Nations Unies

CAT/C/59/D/633/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 janvier 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de laConvention, concernant la communication no 633/2014 * , **

Communication p résentée par :

Y. S. (représenté par un conseil, John Phillip Sweeney)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

10 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

15 novembre 2016

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka ; risque de torture

Questions de procédure :

Recevabilité ; requête manifestement dénuée de fondement

Questions de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est Y. S., ressortissant sri-lankais de souche tamoule, né le 18 janvier 1969. Débouté de sa demande d’asile en Australie, il était détenu au moment où il a présenté sa requête et son expulsion vers Sri Lanka était imminente. Il affirme que le renvoyer à Sri Lanka, où il risquerait d’être incarcéré et soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements, serait une violation de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil, John Phillip Sweeney.

1.2Le 15 octobre 2014, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen. Les 31 mars et 5 avril 2016, l’État partie lui a demandé de lever ces mesures provisoires, demande que le Comité, agissant par l’intermédiaire du même Rapporteur, a rejetée le 28 juillet 2016.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Valaichenai, dans le district de Batticoloa (province du nord‑est de Sri Lanka). À partir de 1975, des groupes militants de la région ont commencé à recruter de jeunes hommes pour leur donner un entraînement militaire. En 1985, le requérant a fui à Colombo de crainte d’être enrôlé de force par un de ces groupes. En 1987, il est rentré à Valaichenai, où il a été enlevé par l’Organisation de libération de l’Eelam tamoul. Il a été détenu dans un camp de l’Organisation et forcé de travailler comme cuisinier dans la cuisine du camp. À une date non précisée, il s’est enfui et est retourné à Colombo.

2.2Jusqu’en 1991, le requérant a vécu caché à Colombo avant de rentrer dans son village. Pendant que le requérant se cachait à Colombo, son père avait été détenu dans le camp, où il avait été interrogé et torturé pendant deux jours en représailles à sa fuite.

2.3Plus tard en 1991, le requérant a obtenu un passeport et s’est enfui en Arabie saoudite où il resté, à l’exception de deux brefs voyages à Sri Lanka, jusqu’en 2006. Il s’est alors rendu à Doubaï. En 1999, la tante du requérant, T. M., a été arrêtée, accusée de terrorisme et incarcérée.

2.4 Pendant que le requérant était à Doubaï, le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal a menacé de tuer sa femme et ses enfants. Les agents de ce groupe ont expulsé son épouse de la maison familiale, qu’ils ont commencé à utiliser comme bureau. Son épouse a porté plainte au poste de police local pour les menaces qu’elle avait reçues, mais en vain. En janvier 2007, le groupe a de nouveau écrit à l’épouse du requérant pour réclamer de l’argent, en la menaçant de mort.

2.5Le 25 septembre 2008, le requérant a quitté Doubaï et est rentré à Sri Lanka pour rejoindre son épouse. À son retour à Sri Lanka, il a travaillé comme tireur de pousse‑pousse. En mars 2012, il a embarqué un homme à la gare, qui lui a demandé de l’emmener à un bureau du Parti démocratique populaire de l’Eelam. Peu après, le requérant a été arrêté par la police locale. Le requérant et son passager ont été interrogés et brièvement détenus. Lors de l’interrogatoire, le requérant a été accusé de transporter un membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul.

2.6Après l’incident susmentionné, le requérant a été placé sous surveillance, détenu et retenu aux points de contrôle par les autorités sri-lankaises. Il a été informé par d’autres tireurs de pousse-pousse que la police posait des questions sur ses passagers et leur destination.

2.7À cause du harcèlement constant dont il était victime et craignant que les choses n’empirent encore, le requérant a décidé de quitter à nouveau le pays, cette fois à destination de l’Australie. Il a quitté Sri Lanka illégalement, par bateau, le 4 mai 2012 et est arrivé en Australie le 11 juin 2012.

2.8Quand il est arrivé en Australie, son épouse lui a fait savoir que le Département des enquêtes criminelles de Sri Lanka posait des questions sur les nombreux hommes qui avaient quitté le village pour se rendre en Australie, sur l’endroit où il se trouvait, et qu’il lui avait réclamé de l’argent. Elle a refusé de payer et a été arrêtée.

