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Introduction

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Objectifs et portée

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Cadre juridique

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Obligations générales relatives aux droits des femmes et des filles autochtones incombant aux États parties au titre des articles 1 et 2

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Égalité et non-discrimination, une attention accrue étant accordée aux formes croisées de discrimination dont sont victimes les femmes et les filles autochtones

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Accès à la justice et aux systèmes juridiques pluriels

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Obligations générales relatives aux aspects particuliers des droits des femmes et des filles autochtones incombant aux États parties

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Protection des femmes et des filles autochtones contre la violence fondée sur le genre et prévention de ce phénomène (art. 3, 5, 6, 10 c), 11, 12, 14 et 16)

15

Droit à la participation effective à la vie politique et publique (art. 7, 8 et 14)

19

Droit à l’éducation (art. 5 et 10)

21

Droit au travail (art. 11 et 14)

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Droit à la santé (art. 10 et 12)

24

Droit à la culture (art. 3, 5, 13 et 14)

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Droits relatifs aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles (art. 13 et 14)

26

Droits relatifs à l’alimentation, à l’eau et aux semences (art. 12 et 14)

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Droit à un environnement propre, sain et durable (art. 12 et 14)

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I.Introduction

La présente recommandation générale a vocation à orienter les États parties eu égard aux mesures législatives, aux mesures politiques et autres mesures pertinentes visant à garantir le respect des obligations leur incombant en matière de droits des femmes et des filles autochtones au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Selon les estimations, il y a 476,6 millions de personnes autochtones à travers le monde, dont plus de la moitié (238,4 millions) sont des femmes. La discrimination et la violence sont des phénomènes récurrents dans la vie de nombre de femmes et filles autochtones, qu’elles vivent dans des zones rurales, reculées ou urbaines. La présente recommandation générale porte sur les femmes et les filles autochtones, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des territoires autochtones.

La présente recommandation générale donne voix au chapitre aux femmes et aux filles autochtones, qui sont des forces motrices et des figures référentes au sein de leurs communautés et ailleurs. Elle recense les différentes formes de discrimination intersectionnelle auxquelles celles-ci se heurtent et propose des solutions pour y remédier, et reconnaît le rôle clé qu’elles jouent en tant que figures de proue, détentrices de connaissances et passeuses de culture auprès de leurs peuples, de leurs communautés et de leurs familles, ainsi qu’auprès de la société dans son ensemble. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes s’intéresse systématiquement aux schémas de discrimination auxquels font face les femmes et des filles autochtones dans l’exercice de leurs droits humains, et aux facteurs qui continuent d’exacerber la discrimination à leur encontre. Cette discrimination est souvent intersectionnelle et fondée sur des facteurs tels que le sexe, le genre, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, la race, l’origine ethnique, le handicap, l’âge, la langue, la situation socioéconomique et la séropositivité.

La discrimination intersectionnelle à l’encontre des femmes et des filles autochtones doit être analysée à l’aune de la nature multidimensionnelle de leur identité. Celles-ci sont victimes de discrimination et de violence fondée sur le genre, souvent de la part de l’État et d’acteurs non étatiques. Ces formes de violence et de discrimination sont répandues et restent souvent impunies. Les femmes et les filles autochtones ont souvent un lien et une relation indéfectibles avec leur peuple, leur terre, leur territoire, leurs ressources naturelles et leur culture. Afin de garantir le respect des articles 1 et 2, et d’autres dispositions pertinentes de la Convention, l’action étatique, la législation et les politiques doivent refléter et respecter l’identité multiple des femmes et des filles autochtones. Les États parties doivent aussi tenir compte de la discrimination intersectionnelle que ces dernières subissent en raison de facteurs tels que le sexe, le genre, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, la race, l’origine ethnique, le handicap, l’âge, la langue, la situation socioéconomique et la séropositivité.

L’action étatique visant à prévenir et combattre la discrimination à l’encontre des femmes et des filles autochtones tout au long de leur vie doit intégrer une démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité. Une démarche soucieuse des questions de genre tient compte des normes discriminatoires, des pratiques sociales néfastes, des stéréotypes et de l’inégalité de traitement dont sont depuis longtemps victimes les femmes et les filles autochtones. Une approche intersectionnelle exige des États qu’ils tiennent compte de la multitude de facteurs associés qui accroissent l’exposition des femmes et des filles autochtones à un traitement inégalitaire et arbitraire, et en exacerbe les conséquences, sur la base du sexe, du genre, de l’origine, du statut ou de l’identité autochtone, de la race, de l’origine ethnique, du handicap, de l’âge, de la langue, de la situation socioéconomique et de la séropositivité, entre autres facteurs. Ceux-ci doivent prêter attention à l’interdépendance et à l’interconnexion de tous ces facteurs au moment d’adopter des lois, des politiques, des budgets nationaux et des interventions ayant trait aux femmes et aux filles autochtones. Ces dernières souffrent d’une discrimination intersectionnelle à l’intérieur et à l’extérieur de leurs territoires, qui est structurelle et intégrée dans les constitutions, les lois et les politiques, ainsi que les programmes, actions et services gouvernementaux.

Tenir compte du point de vue des femmes et des filles autochtones suppose de comprendre en quoi leurs expériences, leur réalité et leurs besoins en matière de protection des droits humains diffèrent de ceux des hommes autochtones, du fait de différences tenant au sexe et au genre. Cela suppose également de ne pas négliger le fait que les filles autochtones sont des femmes en devenir et qu’elles requièrent des interventions adaptées à leur âge, à leur niveau de développement et à leur situation. Adopter une perspective interculturelle signifie prendre en considération la diversité des peuples autochtones, notamment de leurs cultures, langues, croyances et valeurs, ainsi que le bénéfice et la valeur de cette diversité pour la société. Enfin, une démarche multidisciplinaire exige de reconnaître l’identité multiple des femmes et des filles autochtones, et la manière dont les lois, la santé, l’éducation, la culture, la spiritualité, l’anthropologie, l’économie, la science et le travail, entre autres aspects, ont façonné et continuent de façonner leur expérience sociale et de promouvoir la discrimination à leur égard. Ces démarches et approches sont essentielles pour prévenir et éliminer la discrimination à l’encontre des femmes et des filles autochtones, et pour garantir la justice sociale en cas de violation de leurs droits humains.

L’interdiction de la discrimination établie aux articles 1 et 2 de la Convention doit être strictement appliquée afin de garantir que les femmes et des filles autochtones, notamment celles qui vivent dans une situation d’isolement volontaire ou de premier contact, jouissent de leur droit à l’autodétermination, de leur droit d’accès aux terres, aux territoires et aux ressources, à la culture et à l’environnement, et de leur droit à l’intégrité de ces derniers. Elle doit également être appliquée afin de garantir leur droit à une participation effective et sur un pied d’égalité aux prises de décisions, et leur droit à la consultation, que ce soit au sein de leur propres institutions représentatives ou par le truchement de ces dernières, l’objectif étant d’obtenir leur consentement préalable, libre et éclairé avant l’adoption et la mise en œuvre de mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner. Ces droits posent les bases d’une compréhension globale des droits individuels et collectifs des femmes autochtones. La violation de ces droits ou de droits connexes constitue un acte de discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones.

Dans le cadre de la mise en œuvre de la présente recommandation générale, le Comité prie les États parties de tenir compte du contexte difficile dans lequel les femmes et les filles autochtones exercent et défendent leurs droits humains. Celles-ci sont lourdement pénalisées par des menaces existentielles liées aux changements climatiques, à la dégradation de l’environnement, à la perte de biodiversité et aux obstacles qui entravent leur accès à la sécurité alimentaire et hydrique. Les activités d’extraction menées par des entreprises commerciales et d’autres acteurs industriels, financiers, publics et privés ont souvent des effets dévastateurs sur l’environnement, l’air, les sols, les cours d’eau, les océans, les territoires et les ressources naturelles des peuples autochtones, et sont susceptibles de contrevenir aux droits des femmes et des filles autochtones. À l’échelle locale, nationale et internationale, ces dernières sont en première ligne pour exiger un environnement propre, sûr, sain et durable et une action en ce sens. Nombre de femmes autochtones qui sont également défenseuses des droits humains liés à l’environnement sont victimes de meurtres, de harcèlement et de criminalisation, et leurs efforts sont constamment discrédités. Les États parties ont l’obligation de faire en sorte que les acteurs étatiques et les entreprises commerciales prennent des mesures sans tarder pour garantir un environnement et un système planétaire propres, sains et durables, notamment en prévenant les pertes et dommages prévisibles, la violence socioéconomique et environnementale, et toutes les formes de violence à l’égard des femmes autochtones qui défendent les droits humains liés à l’environnement, ainsi qu’à l’égard de leurs communautés et territoires. Ils ont également l’obligation de lutter contre les effets du colonialisme, du racisme, des politiques d’assimilation, du sexisme, de la pauvreté, des conflits armés, de la militarisation, des déplacements forcés et de la perte de territoires, de la violence sexuelle en tant qu’arme de guerre et d’autres atteintes alarmantes aux droits humains souvent perpétrées à l’encontre des femmes et des filles autochtones et de leurs communautés.

II.Objectifs et portée

Le Comité estime que l’auto-identification, telle que définie dans les normes internationales, est un principe fondamental du droit international, par lequel les femmes et les filles autochtones peuvent définir leur statut en tant que titulaires de droits. Toutefois, il n’ignore pas que certaines d’entre elles préfèrent ne pas révéler leur statut en raison du racisme et de la discrimination structurels et systémiques, ainsi que de politiques coloniales et de colonisation. La présente recommandation générale et les droits garantis par la Convention s’appliquent à toutes les femmes et filles autochtones, qu’elles se trouvent à l’intérieur ou à l’extérieur de leur territoire, qu’elles soient dans leur pays d’origine, un pays de transit ou un pays de destination, et qu’elles soient migrantes, réfugiées en raison de déplacements forcés ou involontaires, ou apatrides.

