Nations Unies

CAT/C/59/D/581/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 janvier 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 dela Convention, concernant la communication no 581/2014 * , **

Présenté par :

S. S. (représenté par un conseil, Rajwinder Bhambi)

Au nom de :

S. S.

État partie :

Canada

Date de la requête :

2 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

30 novembre 2016

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Question(s) de fond :

Torture ; non-refoulement

Question(s )de procédure :

Aucune

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant, S. S., de nationalité indienne, est né en 1964. Sa demande visant à obtenir l’asile au Canada a été rejetée et, au moment où il a présenté sa requête, il était en passe d’être expulsé vers l’Inde. Il soutient que son expulsion constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention contre la torture. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 2 janvier 2014, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que l’affaire serait à l’examen.

1.3Le 5 juin 2014, l’État partie a prié le Comité de retirer sa demande de mesures provisoires de protection. Les 25 août et 12 septembre 2014, le requérant a présenté ses commentaires au sujet de la demande formulée par l’État partie. Ayant examiné les observations des deux parties, le Comité a décidé, le 15 septembre 2014, de retirer sa demande de mesures provisoires de protection.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant affirme que, le 22 juillet 2008, alors qu’il rentrait du Canada, il a été arrêté et interrogé par la police de l’aéroport d’Amritsar (Inde), ainsi que deux autres prédicateurs sikhs. Les policiers l’ont confondu avec un terroriste qui, sur photographie, lui ressemblait. Bien que le requérant ait fermement nié toute participation à des actes de terrorisme, un policier lui a donné des coups de bâton et l’a humilié. Le requérant a ensuite été amené dans une salle où il a été interrogé, fouillé et accusé de travailler pour le compte des terroristes sikhs et de s’être rendu à l’étranger pour rencontrer certains d’entre eux et recueillir des fonds destinés à fomenter des activités terroristes en Inde. Le requérant a nié toutes les accusations. La police a relevé ses empreintes digitales et sa signature, l’a photographié et a informé la police de son district de l’incident. En outre, avant de le libérer, elle lui a confisqué 500 dollars des États-Unis.

2.2Le 1er septembre 2008, alors qu’il rentrait en bus dans son village après s’être rendu dans un temple sikh à Amritsar (Inde), le requérant a été interpellé par la police et amené, ainsi que deux autres jeunes, au poste de police. Les policiers lui ont reproché d’avoir assisté à une réunion de terroristes au temple sikh, d’avoir collaboré avec eux, d’avoir prôné le terrorisme au Penjab et d’avoir caché des armes appartenant à des terroristes dans le temple sikh, contre rémunération. Le requérant a nié toutes les accusations. La police l’a arrêté, puis torturé à plusieurs reprises. Il a été libéré grâce à l’intervention d’une personnalité locale influente, qui a versé un pot-de-vin à la police. Le requérant a reçu l’ordre de se présenter au poste tous les mois. Il a été soigné par un médecin.

2.3Le 10 novembre 2008, la police a perquisitionné le domicile indien du requérant. Celui-ci a été arrêté et conduit au poste, où on lui a demandé d’identifier des militants en état d’arrestation, militants qu’il ne connaissait pas. La police lui a dit que les terroristes avaient déclaré qu’il agissait pour leur compte et cachait des armes dans les temples sikhs. Le requérant a été détenu et torturé pendant cinq jours. Il a de nouveau été mis en liberté grâce au versement d’un pot-de vin par la personne qui l’avait fait libérer auparavant. Ses blessures ont été soignées par un médecin.

2.4Le 4 mai 2009, le requérant a consulté un avocat, qui lui a conseillé d’engager une action contre la police. Suite à une discussion entre membres de la famille, le chef du village a été chargé de saisir le tribunal.

2.5Le 5 mai 2009, après avoir perquisitionné son domicile, la police a arrêté le requérant puis l’a détenu et torturé pendant sept jours. Elle a relevé ses empreintes digitales, l’a photographié et lui a fait apposer sa signature sur une feuille de papier vierge. Le requérant a été libéré suite au versement d’un pot-de-vin par une personnalité influente de la communauté. Il a de nouveau été soigné par un médecin. Il présentait des brûlures sur différentes parties du corps, des blessures aux aisselles et un poignet et une main cassés ; en outre, ses deux majeurs avaient été partiellement amputés. Le requérant porte encore des cicatrices, notamment des marques de points de suture et des traces de brûlures. Il a été hospitalisé par deux fois à Amritsar, où il a été mis sous perfusion, recousu et pansé avec des pansements antiseptiques à pression négative et s’est vu administrer des antibiotiques et des anti‑inflammatoires.

