Nations Unies

CAT/C/72/D/918/2019

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention. concernant la communication no 918/2019 * , **

Communication présentée par :

A. A. (représenté par des conseils, Ruth Nordström et Rebecca Ahlstrand)

Victime (s) présumée (s):

Le requérant

État partie :

Suède

Date de la requête :

15 février 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

24 novembre 2021

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine (non‑refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est A. A., de nationalité afghane, né en 1998. Il affirme qu’en l’expulsant vers l’Afghanistan, l’État partie violerait les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 8 janvier 1986.Le requérant est représenté par des conseils, Ruth Nordström et Rebecca Ahlstrand.

1.2Le 15 février 2019, en application de l’article 114 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant en Afghanistan tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, de nationalité afghane, est né en République islamique d’Iran, de parents afghans. Il n’a jamais rempli les conditions requises pour obtenir des documents d’identité iraniens et n’a donc jamais été scolarisé. Il ne s’est jamais rendu en Afghanistan. Ses parents ont déménagé en République islamique d’Iran dans les années 1990, après que des proches avaient menacé de les tuer suite à un litige foncier survenu dans la famille. En 2015, la police iranienne a arrêté le requérant et son frère, les informant qu’ils seraient expulsés vers l’Afghanistan s’ils ne combattaient pas en République arabe syrienne. La famille ne pouvait pas retourner en Afghanistan en raison du litige. En 2015, le requérant, son frère et ses parents se sont donc enfuis en Suède, où ils ont déposé une demande d’asile le 24 novembre 2015.

2.2Dans un premier temps, la famille s’est vu refuser l’asile. Entre temps, le requérant et sa famille étaient entrés en contact avec l’église pentecôtiste de Pajala. Ils se sont beaucoup impliqués dans la vie de l’Église, et ont reçu un soutien important des membres de la paroisse. Cette expérience a conduit le requérant et son frère à embrasser le christianisme et à se faire baptiser chrétiens. En plus d’assister aux cultes et d’étudier la Bible, les frères sont entrés dans un groupe de musiciens chrétiens de langue dari et se sont produits dans plusieurs églises du nord de la Suède.

2.3Le requérant et son frère ont joint la preuve de leur conversion à leur demande d’asile respective et affirmé que du fait de cette conversion, ils courraient un risque s’ils étaient renvoyés en Afghanistan. Les demandes d’asile ont été traitées séparément, et celle du frère du requérant a été acceptée. Ses parents se sont vu accorder des permis de séjour temporaires au motif que son père souffrait d’un cancer en phase terminale.

2.4Le 15 juin 2017, l’Office suédois des migrations a statué sur la demande du requérant. Dans sa décision de rejet de la demande, l’Office a conclu que, compte tenu des graves conséquences que sa conversion au christianisme emportait en Afghanistan, le requérant devait avoir soigneusement mis en balance ses convictions avec le risque qu’il courrait, mais qu’il n’avait pas pour autant été en mesure d’expliquer de manière satisfaisante les raisons pour lesquelles il renonçait à l’islam et embrassait le christianisme. L’Office a déclaré que son raisonnement ne semblait pas refléter une expérience personnelle, mais qu’il avait plutôt donné des réponses générales et vagues qui l’amenaient à conclure que sa conversion ne reposait pas sur une foi sincère. L’Office a indiqué, à titre d’exemple, que, lorsque le requérant s’était vu demander comment il avait su qu’il était prêt à être baptisé, il avait répondu qu’il avait assisté à toutes les classes et sessions de l’église pour s’y préparer. L’Office a conclu qu’il n’avait pas démontré que sa foi était sincère et que, partant, il ne courrait aucun risque personnellement s’il était renvoyé en Afghanistan, que ce soit en raison de ses croyances ou des antécédents familiaux de ses parents. L’Office a également conclu que la situation en Afghanistan n’était pas de nature à faire naître l’obligation de lui accorder un permis de séjour temporaire pour raisons humanitaires.

2.5Le 1er août 2018, le Tribunal administratif de l’immigration a examiné le recours formé par le requérant et l’a rejeté au motif que les réponses du requérant concernant les raisons qui avaient motivé sa conversion étaient trop générales et vagues et qu’il n’avait donné aucune précision à ce sujet, que ce soit devant l’Office des migrations ou le Tribunal. Ce dernier a jugé que le requérant semblait avant tout apprécier les éléments sociaux de l’Église et que sa conversion répondait à un besoin de communauté plutôt qu’à une quelconque conviction religieuse. Le Tribunal a conclu que, dès lors que le requérant n’avait pas démontré que sa conversion reposait sur une foi sincère, il ne vivrait pas ouvertement en tant que chrétien en Afghanistan et ne risquait donc pas de subir un traitement qui faisait naître des obligations de protection.

2.6Une des juges délibérantes, qui était également la Présidente du Tribunal administratif de l’immigration, a toutefois émis une opinion dissidente dans laquelle elle s’est dite consciente qu’il était difficile d’apprécier le point de savoir si la conviction religieuse d’une personne répondait à des motifs sincères et que de nombreux facteurs pouvaient rendre difficile d’expliquer des croyances de manière concise, indépendamment de la sincérité de celles‑ci.Elle a relevé que certains éléments des explications données par le requérant manquaient de précision,mais a néanmoins estimé que celui-ci avait livré un récit relativement circonstancié devant l’Office des migrations et le Tribunal, leur exposant sa vision du christianisme et ses réflexions personnelles sur les différences entre l’islam et le christianisme. Elle a également estimé qu’il avait fait montre d’un degré de connaissance du christianisme de l’ordre de celui auquel on pouvait s’attendre de la part d’une personne de son niveau d’éducation. Elle a fait référence, plus particulièrement, à sa compréhension des différences entre l’islam et le christianisme s’agissant du traitement des femmes, ainsi qu’au désir de partager sa foi avec d’autres qui l’animait. Elle n’a vu aucune raison de mettre en doute la sincérité des croyances du requérant et a voté en faveur de l’octroi du statut de réfugié et de résident temporaire. Cette position n’a pas recueilli un appui suffisant et le rejet de la demande d’asile a été confirmé. La demande d’autorisation d’interjeter appel a été refusée et la décision de renvoi est donc devenue définitive et exécutoire.

2.7Le requérant a poursuivi ses activités religieuses et a publié des vidéos des représentations du groupe de musique, des photographies le montrant en train de participer à des activités religieuses ainsi que des citations de la Bible sur son compte Instagram, qui était suivi par plus de 12 000 personnes, principalement de langue dari. Il a ensuite commencé à recevoir des menaces de la part d’Afghans et d’Iraniens, qu’il a signalées à la police.