La violence fondée sur le genre, notamment la violence psychologique, physique, sexuelle, économique, spirituelle, politique et environnementale, a une incidence néfaste sur la vie de nombreuses femmes et filles autochtones. Les femmes autochtones sont souvent victimes de violence à la maison, au travail et dans les institutions publiques et éducatives ; lorsqu’elles font appel à des services de santé ou ont affaire au système de prise en charge de l’enfance ; en tant que figures de la vie politique et communautaire ; en tant que défenseuses des droits humains ; lorsqu’elles sont privées de liberté ; lorsqu’elles sont placées en institution. Elles sont exposées de manière disproportionnée au viol et au harcèlement sexuel ; aux meurtres fondés sur le genre et aux féminicides ; aux disparitions et aux enlèvements ; à la traite des personnes ; aux formes d’esclavage contemporaines ; à l’exploitation, notamment l’exploitation de la prostitution ; la servitude sexuelle ; au travail forcé ; aux grossesses forcées ; aux mesures étatiques imposant de force la contraception et les dispositifs intra-utérins ; le travail domestique indécent, dangereux ou insuffisamment rémunéré. Le Comité insiste, en particulier, sur la gravité des actes de discrimination et de violence fondée sur le genre commis à l’encontre des femmes et des filles autochtones handicapées placées en institution.

Le Comité appelle les États parties à rapidement déployer des efforts de collecte de données afin de pleinement évaluer la situation des femmes et des filles autochtones, et les formes de discrimination et de violence fondée sur le genre dont elles sont victimes. Ceux-ci doivent s’efforcer de recueillir des données ventilées selon plusieurs facteurs, notamment le sexe, l’âge, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, et le handicap, et collaborer avec les femmes autochtones et les organisations qui les représentent, ainsi qu’avec des institutions universitaires et des organisations à but non lucratif à cet égard. Le Comité souligne, par ailleurs, que les peuples autochtones doivent avoir le contrôle sur les processus de collecte de données menés à bien dans leurs communautés et sur la manière dont les données sont stockées, interprétées, utilisées et partagées.

L’une des causes profondes de la discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones est le manque de mise en œuvre effective de leur droit à l’autodétermination et à l’autonomie, et de garanties connexes, comme en atteste, entre autres, le fait que celles-ci continuent d’être dépossédées de leurs terres, territoires et ressources naturelles. Le Comité est conscient du fait que le lien vital que les femmes autochtones ont tissé avec leurs terres constitue le fondement de leur culture, de leur identité, de leur spiritualité, de leur savoir ancestral et de leur survie. Les femmes autochtones se heurtent au manque de reconnaissance de leurs droits relatifs aux terres et aux territoires, et à de graves manquements dans l’application des lois existantes visant à protéger leurs droits collectifs. Les autorités et des tierces parties mènent fréquemment des activités liées aux investissements, aux infrastructures, au développement, à la conservation, aux mesures d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation de ces phénomènes, au tourisme, à l’exploitation minière, à l’exploitation forestière et à l’extraction sans s’assurer de la participation effective des peuples autochtones concernés et sans recueillir le consentement de ces derniers. Pour le Comité, le droit des femmes et des filles autochtones à l’autodétermination doit s’entendre au sens large et comprend, notamment, la capacité de prendre des décisions de manière autonome, libre et éclairée sur les questions relatives à leur projet de vie et à leur santé.

Le Comité n’ignore pas que les femmes et les filles autochtones ont subi et continuent de subir des politiques d’assimilation forcée et d’autres violations des droits humains de grande ampleur, qui, dans certains cas, peuvent constituer des génocides. Certaines de ces politiques d’assimilation – en particulier le placement forcé dans des pensionnats et des institutions, et le déplacement de peuples autochtones de leurs territoires au nom du développement – ont donné lieu à des meurtres, des disparitions, et des violences sexuelles et psychologiques, et peuvent être constitutives de génocide culturel. Il est essentiel que les États parties se penchent sur les conséquences des injustices historiques et fournissent une aide et des réparations aux communautés touchées dans le cadre d’un processus visant à garantir la justice, la réconciliation et l’édification de sociétés exemptes de discrimination et de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones. Le Comité insiste, en particulier, sur la nécessité pour les États d’agir de manière proactive afin de protéger les droits des femmes et des filles autochtones qui vivent en zone urbaine, où elles font face au racisme, à la discrimination, aux politiques d’assimilation et à la violence fondée sur le genre.

III.Cadre juridique

Les droits des femmes et des filles autochtones découlent des articles de la Convention, conformément aux précisions apportées dans les recommandations générales du Comité, et d’instruments internationaux particuliers relatifs à la protection des droits des peuples autochtones, comme la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et la Convention no 169 de l’OIT relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants. Le Comité considère la Déclaration comme le cadre faisant autorité pour interpréter les obligations fondamentales incombant aux États parties au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Tous les droits établis dans la Déclaration sont pertinents pour les femmes autochtones, à la fois en tant que membres de leur peuple et de leur communauté, et en tant que personnes, mais aussi pour ce qui est des garanties contre la discrimination énoncées dans la Convention en elle-même. De plus, tous les principaux instruments internationaux relatifs aux droits humains établissent des protections pertinentes pour les droits des femmes et des filles autochtones.

En ce qui concerne les droits des filles autochtones, le Comité renvoie à la Convention relative aux droits de l’enfant et à l’ observation générale no 11 (2009) du Comité des droits de l’enfant sur les enfants autochtones et leurs droits en vertu de la Convention. Les États parties ont l’obligation de protéger les filles autochtones de toutes les formes de discrimination. La création d’un climat sûr et propice à l’engagement et à la participation effective des filles autochtones est essentielle au plein exercice de leurs droits relatifs aux territoires, à la culture et à un environnement propre, sain et durable. En outre, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes reconnaît que les filles autochtones sont des femmes en devenir, constat qui exige une réponse étatique sur mesure, adaptée à leur intérêt supérieur et à leurs besoins, et requiert d’adapter les procédures et services gouvernementaux à leur âge, à leur stade de développement, à l’évolution de leurs capacités et à leur situation.

La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes doit être interprétée de façon à tenir compte du Programme de développement durable à l’horizon 2030, dans le cadre duquel les États ont convenu que l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes étaient indispensables au développement durable et à l’élimination de la pauvreté. La Déclaration et le Programme d’action de Beijing sont également des documents de référence importants dans le cadre de la présente recommandation générale. Le Comité fait aussi référence aux résolutions adoptées par la Commission de la condition de la femme en lien avec les femmes autochtones.

IV.Obligations générales relatives aux droits des femmes et des filles autochtones incombant aux États parties au titre des articles 1 et 2 de la Convention

A.Égalité et non-discrimination, une attention accrue étant accordée aux formes croisées de discrimination dont sont victimes les femmes et les filles autochtones

L’interdiction de la discrimination établie aux articles 1 et 2 de la Convention s’applique à tous les droits dont jouissent les femmes et les filles autochtones en vertu de la Convention, notamment, par extension, ceux énoncés dans la Déclaration, document d’une importance fondamentale pour interpréter la Convention dans le contexte actuel. L’interdiction de la discrimination est un pilier essentiel et un principe fondateur du droit international des droits humains. Les femmes et les filles autochtones ont le droit de vivre libres de toute forme de discrimination fondée sur le sexe, le genre, l’origine, le statut ou l’identité autochtone, la race, l’origine ethnique, le handicap, l’âge, la langue, la situation socioéconomique et la séropositivité, entre autres facteurs.

La discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones et ses effets doivent être considérés tant dans leur dimension individuelle que dans leur dimension collective. Dans sa dimension individuelle, la discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones revêt des formes croisées et est exercée aussi bien par l’État que par des acteurs non étatiques, notamment du secteur privé, sur la base du sexe, du genre, de l’origine, du statut ou de l’identité autochtone, de la race, de l’origine ethnique, du handicap, de l’âge, de la langue, de la situation socioéconomique et de la séropositivité, entre autres facteurs. Le racisme, les stéréotypes discriminatoires, la marginalisation et la violence fondée sur le genre sont des violations interdépendantes que subissent les femmes et les filles autochtones. La discrimination et la violence fondée sur le genre menacent l’autonomie individuelle, la liberté personnelle, et la sécurité, la vie privée et l’intégrité de toutes les femmes et filles autochtones, et peuvent porter préjudice aux communautés et à leur bien-être. Comme indiqué dans la recommandation générale no 29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage, et des liens familiaux et de leur dissolution, en tant qu’individus, les femmes autochtones peuvent être victimes de discrimination au nom de l’idéologie, de la tradition, de la culture, de la religion, et du droit et des pratiques coutumiers. De plus, les femmes autochtones, notamment celles qui présentent un handicap, se voient souvent retirer leurs enfants de façon arbitraire ou par enlèvement. Par ailleurs, elles se heurtent à des décisions discriminatoires et sexistes concernant la garde de leurs enfants – qu’elles soient mariées ou non – ou le versement d’une pension alimentaire à la suite d’un divorce. En tant qu’individus, les femmes et les filles autochtones ont le droit de vivre sans discrimination et violations des droits humains à toutes les étapes de leur vie, et de choisir leurs propres voie et projet de vie.

Dans leur dimension collective, la discrimination et la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones menacent et perturbent la vie spirituelle, la connexion à la Terre nourricière, l’intégrité et la survie culturelles, et le tissu social des peuples et communautés autochtones. Tant la discrimination que la violence fondée sur le genre ont une incidence négative sur la transmission et la préservation des connaissances, de la culture, de la vision du monde, de l’identité et des traditions des peuples autochtones. L’incapacité de protéger le droit à l’autodétermination, le droit à la sécurité collective des droits fonciers sur les terres et les ressources ancestrales, et le droit à la participation effective et au consentement des femmes autochtones dans tous les domaines les concernant constitue un acte de discrimination à leur égard et à celui de leurs communautés.

Comme établi dans le préambule de la Déclaration, les droits collectifs sont indispensables à l’existence, au bien-être et au développement intégral des peuples autochtones, notamment des femmes et des filles. Les droits individuels des femmes et des filles autochtones ne devraient jamais être négligés ou bafoués au nom des intérêts du collectif ou du groupe, le respect de ces deux dimensions de leurs droits humains étant essentiel.

La discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones est le résultat de stéréotypes sexistes, mais aussi de formes de racisme alimentées par le colonialisme et la militarisation. Ces causes sous-jacentes de la discrimination sont directement et indirectement reflétées dans les lois et les politiques qui entravent l’accès des femmes et des filles autochtones à l’utilisation des terres et aux droits fonciers, l’exercice de leurs droits relatifs aux territoires et aux ressources naturelles et économiques, et leur accès au crédit, aux services financiers et aux possibilités génératrices de revenus. De plus, elles empêchent toute reconnaissance et protection des formes collectives et coopératives de propriété et d’utilisation foncières, et tout soutien à ces pratiques. La protection juridique des droits fonciers des femmes autochtones reste faible et les expose fréquemment à la dépossession, au déplacement, au confinement, à l’expropriation et à l’exploitation. L’absence de reconnaissance juridique des territoires des peuples autochtones accroît la vulnérabilité de ces derniers aux incursions illicites et aux projets de développement mis en œuvre sans leur consentement préalable, libre et éclairé par des acteurs étatiques et non étatiques. Les femmes et les filles autochtones, en particulier les veuves, les chefs de famille ou les orphelines, se voient freinées de manière disproportionnée dans leur accès aux terres, leur faisant perdre leurs moyens de subsistance et menaçant leur culture, leur lien intrinsèque à l’environnement, leur sécurité alimentaire et hydrique, et leur santé.

Partout dans le monde, les femmes et les filles autochtones ne jouissent pas de l’égalité devant la loi au sens de l’article 15 de la Convention. Dans de nombreuses régions, elles n’ont pas la capacité de conclure des contrats et de gérer leurs biens sans le contrôle de leur mari ou d’un tuteur masculin. Elles peinent également à posséder, détenir, contrôler et administrer des terres et à en hériter, en particulier lorsqu’elles sont veuves ou doivent subvenir seules aux besoins de leur famille. Que ce soit dans le système juridique étatique ou autochtone, le droit des successions est souvent discriminatoire envers les femmes autochtones. Celles qui sont en situation de handicap voient fréquemment leur capacité juridique niée, donnant lieu à d’autres violations des droits humains, qui ont notamment trait à l’accès à la justice, à la violence institutionalisée et à la stérilisation forcée. Contrevenant à l’article 9 de la Convention, nombre de lois restent discriminatoires à l’égard des femmes et des filles autochtones pour ce qui est de la transmission de la nationalité et du statut autochtone aux enfants en cas de mariage avec une personne non autochtone. Ces lois peuvent déboucher sur une discrimination transgénérationnelle et une assimilation forcée, deux pratiques qui relèvent de la discrimination à l’égard des femmes telle que définie dans l’article premier de la Convention. Par conséquent, les États doivent faire en sorte que les femmes et les filles autochtones puissent obtenir leur nationalité et leur statut autochtone, les modifier, les conserver ou y renoncer, et les transmettre à leurs enfants et à leur conjoint, et aient accès à des informations sur ces droits dans le cadre de leurs efforts pour garantir le droit à l’autodétermination et à l’auto-identification.

Dans sa recommandation générale no 34 (2016) sur les droits des femmes rurales, le Comité a rappelé l’importance du droit des femmes autochtones à la propriété individuelle et collective, aux ressources naturelles, à l’eau, aux semences, aux forêts et à la pêche, conformément à l’article 14 de la Convention. Ces droits sont aussi garantis pour les femmes autochtones en tant que membres de leurs peuples et de leurs communautés par la Déclaration et les normes juridiques internationales connexes. Les principaux obstacles à ces droits sont l’incompatibilité des lois nationales et internationales, la mise en œuvre ineffective des lois aux niveaux national et local, les stéréotypes de genre et les pratiques discriminatoires, en particulier dans les zones rurales, l’absence de volonté politique, et l’application d’une logique commerciale, marchande et financière aux terres et aux ressources naturelles. Le droit coutumier autochtone, la misogynie et les institutions existantes représentent également des obstacles. Les femmes et les filles autochtones sont souvent victimes de formes de discrimination croisée fondée sur le sexe, le genre, le handicap, et l’origine, le statut ou l’identité autochtone, qui se traduisent par la négation de leur pleine capacité juridique, laquelle accroît leur exposition à l’exploitation, à la violence et aux mauvais traitements, et sape leurs droits relatifs aux terres, aux territoires et aux ressources. De plus, les femmes et les filles autochtones lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes se heurtent régulièrement à des formes de discrimination croisée. Le Comité est préoccupé par la manifestation de cette dernière sous la forme des inégalités, de la discrimination et de la violence fondée sur le genre, qui frappent les femmes et les filles autochtones dans l’espace numérique, notamment sur Internet, les médias sociaux et toutes les plateformes technologiques.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) d’élaborer des politiques globales visant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones, axées sur la participation effective de celles vivant à l’intérieur et à l’extérieur des territoires autochtones, et d’étendre sa collaboration avec les peuples autochtones. Ces politiques devraient comprendre des mesures de lutte contre la discrimination intersectionnelle dont sont victimes les femmes et les filles autochtones, notamment celles qui présentent un handicap et celles qui sont atteintes d’albinisme  ; les femmes âgées  ; les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes  ; les femmes et les filles en situation de pauvreté  ; les femmes qui vivent en zones rurales et urbaines  ; les femmes déplacées de force, les réfugiées et les migrantes à l’intérieur et à l’extérieur de leur pays  ; les femmes et les filles veuves, chefs de famille ou orphelines à la suite de conflits armés nationaux et internationaux. Les États parties devraient collecter des données, ventilées par âge et handicap éventuel, sur les formes de discrimination et de violence fondées sur le genre dont sont victimes les femmes et les filles autochtones, et déployer ces efforts de façon à respecter la langue et la culture des peuples autochtones  ;

b) de fournir, dans leurs rapports périodiques au Comité, des informations sur les mesures législatives, judiciaires, administratives et budgétaires, et les mesures de suivi et d’évaluation, ainsi que d’autres mesures, qui ciblent en particulier les femmes et les filles autochtones  ;

c) d’abroger et de modifier tous les instruments législatifs et politiques, tels que les lois, les politiques, les réglementations, les programmes, les procédures administratives, les structures institutionnelles, les allocations budgétaires et les pratiques, qui exercent une discrimination directe ou indirecte à l’égard des femmes et des filles autochtones  ;

d) de garantir que les femmes autochtones jouissent de l’égalité devant la loi et ont la capacité de conclure des contrats, d’administrer leurs biens et d’en hériter sur un pied d’égalité, de garantir également la reconnaissance de la capacité juridique des femmes autochtones handicapées, et d’appuyer les mécanismes pour l’exercice de la capacité juridique  ;

e) d’adopter une législation afin de garantir pleinement le s droit des femmes et des filles autochtones relatifs aux terres, à l’eau et à d’autres ressources naturelles, notamment leur droit à un environnement propre, sain et durable, et la reconnaissance et le respect de leur égalité devant la loi, et de veiller à ce que les femmes autochtones des zones rurales et urbaines jouissent de l’égalité d’accès à la propriété, aux titres, à la possession et au contrôle de la terre, de l’eau, des forêts, de la pêche, de l’aquaculture et d’autres ressources qu’elles possèdent, occupent ou utilisent traditionnellement ou qu’elles ont acquises, y compris en les protégeant contre la discrimination et la dépossession  ;

f) de s’assurer que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un accès adéquat à des informations sur les lois existantes et les voies de recours leur permettant de faire valoir leurs droits en vertu de la Convention. Ces informations devraient être accessibles dans leur langue et dans des formes de communication adaptées à leur culture, comme les radios communautaires. Elles devraient également être disponibles pour les femmes et les filles handicapées en braille, en format facile à lire et à comprendre, en langue des signes et dans d’autres modes de communication  ;

g) de garantir que les femmes et les filles autochtones sont protégées de la discrimination perpétrée par les acteurs étatiques et non étatiques, notamment les entreprises et les sociétés, à l’intérieur et à l’extérieur de leur territoire, en particulier dans les domaines ayant trait à la participation politique, à la représentation, à l’éducation, à l’emploi, à la santé, à la protection sociale, au travail décent, à la justice et à la sécurité  ;

h) d’adopter des mesures efficaces pour reconnaître et protéger juridiquement les terres, les territoires, les ressources naturelles, la propriété intellectuelle, les connaissances scientifiques, techniques et autochtones, les informations génétiques et l’héritage culturel des peuples autochtones, et de prendre des mesures pour garantir le plein respect du droit au consentement préalable, libre et éclairé, à l’autodétermination d’un projet de vie et à la participation effective, en particulier des groupes de femmes et de filles autochtones marginalisés, comme les personnes handicapées, aux processus de prise de décisions sur les questions les concernant  ;

i) de prendre des mesures efficaces pour éliminer et prévenir toutes les politiques d’assimilation forcée et autres dispositifs de négation des droits culturels et autres droits garantis aux peuples autochtones, notamment le droit à une enquête rapide, à la reddition de comptes, à la justice et à des réparations pour les politiques et pratiques d’assimilation passées et présentes qui mettent grandement en péril l’identité culturelle autochtone, et d’établir et de garantir des organes pour la vérité, la justice et la réconciliation dotés de ressources adéquates et suffisantes.

B.Accès à la justice et aux systèmes juridiques pluriels

L’accès à la justice des femmes autochtones requiert une approche multidisciplinaire et globale reposant sur l’idée que celui-ci est lié à d’autres problématiques relatives aux droits humains que rencontrent les femmes autochtones, notamment le racisme, la discrimination raciale et les effets du colonialisme ; la discrimination fondée sur le sexe et le genre ; la discrimination fondée sur la situation socioéconomique ; la discrimination fondée sur le handicap ; les obstacles entravant l’accès aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles ; l’absence de services de santé et d’éducation adaptés et pertinents sur le plan culturel ; les perturbations de la vie spirituelle et les menaces pesant sur cette dernière. Comme établi par d’autres mécanismes mondiaux des droits humains, les peuples autochtones doivent jouir d’un accès à la justice garanti à la fois par l’État et les systèmes coutumiers et juridiques autochtones.

Le Comité rappelle que le droit des peuples autochtones de maintenir leurs propres structures et systèmes judiciaires est une composante fondamentale de leur droit à l’autonomie et à l’autodétermination. Toutefois, les systèmes judiciaires autochtones et leurs pratiques devraient être conformes aux normes internationales relatives aux droits humains, comme établi dans la Déclaration. Le Comité considère la Convention comme un document de référence important dans les affaires de discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones, tant pour les systèmes judiciaires non autochtones qu’autochtones.

