Nations Unies

CAT/C/72/D/650/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 650/2015 * , **

Communication soumise par :

Omar N’Dour (représenté par Track Impunity Always et l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Maroc

Date de la requête :

28 novembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 janvier 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

19 novembre 2021

Objet :

Torture et conditions de détention d’un militant sahraoui

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Impunité ; prévention de la torture ; réparations dues aux victimes de torture ; obtention de preuves par la torture

Article(s) de la Convention :

1 (par. 1), 2 (par. 1), 11, 12, 13, 14, 15 et 16 (par. 1)

1.1Le requérant est Omar N’Dour, de nationalité marocaine, né au Sahara occidental en 1979. Il affirme que le Maroc a violé les droits qu’il tient de l’article 1er (par. 1), lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 11, ainsi que des articles 12, 13, 14, 15 et 16 (par. 1) de la Convention. Il est représenté par l’organisation Track Impunity Always et l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme.

1.2Le 20 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé d’examiner la recevabilité de la requête séparément du fond.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant était l’un des militants du camp de Gdeim Izik et faisait partie de l’équipe chargée de l’ordre et de la sécurité. Ce camp avait été mis en place début octobre 2010 dans la périphérie de Laayoune, au Sahara occidental, pour protester pacifiquement contre la marginalisation des Sahraouis et la discrimination exercée par le Gouvernement marocain à leur égard, et pour revendiquer les droits sociaux et économiques des Sahraouis. Le 8 novembre 2010, les forces de sécurité marocaines ont arrêté les personnes qui y vivaient, ce qui a provoqué une vague de manifestations et causé la mort de 11 membres des forces de sécurité et de 2 Sahraouis, selon des sources officielles. Ces troubles ont entraîné une réaction violente des forces de sécurité marocaines, qui ont arrêté quelque 200 Sahraouis, dont le requérant, dans les jours qui ont suivi le démantèlement du camp.

2.2Le 10 novembre 2010, vers 23 heures, plusieurs membres lourdement armés des forces de sécurité marocaines, plus précisément de l’armée et des groupes d’élite de la police, ont encerclé la ferme où se trouvait le requérant et ont arrêté celui-ci sans l’informer des motifs de son arrestation. Le requérant a été traîné vers une zone isolée proche de la ferme, où il a été mis à terre, frappé dans le dos et sur les genoux avec des matraques et menacé de mort. Les membres de forces de sécurité qui l’ont agressé l’ont interrogé au sujet de sa participation aux manifestations organisées dans le camp de Gdeim Izik et de ses liens avec certains militants sahraouis. L’interrogatoire s’est poursuivi jusqu’à l’aube, puis le requérant a été emmené au commissariat central de Laayoune et enfermé au sous-sol, à l’écart des autres détenus. Le lendemain, le requérant est resté menotté toute la journée, avec les yeux bandés. Il a été roué de coups et interrogé à nouveau. Autour de 23 heures, un groupe d’agents connus sous le nom d’« escadron de la mort » a forcé le requérant à monter dans une camionnette et l’a emmené dans une zone désertique, où les agents ont creusé une fosse. Ils ont menacé le requérant de le tuer et de l’enterrer s’il ne répondait pas à leurs questions, l’ont contraint à se déshabiller et l’ont aspergé d’eau froide, après quoi ils lui ont introduit une bouteille en verre dans l’anus.

2.3Le 12 novembre 2010, vers 2 ou 3 heures du matin, le requérant a été ramené au commissariat de Laayoune, où il a été placé dans une cellule avec 80 autres détenus. Plus tard le même jour, il a été placé dans une pièce séparée, où il a de nouveau été torturé et interrogé au sujet de sa participation aux manifestations liées au camp de Gdeim Izik. Un garde le maintenait éveillé de force tandis qu’un autre le frappait avec un bâton. Le requérant a également été soumis à une forme de torture connue sous le nom de supplice de l’« avion », qui a consisté à le suspendre par les mains et les pieds à une barre ou un pieu tout en le rouant de coups.

2.4Le même jour vers 20 heures, des agents de sécurité ont forcé le requérant à signer des documents sans lui laisser la possibilité d’en lire le contenu. Environ une heure plus tard, le requérant a été présenté au juge d’instruction de la cour d’appel de Laayoune, qui lui a lu les 13 accusations portées contre lui, parmi lesquelles celles d’homicide, de destruction de biens publics et de participation à un groupe armé illégal. Le requérant s’est déclaré innocent et a décrit les actes de torture subis. Il a même ouvert sa chemise pour montrer les marques et les ecchymoses résultant des coups qu’il avait reçus. Cependant, le juge n’a pas ordonné qu’il soit procédé à l’examen médical du requérant, mais a ordonné son maintien en détention sur la base des aveux qu’il avait signés. Ce n’est qu’au cours de la comparution devant le juge que le requérant a pu s’entretenir avec son représentant légal pour la première fois, alors que celui-ci avait demandé auparavant à voir son client, ce qui lui avait été refusé.

2.5Le requérant a ensuite été transféré dans le centre de détention connu sous le nom de « prison noire », à Laayoune, où il est resté jusqu’au 17 mai 2011. À son arrivée, le requérant ainsi que d’autres détenus − dont certains étaient des enfants − ont été forcés à se déshabiller et à défiler devant les gardes, qui les ont battus, leur ont touché les parties génitales et les ont insultés pendant une heure. Ensuite, le requérant a été placé dans une cellule surpeuplée et sans éclairage.

