréciations de l’État partie. Il maintient qu’il n’existe aucune garantie que les personnes sorties illégalement d’Érythrée puissent retourner en sécurité dans leur pays. Peu d’informations fiables sont disponibles au sujet de l’attitude des autorités érythréennes envers les Érythréens renvoyés sous la contrainte. Le Secrétariat d’État aux migrations admet lui-même dans son rapport qu’il n’y a pas de sécurité juridique dans ce contexte. Toutefois, celui-ci a modifié sa pratique en juin 2016 concernant le départ illégal d’Érythrée, sur la base de ce rapport, en estimant qu’un tel départ n’était plus à lui seul constitutif d’un risque de persécution. En l’espèce, dans son processus de prise de décisions, le Secrétariat d’État a accordé beaucoup plus de poids aux informations des autorités érythréennes et aux sources diplomatiques internationales qu’à celles des organisations non gouvernementales et des organisations internationales. De plus, les indications à propos des sources citées provenant du régime érythréen et des sources diplomatiques internationales sont vagues. Les sources sur lesquelles repose le changement de pratique du Secrétariat d’État et du Tribunal administratif fédéral sont extrêmement faibles et souvent citées hors contexte. Au vu de ce qui précède, les informations utilisées par le Secrétariat d’État ne peuvent être considérées comme suffisamment fondées pour justifier un changement dans sa pratique.

5.2La question du retour volontaire du requérant n’est pas pertinente. Le requérant refuse catégoriquement de se soumettre à l’obligation de servir sous les drapeaux d’Érythrée, refus qui entraînera des sanctions d’emprisonnement et des mauvais traitements. L’absence de possibilité du refus de servir pour des motifs de conscience fonde le besoin de protection internationale, lorsque la personne concernée serait exposée à des conditions inhumaines en accomplissant le service militaire. De plus, le requérant s’oppose à signer une lettre de regrets et à payer l’impôt de 2 % afin de bénéficier du statut privilégié dit de « membre de la diaspora ». Il est très problématique que les autorités suisses l’astreignent à signer une lettre de repentance par laquelle il reconnaît avoir commis un délit en quittant l’Érythrée. Ce faisant, il accepterait toute sanction qui lui serait imposée. En outre, la signature de la lettre de regrets ne constitue pas un élément suffisant pour admettre que ce procédé permettrait d’échapper à toute condamnation ; une telle signature s’assimilerait plutôt à un aveu de culpabilité. Par ailleurs, aucune source indépendante ne confirme que les Érythréens ayant payé l’impôt exigé des membres de la diaspora n’étaient plus en danger en cas de retour.

5.3Dans trois autres cas, le Secrétariat d’État aux migrations a reconnu la qualité de réfugié à des ressortissants érythréens ayant quitté le pays illégalement et étant tous les trois en âge de servir dans l’armée érythréenne. Le requérant cite plusieurs rapports à l’appui de son argument selon lequel la situation des droits humains en Érythrée ne s’est pas améliorée. Les développements positifs relevés par le Tribunal administratif fédéral se basent uniquement sur des données provenant du régime érythréen.

5.4Même si les autorités suisses affirment ne pas pratiquer de renvoi forcé des Érythréens, elles mettent néanmoins ceux-ci dans des situations de vie catastrophiques, s’apparentant clairement à des mauvais traitements au sens des articles 3 et 16 de la Convention. Le requérant n’a droit qu’à une aide d’urgence de 10 francs suisses par jour, dans le canton de Fribourg. Il a été privé de son livret pour étrangers, valable six mois et renouvelable, par lequel il pouvait justifier son identité lors d’un contrôle des forces de l’ordre. Il est donc privé d’un document de légitimation et se trouve contraint dans sa liberté de circulation. Le requérant se trouve dans une situation de détresse personnelle d’extrême gravité.

5.5Le requérant a produit la version originale de la convocation établie par les autorités administratives érythréennes. Il incombe à l’État partie de vérifier l’authenticité de ce document auprès des autorités érythréennes, s’il remet celle-ci en question. L’État partie n’explique aucunement sur quel élément il se fonde afin de minimiser la valeur probante de la convocation produite. L’État partie lui-même admet qu’il n’y a pas de sources d’information fiables et convergentes concernant la pratique de recrutement des autorités administratives locales érythréennes.

