Nations Unies

CAT/C/59/D/686/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traite ments cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 janvier 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 686/2015 * , **

Communication présentée par :

X. (non représenté par un conseil)

Au nom de :

X.

État partie :

Suisse

Date de la requête :

2 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

5 décembre 2016

Objet :

Torture en détention ; non-refoulement

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; obligation de l’État partie de procéder à une enquête impartiale ; protection contre toute intimidation pour avoir dénoncé des actes de torture ; autres actes interdits commis par des agents publics ; droit à réparation

Article(s) de la Convention :

1, 6, 9, 11 et 16

1.1Le requérant est X., de nationalité turque, qui s’est vu accorder le statut de réfugié par la Suisse en 2002. Il est actuellement détenu à la suite d’une condamnation pénale prononcée le 23 février 2010. Il affirme que la Suisse a violé les droits qu’il tient des articles 1 à 9, 11 à 14 et 16 de la Convention. Le requérant n’est pas représenté par un conseil. L’État partie a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 22 décembre 1986.

1.2Le 17 juin 2015, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires de protection a enregistré la requête, a accordé des mesures provisoires au requérant et a prié l’État partie de ne pas expulser celui-ci vers la Turquie tant que sa requête serait à l’examen devant le Comité.

1.3Le 10 mars 2016, à la demande de l’État partie, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial sur les nouvelles communications et les mesures provisoires de protection, a décidé d’examiner la recevabilité de la requête séparément du fond.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant allègue qu’il a été expulsé de l’Université d’Inonu (Turquie), puis détenu à plusieurs reprises en raison de ses activités politiques. Le 13 octobre 2000, il a été arrêté par l’unité antiterroriste de la police de Gebze et transféré au Département de la lutte contre le terrorisme de Kocaeli, où on l’a torturé pendant trois jours. En application d’une ordonnance judiciaire, il a été mis à l’isolement dans la prison spéciale de Gebze, où il est resté quarante jours, période pendant laquelle il a été torturé. Il affirme avoir été libéré après intervention de sa famille auprès des autorités judiciaires. Il s’est ensuite enfui en Suisse. En janvier 2001, il a demandé l’asile, qui lui a été accordé en 2002.

2.2Le requérant a été arrêté le 24 juin 2009, accusé de viol sur mineur. Il soutient qu’avant son arrestation, il avait été interrogé par la police suisse et les services secrets à de nombreuses reprises en raison de ses liens avec l’attentat de novembre 2003 à Istanbul. Il aurait été arrêté plusieurs fois au milieu de la nuit pour être interrogé.

2.3Le requérant affirme qu’à la suite de son arrestation et avant d’être mis en détention provisoire, il a été torturé par la police suisse dans un lieu secret. Il indique qu’il a reçu des décharges électriques sur le pénis et les mamelons, ainsi que des jets d’eau froide à haute pression, et qu’il a été pendu et battu à plusieurs reprises. Il affirme également avoir été forcé à écouter de la musique satanique, à regarder des films pornographiques et à se masturber alors qu’il était filmé par une caméra vidéo ; on l’aurait aussi privé de nourriture et d’eau et on lui aurait administré des substances qui ont provoqué des hallucinations.

2.4Le requérant affirme en outre qu’après avoir été torturé pendant plusieurs jours, il a été déféré devant une juge d’instruction, au Bureau du Procureur général, situé dans le palais de justice de Lugano. Il affirme également que la juge a falsifié le lieu et la date de l’interrogatoire mentionné dans le rapport de détention afin de dissimuler des informations sur les journées pendant lesquelles il a été soumis à la torture. Le requérant soutient qu’il y a une contradiction dans les dates, puisque le rapport de la juge d’instruction est daté du 25 juin 2009, tandis que le rapport de police porte la date du 26 juin 2009. Selon lui, cela signifie soit que la juge d’instruction a fait son rapport le 25 juin 2009, alors qu’elle n’était pas en possession du rapport de police, soit que la comparution a eu lieu le 26 juin 2009. Le Procureur général attribue cette discordance à une erreur dans le cachet apposé sur le rapport, les autres pages du rapport étant datées du 25 juin 2009. Dans une lettre en date du 30 juin 2010, la juge d’instruction a confirmé que l’entretien d’instruction avait eu lieu au Bureau du Procureur général, à Lugano, et a qualifié la discordance entre les dates d’erreur. Dans une lettre en date du 3 novembre 2011, le Procureur général du canton du Tessin a adressé une lettre au requérant dans laquelle il était indiqué que le rapport d’arrestation avait été rédigé le 26 juin 2009 et qu’il avait été reçu le jour même.

2.5Le requérant indique que le 26 juin 2009, il a été placé en détention provisoire dans la prison « La Farera » (canton du Tessin). Il soutient que pendant sa détention le personnel pénitentiaire a caché les blessures causées par la police suisse. Il souligne qu’il n’a pas été examiné par un médecin ni été emmené à l’hôpital pendant son séjour à La Farera, alors même que la juge d’instruction avait indiqué dans son rapport que le requérant devrait être emmené à l’hôpital après avoir été interrogé.

2.6Le 20 août 2009, le requérant aurait été forcé à signer une déclaration dans laquelle il se reconnaissait coupable de toutes les accusations portées contre lui. Le 21 août 2009, le procureur a accepté qu’il soit examiné par un psychiatre. Le requérant a dit à la psychiatre qu’il s’était déclaré coupable par crainte d’être à nouveau torturé et placé en isolement cellulaire. Le requérant affirme que la psychiatre a indiqué dans son rapport qu’il souffrait de problèmes psychologiques graves, dont des hallucinations causées par le régime d’isolement auquel il avait été soumis, et qu’elle lui avait prescrit un antipsychotique (Zyprexa). Le requérant affirme que ce rapport a été modifié pour y indiquer que c’était le chef du service psychiatrique de la prison qui avait prescrit ces médicaments. Le requérant affirme en outre que le 25 août 2009, le procureur l’a autorisé à appeler son avocat et à en recevoir des visites. Cependant, son avocat ne lui a rendu visite que pendant qu’il était détenu à La Farera et n’a rien fait au sujet des actes de torture dont il avait été victime, même lorsque la police l’a menacé en sa présence.