2.6Le 14 novembre 2010, à 6 heures, le requérant a été ramené au commissariat de Laayoune, où il a été torturé à nouveau. Il a été suspendu au plafond jusqu’à ce qu’il perde connaissance et a subi des violences sexuelles consistant à lui introduire un bâton dans l’anus. Les agents de sécurité ont exigé de lui qu’il identifie deux personnes qui étaient responsables du meurtre d’un policier. Le requérant ayant refusé de coopérer, il a de nouveau été menacé et sévèrement battu.

2.7Après avoir été maintenu en garde à vue pendant toute la journée, le requérant a été ramené à la « prison noire ». Dans les jours qui ont suivi, on lui a retiré le bandeau qu’il avait sur les yeux mais on l’a privé de ses lunettes. Son état physique s’est gravement détérioré et, alors qu’il avait de la fièvre et que son corps entier était douloureux, on lui a refusé un traitement médical et des médicaments. Du 13 au 16 novembre 2010, le requérant a été placé dans une petite cellule d’environ 3 mètres sur 5, avec 47 autres détenus ; ils étaient tous contraints d’utiliser les toilettes situées à l’intérieur de cette cellule dépourvue d’un point d’eau, et de dormir à même le sol.

2.8Le 16 novembre 2010, le requérant s’est vu poser des menottes et un bandeau sur les yeux et a été informé qu’il serait transféré à Rabat. Cependant, il a juste été placé, avec 34 autres détenus, dans une autre cellule de la même prison, dans laquelle les gardes laissaient la lumière allumée 24 heures sur 24. Lorsque les détenus ont protesté, les gardes les ont laissés dans l’obscurité toute la journée. Ce n’est qu’après avoir passé vingt jours dans cette cellule que les détenus ont été autorisés à recevoir des visites. Le requérant y est resté jusqu’à la fin de l’année.

2.9Lorsque le Procureur général de la cour d’appel de Laayoune s’est rendu à la prison, les détenus, y compris le requérant, ont dénoncé les actes de torture subis, ainsi que les conditions de détention et l’absence de traitement médical, et demandé l’ouverture d’une enquête. Cependant, et contrairement à ce que prévoit le droit marocain, aucune enquête n’a été ouverte, et les détenus n’ont passé aucun examen médical. Le 9 décembre 2010, le père du requérant a saisi la cour d’appel de Laayoune d’une plainte concernant les actes de torture subis par son fils. Il n’a jamais reçu de réponse et aucune enquête n’a été ouverte.

2.10Vers la fin de décembre 2010, 133 détenus parmi ceux qui avaient été emprisonnés dans le cadre du démantèlement du camp de Gdeim Izik, dont le requérant, ont été regroupés dans trois cellules minuscules situées dans un quartier distinct du centre de détention, où ils ont été enfermés pendant vingt-quatre heures.

2.11Le 28 janvier 2011, le représentant du requérant a déposé une demande de libération sous caution auprès de la cour d’appel de Laayoune, dans laquelle il faisait mention des actes de torture subis par son client. Cette demande a été rejetée, et aucune enquête n’a été ouverte sur les allégations de torture.

2.12Du 1er au 4 février 2011, les représentants des détenus et leurs parents, agissant au nom des détenus, dont le requérant, ont saisi le Procureur général de la cour d’appel de Laayoune, le Ministère de la justice, le Ministère de l’intérieur et le Conseil consultatif des droits de l’homme de plaintes concernant les actes de torture subis. Cependant, aucune enquête n’a été ouverte.

2.13Le 17mai 2011, le requérant a été mis en liberté sous engagement à comparaître. Surles 13 accusations retenues initialement contre lui, seules quatre ont été maintenues, à savoir appartenance à un groupe criminel, violence contre la personne d’un agent de l’État, blocage de la voie publique et troubles à l’ordre public. À ce jour, le requérant est toujours en liberté sous engagement à comparaître et n’a fait l’objet d’aucune procédure judiciaire. Il fait valoir que beaucoup d’autres personnes qui ont pris part aux événements survenus dans le camp de Gdeim Izik sont dans la même situation, et que la prolongation de leur liberté sur parole vise à les dissuader de participer à des activités de défense des droits de l’homme au Sahara occidental.

2.14Le requérant indique que, suite aux actes de torture qui lui ont été infligés, il souffre de troubles physiques et psychologiques, notamment d’insomnie et du syndrome de stress posttraumatique, et qu’il n’a pas pu terminer ses études. Les certificats médicaux joints à la communication attestent qu’il a subi des actes de torture.

2.15Le requérant affirme avoir épuisé les recours internes étant donné qu’il a déclaré avoir été victime d’actes de torture dès sa comparution devant le juge d’instruction, le 12 novembre 2010, et que son père a officiellement déposé plainte devant le même juge. En outre, dans la demande de libération sous caution qu’il a adressée au juge d’instruction, le représentant légal du requérant a également indiqué que celui-ci avait subi des actes de torture. En février 2011, le père du requérant et l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme ont à nouveau dénoncé devant le Procureur général de la cour d’appel de Laayoune, le Conseil consultatif des droits de l’homme ainsi que d’autres institutions gouvernementales les actes de torture subis par plusieurs personnes, dont le requérant, qui avaient été arrêtées dans le cadre des événements survenus dans le camp de Gdeim Izik. Malgré tous ces efforts, aucune enquête n’a été ouverte.

