Nations Unies

CAT/C/59/D/582/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

27 janvier 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, communication no 582/2014 * , **

Communication présentée par :

N. S. (représenté par un conseil, Rajwinder Singh Bhambi)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Canada

Date de la requête :

11 janvier 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

1er décembre 2016

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Risque de torture

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est N. S., de nationalité indienne, né en 1988 et visé par une ordonnance d’expulsion du Canada vers l’Inde. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par le Canada des droits qu’il tient des articles premier et 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 14 janvier 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a décidé de formuler une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Inde tant que sa requête serait à l’examen.

1.3Le 18 septembre 2014, le Comité a refusé d’accéder à la demande de l’État partie qui souhaitait la levée des mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Sikh du village de Jaura, situé dans la région du Pendjab, en Inde. Il affirme avoir eu des liens étroits avec le sikhisme au cours de son enfance, en particulier par l’intermédiaire de son cousin, qu’il aidait dans sa ferme.Ce cousin, qui prêchait la religion sikhe et avait aidé des militants sikhs qui avaient perdu des membres de leur famille, aurait été torturé à plusieurs reprises et était parti de chez lui en juin 2008.

2.2Le 13 décembre 2008, la police a arrêté le requérant chez sa tante et l’a accusé de soutenir des militants sikhs qui prévoyaient de fomenter des troubles à l’occasion du Nouvel An. Pendant sa détention, le requérant a été déshabillé et battu à coups de ceinture de cuir et de bâton. Il a été giflé, on lui a donné des coups de poing et des coups de pied, on lui a brûlé un pied, il a été pendu par les pieds et battu jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Les policiers voulaient connaître les noms des militants sikhs, le lieu où ils se trouvaient et les armes dont ils disposaient, ainsi que des activités de son cousin.

2.3Le requérant a été libéré le lendemain grâce à l’intervention de personnes influentes dans la région et après que sa famille eut soudoyé les policiers. Après sa détention, sa famille et lui ont commencé à être harcelés par des agents de police. Pour faire cesser ce harcèlement, le père du requérant a soudoyé les agents par l’intermédiaire d’un policier à la retraite.

2.4Le 23 mars 2011, le cousin du requérant lui a rendu une brève visite chez lui. Le lendemain, le requérant a été de nouveau arrêté et accusé d’abriter des terroristes et d’entretenir des liens avec des militants sikhs et musulmans. Pendant sa détention, il a été de nouveau torturé, on a pris ses empreintes digitales et on l’a photographié et obligé à signer des documents vierges. Le 27 mars 2011, il a été libéré grâce à l’intervention de personnes influentes dans la région et après que sa famille eut soudoyé les policiers. Lorsqu’il a été relâché, on lui a ordonné de se présenter à la police une fois par mois à compter du 1er mai 2011 et de donner des informations sur son cousin et sur des militants sikhs.

2.5Le requérant a été hospitalisé après ses deux détentions en décembre 2008 et mars 2011 à l’hôpital chirurgical Gulati, où il a été traité pour les lésions qu’il présentait après avoir été torturé ; il a notamment eu des points de suture et ses brûlures ont été soignées.

2.6Le 19 avril 2011, le requérant a consulté un avocat pour étudier avec lui la possibilité de déposer une plainte contre la police. À une date non précisée, la police a découvert qu’il avait l’intention d’engager une action en justice et a fait une descente à son domicile pour l’arrêter. Craignant pour sa vie, le requérant a quitté sa maison et son village et cherché refuge chez des parents à Chandigarh, la capitale du Pendjab. Là, il a appris qu’il était recherché par la police et accusé d’avoir rejoint son cousin et d’autres « terroristes » sikhs allégués.