2.6Le 2 juin 2009, le requérant a fui au Canada avec deux de ses connaissances. Le 7 octobre 2009, il a déposé à Montréal une demande du statut de réfugié, qui a été rejetée le 21 mai 2013. Le 3 juin 2013, il a demandé l’autorisation de saisir la Cour fédérale du Canada d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Le 15 décembre 2013, la Cour fédérale a rejeté sa demande.

2.7Le requérant n’a pas pu présenter une demande d’examen des risques avant renvoi car il ne s’était pas écoulé une année depuis le rejet de sa demande d’obtention du statut de réfugié. Au moment où la communication a été soumise, il faisait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire. Le 19 décembre 2013, le requérant s’est rendu au bureau de Montréal de l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agent qu’il a rencontré l’a informé que sa requête visant à être autorisé à saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire avait été rejetée et qu’il serait donc renvoyé en Inde. Le requérant soutient qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son expulsion vers l’Inde constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention contre la torture car il y courrait personnellement le risque d’être persécuté, torturé et soumis à des mauvais traitements.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 2 juillet 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. L’État partie indique que la demande du requérant a été étudiée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada les 19 avril et 1er mai 2013. La Section est un tribunal indépendant spécialisé et quasi judiciaire chargé d’examiner les demandes présentées par les ressortissants étrangers souhaitant obtenir la protection de l’État partie parce qu’ils craignent d’être victimes de persécution, de tortures ou d’autres violations graves de leurs droits de l’homme s’ils sont renvoyés dans leur pays d’origine.

4.2La Section de la protection des réfugiés détermine non seulement si une personne a qualité de réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, mais aussi si elle doit être considérée comme « personne à protéger » au sens de l’article 97 de la loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cet article prévoit la protection des personnes qui courent un risque réel d’être torturées au sens de l’article premier de la Convention contre la torture si elles sont expulsées de l’État partie. En général, en application de l’article 115 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la personne qui s’est vu reconnaître la qualité de « personne à protéger » ne peut pas être renvoyée. Ce principe de non-refoulement vient s’ajouter aux droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés.

4.3La Section de la protection des réfugiés tient, généralement à huis clos, des audiences qui se déroulent de manière informelle sur le modèle inquisitoire. Desreprésentants du Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés peuvent yassister. La personne demandant le statut de réfugié ou de personne protégée est généralement assistée d’un avocat et d’un interprète et se voit donner l’occasion d’établir, au moyen tant de témoignages que d’éléments de preuve documentaires, qu’elle a qualité de réfugié ou de personne à protéger.

4.4L’État partie ajoute que les agents de la Section de la protection des réfugiés reçoivent une formation complète et continue sur les dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés et les obligations imposées à l’État partie par d’autres instruments de droit international, dont celle de protéger les personnes qui risqueraient d’être exposées à la torture ou à d’autres violations graves des droits de l’homme si elles étaient refoulées. Ils connaissent bien la situation et savent ce qui se passe dans les pays qui font l’objet d’allégations de persécutions ou d’autres violations des droits de l’homme. La Section parvient à ses conclusions en s’appuyant sur les éléments présentés à l’audience et sur toute la documentation pertinente qui lui est fournie. Elle communique toutes ses décisions par écrit. Elle expose, par écrit également, les motifs de toutes ses décisions négatives, ainsi que les motifs des décisions positives rendues de vive voix à une audience tenue en l’absence du ministre, et explique également pourquoi elle a accepté telle ou telle demande d’obtention du statut de réfugié.

4.5Aux audiences des 19 avril et 1er mai 2013, le requérant était dûment représenté par un conseil, a bénéficié de l’assistance d’un interprète et a pu exercer son droit de présenter des éléments de preuve et d’exposer ses arguments. Il a témoigné et a eu l’occasion de répondre aux questions posées par la Section de la protection des réfugiés afin d’expliquer toutes incohérences ou ambiguïtés. Dans sa décision du 21 mai 2013, la Section a conclu que le requérant n’était pas un réfugié à protéger et qu’il n’existait pas de motifs sérieux de croire que son expulsion l’exposerait personnellement au risque d’être soumis à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture.

