Nations Unies

CCPR/C/98/D/1552/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

11 mai 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-huitième session

8-26 mars 2010

Constatations

Communication no 1552/2007

Présentée par:

Tatiana Lyachkevich (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Andrei Lyachkevich, fils de l’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

4 octobre 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 avril 2007 (non publiée sous forme de document)

CCPR/C/92/D/1552/2007 – décision concernant la recevabilité adoptée le 13 mars 2008

Date des présentes constatations:

23 mars 2010

Objet :

Procès inéquitable, recours à la torture pendant l’enquête préliminaire, mauvais traitements

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes, griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Détention arbitraire, torture, procès inéquitable, conditions de détention, habeas corpus

Articles du Pacte :

2, 7, 9, 10, 14

Article du Protocole facultatif :

5, par. 2 b)

Le 23 mars 2010, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no1552/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-huitième session)

concernant la

Communication no 1552/2007 **

Présentée par:

Tatiana Lyachkevich (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Andrei Lyachkevich, fils de l’auteur

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

4 octobre 2005 (date de la lettre initiale)

Date de la décision concernant la recevabilité:

13 mars 2008

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 23 mars 2010,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1552/2007 présentée au nom de M. Andrei Lyachkevich en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Tatiana Lyachkevich, de nationalité russe, née en 1948, qui réside actuellement en Ouzbékistan. Elle présente la communication au nom de son fils, Andrei Lyachkevich, de nationalité russe, né en 1977, qui réside également en Ouzbékistan, et qui, au moment de la présentation de la communication, purgeait une peine d’emprisonnement de vingt ans à laquelle il avait été condamné le 2 mars 2004 par le tribunal municipal de Tachkent pour meurtre et vol. L’auteur prétend que son fils est victime de violation, par l’Ouzbékistan, des droits qui lui sont reconnus aux articles 2, 7, 9, 10 et 14 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 2 mars 2004, le tribunal municipal de Tachkent a reconnu le fils de l’auteur coupable de meurtre avec circonstances aggravantes et de vol avec violence, et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de vingt ans. Le tribunal a conclu que le 6 août 2003 le fils de l’auteur avait tué, dans l’appartement de sa mère, un certain A. Sayfoutdinov, dans le but de lui voler de l’argent. Pour dissimuler son crime, il avait emporté le corps de sa victime dans la cave de l’immeuble, où il l’avait découpé en morceaux et mis dans des sacs. Il avait ensuite jeté les sacs dans le canal Salar à Tachkent, dans la nuit du 7 août 2003.

2.2Le 13 avril 2004, l’affaire a été jugée en deuxième instance par la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent, qui a diminué de quatre ans la peine du fils de l’auteur en vertu d’une grâce présidentielle, tout en confirmant la culpabilité. L’affaire a également été portée à l’attention de la Cour suprême à diverses reprises par des demandes de contrôle en révision. À une date non précisée, la chambre criminelle de la Cour suprême a examiné l’affaire et a confirmé la culpabilité de M. Lyachkevich.

2.3L’auteur affirme que son fils est innocent. Il avait reçu son autorisation de vendre certains objets familiaux de valeur et c’est ainsi qu’il a fait la connaissance de M. Sayfoutdinov, qui a acquis une partie de ces objets. Une rencontre a eu lieu dans l’appartement de l’auteur, le 6 août 2003, en son absence. Son fils a présenté M. Sayfoutdinov à un dénommé Sergei, qui vendait des objets et qu’il avait rencontré par hasard. Après avoir examiné les objets en question, M. Sayfoutdinov a eu des doutes sur leur qualité et s’est disputé avec Sergei à ce sujet. À un certain moment, Sergei a sorti un couteau et a frappé mortellement M. Sayfoutdinov au thorax. Il a ensuite traîné le corps au sous-sol de l’immeuble pour le mettre dans un sac. Puis il est parti en disant qu’il reviendrait. Il a affirmé au fils de l’auteur qu’il reconnaissait sa responsabilité. Plus tard, le fils de l’auteur a emprunté la voiture d’un ami et est allé jeter le sac dans un canal.

