Nations Unies

CAT/C/72/D/869/2018

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no869/2018 * , **

Communication soumise par :

Y. R. (représenté par un conseil, L. R.)

Victime (s) présumée (s) :

Le requérant

État partie :

Fédération de Russie

Date de la requête :

5 décembre 2017 (date de la lettre initiale)

Ré f é rences:

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 mai 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

12 novembre 2021

Objet :

Torture ; conditions de détention

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ;épuisement des recours internes ; abus de procédure

Question(s) de fond :

Torture par la police ; conditions de détention ;absence de soins médicaux

Article ( s ) de la Convention:

1, 2, 4, 6 et 12 à 16

1.Le requérant, Y. R., purge actuellement une peine de prison à vie en Fédération de Russie. Il soulève des griefs contre la Fédération de Russie au titre des articles 1, 2, 4, 6, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 (par. 1) de la Convention, avec effet au 1er octobre 1991. Le requérant est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 7 février 2008 à 11 h 30, le requérant a été appréhendé à son bureau, dans la ville de Touloun, et conduit au poste de police. Il y est resté jusqu’à l’établissement du procès‑verbal de son arrestation à 22 h 30. Il a été transféré à 1 h 30 du matin dans un centre de détention temporaire, à Touloun. Il y est resté jusqu’au 9 février 2008 à 15 h 50, puis a été conduit au centre de détention provisoire (SIZO) no 1 à Irkoutsk. Il a donc été détenu illégalement au poste de police pendant plus de huit heures. Les conditions de détention déplorables dans le centre de détention temporaire (bat-flanc en guise de lit, absence de nourriture, toilettes non séparées, pas d’assistance médicale malgré la demande de l’intéressé, absence de promenade, etc.) lui ont causé des souffrances physiques et mentales. À une date non précisée, le requérant a engagé une action civile en indemnisation devant le tribunal municipal de Touloun à raison de sa détention illégale pendant onze heures et des conditions de détention déplorables dans les locaux de détention temporaire de la police de Touloun. Son recours a été rejeté le 20 octobre 2015, le tribunal ayant conclu qu’il était dénué de fondement après avoir examiné les documents relatifs à la détention du requérant, pris note du fait que celui‑ci n’avait pas formulé de réclamation pendant sa détention, relevé la visite d’un avocat et étudié les documents techniques et les photographies montrant les conditions matérielles au poste de police. Le 19 novembre 2015, le requérant a interjeté appel de cette décision auprès du tribunal régional d’Irkoutsk, qui l’a débouté le 7 juin 2016. Le recours en cassation formé par le requérant le 1er août 2016 auprès de la même juridiction a été rejeté le 26 octobre 2016. Son recours en cassation auprès de la Cour suprême en date du 4 novembre 2016 a été rejeté également le 15 décembre 2016.

2.2Le 9 février 2008, le tribunal municipal de Touloun a délivré un mandat d’arrêt pour tentative de meurtre à l’encontre du requérant et celui-ci a été conduit au SIZO no 1 à Irkoutsk. Le requérant affirme avoir été placé dans une cellule de 8 m2, où de trois à cinq et parfois même huit personnes étaient détenues à la fois. Il décrit des conditions de détention inadéquates : absence de séparation des toilettes, absence de ventilation, lumière artificielle insuffisante, aucune distribution d’articles d’hygiène et absence de table, de chaises et de radio.

2.3Entre le 10 et le 22 février 2008, le requérant a été passé à tabac et torturé par ses codétenus du SIZO no 1 à Irkoutsk sur ordre de l’enquêteur T., qui voulait lui soutirer des aveux. Le 26 février, le frère du requérant a reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui lui a intimé de transférer 1 million de roubles sur son compte, sans quoi, a-t-il menacé, le requérant serait violé dans sa cellule. Le 27 février 2008, à la suite de cet incident, le frère et l’avocat du requérant ont déposé des plaintes distinctes auprès du directeur du service des enquêtes du bureau du procureur régional, d’une part, et auprès du directeur de l’administration pénitentiaire régionale, d’autre part.

2.4Le 22 février 2008, le requérant a été conduit pour un interrogatoire au commissariat régional d’Irkoutsk, où, sur ordre de l’enquêteur T., des policiers l’ont menotté à un radiateur, lui ont couvert la tête d’un sac et l’ont frappé sur la tête et le corps avec un objet dur et contendant. Il a perdu connaissance, il saignait à la tête et il a eu les poignets entaillés par les menottes. L’enquêteur lui a demandé de signer des aveux concernant quatre meurtres et deux tentatives de meurtre. Le requérant a refusé.

2.5Le 24 février 2008, le requérant a porté plainte auprès du directeur du bureau du procureur régional au sujet du passage à tabac qu’il avait subi le 22 février et il a demandé à être soumis à un examen médical. Le bureau du procureur a pris contact avec le SIZO no 1 et il lui a été répondu que l’intéressé ne présentait aucune blessure et n’avait pas demandé à recevoir de soins médicaux. À la suite des nombreuses plaintes déposées par le requérant et son avocat pour dénoncer ce passage à tabac, une enquête a été ouverte en octobre 2008 et le requérant a été soumis à un examen médical le 23 octobre 2008. Cet examen n’a révélé aucune trace de coups, alors que selon le requérant des cicatrices laissées par les menottes étaient visibles sur ses poignets. Le 24 octobre 2008, à l’issue de l’enquête, le bureau du procureur a refusé d’ouvrir une action pénale, en s’appuyant notamment sur les déclarations de témoins, sur l’examen médical du 23 octobre 2008 et sur les informations reçues du service médical du SIZO no 1, qui ne faisaient, ni les uns ni les autres, état de cicatrices ou de blessures qui auraient pu avoir été infligées au requérant à l’époque qu’il indiquait.