4.6La décision de la Section se fonde sur deux motifs, à savoir que les allégations du requérant ne sont pas crédibles et que l’intéressé a la possibilité de trouver refuge dans d’autres parties du territoire indien. Le requérant n’a cessé de modifier son témoignage et s’est parfois même contredit en décrivant les traitements que la police lui avait fait subir dans son pays. Il a affirmé que sa main avait été cassée sous la torture, mais le certificat médical qu’il a lui‑même produit ne confirme pas cette allégation. Selon le certificat établi par un médecin canadien, le requérant présente une ancienne fracture de la main.

4.7L’État partie soutient que le requérant s’est également contredit au sujet de déclarations établies par un médecin, un avocat et un chef de village (sarpanch) qu’il a produites comme éléments de preuve. Il a d’abord affirmé avoir pris contact avec ces personnes le 19 avril 2013, puis a ensuite dit que c’était le 9 avril. Ajoutée aux autres, cette contradiction amène l’État partie à conclure que le requérant n’a pas présenté d’éléments de preuve crédibles et fiables à l’appui de sa demande.

4.8L’État partie ajoute qu’en plus d’avoir jugé que le requérant manquait de crédibilité, la Section de la protection des réfugiés a estimé que rien n’empêchait celui-ci de résider en sécurité ailleurs en Inde, par exemple à Bangalore. La Section a tenu compte du fait que le requérant avait déclaré n’avoir été accusé d’aucune infraction au regard du droit indien. En outre, selon certains éléments de preuve, la police axerait ses poursuites sur un tout petit nombre de Sikhs considérés comme des militants purs et durs. La Section a relevé qu’il n’existait pas de base de données centralisée de la police et que les registres étaient tenus localement. En conséquence, il est très difficile pour les forces de police d’effectuer des contrôles de sécurité en dehors de leur région de compétence et elles le font rarement.

4.9L’État partie signale que le requérant pouvait présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés auprès de la Cour fédérale. Le requérant a saisi la Cour fédérale, mais celle-ci a rejeté sa demande le 28 octobre 2012, sans préciser les motifs du rejet. À partir du 21 mai 2014, le requérant a pu demander un examen des risques avant renvoi, ce qu’il a fait le 30 mai 2014. Son renvoi a été suspendu en attendant l’issue de l’examen. Au moment de la communication, le requérant ne remplissait pas les conditions pour présenter une demande d’examen des risques avant renvoi ou une demande d’obtention du statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire.

4.10L’État partie impose un délai de douze mois à compter de la décision de la Section de la protection des réfugiés pour la présentation d’une demande d’examen des risques avant renvoi ou d’une demande d’obtention du statut de résident permanent pour des considérations d’ordre humanitaire, l’objectif étant de rendre le système plus efficace en empêchant les demandes d’examen prématurées. L’État partie estime qu’en général, l’examen des risques n’est pas nécessaire avant douze mois. Il fait valoir que c’est uniquement grâce à sa coopération de bonne foi avec le Comité, qui lui a demandé de prendre des mesures provisoires, que le requérant a pu rester au Canada et demander un examen des risques avant renvoi. L’État partie soutient que les mesures provisoires s’imposent uniquement lorsqu’il existe des preuves manifestes que l’intéressé risquerait de subir un préjudice irréparable en cas de renvoi dans son pays d’origine.

4.11Dans la requête qu’il a adressée au Comité, le requérant soutient que depuis qu’il a quitté l’Inde, les membres de sa famille ont été harcelés par la police et les services de sécurité. Or, il n’a pas fait valoir cet argument auprès des autorités nationales. Il n’a pas non plus fait mention d’un quelconque risque posé par les services de sécurité, ni présenté d’éléments de preuve à ce sujet au Comité. L’État partie fait valoir que le fait que le requérant ait eu la possibilité de présenter ses nouvelles allégations de risques en cas de renvoi dans le cadre d’un recours interne rend la requête irrecevable en application de l’article 22 de la Convention.