2.4Le 7 août, à son retour du travail, l’auteur était attendue par deux policiers qui lui ont montré une photographie. Elle a reconnu un individu qui avait cherché son fils quelques jours auparavant; elle a été informée qu’il s’agissait d’Anvar Sayfoutdinov. Le fils de l’auteur se trouvait à ce moment chez sa tante.

2.5Le matin du 8 août 2003, l’auteur a été invitée à se présenter au poste de police du district de Yakkasarsky. Elle affirme qu’elle y a été interrogée de 10 à 13 heures par plusieurs policiers qui lui demandaient des explications sur les événements du 6 août. Le chef adjoint du poste de police l’a menacée de la faire incarcérer si elle donnait une fausse déposition. Elle a également été accusée d’avoir tué M. Sayfoutdinov avec son fils. L’auteur affirme qu’elle ignorait tout des événements du 6 août. Quand elle a demandé à être traitée plus décemment, elle a été frappée sur la main.

2.6Plus tard le même jour, le chef du groupe d’enquête, M. Radjabov, a demandé à l’auteur d’amener son fils au poste de police. Il lui a promis que son fils ne serait pas maltraité et qu’il serait libéré sitôt qu’il aurait fourni des explications. Après l’arrivée de son fils au poste de police, l’auteur a été reconduite chez elle, et des policiers ont fouillé son appartement. Selon elle, ils n’avaient aucun mandat pour perquisitionner. Elle n’a pas eu de copie du procès-verbal de la perquisition, bien que cela soit requis par la loi.

2.7L’auteur précise qu’elle a amené son fils au poste de police à 14 heures. Elle-même n’a été relâchée que vers minuit, bien que la loi ouzbèke interdise tout acte d’investigation entre 22 heures et 6 heures du matin. Elle affirme qu’elle n’a pas été informée de ses droits et obligations comme témoin et qu’elle a été contrainte de témoigner contre son fils, sans donner plus de détails.

2.8L’auteur est retournée au poste de police le 9 août pour chercher son fils, mais on l’a envoyée au Bureau du Procureur, où on lui a dit de le chercher au Département des affaires internes de Tachkent. N’ayant pu le trouver, elle est retournée au poste de police, où on l’a menacée de l’enfermer.

2.9Le 10 août, l’auteur a reçu de nouveau la visite de policiers, accompagnés d’un procureur, qui venaient faire une vérification in situ. Son fils était également présent. Il était menotté, et, selon l’auteur, ne répondait aux questions que par «oui» ou «non» tandis que les policiers lui expliquaient comment le crime avait été commis. Il a avoué avoir tué M. Sayfoutdinov, sans donner de détails sur le déroulement des événements. Les policiers ont tout filmé. L’auteur affirme que, cette fois encore, on ne lui a présenté aucun mandat pour perquisitionner à son domicile, ni donné le procès-verbal des actes d’investigation réalisés.

2.10Vu l’état de son fils, l’auteur a essayé de lui trouver un avocat. Le 11 août, accompagnée d’un avocat, elle s’est présentée au poste de police puis au Bureau du Procureur pour chercher son fils. Elle s’est entretenue avec le Vice-Procureur du district et l’inspecteur chargé de l’enquête. Celui-ci a déclaré qu’aucun acte d’investigation concernant l’affaire n’était prévu ce jour-là. L’avocat a été invité à se présenter le jour suivant pour assister à un interrogatoire. Il s’est avéré plus tard que, ce 11 août, le fils de l’auteur avait été interrogé et avait participé à des confrontations sans qu’un avocat soit présent.

2.11L’auteur fait observer que les documents de l’enquête préliminaire font état de la présence d’un avocat commis d’office, M. Bourkhanov. Selon elle, l’enquêteur a adressé une lettre, le 10 août, au barreau de Tachkent pour demander qu’un avocat soit commis d’office à M. Lyachkevich. Le même jour, le barreau a envoyé M. Bourkhanov pour assurer la défense du fils de l’auteur.

2.12L’auteur affirme que le 12 août elle a reçu une autre visite des enquêteurs, accompagnés de son fils. Ils ont de nouveau fouillé l’appartement. On ne lui a pas présenté de mandat, ni donné une copie du procès-verbal.