2.6En juin 2011, le requérant a fait appel auprès du tribunal du district Oktiabrsky à Irkoutsk de la décision de refus d’ouvrir une enquête pénale sur son passage à tabac, prononcée le 24 octobre 2008. Le tribunal a rejeté son recours le 21 juillet 2011 en se déclarant incompétent. Étant donné que les griefs sur lesquels était fondé ce recours concernaient l’enquête préliminaire, seul le juge du fond pouvait en connaître dans le cadre de la procédure pénale. Le 4 octobre 2011, la décision rendue par le tribunal du district Oktiabrsky a été confirmée par le tribunal régional d’Irkoutsk. Le 23 décembre 2011, ce dernier a rejeté la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle formée par le requérant. La Cour suprême a elle aussi rejeté une telle demande de réexamen le 31 mai 2012.

2.7Le 28 novembre 2008, le requérant a réclamé un nouvel examen médical, affirmant que les résultats du premier avaient été falsifiés. Le tribunal régional d’Irkoutsk (juge du fond) a ordonné le 8 septembre 2009 que cet examen ait lieu le 2 novembre 2009 à l’occasion d’une consultation médicale que le requérant devait subir pour un autre motif. Ce nouvel examen a révélé que le requérant avait des cicatrices aux poignets, mais il n’a débouché sur aucune conclusion quant à la date ou l’origine de celles-ci.

2.8Le 10 avril 2008, le requérant a déposé une requête par laquelle il demandait le dessaisissement de l’enquêteur T. en faisant valoir sa détention illégale du 7 février 2008. Cette requête a été rejetée par l’enquêteur T. lui-même le 11 avril 2008. À une date non précisée, une requête similaire a été rejetée par la commission d’enquête du bureau du procureur régional d’Irkoutsk.

2.9Au cours de son procès, le requérant s’est plaint des mauvais traitements subis pendant l’enquête préliminaire mais ses allégations ont été jugées non fondées. Il a été condamné le 8 février 2010 à la prison à vie en vertu des articles 33, 105, 159 et 222 du Code pénal (organisation d’un crime, meurtre de deux personnes ou plus pour des motifs vénaux, fraude, et achat, transfert, vente, entreposage, transport ou port illégal d’armes à feu et de munitions). Le 9 juin 2010, la Cour suprême, en cassation, a exclu le chef d’accusation concernant l’achat illégal d’armes à feu du verdict prononcé contre lui, sans toutefois modifier la condamnation.

2.10À l’issue de son procès, le 8 février 2010, le requérant a été placé en cellule d’isolement. Le lendemain, lorsqu’il a été emmené pour aller voir son avocat, il a été menotté, un chapeau a été placé devant ses yeux et deux policiers l’ont obligé à se pencher en avant avec les mains jointes derrière le dos et à avancer dans cette position, un policier marchant devant lui et un autre, accompagné d’un chien, derrière lui.

2.11En septembre 2010, au cours de son transfert à la prison no 56 dans la région de Sverdlovsk, le requérant a été détenu dans les SIZO de Krasnoïarsk, Novossibirsk, Omsk et Ékaterinbourg. Il affirme que les conditions de détention y étaient inadéquates.

2.12Depuis 2010, le requérant réclame la pose d’implants dentaires en remplacement de dents extraites en 2010 et 2016. Il affirme avoir été privé de soins dentaires alors qu’il était prêt à les payer lui-même. L’administration de la prison no 56 a rejeté ses demandes d’implants en affirmant qu’elle ne disposait pas du spécialiste voulu au sein du service médical de l’établissement et qu’elle était dans l’impossibilité de conclure des contrats avec des prestataires externes malgré ses tentatives en ce sens. En juin 2016, le requérant a déposé une plainte administrative auprès du tribunal municipal d’Ivdel concernant le refus des autorités pénitentiaires (de la prison no 56 et du service médical de la prison no 66) de lui administrer des soins dentaires. Sa plainte a été rejetée le 1er février 2017 au motif que le délai de trois mois applicable en matière administrative était forclos. L’appel qu’il a formé devant la même juridiction a été rejeté le 25 avril 2017, au motif qu’il avait laissé passer le délai d’appel d’un mois. Le 30 mai 2017, le tribunal municipal d’Ivdel a annulé la décision du 25 avril 2017, ouvrant ainsi un nouveau délai d’appel d’un mois.

2.13À une date non précisée, le requérant a engagé une action civile en indemnisation devant le tribunal municipal d’Ivdel à l’encontre du service médical no 25 de la prison no 66 au motif que celui-ci ne lui avait pas fait passer de visite médicale semestrielle et ne lui avait pas permis d’obtenir la pose d’implants dentaires. Le 14 avril 2017, le tribunal municipal d’Ivdel a estimé qu’il ressortait du dossier médical du requérant que certains examens médicaux obligatoires auxquels celui-ci aurait dû être soumis depuis 2015 n’avaient pas été pratiqués, et il lui a accordé partiellement satisfaction en ordonnant aux autorités de la prison no 66 de procéder à tous les examens médicaux nécessaires, notamment à une radiographie, une pneumotachométrie et une spirométrie.