2.7Le requérant a quitté l’Inde grâce à l’aide d’un agent de voyage et est arrivé à Toronto (Canada) le 3 juillet 2011 muni d’un visa de travail. Il a ensuite déménagé à Montréal, où il a demandé l’asile le 10 octobre 2011, affirmant que sa vie était menacée en Inde. Le 15 avril 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande. La Commission a estimé que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés parce qu’il n’avait pas de motif sérieux de craindre d’être persécuté en Inde pour l’une des raisons prévues par la Convention et qu’il n’avait pas besoin de protection étant donné que son expulsion vers l’Inde ne l’exposerait pas personnellement à un risque pour sa vie ou à des mauvais traitements. Elle a considéré que le récit du requérant manquait de crédibilité en ce qui concernait certains points, notamment sa visite à un avocat en vue de déposer une plainte contre la police, son itinéraire de voyage et les allégations de persécution de membres de sa famille en Inde. Elle a estimé en outre que le profil du requérant n’était pas de nature à ce qu’il soit recherché par les autorités nationales indiennes compte tenu de son absence d’engagement politique ou partisan, de l’absence d’inculpation ou de mandat d’arrêt à son encontre et du fait qu’il avait utilisé son propre passeport pour quitter l’Inde. Elle a conclu qu’il existait une possibilité de fuite interne et que le requérant pourrait être réinstallé à Delhi.

2.8Le 28 août 2013, la Cour fédérale du Canada a rejeté la demande d’autorisation de faire appel soumise par le requérant.

2.9Le requérant affirme que, depuis son départ, ses parents ont été harcelés par la police à de multiples reprises, notamment le 16 décembre 2013, jour où leur maison a fait l’objet d’une descente de police et où ils ont été arrêtés, torturés et interrogés sur le lieu où se trouvait le requérant, puis relâchés grâce à l’intervention de personnes influentes et après avoir soudoyé les policiers. Les policiers ont menacé de les tuer s’ils ne disaient pas où se trouvait le requérant. Ils ont aussi menacé de tuer celui-ci s’il rentrait en Inde.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en l’expulsant vers l’Inde, l’État partie commettrait une violation des articles premier et 3 de la Convention parce qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé et de subir des traitements cruels, inhumains et dégradants. Étant recherché par la police et les services de sécurité indiens, qui le soupçonnaient d’avoir soutenu des terroristes sikhs au Pendjab, il serait arrêté s’il était renvoyé et risquait d’être tué. Il affirme qu’il a été régulièrement en contact avec sa famille et des amis de son village en Inde, qui lui ont conseillé de ne pas y retourner pour ne pas mettre sa vie en danger.

3.2Le requérant fait état de la situation générale en ce qui concerne les droits de l’homme en Inde, notamment de la torture et des exécutions extrajudiciaires pratiquées par la police, comme l’ont confirmé plusieurs rapports. La situation est pire pour les minorités telles que la minorité religieuse sikhe.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 5 juin et du 15 juillet 2014, l’État partie fait valoir que les recours internes n’ont pas été épuisés car le requérant n’avait pas présenté de demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) ni de demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire au moment où il a soumis sa requête au Comité.