2.13L’auteur affirme qu’après les procès en première et deuxième instances, le nouvel avocat de son fils a cherché à obtenir des précisions auprès du barreau de Tachkent sur l’autorisation de M. Bourkhanov de représenter M. Lyachkevich. Le barreau a répondu que le registre des autorisations, entre août 2003 et août 2004, ne confirmait pas que Bourkhanov eût reçu une telle autorisation. Pour l’auteur, cela signifie que la copie de l’autorisation jointe au dossier de son fils par les enquêteurs était un faux. Elle signale que la signature de M. Bourkhanov figure sur trois procès-verbaux du dossier – celui relatif à l’interrogatoire de son fils comme suspect, celui relatif à sa confrontation avec un certain M. Kladov, et celui concernant son inculpation et son interrogatoire en qualité d’inculpé. Tous ces actes ont eu lieu le 11 août 2003.

2.14Pour l’auteur, ce qui précède témoigne de l’existence de nombreuses irrégularités dans la procédure et confirme les dires de son fils, qui affirme avoir été privé des droits de la défense au moment de son arrestation et pendant l’enquête préliminaire. L’auteur indique que la Cour suprême, dans un arrêt du 24 septembre 2004, a statué que les déclarations obtenues d’un suspect en l’absence d’un avocat n’avaient pas de valeur juridique et ne pouvaient pas fonder une mise en accusation. L’article 51 du Code de procédure pénale dispose que la présence d’un avocat est obligatoire si l’accusé risque la peine capitale.

2.15En ce qui concerne l’article 7 du Pacte, l’auteur indique que pendant l’enquête préliminaire et devant le tribunal son fils a expliqué qu’il avait été battu et torturé durant ses interrogatoires des 8, 9 et 10 août 2003, et que c’était sous la contrainte qu’il avait avoué avoir tué la victime. Il aurait expliqué au tribunal que l’avocat lui avait conseillé d’en informer aussitôt l’enquêteur, mais qu’il n’avait pu parler à ce dernier que le 30 octobre 2003, lors d’un interrogatoire. Devant le tribunal, M. Lyachkevich a affirmé que le 9 août 2003, au troisième étage du poste de police du district de Yakkasarsky, il avait été battu par un policier, qui l’avait frappé sur la tête en lui demandant d’avouer le meurtre. Il a également affirmé qu’il avait été battu à tour de rôle par sept ou huit autres individus dans le même poste de police. Le chef du service des enquêtes criminelles du Département des affaires internes du district de Yakkasarsky a démenti ces allégations lorsqu’il a été interrogé par le tribunal. Le fils de l’auteur a affirmé que le chef aussi l’avait frappé les 8, 9 et 10 août 2003. ,

2.16En ce qui concerne l’article 9 du Pacte, l’auteur déclare qu’elle a conduit son fils au poste de police le 8 août 2003, après avoir reçu l’assurance qu’il serait seulement interrogé puis libéré. Cependant, tel n’a pas été le cas, et elle a été informée le 11 août 2003 seulement que son fils avait été arrêté pour meurtre. Elle affirme que pendant l’enquête préliminaire, le 8 août, son fils a fourni des explications écrites dans lesquelles il confirmait qu’il connaissait la victime et qu’il l’avait rencontrée le 6 août; ce document n’était pas daté. Le 9 août, il a fourni d’autres explications écrites. Le meurtre n’est mentionné dans aucun de ces documents. Le 10 août, sous la contrainte, il a fourni de nouvelles explications écrites dans lesquelles il déclare avoir tué M. Sayfoutdinov. L’auteur affirme que son fils a été détenu illégalement durant trois jours par les enquêteurs et que c’est seulement après l’obtention des aveux souhaités qu’il a été inculpé officiellement. Pour elle, la détention de son fils entre le 8 et le 10 août 2003 était donc illégale. Elle ajoute que, même lorsqu’il avait encore le statut de témoin, son fils a été interrogé comme suspect, en bénéficiant de garanties procédurales moindres.