2.7Le requérant affirme que, le 10 juillet 2010, il s’est plaint de ses conditions de détention et du fait qu’il n’avait pas été vu par un médecin. Le 11 juillet 2010, il a été vu par un spécialiste. Le requérant affirme que le médecin a omis de communiquer des informations importantes sur les tortures qu’il avait subies et que le Bureau du Procureur général n’a jamais donné suite à sa demande d’être examiné par un autre médecin.

2.8Le requérant indique que le 23 février 2010, la Cour d’assises cantonale de Lugano l’a condamné à six ans de réclusion pour des crimes qu’il n’a pas commis. Il estime que diverses irrégularités ont entaché la procédure. Le Bureau du Procureur général a demandé un rapport à un expert psychiatre ; ce rapport contredit celui qui avait été établi le 21 août 2009. Ces deux rapports ont été examinés par un autre expert, qui a estimé qu’une nouvelle expertise psychiatrique était nécessaire. Cependant, l’avocat du requérant a refusé de laisser cet expert prendre part à la procédure.

2.9Le requérant a déposé une plainte auprès de l’ex-Procureur général du canton du Tessin, dans laquelle il alléguait que des violations de plusieurs de ses droits avaient été commises. Après quoi, selon ses allégations, on l’a emmené dans un lieu secret, où on l’a torturé et forcé à rédiger un recours dans lequel il se déclarait coupable et demandait une réduction de sa peine d’emprisonnement. Le 10 avril 2010, il a adressé une requête à la Cour de cassation et de révision pénale, dans laquelle il expliquait que le recours qu’il avait formé l’avait été sous la torture. Il demandait aussi qu’un avocat lui soit commis d’office et a adressé une autre plainte pour torture au Procureur général du canton du Tessin. Il a alors eu une conversation téléphonique avec le Président de la Cour de cassation et de révision pénale, qui lui a commis un avocat d’office.

2.10Le 30 juin 2010, l’avocat du requérant a déposé un recours auprès de la Cour de cassation et de révision pénale. L’avocat a fait un plaidoyer de culpabilité en son nom et demandé une réduction de peine, sans son consentement. Le même jour, l’avocat a décidé de ne plus représenter son client et l’a informé de sa décision le 6 juillet 2010. Le requérant a donc saisi le ministère public du Tessin d’une plainte visant l’avocat et, le 7 juillet 2010, a adressé à la « juridiction supérieure » une lettre recommandée dans laquelle il disait rejeter le recours présenté par ce dernier et faisait à nouveau état des actes de torture qui lui avaient été infligés par des agents de l’État suisse. Le requérant a reçu une lettre de la « juridiction supérieure » lui transmettant les observations du procureur sur le recours introduit par l’avocat et l’invitant à faire part de ses observations sur la question. Plutôt que de répondre à la demande, le requérant a envoyé, le 29 juillet 2010, une lettre recommandée au président de la « juridiction supérieure » pour dénoncer la situation et lui demander son acquittement. Cependant, le 30 septembre 2010, la « juridiction supérieure » a statué sur la base du recours introduit par l’avocat. En novembre 2010, le requérant a soumis une autre plainte au Procureur général du canton du Tessin et au Conseil de la magistrature du Tessin, mais n’a reçu aucune réponse.

2.11Le 16 janvier 2011, le requérant a demandé au directeur de la prison La Farera des informations sur le régime de détention auquel il était soumis. Le 19 janvier 2011, il a été informé de ce qu’il était soumis à un régime spécial, conformément à l’article 27 du règlement pénitentiaire. Selon cet article, les prisonniers ont droit à une heure de promenade par jour à titre d’exercice. Le requérant affirme que, contrairement à ce que le directeur adjoint de La Farera a déclaré le 28 février 2011, il était enfermé dans sa cellule vingt-quatre heures par jour. Il a fait savoir au Gouvernement du Tessin qu’il était à l’isolement vingt-quatre heures par jour. Le 6 juillet 2012, la Division de la justice du Département des institutions du Tessin lui a répondu par lettre qu’il était trop tard pour ouvrir une enquête sur ses conditions de détention et que la date à laquelle il était censé commencer à avoir une heure de promenade par jour avec d’autres prisonniers à titre d’exercice ne serait pas modifiée. Le requérant indique qu’il a adressé des lettres aux autorités suisses pour dénoncer les conditions de l’isolement cellulaire à La Farera, mais qu’il n’a pas été donné suite à ses plaintes.

2.12En avril 2011, le requérant a entamé une grève de la faim pour protester contre le fait que ses plaintes restaient sans réponse et contre les conditions de détention auxquelles il était soumis. Le Procureur général du canton du Tessin a alors téléphoné au requérant pour lui faire savoir que le ministère public examinerait sa plainte. Ce même jour, le procureur lui a adressé par lettre une confirmation de ce qui précède. Or le requérant affirme n’avoir jamais été notifié de quelque décision que ce soit au sujet de sa plainte. Il affirme en outre qu’en mai 2011, après plusieurs protestations de sa part, le Procureur général du canton du Tessin s’est rendu à la prison La Stampa pour s’entretenir avec lui. Le requérant affirme qu’il a été soumis à un interrogatoire, lequel était entaché d’irrégularités : il n’était pas représenté par un conseil, il a reçu des menaces et le Procureur général n’a pas établi de procès-verbal de l’interrogatoire. Le requérant a déposé une plainte à ce sujet. Le 10 mai 2011, le Procureur général du canton du Tessin lui a adressé une lettre indiquant que le ministère public n’était pas compétant pour traiter ses griefs de torture car ceux-ci constitueraient une « demande en révision ».

2.13Le 4 avril 2013, le requérant a été transféré de la prison La Stampa à la prison de haute sécurité de Bochuz, dans le canton de Vaud. Au cours de sa détention à La Stampa, il a confié à des agents suisses des informations stockées sur support électronique et a dressé la liste de tous les documents qui se trouvaient dans sa cellule avant son transfert. Le requérant affirme que ces documents renfermaient des éléments qui prouvaient son innocence et établissaient qu’il avait été victime de violations graves des droits de l’homme de la part d’agents de la Suisse. Avant de quitter La Stampa, le requérant a donné copie de la liste aux autorités de la prison et a demandé qu’on lui fasse suivre tous ses documents. Or il ne les a jamais reçus. Les autorités du pénitencier de Bochuz ont indiqué ne pas les avoir reçus et ont écrit aux autorités tessinoises à ce sujet. Le 2 août 2013, le directeur adjoint de La Stampa a adressé une lettre au directeur adjoint du pénitencier de Bochuz, dans laquelle il indiquait que les documents étaient stockés sur un disque dur qui était placé sous la garde du Bureau du Procureur général à Lugano, dans le cadre d’une enquête pénale engagée le 20 avril 2013 contre le requérant par les autorités de La Stampa. Après avoir reçu cette lettre, le requérant a demandé aux directeurs adjoints des deux prisons de retrouver les originaux des documents, mais ne les a jamais reçus.