4.12L’État partie soutient que le requérant n’a pas démontré que des éléments convaincants permettaient de penser qu’il courrait personnellement un risque de torture réel en cas de renvoi en Inde. L’intéressé n’a pas non plus étayé les allégations de torture. Ainsi, son épouse a déclaré par écrit qu’il avait été arrêté et torturé par la police, mais n’a fourni aucun détail ni information complémentaire à ce sujet. Elle ne dit pas avoir été personnellement témoin des mauvais traitements allégués.

4.13Le requérant fournit une déclaration d’un docteur M. S., qui ne contient que des renseignements généraux sur son état de santé et a été établie quatre ans après les mauvais traitements allégués, ainsi qu’une lettre dans laquelle un avocat, R. S., déclare que l’intéressé lui a demandé des conseils juridiques et qu’il lui a recommandé de déposer plainte auprès de la police pour torture et mauvais traitements. L’État partie estime que cette lettre n’a aucune valeur probante. L’avocat ne dit pas avoir été témoin des tortures alléguées ni détenir des renseignements détaillés à ce sujet.

4.14Ainsi qu’il a déjà été mentionné, le requérant n’a pas démontré qu’il risquerait à l’avenir être victime de torture. Quand bien même il aurait établi qu’il a été victime de tortures, le requérant devrait démontrer qu’il risquerait d’être de nouveau torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Le requérant a quitté l’Inde en 2009 ; son épouse, ses enfants et ses frères et sœurs y vivent toujours. Il n’a pas déclaré être un militant sikh très en vue. Il n’a pas non plus présenté d’élément de preuve permettant objectivement de penser qu’aujourd’hui, la police ou d’autres autorités indiennes le poursuivraient s’il retournait dans son pays. Les griefs soulevés par le requérant ne se fondent que sur des allégations que les autorités canadiennes ont jugées dénuées de fondement.

4.15L’État partie fait aussi valoir que le requérant a la possibilité de résider dans une autre partie de l’Inde. L’Inde est une république laïque qui respecte la liberté religieuse. Les Sikhs peuvent pratiquer leur religion sans restriction dans tous les États du pays. Les rapports sur le pays montrent clairement que seuls les militants sikhs très en vue courent encore le risque d’être arrêtés ou poursuivis en dehors du Penjab. Même si un rapport indique que les Sikhs qui épousent ou prônent certaines opinions politiques s’exposent au harcèlement, à l’arrestation et la détention arbitraires et à la torture, ce risque concerne presque toujours le Penjab. Il ressort en outre des rapports sur le pays qu’en général, la police ne s’intéresse pas à des personnes ou des groupes particuliers et que ce sont plutôt les pots-de-vin qui motivent ses actions. Les Sikhs renvoyés en Inde ne risquent généralement pas d’être soumis à des mauvais traitements, même s’ils se déclarent en faveur de la création de l’État indépendant du Khalistan.

4.16L’État partie indique qu’après avoir soigneusement examiné les griefs exprimés par le requérant et la situation en Inde telle qu’elle ressort de rapports objectifs, la Section de la protection des réfugiés a estimé que le requérant ne serait pas exposé à un risque de torture s’il était renvoyé en Inde et qu’il aurait de surcroît la possibilité de vivre à Bangalore, par exemple. Rien dans la requête ne permet de conclure différemment. De ce fait et pour toutes les raisons qui précèdent, l’État partie soutient que la présente requête devrait être déclarée irrecevable.

Renseignements complémentaires fournis par le requérant

5.1Dans les commentaires qu’il a présentés les 31 août 2015 et 25 février 2016 en réponse aux observations de l’État partie, le requérant soutient que les procédures internes de l’État partie n’offrent pas de véritable garantie contre une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention. Le requérant a produit des déclarations de témoins et des certificats médicaux, ainsi que des photographies, pour démontrer qu’il a été victime d’actes de torture. Bien que leur situation dans le pays n’ait pas véritablement changé, l’État partie renvoie les Sikhs en Inde, où ils sont exposés au risque de torture.

5.2Le requérant fait valoir qu’il a présenté aux autorités de l’État partie et au Comité des éléments convaincants à l’appui de sa thèse. Selon lui, il est établi que sa famille et lui‑même ont été victimes de torture et de mauvais traitements. Il n’y a pas lieu de douter de la fiabilité des documents produits. L’État partie se trompe lorsqu’il soutient que seuls les militants sikhs très en vue sont susceptibles d’être persécutés. Le requérant cite le rapport établi par le Département d’État des États-Unis en 2013, dans lequel il est dit que le Gouvernement indien et ses agents se sont rendus coupables d’exécutions arbitraires ou illégales, y compris des exécutions extrajudiciaires d’insurgés ou de criminels présumés.