2.17En ce qui concerne l’article 10 du Pacte, l’auteur indique que son fils, après sa condamnation, a été incarcéré de mai 2004 à février 2005 à Andijan, où elle lui a envoyé divers documents pour lui permettre de préparer ses recours devant la Cour suprême et d’autres organes. Selon elle, aucun de ces organes n’a reçu de recours de la part de son fils. En janvier 2005, l’auteur a demandé au Département de l’administration pénitentiaire de transférer son fils dans la région de Tachkent. Sa demande a été rejetée. En mars 2005, son fils a été transféré à la prison de Karchi.

2.18M. Lyachkevich s’est également plaint de n’avoir reçu aucune assistance médicale lorsqu’il avait été malade. L’auteur a demandé à l’administration pénitentiaire de lui donner les soins nécessaires. Lorsqu’elle est venue rendre lui rendre visite à la prison le 5 juillet 2005, il avait une fièvre supérieure à 39°. Il souffrait d’une forte fièvre depuis plusieurs jours et toussait, mais n’avait reçu aucun soin. L’auteur a demandé au directeur de la prison de faire soigner son fils, et a fourni des médicaments.

2.19Le 8 juillet 2005, l’administration pénitentiaire a contacté l’auteur pour l’informer que son fils avait été transféré d’urgence à l’hôpital pénitentiaire de Tachkent. Après une semaine, l’auteur a été informée par les médecins de l’hôpital que son fils était arrivé avec une fièvre de 39-40°, très affaibli, et que les analyses médicales avaient révélé une tuberculose.

2.20L’auteur fait valoir en outre qu’en violation des paragraphes 1, 2, et 3 b) et g) de l’article 14 du Pacte, le cas de son fils n’a pas été examiné de manière objective, au mépris des principes régissant l’administration de la justice. Les preuves retenues contre lui étaient basées sur ses aveux obtenus par la force, sur de simples suppositions des enquêteurs et sur divers témoignages contradictoires, ainsi que sur des conclusions d’experts sans aucune valeur probante. Selon l’auteur, le tribunal a ouvertement fait cause commune avec l’accusation, en ignorant toutes les explications de son fils, et le jugement n’a fait que reproduire l’acte d’accusation. Le tribunal a ignoré les divergences existant dans les diverses explications écrites fournies par son fils entre le 8 et le 10 août 2003, et n’a pas tenu compte de ces explications. L’auteur argumente que le tribunal a évalué les preuves de manière incorrecte, et elle conteste en détail diverses conclusions auxquelles il est parvenu à l’issue de son examen des faits et des éléments de preuve. Elle conteste également comme infondée la conclusion du tribunal que son fils a agi par intérêt personnel et qu’il prenait systématiquement des stupéfiants à l’époque.

Teneur de la plainte

3.L’auteur prétend en conséquence que les faits tels qu’elle les a présentés démontrent que son fils a été victime de violation, par l’Ouzbékistan, des droits qui lui sont reconnus aux articles 2, 7, 9, 10 et 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans des notes verbales datées du 6 juin et du 31 juillet 2007, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication, au motif que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il a rappelé que M. Lyachkevich avait été condamné le 2 mars 2004 par le tribunal municipal de Tachkent à une peine d’emprisonnement de vingt ans pour meurtre et vol avec violence. Son cas avait été examiné par la Cour suprême (chambre criminelle) le 29 juin 2004. La loi ouzbèke sur les tribunaux prévoit cependant que, parallèlement au contrôle en révision exercé par la chambre criminelle de la Cour suprême, le présidium et le plénum de cette juridiction ont également le droit d’examiner une affaire.

Décision concernant la recevabilité

5.1À sa quatre-vingt-douzième session, le 13 mars 2008, le Comité a examiné la recevabilité de la communication. Il a noté que l’État partie contestait cette recevabilité au motif que l’affaire n’avait pas été examinée par le plénum ou par le présidium de la Cour suprême d’Ouzbékistan, au titre de la procédure du contrôle en révision. Il a relevé cependant que l’État partie n’avait apporté aucune explication quant au caractère utile de ces recours, se limitant à indiquer qu’ils étaient prévus par la loi. Le Comité a estimé que, même à supposer que ces recours puissent être utiles dans certains cas, la révision demandée n’était possible qu’avec le consentement explicite du Président ou des Vice-Présidents de la Cour suprême, qui disposaient donc d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou refuser de renvoyer une affaire à la Cour, alors qu’un condamné qui s’estimait atteint dans ses droits ne pouvait pas demander cette révision directement.