2.14En mars et avril 2013, le requérant a été détenu à la prison no 56 en même temps qu’une personne atteinte de tuberculose. En février 2014, au SIZO no 1 d’Ékaterinbourg, il a été détenu dans les mêmes locaux que des personnes tuberculeuses. Il a déposé de multiples plaintes à ce sujet en 2013 et 2014 auprès des autorités pénitentiaires et du bureau du procureur. Le 11 avril 2014, le bureau du procureur de la région de Sverdlovsk a répondu en affirmant que l’enquête menée n’avait pas permis de confirmer les allégations du requérant. Il avait été établi que toutes les personnes atteintes de tuberculose détenues au SIZO recevaient un traitement ambulatoire et ne présentaient aucun risque pour les tiers. En outre, les cours de promenade et les douches étaient désinfectées quotidiennement. Le procureur n’a constaté aucune violation des droits du requérant. Le 17 avril 2014, une réponse du Service fédéral de l’application des peines de la région de Sverdlovsk a fourni des informations détaillées extraites du dossier relatif au séjour du requérant au SIZO no 1 du 11 au 16 février 2014. Selon ce dossier, le requérant avait séjourné dans les cellules nos 9 et 10. Si, dans des cas exceptionnels, des personnes atteintes de tuberculose étaient conduites au centre, elles étaient placées dans les cellules nos 24 et 27. Ces cellules spéciales et les couloirs adjacents sont équipés de lampes bactéricides. Les cours et les douches sont désinfectées après leur utilisation par des personnes atteintes de tuberculose. Aucune plainte du requérant n’a été enregistrée pendant son séjour au SIZO no 1.

2.15Le 26 août 2013, le requérant a formé un recours auprès du bureau du procureur régional de Sverdlovsk dénonçant les conditions de détention inadéquates à la prison no 56, où il avait été incarcéré le 25 septembre 2010. Il a signalé en particulier l’exercice d’une surveillance vidéo 24 heures sur 24 et l’impossibilité d’avoir une certaine intimité, y compris dans les toilettes, ainsi que l’éclairage artificiel permanent dans sa cellule. Il a aussi indiqué qu’un détenu atteint de tuberculose avait occupé la cellule no 5 avant lui. Il a dénoncé le fait que des personnes atteintes de tuberculose étaient détenues dans le même établissement, faisaient leur promenade dans la même cour et utilisaient les mêmes sanitaires. En 2014, il a déposé de nouvelles plaintes auprès du procureur et des autorités pénitentiaires au sujet de l’utilisation des mêmes sanitaires par les détenus tuberculeux et les autres.

2.16Les conditions de détention à la prison no 56, où le requérant purge sa peine, sont inadéquates. Les toilettes défectueuses de sa cellule ont été remplacées par un seau, la cour de promenade est située à proximité d’un cloaque dégageant une odeur insupportable pour les détenus qui passent chaque jour une heure et demie dehors. Depuis dix ans, le requérant n’a pu recevoir que deux visites familiales de quatre heures par an, et il est détenu à quelques 4 000 km de chez lui.

Teneur de la plainte

3.1Sans fournir de précisions au sujet des différentes violations des articles 1, 2, 4, 6, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention, le requérant affirme que la détention illégale à laquelle il a été soumis depuis le 7 février 2008 et jusqu’à la date de présentation de sa requête est constitutive de torture.

3.2Il affirme que, malgré ses réclamations, l’État partie n’a pas pris de mesures efficaces pour faire cesser les actes de torture dont il se dit victime.

3.3Il soutient que l’État partie n’a pas ouvert immédiatement une enquête impartiale sur ces actes.

3.4Enfin, le requérant déclare endurer en permanence des souffrances physiques et mentales du fait qu’il ne reçoit pas les soins dentaires dont il aurait besoin et qu’il est détenu avec des personnes atteintes de tuberculose et dans des conditions déplorables.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 24 juin 2019, l’État partie fait valoir qu’en vertu de l’article 22 (par. 2) de la Convention, le Comité déclare irrecevable toute communication qu’il considère être un abus du droit de présenter des communications. Il note que le requérant établit un lien entre la privation de liberté prétendument illégale dont il a fait l’objet le 7 février 2008 et les conditions de détention inadéquates auxquelles il serait soumis, d’une part, et une violation de ses droits au titre de la Convention, d’autre part. Ces griefs ont été examinés par le tribunal municipal de Touloun le 20 octobre 2015 à la suite du dépôt d’une plainte par l’intéressé le 5 août 2015, soit 7 ans et 6 mois après les événements en cause. Le Comité a donc été saisi de la présente requête 10 ans et 11 mois après les faits, ce qui devrait être considéré comme un abus du droit de présenter une communication.

