CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

RESTREINTE*

CCPR/C/73/D/865/1999

5 novembre 2001

FRANÇAIS

Original: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑treizième session15 octobre-2 novembre 2001

CONSTATATIONS

Communication no 865/1999

Présentée par :M. Alejandro Marin Gómez (représenté par un avocat, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:L’auteur

État partie:Espagne

Date de la communication :20 juillet 1998 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91, communiquée à l’État partie le 24 avril 1999 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:22 octobre 2001.

Le 22 octobre 2001, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 865/1999. Le texte est annexé au présent document.

Annexe

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIFSE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITSCIVILS ET POLITIQUES ‑ SOIXANTE‑TREIZIÈME SESSION

concernant la

Communication no 865/1999*

Présentée par:M. Alejandro Marin Gómez (représenté par un avocat, M. José Luis Mazón Costa)

Au nom de:L’auteur

État partie :Espagne

Date de la communication:20 juillet 1998 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité:22 octobre 2001.

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 octobre 2001,

Ayant achevé l’examen de la communication no 865/1999 présentée par M. Alejandro Marin Gómez en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 20 juillet 1998, est M. Alejandro Marín Gómez, citoyen espagnol, qui se dit victime de violations par l’Espagne de l’article 14, paragraphe 1, de l’article 25, alinéa c, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un avocat.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a été incorporé dans la Garde civile le 1er mars 1981, à l’âge de 19 ans, et il est resté en activité dans ce corps jusqu’au 15 novembre 1990, où il est passé en situation de «réserve active» pour cause de perte d’aptitudes psychophysiques. Le 15 novembre 1994, après une période de quatre ans dans la réserve active, le tribunal médical militaire de zone a rendu un avis dans lequel il été reconnu à l’unanimité que l’auteur était apte au service actif.

2.2Le Ministère de la défense, dans sa décision du 28 avril 1995, a rejeté la demande de réintégration dans le service actif présentée par l’auteur en février 1995, arguant que «la disposition transitoire mentionnée qui permet le retour au service actif ne s’applique pas à l’intéressé, puisque celui‑ci a été placé en situation de réserve active non pas pour le motif prévu à l’alinéa a du paragraphe 1 de l’article 4 de la loi no 20/1981, mais pour cause d’insuffisance psychophysique, conformément à l’alinéa d dudit article 4».

2.3L’auteur a formé un recours administratif contre la décision du Ministère de la défense en date du 28 avril 1995, mais la cinquième section de contentieux administratif de la Audiencia Nacional (juridiction nationale) a rendu le 28 février 1997 une décision confirmant la décision du Ministère de la défense. Cette décision était fondée sur le fait que le refus de réintégrer dans le service actif les personnes qui étaient en situation de réserve active pour cause de perte de conditions physiques qui auraient été récupérées ultérieurement, à la différence de l’acceptation de la réintégration dans le service actif des personnes placées en situation de réserve pour raison d’âge, n’implique pas une violation du droit à l’égalité d’accès à la fonction publique. La juridiction nationale a conclu qu’il s’agissait de deux cas différents et que, de ce fait, il n’y avait pas de discrimination.

2.4L’auteur a formé un recours en amparo qui a été rejeté par la Cour constitutionnelle le 3 novembre 1997, pour le motif que la décision contestée ne dérogeait pas au principe de l’égalité dans la mesure où il s’agissait de situations distinctes avec des critères eux aussi distincts.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère qu’il y a violation des droits énoncés à l’article 25, alinéa c, et à l’article 26 du Pacte dans la mesure où il lui est refusé de reprendre son activité de garde civil quand bien même il a été déclaré rétabli par un tribunal médical de la maladie ayant motivé son transfert dans la réserve, puisqu’une telle réincorporation est possible pour les gardes civils placés dans la réserve active pour raison d’âge. À cet égard, l’auteur soutient que la deuxième disposition transitoire de la loi no 28/1994 crée une situation de discrimination et qu’elle restreint le droit d’accès à la fonction publique de la Garde civile, fonction qui doit pouvoir être exercée dans des conditions d’égalité.

3.2Selon l’auteur, il est contraire à l’article 14, paragraphe 1, et à l’article 26 du Pacte de lui avoir refusé, lorsqu’il a formé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, la possibilité de comparaître sans représentant légal (procurador), étant donné qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 81 de la loi organique de la Cour, les licenciés en droit ont la possibilité de comparaître dans les procédures de recours en amparo sans se prévaloir des services d’un procurador alors que les personnes non licenciées en droit doivent comparaître avec un procurador.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 19 juin 1999, l’État partie conteste la recevabilité de la présente communication en se fondant sur le fait que l’auteur a toujours été assisté par un avocat et un procurador et qu’il ne s’est jamais plaint d’être victime d’une quelconque violation. En conséquence, l’auteur ne peut pas affirmer être victime d’une violation puisqu’il n’a pas formulé de telle allégation devant la Cour constitutionnelle.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1Dans ses commentaires du 1er septembre 1999, l’auteur répond aux observations de l’État partie sur la recevabilité et déclare que, le 3 avril 1997, il a demandé à la Cour constitutionnelle d’être dispensé de l’utilisation des services d’un procurador, en invoquant le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte et l’article 14 de la Constitution espagnole.