2.14Le 26 juin 2014, le requérant a été renvoyé à la prison La Stampa. Avant le transfert, il a établi une liste des documents comportant des informations relatives aux interrogatoires illégaux et aux actes de torture qu’il avait subis. L’agent pénitentiaire chargé de son transfert lui a dit que ces documents lui seraient envoyés immédiatement. Cependant, le requérant ne les a jamais reçus. Il a déposé une plainte pour la rétention des documents, mais n’a pas reçu de réponse. Il affirme qu’au cours de son transfert, on l’a conduit en camionnette à un poste de police à Lausanne où on l’a battu pour le forcer à revenir par écrit sur les déclarations qu’il avait faites aux autorités suisses. Il affirme en outre qu’« un groupe de personnes » l’a emmené dans un lieu où on lui a injecté une substance pour l’affaiblir. Ses mains auraient été liées et on l’aurait brûlé sous un mamelon. Il affirme également que les personnes qui l’ont emmené ont menacé de tuer des membres de sa famille.

2.15Le requérant affirme qu’à son arrivée à La Stampa, il a déclaré avoir été torturé pendant son transfert et a montré ses blessures aux autorités pénitentiaires, qui n’ont rien fait. Le gardien a indiqué dans le rapport d’entrée que le requérant s’était dit en bonne santé. Le requérant soutient que les autorités pénitentiaires ont essayé de le forcer à signer le rapport, mais qu’il a refusé et a écrit dessus : « J’ai été torturé. Je ne suis pas en bonne santé ».

2.16Le 27 juin 2014, le requérant a eu un entretien avec un membre de la direction de la prison, auquel il a montré ses blessures. Cependant, aucune mesure n’a été prise pour enquêter sur les actes de torture allégués. Le 30 juin 2014, il s’est rendu au service médical de la prison, où il a de nouveau montré ses blessures, mais le médecin de service n’a rien fait. Le requérant a demandé son dossier médical, mais le personnel du service médical a refusé de le lui donner. Il a alors soumis une autre demande d’examen médical au Bureau du procureur général et à la direction de la prison. Les 1er et 4 juillet 2014, le requérant s’est entretenu avec des membres de la direction de la prison et a demandé à voir un médecin. Le 8 juillet 2014, le frère du requérant s’est rendu au Bureau du Procureur général pour demander l’intervention d’un médecin pour traiter les blessures du requérant. Le 8 juillet 2014, le médecin du service médical de la prison s’est occupé du requérant, mais a indiqué que celui-ci ne l’avait pas informé des allégations de torture lors de sa visite précédente, qui avait eu lieu le 30 juin 2014.

2.17Le requérant affirme que pendant son séjour à La Stampa, on l’a enfermé plusieurs fois dans une « cellule bleue », sans vêtements, à titre de mesure disciplinaire. Il indique qu’il y avait dans la cellule une machine qui devait fonctionner comme un système de climatisation. Il affirme que cette machine faisait un bruit insupportable qui perturbait le sommeil des prisonniers, et que quand on l’éteignait, il devenait impossible de respirer. Le requérant affirme en outre que pendant son séjour dans la « cellule bleue », il a été interrogé à plusieurs reprises par la police suisse, a été forcé à écouter de la musique satanique et n’avait pas le droit de dormir. Il indique également que, le 22 décembre 2014, la direction de La Stampa a écrit une lettre au juge E. M., dans laquelle elle évoquait la déclaration faite par le requérant au sujet de « 750 kg de C-4 » lors de l’interrogatoire auquel a procédé un policier et pendant lequel il n’était pas représenté par un avocat.

2.18Le requérant maintient que, le 29 décembre 2014, il a reçu une note du directeur de La Stampa concernant la soumission d’une demande tendant à son transfert à une prison de haute sécurité de Thorberg, dans le Canton de Berne, à laquelle le juge avait préalablement consenti. Il affirme que la décision de le transférer a été prise le 30 décembre 2014, au mépris de son droit à la défense.

2.19Le 5 janvier 2015, le requérant a été transféré au pénitencier de Thorberg. Pendant le transfert, il a été emmené au commissariat central de Berne, où on lui a de nouveau infligé des brûlures sous les mamelons. Il affirme également qu’on lui a recouvert la bouche et le nez d’un tissu imprégné d’un produit, qu’on lui a injecté une substance qui l’a rendu faible et qu’on l’a obligé à s’allonger ou à s’asseoir sur le sol. Sa tête était couverte, ses mains et ses pieds étaient liés et on l’a emmené dans un lieu où on l’a laissé attaché à une chaise. Le requérant affirme également que les autorités pénitentiaires ont tenté de le forcer, par la menace, à signer une déclaration selon laquelle ce qu’il avait déclaré aux autorités était faux et qu’après avoir accompli sa peine, il souhaiterait retourner en Turquie. Le requérant indique qu’à son arrivée à la prison, il a demandé au directeur de l’établissement d’enquêter sur ses allégations de torture. Le 6 janvier 2015, il a reçu la visite d’un médecin, lequel s’est borné à prendre des photos de ses blessures. Ce même jour, le requérant a parlé au psychiatre de la prison des actes de torture qu’il avait subis.

2.20Le requérant fait par ailleurs observer que, le 14 janvier 2015, il a adressé une lettre à la Présidente de la Suisse, Simonetta Sommaruga. Dans sa lettre, à laquelle aucune réponse n’a été donnée, il évoquait les infractions que des agents de l’État suisse auraient commises à son encontre. Le 16 février 2015, il a reçu la visite du procureur Thomas Perler.

2.21Le requérant affirme avoir été emmené à l’ambassade de Turquie le 17 février 2015, où on l’aurait menacé de le faire mordre par des chiens. Il affirme également qu’à l’ambassade, il a été interrogé sur sa participation à des attentats terroristes, en particulier l’attentat de novembre 2003 à Istanbul.