4.2L’État partie tire la même conclusion en ce qui concerne les allégations relatives au passage à tabac dont le requérant aurait été victime le 22 février 2008 et qu’il a dénoncé huit mois après les faits. Le requérant a fait appel de la décision du procureur de ne pas ouvrir d’enquête pénale trois ans après que cette décision a été prononcée. Il a présenté sa requête au Comité 6 ans et 6 mois après la décision définitive rendue par la Cour suprême en l’espèce le 4 mai 2012, sans justifier ce délai. Les allégations concernant son passage à tabac ont fait l’objet d’une enquête de la part de la commission d’enquête du bureau du procureur régional d’Irkoutsk qui a refusé, le 24 octobre 2008, d’engager des poursuites. Le requérant n’a pas contesté cette décision.

4.3Les allégations de violations de ses droits dont le requérant saisit le Comité n’ont en réalité d’autre but que de faire infirmer les conclusions des juridictions internes.

4.4Le requérant n’a pas épuisé les recours internes pour ce qui est des griefs relatifs à ses conditions de détention au SIZO no 1 à Irkoutsk entre 2008 et 2010, puis à la prison no 56.

4.5La plainte déposée par le requérant le 1er novembre 2014 concernant ses conditions de détention au SIZO no 1 à Irkoutsk a été examinée par le bureau du procureur régional d’Irkoutsk, qui l’a classée le 11 décembre 2014. Les demandes d’indemnisation formulées par le requérant à raison des conditions de détention au SIZO no 1 ont été rejetées par les tribunaux du district Kouïbichevsky de la ville d’Irkoutsk le 20 janvier 2017. Cette décision a été confirmée par le tribunal régional d’Irkoutsk le 22 mai 2017.

4.6L’État partie note que les griefs du requérant relatifs aux conditions de détention inadéquates, à l’utilisation illégale de menottes et à l’absence de soins dentaires ont été examinés par la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de la requête no 34310/12, que l’intéressé avait introduite le 14 mars 2012. La Cour a conclu à une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) et a accordé au requérant une indemnisation pour préjudice moral d’un montant de 15 500 euros.

4.7L’utilité des recours internes est démontrée par la décision du tribunal régional de Sverdlovsk en date du 3 novembre 2017 annulant la décision rendue par le tribunal municipal d’Ivdel le 14 avril 2017 en vertu de laquelle les autorités de la prison no 66 avaient refusé au requérant des soins dentaires. La juridiction d’appel a ordonné aux autorités de la prison no 66 de faire en sorte que l’intéressé reçoive les soins dentaires voulus dans un délai de trois mois.

4.8La Cour européenne des droits de l’homme examine actuellement une autre requête formée par le requérant (requête no 81595/17) concernant ses conditions de détention à la prison no 56 entre août 2017 et avril 2018.

4.9Compte tenu des éléments qui précèdent, notamment du fait que la Cour européenne des droits de l’homme a examiné des griefs similaires soulevés par le requérant, l’État partie conclut que la requête ne satisfait pas aux critères de recevabilité exigés.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 1er janvier 2020, le requérant a présenté ses commentaires au sujet des observations de l’État partie relatives à l’irrecevabilité de sa requête. Il réaffirme que sa détention illégale, qui a débuté le 7 février 2008 et dure donc depuis déjà douze ans, est constitutive de torture. Il ajoute que jusqu’au 24 février 2008 ses avocats n’ont pas été autorisés à le rencontrer et il recevait quotidiennement des menaces de la part des enquêteurs. Il a été en mesure de rédiger sa première plainte le 24 février 2008, lorsque son avocat est venu le voir pour la première fois. Il a depuis présenté des plaintes à diverses autorités. L’État partie ne conteste pas l’illégalité de son arrestation et de son maintien en détention.

5.2Le requérant précise que la requête no 34310/12 qu’il a présentée à la Cour européenne des droits de l’homme vise la période de détention comprise entre le 25 septembre 2010 et le 8 août 2012, et la requête no 81595/17 celle comprise entre août 2017 et avril 2018. Dans la requête qu’il a soumise au Comité, en revanche, c’est l’ensemble de sa détention qui est en cause, y compris son séjour à la prison no 56 qui n’a pas été examiné par la Cour européenne. On ne peut donc conclure à un abus du droit de soumettre une communication.

5.3Le requérant fait en outre observer que la décision rendue par le tribunal régional de Sverdlovsk le 3 novembre 2017, dont l’État partie fait mention, n’a pas été exécutée et qu’aucun implant dentaire ne lui a été posé dans le délai de trois mois fixé par le juge.

5.4Le requérant joint à ses commentaires la décision prononcée par le tribunal du district Kirovsky de la ville d’Irkoutsk le 10 juin 2019. Cette décision se rapporte au recours qu’il avait formé contre la décision prise par l’enquêteur L., le 14 octobre 2015, de refuser d’engager des poursuites pénales contre l’enquêteur T. à raison, notamment, des mauvais traitements et des menaces qu’il aurait fait subir au requérant en février 2008. Le tribunal de district a jugé que l’intéressé n’avait pas fourni d’éléments concrets prouvant qu’il avait fait l’objet de pressions psychologiques ou physiques. Il a indiqué qu’au cours de l’enquête, le requérant avait refusé de donner plus ample explication, se contentant de faire mention des pressions psychologiques et physiques constantes exercées sur lui par l’enquêteur T. depuis février 2008. Le tribunal a jugé ces allégations abstraites et dénuées de toutes précisions factuelles susceptibles de donner lieu à une enquête. Le requérant fournit en outre une copie de la décision en date du 11 septembre 2019 par laquelle l’enquêteur B. a refusé d’engager une action pénale au sujet des allégations de pressions exercées sur le requérant par l’enquêteur T. Dans cette décision sont décrites les mesures prises dans le cadre de l’enquête menée sur les allégations du requérant, parmi lesquelles l’interrogatoire de témoins, notamment des avocats et des proches du requérant. Aucun d’entre eux n’a déclaré avoir reçu de menaces de la part de l’enquêteur T., ou d’informations concrètes de la part du requérant lui-même concernant des mauvais traitements ou des menaces. Il y est aussi mentionné que le requérant a refusé de communiquer des informations, alléguant la pression psychologique subie du fait de l’enquête. La décision indique que toutes ces allégations ont été soulevées par les avocats du requérant au cours du procès de celui-ci devant le tribunal régional d’Irkoutsk entre juin 2009 et février 2010. Le tribunal les a rejetées.