4.2L’État partie note que le requérant a soulevé devant le Comité des griefs qu’il n’avait pas soumis aux instances nationales, à savoir le fait que la police et les services de sécurité du Pendjab le recherchaient au motif qu’il serait un partisan des terroristes sikhs au Pendjab, et le fait que ses parents avaient été arrêtés le 16 décembre 2013, menacés et torturés. Le requérant aurait pu soumettre aux instances nationales de décision toutes les nouvelles preuves du risque qu’il encourt personnellement. Il s’ensuit que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.3L’État partie explique que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de protection du requérant au motif que ses allégations n’étaient pas crédibles et qu’il avait une possibilité de fuite interne. Le requérant a fourni des explications contradictoires et vagues lorsqu’on lui a demandé sur quel fondement il comptait déposer une plainte contre les policiers pour leur comportement brutal en 2011, ce qui a conduit les membres de la Commission à conclure qu’il n’avait en fait pas consulté d’avocat et que la police ne le recherchait pas à cause de cette prétendue consultation. Les membres de la Commission ont également relevé des contradictions dans les explications du requérant concernant les moyens par lesquels il avait obtenu un visa pour entrer au Canada, et l’ont jugé incapable d’expliquer quelles étaient ses intentions en venant au Canada et pourquoi il avait demandé le statut de réfugié en octobre 2011. Le requérant a indiqué que sa famille avait souvent déménagé depuis janvier 2012 en raison du harcèlement de la police. Cependant, alors qu’il disait s’entretenir régulièrement avec elle, il ne savait pas où elle se trouvait. La Commission a jugé déterminant que le requérant ait été relâché par la police locale à deux reprises après avoir soudoyé les policiers, qu’aucune inculpation ne pèse sur lui et qu’il n’ait jamais participé à des activités politiques ou partisanes qui pourraient le lier à un groupe militant ou terroriste. Son profil n’était donc pas celui d’une personne qui serait recherchée à l’échelle nationale. Si le requérant avait effectivement été associé au groupe Ranjit Singh Neeta, en personne ou par l’intermédiaire de son cousin, il n’aurait pas été libéré, car les groupes terroristes sont une priorité du Gouvernement indien. Compte tenu des contrôles stricts aux frontières qui sont en place en Inde et du fait que le requérant a quitté le pays en utilisant son propre passeport, la Commission n’a pas cru que le nom de l’auteur se trouvait dans la base de données des suspects recherchés, qui est vérifiée avant le départ de tout voyageur. Elle a conclu que, selon toute probabilité, le requérant n’était pas recherché par les autorités centrales en Inde.

4.4L’État partie fait valoir que la requête est manifestement infondée. En premier lieu, le requérant n’a pas apporté suffisamment de preuves qu’il a, comme il l’affirme, été détenu et torturé en décembre 2008 et mars 2011. À l’appui de cette assertion, il produit une déclaration datée du 7 novembre 2012 émanant du chef de son village, qui affirme que le requérant et une autre personne, Manpreet Singh, ont été arrêtés et torturés à plusieurs reprises. Il n’y a ni dates ni détails précis, et la teneur de la déclaration est vague. Le requérant a également produit des lettres de médecins de deux hôpitaux différents, datées du 25 octobre et du 2 novembre 2012. Les deux lettres sont identiques et décrivent les lésions du requérant, mais n’indiquent pas leur cause apparente. Le fait que le texte ait été dupliqué amène à douter de la véracité de ces documents qui, en tout état de cause, ont été rédigés plus d’un an et demi après que le requérant aurait été soigné et ne prétendent pas être fondés sur des dossiers médicaux. En outre, le requérant a produit deux lettres presque identiques émanant d’avocats en Inde qui indiquent que son père et lui se sont adressés à eux le 19 avril 2011 pour étudier la possibilité de déposer une plainte contre la police. Selon l’État partie, aucune valeur probante ne devrait être accordéeà ces lettres car elles sont presque identiques, n’indiquent pas de dates pour les événements décrits et ne prétendent pas se fonder sur le fait que leurs auteurs auraient eu personnellement connaissance de la détention ou de la torture dont le requérant aurait été victime.

4.5Même si les griefs du requérant selon lesquels il aurait été torturé par le passé étaient considérés comme établis, l’intéressé n’a avancé aucune preuve pour étayer un risque personnel qu’il soit torturé à l’avenir. Il a quitté le Pendjab il y a trois ans. Il n’a pas soutenu être un militant sikh de haut niveau, être lié avec des militants sikhs ou en connaître. À aucun moment il n’a affirmé que la police croyait qu’il était personnellement engagé dans des activités militantes. Il est donc hautement improbable qu’il coure encore un risque quelconque s’il était renvoyé au Penjab, à supposer qu’il ait pu en courir par le passé. Aucun mandat ni attestation de la comparution du requérant devant un tribunal en lien avec ses détentions antérieures n’a été produit. Ses griefs sont fondés uniquement sur des allégations, jugées sans fondement par les décideurs nationaux, selon lesquelles son cousin avait suscité l’intérêt de la police locale parce qu’il avait aidé des personnes qui avaient perdu des membres de leur famille au cours de la précédente période de violence entre la police et des militants dans le Pendjab.