2.8Le 21 septembre 2018, le requérant a déposé une demande auprès des autorités de l’immigration tendant à ce qu’elles tiennent compte de ces nouvelles circonstances dans le cadre de sa demande d’asile, et dans laquelle il affirmait que les menaces qu’il avait reçues apportait un nouvel éclairage au danger qu’il encourait en Afghanistan et constituaient donc un obstacle permanent à son renvoi au regard de la loi relative aux étrangers. La décision de renvoi a été suspendue en attendant que le Tribunal administratif de l’immigration statue sur la demande. Le requérant a fourni des captures d’écran de ses comptes de médias sociaux et de conversations dans lesquelles un proche l’accusait d’être un infidèle. Il a également dit avoir reçu d’autres menaces, qu’il avait supprimées de ses comptes de médias sociaux. Dans la décision qu’il a rendue le 2 février 2018, le Tribunal a conclu que les faits présentés ne constituaient pas des circonstances nouvelles, mais venaient plutôt compléter ou modifier l’argument déjà invoqué, selon lequel il était connu en tant que chrétien en Afghanistan, allégation qui avait déjà fait l’objet d’une décision définitive. Par conséquent, sa demande a été rejetée, le sursis au renvoi levé et l’autorisation d’interjeter appel refusée.

2.9Le requérant affirme que le traitement de sa demande d’asile était entaché de vices de procédure, et que la société civile avait déjà pointé du doigt ce type de vice à plusieurs reprises s’agissant du système d’asile en général. Dans le cas particulier du requérant, les décideurs se sont intéressés presque exclusivement à son niveau de connaissance théorique de la religion, plutôt qu’à son ressenti subjectif de ce qu’il avait vécu sur le plan de la foi au sein de l’église qui l’avait accueilli et à laquelle il associait le christianisme. Les conversions sur place suscitent la méfiance et sont appréciées en fonction de la mesure dans laquelle il est satisfait à une charge de la preuve excessivement lourde qui diminue les chances d’avoir gain de cause. Dans des affaires telles que la sienne, et comme il ressort des procès‑verbaux des procédures, les demandeurs d’asile sont censés expliquer de manière concise les raisons théologiques qui justifient leur choix d’une religion ou d’une secte plutôt qu’une autre, en répondant à des questions fermées auxquelles une seule réponse peut donner satisfaction, sans qu’il soit tenu compte des raisons affectives, culturelles, socioéconomiques et interpersonnelles pour lesquelles une personne adopte une croyance en particulier et de la manière dont cette croyance se manifeste et se développe au fil du temps, ni de la difficulté d’expliquer tous ces éléments, qui sont très personnels, dans un contexte aussi anxiogène. Lorsque ces critères préconçus et très restrictifs ne sont pas remplis, on considère que l’intéressé manque de crédibilité et, par conséquent, les preuves qu’il présente pour établir la sincérité de ses croyances ne se voient accorder aucune valeur probante et sont rejetées pour l’essentiel. En l’espèce, le requérant n’a pas reçu d’enseignement scolaire, ne savait pas lire quand il est arrivé en Suède et n’a pas l’habitude de parler de religion en ces termes, de sorte qu’il n’a pas été jugé crédible. Les témoignages des personnes les mieux placées pour juger de sa sincérité n’ont tout simplement pas été pris en considération.

2.10Le requérant explique que la question du risque qu’il courrait en Afghanistan n’a pas été examinée plus avant après qu’il a été conclu que son récit n’était pas crédible. Quelle que soit l’opinion de l’État partie au sujet de la sincérité de sa conversion, ce dernier n’a pas tenu compte des conséquences qu’avaient les activités qu’il menait dans les médias sociaux et qui étaient connues en Afghanistan, comme en témoignent les menaces qu’il a reçues. L’État partie n’a donc pas suffisamment apprécié le risque qu’il courrait en Afghanistan, le deuxième endroit le plus dangereux au monde pour les chrétiens, où les persécutions extrêmes qu’ils subissent sont notoires.Personne ne connaît les chiffres exacts, mais moins de 0,3 % de la population avoue pratiquer une autre religion que l’islam.L’apostasie (soit le fait d’abandonner l’islam pour se convertir à une autre religion ou devenir athée) est considérée comme unhoudoud, catégorie d’infraction la plus grave en Afghanistan. Parconséquent, un apostat ne peut être gracié et, s’il refuse d’abjurer ou se comporte encore comme un apostat après avoir abjuré, il est condamné à la peine de mort. Une personne peut être accusée d’apostasie sans nécessairement pratiquer le christianisme ou même être athée. Au rang des nombreux actes considérés comme relevant de l’apostasie figure le fait de renier l’islam et ses cinq piliers ou de déclarer que Mahomet n’est pas le dernier prophète.Lerequérant affirme que, selon de nombreuses sources, c’est la famille même des personnes considérées comme des apostats ainsi que la communauté dans laquelle ils vivent qui représentent le plus grand danger. Il est avéré que des apostats ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires ou de crimes d’honneur. Le requérant affirme que l’État partie n’a enquêté sur aucun de ces éléments après avoir conclu que son témoignage oral faisait apparaître un manque de crédibilité.

2.11Le frère du requérant s’est vu accorder un permis de séjour et le statut de réfugié en raison de sa conversion au christianisme, qui avait été jugée sincère. Il n’en va pas de même pour le requérant : dès lors qu’il n’a pas satisfait aux critères arbitraires imposés par les autorités de l’État partie et dont celles-ci pensent qu’ils permettent de caractériser la foi, il se verra privé de communion avec d’autres chrétiens et de la possibilité d’entretenir des affinités avec eux, de l’intimité de la foi que procurent la prière et la dévotion communes, ainsi que du soutien communautaire et de la possibilité d’exprimer ses croyances. Au lieu de cela, s’il est expulsé, il sera personnellement exposé à un risque grave, notamment en raison des activités qu’il a menées sur place depuis sa conversion, qui sont désormais connues en Afghanistan. De plus, le fait de ne pas se comporter conformément à des normes sociales et religieuses strictes au quotidien représente un danger constant pour sa vie.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que sa vie serait exposée à une menace réelle, sérieuse et personnelle s’il était renvoyé en Afghanistan et que l’expulser sans avoir procédé à une appréciation rigoureuse conformément aux normes internationales constituerait donc une violation par l’État partie des dispositions de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale en date du 4 septembre 2019, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

4.2L’État partie fait tout d’abord savoir au Comité qu’en vertu de l’article 22(par.1) du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, une décision d’expulsion qui n’émane pas d’une juridiction ordinaire est caduque quatre ans après être devenue définitive et non susceptible d’appel. La décision d’expulser le requérant sera donc frappée de prescription le 2 février 2022.