5.5Le requérant produit une copie de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme relatif à la requête no 34310/12 concernant sa détention à la prison no 56 du 25 septembre 2010 au 8 août 2012. La Cour a conclu à une violation des droits du requérant au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (torture et traitement inhumain et dégradant) en raison des conditions de détention inadéquates auxquelles il avait été soumis (3,5 m2 par personne, avec en guise de toilettes un seau que le requérant, menotté, devait porter à l’extérieur) et de la privation des soins dentaires qu’il réclamait depuis 2010.

5.6Le 4 décembre 2018, le tribunal municipal d’Ivdel a débouté le requérant ainsi que d’autres détenus de demandes d’indemnisation visant les établissements pénitentiaires no 56 et no 66, qu’ils avaient présentées au motif notamment qu’ils étaient détenus dans les mêmes locaux que des personnes atteintes de la tuberculose. Le tribunal a pris note des informations fournies par l’administration de ces établissements selon lesquelles les détenus atteints de tuberculose étaient séparés des autres et placés dans un secteur qui leur était réservé, leurs cellules étaient désinfectées, ils prenaient leurs repas en cellule, ils étaient les derniers à utiliser les installations sanitaires qui étaient ensuite désinfectées et ils disposaient d’une cour de promenade séparée. Ces détenus n’étaient pas autorisés à se rendre au magasin de la prison, les agents de service se chargeant de leurs achats. Ils passaient une radiographie deux fois par an. Les personnes guéries de la tuberculose pouvaient être détenues avec les autres prisonniers sans présenter aucun danger pour eux. Les requérants étaient régulièrement soumis à des examens médicaux, dont des radios, et ils ne figuraient pas sur la liste des personnes atteintes de tuberculose. Le tribunal, estimant que les intéressés n’avaient pas subi de préjudice, a rejeté leurs demandes d’indemnisation. Le 10 juillet 2019, la décision du tribunal municipal d’Ivdel a été confirmée par le tribunal régional de Sverdlovsk. Les recours en cassation formés par le requérant contre cette décision auprès du tribunal régional de Sverdlovsk et de la Cour suprême ont été rejetés respectivement les 18 octobre et 26 novembre 2019.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 15 janvier 2020, l’État partie a soumis des observations complémentaires dans lesquelles il affirme que le requérant n’a fourni aucune précision sur la manière dont les droits qu’il tient des articles 1, 2, 4, 6, 12, 13, 14, 15 et 16 de la Convention ont été violés. En substance, chacun des griefs soulevés est un moyen pour le requérant de tenter de contester le verdict rendu dans son affaire pénale, ce qui constitue un abus du droit de présenter des communications en vertu de l’article 22 (par. 2) de la Convention. Le requérant affirme que son arrestation, sa garde à vue et sa détention sont illégales et constitutives de torture car il dit avoir éprouvé « peur, humiliation et souffrance ».

6.2Le requérant, soupçonné de tentative de meurtre, a été appréhendé le 7 février 2008 à 11 h 30. Le procès-verbal de son arrestation a été dressé à 22 h 30. Le 9 février 2008, le tribunal municipal de Touloun a ordonné son placement en détention provisoire. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême les 10 avril 2010 et 9 août 2012. Les juges ont prolongé son mandat de dépôt jusqu’à la fin du procès. La juridiction de jugement a aussi examiné les allégations de détention illégale soulevées par le requérant avant de les rejeter. Celles-ci doivent donc être considérées comme dénuées de fondement.

6.3Aux termes de l’article 1er de la Convention, la torture ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles. Les actes des forces de l’ordre se rapportant au placement en détention du requérant, qui était soupçonné de tentative de meurtre, ne sauraient donc être considérés comme constitutifs de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant.