5.2Le Comité a noté que, dans la présente affaire, l’auteur avait fourni des copies de 11 refus opposés à ses demandes de contrôle en révision, signés par le Président ou par les Vice-Présidents de la Cour suprême. On ne pouvait donc en aucun cas imputer à l’auteur le fait que l’affaire concernant son fils n’ait pas été examinée par le plénum ou par le présidium de la Cour suprême. Le Comité a noté par ailleurs qu’en vertu de la loi sur les tribunaux de l’État partie le présidium ou le plénum de la Cour suprême pouvaient également examiner une affaire donnée parallèlement au réexamen effectué par les chambres de cette juridiction. Cette situation, de l’avis du Comité, montrait que les recours en question n’étaient pas d’application générale, mais restaient discrétionnaires et exceptionnels. En conséquence, le Comité a considéré que l’article 5 paragraphe 2 b) du Protocole facultatif ne l’empêchait pas d’examiner la présente communication.

5.3Le Comité a pris note du grief de l’auteur, qui affirmait que son fils avait été atteint dans les droits qui lui sont reconnus à l’article 2 du Pacte, sans toutefois fournir d’informations à l’appui de cette affirmation. Le Comité a rappelé que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui définit les obligations générales des États parties, ne peuvent pas isolément donner lieu à une plainte dans une communication présentée au titre du Protocole facultatif. Il a estimé que le grief de l’auteur à cet égard était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4Le Comité a pris note également du grief de l’auteur, qui affirmait que son fils avait été atteint dans les droits qui lui sont reconnus à l’article 9 du Pacte (voir plus haut, par. 2.16). En l’absence de toute autre information détaillée et documentée à l’appui de cette affirmation, il a estimé que cette partie de la communication n’avait pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et était donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5L’auteur affirmait également que son fils avait été atteint dans les droits qui lui sont reconnus à l’article 10 du Pacte (voir plus haut, par. 2.17 à 2.20). En l’absence de toute autre information pertinente, le Comité a décidé que cette partie non plus de la communication n’avait pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et était donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.6Le Comité a estimé que les faits présentés par l’auteur semblaient soulever des questions au regard des articles 7 et 14 du Pacte, et qu’il convenait donc d’examiner sur le fond les griefs tirés de ces dispositions.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

6.1L’État partie a fait part de ses observations sur le fond dans une note verbale datée du 6 mai 2009. Il y rappelle les faits de l’affaire: le 2 mars 2004, le tribunal municipal de Tachkent avait reconnu M. Lyachkevich coupable de meurtre et vol avec violence et l’avait condamné à une peine d’emprisonnement de vingt ans. Le 29 juin 2004, cette décision avait été confirmée en appel par la Cour suprême. En vertu d’une mesure de grâce collective en date du 1er décembre 2003, la peine de M. Lyachkevich avait été réduite d’un cinquième (quatre ans).

6.2Selon l’État partie, la culpabilité de M. Lyachkevich a été établie au vu non seulement des aveux que celui-ci a faits pendant l’enquête préliminaire, mais aussi d’une multitude d’éléments de preuve corroborant ces aveux, comme des dépositions de témoins, les déclarations de plusieurs autres personnes venues déposer à l’audience, les rapports des perquisitions effectuées au domicile de M. Lyachkevich, y compris au sous-sol, les rapports des fouilles effectuées dans la voiture utilisée pour transporter le corps, ainsi que les éléments de preuve trouvés à cette occasion, et le procès-verbal de la vérification des aveux de M. Lyachkevich sur le lieu du crime, etc.

6.3Il ressort du dossier de l’affaire que M. Lyachkevich a été arrêté et interrogé en qualité de suspect le 10 août 2003, en présence d’un avocat, M. Bourkhanov. Le dossier contient un document officiel daté du 10 août 2003 par lequel cet avocat est autorisé à représenter M. Lyachkevich, et la présence de M. Bourkhanov est confirmée par la signature qu’il a apposée ce jour-là sur les documents officiels relatifs à l’interrogatoire. L’avocat était également présent pendant le contre-interrogatoire de MM. Lyachkevich et Kladov qui a eu lieu le 11 août 2003.