2.9 À son arrivée en Australie, le requérant a fait une demande de visa de protection le 24 août 2012. Sa demande a été refusée par un représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières le 22 octobre 2012. À une date non précisée, le requérant s’est adressé au Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés (RRT), pour qu’il infirme la décision défavorable, mais sa demande a été rejetée le 20 août 2013. Il a demandé l’autorisation spéciale de former un recours contre la décision du Tribunal de circuit fédéral, demande qui a été rejetée le 26 juin 2014. Le 18 juillet 2014, le requérant a déposé une demande d’intervention en vertu des articles 417 et 48B de la loi relative à l’immigration (1958)auprès du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières, mais il a été débouté le 24 septembre 2014. Les services australiens chargés de l’immigration ont estimé que les déclarations et les allégations du requérant présentaient des incohérences, que sa crainte d’être persécuté n’était pas fondée et qu’il n’existait pas un risque réel qu’il soit pris pour cible à son retour à Sri Lanka. Le requérant soutient qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que, comme il avait quitté Sri Lanka illégalement, s’il y était renvoyé, il serait arrêté à son arrivée, interrogé, inculpé et placé en détention provisoire pour des infractions afférentes à son départ illégal. Il dit qu’en tant que Tamoul de souche, il court un risque réel d’être torturé et de se voir infliger des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les autorités sri-lankaises. De plus, il craint que les autorités ne tirent prétexte de son origine ethnique pour l’accuser d’être un partisan politique des Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Cette crainte est encore renforcée par le fait que son père et sa tante ont aussi été victimes de traitements cruels du fait d’un tel soupçon. Le requérant soutient par conséquent que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 3 septembre 2015, l’État partie a soutenu que les griefs du requérant étaient irrecevables au motif qu’ils étaient manifestement dénués de fondement eu égard à l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Dans l’éventualité où le Comité jugerait ces griefs recevables, l’État partie soutient que les griefs sont sans fondement car ils ne sont pas étayés par des éléments montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant courrait le risque d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention.

4.2L’État partie indique que le requérant, ressortissant sri-lankais de souche tamoule, est arrivé en Australie par bateau. L’intéressé n’était pas en possession d’un visa en cours de validité lui permettant d’entrer en Australie et a été détenu à son arrivée. Il est resté au centre de détention des services de l’immigration jusqu’au 13 septembre 2012, date à laquelle on lui a délivré un visa provisoire, qui a expiré le 19 juin 2015.

4.3L’État partie constate que, selon le requérant, l’État partie violerait l’article 3 de la Convention s’il le renvoyait à Sri Lanka, car l’intéressé y serait détenu arbitrairement, incarcéré et interrogé par les autorités sri-lankaises concernant son départ illégal du pays et les liens qu’on le soupçonne d’avoir avec les Tigres de libération. Il constate que le requérant affirme aussi qu’il risque d’être harcelé par le TamilMakkal Viduthalai Pulikal ou par le Département des enquêtes criminelles de Sri Lanka et soumis à des actes assimilables à la torture, si on le renvoyait dans sa région natale de Batticaloa.

4.4L’État partie soutient que l’article 3 de la Convention fait obligation aux États parties de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. La décision rendue par le Comité dans l’affaire G. R. B. c. Suède confirme que l’obligation découlant de l’article 3 doit être interprétée au regard de la définition de la torture énoncée à l’article 1 de la Convention. Selon cette définition, plusieurs éléments doivent être réunis pour qu’un acte soit constitutif de torture. Premièrement, il faut que l’acte cause à une personne une douleurou des souffrances aiguës, physiques ou mentales. Deuxièmement, l’acte doit être intentionnellement infligéà une personne aux fins notammentd’obtenir d’elle des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou la tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou sur la tierce personne, ou pour tout motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit. Troisièmement, la douleur ou les souffrances doivent être infligéespar un agent de lafonction publiqueou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Un comportement sera constitutif ou non de torture selon la nature de l’acte considéré. L’obligation de non-refoulement au sens de l’article 3 de la Convention se limite aux cas de torture et ne s’étend pas aux cas de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. S’il est établi que les actes considérés seraient constitutifs de torture, encore faut-il, selon l’article 3, qu’il y ait « des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture ». Cela signifie que le requérant doit « courir personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé ». Le Comité a également précisé que le risque devait être encouru « personnellement et actuellement ». Pour établir qu’un État partie manquerait à l’obligation de non-refoulement qui lui est faite par l’article 3, il faut établir que l’intéressé risque personnellement de subir un tel traitement en cas de renvoi. L’État partie considère que l’existence dans un pays d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs précis qui donnent à penser que l’intéressé serait personnellement en danger. Il doit donc exister des motifs supplémentaires de penser que le requérant serait personnellement en danger. La preuve de l’existence d’un « risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture » en cas d’extradition ou d’expulsion doit être apportée par le requérant et ce risque « doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons ».

4.5Selon l’État partie, les griefs du requérant sont irrecevables au titre de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité car manifestement dénués de fondement. C’est au requérant qu’il incombe d’établir qu’à première vue, sa requête est recevable au titre de cette disposition du règlement. Le Gouvernement australien fait observer que le requérant ne l’a pas fait. Si le Comité devait considérer que les griefs du requérant sont recevables, le Gouvernement australien ferait valoir qu’ils sont aussi infondés.

4.6L’État partie indique également que les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie par toute une série de décideurs au plan interne, dont le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières (dans le cadre de la demande de visa de protection) et le RRT. La décision du RRT a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel du Tribunal de circuit fédéral d’Australie et de la Cour fédérale d’Australie. Selon le requérant, ses griefs ont aussi été examinés à l’occasion de l’intervention ministérielle. Ils ont été examinés à la faveur de procédures internes bien établies, d’où il est ressorti que les allégations du requérant n’étaient pas dignes de foi et n’engageaient pas l’obligation de non-refoulement qui incombe au Gouvernement australien. En particulier, les allégations du requérant ont été évaluées au regard des dispositions relatives à la protection complémentaire figurant à l’alinéa 36 2) aa) de la loi du Commonwealth de 1958 relative à l’immigration (ci-après « loi relative à l’immigration »), qui tient compte de l’obligation de non-refoulement du Gouvernement australien en application de la Convention.