Dans sa recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, le Comité a défini six composantes essentielles de l’accès à la justice. Ces composantes interdépendantes – justiciabilité, disponibilité, accessibilité, bonne qualité, offre de voies de recours pour les victimes et obligation de rendre compte des systèmes de justice – sont également applicables aux femmes et filles autochtones, qui devraient bénéficier d’un accès à la justice et de voies de recours intégrant une démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité, telle que définie aux paragraphes 4 et 5 de la présente recommandation générale.

Conformément à ces six composantes essentielles, les États doivent garantir que tous les systèmes de justice, autochtones et non autochtones, agissent de manière opportune pour offrir des recours adaptés et utiles aux femmes et aux filles autochtones qui sont victimes et rescapées de la discrimination et de la violence fondée sur le genre. Y parvenir suppose de disposer d’interprètes, de traducteurs, d’anthropologues, de psychologues, de professionnels de santé, de juristes, de médiateurs culturels expérimentés et de représentants des autorités spirituelles et médicinales autochtones, ainsi que de former le personnel à la réalité, à la culture et au point de vue des femmes et des filles autochtones, en tenant compte des questions de genre. Les systèmes de justice devraient être dotés de méthodes de collecte des preuves appropriées et compatibles avec la culture et le point de vue des femmes et des filles autochtones. Les représentants de la justice devraient régulièrement être formés aux droits des femmes et des filles autochtones, et aux dimensions individuelles et collectives de leur identité, le but étant qu’ils détiennent un degré de compétence suffisant sur la culture autochtone. À cet égard, il est essentiel de respecter la conception différente qu’ont les systèmes non autochtones et autochtones de la justice et des processus, et d’activement écouter et associer les peuples autochtones. La justice peut être un processus de réconciliation et de guérison pour ces derniers, l’objectif étant de rétablir l’harmonie dans leurs territoires et communautés. Les États devraient se montrer proactifs en recrutant et en nommant des juges autochtones de sexe féminin.

Les États parties devraient veiller à l’établissement, au fonctionnement et au financement de tribunaux, d’organes judiciaires et d’autres organes dans tous les territoires des zones urbaines, rurales et reculées. De plus, les systèmes de justice autochtones devraient être facilement accessibles, adaptés et efficaces. Des informations sur l’accès aux voies de recours judiciaires dans les systèmes non autochtones et autochtones devraient être rendues accessibles aux femmes et aux filles autochtones, et diffusées auprès d’elles. Des services judicaires de base et une aide juridictionnelle gratuite devraient être disponibles à proximité des femmes et des communautés autochtones. Les États doivent adopter des mesures pour faire en sorte que les femmes autochtones sachent où demander justice et que les systèmes judiciaires soient accessibles, justes et peu onéreux.

Les femmes autochtones sont entravées dans leur accès aux systèmes de justice non autochtones et autochtones, problème qui peut être particulièrement prononcé pour les femmes et les filles autochtones qui présentent un handicap. Leur droit à un recours judiciaire est régulièrement nié. Par conséquent, de nombreux actes de discrimination et de violence fondée sur le genre commis à l’égard des femmes et des filles autochtones restent impunis. Les obstacles qu’elles rencontrent dans leur accès à la justice et aux réparations sont notamment le manque d’informations en langues autochtones sur les recours judicaires offerts par les systèmes de justice non autochtones et autochtones ; les frais d’avocat et l’absence d’aide juridictionnelle gratuite ; le manque de respect des garanties d’un procès équitable ; l’absence d’interprètes, notamment en langue des signes ; les frais de justice ; l’éloignement des tribunaux ; les représailles contre ceux et celles qui dénoncent des crimes ; le manque de cartes d’identité ou d’autres formes d’identification ; le déficit de formation du personnel judiciaire aux droits et besoins particuliers des femmes et des filles autochtones. Celles qui sont en situation de handicap se heurtent fréquemment à des obstacles ayant trait à l’accessibilité physique des bâtiments qui abritent les services de la police et de la justice, et à l’accessibilité des informations essentielles, des transports, des communications, des procédures et des services d’aide.

Dans les systèmes de justice non autochtones, les femmes et les filles autochtones sont fréquemment victimes de racisme, de discrimination raciale structurelle et systémique, et de formes de marginalisation, et doivent souvent participer à des procédures qui ne sont pas adaptées sur le plan culturel, et ne tiennent pas compte des traditions et des pratiques autochtones. Les structures judiciaires reflètent souvent un colonialisme latent. Parmi les obstacles entravant l’accès à la justice, on peut citer l’éloignement des territoires autochtones, qui force les femmes et les filles autochtones à parcourir de longues distances pour déposer plainte ; l’analphabétisme ; le manque de connaissance des lois et recours judiciaires existants. Souvent, les femmes autochtones n’ont pas accès aux services d’interprétation qui leur permettraient de prendre pleinement part aux procédures judiciaires et les méthodes de collecte des preuves ne sont pas suffisamment adaptées à leur culture. Dans les rangs du personnel judiciaire, il y a un manque criant de formation aux droits individuels et collectifs des femmes et des filles autochtones. De plus, ces dernières ont un accès limité à une prise en charge médicale spécialisée en cas de viol ou de violence sexuelle.

Souvent, les systèmes de justice autochtones sont principalement constitués d’hommes et exercent une discrimination à l’égard de femmes et des filles, ne leur accordant qu’un espace limité pour participer, exprimer leurs inquiétudes et occuper des fonctions décisionnelles. Par le passé, le Comité s’est déjà dit préoccupé par l’influence des stéréotypes de genre sur les activités des systèmes juridiques autochtones. En général, il a recommandé aux systèmes de justice autochtones et non autochtones d’adopter des mesures afin de se conformer aux normes internationales relatives aux droits humains.

Les femmes autochtones tendent à être surreprésentées dans les prisons, en raison de la détention provisoire, et sont victimes de discrimination, de violence fondée sur le genre, de traitements inhumains et de formes de torture lorsqu’elles ont enfreint la loi. Ces problèmes sont aggravés par les déficiences de l’appui juridique fourni par les conseils au titre de l’aide judiciaire. Le Comité rappelle le droit de chaque fille autochtone ayant enfreint la loi à un procès équitable, à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de veiller à ce que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un accès effectif aux systèmes de justice non autochtones et autochtones, sans être victimes de discrimination raciale et/ou fondée sur le genre, de biais, de stéréotypes et de représailles  ;

b) d’adopter des mesures pour garantir l’accès physique des femmes et des filles autochtones présentant un handicap aux bâtiments de la police et de la justice, à l’information, aux transports, aux services d’aide et aux procédures indispensables à leur accès à la justice  ;

c) de proposer des formations continues aux juges et à l’ensemble des responsables de l’application des lois des systèmes de justice non autochtones et autochtones sur les droits des femmes et des filles autochtones, et la nécessité de rendre justice selon une démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité, comme établi aux paragraphes 4 et 5. La formation à la justice autochtone devrait faire partie de la formation de tous les professionnels de la justice  ;

d) de recruter, de former et de nommer des femmes aux postes de juges et à d’autres postes au sein des tribunaux des systèmes de justice non autochtones et autochtones  ;

e) de garantir l’égalité d’accès à la justice de toutes les femmes et filles autochtones, notamment en proposant à celles qui en ont besoin en raison de leur âge, d’un handicap ou d’une maladie des aménagements et des ajustements procéduraux, notamment des services d’interprétation en langue des signes et d’autres aides à la communication, ainsi que des délais plus longs pour la soumission de documents  ;

f) de s’assurer que les systèmes de justice comptent en leur sein des interprètes, des traducteurs, des anthropologues, des psychologues et des professionnels de santé spécialisés dans les besoins des femmes et des filles autochtones et formés à ces derniers, en accordant la priorité aux femmes autochtones qualifiées , et de fournir des informations sur les recours judiciaires proposés dans les langues autochtones et dans des formats accessibles dans les systèmes non autochtones et autochtones. Des campagnes de sensibilisation devraient être organisées afin de faire connaître ces recours et procédures judiciaires, ainsi que les outils de signalement des cas de violence structurelle et systémique. Les mécanismes de suivi sont essentiels dans les affaires de violence fondée sur le genre et de discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones  ;

g) de faire en sorte que les femmes et les filles autochtones qui ne disposent pas de moyens suffisants et qui se sont vues retirer leur capacité juridique aient accès à une aide juridictionnelle gratuite et de qualité, notamment dans les affaires de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre. Les États parties devraient soutenir les organisations non gouvernementales qui fournissent une aide juridictionnelle gratuite et spécialisée aux femmes et aux filles autochtones  ;

h) de garantir que les institutions, les recours et les services juridiques sont disponibles dans les zones urbaines et à proximité des territoires autochtones  ;

i) d’adopter des mesures et des politiques pénales, civiles et administratives tenant compte de la pauvreté, du racisme et de la violence fondée sur le genre historiques dont les femmes et les filles autochtones ont été et continuent d’être victimes  ;

j) de prendre des mesures pour garantir que toutes les femmes et les filles autochtones ont accès à des informations et des connaissances sur les lois existantes, l’ordonnancement juridique et les voies d’accès aux systèmes de justice non autochtones et autochtones. Ces mesures peuvent prendre la forme de campagnes de sensibilisation, de formations communautaires et de cliniques juridiques mobiles proposant ces informations  ;

k) de veiller à ce que les femmes et les filles autochtones jouissent effectivement de leur droit à un procès équitable, à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi  ;

l) de faire en sorte que les réparations intégrales des violations des droits humains, notamment la prise en compte du préjudice spirituel et collectif, soient une composante clé de l’administration de la justice des systèmes non autochtones et autochtones.