6.4Le requérant considère également comme relevant de la torture les souffrances qui lui ont été causées par ses conditions de détention dans les SIZO d’Irkoutsk, Krasnoïarsk, Novossibirsk, Omsk et Ékaterinbourg, du fait notamment de l’absence de séparation des toilettes, de l’insuffisance de la ventilation et de la lumière naturelle dans les cellules, de l’absence d’articles d’hygiène, de la petite taille des fenêtres et de l’absence de meubles et de radio. Selon les informations communiquées par le Service fédéral de l’application des peines, dans les SIZO, le requérant a séjourné dans des cellules d’une surface allant de 5,76 m2 pour les cellules individuelles à 42,6 m2 pour celles pouvant accueillir 10 personnes. Toutes les cellules avaient une, voire deux, fenêtres mesurant 1,2 m x 1 m ou 1,35 m x 1,35 m ou 1,2 m x 1,9 m. Le requérant disposait d’un couchage individuel et le nombre de personnes occupant une cellule n’excédait pas le nombre de places de couchage. Toutes les cellules étaient dotées d’un éclairage, recevaient une lumière naturelle suffisante et étaient également équipées de systèmes de ventilation. Si, dans les cellules individuelles les toilettes n’étaient pas séparées, elles se trouvaient hors du champ de la vidéosurveillance. Les toilettes des cellules pouvant accueillir plusieurs détenus étaient séparées par un mur allant du sol au plafond et par une porte. Toutes les cellules étaient équipées d’appareils de chauffage. Des articles d’hygiène personnelle (savon, rasoirs jetables et dentifrice) étaient distribués une fois par mois. Les détenus pouvaient se doucher une fois par semaine. Au cours de sa détention dans les SIZO, le requérant n’a formulé aucune plainte.

6.5En 2016, le requérant a engagé une action en indemnisation auprès du tribunal du district Kouïbychevsky à l’encontre du Service fédéral de l’application des peines, du Ministère des finances et du SIZO no 1 à raison de ses conditions de détention. Ses demandes ont été rejetées le 20 janvier 2017. Le tribunal régional d’Irkoutsk l’a débouté en appel le 22 mai 2017. Il n’a pas formé de recours devant la Cour suprême.

6.6Alors qu’il purgeait sa peine à la prison no 56 de Sverdlovsk, entre 2010 et 2017, le requérant a engagé une action en indemnisation devant le tribunal municipal d’Ivdel à raison de conditions de détention inadéquates. Le 24 juillet 2018, le tribunal lui a donné partiellement satisfaction, lui accordant la somme de 15 000 roubles. Le 18 janvier 2019, le tribunal régional de Sverdlovsk a relevé le montant de l’indemnisation accordée à 30 000 roubles. Le 17 juillet 2019, la Cour suprême a rejeté le recours en cassation formé par le requérant. Le 7 février 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation des droits du requérant découlant de ses conditions de détention. Cette partie de la requête devrait dès lors être déclarée irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention.

6.7Les allégations du requérant concernant les mauvais traitements dont il aurait été victime ont fait l’objet d’une enquête au stade de l’instruction. Selon les informations communiquées par le tribunal régional d’Irkoutsk, le 28 février 2008 l’enquêteur T. a reçu une demande d’examen médical de l’avocat du requérant en lien avec les coups que celui-ci aurait reçus le 22 février 2008. Le 12 mars 2008, l’enquêteur T. a demandé au directeur du SIZO no 1 à Irkoutsk de lui indiquer si le requérant présentait des blessures. Il a reçu une réponse négative du centre le 28 mars 2008. Les allégations du requérant ont, en outre, fait l’objet d’une enquête de la part de la Commission d’enquête du bureau du procureur régional d’Irkoutsk, qui le 24 octobre 2008 a refusé d’engager des poursuites. Le requérant a fait appel de cette décision trois ans plus tard devant le tribunal du district Oktiabrsky de la ville d’Irkoutsk. Celui-ci a rejeté, le 21 juillet 2011, le recours dont il était saisi, estimant qu’il ne disposait pas de la compétence voulue, qui revenait au juge du fond. La juridiction de jugement a elle aussi examiné les allégations de mauvais traitements et de pressions psychologiques formulées par le requérant. À la demande de celui-ci, le tribunal a interrogé les témoins F. et G. qui étaient ses compagnons de cellule au SIZO no 1. M. F. a confirmé avoir fait psychologiquement pression sur le requérant. M. G. a déclaré que c’était le requérant lui-même qui lui avait dit être soumis à des pressions. Le tribunal a demandé à ce que le requérant soit soumis à un examen médical. Contrairement à ce que soutient l’intéressé, le rapport rédigé à l’issue de cet examen et daté du 18 novembre 2009 ne fait état d’aucune blessure infligée au requérant pendant sa détention. Le tribunal a également vérifié que le requérant n’avait formulé aucune plainte ou demande de soins médicaux. Le 3 septembre 2009, le tribunal régional d’Irkoutsk a demandé au SIZO no 1 à Irkoutsk de procéder à une enquête sur les allégations de mauvais traitements et de pression psychologique formulées par le requérant. Les allégations du requérant n’ont pas été confirmées par la réponse donnée par le SIZO no 1 le 17 septembre 2009. Des certificats médicaux attestant de l’absence de blessures ont été joints au dossier d’enquête. Le 3 septembre 2009, le procureur régional d’Irkoutsk a reçu l’ordre de procéder à une enquête sur les allégations de mauvais traitements et de pression psychologique au cours de l’instruction. Sa décision de refus d’engager des poursuites pénales contre l’enquêteur T. prononcée le 24 septembre 2009 a été transmise au tribunal régional d’Irkoutsk le 15 octobre 2009. En conséquence, bien que les allégations du requérant aient fait l’objet d’enquêtes approfondies au cours de l’instruction et du procès, elles n’ont pu être confirmées.

6.8Le requérant n’a pas soulevé devant les autorités internes les griefs relatifs au placement à l’isolement dont il aurait fait l’objet à l’issue de son procès, ou aux conditions inhumaines dans lesquelles il aurait été conduit à son avocat le 9 février 2010.