4.3L’État partie soutient que l’affirmation du requérant selon laquelle il courrait le risque de subir un traitement constitutif d’un manquement aux obligations énoncées par l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Afghanistan n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. L’État partie considère que la communication est manifestement dénuée de fondement et irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.4À supposer que le Comité juge la communication recevable, le requérant n’ayant pas étayé ses griefs selon lesquels son expulsion vers l’Afghanistan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention en raison du risque qu’il y courrait en tant que chrétien converti ou personne à qui l’on attribue des convictions chrétiennes, la requête est dénuée de fondement et ne fait apparaître aucune violation de la Convention.

4.5L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle, pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le renvoi forcé d’une personne vers un autre État exposerait celle‑ci à un risque de torture tel qu’il constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives.Toutefois, comme le Comité l’a également souligné, le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée courrait un tel risque. Pour qu’il y ait imputation d’une violation de l’article 3 de la Convention, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé risquerait personnellement et effectivement de subir un tel traitement.

4.6En outre, l’État partie rappelle l’avis du Comité selon lequel la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Deplus, le risque de torture doit être apprécié en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, même s’il n’est pas nécessaire de montrer que ce risque est hautement probable.

4.7L’État partie renvoie aux informations fournies au Conseil des droits de l’homme, selon lesquelles des progrès largement reconnus ont été accomplis dans le domaine des droits de l’homme en Afghanistan. S’il ne sous‑estime pas les préoccupations légitimes que suscite la situation actuelle des droits de l’homme en Afghanistan, il ne voit aucune raison de s’écarter de l’appréciation faite par ses autorités de l’immigration, selon laquelle on ne saurait considérer que la situation dans cette région est telle qu’il existe un besoin général de protéger tous les demandeurs d’asile originaires de ce pays. Par conséquent, le requérant doit montrer qu’il courrait personnellement un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il y était renvoyé. L’État partie relève que les autorités et les juridictions nationales de l’immigration ont examiné la situation actuelle des droits de l’homme en Afghanistan en tenant compte de la situation individuelle du requérant et ont conclu que celui‑ci n’avait pas étayé son grief selon lequel il avait besoin d’une protection internationale.

4.8L’État partie appelle l’attention du Comité sur les dispositions de la loi relative aux étrangers, qui reprend les principes qui sous‑tendent l’article3 de la Convention. Il affirme ainsi que lorsqu’elles examinent une demande d’asile, les autorités suédoises de l’immigration appliquent les mêmes critères que ceux qui sont appliqués pour examiner une requête soumise au titre de la Convention. L’État partie affirme en outre que de tels critères ont été appliqués dans le cas du requérant, comme en témoigne, selon lui, le fait que la décision des autorités nationales concernant la demande d’asile du requérant renvoie aux articles 1er et 2 du chapitre 4 de la loi relative aux étrangers.

4.9En outre, l’État partie souligne que, dans le cadre d’une telle procédure, les autorités nationales sont à même d’évaluer les informations qui leur ont été présentées pour apprécier le risque encouru par un individu, et ont notamment l’avantage de pouvoir apprécier la crédibilité des déclarations et des affirmations du demandeur. À cet égard, tant l’Office des migrations que le Tribunal administratif de l’immigration ont procédé à des examens approfondis du dossier du requérant, conformément aux normes applicables.

4.10À titre d’information complémentaire, l’État partie confirme que l’Office suédois des migrations a eu un entretien préliminaire avec le requérant concernant sa demande d’asile, le 5 décembre 2015, et qu’un entretien approfondi de demande d’asile a eu lieu le 15 juin 2017, en présence d’un conseil commis d’office. Le procès‑verbal a ensuite été communiqué au conseil afin qu’il formule des observations. Au terme d’une évaluation globale et individuelle, l’Office a estimé que le requérant n’avait pas démontré de manière plausible que sa conversion au christianisme reposait sur des convictions religieuses personnelles et sincères ou qu’il entendait vivre en tant que chrétien converti une fois de retour en Afghanistan. L’Office a notamment relevé que le requérant n’avait pas été en mesure d’expliquer pourquoi il avait choisi d’abandonner l’islam ou ce que le christianisme signifiait pour lui. En outre, il n’a pu répondre qu’en termes généraux à ce qu’impliquait la foi chrétienne et n’a pas pu relier les informations qu’il avait fournies à des événements qu’il avait vécus. Il a également déclaré qu’il n’avait pas conscience des risques qu’une conversion pouvait comporter et a affirmé qu’en tout état de cause ces risques lui importaient peu.L’Office suédois des migrations a en outre estimé que le récit du requérant concernant l’importance du baptême dans la foi chrétienne, ainsi que celle qu’elle revêtait pour lui personnellement, avait un caractère très général. Il n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il avait été baptisé au moment choisi. En réponse aux questions concernant les raisons pour lesquelles il avait choisi d’être protestant en particulier et sur la signification du protestantisme, le requérant s’est contenté de demander en quoi ce point était important et n’a pas été en mesure d’expliquer ce que signifiait le protestantisme. Par conséquent, l’Office a estimé que le requérant n’était pas en mesure d’expliquer en détail pourquoi il avait choisi le christianisme ou la foi protestante au sein du christianisme, et conclu qu’il n’avait pas démontré de manière plausible qu’il serait personnellement exposé à une menace en Afghanistan ou que les conditions de sécurité dans le pays étaient telles qu’on pouvait considérer qu’elles créaient un besoin généralisé de protéger tous les demandeurs d’asile originaires de ce pays. La demande a été rejetée.

4.11Le requérant a introduit un recours auprès du Tribunal administratif de l’immigration, devant lequel il a pu comparaître en personne et témoigner. Il a également bénéficié des services d’un interprète pendant l’audience. À l’issue de l’appréciation individuelle globale à laquelle il s’est livrée, le Tribunal, considérant que le requérant n’avait pas démontré de manière plausible que sa conversion reposait sur une conviction religieuse sincère et personnelle, a confirmé la conclusion de l’Office.Le Tribunal a estimé, notamment, que même si une décision d’abandonner l’islam pour se convertir au christianisme emportait d’importantes conséquences, le requérant n’avait donné que des réponses vagues et générales sur les raisons pour lesquelles il avait choisi de se convertir, et qu’il n’avait pas été en mesure d’expliquer plus avant les motifs de sa décision. Sa connaissance du christianisme a été jugée très générale. Le Tribunal, qui n’a pas remis en question les activités religieuses citées par le requérant, a estimé qu’il ressortait avant tout de son témoignage qu’il appréciait grandement le soutien social que lui apportait l’Église. Le Tribunal a conclu que le requérant n’avait pas démontré de manière plausible que sa foi lui imposerait de vivre en tant que chrétien en Afghanistan ou qu’il était considéré comme un chrétien en Suède ou en Afghanistan. Parconséquent, le Tribunal a conclu que le requérant n’avait pas démontré que le risque qu’il courrait en Afghanistan obligeait l’État partie à lui fournir une protection.