5.2La Cour constitutionnelle a rejeté cette requête le 21 avril 1997, avertissant l’auteur que s’il ne comparaissait pas avec un procurador dans un délai de 10 jours, «le présent recours serait jugé irrecevable et classé».

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations du 5 octobre 1999 l’État partie soutient, en ce qui concerne la violation supposée de l’article 25, alinéa c, que comme l’auteur a accédé à la Garde civile en tant que fonctionnaire et qu’il touche les rétributions correspondantes en tant qu’officier de la Garde civile, il est évident qu’il n’a pas été empêché d’accéder à la fonction publique. L’État partie considère que l’auteur confond «l’accès à la fonction publique», droit garanti à l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, et le passage d’une situation administrative à une autre à l’intérieur de la fonction publique, domaine non couvert par le Pacte. En conclusion, le problème soulevé par l’auteur n’est pas celui de l’accès à la fonction publique, mais celui du passage d’une situation administrative à une autre à l’intérieur de la fonction publique.

6.2En ce qui concerne les allégations au titre de l’article 26 du Pacte, l’État partie conteste le fait que, selon l’auteur, le passage à la situation de service actif est admis en cas d’incorporation dans la réserve pour raison d’âge, mais non pour cause de maladie. L’État partie dit que l’auteur a confondu les règles juridiques et il explique que la réserve active, créée par la loi n° 20/1981, a été supprimée avec la promulgation de la loi n° 28 du 18 octobre 1994, dont la septième disposition transitoire stipule que «le personnel de la Garde civile qui se trouve en situation de réserve active passera à la situation de réserve». Mais le passage de la situation de réserve à la situation de service actif est exclu.

6.3La loi n° 20/1994 est entrée en vigueur le 20 janvier 1995. Selon l’État partie, l’auteur a été déclaré apte au service actif le 15 novembre 1994 et l’accord du tribunal médical lui a été notifié le 15 décembre 1994. Jusqu’au 20 janvier 1995, l’auteur était encore en situation de réserve active et pouvait demander son retour au service actif. Or, il n’a demandé son retour au service actif que le 23 février 1995, alors qu’il se trouvait en situation de réserve puisqu’il était assujetti aux dispositions mentionnées au paragraphe précédent.

6.4Cette interdiction du passage de la réserve au service actif a souffert une exception temporaire que, selon l’État partie, l’auteur omet. En effet, conformément à la loi n° 20/1981, un garde civil pouvait passer à la réserve active, entre autres raisons pour cause d’âge ou de maladie. De par la loi n° 28/1994, la réserve active a été transformée en réserve, un garde civil pouvant passer à la situation de réserve pour cause soit d’âge soit de maladie, entre autres. Toutefois, l’auteur omet le fait que la loi n° 28/1994, outre qu’elle a remplacé la réserve active par la réserve, a porté à 56 ans l’âge prévu pour le passage à la situation de réserve. Ce report de l’âge prévu pour le passage dans la réserve ne concerne que les personnes ayant accédé, ou pensant accéder, pour raison d’âge à la réserve active, qui a été supprimée.

6.5L’État partie conclut que la loi ne fait pas de discrimination entre les gardes civils placés dans la réserve pour cause de maladie ou pour raison d’âge, mais remplace la réserve active par la réserve et recule l’âge prévu pour accéder à la réserve. Ce report de la limite d’âge de 50 à 56 ans affecte, en outre, tous les gardes qui sont passés, ou pensaient passer, dans la réserve à l’âge de 50 ans. La loi prévoit pour cela un délai d’un mois, qui vaut pour demander aussi bien le passage dans la réserve avant l’âge de 56 ans qu’une réintégration dans le service actif des personnes placées dans la réserve à 50 ans, âge que la loi porte à 56 ans.

Commentaires de l’auteur sur le fond

7.1Dans ses commentaires du 28 janvier 2000, l’auteur répond aux allégations de l’État partie quant au fond et réaffirme, en relation avec l’alinéa c de l’article 25 du Pacte, que bien que placé dans la réserve active il a été empêché d’exercer les fonctions propres à un garde civil. L’auteur insiste également sur le fait que l’argument invoqué par le Ministère de la défense est de nature clairement discriminatoire, en ce sens que si l’auteur était dans la réserve active pour raison d’âge il pourrait être réintégré dans le service actif, alors que, du fait qu’il a été admis dans la réserve active pour cause de maladie et bien qu’il n’ait pas 50 ans, il n’a pas cette possibilité.