2.22Le requérant indique que, le 7 avril 2015, le procureur lui a envoyé un document rédigé en allemand et en français, langues qu’il dit ne pas comprendre. Après en avoir reçu la traduction, cependant, il en a conclu qu’il s’agissait d’une décision judiciaire, contre laquelle il pouvait recourir dans un délai de dix jours.

2.23Le 28 mai 2015, le requérant a adressé un complément d’information au Comité, indiquant avoir reçu du juge une lettre datée du 27 mai 2015, l’informant qu’il serait expulsé vers la Turquie le 18 juin 2015. Le requérant fait valoir qu’il ne devrait pas être procédé à son expulsion car le recours qu’il a intenté devant le Tribunal pénal fédéral contre la décision du Tribunal pénal cantonal de Lugano en date du 23 février 2010, qui doit être examiné le 28 juin 2015, est toujours en instance.

2.24Le requérant indique que l’asile politique dont il bénéficiait a été annulé par le Tribunal administratif fédéral, mais souligne qu’il a toujours le statut de réfugié en Suisse.

2.25Le requérant affirme qu’il n’a pas épuisé les recours internes disponibles, mais qu’il ne peut pas le faire parce qu’en cinq ans, les autorités suisses n’ont répondu à aucune de ses plaintes. Il indique en outre que ses griefs ne sont pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que les droits garantis par les articles 1er à 9, 11 à 14 et 16 de la Convention ont été violés, sans préciser en quoi il a été porté atteinte aux droits protégés par ces articles.

3.2Le requérant affirme, en termes généraux, avoir été soumis à des tortures psychologiques et physiques par les autorités suisses, dont le but était d’obtenir des informations et des aveux au sujet d’actes terroristes dont il était soupçonné. Il affirme également que ces actes de torture lui ont été infligés par des agents suisses depuis qu’il a été placé en détention, le 24 juin 2009. Il affirme en outre avoir été détenu dans des cellules d’isolement et dans des « cellules bleues » pendant qu’il était aux prisons La Farera et La Stampa, et que l’État partie a violé ses droits en matière de santé pendant qu’il était en détention provisoire à La Farera car il n’a pas été examiné par un médecin.

3.3Le requérant affirme que, malgré les plaintes qu’il a présentées, les autorités de l’État partie n’ont pris aucune mesure pour mettre fin à l’utilisation de la torture à son encontre. Il soutient également qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat pendant les interrogatoires irréguliers auxquels il a été soumis. Il affirme en outre que son avocat a présenté un recours contre sa volonté à la Cour de cassation et de révision pénale, en se fondant sur des déclarations qu’il avait faites sous la torture.

3.4Le requérant affirme que, malgré son statut de réfugié politique, il a été emmené à l’ambassade de Turquie, où il a été interrogé illégalement. Il affirme que s’il était renvoyé en Turquie, il courrait un risque réel d’être tué ou torturé, compte tenu de ses problèmes politiques et des menaces dont il a fait l’objet lorsqu’il était emprisonné dans ce pays. Par conséquent, il soutient que l’État partie, s’il le renvoyait en Turquie, commettrait une violation de l’article 3 de la Convention.

3.5Le requérant fait valoir que la Suisse, en ne faisant pas figurer la torture au nombre des infractions pénales, viole ses droits.

3.6Il affirme en outre que, malgré les informations qu’il a adressées aux autorités de l’État partie, et bien qu’il ait montré ses blessures au personnel pénitentiaire et à des procureurs à plusieurs occasions, aucune mesure n’a été prise et ses allégations n’ont jamais donné lieu à une enquête. Il affirme également avoir subi des actes de torture et d’intimidation en raison des plaintes qu’il a déposées auprès des autorités.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note en date du 17 août 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que les recours internes n’avaient pas été épuisés. L’État partie y affirme en outre que le requérant n’a pas établi qu’il serait exposé à des risques s’il était renvoyé en Turquie.

4.2L’État partie conteste l’affirmation du requérant selon lequel il a épuisé tous les recours internes s’agissant des divers actes de torture et mauvais traitement qu’il dit avoir subis. Il renvoie au cadre juridique relatif à la torture et indique que, bien que la torture ne soit pas inscrite dans le Code pénal, elle est traitée au titre d’autres infractions pénales et les autorités compétentes sont tenues de mener une enquête indépendante et impartiale sur toute plainte visant des agents des forces de l’ordre ou des membres du personnel pénitentiaire.

4.3En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il a été victime d’actes de torture et de mauvais traitements au cours de la procédure pénale, l’État partie indique qu’elles ont été examinées par la Cour d’assises du canton du Tessin et par le Tribunal d’appel du canton du Tessin dans le cadre de la procédure pénale qui a abouti à la condamnation du requérant à six années de réclusion. Il soutient que le requérant n’a pas épuisé les recours internes disponibles, puisqu’il n’a pas fait appel de la décision du Tribunal d’appel du canton du Tessin en date du 30 septembre 2010 auprès du Tribunal fédéral. Il souligne en outre que, comme l’a indiqué le Tribunal pénal cantonal de Lugano dans sa décision du 23 février 2010, les experts médicaux qui ont examiné le requérant pendant sa détention provisoire n’ont pas été informé par celui-ci de ce qu’il avait subi des tortures et n’ont remarqué aucun signe de torture ou de mauvais traitement. L’État partie précise également que les affirmations du requérant ont été examinées par le Tribunal d’appel du canton du Tessin, après que le requérant eut demandé le réexamen de l’affaire. Le Tribunal a rejeté sa demande le 17 juin 2015, considérant que les allégations selon lesquelles on l’a soumis à la torture pour obtenir des aveux ne reposaient que sur ses propres dires et qu’il ne les avait formulées que pour éviter l’extradition. La Cour a en outre estimé que l’affaire ne pouvait être rouverte que sur présentation de faits ou d’éléments de preuve nouveaux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, dans la mesure où les allégations de torture formulées par le requérant concernaient des faits antérieurs à la procédure pénale, au cours de laquelle il n’avait pas fait état de quoi que ce soit à ce sujet. Par conséquent, l’État partie estime que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il a subi des actes de torture au cours de sa détention provisoire.