4.7L’État partie affirme que les éléments de preuve présentés par le requérant ont été examinés de façon approfondie dans le cadre de procédures administratives et juridictionnelles internes on ne peut plus complètes. Il renvoie à l’observation générale no 1 du Comité dans laquelle celui-ci précise que, n’étant pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel, il « accorde un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé ». L’État partie demande au Comité de reconnaître qu’il a examiné de manière approfondie les affirmations du requérant dans le cadre de ses procédures internes et d’accepter sa conclusion selon laquelle il n’a pas d’obligations envers le requérant au titre de la Convention. L’État partie prend très au sérieux les obligations que lui impose la Convention et il s’en est acquitté de bonne foi dans le cadre de ses procédures internes en matière d’immigration.

4.8L’État partie reconnaît qu’« on ne peut guère s’attendre à ce que le récit d’une victime de la torture soit d’une parfaite exactitude ». Les décideurs au niveau interne se sont bien rendu compte qu’ils devaient faire preuve d’une certaine souplesse face aux erreurs et aux contradictions que présentaient les déclarations du requérant. Par exemple, lors de l’examen de la demande de visa de protection, la personne qui a pris la décision a reconnu qu’il fallait « faire preuve de sensibilité face aux difficultés que rencontraient souvent les demandeurs d’asile ».

4.9L’État partie fait valoir que les griefs soulevés par le requérant dans sa requête ont été examinés dans le cadre des procédures internes suivantes : demande de visa de protection, examen au fond indépendant du RRT, contrôle juridictionnel du Tribunal de circuit fédéral et de la Cour fédérale d’Australie, demande d’intervention ministérielle.

4.10Le requérant a déposé une demande de visa de protection le 22 août 2012. Il s’est vu accorder un visa provisoire E (sous-catégorie 050), le 13 septembre 2012, dans l’attente que sa demande de visa de protection soit examinée par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Le 18 octobre 2012, la demande de visa de protection du requérant a été rejetée. Le responsable de la décision en la matière, aidé d’un interprète, a eu un entretien avec le requérant et a examiné des éléments d’information pertinents, par exemple des données sur le pays d’origine fournies par le Ministère des affaires étrangères et du commerce. Il a tenu compte de la situation du requérant, en particulier des deux mois de service forcé dans un camp de l’Organisation de libération de l’Eelam tamoul en 1987, des sommes qu’il a été obligé de payer aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul, de son métier de tireur de pousse-pousse, de son origine tamoule et de sa condition de « demandeur d’asile débouté ».

4.11Ce même responsable a relevé que le requérant avait pu obtenir un passeport sri‑lankais et franchir les points de passage officiels (notamment à l’aéroport national) à plusieurs reprises, ce qui semble indiquer que les autorités sri-lankaises ne s’intéressaient pas à lui. Après avoir examiné les données pertinentes sur le pays, le responsable n’a pas estimé qu’il existait un risque réel que le requérant soit persécuté s’il était renvoyé à Sri Lanka. Il a aussi examiné la question de savoir si le requérant pouvait prétendre à une protection au titre de l’article 36 2) aa) de la loi relative à l’immigration, qui consacre le principe de non-refoulement auquel est tenu le Gouvernement australien au titre de la Convention. Ces dispositions s’appliquent lorsque le décideur est convaincu qu’il existe des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’intéressé aurait pour conséquence nécessaire et prévisible un risque réel que celui-ci subisse un préjudice grave. Un facteur permettant de déterminer si le requérant peut prétendre à une protection complémentaire a trait au harcèlement éventuel du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal. L’épouse et les enfants du requérant auraient été expulsés par ce groupe de la maison familiale en 2007 (alors que le requérant était à Doubaï). Celui-ci est rentré au pays pour essayer de récupérer son bien, mais le groupe en question a refusé de le lui restituer. Après quelques mois, le requérant et son épouse ont pu reprendre la maison, avec l’aide du chef du village. Dans son entretien avec le décideur, le requérant a indiqué qu’« à cause de cet incident, le groupe en avait toujours après lui ». Cependant, le décideur a relevé que le requérant était incapable de rapporter d’autres actes de harcèlement et qu’il avait pu vivre dans la maison pendant quatre ans sans autre incident. Le décideur a conclu que le requérant ne courrait pas un risque réel de subir un préjudice grave s’il était renvoyé à Sri Lanka. Ayant conclu que le requérant ne devait pas être considéré comme un réfugié et qu’il ne pouvait prétendre à une protection complémentaire au titre de l’article 36 2) aa) de la loi relative à l’immigration, il a donc rejeté sa demande de visa de protection.

