Nations Unies

CCPR/C/98/D/1174/2003

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

11 mai 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Décision

Communication no 1174/2003

Présentée par:

Bakhrullo Minboev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

20 mai 2003 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92/97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 21 mai 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

19 mars 2010

Objet:

Violations de la procédure pénale dans une affaire de condamnation à mort

Questions de procédure:

Non-coopération de l’État partie; appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux; manque de fondement des allégations

Questions de fond:

Détention illégale; procès inéquitable; droit de consulter un avocat de son choix; droit d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins

Article s du Pacte:

6 (par. 1 et 2), 9 (par. 1 et 2) et 14 (par. 3 b) et e))

Article du Protocole facultatif:

2

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1174/2003 **

Présentée par:

Bakhrullo Minboev (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Tadjikistan

Date de la communication:

20 mai 2003 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Bakhrullo Minboev, ressortissant tadjik, qui purge actuellement une peine de prison au Tadjikistan. L’auteur prétend être victime de violations par l’État partie de ses droits en vertu des articles 6, paragraphes 1 et 2, 9, paragraphes 1 et 2, et 14, paragraphes 1 et 3 b) et e), du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 21 mai 2003, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité des droits de l’homme, par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas exécuter la peine de mort prononcée contre l’auteur tant que son affaire était examinée par le Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 1er novembre 2000, l’auteur a été arrêté parce qu’il était suspecté de vol. Il n’a été inculpé que le 19 novembre 2000. Pendant les interrogatoires, l’auteur a avoué avoir commis un meurtre en octobre 1997. À l’époque, il travaillait pour le Ministère de l’intérieur et son chef lui a demandé de tuer l’une des victimes. On l’a menacé de le tuer et de tuer sa famille s’il ne commettait pas ce meurtre. Le 5 novembre 1997, alors qu’il se trouvait dans la même voiture que les victimes, il a tiré un coup de feu, mais la balle a traversé la tête de la victime visée et également touché un homme assis à ses côtés. Les deux hommes sont morts.

2.2Pendant l’enquête, l’auteur n’a pas été autorisé à consulter l’avocat de son choix. Il n’a donc pas bénéficié de défense juridique pendant une période de trois mois, alors que conformément au Code de procédure pénale, celle-ci est obligatoire dans les affaires susceptibles d’entraîner la peine de mort, et ce dès l’enquête préalable au jugement. Par la suite, un avocat d’office a été commis, mais celui-ci n’était pas habilité à exercer. En outre, l’ordonnance de commission de l’avocat était invalide, puisqu’elle avait été prise le 20 janvier 2000 alors que l’auteur n’a été détenu que le 7 novembre 2000.

2.3Le 9 avril 2001, l’auteur a été reconnu coupable de meurtre avec préméditation de deux personnes ou plus et condamné à mort. Durant le procès, il a pu être assisté par l’avocat de son choix, qui a demandé que des examens médico-légaux soient pratiqués afin de montrer que les deux décès avaient été causés par une seule balle. La demande a été rejetée par le tribunal. L’auteur a reconnu avoir commis les meurtres, mais il a ajouté n’en avoir prémédité qu’un seul. La seconde personne avait été tuée accidentellement. Le tribunal n’a pas tenu compte de cette affirmation, ni de la requête de la défense demandant la comparution de témoins supplémentaires.

2.4La Cour de cassation a rejeté le recours en cassation de l’auteur. Toutefois, un recours auprès du Présidium de la Cour suprême, engagé au titre de la procédure du contrôle de légalité, a abouti à l’annulation du jugement, et l’affaire a été rejugée le 11 janvier 2002. La décision était fondée sur les vices de procédure suivants: 1) l’auteur n’avait pas été assisté par un avocat de son choix; 2) l’identité de l’auteur n’avait pas été pleinement établie; et 3) le fait que la seconde victime ait pu être tuée accidentellement n’avait pas donné lieu à enquête. L’affaire a été confiée à l’enquêteur qui avait procédé à l’enquête initiale, qui était partial et qui avait un intérêt personnel dans le résultat de la seconde enquête. Une fois de plus, l’avocat choisi par l’auteur pour assurer sa défense n’a pas été accepté par le juge, qui en a désigné un autre. Ce dernier aurait apparemment signé des documents de procédure sans que l’auteur en ait connaissance, et ne l’aurait pas informé de son droit d’examiner les pièces du dossier.

2.5Au cours du second procès, il a été démontré qu’une seule balle avait tué les deux victimes. Toutefois, la Cour n’a pas tenu compte de ce fait et a derechef condamné l’auteur à mort le 24 septembre 2002.