4.4L’État partie évoque aussi les allégations de torture découlant de l’isolement cellulaire imposé au requérant à titre de mesure disciplinaire. Il indique que les décisions de placer le requérant en isolement cellulaire en date des 26 avril 2011, 4 août 2011, 21 mars 2013, 21 juillet 2014, 29 juillet 2014 et 25 novembre 2014 ne portaient que sur une courte période, ce qui est compatible avec les prescriptions de la Commission nationale de prévention de la torture. Il souligne en outre que toutes les décisions disciplinaires comportent des informations sur la possibilité de faire recours et sur le délai correspondant. Cependant, l’auteur n’a pas fait appel de ces décisions auprès du Tribunal fédéral, qui est la plus haute juridiction chargée de contrôler la constitutionnalité des mesures disciplinaires. Pour cette raison, l’État partie considère que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.5En ce qui concerne les actes de torture qui auraient été commis pendant le transfert du requérant entre le canton de Vaud et le canton du Tessin, le 26 juin 2014, l’État partie affirme que le Procureur général a immédiatement réagi aux allégations du requérant puisque, à la suite de la plainte introduite par ce dernier le 4 juillet 2014, il a chargé l’Université de Varese (Italie) d’établir les causes des blessures du requérant. En se fondant sur le rapport de l’Université, le Procureur général a décidé, le 25 août 2014, qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête (ordonnance de non-entrée en matière). L’État partie fait en outre valoir que le requérant n’a pas fait appel de la décision du Procureur général et que, par conséquent, il n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles.

4.6En ce qui concerne la plainte datée du 11 janvier 2013 concernant l’agression alléguée du requérant par un gardien de prison, le 12 décembre 2012, l’État partie fait valoir qu’après avoir examiné les rapports internes de la prison La Stampa ainsi qu’une vidéo, le Procureur général a décidé, le 31 janvier 2013, qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête pénale (ordonnance de non-entrée en matière). Le requérant a formé recours contre cette décision, mais ne l’a pas fait dans les règles. Le requérant a ensuite eu la possibilité de modifier son recours, mais il ne s’en est pas prévalu. Le 8 avril 2013, le Tribunal d’appel du canton du Tessin a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’ouvrir une enquête pénale (ordonnance de non-entrée en matière). Comme le requérant ne s’est pas conformé aux conditions fixées par la loi pour faire appel de cette décision, l’État partie considère qu’il n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles concernant ses allégations.

4.7En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il a été torturé pendant son transfert du canton du Tessin au canton de Berne, le 5 janvier 2015, l’État partie affirme que le ministère public de Berne-Mittelland a mené une enquête, au cours de laquelle il a interrogé le requérant à deux reprises. Un autre détenu a également été interrogé, en tant que témoin, mais il a indiqué que le requérant n’avait jamais évoqué de mauvais traitement. De plus, le requérant n’a pas fait état de torture ou de mauvais traitements pendant son entretien d’entrée au pénitencier de Thorberg. L’État partie indique en outre que dans le rapport médical établi le 5 janvier 2015 par les services médicaux du pénitencier de Thorberg, il n’était fait mention que du fait que le requérant présentait une « blessure superficielle » sur le côté gauche de son torse, mais que l’explication qu’il avait donnée sur la manière dont il avait été blessé n’était pas compatible avec la nature de cette blessure. Par conséquent, le ministère public a considéré qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour justifier l’ouverture d’une procédure pénale pour préjudice corporel, menace ou abus de pouvoir et a rendu une ordonnance de non-entrée en matière le 1er avril 2015. Le 22 juin 2015, La Cour suprême de Berne a rejeté le recours formé contre cette décision. L’État partie fait valoir que la décision de la Cour suprême de Berne, qui a été notifiée au requérant à cette même date et publiée le 8 juillet 2015 dans le Journal officiel de Berne, était susceptible de recours devant le Tribunal fédéral. Cependant, il déclare « ignorer » si le requérant a recouru contre cette décision et considère que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.8En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles les gardiens l’ont frappé, puis menacé de lâcher un chien contre lui parce qu’il refusait de se rendre à l’ambassade de Turquie, l’État partie indique que, le 29 avril 2015, le ministère public a décidé de ne pas ouvrir une enquête pénale (ordonnance de non-entrée en matière) car les allégations du requérant étaient contradictoires et n’étaient pas crédibles. Cette décision a été notifiée au requérant le 4 mai 2015, qui ne s’est pas pourvu en appel. Par conséquent, l’État partie considère que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles.

4.9S’agissant du renvoi du requérant en Turquie, l’État partie indique que l’Office fédéral des migrations a révoqué le permis de séjour du requérant le 27 novembre 2013. L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas recouru contre cette décision auprès du Conseil d’État du canton du Tessin, même si le requérant affirme qu’il l’a fait le 10 décembre 2014. Le Conseil d’État n’a jamais reçu un tel recours, bien que des délais supplémentaires aient été accordés au requérant pour qu’il le présente. Par conséquent, le Conseil d’État a émis une ordonnance de non-entrée en matière le 2 septembre 2014. Le requérant n’a pas fait appel de cette décision devant le Tribunal administratif fédéral. En conséquence, le Secrétariat d’État aux migrations a décidé, le 4 décembre 2014, d’interdire le territoire suisse au requérant. Cette décision, qui était susceptible de recours dans un délai de trente jours, a été notifiée au requérant le 9 décembre 2014 ; le requérant n’a pas formé recours contre cette décision. Au lieu de cela, il a demandé à accéder à son dossier le 7 janvier 2015. Le 2 février 2015, le requérant a formé recours contre cette décision devant le Tribunal administratif fédéral, qui l’a débouté le 23 février 2015 parce que le recours avait été présenté après la date limite. L’État partie considère donc que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.10L’État partie fait aussi valoir que les griefs que le requérant tire de l’article 9 de la Convention sont irrecevables ratione materiae, car ledit article assujettit l’entraide judiciaire entre les États à certaines conditions qui ne sont pas réunies en l’espèce.

4.11Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité : a) de lever les mesures provisoires ; b) de déclarer la requête irrecevable pour non-épuisement des recours internes ; c) de déclarer les griefs relatifs à l’article 9 de la Convention irrecevables ratione materiae.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Les 20 juillet, 11 août et 5 octobre 2015, le requérant a communiqué des informations au Comité concernant le « sabotage » de sa correspondance par les autorités suisses. Il affirme que sa signature a été falsifiée à plusieurs reprises pour faire croire qu’il avait reçu des lettres recommandées qu’il n’a jamais reçues, notamment des notifications des tribunaux ; que les enveloppes qu’il a envoyées ont été remplies de pages blanches en remplacement de ses véritables plaintes ; qu’il a reçu des enveloppes contenant des pages blanches ou des courriers incomplets. Le requérant affirme qu’il a déposé plainte au sujet de ces actes de « sabotage », mais que les autorités n’ont pris aucune mesure. Étant donné le sabotage allégué, il craint d’être expulsé vers la Turquie avant que le Comité ne statue sur son cas. Le requérant indique également avoir été obligé de passer dix-sept heures par jour dans une cellule sans possibilité de faire de l’exercice. Il ajoute que, malgré les demandes répétées qu’il a adressées aux autorités, il n’a pas pu voir un psychologue ou un psychiatre, et qu’on ne lui a pas commis un défenseur.