6.4M. Lyachkevich a été placé en détention provisoire le 11 août 2003 et ce même jour un autre avocat, M. Agakhaniants, lui a été attribué. Le 12 août 2003, en présence du nouvel avocat, les enquêteurs ont procédé à une reconstitution sur le lieu du crime pour vérifier les aveux de M. Lyachkevich. Selon l’État partie, c’est l’interrogatoire de M. Lyachkevich en qualité de suspect qui a permis de savoir où se trouvait le corps de M. Sayfoutdinov et de comprendre les circonstances exactes du crime.

6.5Selon l’État partie, tous les actes d’investigation concernant M. Lyachkevich ont été réalisés en présence d’un avocat. Pendant ses interrogatoires, M. Lyachkevich a confirmé qu’il avait avoué de son plein gré et qu’il n’avait pas été soumis à des méthodes d’enquête illégales. Le tribunal a interrogé l’enquêteur et d’autres policiers, et tous ont démenti avoir eu recours à des méthodes d’enquête illégales.

6.6En outre, un contrôle effectué pendant la phase précédant l’instruction a montré qu’aucune pression physique ou psychologique n’avait été exercée sur M. Lyachkevich, ni sur l’auteur de la communication. Pendant l’enquête préliminaire, un procureur a cautionné les actes des policiers qui avaient arrêté M. Lyachkevich; il a assuré que ceux-ci n’avaient rien fait d’illégal.

6.7L’État partie rappelle qu’à l’audience le fils de l’auteur a prétendu qu’en réalité le meurtre avait été commis par un dénommé «Sergei». Il indique que cette allégation a été vérifiée par le tribunal, qui a conclu qu’elle n’était pas fondée puisqu’elle était démentie par les autres éléments de preuve. Par conséquent, la culpabilité de M. Lyachkevich a été dûment établie par le tribunal, ses actes ont été correctement qualifiés, et sa peine est proportionnée au crime commis.

Commentaires de l’auteur

7.1Dans un courrier en date du 13 juillet 2009, l’auteur a réitéré ses allégations précédentes et fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Premièrement, elle dément que l’avocat, M. Bourkhanov, ait été officiellement autorisé à représenter son fils le 10 août 2003, comme l’affirme l’État partie. Elle soutient que cet avocat a été désigné d’office par un enquêteur, sans qu’elle-même ait été consultée. En outre, son fils a affirmé à l’audience que cet avocat n’était pas présent pendant ses premiers interrogatoires. Dans la matinée du 11 août 2003 (un lundi), l’auteur s’est entretenue avec l’enquêteur et lui a présenté l’avocate (Mme Agakhyants) qu’elle avait engagée à titre privé pour représenter son fils. L’enquêteur a expliqué qu’aucun acte d’investigation n’aurait lieu ce jour-là et a invité la nouvelle avocate à venir le jour suivant, pour assister à un interrogatoire. Toutefois, il s’est avéré plus tard que M. Lyachkevich avait été interrogé le 11 août 2003 et que des actes d’investigation avaient été réalisés, dont un contre-interrogatoire avec M. Kladov, sans la présence de l’avocat personnel de M. Lyachkevich. L’auteur affirme que son fils n’a été informé à aucun moment de son droit d’être assisté d’un avocat.

7.2L’auteur répète que son fils n’a avoué être coupable du crime que le 10 août 2003, c’est-à-dire au troisième jour de sa détention. Lorsqu’il avait été interrogé en qualité de témoin les 8 et 9 août 2003, il avait seulement confirmé avoir rencontré M. Sayfoutdinov le 6 août 2003, sans parler du meurtre. Pour l’auteur, cela montre que son fils a avoué sous l’effet de contraintes psychologiques et physiques, y compris le chantage, les menaces, les coups et la torture.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une notre verbale datée du 25 septembre 2009, l’État partie a fait des observations complémentaires. Il rappelle les faits de l’affaire et répète que la culpabilité de M. Lyachkevich a été dûment établie, au vu d’une multitude de preuves concordantes. M. Lyachkevich avait été arrêté officiellement le 10 août 2003, il s’était vu attribuer un avocat commis d’office et avait été interrogé en qualité de suspect. Le 11 août 2003, il avait été soumis à un contre-interrogatoire avec M. Kladov et avait été interrogé en qualité d’inculpé, en présence de l’avocat.