5.3Le requérant rappelle la situation générale en matière de droits de l’homme en Inde. Des violations massives de ces droits sont signalées, notamment des détentions et des actes de torture visant des militants politiques, non seulement au Penjab, mais aussi dans d’autres parties du pays. Le requérant renvoie en outre à certains éléments de preuve établissant l’existence de charniers et de cas de détention arbitraire de Sikhs. Les autorités de l’État partie, notamment la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada et la Cour fédérale, ont incorrectement appliqué la loi et se sont appuyées sur des constatations factuelles erronées.

5.4Pour ce qui est de la possibilité de vivre dans une autre partie de l’Inde, le requérant soutient que cette solution n’a pas de sens. L’État partie doit respecter ses obligations en matière de droits de l’homme et ne devrait pas encourager l’impunité de ceux qui ont soumis le requérant à des mauvais traitements.

5.5Le requérant soutient que depuis que sa demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée, il n’y a plus de recours interne à sa disposition.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication avant de s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie argue en l’espèce que le requérant n’a pas eu recours à l’examen des risques avant renvoi. Or, au moment de l’examen de la communication, la demande d’examen des risques avant renvoi formée par le requérant avait été examinée et rejetée. En ce qui concerne l’argument selon lequel le requérant a soulevé dans la communication qu’il lui a adressée des griefs qu’il n’avait pas portés devant les autorités nationales, le Comité estime que la thèse principale du requérant est restée fondamentalement la même tout au long de la procédure. Par conséquent, le Comité estime que rien ne s’oppose à la recevabilité, déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers l’Inde, l’État partie violerait l’obligation qui lui est faite au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle que l’existence dans un pays d’un ensemble de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu risque d’être soumis à la torture. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture.

7.3Rappelant son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, le Comité réaffirme que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, le risque ne doit pas nécessairement être hautement probable, mais il doit être personnel, actuel, prévisible et réel.

7.4Le Comité relève que le requérant soutient qu’il a été arrêté et torturé par la police au Penjab. Il note que, selon le requérant, les autorités nationales de l’État partie n’ont pas pris cet élément d’information en considération.

7.5Le Comité fait observer que, même s’il devait ajouter foi à l’argument selon lequel le requérant a par le passé été soumis à la torture et à des mauvais traitements, la question qui se pose est celle de savoir si, à l’heure actuelle, l’intéressé risquerait d’être torturé en Inde s’il y était renvoyé de force. Le Comité constate que, si le requérant a formulé un certain nombre d’allégations, il n’a pas néanmoins clairement établi l’existence d’un risque de torture s’il était renvoyé en Inde.

7.6Le Comité relève que l’État partie a attiré l’attention sur l’existence, dans les propos et les communications du requérant, d’incohérences et de contradictions qui jettent le doute sur la crédibilité générale de l’intéressé, ainsi que sur la fiabilité de ses allégations. En particulier, le requérant n’a pas pu indiquer avec précision quand et où s’étaient produits les événements sur lesquels reposent sa demande de protection, ni nommer les personnes y ayant participé, et n’a notamment pas fourni d’informations suffisamment détaillées au sujet des arrestations et des actes de torture que la police du Penjab lui aurait fait subir.

7.7Le Comité relève également que le requérant s’est contenté de déclarer à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qu’il craignait d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Inde, arguant de ce qu’il aurait déjà été torturé par le passé. Le Comité note toutefois que le requérant n’a présenté aucun élément de nature à démontrer que les autorités indiennes auraient des raisons de s’en prendre à lui en cas de renvoi dans son pays.

7.8Le Comité rappelle que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou théories, et que c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. De ce point de vue, outre le manque d’informations concernant les actes de torture dont le requérant aurait été victime, le Comité relève les incohérences décrites par l’État partie. Compte tenu de ce qui précède et de toutes les informations soumises par le requérant et par l’État partie, notamment celles concernant la situation générale des droits de l’homme en Inde, le Comité estime que le requérant n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour permettre au Comité de conclure que son renvoi forcé dans son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut en conséquence que le renvoi du requérant en Inde ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.