V.Obligations générales relatives aux aspects particuliers des droits des femmes et des filles autochtones incombant aux États parties

A.Protection des femmes et des filles autochtones contre la violence fondée sur le genre et prévention de ce phénomène (art. 3, 5, 6, 10 c), 11, 12, 14 et 16)

La violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones constitue une forme de discrimination au sens de l’article premier de la Convention et, de ce fait, concerne l’ensemble de ses obligations. Conformément à l’article 2, les États parties doivent prendre des mesures sans tarder pour prévenir et éliminer toutes les formes de discrimination fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones. De même, l’article 22 de la Déclaration exige des États qu’ils accordent une attention particulière à la pleine protection des droits des femmes autochtones et qu’ils garantissent le droit de ces dernières de vivre une vie exempte de violence et de discrimination. L’interdiction de la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre est un principe du droit international coutumier et s’applique aux femmes et aux filles autochtones.

La violence fondée sur le genre touche de manière disproportionnée les femmes et les filles autochtones. Les statistiques disponibles montrent que celles-ci ont davantage de risques d’être victimes de viol que les femmes non autochtones. On estime qu’une femme autochtone sur trois est victime de ce phénomène au cours de sa vie. Certes, il existe de plus en plus de données sur l’ampleur, la nature et les conséquences de la violence fondée sur le genre à l’échelle mondiale mais les connaissances sur son incidence sur les femmes autochtones sont limitées et tendent à varier grandement selon l’angle adopté et la région. Le Comité rappelle que les États doivent faire des efforts pour collecter des données, en collaboration avec les organisations et les communautés autochtones, afin de comprendre l’étendue du problème que représente la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones. Il rappelle également qu’ils doivent lutter contre la discrimination, les stéréotypes et la légitimation sociale de la violence fondée sur le genre à leur encontre.

Le Comité est préoccupé par les nombreuses formes de violence fondée sur le genre perpétrées à l’encontre des femmes et des filles autochtones, actes qui se produisent dans tous les espaces et sphères d’interaction humaine, notamment la famille, la communauté, l’espace public, le lieu de travail, le milieu éducatif et l’espace numérique. Cette violence peut être psychologique, physique, sexuelle, économique ou politique, ou prendre la forme d’actes de torture. Les femmes et les filles autochtones sont souvent victimes de violence spirituelle, laquelle porte préjudice à l’identité de leurs communautés et à leur rapport à leur vie spirituelle, leur culture, leurs territoires, leur environnement et leurs ressources naturelles. La violence à l’égard des femmes et des filles autochtones handicapées et des femmes autochtones âgées est fréquente dans les institutions, en particulier celles qui empêchent tout lien avec l’extérieur et appliquent une ségrégation. Les femmes et les filles autochtones sont souvent victimes de viols, de harcèlement, de disparitions, de meurtres et de féminicides.

Les déplacements forcés constituent une forme majeure de violence à l’égard des femmes et les filles autochtones, rompant leur lien avec leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles, et chamboulant de manière permanente leurs projets de vie et leurs communautés. Celles-ci subissent aussi les répercussions négatives de la violence environnementale, qui peut prendre la forme de dégâts environnementaux, de dégradation et de pollution de l’environnement ou de l’incapacité de l’État de prévenir des dommages prévisibles liés aux changements climatiques. Parmi les autres formes de violence à leur égard, on peut citer l’exploitation de la prostitution ; les formes contemporaines d’esclavage, comme la servitude domestique ; la gestation pour autrui forcée ; le fait d’accuser les femmes âgées non mariées d’être des sorcières ou d’être en relation avec les mauvais esprits ; la stigmatisation des femmes mariées qui ne peuvent pas avoir d’enfants ; les mutilations génitales féminines. Le Comité souligne, en particulier, le problème de la traite des femmes et des filles autochtones, qui résulte de la militarisation de territoires autochtones par l’armée, du crime organisé, de l’exploitation minière et forestière, et des activités des cartels de la drogue, ainsi que de l’expansion des bases militaires sur les terres et territoires autochtones.

La violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones ne fait l’objet que de très peu de signalements et les responsables jouissent souvent de l’impunité car l’accès de celles-ci à la justice est extrêmement limité, et les systèmes de justice pénale sont biaisés et partiaux. Le racisme, la marginalisation, la pauvreté, et la consommation d’alcool et de substances accroît le risque de violence fondée sur le genre à leur égard. Les femmes et les filles autochtones subissent des actes de violence fondée sur le genre perpétrés ou tolérés tant par les acteurs étatiques que non étatiques. Les acteurs étatiques sont, entre autres, les autorités, les forces armées, les forces de l’ordre et les institutions publiques, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation et dans les prisons. Les acteurs non étatiques sont, par exemple, les particuliers, les entreprises, les sociétés privées, les groupes paramilitaires et rebelles, les acteurs illégaux et les institutions religieuses.

Les États parties ont l’obligation d’exercer leur devoir de précaution en prévenant les actes de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones, en enquêtant sur les faits, en punissant les responsables et en indemnisant les victimes. Cette obligation vaut pour les systèmes de justice non autochtones et autochtones. Le devoir de précaution devrait être exercé en intégrant une démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité, comme établi aux paragraphes 4 et 5, et en gardant à l’esprit les causes et les conséquences genrées de la violence subie par les femmes autochtones.

La violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones nuit au tissu spirituel, culturel et social collectif des peuples autochtones et de leurs communautés, et a des répercussions négatives sur la collectivité et, parfois, sur plusieurs générations. La violence sexuelle à l’égard des femmes et des filles autochtones a été utilisée par différents acteurs dans des conflits armés et en période de troubles comme arme de guerre et stratégie pour contrôler les communautés autochtones et leur nuire.

Les États devraient se doter d’un cadre juridique efficace et de services d’appui adaptés afin de lutter contre la violence sexuelle fondée sur le genre. Ces cadres doivent reposer sur des mesures visant à prévenir de tels actes, enquêter sur les faits et punir les responsables, et à aider et indemniser les femmes et les filles autochtones victimes de ce phénomène, ainsi que sur des services pour combattre et atténuer les effets néfastes de la violence fondée sur le genre. Cette obligation générale s’étend à tous les domaines d’intervention de l’État, notamment aux branches législative, exécutive et judiciaire, aux niveaux régional, national et local, ainsi qu’aux services privatisés. Elle nécessite de formuler des règles de droit, notamment au niveau constitutionnel, et de concevoir des politiques publiques, des programmes, des cadres institutionnels et des mécanismes de suivi destinés à éliminer toutes les formes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones, qu’elles soient commises par des acteurs étatiques ou non étatiques.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) d’adopter et de mettre effectivement en œuvre une législation visant à prévenir, interdire et combattre la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones, en intégrant une démarche tenant compte des questions de genre, de l’intersectionnalité, du point de vue des femmes et des filles autochtones, de l’interculturalité et de la multidisciplinarité, comme établi aux paragraphes 4 et 5. Cette législation et sa mise en œuvre devraient également tenir compte de manière adéquate du cycle de vie de toutes les femmes et filles autochtones, notamment de celles qui présentent un handicap  ;

b) de reconnaître, de prévenir, de combattre, de punir et d’éliminer toutes les formes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones, notamment la violence environnementale, spirituelle, politique, structurelle, institutionnelle et culturelle, ainsi que la violence attribuable aux industries extractives  ;

c) de garantir que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un accès rapide et effectif aux systèmes de justice non autochtones et autochtones, notamment aux ordonnances de protection et aux mécanismes de prévention, lorsque nécessaire, et que des enquêtes efficaces sont menées sur les affaires de disparition et de meurtre de femmes et de filles autochtones, sans aucune forme de discrimination et de biais  ;

d) d’abroger toutes les lois qui empêchent ou dissuadent les femmes et les filles autochtones de signaler des faits de violence fondée sur le genre, comme les lois relatives à la curatelle qui privent les femmes de leur capacité juridique ou restreignent la capacité des femmes handicapées de témoigner devant les tribunaux  ; la pratique dite du « refuge protégé »  ; les lois restrictives en matière d’immigration qui découragent les femmes, notamment les travailleuses domestiques migrantes et non migrantes, de dénoncer de tels actes de violence  ; les lois qui autorisent la double arrestation dans les affaires de violence domestique ou permettent de poursuivre les femmes lorsque les responsables sont acquittés  ;

e) de veiller à ce que des services d’aide, notamment de prise en charge médicale, d’appui psychosocial et de formation professionnelle, et des services de réintégration et des structures d’accueil soient disponibles, accessibles et adaptés à la culture des femmes et des filles autochtones victimes de violence fondée sur le genre. Tous ces services devraient être conçus selon une approche interculturelle et multidisciplinaire, comme établi au paragraphe 5, et être dotés de ressources financières suffisantes  ;

f) de fournir aux femmes et aux filles autochtones rescapées de la violence fondée sur le genre les moyens d’accéder au système juridique pour signaler ces actes de violence. Ces moyens comprennent, par exemple, les transports, l’aide juridictionnelle et la représentation juridique, et l’accès aux informations dans les langues autochtones  ;

g) d’exercer leur devoir de précaution en prévenant toutes les formes de violence, de traitement inhumain et de torture à l’encontre des femmes et des filles autochtones privées de liberté. Les États doivent s’assurer que lorsque de tels actes se produisent, ils font l’objet d’une enquête et de sanctions adaptées. De plus, ils devraient adopter des mesures pour garantir que les femmes et les filles autochtones privées de liberté savent où et comment signaler ces actes. Ils devraient accorder la priorité à des politiques et programmes visant à promouvoir la réintégration sociale des femmes et des filles autochtones qui ont été privées de liberté, dans le respect de leur culture, de leurs opinions et de leur langue  ;

h) de s’acquitter des obligations leur incombant au titre du droit international des droits humains et du droit international humanitaire en situation de conflit armé, notamment l’interdiction de toutes les formes de discrimination et de violence fondée sur le genre à l’égard des civils et des combattants ennemis, ainsi que de tout préjudice aux terres, aux ressources naturelles et à l’environnement  ;

i) de systématiquement collecter des données ventilées et de réaliser des études, en collaboration avec les communautés et les organisations autochtones, afin d’évaluer la magnitude, la gravité et les causes profondes de la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones, en particulier de la violence et de l’exploitation sexuelles, l’objectif étant d’orienter les mesures visant à prévenir et combattre de tels actes.

