Nations Unies

CCPR/C/98/D/1794/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

12 mai 2010

Français

Original: espagnol

C omité des droits de l ’ homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Décision

Communication no 1794/2008

Présentée par :

Maria Dolores Barrionuevo et Francisco Bernabé (représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Espagne

Date de la communication :

20 février 2008 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er juillet 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption de la décision :

19 mars 2010

Objet :

Annulation d’un bulletin de vote lors d’élections municipales

Questions de procédure :

Griefs non étayés

Questions de fond :

Droit à l’égalité devant les tribunaux; droit d’être élu lors d’élections périodiques; droit à un recours utile

Articles du Pacte :

14 (par. 1); 25 a) et b); 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif :

2

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertudu Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques(quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no1794/2008 **

Présentée par:

Maria Dolores Barrionuevo et Francisco Bernabé(représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

20 février 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication, datée du 20 février 2008, sont María Barrionuevo Álvarez et Francisco Bernabé Pérez, ressortissants espagnols, résidant à La Unión, Murcie. Ils se déclarent victimes d’une violation par l’Espagne des articles 14 et 25 du Pacte. Ils sont représentés par un conseil, M. José Luis Mazón Costa.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs étaient candidats du Partido Popular (PP) aux élections municipales tenues le 27 mai 2007 dans la commune de La Unión (Murcie). M. Bernabé était tête de liste et candidat au poste de maire. Mme Barrionuevo était neuvième sur la liste et candidate à un poste de conseiller municipal.

2.2Selon les auteurs, la liste du PP a obtenu 4 055 suffrages, ce qui lui donnait droit à neuf conseillers municipaux, et elle obtenait ainsi la majorité absolue au conseil municipal, celui-ci comptant 17 sièges au total. Au cours du dépouillement, le représentant du parti socialiste (PSOE), qui avait obtenu 3 604 voix et 7 sièges, a contesté la validité d’un bulletin sur lequel figurait un «X» manuscrit. Bien que la loi électorale prévoie que les bulletins de vote ne peuvent comporter aucun signe, les membres du bureau ont estimé que le vote était valable, et ils ont rejeté la réclamation. La validité de ce bulletin était importante, car si celui-ci était considéré nul, le PP obtenait huit sièges au lieu de neuf et perdait donc la majorité au conseil municipal.

2.3Les partis PSOE et Izquierda Unida-Los Verdes ont attaqué les résultats du scrutin devant le conseil électoral de zone de Carthagène, contestant la validité du bulletin comportant la croix. Le 31 mai 2007, le conseil a rejeté la plainte et décidé que le vote était valable. Le conseil a estimé que le principe général, renforcé par la jurisprudence en matière électorale, du maintien du vote devait prévaloir, afin qu’il ne soit impossible d’exercer le droit constitutionnel de voter que lorsque le caractère irrégulier du bulletin de vote est tellement manifeste qu’il reflète une volonté délibérée d’annuler, de barrer ou de corriger. Le PSOE et Izquierda Unida-Los Verdes ont contesté cette décision devant le conseil électoral central. Le 9 juin 2007, le conseil électoral central a confirmé la décision du conseil de Carthagène, estimant qu’il s’agissait d’une irrégularité n’invalidant pas le vote.

2.4Le PSOE a engagé un recours en contentieux administratif devant la Chambre du contentieux administratif du Tribunal supérieur de Murcie. Le 29 juin 2007, cette juridiction a rejeté le recours, invoquant la jurisprudence constitutionnelle en la matière, et déclaré que le bulletin en question était valide.

2.5Le 2 juillet 2007, le PSOE a engagé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, dans lequel il a invoqué l’atteinte au droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux charges publiques, compte tenu des conditions posées par la législation. Selon les auteurs, le recours a pu prospérer sans qu’il ait été nécessaire de justifier l’importance constitutionnelle spéciale de l’affaire, comme l’exige la loi, et malgré la décision contraire du procureur. Dans sa décision du 18 juillet 2007, le Tribunal constitutionnel a accueilli la demande en amparo et déclaré que le droit en question avait été violé et que le bulletin de vote contesté était nul, et il a annulé la décision du conseil électoral de zone qui l’avait considéré valide. Suite à cette décision, le mandat de conseiller municipal élu de Mme Barrionuevo a été révoqué. Quant à M. Bernabé, il a subi un dommage dans la mesure où son équipe a perdu la majorité absolue au conseil municipal, ce qui limite son autonomie en tant que maire.