2.16Le requérant ajoute que les violations de ses droits sont précisément décrites dans plusieurs rapports publics établis par des organisations non gouvernementales nationales et internationales qui ont été adressés aux autorités marocaines. Le Robert F. Kennedy Center for Justice and Human Rights a également publié, dans un rapport, les témoignages directs de personnes arrêtées dans le camp de Gdeim Izik, dont le requérant, qui déclaraient qu’elles avaient tenté de déposer plainte pour les nombreux actes de torture subis, mais que les fonctionnaires du centre de détention avaient refusé d’en tenir compte. La mise en place par le Maroc d’une commission parlementaire chargée d’enquêter sur les événements survenus dans le camp de Gdeim Izik n’a pas abouti à l’ouverture d’une enquête. En outre, il n’existe au Maroc aucune voie de recours qui permettrait aux personnes qui affirment avoir été torturées d’exiger l’ouverture d’une enquête équitable, indépendante et impartiale, et la présentation d’une telle requête n’a aucun effet suspensif sur les procédures judiciaires qui sont fondées sur des éléments de preuve obtenus par la torture.

2.17Le requérant fait observer que les événements en question s’inscrivent dans un contexte d’impunité absolue dans les affaires concernant les actes de torture et autres violations graves des droits de l’homme commis par les forces de sécurité marocaines au Sahara occidental, impunité qui règne en dépit de nombreuses demandes adressées aux autorités judiciaires. Il souligne que le Comité a également relevé que les graves violations des droits de l’homme commises au cours du démantèlement du camp de Gdeim Izik n’avaient fait l’objet d’aucune enquête impartiale et efficace. Enfin, le requérant fait valoir qu’il a tenté d’utiliser les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, mais en vain.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme être victime d’une violation de l’article 1er (par. 1), lu conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 11 de la Convention, ainsi que des articles 12, 13, 14 et 15, au motif que des actes de torture lui ont été infligés, que ses aveux ont été extorqués par la contrainte, qu’il n’a pas été procédé immédiatement à une enquête efficace, indépendante, impartiale et approfondie sur ses allégations de torture, et que les responsables n’ont pas été poursuivis et sanctionnés. Il soutient en outre que l’État partie ne lui a offert aucune garantie quant à des mesures adéquates de réparation, d’indemnisation ou de réadaptation pour le préjudice subi.

3.2Le requérant affirme qu’il est également victime d’une violation de l’article 16 (par. 1), lu conjointement avec l’article 11 de la Convention, en ce que ses conditions de détention étaient inhumaines.

3.3Le requérant prie le Comité de demander au Maroc :

a)De mener une enquête impartiale et approfondie sur ses allégations, qui devrait être assortie d’examens médicaux effectués conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), en vue de traduire en justice les responsables des actes de torture qu’il a subis, ainsi que de rendre publics les résultats de cette enquête ;

b)D’adopter toutes les mesures nécessaires pour que lui et les membres de sa famille soient dûment protégés contre toute forme de menace, de harcèlement ou d’intimidation ;

c)De faire en sorte qu’il obtienne rapidement une indemnisation juste et équitable ;

d)De lui accorder le traitement médical et psychologique dont il a besoin ;

e)De lui accorder une bourse pour lui permettre de suivre une formation spécialisée en vue d’achever les études universitaires qu’il a dû abandonner à cause du préjudice subi ;

f)D’abandonner toutes les accusations portées contre lui pour les événements survenus dans le camp de Gdeim Izik ;

g)D’organiser une cérémonie publique au cours de laquelle il reconnaîtra sa responsabilité internationale pour les violations commises ;

h)D’élaborer et de mettre en œuvre des programmes de formation sur les normes internationales relatives au traitement des détenus et à l’emploi de la force par les agents des forces de l’ordre, les forces de sécurité et le personnel pénitentiaire ;

i)D’adopter les mesures nécessaires pour que les conditions de détention soient conformes aux normes internationales ;

j)De modifier les lois existantes, y compris celles qui définissent la notion de torture et le recours à la détention provisoire, afin d’en assurer la conformité avec la Convention ;

k)De traduire la décision du Comité en arabe et en hassaniya et de la publier dans un journal diffusé à l’échelle nationale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note du 13 mars 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés. Il affirme que le requérant n’a jamais déposé concrètement de plainte officielle auprès des autorités judiciaires marocaines pour les actes de torture qu’il aurait subis au cours de sa détention. Le requérant se contente d’affirmer que les autorités n’ont jamais consenti à ouvrir une enquête, mais ne démontre pas qu’il aurait entrepris des démarches pour demander une telle enquête. L’État partie ajoute que la demande de libération sous caution présentée par le conseil du requérant en mai 2011 ne constituait pas une demande d’ouverture d’enquête car une telle demande doit être présentée dans le cadre d’une procédure bien établie et contenir des informations précises et détaillées sur les circonstances dans lesquelles les actes de torture auraient été commis. Enfin, le requérant n’a entrepris aucune démarche auprès d’autres mécanismes nationaux de protection des droits de l’homme, que ce soit au niveau local ou national, et n’a pas non plus démontré que la durée des procédures correspondantes serait excessivement longue ou que les recours seraient inefficaces.