B.Droit à la participation effective à la vie politique et publique (art. 7, 8 et 14)

Les femmes et les filles autochtones sont généralement exclues des processus de prise de décisions locaux, nationaux et internationaux, ainsi qu’au sein de leurs propres communautés et systèmes autochtones. En vertu de l’article 7 de la Convention, elles ont le droit de participer de manière effective à tous les niveaux de la vie politique, publique et communautaire. Ce droit inclut la participation aux processus de prise de décisions menés au sein de leur communauté, ainsi qu’avec les autorités ancestrales et d’autres autorités ; la participation aux processus d’obtention du consentement et de consultation portant sur des activités économiques menées par l’État et des acteurs privés sur les territoires autochtones ; l’accès aux postes de la fonction publique et aux postes décisionnels aux niveaux local, national, régional et international ; leur action en tant que défenseuses des droits humains.

Les femmes et les filles autochtones se heurtent à des obstacles multiples et croisés qui entravent leur participation pleine, effective et réelle. Ces obstacles sont notamment la violence politique ; le manque ou l’inégalité d’accès à l’éducation ; l’analphabétisme ; le racisme ; le sexisme ; la discrimination fondée sur la classe sociale ou la situation économique ; les contraintes linguistiques ; la nécessité de parcourir de longues distances pour avoir accès à n’importe quelle forme de participation ; le refus d’accès aux services de santé, notamment aux services et aux droits en matière de santé sexuelle et reproductive ; le manque d’accès aux processus juridiques, politiques, institutionnels, communautaires ou civils permettant de voter, de se porter candidate à une fonction élective, d’organiser des campagnes et d’obtenir un financement, ainsi que le manque d’appui économique et d’informations à ces fins. Les obstacles à la participation peuvent être particulièrement hauts dans le contexte des conflits armés, notamment des processus de justice transitionnelle, dans le cadre desquels les femmes et les filles autochtones et les organisations qui les représentent sont souvent exclues des négociations de paix ou attaquées et menacées lorsqu’elles tentent de participer. Les États parties devraient agir sans tarder pour faire en sorte que toutes les femmes et les filles autochtones aient accès à des ordinateurs, à Internet et à d’autres formes de technologie afin de faciliter leur pleine inclusion dans le monde numérique.

Le Comité n’ignore pas les menaces qui pèsent sur les défenseuses autochtones des droits humains, dont l’action est protégée par le droit à la participation à la vie politique et publique. Un risque particulier pèse sur les femmes et les filles autochtones défenseuses des droits humains liés à l’environnement qui promeuvent leurs droits relatifs aux terres et aux territoires, et celles qui s’opposent à la mise en œuvre de projets de développement n’ayant pas obtenu le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones concernés. Dans nombre de cas, les femmes et les filles autochtones qui défendent les droits humains sont victimes de meurtres, de menaces et de harcèlement, de détentions arbitraires et de formes de torture, et voient leur action criminalisée, stigmatisée et discréditée. De nombreuses organisations de défense des femmes et des filles autochtones peinent à être reconnues comme entités juridiques au niveau national, statut sans lequel il leur est difficile d’accéder au financement et de travailler de manière libre et indépendante. Le Comité estime que les États parties devraient adopter immédiatement des mesures tenant compte des questions de genre afin de reconnaître, soutenir et protéger publiquement la vie, la liberté, la sécurité et l’autodétermination des femmes et des filles autochtones défenseuses des droits humains, et de garantir des conditions sûres et un environnement propice afin qu’elles puissent mener leur action, sans discrimination, racisme, meurtres, harcèlement et violence.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de promouvoir, conformément aux recommandations générales n o 23 (1997) sur la participation des femmes à la vie politique et publique et n o 25 (2004) sur les mesures temporaires spéciales, et aux articles 18, 19, 32.1 et 44 de la Déclaration, la participation effective, réelle et éclairée des femmes et des filles autochtones à tous les niveaux de la vie politique et publique, notamment aux postes de prise de décisions, par exemple par l’adoption de mesures temporaires spéciales, comme des quotas, des cibles, des incitations et des efforts visant à garantir une représentation paritaire  ;

b) d’établir des mécanismes de redditions de comptes afin d’empêcher les partis politiques et les syndicats d’exercer une discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones, et de garantir que ces dernières ont accès à des voies de recours judiciaire efficaces tenant compte des questions de genre afin de signaler ces violations lorsqu’elles se produisent. Il est essentiel de former les fonctionnaires au droit des femmes et des filles autochtones à la participation effective à la vie publique  ;

c) de diffuser des informations accessibles auprès des femmes et des filles autochtones, ainsi que de la société en général, sur les possibilités qui s’offrent à elles d’exercer leur droit de vote, de participer à la vie publique et de se porter candidates, et de promouvoir le recrutement des femmes autochtones dans la fonction publique, notamment au niveau décisionnel. Les mesures visant à faciliter l’accessibilité des femmes et des filles handicapées peuvent notamment porter sur l’utilisation de la langue des signes, des formats faciles à lire et à comprendre et du braille  ;

d) d’exercer leur devoir de précaution afin de prévenir toutes les formes de violence politique à l’égard des femmes autochtones politiques, candidates, défenseuses des droits humains et militantes aux niveaux national, local et communautaire, d’enquêter sur ces actes et d’en poursuivre les auteurs, et de reconnaître et respecter les formes ancestrales d’organisation et d’élection des représentants  ;

e) de faciliter, promouvoir et garantir l’accès des femmes autochtones aux fonctions politiques en finançant leurs campagnes, en dispensant des formations, en créant des incitations, en menant des activités de sensibilisation à l’intention des partis politiques afin de les inciter à nommer des femmes autochtones candidates et en fournissant des services de santé et de garde d’enfant adaptés, ainsi que des services d’aide à la prise en charge des personnes âgées, d’adopter les mesures et les réformes législatives nécessaires pour garantir le droit à la participation politique des femmes et des filles, et d’établir des mécanismes d’incitation et de suivi, ainsi que des pénalités pour les partis politiques qui ne mettraient pas en place de mesures temporaires spéciales pour accroître la participation politique des femmes et des filles autochtones  ;

f) de veiller à ce que les activités économiques, notamment celles liées à l’exploitation forestière, au développement, aux investissements, au tourisme, à l’extraction, à l’exploitation minière, aux programmes d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à ces phénomènes, et aux projets de conservation, soient uniquement menées sur les territoires autochtones et les zones protégées avec la participation effective des femmes autochtones, notamment le plein respect de leur droit au consentement préalable, libre et éclairé, et dans le cadre de processus de consultation adéquats. Il est indispensable que ces activités n’aient pas d’incidence néfaste sur les droits humains, notamment ceux des femmes et des filles autochtones  ;

g) de garantir et de créer, conformément à la recommandation générale n o 30 (2013) sur les femmes dans la prévention des conflits, les conflits et les situations d’après conflit, et à la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité et ses résolutions ultérieures, des espaces permettant aux femmes et aux filles autochtones de participer en tant que décideuses et actrices aux efforts de consolidation de la paix et aux processus de justice transitionnelle  ;

h) de prendre des mesures proactives et efficaces pour reconnaître, soutenir et protéger la vie, l’intégrité et le travail des défenseuses autochtones des droits humains, et de faire en sorte que celles-ci mènent leur action dans des environnements sûrs, favorables et inclusifs. Les États devraient notamment veiller à la création de mécanismes gouvernementaux spécialisés visant à protéger les défenseuses des droits humains, en collaboration avec les peuples autochtones et avec la participation pleine et effective de ces derniers.

C.Droit à l’éducation (art. 5 et 10)

Les femmes et les filles autochtones font face à de nombreux obstacles les empêchant de s’inscrire dans des établissements, d’y rester et de terminer leurs études à tous les niveaux d’éducation et dans des domaines non traditionnels. Les principaux obstacles sont notamment l’absence d’établissements éducatifs conçus, créés ou contrôlés par les peuples autochtones ; la pauvreté ; les stéréotypes sexistes discriminatoires et la marginalisation ; la pertinence culturelle limitée des programmes scolaires ; le fait que l’enseignement est dispensé uniquement dans la langue dominante ; la rareté de l’éducation sexuelle. Les femmes et les filles autochtones doivent souvent parcourir de longues distances pour se rendre dans les établissements scolaires et sont exposées à la violence fondée sur le genre sur leur chemin et à leur arrivée. Dans les établissements, elles peuvent être victimes de violence sexuelle, de châtiments corporels et de harcèlement. La violence et la discrimination fondées sur le genre dans le domaine de l’éducation sont particulièrement aiguës lorsque des politiques d’assimilation forcée sont appliquées dans les établissements. Les femmes autochtones qui présentent un handicap se heurtent à des difficultés particulières pour ce qui est de l’accès et de la rétention, notamment le manque d’accessibilité physique ; le refus des responsables d’établissement de les accueillir ; le fait que l’éducation des enfants handicapés reposent sur des établissements distincts. Les mariages forcés et/ou d’enfants, la violence sexuelle et les grossesses chez les adolescentes, la charge disproportionnée des responsabilités familiales, le travail des enfants, les catastrophes naturelles et les conflits armés sont autant de facteurs qui peuvent freiner l’accès des filles autochtones à l’école.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de veiller à ce que les femmes et les filles jouissent pleinement de leur droit à l’éducation  :

i) en garantissant leur égalité d’accès à un enseignement de qualité à tous les niveaux d’éducation, notamment en aidant les peuples autochtones à concrétiser les droits garantis par les articles 14 et 15 de la Déclaration  ;

ii) en luttant contre les stéréotypes discriminatoires liés à l’origine, l’histoire et la culture autochtones, et aux expériences des femmes et des filles autochtones  ;

iii) en créant des programmes de bourses et d’aide financière afin de promouvoir l’inscription des femmes et des filles autochtones dans des établissements scolaires, notamment dans des domaines non traditionnels tels que les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques, et les technologies de l’information et des communications (TIC), et de reconnaître et de protéger le savoir autochtone et les contributions des peuples autochtones, notamment des femmes, aux sciences et aux technologies  ;

iv) en établissant des systèmes de soutien interdisciplinaire pour les femmes et les filles autochtones afin de réduire leur part inégale de travail domestique non rémunéré, et de combattre les mariages d’enfants et d’aider les victimes à signaler les actes de violence fondée sur le genre et l’exploitation par le travail. Les réseaux de soutien social devraient être opérationnels, efficaces et accessibles, et tenir compte des aspects culturels  ;

b) de garantir un enseignement de qualité inclusif, accessible et abordable à toutes les femmes et les filles autochtones, y compris à celles en situation de handicap. Les États devraient lever les obstacles, et fournir des ressources et des structures adéquates afin de s’assurer que les femmes et les filles autochtones handicapées ont accès à l’éducation. Ils devraient garantir la disponibilité d’une éducation sexuelle adaptée à l’âge en s’appuyant sur les travaux de recherche scientifique  ;

c) de promouvoir l’adoption de programmes scolaires tenant compte de l’éducation, des langues, de la culture, de l’histoire, des systèmes de connaissances et de l’épistémologie des peuples autochtones . Ces efforts devraient être déployés dans tous les établissements, y compris les établissements d’enseignement général. Ces programmes scolaires devraient être adoptés avec la participation des femmes et des filles autochtones.