8.2Le 11 août 2003, M. Lyachkevich avait été officiellement placé en détention provisoire et sa famille avait fait appel à un avocat privé. Le 12 août 2003, une reconstitution avait été faite sur le lieu du crime pour vérifier les aveux de M. Lyachkevich, en présence de cet avocat. Pendant ses interrogatoires, en qualité de suspect et en qualité d’inculpé, M. Lyachkevich avait expliqué en détail quand et comment il avait commis le meurtre, comment il avait démembré le corps de M. Sayfoutdinov, et quand et comment il avait jeté les morceaux dans la rivière. Ses aveux avaient permis de localiser ces restes, qui avaient ensuite pu être identifiés par les proches de la victime.

8.3L’État partie soutient que tous les actes d’investigation concernant M. Lyachkevich ont été réalisés en présence d’un avocat. En outre, lors d’un entretien avec un procureur, M. Lyachkevich a confirmé qu’il avait avoué de son plein gré et qu’il n’avait pas été soumis à des méthodes d’enquête illégales. Suite aux allégations de Mme Lyachkevich, des dispositions avaient été prises pour vérifier si des méthodes d’enquête illégales avaient été utilisées à l’endroit de la victime présumée, et cette vérification avait montré que les allégations n’étaient pas fondées.

Examen au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme que l’on a fait subir à son fils des pressions psychologiques et physiques et des actes de torture au point de l’amener à se déclarer coupable (voir plus haut, par. 2.15). L’auteur précise que son fils a été battu par plusieurs policiers pendant les premières phases de l’enquête. Cependant, elle ne donne aucun détail sur ces brutalités présumées, ni, en particulier, sur la nature des actes de torture allégués, et elle ne dit pas si son fils, l’avocat privé de celui-ci ou elle-même ont cherché à dénoncer ces violences avant le procès. Le Comité prend note également des arguments de l’État partie, qui soutient que M. Lyachkevich a avoué de son plein gré et qu’il a confirmé ce fait à son avocat privé et en particulier à un procureur. Le Comité note en outre que, selon l’État partie, les tribunaux ont examiné les allégations en question et les ont jugées dénuées de fondement. Dans ces conditions, et au vu des informations dont il dispose, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des droits qui sont reconnus au fils de l’auteur à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

9.3Le Comité note également que l’auteur invoque une violation des droits qui sont reconnus à son fils aux paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte (voir plus haut, par. 2.20), et que l’État partie n’a pas réfuté ce grief en particulier. Toutefois, en l’absence d’autres informations de la part des parties, le Comité considère que les faits tels qu’ils ont été présentés ne lui permettent pas de conclure à une violation des droits qui sont garantis à M. Lyachkevich par ces dispositions du Pacte.

9.4Le Comité prend note en outre des allégations de l’auteur, qui affirme que son fils a été privé du droit à la défense, notamment du fait que l’avocat qu’elle avait engagé à titre privé le 11 août 2003 a été empêché de le défendre ce jour-là alors que d’importants actes d’investigation avaient justement lieu. Le Comité relève que l’État partie s’est borné à affirmer que tous les actes d’investigation concernant M. Lyachkevich avaient été réalisés en présence d’un avocat, sans aborder en particulier la question de la possibilité, pour M. Lyachkevich, d’être assisté de son avocat personnel. Dans ces conditions, et en l’absence d’autres informations de la part des parties, le Comité conclut que le fait d’avoir empêché le fils de l’auteur d’être assisté de l’avocat de son choix pendant une journée au cours de laquelle il a été interrogé et a participé à d’autres actes d’investigation constitue une violation des droits qui lui sont reconnus au paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits qui sont reconnus à M. Lyachkevich en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir un recours utile à M. Lyachkevich, sous la forme d’une réparation appropriée. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]