4.2L’État partie conteste l’affirmation du requérant selon laquelle celui-ci aurait déclaré, au cours de l’audition devant le juge d’instruction, qu’il avait subi des actes de torture, et relève que le requérant n’en a rien dit, alors même qu’il était assisté de six avocats. Il rappelle qu’il incombe aux requérants d’étayer leurs allégations, notamment en présentant des copies des décisions judiciaires rendues dans leur affaire. À cet égard, les lettres comportant des allégations de torture qui auraient été adressées aux autorités judiciaires ou autres ne contiennent aucune indication quant à un accusé de réception délivré par lesdites autorités, mais semblent plutôt être des documents forgés de toutes pièces pour la circonstance.

4.3En ce qui concerne les faits de la cause, l’État partie affirme que le requérant faisait partie des milices armées recrutées par les responsables du camp de Gdeim Izik à des fins de maintien de l’ordre. Le requérant a été arrêté par des policiers pour avoir participé aux attaques perpétrées contre les forces de sécurité qui étaient intervenues pour démanteler le camp le 8 novembre 2010, et pour avoir commis des actes de vandalisme à Laayoune. Il a été placé en garde à vue sur instruction de la cour d’appel de cette ville. L’acte d’accusation lui a été lu le 12 novembre 2010 devant le Procureur général du Roi près la cour d’appel de Laayoune, qui a saisi un juge d’instruction, lequel a rendu une ordonnance de mise en détention provisoire.

4.4L’État partie demande au Comité de suspendre l’examen de la présente communication en attendant que la justice marocaine statue car le requérant n’est pas encore passé en jugement.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des commentaires en date du 22 mai 2015 sur les observations de l’État partie, le requérant maintient que les recours internes ont été épuisés étant donné qu’il a fait savoir au juge d’instruction qu’il avait été torturé et lui a montré les marques laissées par les actes de torture qu’il avait subis. En outre, son père a officiellement déposé plainte pour torture devant le même juge d’instruction, et son conseil a évoqué les actes de torture dans sa demande de libération sous caution. Le requérant fait valoir que les autorités judiciaires n’ont accusé réception d’aucune de ces plaintes, et qu’il s’agit là d’une pratique établie au Maroc, en particulier en cas de plainte pour violations des droits de l’homme commises par les forces de sécurité au Sahara occidental.

5.2Le requérant soutient qu’au Maroc, aucun recours n’oblige les autorités à ouvrir sans délai une enquête impartiale sur des allégations de torture.

5.3En ce qui concerne les faits de la cause, le requérant affirme que, contrairement aux déclarations de l’État partie, il n’appartenait à aucune milice armée. Il ne se trouvait pas dans le camp de Gdeim Izik lorsque celui-ci a été démantelé ; ce n’est qu’après ce démantèlement qu’il s’y est rendu pour porter assistance à des blessés, qu’il a ensuite emmenés chez lui. Selon le requérant, des personnes pouvaient en témoigner, mais le juge ne les a pas citées à comparaître.

5.4Le requérant soutient que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi les forces de sécurité l’avaient arrêté et interrogé, et pour quelle raison il avait été traité comme il l’avait été, alors même que, conformément à la jurisprudence internationale, c’est à l’État partie qu’incombe la charge de la preuve lorsqu’une personne privée de liberté se dit victime de violations des droits de l’homme. Ainsi, l’État partie aurait dû fournir des explications détaillées sur les blessures physiques et psychologiques signalées par le requérant pendant sa garde à vue, et dont l’existence a été confirmée par des rapports médicaux.

5.5Le requérant souligne que, bien qu’il ait été remis provisoirement en liberté, la procédure pénale engagée contre lui dure depuis quatre ans. Pendant cette période, aucune mesure effective n’a été prise par les autorités pour mener la procédure à bien et aucune audience n’a eu lieu. En outre, cette procédure a trait à sa responsabilité pénale supposée et n’a aucun lien avec sa plainte pour torture. Par conséquent, elle ne saurait être considérée comme un recours effectif qui devrait être épuisé. Enfin, dans ses observations, l’État partie ne donne aucune explication ou indication sur le recours interne qui aurait dû être épuisé pour ce qui est des allégations de torture.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Dans une note du 16 juillet 2015, l’État partie a demandé au Comité de suspendre l’examen de la communication au motif que le requérant bénéficiait encore d’une mise en liberté conditionnelle et n’était pas passé en jugement, ce qui démontrait que les recours internes n’avaient pas été épuisés.

Observations complémentaires du requérant

7.1Dans une note du 4 août 2015, le requérant a repris ses arguments précédents concernant l’épuisement des recours internes et renvoyé à l’affaire Asfari c .  Maroc, dans laquelle le Comité avait déclaré la requête recevable. Il rappelle qu’il a présenté des demandes d’ouverture d’une enquête sur ses allégations de torture les 12 novembre et 9 décembre 2010. Le 28 janvier 2011, le conseil a demandé au juge d’instruction de la cour d’appel de Laayoune sa mise en liberté conditionnelle, dénonçant les actes de torture qu’il avait subis.

7.2Le requérant fait observer que, quatre ans après avoir été mis en liberté sous engagement à comparaître, il n’est pas encore passé en jugement et n’a pas été entendu. Aucune mesure n’a été prise en ce qui concerne les autres accusations portées contre lui. En tout état de cause, cette procédure n’a rien à voir avec le fait que les actes de torture qu’il a subis n’ont donné lieu à aucune enquête, et, partant, ne constitue pas un recours utile à cet égard. La suspension sollicitée par l’État partie n’est, selon le requérant, qu’une manœuvre dilatoire visant à reporter l’examen de la présente communication.