4.6L’État partie fait valoir que le comportement du requérant après son départ de l’Inde n’est pas celui de quelqu’un qui craint d’être torturé. Le requérant est entré au Canada avec un visa de travail et a attendu trois mois avant de faire une demande de protection. Sa décision de ne pas demander une protection à la première occasion, mais d’attendre pendant une assez longue période et de déménager de Toronto à Montréal, après avoir fait le choix stratégique de demander une protection dans cette ville, montre qu’il n’avait pas de sentiment de crainte subjectif nécessitant une protection.

4.7L’État partie fait valoir qu’il y a eu une nette amélioration de la situation des droits de l’homme en Inde en ce qui concerne les Sikhs, si bien que l’on ne peut plus dire qu’il existe un risque général de mauvais traitements en cas de retour sur la seule base d’opinions politiques personnelles, réelles ou supposées. Seuls les militants de premier plan qui participent ou contribuent activement à des activités militantes ou qui sont considérés comme tels sont susceptibles de retenir l’attention des autorités centrales à leur retour en Inde. L’Inde est un pays laïque où la liberté religieuse est respectée par les pouvoirs publics, et les citoyens ne sont pas tenus de faire état de leur religion. Les Sikhs peuvent pratiquer leur religion sans restriction dans tous les États et certains ont occupé des postes officiels importants, y compris celui de premier ministre. Depuis la fin du conflit politique que l’Inde a connu jusqu’au milieu des années 1990, de nombreux rapports sur le pays confirment que seuls les militants sikhs les plus en vue risquent encore d’être arrêtés ou poursuivis en dehors du Pendjab. Il s’agit soit de dirigeants d’un groupe militant soit de personnes suspectéesd’avoir participé à une attaque terroriste. Nul ne serait considéré comme un militant de premier plan simplement parce qu’il a des idées politiques affirmées, qu’il mène des activités politiques ou qu’un membre de sa famille est perçu comme un militant de premier plan. Les rapports sur le pays montrent que le harcèlement, les détentions arbitraires et la torture imputables à la police locale au Pendjab n’ont le plus souvent pas de motivations politiques ou religieuses à l’égard de tel ou tel groupe ou cause, mais visent plutôt à soutirer des pots-de-vin. L’État partie fait valoir que, lorsqu’une personne ne présente aucun intérêt pour les autorités centrales indiennes, l’installation dans une autre partie du pays est une option possible. En outre, il n’y a pas de risque général de mauvais traitements pour les rapatriés sikhs, même lorsqu’ils expriment leur soutien idéologique à la création de l’État sikh du Khalistan.

4.8L’État partie fait valoir que les caractéristiques personnelles du requérant, notamment le fait qu’il ne soit pas une personnalité de premier plan ni un militant, ne sont pas telles qu’il ne pourrait pas vivre en sécurité dans une autre région de l’Inde ou que son renvoi lui ferait courir un risque réel de préjudice irréparable. Après avoir pleinement pris en considération les allégations du requérant − qui présentaient de sérieux problèmes de crédibilité − et la situation générale en Inde, telle que décrite dans plusieurs rapports, ainsi que l’existence d’une possibilité de fuite interne, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que le requérant ne risquerait pas de subir des mauvais traitements s’il était renvoyé en Inde.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans des commentaires datés du 29 août 2014, le requérant fait valoir qu’il appartient aux services frontaliers du Canada de l’inviter à faire une demande d’examen des risques avant renvoi et que le délai de traitement des demandes de résidence permanente fondées sur des considérations d’ordre humanitaire est long, outre que ces demandes n’ont pas d’effet suspensif sur les expulsions.