4.12À cet égard, l’État partie affirme que, dans le cadre de la procédure devant l’Office suédois des migrations, le requérant, qui bénéficiait de l’assistance d’un interprète et d’un avocat commis d’office, a été invité à examiner le procès‑verbal de l’entretien avant l’audience et à présenter des observations écrites pour corriger toute information erronée.Ila également été invité à présenter des observations écrites à l’appui de son recours après l’audience. Le requérant a donc eu à plusieurs reprises l’occasion de faire état de tous les faits pertinents et d’apporter les corrections nécessaires. Dans ces deux procédures, les autorités décisionnaires disposaient d’informations suffisantes, compte tenu des faits et des pièces versées au dossier, pour apprécier de manière éclairée, transparente et raisonnable les risques encourus par le requérant et son besoin de protection.

4.13L’État partie rappelle à cet égard la jurisprudence du Comité, dont il ressort qu’il faut accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné. Il renvoie en outre à des décisions du Comité dans lesquelles celui-ci a clairement dit que c’est aux tribunaux nationaux qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice.

4.14Au vu de ce qui précède, et du fait que l’Office suédois des migrations et les tribunaux sont des organes spécialisés dans le domaine du droit et de la pratique en matière d’asile, l’État partie affirme qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions rendues par des organes nationaux étaient inadéquates, arbitraires ou équivalaient à un déni de justice. Parconséquent, il convient d’accorder un poids considérable à ces décisions, selon lesquelles le renvoi du requérant en Afghanistan ne lui ferait pas courir personnellement un risque de l’ordre de celui prévu par la Convention.

4.15En ce qui concerne le grief du requérant pris de ce qu’en tant que converti au christianisme, une fois en Afghanistan, il risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention,et de son affirmation selon laquelle les médias sociaux ont rendu sa conversion publique en Afghanistan, comme en témoignent les menaces qu’il a reçues, ce qui l’expose au risque de subir un tel traitement, l’État partie souligne que l’intéressé n’a pas été en mesure de démontrer de manière plausible que sa conversion reposait sur une foi sincère, raison pour laquelle elle n’avait pas été jugée crédible.

4.16L’État partie affirme que le requérant souhaite en fait se servir du Comité comme d’une juridiction du quatrième degré afin de faire modifier la décision relative à sa crédibilité. Il rappelle qu’il n’appartient pas au Comité d’agir de la sorte lorsqu’il n’y a aucune raison de considérer, comme c’est le cas en l’espèce, que les décisions rendues par des organes nationaux étaient entachées de vices de procédure tels que les conclusions tirées étaient arbitraires ou équivalaient à un déni de justice.

4.17L’État partie admet que, selon les informations disponibles concernant le pays, les personnes qui retournent en Afghanistan après avoir renié l’islam ou s’être converties à une autre religion au cours d’une procédure d’asile s’exposent à un risque de persécution réel qui nécessite donc une protection internationale. C’est au demandeur d’asile qu’il incombe de prouver que sa conversion repose sur une conviction religieuse sincère. La simple affirmation qu’il y a eu conversion ne suffit toutefois pas à établir l’existence d’un risque réel de persécution.

4.18L’État partie soutient que les autorités nationales ont examiné la situation du requérant conformément aux Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, établi par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour administrative d’appel de l’immigration. Les circonstances dans lesquelles la conversion a eu lieu ont fait l’objet d’un examen global visant à établir si le requérant allait effectivement vivre comme un chrétien à son retour en Afghanistan. Il a été tenu compte du fait que la conversion présumée avait eu lieu en Suède et qu’elle ne s’inscrivait donc pas dans le prolongement d’opinions religieuses auxquelles le requérant adhérait déjà avant son arrivée dans l’État partie. Par conséquent, une attention particulière a été accordée à la fiabilité et à la crédibilité de la conversion en question.

4.19Conformément aux principes directeurs du HCR, le Tribunal administratif de l’immigration a tenu une audience afin de faire le point sur la nature de la foi du requérant, la manière dont il avait été initié au christianisme, toute conviction religieuse qu’il nourrissait avant ou depuis sa conversion, toute éventuelle désaffection à l’égard de sa précédente religion, ainsi que sur la façon dont il avait manifesté sa foi dans le cadre de son parcours personnel et de sa participation aux activités religieuses ; il a notamment examiné son certificat de baptême et entendu des témoignages visant à appuyer sa thèse. Contrairement à ce que le requérant a affirmé au Comité, les autorités nationales ont tenu compte de toutes les pièces fournies dans le cadre de leur appréciation. Elles n’ont pas contesté le fait que le requérant avait été baptisé ou qu’il avait participé à des activités religieuses. Cependant, elles ont considéré que ces éléments ne suffisaient pas à étayer l’affirmations selon laquelle le requérant s’était converti en raison d’une conviction religieuse chrétienne sincère et personnelle, conformément à la jurisprudence nationale établie.

4.20Après que le Tribunal des migrations a rejeté son recours, la décision d’expulsion visant le requérant est devenue définitive et exécutoire. Le requérant a alors présenté, en vertu des articles18 et 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, une demande de réexamen de la question de son droit au statut de réfugié, au motif que de nouvelles circonstances liées à sa conversion présumée étaient apparues et que sa famille s’était vu accorder des permis de séjour en Suède.

4.21À ce sujet, l’État partie fait observer que ses autorités ne peuvent ni réexaminer une décision rendue par une autorité supérieure ni apprécier la justesse des appréciations faites par une telle autorité. Une fois la décision d’expulsion devenue exécutoire, l’opportunité d’accorder un permis de séjour ne peut être examinée que si un étranger établit l’existence de circonstances nouvelles qui constituent un obstacle durable à l’exécution de la décision. Les éléments de preuve produits par le requérant visant à établir l’existence de circonstances nouvelles n’ont pas été considérés comme constituant des faits nouveaux au sens de la loi relative aux étrangers. En outre, étant donné que le requérant était un adulte et que sa demande d’asile avait été examinée séparément de celles des membres de sa famille, il ne semblait pas déraisonnable de l’expulser vers l’Afghanistan alors que les membres de sa famille s’étaient vu accorder des permis de séjour temporaires en Suède pour des raisons différentes. Par conséquent, il n’y avait pas de circonstance nouvelle faisant apparaître un obstacle durable à l’exécution de la décision d’expulsion, et rien ne justifiait donc d’examiner à nouveau l’affaire concernant le requérant.