Décision sur la recevabilité

8.Le 11août 2016, le Comité a conclu que l’État n’avait présenté aucun élément de preuve susceptible de démontrer qu’un recours utile était disponible, et estimé que le requérant n’était pas en mesure d’épuiser les recours internes. Il a également rejeté, au motif qu’il n’était pas pertinent en l’espèce, l’argument de l’État partie selon lequel l’examen de la communication devait être suspendu parce que le requérant n’était pas encore passé en jugement. Le Comité a décidé que la communication était recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles1er (par.1), 2 (par. 1), 11, 12, 13, 14, 15 et 16 (par.1) de la Convention.

Observations de l’État partie sur le fond

9.1Le 12 juin 2020, l’État partie a soumis une nouvelle fois ses observations datées du 25 août 2017. Il indique que le requérant, qui était membre de la milice armée au cours des événements survenus dans le camp de Gdeim Izik, a été arrêté et interrogé le 10 novembre 2010 par la police à Laayoune, conformément aux normes internationales et aux règles de procédure applicables. Le requérant était soupçonné d’avoir pris part aux attaques menées le 8 novembre 2010 contre les forces de l’ordre au cours du démantèlement du camp en question, ainsi qu’aux émeutes et aux actes de vandalisme contre des biens publics et privés subséquents qui ont eu lieu à Laayoune.

9.2Au cours de l’enquête, le requérant a admis de son plein gré que, pendant lesdits affrontements et actes de vandalisme, lui-même et d’autres compagnons s’en étaient pris à un véhicule de police, au bureau de poste, au commissariat et à un agent de police dans les quartiers nos 3 et 5 de Laayoune. L’examen de l’ordinateur personnel du requérant, saisi pendant son arrestation, a permis de mettre la main sur des photographies et des vidéos que celui-ci avait prises au cours de l’intervention de la police dans le camp de Gdeim Izik. Ces images prouvaient que le requérant avait incité les émeutiers à s’en prendre aux policiers, criant qu’il s’agissait d’une « guerre contre l’ennemi ».

9.3À la suite de son arrestation, le requérant a été placé en garde à vue à la demande du Procureur général du Roi près la cour d’appel de Laayoune, avant d’être présenté à un juge de cette cour le 12 novembre 2010, qui a autorisé qu’il soit interrogé par le juge d’instruction de ladite cour. Le juge d’instruction a ordonné que le requérant soit placé en détention dans la prison de Laayoune. Le 17 mai 2011, le requérant a bénéficié d’une libération conditionnelle.

9.4En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il a été arrêté le 10 novembre 2010, vers 23 heures, par les forces de sécurité et interrogé dans une ferme sans être informé des motifs de son arrestation, l’État partie fait valoir qu’en réalité, le requérant a été arrêté avec trois autres personnes par la police de Laayoune, le même jour vers 15 heures, dans le quartier d’Erac, à Laayoune. Lors de son arrestation, le requérant portait un badge indiquant qu’il occupait un poste de responsable au sein du camp de Gdeim Izik. Il a été emmené avec ses compagnons dans un commissariat, et tous ont été informés des accusations portées contre eux et du fait que leur garde à vue avait été ordonnée par le Bureau du Procureur général de la cour d’appel de Laayoune.

9.5Interrogé sur l’origine des blessures et ecchymoses sur son visage et ses pieds, le requérant a déclaré qu’elles étaient dues aux échanges de jets de pierre qui avaient eu lieu lors des affrontements avec la police, auxquels il avait participé. En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il n’était pas présent dans le camp pendant son démantèlement, il s’est avéré que, dans le camp, il avait participé à des actes graves de sabotage consistant à lancer des cocktails Molotov et des bouteilles à gaz sur les membres des forces de sécurité, avant de se rendre avec quatre autres émeutiers dans la ville de Laayoune pour y commettre des actes de vandalisme et de destruction de bâtiments et de biens publics et privés.

9.6En ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle les policiers l’ont forcé, à coups de matraque, à signer les procès-verbaux des auditions sans lui donner la possibilité de les lire au préalable, il convient de noter que l’analyse graphologique des signatures du requérant, qui apparaissent identiques sur tous les procès-verbaux, confirme que l’intéressé a apposé sa signature dans des conditions normales, sans être soumis à aucune contrainte. L’État partie souligne également que la législation nationale prévoit que la signature des procès-verbaux d’audition est facultative, la personne interrogée ayant la possibilité de refuser de signer. Il n’y a donc aucune raison de forcer une personne à signer un tel procès‑verbal. En outre, l’État partie réfute l’allégation du requérant selon laquelle il existe une unité de police dénommée « escadron de la mort », qu’il qualifie de fantaisiste. Il ajoute que le plaignant a inventé qu’il avait été placé en garde à vue dans le sous-sol du commissariat de Laayoune, toutes les cellules étant situées au rez-de-chaussée.

9.7Le requérant, qui ne cesse de déclarer qu’il est en guerre contre les autorités, affirme que sa libération conditionnelle vise en réalité à le dissuader de continuer à participer à des activités visant à faire respecter les droits de l’homme dans le sud du Maroc. Cette allégation est dénuée de fondement, car le requérant a été recruté en tant qu’administrateur par le Ministère de l’intérieur en 2011 et a mené des actions de sensibilisation au sein de plusieurs institutions de défense des droits de l’homme (par exemple, l’Association sahraouie des victimes des violations graves des droits de l’homme), dont certaines restent critiquesà l’égard des autorités.