5.6Selon la loi érythréenne, tout citoyen érythréen, quel que soit son sexe, a l’obligation de servir dans l’armée entre 18 et 50 ans. Dès lors, en cas de renvoi en Érythrée, le requérant serait obligé de servir dans l’armée pour une durée indéfinie, au moins jusqu’à l’âge de 50 ans. Il est par conséquent hautement vraisemblable qu’en cas de retour, le requérant soit sanctionné puis contraint d’effectuer le service militaire, assimilé à une forme d’esclavage et de travaux forcés, de durée indéterminée, ce qui constitue une violation de ses droits fondamentaux. De tels devoirs imposés à une population dépassent largement le cadre de simples « obligations civiques normales » et se révèlent, au contraire, des contraintes répressives visant à contrôler la population afin que celle-ci se soumette en réalité à l’exécution de travaux profitant à une minorité au pouvoir dans le pays − par exemple, des sociétés étrangères d’exploitation ou des cadres de l’appareil militaire.

5.7Le requérant serait persécuté en cas de retour en Érythrée, car ses deux frères se trouvant en Suisse ont déserté l’armée érythréenne. De ce fait, il est fort probable que sa famille soit sous une surveillance étroite des autorités érythréennes. En cas de renvoi, le requérant serait certainement mis sous pression en raison de la désertion de ses deux frères.

5.8Le requérant déclare ne pas être politiquement actif en ce moment. Cependant, il a participé à plusieurs manifestations organisées en Suisse contre le Gouvernement érythréen.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Dans ses observations complémentaires du 19 mars 2020, l’État partie maintient sa position. Les rapports les plus récents ne justifient pas de changement de la pratique en matière d’asile et de renvoi en Érythrée. Parmi ces rapports figurent celui du Bureau européen d’appui en matière d’asile, daté de septembre 2019, celui du Service de l’immigration danois, de janvier 2020, et celui du Département fédéral de justice et police, de novembre 2019, en réponse à une lettre du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme du 19 juin 2019.

6.2Tandis que le requérant allègue que son retour en Érythrée serait involontaire, pour l’État partie, la question pertinente est de savoir si un « renvoi accompagné de mesures de contrainte » est possible ou non. À ce sujet, la responsabilité de la sécurité d’un avion échoit au seul commandant de bord, qui peut refuser le transport de toute personne qui exprimerait son opposition au renvoi dans son pays et le faire débarquer sans devoir le justifier. Par conséquent, aucune mesure d’exécution d’un renvoi − que l’intéressé soit volontaire ou non lors des préparatifs du départ − ne peut avoir lieu si, au dernier moment, l’intéressé refuse de se rendre à l’aéroport, de monter dans l’avion ou de rester à bord de celui-ci. Les renvois avec mesures de contrainte (escorte policière) ne sont pas non plus envisageables en l’absence d’accord de réadmission entre la Suisse et l’Érythrée. Par conséquent, si le requérant refuse d’entreprendre les démarches idoines auprès d’une représentation diplomatique ou consulaire érythréenne en vue d’un retour au pays, les autorités suisses ne peuvent qu’en prendre acte. Elles ne disposent d’aucune possibilité de contrôler ces démarches du requérant.

6.3L’État partie conteste la recevabilité de certains griefs du requérant. Ce dernier n’a jusqu’à présent jamais allégué que les conditions de vie ainsi que son traitement en Suisse constitueraient une violation des articles 3 et 16 de la Convention. Les personnes contraintes de quitter la Suisse reçoivent tout ce qui est matériellement indispensable à une existence digne d’un être humain. De plus, le requérant n’a invoqué, ni dans son recours devant le Tribunal administratif fédéral ni dans ses commentaires adressés au Comité, aucune persécution réfléchie. Devant le Tribunal, il a allégué qu’il se verrait considéré comme persona non grata en Érythrée en raison du fait que ses deux frères étaient déserteurs, et qu’il n’y aurait aucune garantie qu’il ait un soutien de la part de sa famille. Par conséquent, les griefs du requérant en ce qui concerne le traitement en Suisse et la persécution réfléchie sont irrecevables pour non-épuisement des voies de recours et pour défaut manifeste de fondement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il observe que le requérant n’a pas soulevé devant les autorités suisses ses allégations selon lesquelles les conditions de vie ainsi que son traitement en Suisse constitueraient une violation des articles 3 et 16 de la Convention. Par conséquent, le Comité déclare cet aspect de la communication irrecevable en vertu de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention.