4.22Le requérant a fait appel de cette décisiondevant le Tribunal administratif de l’immigration, qui a conclu que la conversion alléguée du requérant avait déjà été examinée par les autorités de l’immigration.Les éléments de preuve produits se limitant à étayer plus avant le même argument, ils ne constituaient pas des faits nouveaux au sens de l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, dont il a été établi qu’il excluait la possibilité de modifier les faits initialement exposés ou de les compléter.

4.23Les circonstances que le requérant a avancées concernant sa santé et les membres de sa famille étaient sans rapport avec le besoin de protection internationale invoqué. En tout état de cause, la situation du requérant sur le plan humanitaire n’a pas été jugée de nature si exceptionnelle qu’elle justifiait d’examiner à nouveau la question de la nécessité pour lui de demeurer sur le territoire de l’État partie. Le Tribunal des migrations a donc rejeté le recours.

4.24L’État partie prend également note des allégations du requérant selon lesquelles la procédure d’asile en Suède connaîtrait des défaillances systémiques et fait référence à un article écrit par divers membres de l’Église qui a été présenté à l’appui de ce grief. Il dit que cet article contient des informations générales qui, comme elles relèvent du domaine public, ont de toute façon été examinées par les autorités. Cet article n’ayant aucun lien avec la situation individuelle du requérant, il ne présente aucun intérêt pour l’affaire dont est saisi le Comité. L’État partie réaffirme que les organes nationaux sont mieux placés pour apprécier les risques présumés encourus par des individus en raison de diverses activités, y compris de messages publiés dans les médias sociaux, que les auteurs de cet article, qui n’ont pas rencontré les personnes auxquelles ils font référence.

4.25L’État partie réaffirme que tous les éléments invoqués par le requérant ont été examinés de manière approfondie, mais qu’il a été estimé qu’ils n’établissaient pas l’existence d’une conviction religieuse sincère et personnelle. Il affirme donc qu’il n’y a aucune raison de conclure que les procédures menées devant les autorités nationales étaient inadéquates, ou que les décisions rendues étaient d’une quelconque manière arbitraires ou équivalaient à un déni de justice.Le Comité n’étant pas une juridiction du quatrième degré et n’ayant pas eu l’occasion d’entendre le témoignage du requérant et d’établir la véracité de son témoignage pour pouvoir apprécier sa crédibilité en toute connaissance de cause, il doit accorder un poids considérable aux conclusions des décideurs qui ont pu mener une enquête approfondie. L’État partie affirme donc qu’il n’y a aucun fondement sur lequel examiner à nouveau les faits et les preuves.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 7 janvier 2020, le requérant a soumis des commentaires.

5.2En réponse à l’affirmation selon laquelle la requête est irrecevable au motif qu’elle est manifestement dénuée de fondement, le requérant avance qu’il a dûment fondé ses griefs et que la communication est donc recevable.

5.3Il réaffirme que ses arguments concernant le danger couru par les personnes converties au christianisme en Afghanistan sont solidement étayées. Il renvoie à des informations concernant le pays qui confirment que seulement 0,3 % de la population avoue être de confession chrétienne. De plus, les chiffres exacts ne sont pas connus, car les chrétiens sont contraints de rester cachés par crainte de subir des représailles susceptibles de mettre leur vie en danger. L’Afghanistan est classé au deuxième rang des pays les plus dangereux au monde pour les chrétiens, qui sont en proie à une persécution extrême et qui risquent en particulier d’être pris pour cible par la communauté, selon un rapport publié en 2017. Par conséquent, il a montré qu’étant donné qu’il était chrétien, fait qu’il a également étayé par les preuves qu’il a produites et des témoignages, il courrait un risque sérieux d’être soumis à un traitement constitutif de torture en Afghanistan, ce qui signifie que l’État partie à l’obligation, en vertu de l’article 3, de ne pas l’expulser, le refouler ou l’extrader vers ce pays.

5.4Le requérant convient avec l’État partie que le fond de ses griefs dépend de l’existence ou non de motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible, réel et actuel d’être soumis à un traitement contraire à la Convention en Afghanistan. Ayant établi que le traitement subi par les chrétiens en Afghanistan répond à la norme requise, conclusion qui semble ne pas avoir été contestée, la question en jeu est de savoir si l’appréciation faite par l’État partie, dans son cas particulier, était suffisamment fiable pour déterminer le niveau de risque auquel il serait exposé et, par conséquent, si celui-ci avait l’obligation de lui accorder une protection internationale.

5.5Le requérant avance que les autorités de l’immigration de l’État partie n’ont pas apprécié ce risque de manière adéquate, car elles ont fixé des critères inutilement stricts auxquels sa conversion devait satisfaire pour être considérée comme sincère, ce qui signifiait en fait que les décisions rendues par les organes nationaux étaient fondées presque uniquement sur sa capacité à présenter des arguments convaincants par oral et par écrit pour décrire ses motivations personnelles et sa conviction religieuse. Il a été conclu que ses affirmations manquaient de crédibilité, raison pour laquelle le témoignage produit à l’appui de ses griefs a été considéré comme ayant peu ou pas de valeur probante. Le requérant ajoute que l’importance primordiale accordée par les autorités à ses connaissances théologiques, ou à son manque de connaissances, va directement à l’encontre des orientations juridiques interprétatives du HCR sur les demandes d’asile fondées sur la religion. Dans ces orientations, il est clairement indiqué qu’il n’y pas nécessairement de lien entre une connaissance détaillée d’un demandeur sur sa religion et la sincérité de sa conviction, et qu’il sera souvent plus approprié et utile, voire nécessaire, d’obtenir des informations concernant l’identité religieuse ou la manière de vivre de l’intéressé au moyen de questions appelant des réponses descriptives, notamment des questions ouvertes qui permettent au demandeur d’expliquer son expérience personnelle.Comme le montre clairement l’affaire concernant le requérant, les questions fermées ne sont utiles que pour obtenir des réponses qui répondent à une norme, lesquelles peuvent amener la personne qui conduit l’entretien à juger la réponse uniquement à l’aune de ce qu’elle attendait, au lieu d’aider l’autorité décisionnaire à approfondir sa compréhension des nombreuses façons dont la croyance peut se manifester dans la vie de la personne interrogée.

