Nations Unies

CAT/C/59/D/610/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

18 janvier 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22de la Convention, concernant la communication no610/2014 * , **

Communication p résentée par :

R. M. (représenté par un conseil, Ahmed Ziauddin)

Au nom de :

R. M.

État partie :

Suède

Date de la requête :

6 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

30 novembre 2016

Objet :

Expulsion vers le Bangladesh

Questions de procédure :

Défaut de fondement

Questions de fond :

Non-refoulement ; prévention de la torture

Article s de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est R. M., de nationalité bangladaise, né en 1981. Il a demandé l’asile à la Suède. Sa demande a été rejetée et il court à présent le risque d’être expulsé. Il affirme que son renvoi au Bangladesh par la Suède l’exposerait au risque d’être tué ou enlevé par la Ligue Awami (Awami League) et d’être emprisonné par un organe chargé de faire respecter la loi, en violation de l’article 3 de la Convention.

1.2Le 6 juin 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant affirme qu’il a été contraint de demander l’asile à la Suède, le 26 février 2012, après que des membres du parti au pouvoir au Bangladesh, la Ligue Awami, ont tenté de le torturer et de le tuer. Le dirigeant local du parti a agressé le requérant et les membres de sa famille à de nombreuses reprises, obligeant le requérant à se cacher dans d’autres régions du pays avant que le Parti national du Bangladesh (Bangladesh National Party) l’aide à fuir en Suède. Le requérant affirme aussi qu’un organe chargé de faire respecter la loi l’a recherché pour l’arrêter et le torturer, et que des agents de cet organe ont interrogé son père à de nombreuses reprises.

2.2Le 28 août 2012, le requérant a informé le Comité que l’État partie refusait de lui délivrer un permis de travail malgré le fait que l’exécution de son expulsion avait été suspendue après que l’octroi des mesures provisoires de protection. Le requérant soumet une déclaration de son avocat au Bangladesh, datée du 21 juillet 2014, dans laquelle celui‑ci indique qu’une décision de justice exécutoire a été rendue le 24 novembre 2005, par laquelle le requérant a été reconnu coupable de torture et de viol, et que le requérant a quitté le pays parce que en raison de ses convictions politiques il ne bénéficiait pas d’une protection. Le requérant soumet également une déclaration du Président de la Commission nationale des droits de l’homme, en date du 13 août 2014, confirmant qu’il a été victime de persécution politique au Bangladesh et qu’il a besoin d’une protection internationale.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme qu’en ne lui accordant pas une protection internationale et en le renvoyant au Bangladesh, l’État partie lui ferait courir le risque d’être torturé, enlevé et tué par la Ligue Awami et par l’organe chargé de faire respecter la loi dont il a fait mention et commettrait ainsi une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie

4.1Dans une note verbale en date du 8 décembre 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête et a appelé l’attention du Comité sur le fait que la décision d’expulser le requérant serait prescrite le 14 février 2017.

4.2Concernant la teneur de la plainte, l’État partie précise que le requérant a demandé l’asile le 26 février 2012, jour où il affirme être arrivé en Suède. L’Office suédois des migrations a rejeté sa demande et a décidé, le 11 mai 2012, de l’expulser vers le Bangladesh. Le Tribunal des migrations a rejeté son recours le 4 janvier 2013. Le 14 février 2013, la Cour d’appel des migrations a refusé d’accorder une autorisation aux fins d’interjeter appel et l’arrêté d’expulsion est donc devenu définitif et non susceptible d’appel. Le requérant a ultérieurement fait valoir devant l’Office des migrations qu’il y avait des obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion le concernant et a demandé le réexamen de son affaire. L’Office suédois des migrations a rejeté sa demande le 5 juin 2014. Le Tribunal des migrations a rejeté son recours le 23 juin 2014.

4.3En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que le requérant n’a pas étayé par le minimum d’éléments de preuve requis son affirmation selon laquelle s’il était renvoyé au Bangladesh, il serait soumis à un traitement constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie estime que la communication est manifestement infondée et irrecevable.

4.4Sur le fond, l’État partie fait valoir que la situation générale des droits de l’homme au Bangladesh ne suffit pas en elle-même pour établir que le renvoi du requérant constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie fait en outre le point sur la question de savoir si le requérant courrait personnellement le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il fait référence à l’observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3 et souligne que le Comité n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel ou administratif, qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé et qu’il appartient aux tribunaux des États parties à la Convention et non au Comité d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il est établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. L’État partie fait valoir que les autorités nationales se sont livrées à un examen approfondi du cas du requérant, que l’Office des migrations suédois a procédé à trois entretiens avec le requérant, auxquels ont participé son conseil et un interprète, que le requérant a dit bien comprendre. Le conseil était autorisé à poser des questions au requérant pendant les entretiens et à examiner les comptes rendus par la suite. En appel, le Tribunal des migrations a également eu un entretien avec le requérant, auquel ont participé son conseil et un interprète.

4.5L’État partie indique que les autorités nationales n’ont pas été en mesure de confirmer l’identité du requérant. Le passeport qu’il a présenté lui avait été délivré par l’intermédiaire d’un agent. Le requérant a reconnu qu’il avait vécu en Grèce en 2008, sous un autre nom, et qu’il avait utilisé un faux passeport pour entrer en Suède. En outre, lors d’un contrôle effectué par la police sur son lieu de travail, il a utilisé un autre nom et une autre date de naissance que ceux qu’il a donnés tout au long de la procédure d’asile.