6.9Pour ce qui est de l’absence de soins dentaires (pose d’implants), l’État partie confirme que la Cour européenne des droits de l’homme a examiné les griefs du requérant et conclu à une violation de ses droits, de même que le tribunal régional de Sverdlovsk le 3 novembre 2017. Ce grief devrait donc être déclaré irrecevable au regard de l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention. L’État partie ajoute que les implants dentaires ont été posés en mai et juin 2018.

6.10L’État partie conclut que la majeure partie des griefs du requérant est irrecevable et que tous sont dénués de fondement.

Commentaires complémentaires du requérant

7.1Les 22 mai, 1er juin et 7 septembre 2020, le requérant a exposé derechef ses griefs et ses arguments. Il ajoute qu’en 2018, à la prison no 6, des agents lui ont tordu le bras. En février 2018, il a demandé à subir un examen médical en affirmant qu’il avait perdu beaucoup de poids, qu’il ne pouvait plus lever son bras, que le pouce et le petit doigt de sa main gauche avaient perdu leur sensibilité et que son bras gauche était devenu plus fin que le droit. Sa demande est restée vaine. Le 13 septembre 2019, une demande de soins médicaux a été présentée au Service fédéral de l’application des peines à Khabarovsk. Celui-ci a répondu le 4 octobre 2019 que l’état de santé du requérant était satisfaisant et stable et que rien n’indiquait qu’il avait besoin de soins.

7.2Dans ses commentaires en date du 1er juin 2020, le requérant affirme n’avoir pas encore reçu de soins dentaires. Il joint la décision rendue le 14 décembre 2018 par le tribunal de district Kirovsky à Ékaterinbourg, par laquelle celui-ci a jugé que la prison no 66 n’avait pas exécuté dans les délais la décision du tribunal régional de Sverdlovsk du 3 novembre 2017 relative à la pose d’implants dentaires. L’administration de la prison a été condamnée à verser 300 roubles (environ 4 euros) au requérant à titre d’indemnisation. Cette décision a été confirmée par le tribunal régional de Sverdlovsk le 19 juin 2019. Le 7 septembre 2020, le conseil du requérant a fait savoir que celui-ci recevait des soins dentaires et que des implants lui avaient été posés entre mai et septembre 2018 à la prison no 6 du kraï de Khabarovsk.

Observations complémentaires de l’État partie

8.Le 7 octobre 2020, l’État partie a affirmé que les derniers commentaires soumis par le requérant ne comportaient pas d’éléments nouveaux. L’État partie fait valoir que la Convention ne prévoit pas de droit à l’exécution en temps voulu d’une décision de justice et que même si un tel droit y existait, il se rapporterait à l’appréciation des faits et des preuves par les juridictions internes. Or, cette appréciation ne peut être examinée par le Comité que si le requérant établit qu’elle a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les informations présentées par le requérant ne permettent pas de tirer une telle conclusion. L’État partie réaffirme que rien dans la communication ne permet d’établir que les droits que le requérant tient de la Convention ont été violés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles le requérant a présenté deux requêtes à la Cour européenne des droits de l’homme, en 2012 et 2017. La Cour a constaté la violation des droits du requérant en l’affaire no 34310/12, à raison de ses conditions de détention à la prison no 56 entre 2010 et 2012 et du fait qu’il a été privé de soins dentaires. La requête no 81595/17, relative aux conditions de détention de l’intéressé à la prison no 56 entre août 2017 et avril 2018, est toujours en cours d’examen.

9.3Compte tenu de ces informations, le Comité considère que les griefs du requérant concernant l’absence de soins dentaires et les conditions de détention à la prison no 56 sont irrecevables au motif qu’ils sont incompatibles avec l’article 22 (par. 5 a)) de la Convention.

9.4Conformément à l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne les griefs relatifs à son placement à l’isolement du 8 février 2010 et aux conditions inhumaines dans lesquelles il aurait été conduit à son avocat le 9 février 2010. Les observations de l’État partie sont confirmées par l’absence, dans la requête, de mention du dépôt d’une plainte auprès des autorités nationales. Le Comité note en outre que les éléments du dossier ne permettent pas d’affirmer que le requérant a épuisé les recours internes en ce qui concerne ses allégations de passage à tabac par des codétenus au SIZO no 1 en février 2008. Il ne trouve pas non plus dans le dossier d’informations permettant d’établir si le requérant a épuisé les recours internes concernant les conditions de détention dans les SIZO de Krasnoïarsk, Novossibirsk, Omsk et Ékaterinbourg. En conséquence, le Comité considère qu’il est empêché par l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention d’examiner ces griefs.

9.5Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles le requérant n’a pas épuisé les recours internes concernant ses griefs relatifs aux conditions de détention au SIZO no 1 d’Irkoutsk, où il a séjourné entre 2008 et 2010. L’État partie mentionne toutefois qu’une plainte a été déposée le 1er novembre 2014 à raison des conditions de détention dans ce centre, et que cette plainte a été examinée par le bureau du procureur régional d’Irkoutsk qui l’a classée le 11 décembre 2014. En outre, les demandes d’indemnisation formées par le requérant à raison des conditions de détention au SIZO no 1 à Irkoutsk ont été rejetées par des décisions du tribunal du district Kouïbychevsky d’Irkoutsk le 20 janvier 2017, d’une part, et du tribunal régional d’Irkoutsk le 22 mai 2017, d’autre part. À cet égard, le Comité fait observer que ni l’État partie, ni le requérant n’ont produit les décisions de justice en question. Eu égard au peu d’informations fournies à ce sujet par le requérant ainsi qu’au caractère général des griefs qu’il soulève et faute de documents pertinents, le Comité n’est pas en mesure d’évaluer l’incidence sur le requérant de ses conditions de détention au SIZO no 1. Il considère donc que ces griefs sont insuffisamment étayés et les déclare irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention.