5.6Le requérant réaffirme que les autorités n’ont pas dûment apprécié la situation des droits de l’homme en Afghanistan au regard de sa situation personnelle. Il souligne qu’en Afghanistan, la charia l’emporte sur toutes les autres lois. En vertu de la charia, les peines dont sont passibles les houdoud, qui sont considérés comme les infractions les plus graves, ne sont pas commuables. En cas d’apostasie, qui est passible de la peine de mort, un délai de réflexion est accordé à l’intéressé pour lui permettre d’abjurer. Cependant, s’il est jugé que l’intéressé persiste dans son comportement délictueux, il est exécuté. L’apostasie ne consiste pas uniquement à changer de religion ou à être un athée confirmé, mais englobe de nombreux autres éléments, notamment le fait de faire des déclarations interprétées comme étant une répudiation de l’islam et de ses cinq piliers ou le refus de reconnaître que Mahomet est le dernier prophète.Le fait de ne pas abjurer après une conversion ou, en cas d’abjuration, de ne pas réussir à convaincre autrui de la sincérité de cette démarche, est passible de la peine de mort.

5.7En outre, les personnes qui n’adhèrent pas à des mœurs sociales, culturelles et religieuses dont on exige le respect le plus strict suscitent immédiatement la suspicion, situation qui présente en soi un risque sérieuxde persécution sous la forme de dénigrement public, d’agressions physiques et de dénonciation aux autorités. Le requérant répète que l’État partie n’a pas enquêté sur les implications de ses pratiques religieuses quotidiennes, se concentrant uniquement sur les conséquences du fait d’être soupçonné en Afghanistan de s’être converti au christianisme. Cela n’est pas conforme aux obligations mises à la charge de l’État partie par la Convention et ne répond pas non plus aux normes énoncées dans la législation nationale, qui interdit d’expulser une personne vers un pays où elle sera exposée au risque de subir des châtiments corporels, d’être condamnée à la peine de mort ou de subir des persécutions, en plus d’être soumise au risque d’être soumise à la torture et à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

5.8Le requérant affirme en outre que, bien qu’il ait présenté de nouveaux éléments de preuve sous forme de captures d’écran de ses publications en ligne et des menaces de mort qu’il avait reçues en lien avec ces publications après la clôture de la procédure d’asile, éléments qui, selon lui, témoignent de toute évidence d’une nouvelle circonstance constituant un obstacle permanent à son renvoi, puisqu’il n’aurait pas pu faire état de ces menaces plus tôt, les autorités judiciaires ont refusé de prendre en compte ces éléments de preuve, car ils étaient liés à la demande qu’il avait soumise précédemment et étaient donc considérés comme venant la compléter.

5.9Le requérant soutient donc qu’à tout moment il a formulé des griefs clairement étayés, qui ont été rejetés sur le fondement de son témoignage oral et que, par conséquent, l’État partie a manqué à son obligation d’apprécier rigoureusement la menace qui pèserait sur lui en tant que chrétien converti ayant diffusé publiquement des informations en lien avec ses croyances religieuses, qui lui avaient valu des menaces avant même d’être expulsé.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note en date du 7 avril 2020, l’État partie a fait observer que les commentaires du requérant n’apportaient aucun nouvel élément de fond à la requête.

6.2L’État partie conteste la présentation par le requérant d’un rapport, établi par des organisations religieuses, sur les vices de procédure systématiques inhérents à la procédure d’asile dans l’État partie, au motif que cette information est de caractère général et n’a aucun lien avec la situation du requérant. Il affirme que ce rapport devrait donc être rejeté. Il conteste également le versement au dossier par le requérant d’articles (sans préciser quels sont les articles auxquels il fait référence), et dit que du fait qu’ils n’ont pas été soumis aux autorités nationales dans le cadre de la procédure interne concernant la situation particulière du requérant, tout grief à cet égard est irrecevable pour cause de non‑épuisement des recours internes.

6.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable et que le requérant n’a pas établi sur le fond que les procédures internes présentaient un caractère arbitraire ou que les autorités avaient omis d’examiner ou de prendre en compte un quelconque élément. En conséquence, rien dans la requête ne permet de conclure que le requérant courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à un traitement contraire à la Convention et qu’en l’expulsant, l’État partie manquerait aux obligations mises à sa charge par la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, il n’examine aucune requête d’un particulier sans s’être assuré que celui‑ci a épuisé tous les recours internes disponibles s’agissant des griefs qui y sont formulés. Il prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les « articles » qui lui ont été soumis par le requérant, qui contiennent des informations générales sans lien avec l’espèce, n’ont pas été soumis aux autorités aux fins d’un examen interne. Le Comité relève en outre que, même si l’État partie ne nomme pas précisément les informations auxquelles il fait référence, ses préoccupations semblent se limiter aux informations de caractère général ; il n’a pas contesté le fait que tous les griefs du requérant relatifs à sa demande d’asile individuelle avaient fait l’objet d’un examen au niveau national ni que l’intéressée n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles s’agissant de ces demandes individuelles. Le Comité conclut donc que tout en excluant de son examen les allégations de nature générale relevant du domaine public, il n’est pas empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner la communication du requérant.

7.3L’État partie soutient que la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Le Comité estime toutefois que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes qui doivent être examinées au fond. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 22 (par. 4) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties intéressées.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en Afghanistan constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

8.3Le Comité doit donc apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Afghanistan. Pour ce faire, conformément à l’article 3 (par. 2) de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Ils’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017), selon laquelle il apprécie l’existence de « motifs sérieux » et considère que le risque de torture est prévisible, personnel, actuel et réel lorsqu’il existe, au moment où il adopte sa décision, des faits crédibles démontrant que ce risque en lui‑même aurait des incidences sur les droits que le requérant tient de la Convention en cas d’expulsion.Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant et/ou des membres de sa famille ; c) l’arrestation ou la détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace ; e) les actes de torture subis antérieurement (par. 45). S’agissant du fond d’une communication soumise en vertu de l’article 22 de la Convention, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe à l’auteur de la communication, qui doit présenter des arguments défendables, c’est‑à‑dire montrer de façon détaillée qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture (par. 38). Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations, car il peut apprécier librement les informations dont il dispose, conformément à l’article 22 (par.4) de la Convention, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas (par. 50).