4.12L’État partie affirme que le requérant a ensuite déposé une demande d’examen au fond, le 24 octobre 2012, auprès du RRT, organe spécial qui procède à un examen complet et indépendant des décisions relatives aux visas de protection. Le 20 août 2013, ce tribunal a confirmé la décision du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières de ne pas accorder de visa de protection au requérant. Ce dernier était présent à l’audience et a pu s’exprimer oralement avec l’aide d’un interprète.

4.13Le RRT a estimé que certains aspects des déclarations du requérant manquaient de crédibilité et que l’intéressé avait donné des réponses peu convaincantes lorsqu’on l’avait questionné sur les contradictions qui entachaient ses déclarations. En fin de compte, le RRT a indiqué qu’il ne croyait pas que le requérant avait été interrogé et malmené par la police du fait de son travail de tireur de pousse-pousse ni que le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal avait occupé la maison familiale ou que son épouse avait été harcelée par les autorités après son départ en Australie. Le RRT a également conclu que le requérant n’avait pas dit la vérité concernant les raisons pour lesquelles il avait quitté Sri Lanka et que les autorités sri‑lankaises ne s’intéressaient pas à lui au moment où il avait quitté son pays pour se rendre en Australie. Il ne pensait pas que les autorités sri-lankaises ou des groupes paramilitaires actifs dans la région de Batticaloa s’intéressaient au requérant au motif qu’il serait un partisan des Tigres de libération. Le RRT a bien voulu croire que le requérant avait été enlevé par l’Organisation de libération de l’Eelam tamoul en 1987, mais a estimé que rien n’indiquait que les autorités continuaient à s’intéresser à lui pour cette raison. Le RRT a indiqué qu’il ne pouvait ajouter foi aux allégations du requérant selon lesquelles il risquait d’avoir des ennuis en raison du temps qu’il avait passé au camp de l’Organisation en 1987 ou parce qu’il s’était acquitté de l’« impôt de guerre » aux Tigres de libération. Le RRT n’a pas estimé que le requérant serait considéré comme un partisan des Tigres de libération ou qu’il serait autrement inquiété en raison de ses opinions politiques. Sa condition de débouté du droit d’asile ne l’exposait pas non plus, selon le RRT, à un risque réel de préjudice grave s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le RRT est convenu que le requérant serait poursuivi pour infraction à la loi sri-lankaise relative aux immigrants et aux émigrants (1948) et qu’il pourrait être détenu pendant quelques jours avant de se voir infliger une amende. Compte tenu des données disponibles sur le pays, le RRT n’a pas considéré que le requérant serait détenu pendant une longue période ou qu’il risquerait de subir un préjudice grave (notamment la torture) s’il était renvoyé à Sri Lanka. Compte tenu des lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et des données disponibles sur le pays concernant le traitement réservé aux rapatriés tamouls, le RRT n’a pas estimé qu’il existait des motifs sérieux de croire que le renvoi de l’intéressé aurait pour conséquence nécessaire et prévisible un risque réel de subir un préjudice grave (notamment la torture) au titre de l’article 36 2) aa) de la loi relative à l’immigration.

4.14Le 26 juin 2014, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande de contrôle juridictionnel de la décision du RRT déposée par le requérant. Celui-ci était présent à l’audience du tribunal de circuit et s’est exprimé oralement. Le Tribunal de circuit fédéral a conclu que la décision du RRT n’était entachée d’aucune erreur de droit et que le requérant avait bénéficié d’une procédure équitable. De ce fait, la demande de contrôle juridictionnel du requérant a été rejetée.

4.15Le 18 juillet 2014, le requérant a déposé une demande d’intervention ministérielle en vertu des articles 417 et 48B de la loi relative à l’immigration. Conformément à ces dispositions, le Ministre de l’immigration et de la protection des frontières peut intervenir dans des cas individuels s’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire. Les allégations du requérant ont de nouveau fait l’objet d’un examen complet, notamment compte tenu des décisions du RRT et du Tribunal de circuit fédéral. Le requérant a affirmé que sa tante, T. S., avait été arrêtée, faussement accusée de terrorisme et détenue pendant des mois en 1999 et 2000. Le requérant a joint à sa demande une lettre datée du 29 janvier 2001 de la délégation sri-lankaise du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) pour étayer ses dires. La lettre indiquait que le CICR avait rendu visite à T. S. au poste de police de Katugastota, dans le district de Kandy, le 17 juin 1999, à la prison de Welikada, dans le district de Colombo, ainsi qu’à la prison de Batticaloa, dans le district de Batticaloa, entre le 19 août 1999 et le 13 juin 2000. D’après la lettre, T. S. avait dit au CICR qu’elle avait été arrêtée le 27 mai 1999 et libérée le 29 janvier 2000. Le requérant n’avait pas soulevé ce grief auparavant, bien qu’il ait eu plusieurs occasions de le faire dans le cadre de la procédure relative au visa de protection. Le décideur a fait observer que le requérant n’avait pas expliqué la raison de cette omission, ni produit de nouvelles informations sur la manière dont ces faits auraient une incidence sur son retour à Sri Lanka. Il a estimé qu’aucune information supplémentaire figurant dans la demande d’intervention ministérielle n’était susceptible d’améliorer les chances de l’intéressé de voir aboutir sa demande de visa de protection. Par conséquent, la demande introduite par le requérant en vertu de l’article 48B de la loi relative à l’immigration n’a pas été adressée au Ministre. Cependant, l’affaire du requérant a été renvoyée à la Ministre adjointe de l’immigration et de la protection des frontières au titre de l’article 417, laquelle a refusé d’intervenir.