7.2En ce qui concerne l’article 26, l’auteur précise que dans la décision du Ministère de la défense il est fait référence à la deuxième disposition transitoire de la loi n° 28/1994; il ajoute que la disposition en question ne s’applique pas à lui parce qu’il est passé à la situation de réserve active non pour raison d’âge mais pour cause d’insuffisances psychophysiques, comme dit au paragraphe 2.2. L’auteur considère, par conséquent, que la disposition transitoire en question est discriminatoire puisque la différence de traitement n’est pas fondée sur des motifs raisonnables.

Délibérations du Comité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu de l’alinéa a du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête et de règlement.

8.3Le Comité prend note des observations de l’État partie sur la recevabilité, faisant valoir que l’auteur n’a jamais contesté devant les tribunaux nationaux la nécessité du procurador. Toutefois, le Comité considère que, du fait que l’auteur a demandé à la Cour constitutionnelle d’être dispensé de l’utilisation d’un procurador, l’auteur a effectivement épuisé ce recours.

8.4En ce qui concerne les allégations de violation des articles 14, paragraphe 1, et 26 du Pacte au motif que l’auteur n’aurait pas eu la possibilité de comparaître devant la Cour constitutionnelle sans procurador, le Comité considère que les informations fournies par l’auteur ne font pas apparaître une situation qui relève du champ d’application desdits articles. L’auteur soutient qu’il existe une discrimination du fait qu’il n’est pas exigé des licenciés en droit qu’ils comparaissent devant la Cour constitutionnelle par l’intermédiaire d’un procurador, alors que les personnes qui ne sont pas licenciées en droit doivent satisfaire à cette exigence. Se référant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que, comme la Cour constitutionnelle elle-même l’a fait valoir, un procurador est exigé parce qu’il est nécessaire qu’une personne connaissant le droit soit chargée de la présentation du recours devant cette instance. Quant aux allégations de l’auteur suivant lesquelles cette exigence n’est pas fondée sur des critères objectifs et raisonnables, le Comité considère que les allégations en question n’ont pas été dûment justifiées aux fins de la recevabilité. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité déclare que le reste de la communication est recevable et passe à l’examen quant au fond.

Examen de la question quant au fond

9.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication compte tenu des informations fournies par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

9.2Pour ce qui est des allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait été victime d’une violation de l’article 26 du Pacte, le Comité note que l’auteur a été déclaré apte au service actif le 15 novembre 1994 et que l’accord des autorités médicales lui a été notifié le 15 décembre. Toutefois, l’auteur n’a pas demandé son transfert au service actif à ce moment‑là. Le Comité note que la nouvelle loi 20/1994 est entrée en vigueur le 20 janvier 1995 et qu’en vertu de cette loi la catégorie de «réserve active» a été supprimée, la seule catégorie subsistant étant celle de la «réserve», ce qui, conformément à l’article 103 de la loi 17/1989, ne permet pas aux militaires en situation de réserve à passer au service actif. Le Comité note que l’auteur a été touché par la loi 20/1994 uniquement dans la mesure où, à compter du 20 janvier 1995, il n’a plus pu demander à être transféré au service actif. Il note par ailleurs que l’auteur ne s’étant pas prévalu de la possibilité de demander un transfert au service actif avant le 20 janvier 1995, la situation qui en a résulté ne peut être imputable qu’à ce dernier et non pas à l’État partie. Le Comité note l’argument de l’auteur qui affirme que la loi 20/1994 est discriminatoire car elle n’autorise le retour au service actif que des seules personnes qui ont été placées dans la réserve en raison de leur âge; toutefois, il considère que ladite loi n’est pas discriminatoire car elle se limite à porter l’âge de la retraite à 56 ans et elle autorise les personnes qui sont passées dans la réserve active du fait qu’elles avaient atteint l’âge de 50 ans à demander leur réintégration dans le service actif, conformément aux dispositions prévues dans la loi et, ensuite, à invoquer les nouvelles dispositions en matière d’âge pour passer dans la réserve. En conséquence, le Comité estime que les faits invoqués par l’auteur ne font pas apparaître de violation de l’article 26 du Pacte.

9.3Le Comité estime, pour les mêmes raisons exposées au paragraphe précédent, qu’il n’y a pas eu en l’espèce de violation du droit à l’égalité dans l’accès à la fonction publique énoncé à l’article 25 c du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu des dispositions du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation par l’Espagne d’un article du Pacte.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de Mme Christine Chanet, membre du Comité

Je ne souscris pas à la décision du Comité telle qu’elle résulte de la motivation indiquée au 8.4.

Le privilège octroyé aux titulaires de diplômes de droit par la procédure civile espagnole qui les dispense de prendre un mandataire pour ester en justice soulève à mon sens, prima facie, des questions au regard des articles 2, 14 et 26 du Pacte.

Il se peut que l’État partie avance des arguments convaincants justifiant le caractère raisonnable du critère choisi, aussi bien dans son principe que dans son application.

Seul un examen de l’affaire sur le fond aurait apporté des réponses indispensables à l’examen sérieux du cas.

(Signé) Christine Chanet   

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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