8.5Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il existe des motifs sérieux de croire qu’une fois renvoyé en Afghanistan, il serait soumis à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ce risque découle selon lui des informations diffusées sur les réseaux sociaux, qui ont été consultées par les 12 000 personnes qui suivent son compte Instagram et parlent principalement le dari, et qui portaient sur sa conversion au christianisme, ainsi que de sa publication d’autres contenus à caractère chrétien. Ce risque est susceptible d’être amplifié par le fait qu’il est probable que ces informations soient diffusées plus avant par le jeu de ces plateformes, comme le confirment les menaces qu’il a déjà reçues en conséquence directe de son activité en ligne. Ilaffirme qu’au vu des informations disponibles concernant le traitement réservé aux chrétiens convertis en Afghanistan, il a clairement prouvé que sa conversion, qui repose sur une foi sincère, l’expose à un risque sérieux d’être soumis à un traitement contraire à la Convention, dont les autorités de l’État partie n’ont pas tenu compte en raison de leur vision trop normative et limitée de l’évolution et de la manifestation d’une croyance personnelle. Ilaffirme que cette interprétation restrictive a amené les autorités à conclure qu’il manquait de crédibilité, et ce, uniquement sur le fondement de son témoignage, ce qui a eu pour autre conséquence qu’elles n’ont pas pris en considération toutes les preuves produites à l’appui de sa thèse dans leur ensemble, en tenant compte de son éducation et de sa culture. Parconséquent, son expulsion vers l’Afghanistan constituerait une violation des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention.

8.6Le Comité prend également note des affirmations de l’État partie selon lesquelles tous les griefs du requérant ont été considérés avec objectivité et dûment examinés par ses organes spécialisés dans les questions de migration, qui se sont appuyés sur leur expérience et leur savoir‑faire en matière d’asile et ont eu la possibilité de prendre connaissance de toutes les informations dont ils disposaient, y compris le témoignage oral livré par le requérant devant les deux organes saisis. Ces organes sont toutefois parvenus à la conclusion que le témoignage du requérant était trop vague et trop général en ce qui concernait les raisons de sa conversion, ne dénotait pas la réflexion sérieuse qu’une telle décision devait avoir nécessitée et ne permettait pas de savoir s’il avait réellement été motivé par un changement de son système de croyance. Le requérant n’a pas été en mesure de développer ses idées, de cerner les éléments importants du symbolisme du christianisme, ni d’expliquer pourquoi il avait été attiré par le protestantisme en particulier ou pourquoi il en était venu à rejeter l’islam. Les organes ont donc conclu que le récit du requérant manquait de crédibilité et que, par conséquent, sa conversion ne reposait pas sur une conviction religieuse sincère. Ils n’ont pas contesté le baptême en soi ou le fait que le requérant allait à l’église et assistait à d’autres manifestations, mais ils n’ont pas jugé que les déclarations des autres témoins pouvaient compenser la faiblesse du témoignage du requérant s’agissant de la sincérité de sa conversion même. Dans ces conditions, les autorités ont conclu que rien ne motiverait le requérant à continuer d’exercer sa foi chrétienne en Afghanistan et qu’il ne risquait donc pas d’éveiller les soupçons et d’être persécuté de ce fait. Le Comité note que l’État partie soutient que l’affaire du requérant a fait l’objet d’un examen solide, et que toutes les garanties de procédure ont été respectées. Il prend note en outre de l’affirmation de l’État partie selon laquelle rien dans la requête à l’examen ne pousse à conclure que le requérant courrait personnellement un risque sérieux s’il était renvoyé en Afghanistan et que, partant, rien n’indique que l’État partie a manqué à ses obligations internationales.

8.7Le Comité relève que, depuis le 16 juillet 2021, conformément aux recommandations de non‑retour du HCR, l’Office suédois des migrations a mis un terme à toutes les expulsions vers l’Afghanistan et ne déboute plus les Afghans de leur demande d’asile. Parconséquent, le Comité estime avoir l’assurance qu’une fois l’interdiction d’expulsion levée, les demandes d’asile émanant d’Afghans qui avaient été précédemment rejetées feront l’objet d’un nouvel examen tenant compte de la situation des droits de l’homme en Afghanistan telle qu’elle se présentera à ce moment‑là.

8.8Ayant ces considérations à l’esprit, le Comité se bornera à examiner la procédure suivie pour traiter les griefs du requérant. Tout d’abord, le Comité note que l’État partie rappelle qu’il incombe au requérant de fonder ses griefs, conformément au Guide du HCR. Le Comité rappelle à cet égard que le Guide développe ce principe juridique de base, indiquant que la tâche d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents sera menée conjointement par le demandeur et l’examinateur et quedans certains cas, il appartiendra même à l’examinateur d’utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l’appui de la demande.

8.9Le requérant a témoigné oralement devant l’Office suédois des migrations dans le cadre d’un entretien au fond qui a eu lieu le 15 juin 2017, alors qu’il avait 19 ans. Au cours de cet entretien, le requérant a déclaré ce qui suit : bien que de nationalité afghane, il n’a jamais mis un pied dans ce pays ; il souffre de dépression et d’anxiété ; « de nombreux problèmes [l’]empêchent de penser clairement » ;il était analphabète lorsqu’il est arrivé en Suède ; son père souffre d’un cancer et la responsabilité de s’occuper de ses parents était accablante ; il n’a jamais été autorisé à aller à l’école en République islamiqued’Iran ; l’oncle de son père a été tué en raisondu litige foncier survenu dans la famille ; la famille de sa mère l’a avertie qu’il ne fallait pas revenir en Afghanistan, car sa vie y serait en danger ; l’oncle de sa mère est encore membre du parti Hezb‑e Islami (il a montré une photo sur laquelle on le voit avec le chef du parti) ; son frère a tenté de se suicider.

8.10Lorsqu’il a expliqué ses croyances, le requérant a déclaré qu’en raison de tous les problèmes en lien avec son frère et son père et du sentiment de désespoir, de déception et de dépression qu’il ressentait, il s’était rendu dans une église voisine pour prier, et les personnes présentes avaient écouté l’histoire de sa vie et prié pour lui. Cela l’avait apaisé, et ses sentiments de désespoir et d’anxiété avaient disparu. Dès le moment où il était devenu chrétien, il s’était senti mieux moralement. Il n’allait pas à la mosquée, qu’il associait au chagrin ;il estimait que si l’islam était pacifique, il n’y aurait pas autant de combats et les Taliban ne tueraient pas des gens. Il n’aimait pas la façon dont ils traitaient les femmes, et avait expliqué que la famille de sa mère avait menacé de la tuer parce qu’elle travaillait dans la police en Afghanistan. En revanche, selon lui, le christianisme représentait la joie, tout le monde était heureux à l’église, il aimait chanter et prier et la Bible regorgeait de bons conseils et apprenait à aider les gens. Il a cité ses extraits préférés de la Bible et expliqué que, pour lui, être baptisé signifiait renaître, qu’il mourrait pour le christianisme comme Jésus était mort pour ses disciples et qu’il aimerait se rendre à Bethléem. Il semble donc avoir expliqué ses croyances personnelles et ce qui les motivait,ainsi que sa perception personnelle des différences entre le christianisme et l’islam.