4.16Le Gouvernement australien répond aussi aux points suivants soulevés par le requérant : nouveaux éléments de preuve concernant le harcèlement dont aurait été victime l’épouse du requérant, nouveaux éléments de preuve concernant l’expulsion présumée de la famille du requérant, allégations concernant la torture dont aurait été victime le père du requérant, nouvelle allégation concernant les commentaires qu’aurait faits le Secrétaire à la défense sri-lankais, nouvelle allégation concernant la loi sur le « préjudice grave », allégation concernant le retour au pays des demandeurs d’asile déboutés.

4.17L’État partie relève que le requérant a affirmé que, depuis qu’il était en Australie, son épouse était harcelée par les autorités sri-lankaises et par le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal. Le requérant affirme que le Département des enquêtes criminelles a posé des questions à son épouse sur l’endroit où il se trouvait, a exigé de l’argent et l’a arrêtée lorsqu’elle a refusé de payer. Il affirme qu’elle a été détenue pendant trois jours, battue et libérée sous caution en attendant de comparaître au tribunal à une date ultérieure. Elle aurait aussi reçu la visite d’inconnus qui exigeaient de l’argent, ainsi que des coups de fil menaçants. Le requérant soupçonne le Département des enquêtes criminelles, le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal ou un groupe paramilitaire d’être à l’origine de ces coups de téléphone. L’épouse du requérant aurait déposé une plainte à la police au sujet des menaces qu’elle avait reçues. Le RRT n’a pas considéré que ces allégations étaient dignes de foi parce que les informations fournies par le requérant étaient vagues et que l’explication qu’il donnait n’avait pas de sens et avait changé au cours du temps. Le RRT n’était pas convaincu que l’épouse du requérant ait été inquiétée par les autorités sri-lankaises. À l’appui de ces allégations, le requérant a soumis des éléments de preuve qu’il n’avait pas fournis au RRT. Il s’agit notamment de deux lettres du curé de la paroisse de Sainte Thérèse à Valaichenai. Ces lettres n’avaient pas été communiquées aux décideurs précédents. Une lettre, datée du 14 juin 2012, atteste les qualités personnelles du requérant. La lettre indique que le prêtre « a appris [par l’épouse du requérant] qu’elle et son mari avaient connu bien des vicissitudes pendant la guerre et après la guerre ». La seconde lettre, qui n’est pas datée, mentionne sans autre précision « un malheureux incident » qui aurait eu lieu le 16 juillet 2012. Elle indique que l’épouse du requérant aurait par la suite reçu des coups de téléphone menaçants pendant plus de deux semaines et que, de ce fait, elle avait été incapable de travailler. Le requérant a également joint une citation datée du 23 juillet 2013 adressée à son épouse, qui devait comparaître comme témoin dans le cadre d’une procédure contre « V. K. Mekan » relative à des menaces de mort proférées pendant une conversation téléphonique (les numéros de téléphone sont précisés). Aucune autre information n’est fournie concernant les circonstances entourant cet incident, V. K. Mekan ou l’issue de l’audience. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a évalué ces deux documents, d’où il ressort que l’épouse du requérant avait été citée comme témoin dans une procédure visant une personne accusée d’avoir passé un coup de fil menaçant et a dit à un curé qu’elle recevait elle-même des menaces téléphoniques. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a considéré que les documents susmentionnés n’étayaient pas les allégations selon lesquelles l’épouse du requérant avait été prise pour cible et harcelée par le Département des enquêtes criminelles ou que le requérant ou sa famille aient présenté un intérêt quelconque pour les autorités sri-lankaises. Ces documents ne contiennent aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle l’épouse du requérant aurait été arrêtée, détenue et maltraitée par les autorités. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a également examiné des lettres de menace émanant du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal exigeant de l’argent et l’usage de la maison du requérant en 2007. Le requérant est retourné dans la région de Batticaloa le 25 septembre 2008 et y est resté jusqu’en 2012, ce qui suggère qu’il a pu le faire sans crainte d’être inquiété par le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal ou des groupes paramilitaires. L’État partie maintient que les documents fournis par le requérant ne suffisent pas à étayer les allégations selon lesquelles il serait soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.18L’État partie relève aussi que, selon le requérant, son épouse et ses enfants auraient été expulsés de leur maison par le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal en 2007. Notant que rien ne venait étayer ces allégations, le RRT les a rejetées. Dans sa requête au Comité, le requérant a fourni des éléments de preuve qu’il n’avait pas fournis au RRT. Il s’agit notamment d’une lettre, datée du 15 janvier 2007, qui aurait été écrite par l’aile politique du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal et qui concernait la cessation des paiements mensuels faits par le requérant depuis 2005 et demandait au requérant de se rendre au bureau de l’organisation pour y discuter de la situation. La lettre indiquait que, si le requérant refusait de discuter avec l’organisation, « il n’était pas garanti » qu’il reste en vie, il « ne pourrait plus vivre dans cette zone et sa maison et ses biens seraient confisqués ». Une autre lettre, non datée, qui émanerait de l’aile politique du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal, faisait savoir à l’épouse du requérant qu’elle devait céder sa maison, qui servirait de bureau. Le requérant a également joint la déclaration d’un voisin attestant de l’expulsion de la famille et une déclaration d’un juge de paix qui aurait aidé le requérant à récupérer sa maison. L’État partie fait valoir qu’un laps de temps considérable s’étant écoulé depuis l’expulsion temporaire de la famille du requérant en 2007, il ne considère pas que le requérant risquerait d’être inquiété par le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal pour avoir repris possession de sa maison.