9.8L’État partie conteste également l’affirmation selon laquelle le requérant souffre de séquelles physiques ou psychologiques liées aux actes de torture qu’il aurait subis. En fait, depuis sa libération conditionnelle, le requérant continue de se livrer à des activités hostiles envers le Gouvernement, remettant en cause l’intégrité territoriale du Maroc. Ces activités supposent que le requérant soit en pleine possession de ses facultés physiques et mentales, or celui-ci est à même de les exercer, comme cela a été démontré.

9.9Enfin, l’État partie fait savoir qu’il s’abstiendra de communiquer de nouvelles informations ayant trait aux affaires dont le Comité est saisi et qui sont encore pendantes devant les autorités judiciaires marocaines, comme c’est le cas en l’espèce.

Observations complémentaires de l’État partie

10.Dans une note du 4 juin 2020, l’État partie a déclaré avoir à cœur de coopérer de manière constructive avec les organes conventionnels de l’ONU. Il a dit regretter, toutefois, que sous le couvert de préoccupations liées aux droits de l’homme, les communications concernant le camp de Gdeim Izik soient motivées par des intérêts politiques qui ne relèvent pas du mandat du Comité. Il a rappelé ses observations sur le fond datées du 25 août 2017, ajoutant que, le 16 juillet 2015, il avait demandé que l’examen de la présente affaire soit suspendu car le requérant avait été remis en liberté dans l’attente de son procès et les autorités judiciaires marocaines n’avaient pas rendu la décision définitive en l’espèce. Il a également rappelé qu’il avait précisé qu’il ne communiquerait pas de nouvelles informations ayant trait aux affaires qui étaient encore pendantes devant les autorités judiciaires nationales. Enfin, l’État partie a fait valoir qu’il ne saurait être invité à présenter des observations sur le fond de l’affaire, alors qu’il avait précédemment soutenu que le requérant n’avait pas épuisé toutes les voies de recours internes disponibles.

Commentaires complémentaires du requérant

11.1Dans une note du 24 juillet 2020, le conseil du requérant a fait observer que la communication initiale avait été déposée devant le Comité près de six ans auparavant, et que le Comité avait statué sur la recevabilité le 11 août 2016. Le fait que le Maroc ait répondu près de quatre ans après l’adoption de la décision sur la recevabilité en tentant de faire réexaminer ou de contester cette décision constitue une temporisation inacceptable, dont le seul but est de retarder l’adoption de la décision sur le fond.

11.2L’État partie n’agit pas avec toute la diligence voulue dans le cadre de la procédure engagée devant le Comité, et l’annonce concernant son défaut de coopération aggrave ce manquement, puisque le Maroc a indiqué qu’il entendait s’abstenir de faire part au Comité de toute nouvelle information ayant trait à la communication jusqu’à ce que les tribunaux marocains aient statué de leur côté. Une telle attitude constitue une entrave à l’exercice de la justice et un refus de coopérer de bonne foi avec le Comité et de permettre au requérant d’exercer les droits qu’il tient de l’article 22 de la Convention.

11.3Le requérant nie avoir fait partie d’une quelconque milice armée, comme l’affirme l’État partie, qui n’a présenté aucun élément de preuve pour étayer ses allégations. Il reprend les arguments avancés les 22 mai et 4 août 2015, rappelant qu’il a été arbitrairement privé de liberté dès le 10 novembre 2010 au soir, et qu’il a été torturé cette nuit-là. Il renvoie aux certificats médicaux joints à sa communication initiale, qui attestent qu’il a été soumis à la torture. Au cours des neuf années qui se sont écoulées depuis sa libération conditionnelle, le 17 mai 2011, le requérant n’est pas passé en jugement, ce qui lui aurait permis d’être entendu. Enfin, le requérant demande que la requête de l’État partie tendant à la suspension de l’examen de la présente affaire soit rejetée, et prie le Comité de statuer sur le fond sans plus attendre en se fondant sur les échanges précédents entre les parties.

Délibérations du Comité

Examen au fond

12.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

12.2Le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles les violences physiques subies au cours de l’arrestation et de l’interrogatoire au commissariat de Laayoune, les 10 et 12 novembre 2010, et le traitement, notamment les agressions sexuelles, auquel on l’a soumis pendant la garde à vue du 14 novembre 2010 afin de lui extorquer des aveux constituent des actes de torture en raison de leur gravité. Il relève qu’au cours des auditions des 12 novembre 2010 et 28 janvier 2011, le requérant s’est plaint du traitement qu’il avait subi, mais que le juge d’instruction n’a tenu aucun compte de ses allégations et de ses blessures et n’a pas demandé qu’un examen médical soit effectué. Il note également que le requérant affirme que ces actes de violence, à l’origine de souffrances durables, comme en attestent les certificats médicaux, constituent une violation de l’article 1er de la Convention. À cet égard, le Comité relève que le requérant allègue qu’il n’a été autorisé à consulter un avocat que deux jours après son arrestation. Il note également l’argument de l’État partie selon lequel, au cours des audiences susmentionnées, ni le requérant ni ses avocats n’ont soulevé aucun grief concernant ces actes de torture. Il fait toutefois observer que le père du requérant a évoqué les actes de torture subis par son fils dans la demande de libération sous caution datée du 9 décembre 2010, qui a été rejetée sans que soit ordonné un examen médical visant à constater d’éventuels signes de torture. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, afin de prévenir les actes de torture, toute personne privée de liberté doit bénéficier rapidement d’une assistance juridique et médicale indépendante et pouvoir prendre contact avec sa famille. Étant donné que le requérant soutient qu’il n’a bénéficié d’aucune de ces garanties, et faute d’informations convaincantes communiquées par l’État partie pour contester ces allégations, le Comité considère que les violences physiques et les lésions subies par le requérant au cours de son arrestation, de son interrogatoire et de sa détention, telles qu’elles ont été présentées, constituent des actes de torture au sens de l’article 1er de la Convention. Le Comité conclut également que le fait que le requérant n’ait pas bénéficié des garanties juridiques fondamentales constitue une violation de l’article 2 (par. 1) de la Convention.