5.2Le 4 décembre 2015, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Cependant, l’enveloppe reçue par le Comité ne contenait que quatre pages, suivies de pages blanches. Le 21 décembre 2015, à la demande du secrétariat, le requérant a soumis la version complète de ses commentaires.

5.3En ce qui concerne son transfert du canton de Vaud au canton du Tessin, le requérant conteste les affirmations de l’État partie concernant certains documents du ministère public du Tessin. Il affirme que l’État partie confond deux procédures différentes : la procédure concernant sa plainte selon laquelle il a été soumis à la torture et à des mauvais traitements pendant son transfert entre les cantons de Vaud et celui du Tessin le 26 juin 2014, et la procédure relative à la plainte déposée contre lui le 4 juillet 2014. Il indique également que les numéros de dossier ne sont pas les mêmes et que l’ordonnance de non-entrée en matière du 25 août 2014 avait trait à la procédure relative à la plainte déposée contre lui, et non à sa plainte pour torture, qu’il avait déposée le 26 juin 2014. Il juge suspect que la personne qui a signé un des documents (qui figure à l’annexe 27) au nom du ministère public ne soit pas identifiée, alors que toutes les autres décisions étaient signées par le Procureur général de son propre nom et portaient son cachet. En conséquence, il considère que l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles est inexacte. Il fait aussi valoir qu’il n’a pas été notifié de la décision concernant la plainte manuscrite qu’il a présentée à son arrivée à La Farera, le 26 juin 2014, pour les actes de torture subis pendant son transfert entre les cantons de Vaud et celui du Tessin.

5.4En ce qui concerne son transfert du canton du Tessin au canton de Berne, le 5 janvier 2015, le requérant affirme qu’il a formé recours contre la décision du 22 juin 2015 de la Cour suprême de Berne auprès du Tribunal fédéral. Cependant, le 17 juillet 2015, il a reçu une lettre du Tribunal fédéral indiquant que son enveloppe ne contenait que des pages blanches et que, par conséquent, son recours ne pouvait pas être examiné. Il affirme également n’avoir jamais signé la déclaration attestant qu’il avait été bien traité pendant le transfert.

5.5S’agissant du grief selon lequel il aurait été agressé par un gardien de prison le 11 janvier 2013 à La Stampa, le requérant affirme que l’ordonnance de non-entrée en matière rendue par le Procureur général le 31 janvier 2013 ne lui a jamais été notifiée et que, même s’il était parvenu à recourir contre cette décision devant le Tribunal d’appel du canton du Tessin, il n’aurait pas pu le faire correctement parce qu’il n’avait jamais pris connaissance de la décision. Il affirme également n’avoir jamais reçu la décision du Tribunal d’appel du canton du Tessin rejetant son recours, en date du 8 avril 2013.

5.6S’agissant des mesures disciplinaires d’isolement cellulaire, le requérant conteste la véracité de certains faits dont les autorités ont tenu compte et affirme qu’elles ont toutes fait l’objet d’un recours ; il qualifie les conditions d’isolement cellulaire de torture et indique avoir été maintenu en isolement cellulaire pendant dix-neuf jours d’affilée.

5.7En ce qui concerne les observations de l’État partie sur ses allégations de torture et d’autres violations, y compris de son droit à un procès équitable dans le cadre de la procédure pénale, le requérant réaffirme que le Tribunal d’appel du canton du Tessin ne les a pas examinées dans le cadre de ses décisions du 30 septembre 2010 et du 17 juin 2015. Pour ce qui est de l’observation de l’État partie selon laquelle les experts médicaux n’ont remarqué aucun signe de torture, le requérant conteste l’indépendance de ces derniers car ce sont des fonctionnaires et il y a très peu de chances qu’une plainte les visant puisse aboutir. Le requérant affirme en outre que le 30 septembre 2010, il a formé recours contre la décision Tribunal d’appel du canton du Tessin auprès du Tribunal pénal fédéral, mais qu’il n’a jamais reçu de réponse.

5.8Le requérant indique également que l’État partie l’a emmené illégalement à l’ambassade de Turquie pour y être interrogé, malgré son statut de réfugié. Il affirme en outre avoir formé recours auprès de la Cour suprême du canton de Berne contre la décision du ministère public de Berne-Mittelland du 29 avril 2015, concernant sa plainte relative aux mauvais traitements qu’il a subis au cours de son transfert vers l’ambassade de Turquie le 17 février 2015, mais ne pas avoir reçu de réponse.

5.9En ce qui concerne son retour en Turquie, le requérant fait valoir qu’il ne peut pas être expulsé parce qu’il a toujours le statut de réfugié. Il réaffirme que son affaire est toujours en instance devant le Tribunal pénal fédéral. Il fait valoir par ailleurs qu’il a fait appel de la décision de révocation de son asile politique auprès du Tribunal administratif fédéral et que, le 28 février 2013, il a été débouté. Il a formé recours contre cette décision et attend toujours une réponse. En ce qui concerne la mesure d’interdiction de territoire imposée le 4 décembre 2014, il affirme qu’il n’a pas recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral le 2 février 2015, comme le prétend l’État partie, mais le 10 décembre 2014, donc dans le délai prescrit. De plus, il rappelle qu’il serait toujours exposé à un risque s’il rentrait en Turquie, car il y a été condamné par un tribunal pénal et a été torturé à plusieurs reprises par des agents turcs. Il indique également que sa santé mentale a subi des atteintes permanentes du fait des tortures dont il a fait l’objet en Turquie.

5.10Le requérant affirme enfin que nombre des documents qu’il avait en sa possession au pénitencier de Thorberg, avant son transfert à La Farera, le 23 juin 2015, ne lui ont jamais été restitués.