4.19L’État partie fait en outre remarquer que, dans sa requête au Comité, le requérant a affirmé que son père avait été interrogé et torturé pendant deux jours, à une période non précisée entre 1987 et 1991, en représailles parce qu’il s’était échappé du camp de l’Organisation de libération de l’Eelam tamoul. Il s’agit là d’une version plus élaborée de l’allégation qu’il avait soumise au RRT, selon laquelle son père avait été battu après que le requérant était parti à Colombo. L’État partie affirme que rien n’indique que le requérant continue à être dans le collimateur des autorités sri-lankaises. L’allégation concernant le traitement réservé au père du requérant a été évaluée par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Ce lien familial n’a pas empêché le requérant d’obtenir un passeport ni de voyager librement dans le pays après l’incident invoqué, ce qui montre bien que les autorités sri-lankaises ne s’intéressent plus à lui.

4.20L’État partie relève également que le requérant a évoqué des propos qu’aurait tenus Gotabaya Rajapaksa lors d’un discours prononcé en 2012 en sa qualité de Secrétaire au Ministère de la défense et de l’urbanisation. Ils concernaient le phénomène des cadres des Tigres de libération, qui quitteraient Sri Lanka et encourageraient les Tamouls à reconstituer leurs forces militaires. Le requérant affirme que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait détenu arbitrairement et interrogé « sur ce point précis » et que, pendant son interrogatoire, il courrait le risque d’être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a examiné le discours en question et l’allégation du requérant selon laquelle il serait détenu et interrogé arbitrairement. Les données actuelles sur le pays d’origine indiquent que le risque de torture et de mauvais traitements que courent les rapatriés est plus élevé pour ceux qui sont soupçonnés d’avoir commis des infractions graves, comme la traite de personnes ou des crimes de terrorisme. L’État partie ne considère pas que le requérant risquerait d’être soumis à la torture, à une peine ou à un traitement cruel ou inhumain ou à une peine ou un traitement dégradant s’il était renvoyé à Sri Lanka, car rien n’indique que l’intéressé soit soupçonné d’avoir commis une infraction grave.

4.21L’État partie relève enfin que le requérant affirme qu’en tant que demandeur d’asile débouté, il craint d’être torturé et tué en cas de renvoi à Sri Lanka et allègue que des violations des droits de l’homme sont commises dans la région de Batticaloa d’où il est originaire à Sri Lanka. L’État partie reconnaît certes que le paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention dispose que, pour déterminer si le paragraphe 1 du même article doit s’appliquer, il convient de tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, mais il note que l’existence, dans un pays, d’un risque de violence généralisée ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays ; « il doit exister en outre des raisons particulières de penser que l’intéressé serait personnellement en danger ». En particulier, le RRT a rejeté l’allégation du requérant selon laquelle il risquerait de subir un préjudice grave s’il était renvoyé à Sri Lanka en tant que demandeur d’asile débouté. Le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs supplémentaires de penser qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. De plus, les points soulevés par le requérant concernant les violations des droits de l’homme à Sri Lanka et le renvoi de demandeurs d’asile vers ce pays ont été spécifiquement et soigneusement examinés dans le cadre de toutes les procédures internes. La documentation dont étaient saisis les décideurs et qui a été évaluée dans le cadre de la demande du visa de protection présentée par le requérant, ainsi que des recours qu’il a introduits contre des décisions du RRT et du Tribunal de circuit fédéral qui lui étaient défavorables, comprenait des données sur le pays émanant du Ministère des affaires étrangères et du commerce, du Département d’État des États-Unis d’Amérique, du Service de l’immigration danois, de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié, du Service de contrôle des frontières du Royaume‑Uni, de la Commission asiatique des droits de l’homme, du groupe International Crisis, d’Amnesty International, de Human Rights Watch, des organisations Tamils Against Genocide et Freedom from Torture ainsi que du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Tout cela a été examiné par le premier décideur, le RRT et dans le cadre de l’intervention ministérielle. Les données sur le pays n’ont fait apparaître aucune évolution négative depuis que cette décision a été prise. L’État partie fait valoir par conséquent que le requérant n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve indiquant qu’il courrait personnellement un risque de torture ou qu’il serait soumis à un traitement assimilable à la torture au sens de l’article premier de la Convention.