9.6Le Comité note en outre que l’État partie conteste la recevabilité du reste de la communication au motif que les griefs du requérant sont insuffisamment étayés. À cet égard, il prendre note du grief selon lequel la détention illégale à laquelle est soumis le requérant depuis le 7 février 2008 et jusqu’à aujourd’hui est constitutive de torture au sens de l’article 1er de la Convention. Il fait observer que les griefs soulevés par le requérant devant les juridictions internes se rapportaient à la détention illégale dont il aurait fait l’objet au commissariat de Touloun entre 14 h 30 et 22 h 30 le 7 février 2008, au motif que le procès-verbal de son arrestation n’avait pas été dressé dans le délai de trois heures prévu par la législation interne. Pour le reste, la détention du requérant dans le centre de détention temporaire a été autorisée par les autorités d’instruction compétentes, sa détention au SIZO a été autorisée par le juge et son emprisonnement a fait suite à la condamnation définitive prononcée par un tribunal. Le Comité conclut donc que les griefs soulevés n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 1er de la Convention et considère que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2).

9.7Le Comité prend note des griefs du requérant concernant les conditions de détention inadéquates dans le centre de détention temporaire de Touloun, où il est resté de 1 h 30 du matin le 8 février à 15 h 50 le 9 février 2008. Il relève que les plaintes présentées par le requérant ont un caractère très général, que le séjour de celui-ci dans ce centre a été court et que les juridictions internes ont examiné ses griefs de manière approfondie avant de rejeter sa demande d’indemnisation. Le Comité considère que le requérant n’a pas prouvé que son bref séjour dans le centre de détention temporaire lui aurait causé un préjudice quelconque et il estime que les griefs soulevés sont insuffisants pour établir une violation de l’article 1er de la Convention. Le Comité considère donc que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée et la déclare irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention.

9.8Le Comité prend en outre note des griefs du requérant concernant les mauvais traitements auxquels il aurait été soumis au poste de police de Touloun le 22 février 2008 dans l’intention de lui arracher des aveux. Il prend également note des observations de l’État partie selon lesquelles, bien qu’elles aient fait l’objet d’enquêtes approfondies de la part du bureau du procureur et des tribunaux, les allégations du requérant à ce sujet n’ont pu être confirmées (voir par. 6.7 supra). À cet égard, il fait observer que le requérant n’a pas déposé de plainte ni demandé de soins médicaux lorsqu’il a été ramené au SIZO no 1 après le violent passage à tabac qu’il aurait subi pendant une heure au moins. Le 24 février 2008, il a reçu la visite de son avocat, qui n’a pas sollicité non plus d’assistance médicale pour son client et n’a pas signalé la présence de blessures chez celui-ci. Le rapport médical du 18 novembre 2009 se contente de constater que le requérant a des cicatrices sur les poignets sans formuler de conclusion quant à leur nature et leur origine ou à la date des lésions. Par ailleurs, le Comité relève que les enquêteurs et les tribunaux qui ont examiné les allégations du requérant ont pris en considération les résultats des examens médicaux réalisés en 2008 et 2009 et les certificats médicaux fournis par le SIZO no 1, qu’ils ont interrogé les témoins et les avocats du requérant et tenté en vain d’interroger l’intéressé lui-même. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité n’est pas en mesure de conclure que l’examen par les autorités et juridictions internes des allégations de mauvais traitements soulevées par le requérant est entaché d’arbitraire, partial ou constitutif d’une erreur manifeste privant le requérant d’accès à la justice. Il estime donc que les allégations de mauvais traitements soulevées par le requérant ne sont pas suffisamment étayées et sont de ce fait irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention.

9.9Le Comité prend également note des allégations du requérant concernant le fait qu’il a été détenu en différentes occasions dans les mêmes locaux que des personnes atteintes de tuberculose. Il relève à cet égard que ces allégations ont été examinées par les juridictions internes sur la base d’éléments de preuve ayant été produits par les différentes institutions pénitentiaires concernées, et qu’aucun tribunal n’a conclu que le requérant avait été détenu dans la même cellule que des personnes tuberculeuses. Dans leurs décisions, les juridictions internes ont établi que les mesures de séparation et de désinfection voulues étaient prises dans les prisons concernées, que le requérant avait été soumis à des examens médicaux réguliers et qu’il n’avait pas contracté la tuberculose pendant son séjour en prison. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité ne voit aucune raison de douter du caractère équitable des conclusions des juridictions internes. Il estime donc que les griefs du requérant ne sont pas suffisamment étayés et les déclare irrecevables au regard de l’article 22 (par. 2) de la Convention.

9.10Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner les observations de l’État partie concernant l’abus du droit de présenter des communications.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 22 (par. 2 et par. 5 a) et b)) de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.