2.6L’auteur n’a pas été autorisé à être présent lors de l’examen de son affaire en cassation, alors que le Code de procédure pénale tadjik le permettait.

2.7Son recours en cassation du 15 novembre 2002 a été rejeté par la chambre pénale de la Cour suprême. Sa demande de contrôle juridictionnel adressée au Président de la Cour suprême a également été rejetée. L’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

2.8Dans sa lettre du 12 juillet 2003, l’auteur ajoute que sa santé mentale s’est détériorée en raison du stress lié à l’attente de son exécution.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque l’article 6, paragraphes 1 et 2, et affirme que son droit à la vie a été violé parce qu’un jugement inéquitable a été rendu par un tribunal incompétent.

3.2L’auteur soutient que ses droits en vertu de l’article 9, paragraphes 1 et 2, ont été violés dans la mesure où sa détention était illégale et où il n’a pas été informé des charges retenues contre lui pendant plus d’une semaine.

3.3L’auteur invoque l’article 14, paragraphe 1, et affirme que le tribunal était partial puisqu’il n’a pas tenu compte de ses dépositions ni des résultats des examens médico-légaux.

3.4L’auteur affirme que ses droits en vertu de l’article 14, paragraphe 3 b), du Pacte ont été violés, en ce qu’il n’a pas bénéficié de défense pendant une période de trois mois, et qu’il n’a pas pu être représenté par l’avocat de son choix. En outre, l’avocat commis d’office n’était pas habilité à exercer et il n’a pas pu communiquer avec lui.

3.5L’auteur invoque également le paragraphe 3 e) de l’article 14 au motif que la Cour a ignoré la requête de la défense de faire citer des témoins supplémentaires.

Observations de l’État partie et absence de réponse concernant la recevabilité et le fond

4.1Le 13 octobre 2003, l’État partie a fait savoir que l’auteur avait été gracié le 4 septembre 2003 et que sa condamnation à mort avait été commuée en vingt années d’emprisonnement.

4.2L’État partie a été invité à présenter ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication en mai 2003. Un rappel lui a été adressé à ce sujet en juillet 2005. Le Comité note qu’aucune information n’a été reçue. Le Comité regrette que l’État partie se soit abstenu de fournir des renseignements sur la recevabilité ou le fond de la communication de l’auteur. Il rappelle qu’en vertu du Protocole facultatif, l’État partie concerné est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures qu’il pourrait avoir prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, le Comité doit accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été suffisamment étayées.

Absence d’information complémentaire de la part de l’auteur

5.L’auteur, dont on ignore où il se trouve actuellement, n’a pas présenté de commentaire sur les observations de l’État partie, malgré les rappels qui lui ont été adressés. Sa dernière lettre a été reçue le 12 juillet 2003. Les demandes répétées qui lui ont été adressées en 2005, 2006 et 2007 quant à sa volonté de poursuivre l’affaire, sont demeurées sans réponse.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme que le tribunal d’instance s’est montré inéquitable et partial, dans la mesure où il n’a pas tenu compte de ses dépositions ni des résultats des examens médico-légaux, en violation du paragraphe 1 de l’article 14. Il constate toutefois que ces griefs portent, dans une large mesure, sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle à sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les éléments dont dispose le Comité ne permettent pas d’établir que la conduite du procès ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ces allégations aux fins de la recevabilité et que les griefs sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3Le Comité prend note également de l’allégation de l’auteur, qui affirme avoir été détenu illégalement et ne pas avoir été informé des charges retenues contre lui pendant plus d’une semaine, ce qui est contraire aux paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte. Il prend note en outre des allégations de l’auteur au titre des paragraphes 3 b) et e) de l’article 14, selon lesquelles sa défense n’a pas été assurée pendant une période de trois mois; il n’a pas été autorisé à communiquer avec l’avocat commis d’office, et il n’était pas représenté par l’avocat de son choix, alors que l’avocat commis d’office n’était pas habilité à exercer. Le Comité constate toutefois que l’auteur n’a pas étayé ces allégations dans sa lettre initiale et que le contact n’a pas pu être rétabli avec lui afin d’obtenir des informations complémentaires malgré de nombreuses tentatives. Dans ces circonstances, le Comité estime que les plaintes de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et qu’elles sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des paragraphes 1 et 2 de l’article 6, le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle la peine de mort à laquelle l’auteur avait été condamné a été commuée en vingt années d’emprisonnement. Dans ces circonstances, et compte tenu de la conclusion du Comité concernant l’absence de violation des droits de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte dans le cas présent, le Comité considère que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]