12.3En ce qui concerne l’article 11, le Comité rappelle les préoccupations qu’il a exprimées et la recommandation qu’il a adressée à l’État partie dans ses observations finales, en réponse à de nombreuses allégations concernant des actes de torture et des mauvais traitements infligés par des policiers, des agents pénitentiaires et, en particulier, des agents de la Direction de la surveillance du territoire, et invitant celui-ci à enquêter sur les actes de torture, à poursuivre et à punir les responsables et à garantir le droit des détenus de consulter un avocat et un médecin et de communiquer avec leur famille. Compte tenu de cette recommandation et faute d’informations communiquées par l’État partie à ce sujet, le Comité ne peut que conclure qu’en l’espèce, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 11 de la Convention.

12.4Le Comité doit également déterminer si l’absence d’enquête sur les allégations de torture que le requérant a portées à l’attention des autorités judiciaires constitue une violation par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 12 de la Convention. Il note que le requérant affirme que, le 12 novembre 2010, il a comparu devant le juge d’instruction avec des signes visibles de torture, tels que des traces de coups sur les bras, la poitrine et le dos, mais qu’il n’en est pas fait état dans le procès-verbal ; que plus tard, le requérant a expressément dénoncé les actes de torture devant le juge d’instruction, le 12 janvier 2011 ; que les mêmes allégations ont été formulées dans la demande de libération sous caution datée du 9 décembre 2010 et au cours de la visite de la prison effectuée par le Procureur général du Roi près la cour d’appel de Laayoune ; qu’à aucun moment le juge d’instruction ou le Procureur n’ont ouvert une enquête d’office. Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il n’existe aucun recours utile qui permettrait faire respecter l’obligation de procéder à un examen médical visant à déceler des signes de torture. Il note en outre que, selon l’État partie, le requérant n’a pas porté les allégations de torture à l’attention des autorités compétentes et n’a pas démontré que des plaintes avaient été déposées à ce sujet. Il constate que, le 17 mai 2011, le requérant a fait l’objet d’une libération conditionnelle, et que la procédure pénale, fondée sur les quatre chefs d’accusation restants, a été suspendue sans que le requérant ait pu faire entendre sa cause par un tribunal ou qu’un jugement définitif ait été rendu. Il note en outre que, d’après les informations qui lui ont été communiquées, la procédure pénale, qui est pendante depuis maintenant plus de dix ans, ne porte pas sur les allégations de torture qui font l’objet de la présente communication, lesquelles n’ont donné lieu à aucune enquête. Dans ces conditions, le Comité considère qu’il est peu probable que les allégations de torture seront examinées dans le cadre de la procédure pénale lorsque celle-ci reprendra son cours.

12.5Le Comité fait observer que l’État partie a très largement dépassé les délais raisonnables pour rendre justice en l’espèce : près de dix ans se sont écoulés depuis les faits et la présentation des premières allégations de torture, et aucune enquête n’a été ouverte. Le requérant a été maintenu en détention uniquement en raison de simples soupçons et des aveux qu’il a été forcé de signer sous la contrainte le 12 novembre 2010, et les parties ne sont toujours pas d’accord en ce qui concerne les fonctions qu’il exerçait au sein du camp de Gdeim Izik et le rôle qu’il a joué pendant le démantèlement de celui-ci. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’absence d’enquête sur les allégations de torture formulées en l’espèce est incompatible avec l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête indépendante et impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis.

12.6Dans ces circonstances, l’État partie a également manqué à l’obligation que lui fait l’article 13 de la Convention de garantir au requérant le droit de porter plainte, qui exige que les autorités apportent une réponse adéquate à une telle plainte par le déclenchement immédiat d’une enquête indépendante et impartiale. Le Comité rappelle que l’article 13 dispose aussi que l’État partie doit prendre des mesures pour protéger le plaignant et les témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite. Il relève que le requérant a été soumis à plusieurs reprises à des actes de torture, dont la gravité s’est accrue à la suite de la plainte adressée au juge d’instruction le 12 novembre 2010, et qu’aucune réponse adéquate n’a été apportée à une telle plainte. Il relève également que les actes de torture répétés auxquels le requérant aurait été soumis pourraient être liés au fait que ces faits avaient déjà été dénoncés au juge d’instruction, et fait observer que l’État partie n’a fourni aucune information susceptible de réfuter cette partie de la communication. Le Comité conclut que ces actes constituent une violation de l’article 13 de la Convention.