Réponses complémentaires de l’État partie

6.1Le 30 novembre 2015, l’État partie a informé le Comité du fait que le requérant allait être transféré de la prison Realta à Lugano, pour y être entendu au sujet de la prolongation de sa détention administrative. Le 21 janvier 2016, la mesure de détention administrative a été renouvelée pour une période de six mois.

6.2Les 4 février et 3 et 17 mars 2016, l’État partie a fait part de sa préoccupation quant aux risques de sécurité posés par le requérant et a indiqué qu’à la suite d’un examen psychiatrique effectué par un spécialiste, le requérant avait été diagnostiqué comme schizophrène et avait été placé dans une institution spécialisée pendant six semaines.

6.3Le 16 septembre 2016, à la demande du Comité, l’État partie a fourni des renseignements sur les périodes pendant lesquelles le requérant avait été placé en isolement cellulaire. L’État partie indique que, conformément à la législation pertinente, les décisions de placement en isolement cellulaire peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la Division de la justice, à Bellinzone, dont les décisions peuvent faire l’objet d’un recours devant la Cour des plaintes du Tribunal d’appel (Corte dei reclami del Tribunale d’appello), et que les décisions de la Cour peuvent faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral. L’État partie indique en outre que le requérant n’a fait appel que de deux décisions disciplinaires de placement en isolement cellulaire, à savoir celles du 26 avril 2011 et du 4 août 2011. Le requérant a fait appel de la première décision le 2 mai 2011 auprès de la Division de la justice, qui l’a débouté le 26 juillet 2011. Il a fait appel de cette décision auprès du Tribunal d’appel, qui l’a débouté le 31 octobre 2011. Les deux instances ont considéré que le requérant ne dénonçait qu’une violation de son droit à être entendu et que ce droit avait été respecté car il avait été interrogé au sujet de l’incident à l’origine de l’isolement cellulaire. Elles ont également estimé que, bien que le requérant n’ait pas reçu les documents qu’il avait demandés, les autorités pouvaient limiter les droits des détenus pour garantir le fonctionnement normal de la prison et que garantir la cohabitation pacifique dans la prison était d’intérêt public et justifiait une restriction de l’accès du requérant à ces documents. Le requérant a formé recours contre la décision de la Cour des plaintes devant le Tribunal fédéral, qui l’a débouté le 7 mai 2012 car il estimait que des arguments vagues et contradictoires ne sauraient servir de fondement valable à une plainte recevable. En ce qui concerne la décision de placement en isolement cellulaire du 4 août 2011, l’État partie indique que le requérant a contesté la décision le 5 août 2011, demandant son annulation parce qu’elle était imposée pendant le ramadan et que l’agent pénitentiaire avait fait un usage disproportionné de la force contre lui. Le 29 février 2012, la Division de la justice a rejeté son recours, renvoyant à sa décision antérieure du 26 juillet 2011, par laquelle elle avait refusé au requérant l’accès aux documents qu’il demandait afin d’éviter des conflits dans la prison. La Division de la justice a également estimé que le droit du requérant à être entendu n’avait pas été violé.

6.4L’État partie indique que le requérant n’a pas fait appel de cette décision. En ce qui concerne les décisions de placement à l’isolement cellulaire datées des 21 et 29 juillet 2014, l’État partie indique que le requérant a envoyé deux lettres à la Division de la justice, dans lesquelles il demandait l’accès aux documents s’y rapportant, sans indiquer expressément qu’il faisait appel de ces décisions. Le 2 septembre 2014, la Division de la justice a répondu qu’elle avait pris contact directement avec la direction de l’établissement pénitentiaire, et que le requérant ayant été entendu et informé des accusations portées contre lui aux dates où les sanctions disciplinaires ont été prises les droits procéduraux du requérant avaient été pleinement respectés et il avait eu la possibilité de recourir contre les décisions susmentionnées. Cependant, il ne l’avait pas fait à temps, et le délai avait expiré.

6.5L’État partie indique en outre que l’article 31 du Règlement tessinois sur l’exécution des peines prévoit que les détenus sont informés de leurs droits, y compris de la possibilité de bénéficier des services d’un avocat. Bien que l’article 31 ait un caractère général, il prévoit que le droit de prendre contact avec un avocat n’est pas soumis à des restrictions lorsque le détenu est placé en isolement cellulaire. L’État partie explique également qu’avant qu’un placement en isolement cellulaire soit décidé, les détenus sont entendus par les autorités pénitentiaires et un rapport de l’audience est établi. La loi ne prévoit pas que les détenus sont représentés par un avocat pendant ces audiences ; cependant, ils peuvent demander que leur avocat soit présent. L’État partie indique que le requérant n’a pas demandé à être représenté par un avocat pendant les audiences disciplinaires ou à former un recours contre les décisions de placement en isolement cellulaire, alors même qu’il parle italien couramment et qu’il est tout à fait conscient de la possibilité de prendre contact avec un avocat.

Réponses complémentaires du requérant

7.1Dans des notes en date des 4, 18 et 19 janvier 2014, le requérant a repris ses griefs.

7.2Le 16 février 2016, le Comité a reçu une note du requérant dans laquelle celui-ci indiquait que, le 27 janvier 2016, après qu’il eut annoncé qu’il commençait une grève de la faim, 15 gardiens de prison l’ont torturé. Il affirme avoir été emmené nu dans la montagne, où on l’a plongé dans l’eau glacée et battu, surtout sur les reins. Il affirme qu’on lui a demandé de signer une déclaration indiquant qu’il n’avait pas été torturé en Suisse, qu’aucun agent de la Central Intelligence Agency n’avait participé à un interrogatoire en Suisse ou à l’ambassade de Turquie et qu’il serait disposé à recevoir un laissez-passer de l’ambassade turque pour pouvoir être expulsé. Il allègue qu’il a ensuite été ramené à la prison, où il a été agressé avec un pistolet à impulsion électrique (« Taser ») et contraint de prendre une douche froide et d’écouter de la « musique satanique ». Il affirme qu’on l’a menacé de mort, en lui disant que son décès serait présenté comme un suicide. Il affirme en outre que tout son corps était douloureux et qu’il y avait du sang dans ses urines. Il a demandé à voir un médecin, mais seule une infirmière est venue, laquelle a prélevé des échantillons d’urine mais n’a pas signalé les actes de torture subis, alors même qu’il l’en avait informée. Il a alors été placé en isolement cellulaire. Le 1er février 2016, il a été transféré à la prison située dans l’aéroport de Zurich. À son arrivée, il a informé les autorités de la prison des actes de torture auxquels il avait été soumis et a demandé une assistance médicale, ainsi qu’à pouvoir communiquer avec le procureur. Le 2 février 2016, il a de nouveau été placé en isolement cellulaire, régime auquel il a été soumis jusqu’au 10 février 2016. La seule visite qu’il a reçue est celle de deux psychiatres de la prison, qui, dit-il, l’ont menacé. Il indique en outre que comme il a passé une longue période en isolement cellulaire, les marques de torture ont disparu. Il ajoute que sa correspondance continue d’être sabotée. Enfin, il affirme qu’aucune mesure n’a été prise concernant ses allégations de torture.