D.Droit au travail (art. 11 et 14)

Les femmes autochtones ont un accès limité à l’emploi décent, sûr et rémunéré de manière adéquate, ce qui détermine leur niveau d’autonomie économique. Elles contribuent de façon significative au secteur agricole mais sont surreprésentées dans l’agriculture de subsistance ; les emplois peu qualifiés, à mi-temps, saisonniers, mal rémunérés ou non rémunérés ; les activités exercées à domicile. Un nombre important de femmes et de filles autochtones occupent également des emplois domestiques faiblement rémunérés et dans des conditions de travail dangereuses. Leur surreprésentation dans l’emploi informel est synonyme de revenus, de prestations et d’une protection sociale faibles. De plus, elles sont confrontées à des stéréotypes de genre discriminatoires et des préjugés raciaux sur le lieu de travail, notamment l’interdiction fréquente de porter leurs habits traditionnels ou de parler leur langue. Les femmes autochtones font souvent face à des formes de violence fondée sur le genre et de harcèlement au travail, et la manière dont elles sont traitées peut être constitutive de travail forcé et de formes d’esclavage. Les États devraient garantir l’égalité des chances des femmes et des filles autochtones afin que celles-ci puissent accéder à l’éducation et à la formation dont elles ont besoin pour améliorer leurs perspectives professionnelles et pour faciliter leur transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. De plus, ils devraient faire en sorte que les peuples et les femmes autochtones continuent d’exercer leurs activités et d’en tirer profit, sans discrimination.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de garantir des conditions de travail égales, sûres, justes et favorables, et la sécurité de revenu aux femmes et aux filles autochtones, notamment  :

i) en élargissant et promouvant les possibilités de formation technique et professionnelle qui s’offrent à elles  ;

ii) en améliorant les possibilités pour les femmes autochtones de gérer une affaire et de devenir entrepreneuses. Les États devraient soutenir les entreprises dirigées par des femmes autochtones et aider les communautés autochtones à générer de la richesse en facilitant l’accès aux capitaux et aux débouchés commerciaux  ;

iii) en favorisant leur transition de l’économie informelle à l’économie formelle si elles le souhaitent  ;

iv) en préservant la santé et la sécurité au travail des femmes autochtones dans toutes les formes d’emploi  ;

v) en étendant la couverture de la protection sociale et en offrant des services de garde d’enfant adaptés aux femmes autochtones, en particulier celles qui travaillent à leur compte  ;

vi) en s’assurant que les peuples et les femmes autochtones continuent d’exercer leurs activités et d’en tirer profit, sans discrimination, et en garantissant les droits collectifs relatifs aux terres sur lesquelles ces activités sont menées  ;

vii) en intégrant pleinement le droit à des conditions de travail justes et favorables et le principe d’un salaire égal pour un travail de valeur égale dans les cadres juridiques et politiques, en accordant une attention particulière aux femmes et aux filles autochtones qui travaillent légalement . Les États parties devraient promouvoir l’entrepreneuriat en veillant à ce que les femmes autochtones bénéficient de l’égalité d’accès aux prêts et à d’autres formes de crédit financier, sans garanties, afin de leur permettre de créer leur propre entreprise et d’atteindre l’autonomie économique  ;

b) de prendre des mesures pour prévenir la discrimination, le racisme, les stéréotypes, la violence fondée sur le genre et le harcèlement sexuel à l’égard des femmes autochtones sur le lieu de travail, et d’établir et d’appliquer des mécanismes de signalement et de responsabilité efficaces, notamment au moyen d’inspections du travail régulières  ;

c) de faire en sorte que les femmes et les filles autochtones aient accès à la formation technique et professionnelle, notamment dans les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques, ainsi que dans les TIC et dans d’autres domaines dont les peuples autochtones sont traditionnellement exclus.

E.Droit à la santé (art. 10 et 12)

Les femmes et les filles autochtones jouissent d’un accès limité aux services de santé, notamment aux services et aux informations en matière de santé sexuelle et reproductive, et se heurtent à la discrimination raciale et fondée sur le genre au sein des systèmes de santé. Leur consentement préalable, libre et éclairé n’est souvent pas respecté dans le secteur médical. Les professionnels de santé ont souvent des préjugés raciaux et sexistes, sont peu soucieux de la réalité, de la culture et des opinions des femmes autochtones, ne parlent pas les langues autochtones, et ne proposent que rarement des services respectant la dignité, l’intimité, le consentement éclairé et l’autonomie reproductive des femmes autochtones. Ces dernières peinent fréquemment à accéder à des informations et une éducation en matière de santé sexuelle et reproductive, notamment sur les méthodes de planification familiale, la contraception, et l’accès à l’avortement sécurisé et légal. Elles sont souvent victimes de violence fondée sur le genre au sein du système de santé, notamment de violence obstétricale ; de pratiques coercitives, comme la stérilisation non consentie ou la contraception forcée ; d’entraves à leur capacité de décider du nombre de naissances et de leur espacement. Les sages-femmes et les accoucheuses autochtones sont souvent criminalisées, et leurs connaissances techniques sont sous-évaluées par les systèmes de santé non autochtones. Les pandémies ont une incidence disproportionnée sur les femmes et les filles autochtones, et les États parties doivent garantir leur accès à des services de santé, de dépistage et de vaccination adaptés à leur culture durant ces situations d’urgence.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de s’assurer que les services et les infrastructures de santé de qualité sont disponibles, accessibles, abordables, adaptés sur le plan culturel et acceptables pour les femmes et les filles autochtones, notamment celles qui présentent un handicap, les femmes âgées, et les femmes et les filles lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes, et de veiller à ce que le consentement préalable, libre et éclairé, la confidentialité et la vie privée soient respectés dans le cadre de la prestation de services  ;

b) de garantir que les femmes et les filles autochtones reçoivent rapidement des informations complètes et exactes, dans des formats accessibles, sur les services de santé sexuelle et reproductive, et l’accès abordable à ces services, notamment l’avortement sécurisé et les formes modernes de contraception  ;

c) de faire en sorte que des informations relatives à la santé soient largement diffusées dans les langues autochtones, notamment dans les médias conventionnels et sur les médias sociaux  ;

d) de garantir la reconnaissance des systèmes de santé, du savoir ancestral, des pratiques, des sciences et des technologies autochtones, et de prévenir et punir la criminalisation de ces derniers  ;

e) de dispenser aux professionnels de santé, notamment aux agents de santé communautaire et aux accoucheuses, qui traitent les femmes et les filles autochtones, des formations tenant compte des questions de genre et de la culture, ainsi que d’une démarche soucieuse du genre et de l’interculturalité, comme établi aux paragraphes 4 et 5, et d’encourager les femmes autochtones à choisir un métier dans le secteur médical  ;

f) d’adopter des mesures pour prévenir toutes les formes de violence fondée sur le genre, les pratiques coercitives, la discrimination, les stéréotypes sexistes et les préjugés raciaux dans le cadre de la fourniture de services de santé.

F.Droit à la culture (art. 3, 5, 13 et 14)

La culture est une composante essentielle de la vie des femmes et des filles autochtones. Elle est intrinsèquement liée à leurs terres, à leurs territoires, à leur histoire et à leurs dynamiques communautaires. Il existe de nombreuses sources de culture pour les femmes et les filles autochtones, notamment la langue, les vêtements, la cuisine, les pratiques médicinales, le respect des lieux sacrés, la religion et les traditions, qui transmettent l’histoire et l’héritage des communautés et des peuples. Les femmes autochtones ont le droit non seulement de vivre leur culture mais aussi d’en contester les aspects qu’elles jugent discriminatoires, comme les lois, politiques et pratiques d’un autre âge contraires au droit international des droits humains et à l’égalité des sexes. Conformément à l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant, les filles autochtones ont le droit d’exprimer leur opinion et de participer aux débats sur toute question culturelle les intéressant, soit directement, soit par le truchement d’un représentant, en tenant compte de leur âge et de leur degré de maturité. Les États devraient veiller à ce que les femmes et les filles autochtones puissent pleinement prendre part aux activités sportives et de loisir, libres de toute forme de discrimination.