5.2Sur le fond, le requérant réaffirme qu’il a été victime de tortures, comme le confirment les rapports médicaux produits, principalement parce qu’il avait tenté d’obtenir justice contre la police. Il note que les allégations de la police, qui prétend qu’il a des liens avec des militants sikhs, sont fausses et n’ont d’autre objet que de justifier sa détention et les tortures qu’il a subies.

5.3En ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Inde, le requérant fait observer que les Sikhs sont aujourd’hui encore victimes de brutalités, de torture et de génocide de la part des autorités dans tout le pays. Les militants politiques et ceux qui dénoncent les violations des droits de l’homme sont toujours placés en détention et torturés, non seulement au Pendjab mais dans toute l’Inde.

5.4S’agissant de l’existence d’une possibilité de fuite interne, le requérant note que les nouveaux arrivants dans les autres régions du pays sont soumis à une surveillance et un contrôle systématiques, en particulier les Sikhs du Pendjab. Il lui serait donc extrêmement difficile de trouver un refuge sûr en Inde.

Observations complémentaires des parties

6.1Dans un courrier en date du 12 mars 2015, l’État partie note que le requérant a entre-temps fait une demande d’examen des risques avant renvoi, et que le contrôle juridictionnel d’une décision négative serait également possible. Quant à la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, l’État partie note que le délai que peut prendre un recours ne suffit pas à considérer que ce recours n’a pas besoin d’être épuisé. Une décision négative peut en outre être contestée devant la Cour fédérale.

6.2En ce qui concerne la situation des droits de l’homme en Inde, l’État partie note que des exécutions extrajudiciaires se produisent en particulier dans les zones de conflit telles que le Jammu-et-Cachemire, les États du Nord-Est et les zones où le mouvement naxalite est actif, mais pas au Pendjab. Les Sikhs du Pendjab peuvent s’installer dans d’autres régions de l’Inde et il y a des communautés sikhes dans tout le pays. Seuls ceux qui sont engagés dans une activité militante sont susceptibles d’attirer l’attention des autorités et d’être arrêtés ou détenus à leur retour en Inde.

7.1Dans un courrier en date du 31 août 2015, le requérant affirme que l’État partie a tort de prétendre qu’il n’y a plus de risque parce que la situation en Inde n’est pas aussi mauvaise que pendant la période de l’insurrection. Les Sikhs vivent toujours sous la menace constante de la torture étatique dans tout le pays. Les récentes arrestations massives en Inde montrent qu’il y a une recrudescence des violations des droits de l’homme. Depuis juin 2005, plus d’une centaine de policiers du Pendjab ont été reconnus coupables d’homicides maquillés en affrontements avec des prétendus terroristes. Les informations données par l’État partie portent sur la situation des Sikhs en général, mais pas de ceux qui sont soupçonnés d’être des militants ou qui ont subi des violations des droits de l’homme. Le requérant a insisté sur le fait qu’il courrait un risque parce qu’il avait cherché à obtenir justice. Il a indiqué que ceux qui portaient plainte contre la police indienne étaient arrêtés, tués ou disparaissaient. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié et la Cour fédérale commettaient une erreur en se fondant sur des constatations de fait et des points de droit erronés alors qu’elles étaient saisies d’éléments de preuve suffisants qui établissaient les manœuvres d’intimidation et la violence que la police exerçait à l’égard de ceux qui portaient plainte contre elle.

7.2S’agissant de l’existence d’une possibilité de fuite interne, le requérant fait valoir que, comme l’a souligné le Haut-Commissariat des NationsUnies pour les réfugiés , une telle option n’existe pas lorsque les persécuteurs sont des agents de l’État.