7.3Le requérant affirme que le 7 mars 2016, trois gardiens de prison sont venus dans sa cellule et, qu’après l’avoir insulté, l’un d’eux a ouvert sa braguette et s’est touché le pénis tout en proférant des mots « provocants ». Il indique avoir dénoncé cet incident, ainsi que d’autres violations de ses droits au directeur de la prison, mais qu’aucune mesure n’a été prise. Les 4 et 21 avril 2016, le requérant a communiqué un complément d’information, dans lequel il reprenait ses griefs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité relève que l’État partie conteste la recevabilité de la requête au motif du non-épuisement des recours internes. En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il a été soumis à des actes de torture lors de la procédure pénale (détention provisoire et aveux sous la contrainte), le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel elles ont été examinées par les tribunaux internes dans le cadre de la procédure judiciaire qui a débouché sur la condamnation du requérant à une peine de six ans de réclusion, et que le requérant n’a pas épuisé les recours internes car il n’a pas fait appel de la décision du Tribunal d’appel du canton du Tessin en date du 30 septembre 2010. Le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a bien fait appel de la décision du Tribunal d’appel du canton du Tessin, mais qu’il n’a jamais reçu de réponse. Il constate en outre que le requérant n’a fourni ni document ni information à l’appui de ses allégations. En conséquence, le Comité considère, eu égard au paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention, que cette partie de la requête est irrecevable.

8.3En ce qui concerne les griefs du requérant selon lesquels le régime d’isolement cellulaire auquel il a été soumis était constitutif de mauvais traitements et de torture, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant avait la possibilité de recourir contre les décisions de mise à l’isolement auprès de la Division de la justice, du Tribunal d’appel et du Tribunal fédéral, et qu’il ne s’est prévalu de ces voies de recours que pour les seules décisions de placement en isolement cellulaire du 26 avril et du 4 août 2011. Le Comité constate en outre que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles en ce qui concerne la décision du 26 avril 2011, mais non en ce qui concerne la décision du 4 août 2011, puisqu’il n’a fait appel de celle-ci qu’auprès de la Division de la justice. Le Comité considère que le fait que le requérant ait formé recours contre la décision du 26 avril 2011 montre qu’il avait les informations nécessaires pour épuiser tous les recours internes disponibles concernant la décision du 4 août 2011, mais aussi toutes les décisions de mise à l’isolement ultérieures, à savoir celles en date du 21 mars 2013, du 21 et du 29 juillet 2014 et du 25 novembre 2014. Le Comité constate que l’auteur ne donne aucune information contraire et conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable pour cause de non-épuisement des recours internes disponibles, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

8.4En ce qui concerne les allégations du requérant concernant les mauvais traitements et les actes de torture subis pendant son transfert du canton de Vaud au Canton du Tessin, le 26 juin 2014, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le Procureur général a enquêté sur ces allégations et a demandé à l’Université de Varese d’examiner les causes des blessures du requérant. Le Comité constate également que, compte tenu des conclusions de cet examen, le Procureur général a décidé, le 25 août 2014, de suspendre l’enquête. Le Comité prend note en outre de ce que selon l’État partie, le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles car il n’a pas recouru contre cette décision. Il prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a bien épuisé tous les recours internes disponibles, mais constate que celui-ci n’a pas fourni de documents ou d’informations à l’appui de cette affirmation. Par conséquent, le Comité considère que les informations dont il dispose ne lui permettent pas de conclure que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles et que ses allégations de mauvais traitements et d’actes de torture subis pendant son transfert du canton de Vaud au canton du Tessin sont irrecevables pour défaut de fondement, en application du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

8.5En ce qui concerne les allégations du requérant concernant des actes de torture subis pendant son transfert du canton du Tessin au canton de Berne, le 5 janvier 2015, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle il « ignore » si le requérant a formé recours contre la décision de la Cour suprême du canton de Berne en date du 22 juin 2015, par laquelle celle-ci confirmait l’ordonnance de non-entrée en matière rendue par le ministère public. Le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a formé recours contre cette ordonnance devant le Tribunal fédéral mais que, le 17 juillet 2015, il a reçu une lettre de ce tribunal indiquant que son enveloppe ne contenait que des pages blanches et que son recours ne pouvait donc pas être examiné. Le Comité relève que l’État partie ne conteste pas ces allégations. Cependant, le Comité constate aussi que l’information fournie par le requérant ne lui permet pas de conclure qu’il a effectivement formé un recours en bonne et due forme. Par conséquent, le Comité déclare ce grief irrecevable, en application du paragraphe 2 de l’article 22 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas contesté l’ordonnance de non-entrée en matière rendue par le ministère public le 29 avril 2015, concernant ses allégations de torture et de mauvais traitements à la suite de son refus de se rendre à l’ambassade de Turquie. Le Comité constate aussi que l’information fournie par le requérant ne lui permet pas de conclure que celui-ci a effectivement formé un tel recours. Par conséquent, le Comité considère, eu égard au paragraphe 2 de l’article 22, que ce grief est irrecevable faute d’être suffisamment étayé.

8.7Concernant le renvoi du requérant en Turquie et le grief que celui-ci tire de l’article 3 de la Convention, le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles puisqu’il a formé recours contre l’interdiction de territoire datée du 4 décembre 2014 en dehors du délai prescrit. Le Comité prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a épuisé tous les recours internes disponibles, puisqu’il a formé un recours auprès du Tribunal administratif fédéral contre l’interdiction de territoire dans le délai prescrit. Le Comité constate que l’information fournie par le requérant ne lui permet pas de conclure que le recours a été formé dans le délai prescrit. Il considère donc, en application du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, que cette partie de la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

9.En conséquence, le Comité contre la torture décide :

a)Que la requête est irrecevable, en application des paragraphes 2 et 5 b) de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.