12.7S’agissant des allégations du requérant formulées au titre de l’article14 de la Convention, le Comité rappelle que cette disposition reconnaît le droit de la victime d’un acte de torture d’être indemnisée équitablement et de manière adéquate, et impose aux États parties l’obligation de veiller à ce qu’elle obtienne réparation pour l’ensemble des préjudices subis. Il rappelle que la réparation doit impérativement couvrir l’ensemble des dommages subis et comporter la restitution, une indemnisation et des garanties de non‑répétition, et qu’il doit être tenu compte des circonstances propres à chaque affaire. Enl’espèce, il prend note de l’allégation du requérant qui déclare souffrir de séquelles physiques et psychiques des actes de torture infligés. Il note également que le fait que le juge d’instruction n’a pas ordonné d’expertise médicale a empêché le requérant de bénéficier de mesures de réadaptation, d’une indemnisation, d’une prise en charge et de garanties de non-répétition du crime. Le Comité considère donc que l’absence d’enquête diligentée de manière prompte et impartiale a privé le requérant de la possibilité de se prévaloir de son droit à la réparation, en violation de l’article14 de la Convention.

12.8Le requérant affirme par ailleurs être victime d’une violation de l’article 15 de la Convention au motif qu’il a été placé en détention sur la base d’aveux qu’il a signés le 12 novembre 2010 après avoir subi des actes de torture. Le Comité note que le requérant affirme n’avoir avoué aucune activité illégale, mais avoir été contraint de signer une pile de documents dont il ne connaissait pas la teneur. Il rappelle que le caractère général des dispositions de l’article 15 de la Convention découle du caractère absolu de l’interdiction de la torture et implique, par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations faisant partie d’une procédure pour laquelle il est compétent n’ont pas été obtenues par la torture. En l’espèce, il note que, selon le requérant, les déclarations qu’il a signées sous la torture ont servi de fondement aux accusations portées contre lui et de justification pour son maintien en détention durant plus de six mois, et que, par l’entremise de son conseil, le requérant a contesté la valeur probante des aveux signés sous la torture à différentes étapes de la procédure engagée contre lui, sans succès. Le Comité note également que la cour d’appel de Laayoune n’a pas pris en considération les allégations de torture lorsqu’elle a entendu le requérant, niant qu’elles avaient été présentées au cours de la procédure. Il considère que l’État partie était dans l’obligation de vérifier le contenu des allégations du requérant. En ne procédant à aucune vérification, en utilisant de telles déclarations dans la procédure judiciaire et en s’appuyant sur ces déclarations pour retenir des chefs d’accusation contre le requérant, l’État partie a manifestement violé ses obligations au regard de l’article 15 de la Convention. À ce propos, le Comité rappelle que, dans ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Maroc, il a exprimé sa préoccupation quant au fait que dans le système d’investigation en vigueur dans l’État partie, l’aveu constitue souvent une preuve sur la base de laquelle une personne peut être poursuivie et condamnée, créant ainsi des conditions susceptibles de favoriser le recours à la torture et aux mauvais traitements contre la personne suspectée.

12.9Pour ce qui est du grief tiré de l’article16 de la Convention, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles l’ensemble des sévices qui lui ont été infligés au cours de la procédure judiciaire, notamment les mauvais traitements et les conditions sanitaires déplorables de sa détention pendant les premiers mois à la prison de Laayoune, sont assimilables à des traitements inhumains et dégradants. Il prend également note des allégations selon lesquelles le requérant aurait passé de longues périodes en détention menotté et avec les yeux bandés, souvent dans des cellules petites et surpeuplées, et l’accès à un médecin aurait été restreint pendant plusieurs semaines. Faute d’information pertinente de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité conclut que ces faits révèlent une violation par l’État partie des obligations que lui fait l’article16, lu conjointement avec l’article11.

12.10En ce qui concerne les objections de l’État partie à la décision de recevabilité rendue par le Comité et le fait que l’État partie n’aurait pas agi avec toute la diligence voulue dans le cadre de la procédure engagée devant le Comité,notamment en annonçant qu’il entendait s’abstenir de coopérer avec lui (par.9.9, 10 et 11.2), le Comité rappelle à l’État partie l’obligation que lui fait l’article22 de la Convention de coopérer de bonne foi avec lui, de permettre au requérant d’exercer ses droits au titre de l’article22 de la Convention et de donner rapidement suite à la plainte du requérant.

13.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention, décide que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 2 (par. 1), lu conjointement avec l’article 1er, et des articles 11, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention.

14.Conformément à l’article118 (par.5) de son règlement intérieur, le Comité invite instamment l’État partie à : indemniser le requérant équitablement et de manière adéquate, y compris en lui offrant les moyens nécessaires à une réadaptation la plus complète possible ; ouvrir une enquête impartiale et approfondie sur les faits visés dans la communication, en pleine conformité avec les directives du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), en vue de traduire en justice les responsables présumés des mauvais traitements infligés au requérant ;s’abstenir de tout acte de pression, d’intimidation ou de représailles susceptible de nuire à l’intégrité physique et morale du requérant et de sa famille, qui constituerait une violation par l’État partie de l’obligation que lui impose la Convention de coopérer de bonne foi avec le Comité aux fins de l’application des dispositions de la Convention ; l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observationsci-dessus.