7.3Le Comité observe que, selon l’État partie, le requérant n’a pas non plus invoqué devant les autorités suisses un risque de persécution réfléchie en cas de retour en Érythrée, et a allégué devant le Tribunal administratif fédéral qu’il serait considéré comme persona non grata en Érythrée en raison du fait que ses deux frères avaient déserté l’armée, et que ses parents ne seraient pas en mesure de le soutenir. Le Comité observe que lors de son audition devant le Secrétariat d’État aux migrations le 8 juin 2015, quand les autorités migratoires lui ont demandé le motif de sa demande d’asile, le requérant a dit qu’il avait été arrêté et emprisonné en 2014, qu’on lui avait refusé la possibilité de continuer sa scolarité, et qu’il avait eu peur d’être pris dans une rafle. Lors de son audition du 14 juillet 2016, le requérant a indiqué qu’il avait quitté l’Érythrée parce qu’il avait été expulsé de l’école ; qu’il ne voulait pas devenir soldat et le rester toute sa vie ; qu’il y avait souvent des rafles, pendant lesquelles il se cachait ; qu’il n’était jamais libre et avait quitté l’Érythrée parce qu’il ne voulait pas être pris dans une rafle ; et qu’en cas de retour en Érythrée, il serait emprisonné. Le Comité observe que dans le contexte de son recours, le requérant a fait parvenir au Tribunal administratif fédéral la convocation du 5 janvier 2015, qui aurait été délivrée à sa famille par les autorités érythréennes après son départ. Compte tenu de ces éléments, le Comité considère que le requérant a épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne son argument selon lequel il serait exposé à un risque de torture en raison de la possibilité de son enrôlement forcé au service militaire en Érythrée, ou en raison de son départ illégal d’Érythrée. Par conséquent, le Comité considère que l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ne constitue pas un obstacle à l’examen de cet aspect de la communication.

7.4Le Comité considère que les autres griefs du requérant tirés des articles 3 et 16 de la Convention sont suffisamment fondés aux fins de la recevabilité, les déclare ainsi recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Dans le cas présent, le Comité doit d’abord déterminer si, en renvoyant le requérant en Érythrée, l’État partie manquerait à l’obligation mise à sa charge par l’article 3 de la Convention. Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle : a) l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination ; et b) le Comité a pour pratique de considérer qu’il existe des « motifs sérieux » chaque fois que le risque est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Il rappelle également que la charge de la preuve incombe à l’auteur de la communication qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments circonstanciés montrant que le risque d’être soumis à la torture est prévisible, actuel, personnel et réel. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans une situation où il ne peut pas donner de détails sur son cas, la charge de la preuve est renversée et il appartient à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les informations sur lesquelles la communication est fondée. Le Comité accorde un poids considérable aux conclusions des organes de l’État partie ; toutefois, il n’est pas lié par ces conclusions et il apprécie librement les informations qui lui sont soumises conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cause.

8.3Le Comité note les affirmations du requérant selon lesquelles il aurait été détenu par des militaires pendant deux mois et demi en 2014, ayant été soupçonné d’être un adepte du pentecôtisme alors qu’il est de confession catholique, et qu’il aurait quitté l’Érythrée illégalement. Le Comité note aussi que l’administrateur de son village aurait informé la mère du requérant que celui-ci allait devoir commencer son entraînement militaire, parce qu’il n’était plus scolarisé, et qu’il aurait été convoqué au service de la population après son départ d’Érythrée. Le Comité observe que selon l’État partie, rien n’indique qu’il existe des motifs sérieux de craindre que le requérant serait exposé concrètement et personnellement à la torture en cas de retour en Érythrée.

8.4Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel les autorités suisses en matière d’asile n’ont pas examiné de manière approfondie ses arguments, les faits pertinents et les informations actuelles sur la situation des droits humains en Érythrée. Il rappelle que le droit à un recours utile que contient l’article 3 de la Convention exige, dans ce contexte, qu’il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d’expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l’on est en présence d’une allégation plausible mettant en cause le respect dudit article 3. Le Comité note que le requérant conteste les conclusions de fait tirées par les autorités suisses. Cependant, ayant examiné le raisonnement détaillé sur lequel sont fondées les décisions d’asile, le Comité considère que les informations disponibles ne lui permettent pas de conclure que le déroulement de la procédure d’asile représente une violation par l’État partie de l’obligation aux fins de l’article 3 de la Convention d’assurer un examen effectif, indépendant et impartial.