2.6Les auteurs ont fourni au Comité une copie de l’arrêt du Tribunal constitutionnel. L’arrêt fait référence à une décision de 2003, dans laquelle le Tribunal avait décidé que l’interprétation judiciaire consistant à considérer comme valides les votes exprimés par des bulletins qui, parce qu’ils comportaient tel ou tel vice mentionné dans la loi électorale, auraient dû être annulés, n’était pas recevable dans l’optique des droits fondamentaux dans la mesure où le résultat final de l’élection avait été modifié par la prise en compte de ces bulletins. Suivant le même raisonnement, le Tribunal a estimé que, dans le cas d’espèce, les décisions administratives et judiciaires qui affirmaient la validité du bulletin, n’avaient pas simplement constitué une infraction à la loi électorale. En infléchissant de manière déterminante le résultat final du scrutin, elles avaient aussi porté atteinte au droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, à des charges publiques, compte tenu des conditions prévues par la législation.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que le Tribunal constitutionnel n’a pas suivi sa propre jurisprudence en la matière, et qu’il a donc violé les alinéas b et c de l’article 25 du Pacte. Ils affirment que le Tribunal a favorisé indûment le PSOE dans son interprétation de la loi, violant ainsi la garantie d’égalité entre les citoyens. Cette égalité a également été violée dans la mesure où le PP n’a pas contesté en temps voulu deux bulletins similaires, mais favorables au PSOE, détectés dans d’autres bureaux de vote parce qu’il les avait considérés valides eu égard à la jurisprudence en matière électorale. Dans sa décision, le Conseil électoral de Carthagène a expressément refusé d’examiner cette question parce que le PP n’avait pas contesté, en temps voulu, ces bulletins. Selon l’auteur, cela est contraire à l’article 2, paragraphe 3 du Pacte (recours utile).

3.2Les auteurs affirment que la garantie de l’égalité, prévue à l’article 14, paragraphe 1 du Pacte, a été violée étant donné que: la jurisprudence électorale en vigueur a été ignorée au détriment des auteurs; le magistrat rapporteur chargé de l’affaire, élu par le Congrès sur proposition du PSOE, a dû s’abstenir d’examiner l’affaire, puisque ce parti était le requérant; le PSOE n’a pas été tenu de justifier l’«importance constitutionnelle spéciale» de l’affaire faisant l’objet du recours en amparo, comme le prévoit la loi.

Observations de l’État partie quant à la recevabilité et au fond

4.Par des notes verbales du 29 août et du 30 décembre 2008, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il a indiqué que la question relative à la validité du bulletin de vote avait été tranchée par les organes administratifs chargés des élections et les tribunaux compétents. La décision définitive ne saurait aucunement être qualifiée d’arbitraire, de déraisonnable, de non fondée ou de contraire aux objectifs du Pacte. Elle comporte en effet une appréciation des faits et une interprétation de la législation électorale qui ne sauraient être censurées. L’État partie estime par conséquent que la communication doit être considérée irrecevable en ce qu’elle ne soulève aucune question se rapportant au strict respect du Pacte et constitue une utilisation manifestement abusive de sa finalité, conformément aux dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif. L’État partie fait également valoir que la communication est manifestement infondée et demande au Comité, à défaut de la juger irrecevable, de considérer qu’aucune violation du Pacte n’a été commise.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.Dans leurs commentaires en date du 5 mars 2009, les auteurs insistent sur leurs allégations initiales et sur le fait que le Tribunal constitutionnel a agi de manière arbitraire en ne suivant pas la jurisprudence relative aux bulletins de vote comportant des marques ou des signes. La décision du Tribunal serait contradictoire, dans la mesure où d’un côté il affirme qu’il s’agit d’une question de stricte légalité électorale sur laquelle il ne saurait se prononcer et, de l’autre, il annule les décisions des organes électoraux et du Tribunal supérieur de justice.

Décision du Comité sur la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Les auteurs soutiennent que la décision du Tribunal constitutionnel affirmant la nullité du bulletin électoral controversé a violé leur droit à l’égalité devant les tribunaux et à un recours utile, et leur droit d’être élus, conformément aux articles 14 (par. 1), 2 (par. 3) et 25 b) et c) du Pacte, respectivement. Le Comité constate que ces griefs portent sur l’évaluation des éléments de fait et de preuve par les tribunaux de l’État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il appartient aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice. Après avoir examiné les décisions rendues par les juridictions internes, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs pour qu’il puisse affirmer qu’en l’espèce la procédure a été arbitraire ou a représenté un déni de justice, et il conclut par conséquent que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication ainsi qu’à leur avocat.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]