4.22Le 31 mars 2016, l’État partie réitère les arguments qu’il a avancés dans ses observations du 3 septembre 2015 et prie le Comité de lever sa demande de mesures provisoires. Si, après examen, le Comité décidait de ne pas la lever, l’État partie le prierait d’examiner la requête d’urgence, étant donné que l’affaire n’est pas complexe, que la documentation est complète et que tous les recours internes ont été épuisés.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 août 2016, le requérant fait valoir qu’il n’était qu’un tireur de pousse-pousse sri-lankais sans beaucoup d’instruction, qui avait dû s’en remettre aux agents responsables de l’immigration désignés par le Gouvernement dans le cadre du Programme d’assistance aux demandeurs d’asile et de conseils en matière d’immigration pour remplir les formulaires et rédiger les déclarations en anglais par l’intermédiaire des interprètes, détenu qu’il était dans des centres lointains et contraint de donner des instructions par téléphone à son conseil, dont il était séparé par plusieurs fuseaux horaires. Cela avait nui à sa capacité de fournir les informations complètes et détaillées nécessaires car il ne disposait généralement que de délais très courts pour donner ses instructions et qu’il était plus difficile de le faire par téléphone que dans un bureau à la faveur d’une consultation avec son agent. Il affirme qu’il a été interrogé à plusieurs reprises par les autorités chargées de l’immigration et le RRT. Tous les entretiens avaient un caractère « inquisitoire », en ce sens que les responsables lui posaient des questions auxquelles il devait répondre par le truchement d’un interprète. L’agent des services d’immigration était présent lors des entretiens avec les services d’immigration et avec le RRT ; au fil des interrogatoires, le requérant avait pu fournir plus de détails ; l’agent et les représentants officiels avaient demandé davantage d’informations et l’agent chargé de son cas avait rédigé des déclarations écrites plus détaillées. Les différentes étapes de la détermination du statut de réfugié l’avaient conduit à formuler de nouvelles allégations, ce qui expliquait les contradictions dans ses déclarations, notamment parce que les souvenirs s’estompent à cause du passage du temps et des traumatismes subis, par exemple du fait de sa longue détention dans un centre de détention pour migrants. Le représentant du requérant dans le cadre de l’intervention ministérielle, qui était antérieure au dépôt de sa requête devant le Comité, avait posé au requérant des questions plus pointues et demandé des documents pour étayer les nouvelles informations/allégations. Ce n’est pas parce qu’une nouvelle documentation et de nouvelles allégations ont été produites à un stade ultérieur du processus de détermination du statut de réfugié ou au Comité contre la torture, que celles-ci ne sont pas vraies et qu’elles ne méritent pas d’être examinées de manière régulière et approfondie.

5.2Le requérant fait également valoir que l’intervention ministérielle manquait de transparence en ce que le décideur n’avait pas motivé sa décision ni exposé les raisons pour lesquelles la demande du requérant ne satisfaisait pas aux lignes directrices ministérielles et ne lui permettait pas d’obtenir un visa de protection. Le Ministre semble avoir été influencé de manière négative par les conclusions du RRT relatives à la crédibilité. Les allégations relatives au harcèlement qu’a subi l’épouse du requérant, aux actes de torture dont a été victime son père et à l’expulsion à laquelle a été soumise la famille pendant la guerre civile étaient toutes des questions graves, qui exigeaient un examen approfondi et en bonne et due forme. Le requérant fait valoir que le Gouvernement de l’État partie est « compromis par ses transactions commerciales avec le Gouvernement sri-lankais », à qui il fournit argent et équipement, notamment du matériel de surveillance destiné à la police et aux forces de sécurité sri-lankaises, dont la valeur s’élève à des millions de dollars. Le requérant fait valoir que le centre Edmund Rice a documenté les cas de demandeurs d’asile déboutés qui avaient été soumis à la torture à leur retour à Sri Lanka.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2 Le Comité note que, selon l’État partie, la présente requête est manifestement infondée et donc irrecevable en vertu du paragraphe b de l’article 113 du règlement intérieur du Comité. Il considère cependant que la requête a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête suffisamment en détail pour que le Comité puisse prendre une décision.

