Nations Unies

CRC/C/85/D/40/2018

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

2 novembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 40/2018 * , **

Communication présentée par :

S. M. A. (représenté par un conseil, Francisco Soláns Puyuelo)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

9 février 2018

Date des constatations:

28 septembre 2020

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un enfant non accompagné

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes, irrecevabilité ratione personae, défaut de fondement des griefs

Article(s) de la Convention :

3, 8, 12, 18 (par. 2), 20 (par. 1), 20, 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif :

6, 7 (al. f))

1.1L’auteur de la communication est S. M. A., de nationalité guinéenne, né le 11 février 2001. Il se dit victime d’une violation des articles 3, 8, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Bien que l’auteur n’invoque pas expressément l’article 12 de la Convention, la communication semble également soulever des questions au titre de cette disposition. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 12 février 2018, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires tendant à suspendre l’exécution de la décision d’expulsion de l’auteur tant que sa communication serait à l’examen et à transférer l’intéressé dans un centre de protection pour mineurs.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 22 janvier 2018, l’auteur a été arrêté par la police au moment où il arrivait à Almería dans une embarcation de fortune. Il a déclaré à la police qu’il était mineur et qu’il était né le 11 février 2001. Le 23 janvier 2018, la Direction générale de la police a émis une décision de renvoi à son égard. L’auteur dit que, sur ce document, la mention de son année de naissance, 2001, a été visiblement raturée et remplacée par 1998.

2.2Le 25 janvier 2018, l’auteur a été présenté au tribunal d’instruction no 4 d’Almería qui, le même jour, a ordonné qu’il soit transféré au centre de détention pour étrangers de Valence et y demeure pendant toute la durée de la procédure engagée contre lui, dans la limite d’une durée maximale de soixante jours. L’auteur dit qu’à son admission au centre de détention pour étrangers, il a réaffirmé qu’il était mineur.

2.3Le 31 janvier 2018, l’auteur a été conduit à l’hôpital où il a été soumis à un examen radiologique du poignet. D’après la radiographie, dont les résultats ont été interprétés d’après l’Atlas de Greulich et Pyle, l’auteur était âgé de 19 ans. C’est pourquoi, le même jour, le parquet de la province d’Almería a rendu une décision établissant que l’auteur était majeur. L’avocat de l’auteur a été informé verbalement que d’autres examens, à savoir une radiographie de la clavicule et un panoramique dentaire, avaient été effectués, mais lui-même ni son client n’ont eu accès aux résultats. De plus, l’auteur dit qu’il n’a pas été convenablement informé, dans une langue qu’il était à même de comprendre, de la procédure ni des possibles conséquences des examens réalisés.

2.4Le même jour, l’avocat de l’auteur a contesté la décision établissant que l’auteur était majeur, arguant que les examens réalisés étaient inexacts et insuffisants et citant un rapport du Défenseur espagnol du peuple, qui indique que les examens en question présentent des marges d’erreur et recommande de recourir à une évaluation globale, comportant des tests psychosociaux. Il a ajouté que l’auteur avait l’apparence d’un adolescent et que l’on comprenait difficilement qu’il ait pu être considéré comme majeur. L’auteur indique que la juridiction d’appel l’a débouté et a confirmé la décision du parquet de la province d’Almería, sans préciser que les examens qu’il avait subis comportaient une marge d’erreur de deux ans environ.

2.5Le 8 février 2018, l’auteur a reçu une copie de son acte de naissance, établissant sa date de naissance au 11 février 2001, sur la messagerie électronique de l’antenne de la Croix-Rouge située dans le centre pour étrangers où il était détenu. De ce fait, le centre a lui-même demandé la révision de la décision établissant que l’auteur était majeur. Le même jour, le parquet a rejeté cette requête, indiquant que le document présenté par l’auteur était un document rédigé en français qui semblait être un acte de naissance et ne présentait aucune garantie d’authenticité, et concluant qu’il ne constituait pas un acte authentique ayant force probante, comme l’exige la loi relative à la procédure civile.

2.6Le 23 février 2018, l’auteur a été remis en liberté, et selon l’État partie, on ignore où il se trouve.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 3, 8, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Il soutient que l’État partie n’a pas respecté le principe de la présomption de minorité qui doit s’appliquer en cas de doute ou d’incertitude quant à l’âge, ce qui est contraire à son intérêt supérieur et constitue une violation de l’article 3 de la Convention, d’autant plus qu’il a en sa possession un document prouvant qu’il est mineur. Il renvoie aux observations finales du Comité concernant l’État partie, dans lesquelles le Comité s’est dit préoccupé par le fait que l’État partie n’avait adopté aucune méthode propre à déterminer en quoi consistait l’intérêt supérieur de l’enfant, dont le principe était pourtant inscrit dans la législation nationale, et par les différences entre les communautés autonomes quant à la compréhension et à l’application de ce principe. Le Comité a aussi constaté avec préoccupation que l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas pris en considération et que les méthodes employées pour déterminer l’âge des enfants non accompagnés variaient. L’auteur s’appuie en outre sur diverses études pour affirmer que les méthodes d’évaluation médicale auxquelles l’État partie a recours, en particulier les examens auxquels on l’a soumis, ont une marge d’erreur élevée, étant donné que les recherches sur lesquelles elles sont fondées ont été réalisées sur des populations présentant des caractéristiques raciales et socioéconomiques très différentes.