8.11Les déclarations du requérant auraient dû déboucher sur une évaluation psychiatrique individuelle visant à déterminer s’il avait souffert d’un traumatisme ou s’il présentait un problème de santé mentale susceptible de compromettre sa capacité à livrer un témoignage clair. La demande d’asile aurait également dû être examinée en tenant compte de la situation du requérant sur les plans éducatif et culturel du requérant, et les attentes concernant sa capacité à exposer et à comprendre des concepts théologiques complexes auraient dû être définies en fonction de cette situation. Au lieu de cela, le critère appliqué correspondait au niveau de considération rationnelle auquel on pouvait objectivement s’attendre compte tenu de la gravité avec laquelle l’« apostasie », dont le requérant n’avait pas idée, était considérée en Afghanistan, un pays où il ne s’était jamais rendu.

8.12Il est également dit dans la décision qu’à la question de savoir quels étaient les symboles centraux du christianisme, le requérant avait répondu « la croix rouge ».Cependant, il ressort du procès‑verbal de l’entretien qu’en fait la question posée était la suivante : « Y a‑t‑il quelque chose dans le christianisme, équivalent au croissant dans l’islam, qui vous semble important ? ». Le requérant avait répondu « la Croix‑Rouge, qui aide les gens ». La question posée prêtait fortement à confusion et ne tenait aucunement compte du contexte culturel dans lequel s’inscrivait l’idée que l’on peut se faire de la croix rouge, qui trouve indirectement sa source dans le christianisme, ou du fait que, dans la région où le requérant a grandi, la Société iranienne du Croissant‑Rouge est l’équivalent exact de la Croix‑Rouge. La question ne tient pas non plus compte du fait que l’islam rejette le symbolisme et n’a pas d’équivalent de la croix.

8.13Il est également indiqué dans la décision que le requérant a déclaré qu’il avait su qu’il était prêt à être baptisé parce qu’il avait assisté à toutes les classes nécessaires à cette fin.Enfait, on lui avait demandé comment les personnes qui l’avaient baptisé avaient su qu’il était prêt, question à laquelle il avait répondu que c’était parce qu’il avait rempli les conditions préalables. Cela modifie complètement le sens de son engagement personnel envers son baptême et a constitué le fondement d’une conclusion qui lui était défavorable.

8.14Le Comité constate que les autorités se sont avant tout intéressées aux raisons pour lesquelles le requérant s’était converti au christianisme. Il relève également que dans sa décision, l’Office suédois des migrations a estimé que le requérant n’avait pas été en mesure de développer son raisonnement à ce sujet et que ses réponses étaient restées vagues et générales et n’avaient pas reflété ses expériences personnelles. Or malgré ce constat, il a tout bonnement rejeté la demande du requérant tendant à ce qu’il apporte un complément oralement. Le Comité relève que le Tribunal administratif de l’immigration a suivi ce raisonnement dans une large mesure, même si l’un des juges a émis une opinion dissidente indiquant clairement que les doutes concernant la crédibilité du requérant ne semblaient porter que sur les lacunes de ses connaissances bibliques et que celles‑ci pouvaient s’expliquer par le niveau d’éducation du requérant et le milieu culturel dont il était issu. Rien n’indique que l’ensemble des éléments de preuve aient été appréciés conjointement dans l’une ou l’autre des deux procédures. Le Tribunal n’a pas non plus estimé que les menaces de mort que le requérant avait reçues après avoir publié des informations dans les médias sociaux concernant ses croyances religieuses et les activités qu’il menait dans ce cadre constituaient des circonstances nouvelles créant un obstacle à son renvoi. Même en acceptant la définition étroite des circonstances nouvelles énoncée par la législation nationale, ces menaces ont été reçues après que la demande d’asile du requérant a été définitivement tranchée.Les menaces de mort ont été rejetées au motif qu’elles venaient compléter des questions déjà tranchées, sans qu’il soit procédé à une évaluation de bonne foi, à quelque stade que ce soit, de la probabilité que les activités du requérant sur les médias sociaux l’exposeraient à un risque de torture.Même si l’on présumait qu’il avait publié ces menaces de mort de mauvaise foi pour appuyer sa demande d’asile, ce que rien n’indique, il incombait à l’État partie d’apprécier cette question.

8.15À cet égard, le Comité relève qu’à aucun moment l’État partie n’a enquêté sur l’incidence réelle ou probable de l’activité prolifique du requérant dans les médias sociaux, où il avait publié des contenus à caractère clairement chrétiens concernant le risque qu’il courrait en Afghanistan. Il n’a pas non plus estimé que le diagnostic médical fourni après l’entretien au fond, qui confirmait un événement très traumatisant survenu pendant son enfance et les graves problèmes de santé mentale dont il souffrait toujours, constituait une raison d’adapter les attentes objectives qu’il nourrissait à l’égard de l’aptitude du requérant à témoigner, malgré des orientations claires à cet égard, ou justifiait de procéder à une quelconque évaluation de la disponibilité des soins médicaux en Afghanistan, soins que le médecin estimait être essentiels.

9.Au vu de ce qui précède, le Comité estime que l’État partie a manqué à son obligation de procéder à une évaluation individualisée du risque réel auquel le requérant serait personnellement exposé en Afghanistan.Compte tenu du fait que l’État partie n’a pas examiné les éléments de preuve en tenant compte du milieu culturel dont est issu le requérant et de son niveau d’éducation, n’a pas cherché à obtenir des preuves médicales indépendantes en tant qu’éléments d’appréciation, n’a pas examiné les éléments de preuve dans leur ensemble et n’a pas fidèlement reproduit les réponses du requérant, d’autant plus qu’elles ont servi de fondement à une appréciation de sa crédibilité du requérant et au rejet subséquent de son grief,le Comité conclut que l’État partie n’a pas procédé à une évaluation suffisante et individualisée du risque prévisible, réel, personnel et actuel que le requérant soit soumis à la torture s’il était expulsé vers l’Afghanistan.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 22 (par. 7) de la Convention conclut donc qu’en l’absence d’une telle évaluation, l’expulsion du requérant vers l’Afghanistan constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité considère que l’État partie est tenu par l’article 3 de la Convention de réexaminer la demande d’asile du requérant au regard des obligations mises à sa charge par la Convention et de la présente décision, et de ne pas expulser le requérant tant que sa demande d’asile sera à l’examen.

12.Conformément à l’article 118 (par. 5) de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci‑dessus.