8.5Ensuite, afin de déterminer si le requérant risque de subir des tortures en cas de renvoi en Érythrée, le Comité se réfère à des rapports récents sur la situation des droits humains en Érythrée, tout en notant que les rapports cités ci-dessous ont été publiés après l’émission des décisions des autorités suisses sur la demande d’asile du requérant. Selon un rapport de 2019 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée, en dépit de l’accord de paix signé par l’Érythrée et l’Éthiopie en 2018, la situation des droits humains en Érythrée restait préoccupante puisque, entre autres, la durée du service militaire et national restait indéterminée, les conscrits pouvaient faire l’objet de mauvais traitements et d’abus, le fait de se soustraire à la conscription militaire pouvait mener à l’arrestation et à la détention, et l’obligation d’obtenir un visa de sortie pour se rendre à l’étranger avait été rétablie. Toujours selon ce rapport, le Gouvernement érythréen avait indiqué en mars 2019 qu’il commencerait à réformer le service militaire dans l’avenir, lorsqu’il aurait suffisamment de ressources pour créer des emplois pour les conscrits. Un rapport de 2019 de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch ainsi qu’un rapport de 2020 de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme en Érythrée indiquent que ces réformes n’ont pas encore eu lieu.

8.6De plus, le Comité prend acte des constatations du Secrétariat d’État aux migrations, qui a rédigé le rapport publié par le Bureau européen d’appui en matière d’asile en septembre 2019. Selon ce rapport, en Érythrée, le service national comprenait des volets militaire et civil. Tous les conscrits participeraient à une formation militaire, et seraient ensuite affectés soit à la composante militaire, gérée par le Ministère de la défense, soit au service civil, sous l’égide d’un autre ministère. Les sanctions pour désertion, insoumission et sortie illégale du territoire continuaient d’être appliquées de façon arbitraire et incohérente par les commandants des forces armées et les représentants des forces de l’ordre. Des informations anecdotiques signalaient que les déserteurs et réfractaires étaient susceptibles d’être arrêtés lors de rafles même après leur retour de l’étranger, et qu’ils étaient emprisonnés pour, en général, des périodes allant d’un à douze mois. Lors de leur détention, ils pouvaient être victimes d’actes de torture. Ceux qui avaient quitté le pays sans autorisation préalable pouvaient être emprisonnés pour de plus longues périodes, allant jusqu’à trois ans. Les rapatriés ayant payé une taxe et signé une lettre de regrets étaient susceptibles d’être arrêtés et enrôlés de force au service national à l’expiration d’un délai de grâce. Aucune information officielle sur le traitement des déserteurs, des réfractaires et des personnes ayant quitté l’Érythrée de manière illégale n’était disponible. En août 2019, rien n’indiquait que la signature de l’accord de paix avec l’Éthiopie en 2018 avait mené à une plus grande tolérance envers ces groupes.

8.7Le Comité rappelle sa jurisprudence récente sur l’affaire X. c. Suisse et considère qu’au vu de l’absence d’informations disponibles sur les méthodes de recrutement utilisées pour la conscription des jeunes en Érythrée, le Tribunal administratif fédéral n’a pas justifié sa conclusion selon laquelle la convocation reçue par la famille du requérant n’avait pas été préparée par le service de la population de Hadish Adi aux fins de la conscription du requérant, qui était alors âgé de 16 ans. Le Comité note que, selon le requérant, des rafles avaient souvent lieu dans son village aux fins de conscription, et qu’il se cachait lors de ces rafles. Le Comité considère que les allégations du requérant sur les rafles sont compatibles avec les informations disponibles sur la situation générale en Érythrée, telle qu’elle a été décrite par le Secrétariat d’État aux migrations dans le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile de septembre 2019. Le Comité observe que, selon un rapport de Human Rights Watch, le recrutement militaire en Érythrée vise parfois des jeunes âgés de moins de 18 ans. Par ailleurs, le Comité observe que le requérant a maintenant plus de 20 ans, et a donc dépassé l’âge de recrutement militaire officiel en Érythrée, qui est de 18 ans.

8.8Eu égard aux allégations du requérant selon lesquelles des rafles avaient souvent lieu dans son village aux fins de conscription, ce qui l’a motivé à quitter son pays de manière illégale ; eu égard également aux informations récentes sur le recours généralisé en Érythrée à la conscription des jeunes, particulièrement de sexe masculin, et sur la possibilité pour les insoumis et ceux qui ont quitté le pays de manière illégale d’être victimes d’actes de torture à leur retour ; eu égard enfin au peu d’informations disponibles et fiables sur l’ampleur de ce risque, le Comité ne peut pas conclure qu’en l’espèce, il n’existe pas un risque prévisible, réel et personnel pour le requérant d’être soumis à la torture en cas de renvoi vers l’Érythrée, lequel constituerait donc une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

9.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Érythrée constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Ayant conclu à une violation de l’article 3 en cas de renvoi du requérant, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief de violation de l’article 16 de la Convention.

10.Le Comité est d’avis que, conformément à l’article 3 de la Convention, l’État partie est tenu de s’abstenir de renvoyer de force le requérant en Érythrée.

11.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.