4.6L’État partie indique également que dans sa demande d’asile, le requérant a invoqué, à l’appui de sa demande de protection, des raisons différentes de celles qu’il a invoquées dans sa communication au Comité: devant les autorités nationales, le requérant a affirmé que s’il était renvoyé au Bangladesh, il risquerait d’être emprisonné à vie ou condamné à mort sur de fausses accusations pénales portées contre lui par un personnage puissant avec lequel il avait eu un différend foncier; dans la communication qu’il a soumise au Comité, il affirme qu’il cherche à être protégé contre la persécution politique du parti au pouvoir, la Ligue Awami, et des agents des forces de l’ordre qui l’ont recherché et qui sont venus à son domicile et ont menacé son père. Ce n’est que dans la demande de réexamen de son cas, une fois que l’arrêté d’expulsion est devenu définitif et non susceptible d’appel, que le requérant a prétendu avoir mené des activités politiques au Bangladesh. Cependant, comme son identité ne pouvait pas être formellement établie et les documents présentés étaient des copies et non des originaux, les autorités nationales n’ont accordé qu’une faible valeur probante à ces documents. L’État partie conclut que le requérant n’a pas établi de manière plausible qu’il courrait un risque du fait de ses activités politiques.

4.7L’État partie indique que l’auteur avait fait une demande de passeport à l’ambassade du Bangladesh en 2008, lorsqu’il se trouvait en Grèce, mais qu’il avait quitté le pays avant de pouvoir le retirer. Au cours de la procédure d’asile, il n’a soumis aucun document à l’appui de ses affirmations concernant le différend foncier qui aurait conduit à ce que de fausses accusations pénales soient portées contre lui, et concernant son hospitalisation après l’agression subie en raison dudit différend foncier. L’État partie affirme que l’auteur a fait des déclarations incohérentes, que son récit est vague et qu’il n’a pas été en mesure de fournir des réponses claires pendant les audiences. Il fait observer que le requérant est resté au Bangladesh pendant deux ans après le prétendu différend foncier et qu’à son retour de Grèce, après que la police et les forces d’intervention rapide se sont rendues à son domicile à sa recherche, en 2008, il est resté encore trois ans dans le pays avant de se rendre en Suède, en février 2012.

4.8En résumé, l’État partie fait valoir qu’il y a des raisons valables de douter de la véracité du récit du requérant concernant son besoin de protection. Les éléments de preuve fournis et les circonstances invoquées ne suffisent pas à démontrer que le risque allégué de torture est prévisible, réel et personnel et que l’expulsion du requérant vers le Bangladesh constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention.

4.9Enfin, l’État partie affirme qu’il n’est pas habilité à accorder un permis de travail dans la situation actuelle et que cela relève de la compétence exclusive de l’Office suédois des migrations et des tribunaux des migrations.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 7 octobre 2015, le requérant a soumis une copie d’un passeport délivré par l’ambassade du Bangladesh en Suède afin de prouver son identité.

5.2Le 2 mai 2016, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que la décision des autorités nationales était motivée par des considérations politiques, qu’elle était dénuée de fondement et qu’elle ne tenait pas compte de la situation des droits de l’homme au Bangladesh. Il estime que les rapports évoqués par l’État partie donnent des informations théoriques qui ne correspondent pas à la réalité. Il déclare en outre que lorsqu’il est arrivé en Suède, il souffrait de troubles post-traumatiques consécutifs aux tortures qu’il avait subies sur ordre de la personne avec laquelle il avait eu un différend foncier, et que les autorités nationales n’avaient pas tenu compte de sa vulnérabilité. Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel il n’avait pas fait état de ses activités politiques et des tortures subies pendant la procédure d’asile, le requérant affirme que la raison en est qu’il ne comprenait pas l’interprète, et que du fait des troubles post-traumatiques dont il souffrait et de ses pertes de mémoire, il ne pouvait pas suivre les questions. Il affirme que les lettres du représentant du Parti nationaliste du Bangladesh et de son père confirment son engagement politique. Le requérant indique également qu’il a récemment été opéré trois fois et que ses troubles post-traumatiques ont atteint le stade le plus aigu.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle s’il était renvoyé au Bangladesh, il risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention par la Ligue Awami et un organe chargé de faire respecter la loi. Le Comité constate toutefois que la communication du requérant fait une demi-page et qu’il n’y figure aucun renseignement détaillé sur ses activités politiques au Bangladesh, sur sa condamnation pour torture et viol le 24 novembre 2005 ou sur les raisons pour lesquelles l’organe chargé de faire respecter la loi s’intéresserait à lui. Tous les documents soumis par le requérant, à savoir les lettres du représentant du Parti nationaliste du Bangladesh, du père du requérant, de son avocat et du Président de la Commission nationale des droits de l’homme, se bornent à indiquer que le requérant est en danger en raison de son appartenance politique, sans expliquer son rôle au sein du Parti nationaliste du Bangladesh ni quelles ont été ses activités politiques passées. À la lumière de ce qui précède, le Comité note en particulier que le requérant, malgré ses allégations de persécutions politiques au Bangladesh, s’est adressé au consulat du Bangladesh en Suède et a reçu un passeport sans signaler quelque problème que ce soit. Le Comité constate également que le dossier ne comporte aucun élément qui confirme les allégations du requérant concernant des tortures subies dans le passé. Le requérant n’a fourni aucune date, aucune précision et aucun document justificatif sur cette question. Les pièces dont le Comité est saisi ne lui permettent pas de déterminer si le requérant a été victime de persécution et de mauvais traitements dans le passé, et s’il courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Bangladesh. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.