La dépossession, l’absence de reconnaissance juridique et l’utilisation non autorisée des territoires, des terres et des ressources naturelles autochtones, ainsi que la dégradation de l’environnement, notamment la perte de biodiversité, la pollution et les changements climatiques, menacent directement l’autodétermination, l’intégrité culturelle et la survie des femmes et des filles autochtones, tout comme l’utilisation et l’appropriation non autorisée de leurs connaissances techniques, de leurs pratiques spirituelles et de leur héritage culturel par des acteurs étatiques et des tiers. Les États devraient protéger et préserver les langues, la culture et le savoir autochtones, notamment en recourant à des outils numériques ; en punissant l’appropriation et l’utilisation non autorisées de ces langues, de cette culture et de ce savoir ; en respectant et en protégeant les terres, les territoires et les lieux sacrés des peuples autochtones.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de garantir le droit individuel et collectif des femmes et des filles autochtones de conserver leur culture, leur identité et leurs traditions, et de choisir leur voie et leur projet de vie  ;

b) de respecter, de protéger et d’étendre les droits des peuples autochtones relatifs aux terres, aux territoires, aux ressources et à un environnement sûr, propre et durable en tant que prérequis de la préservation de la culture des femmes et des filles autochtones  ;

c) d’exercer leur devoir de précaution afin de prévenir l’utilisation ou l’appropriation non autorisées du savoir et de l’héritage culturels des femmes et des filles autochtones sans leur consentement préalable, libre et éclairé et sans partage équitable des bénéfices, d’enquêter sur ces faits, d’en punir les auteurs et d’indemniser les victimes  ;

d) de collaborer avec les peuples autochtones, notamment les femmes, afin d’élaborer des cursus et des programmes scolaires adaptés à leur culture  ;

e) d’étudier la relation entre technologie et culture car les outils numériques peuvent jouer un rôle important dans la transmission et la protection des langues et de la culture autochtones. Si des outils numériques sont utilisés pour favoriser la transmission et la protection de la culture autochtone, ceux-ci devraient être accessibles et adaptés aux femmes et aux filles autochtones  ;

f) de reconnaître et de protéger la propriété intellectuelle des femmes autochtones  ; leur héritage culturel  ; leurs connaissances scientifiques et médicales  ; leurs formes d’expression par la littérature, l’art, la musique et la danse  ; leurs ressources naturelles. Lorsqu’ils adoptent des mesures, les États parties doivent tenir compte des préférences des femmes et des filles autochtones. Ces mesures peuvent notamment porter sur la reconnaissance, l’enregistrement et la protection des droits d’auteur individuels et collectifs des femmes et des filles autochtones en vertu des régimes nationaux de droits de propriété intellectuelle, et doivent empêcher l’utilisation non autorisée de leur propriété intellectuelle, de leur héritage culturel, de leurs connaissances scientifiques et médicales, et de leurs formes d’expressions par la littérature, l’art, la musique et la danse , ainsi que de leurs ressources naturelles par des tierces parties. Les États devraient également respecter le principe de consentement préalable, libre et éclairé des autrices et des artistes autochtones, et les formes orales et autres formes coutumières de transmission de leurs connaissances traditionnelles, de leur héritage culturel, et de leurs productions scientifiques, littéraires ou artistiques  ;

g) de prendre les précautions qui s’imposent pour respecter et protéger les lieux sacrés des peuples autochtones et leurs territoires, et tenir les contrevenants responsables.

G.Droits relatifs aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles (art. 13 et 14)

Les terres et les territoires font partie intégrante de l’identité, de la vision du monde, des moyens de subsistance, de la culture et de l’esprit des femmes et des filles autochtones. Leur vie, leur bien-être, leur culture et leur survie sont intrinsèquement liés à l’utilisation et à la jouissance de leurs terres, de leurs territoires et de leurs ressources naturelles. La reconnaissance limitée de leurs droits de propriété des territoires ancestraux ; l’absence de titres de propriété des terres et de protection juridique des traditions et du patrimoine ; le manque de reconnaissance des terres des peuples autochtones et droits de propriété natifs dans les traités et aux niveaux constitutionnel et législatif dans de nombreux pays, affaiblissent les droits des peuples autochtones, notamment les droits collectifs de propriété, de possession, d’utilisation et de jouissance des terres et des ressources, et encouragent l’État et les acteurs privés à les outrepasser. La non-reconnaissance des droits fonciers des peuples autochtones peut conduire à la pauvreté, et à l’insécurité alimentaire et hydrique, freiner l’accès à des ressources nécessaires à la survie, et créer des conditions dangereuses, donnant lieu à des actes de violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones. Les États sont tenus, par le droit international, de délimiter et démarquer les territoires de peuples autochtones, d’établir les titres de propriété correspondants et d’en assurer la sécurité afin de prévenir la discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de reconnaître le droit individuel et collectif des peuples et des femmes autochtones de posséder et de contrôler les terres relevant de leurs régimes fonciers coutumiers, et d’élaborer des politiques et des lois qui reflètent cette reconnaissance dans l’économie locale et nationale  ;

b) de reconnaître juridiquement le droit à l’autodétermination et l’existence des droits des peuples autochtones relatifs aux terres, aux territoires et aux ressources naturelles dans les traités, les constitutions et les lois à l’échelle nationale  ;

c) d’exiger le consentement préalable, libre et éclairé des femmes et des filles autochtones avant d’autoriser que des projets relatifs à l’économie, au développement, à l’extraction, et à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à ces phénomènes soient menés sur leurs terres et leurs territoires, et en lien avec leurs ressources naturelles. Il est recommandé d’établir des protocoles d’obtention du consentement préalable, libre et éclairé afin de guider ces processus  ;

d) de prévenir et de réglementer les activités des entreprises, des sociétés et d’autres acteurs privés susceptibles de nuire aux droits des femmes et des filles autochtones à leurs terres, leurs territoires et leur environnement, notamment des mesures visant à punir et prévenir la répétition de ces violations des droits humains, à garantir la disponibilité de recours et à octroyer des réparations  ;

e) d’adopter une stratégie globale pour lutter contre les stéréotypes, les attitudes et les pratiques discriminatoires qui sapent le droit des femmes autochtones à leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles .

H.Droits relatifs à l’alimentation, à l’eau et aux semences (art. 12 et 14)

Les femmes et les filles autochtones jouent un rôle clé dans leur communauté en garantissant l’alimentation, l’eau, les moyens de subsistance et la survie. Le fait de les déposséder de leurs territoires et de les déplacer de force, et le manque de reconnaissance des droits fonciers autochtones limitent leurs chances d’atteindre la sécurité alimentaire et hydrique, et de gérer ces ressources naturelles indispensables. La mise en œuvre d’activités extractives et autres, et de projets de développement peut entraîner une pollution, une perturbation et une dégradation de l’alimentation et de l’eau, et faire obstacles aux pratiques agricoles ancestrales. Les changements climatiques et d’autres formes de dégradation de l’environnement, eux aussi, menacent la sécurité alimentaire, et polluent et perturbent l’approvisionnement en eau. Les États devraient adopter d’urgence des mesures pour garantir que les femmes et les filles autochtones jouissent d’un accès adapté à l’alimentation, à la nutrition et à l’eau en quantité suffisante. La marchandisation croissante des semences, qui sont un élément essentiel du savoir ancestral et de l’héritage culturel des peuples autochtones, est une source particulière d’inquiétude. En effet, elle est souvent pratiquée sans qu’aucun de ses bénéfices ne soit partagé avec les femmes autochtones. La prolifération des cultures transgéniques ou génétiquement modifiées préoccupe les peuples autochtones et se produit souvent sans que les femmes et les filles autochtones ne soient consultées.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de garantir un accès adapté à l’alimentation, à l’eau et aux semences en quantité suffisante aux femmes et des filles autochtones, et de reconnaître leur contribution à la production alimentaire, à la souveraineté et au développement durable  ;

b) de protéger les formes d’agriculture et les moyens de subsistance ancestraux des femmes autochtones, et de garantir la participation réelle des femmes et des filles autochtones à la conception, l’adoption et la mise en œuvre des programmes de réforme agraire, et à la gestion et au contrôle des ressources naturelles  ;

c) d’exercer leur devoir de précaution en prévenant la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes et des filles autochtones lorsque celles-ci accomplissent des travaux agricoles, et vont chercher de la nourriture et de l’eau pour leur famille et leur communauté, d’enquêter sur les actes perpétrés à leur encontre et d’en punir les auteurs, et de veiller à ce qu’elles aient accès aux avantages apportés par les progrès scientifiques et les innovations technologiques afin d’atteindre la sécurité alimentaire et hydrique, et à ce qu’elles soient indemnisées pour leurs contributions et leurs connaissances techniques. De plus, leurs contributions technologiques devraient être reconnues par les États parties.

I.Droit à un environnement propre, sain et durable (art. 12 et 14)

Le droit à un environnement propre, sain et durable comprend le droit à un climat sûr et stable ; à une alimentation et une eau sûres et en quantité suffisante ; à des écosystèmes en bonne santé et à la biodiversité ; à un environnement non toxique ; à la participation ; à l’accès à l’information ; d’accéder à la justice dans les affaires environnementales. Les femmes et les filles autochtones parlent de « Terre nourricière », concept qui reflète le lien vital que celles-ci entretiennent avec un environnement sain, et avec leurs terres, leurs territoires et leurs ressources naturelles. La pollution, la contamination, la déforestation, la combustion des énergies fossiles et la perte de biodiversité imputables à l’activité humaine menacent cette relation. L’incapacité des États de prendre des mesures adéquates pour prévenir ces graves dommages environnementaux, s’y adapter et y remédier constitue une forme de discrimination et de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones contre laquelle il faut rapidement lutter. De plus, les États devraient prendre des dispositions pour reconnaître la contribution des femmes autochtones au travers de leur savoir technique, et de leurs efforts de préservation et restauration de la biodiversité en les associant aux prises de décisions, aux négociations et aux discussions relatives à l’action climatique et aux mesures d’atténuation et d’adaptation. Les États devraient agir sans tarder afin de soutenir le travail des femmes et des filles autochtones défenseuses des droits humains liés à l’environnement, et de garantir leur protection et leur sécurité.

Le Comité recommande aux États parties  :

a) de s’assurer que les lois et les politiques relatives à l’environnement, aux changements climatiques et à la réduction des risques de catastrophes tiennent compte des effets particuliers des changements climatiques et d’autres formes de dégradation et de dommages environnementaux, notamment la triple crise planétaire ;

b) de garantir que les femmes et les filles autochtones jouissent de l’égalité des chances afin qu’elles puissent réellement et effectivement participer à la prise de décisions sur les questions relatives à l’environnement, à la réduction des risques de catastrophe et aux changements climatiques  ;

c) de veiller à ce que des recours effectifs et des mécanismes de responsabilité soient mis en place pour tenir les auteurs de dommages environnementaux responsables, et de garantir l’accès des femmes et des filles à la justice dans les affaires environnementales  ;

d) de faire en sorte d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des femmes et des filles autochtones pour toutes les questions touchant à leur environnement, à leurs terres, à leur héritage culturel et à leurs ressources naturelles, notamment toute proposition visant à faire de leurs terres une zone protégée à des fins de protection de l’environnement, d’atténuation des changements climatiques ou de stockage et d’échange du carbone, ou à y mettre en œuvre un projet d’énergie verte, ou toute autre question ayant une forte incidence sur leurs droits humains.