7.3Le 23 septembre 2016, le requérant a informé le Comité que sa demande d’examen des risques avant renvoi avait été rejetée le 30 novembre 2015. Le même jour, sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire avait également été rejetée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce parce que le requérant pouvait soumettre une demande d’examen des risques avant renvoi, pouvant faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, et une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Il note que le requérant a entre-temps fait une demande d’examen des risques avant renvoi qui a été rejetée. Sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire a également été rejetée et ne constitue pas, en tout état de cause, un recours utile aux fins de la recevabilité car elle n’a pas de caractère judiciaire ni d’effet suspensif sur l’expulsion du requérant. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui indique qu’une décision négative peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il constate, cependant, que ce contrôle juridictionnel se borne à rechercher des erreurs de droit grossières, ne comporte pas d’examen de l’affaire au fond, et n’a pas d’effet suspensif. Le requérant ayant soumis des demandes à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et à la Cour fédérale, ainsi que dans le cadre des procédures d’examen des risques avant renvoi et de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, le Comité considère que l’on ne peut pas raisonnablement exiger de lui qu’il demande également un contrôle juridictionnel de la décision d’examen des risques avant renvoi. Il estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la requête quant au fond.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la requête est manifestement infondée. Toutefois, il estime qu’aux fins de la recevabilité, le requérant a fourni des renseignements suffisants à l’appui des griefs qu’il tire de l’article 3 de la Convention. En conséquence, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Inde, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Inde. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé ; des preuves supplémentaires de ce risque personnel sont donc nécessaires. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires portant à croire que l’intéressé courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans la situation qui est la sienne.

9.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 , dans laquelle il a indiqué que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est « hautement probable », le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque « prévisible, réel et personnel ». Le Comité rappelle également que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.5Le Comité prend note du grief du requérant, selon qui la police et les services de sécurité indiens le recherchent parce qu’il aurait soutenu des terroristes sikhs au Pendjab et tenté d’obtenir justice contre la police locale. Le Comité relève que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a examiné les risques allégués par le requérant, mais a conclu que son récit manquait de crédibilité en ce qui concernait certains points essentiels et que, compte tenu de l’absence d’engagement politique ou partisan susceptible de le lier à un groupe militant, du fait qu’il avait été relâché deux fois après avoir soudoyé les policiers, de l’absence de chef d’accusation ou de mandat d’arrêt le visant et du fait qu’il avait utilisé son propre passeport pour quitter l’Inde malgré les contrôles stricts mis en place aux frontières, son profil n’était pas de nature à ce qu’il soit recherché par les autorités indiennes nationales. Le Comité note que les allégations du requérant ne montrent pas que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a agi de façon arbitraire lorsqu’elle a examiné ses griefs.

9.6En ce qui concerne l’existence d’une possibilité de fuite à l’intérieur du pays, le Comité considère que l’expulsion d’une personne ou d’une victime de torture vers une région d’un État où elle ne courrait pas de risque d’être torturée, contrairement à ce qui serait le cas dans d’autres régions du même État, n’est une option envisageable que si le Comité a reçu, avant l’expulsion, des informations fiables selon lesquelles l’État de retour a pris des mesures propres à garantir que les droits de la personne concernée seront effectivement et durablement protégés. En l’espèce, le Comité n’a reçu aucune information de ce type.

9.7Le Comité note que, même s’il devait accorder foi aux dires du requérant selon lesquels il aurait été torturé par la police locale par le passé, il ne s’ensuit pas nécessairement que, plusieurs années après les faits allégués, le requérant risquerait toujours d’être torturé en cas de renvoi en Inde, en particulier compte tenu de l’absence d’éléments indiquant qu’il serait recherché par les autorités nationales en Inde. De plus, le Comité estime que le requérant n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour étayer l’allégation selon laquelle sa famille a fait l’objet de harcèlement après qu’il eut quitté le pays ou qu’il serait par ailleurs recherché par la police locale. Le Comité rappelle le paragraphe 5 de son observation générale no 1, dans lequel il indique que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables. De l’avis du Comité, le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait. De plus, le requérant n’a pas démontré que les autorités de l’État partie qui ont examiné l’affaire n’ont pas mené une enquête adéquate.

9.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas fourni de motifs suffisants de croire qu’il serait personnellement exposé à un risque réel, prévisible et actuel d’être soumis à la torture à son retour en Inde.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Inde par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.