6.3Le Comité rappelle également que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. En conséquence, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente requête. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

7.2Dans le cas de l’espèce, le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Pour évaluer ce risque, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, dont l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité demeure sérieusement préoccupé par les allégations persistantes et cohérentes qui donnent à entendre que le recours généralisé à la torture et à d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants par des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de personnels militaires ou des services de police, persiste dans de nombreuses parties du pays depuis la fin du conflit en mai 2009 (voir CAT/C/LKA/CO/3-4, par. 6). Il rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé ; il s’ensuit que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas, en soi, une raison suffisante pour déterminer qu’un individu particulier risquerait d’être soumis à des actes de torture s’il était renvoyé dans ledit pays ; des raisons supplémentaires de penser qu’il serait personnellement en danger doivent être présentées.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997), selon laquelle « l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons ». S’il n’est pas nécessaire que le risque soit « hautement probable », il doit néanmoins être personnel et actuel. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Le Comité note que le requérant affirme qu’il ferait face à un risque réel et personnel de torture s’il était renvoyé à Sri Lanka parce que : a) il a quitté Sri Lanka de manière illégale et sera inculpé et placé en détention provisoire pour des infractions afférentes à son départ illégal ; b) il sera soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les autorités sri-lankaises en raison de son origine ethnique, puisque étant tamoul, il sera soupçonné d’être un partisan politique des Tigres de libération de l’Eelam tamoul ; c) son père et sa tante ont été soumis à un traitement cruel en raison de soupçons le concernant ; d) à des dates non précisées en 2007, le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal a menacé de tuer son épouse et ses enfants ; e) les agents du Tamil Makkal Viduthalai Pulikal ont expulsé son épouse de la maison familiale, qu’ils ont ensuite utilisée comme bureau, et ont essayé d’extorquer de l’argent à son épouse ; f) la police locale n’a pas assuré la protection de son épouse, alors même que celle-ci avait déposé plainte. Le requérant craint aussi d’être détenu et torturé en raison de ses liens supposés avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, du fait qu’il a été brièvement détenu par la police, interrogé et accusé d’avoir transporté un membre de ce groupe sur son pousse-pousse. Le requérant a peur de rentrer à Sri Lanka parce qu’en 1987, il a été enlevé par l’Organisation de libération de l’Eelam tamoul, détenu et forcé de travailler comme cuisinier dans un de ses camps, et parce qu’il s’en est échappé.

7.6Le Comité note également les affirmations de l’État partie selon lesquelles, en l’espèce, le requérant n’a apporté aucune preuve digne de foi dans ses déclarations au Comité ; qu’il n’a pas étayé son affirmation selon laquelle il existait un risque prévisible, réel et personnel qu’il soit soumis à la torture par les autorités sri-lankaises s’il était renvoyé dans son pays d’origine ; que ses affirmations ont été examinées de manière approfondie par plusieurs instances internes, dont le RRT, et que cette décision avait fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de la Cour fédérale d’Australie et, enfin, que tous ces organes avaient examiné ses allégations et décidé qu’elles n’étaient pas crédibles. S’agissant de la décision du RRT et de l’évaluation à laquelle il a été procédé dans le cadre de l’intervention interministérielle, l’État partie fait aussi valoir que les demandeurs d’asile déboutés et les Tamouls ne sont pas particulièrement pris pour cible par les autorités sri‑lankaises au point d’entrée dans le pays et que rien n’indique que le requérant a des problèmes qui attireraient sur lui davantage d’attention à son retour ou qu’il serait retenu longtemps lors des contrôles de sécurité à son arrivée à Sri Lanka.

7.7Dans ce contexte, le Comité renvoie à son examen, en 2016, du cinquième rapport périodique de Sri Lanka (voir CAT/C/SR.1472), dans le cadre duquel il a rappelé la vive préoccupation que lui inspiraient les informations qui donnaient à entendre que les forces de sécurité de l’Etat, dont les services de police, avaient continué à pratiquer l’enlèvement, la torture et les mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après que le conflit avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul avait pris fin en mai 2009 (voir CAT/C/LKA/CO/3-4, par. 6). Le Comité s’est également dit préoccupé par les représailles exercées contre les victimes et les témoins d’actes de torture, et par les enlèvements et les actes de torture commis dans des centres de détention non reconnus, et a demandé si ces actes avaient fait l’objet d’une enquête prompte, impartiale et efficace (voir CAT/C/SR.1472, par. 36 et 42).

7.8En l’espèce, le Comité relève toutefois que les informations présentées par le requérant concernant les événements qui l’ont conduit à quitter le pays ont été examinées de manière approfondie par les autorités de l’État partie, lesquelles ont considéré qu’elles étaient insuffisantes pour montrer qu’il avait besoin de protection. Le Comité note également que le requérant n’a pas présenté de preuves fiables à l’appui de ses affirmations selon lesquelles les autorités sri-lankaises l’avaient recherché avant qu’il ne quitte le pays ou après qu’il l’avait quitté. Bien que le requérant conteste l’évaluation de ses dires à laquelle ont procédé les autorités de l’État partie, il n’est pas parvenu à démontrer que la décision de lui refuser un visa de protection était clairement arbitraire ou équivalait à un déni de justice.

7.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité rappelle son observation générale no 1, selon laquelle c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. De l’avis du Comité, en l’espèce, le requérant n’a pas assumé comme il le devait la charge de la preuve.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant à Sri Lanka ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.