3.2Sans invoquer un article précis, l’auteur affirme également qu’il a été victime d’une violation des droits qui lui sont garantis par la Convention car aucun tuteur ne lui a été assigné pour défendre ses intérêts, alors que cela constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné, et l’État partie ne l’a pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Il soutient que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer les dispositions d’ordre public relatives aux étrangers et qu’en présence d’une personne qui affirme être mineure et qui est sur le point d’obtenir des documents pour le prouver, l’État partie doit mobiliser son appareil administratif et désigner automatiquement un tuteur.

3.3De surcroît, l’auteur affirme que l’État partie a violé son droit à l’identité, consacré par l’article 8 de la Convention, car l’âge est un aspect fondamental de l’identité, à laquelle l’État partie ne doit pas porter atteinte. Il ajoute que l’État partie est même tenu de conserver et de protéger les données relatives à son identité qui existent ou peuvent exister encore, compte tenu de la situation de vulnérabilité dans laquelle il se trouve du fait qu’il est mineur et n’a pas de famille dans le pays d’accueil. Or, l’État partie lui a attribué un âge qu’il n’a pas et une date de naissance qui ne correspond pas à celle qu’il a déclarée et qui figure sur le document d’identité qu’il a présenté par la suite.

3.4L’auteur se dit également victime d’une violation des articles 27 et 29 de la Convention, car les décisions prises l’ont empêché de développer pleinement toutes ses facultés. Il estime que, parce qu’il n’a pas eu de tuteur pour le guider, il n’a pas pu s’épanouir comme il aurait dû le faire à son âge.

3.5L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 20 de la Convention en raison du défaut de protection et de l’exclusion sociale qu’ont entraînés les décisions et actions de l’État partie. Il soutient qu’il n’a pas été protégé par l’État partie, qui l’a considéré comme majeur sans aucune preuve concluante, même après qu’il a présenté un document attestant qu’il était mineur ; il cite l’observation générale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d'origine, selon laquelle le droit à une protection doit être interprété au regard de la situation du mineur, de son âge et de son origine ethnique, culturelle et linguistique.

3.6À titre de réparation possible, l’auteur propose :

a)Que l’exécution de la décision de renvoi vers son pays d’origine soit suspendue et qu’il soit confié aux services de protection des mineurs ;

b)Que lui soient reconnus tous les droits attachés à son statut de mineur, y compris le droit d’être protégé par l’État, le droit à un représentant légal et le droit à l’éducation, et qu’un permis de séjour et de travail lui soit accordé afin qu’il puisse développer pleinement sa personnalité et s’intégrer dans la société ;

c)Que l’État partie reconnaisse que son âge ne peut être établi sur la base des examens médicaux auxquels il a été soumis ;

d)Que les décisions rendues par le parquet établissant sa majorité puissent être contestées devant les tribunaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication

4.1L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication le 9 mars et le 2 août 2018.

Exposé des faits

4.2Dans ses observations concernant la recevabilité de la communication et la levée des mesures provisoires, l’État partie rappelle les faits en cause et affirme que l’auteur les a présentés de manière partielle et inexacte. Il soutient qu’après que l’auteur est arrivé sur son territoire à bord d’une embarcation de fortune, le 22 janvier 2018, le parquet de la province d’Almería a ordonné un examen médical, qui a donné lieu à un rapport du médecin légiste indiquant, sur la base de la radiographie du poignet de l’auteur, que l’intéressé avait plus de 18 ans. Le 23 janvier 2018, la Brigade des étrangers et des frontières d’Almería a engagé une procédure de renvoi, qui a abouti à l’émission d’une décision de la Sous-Délégation du Gouvernement à Almería. L’État partie indique que, par erreur, la Brigade des étrangers et des frontières d’Almería n’a pas modifié l’âge de l’auteur après que celui-ci a été déclaré majeur et qu’il a donc fallu inscrire au stylo la date de naissance retenue par les services du parquet d’Almería chargés de la protection des mineurs. La correction ainsi apportée à la décision de renvoi est attestée par l’avocate commise d’office et l’interprète.

4.3Le 31 janvier 2018, après l’obtention du consentement éclairé de l’auteur, les examens médicaux destinés à déterminer son âge qui avaient été demandés par son mandataire ont été autorisés. Le même jour, à l’issue de ces examens, le parquet a rendu une décision établissant que l’auteur était majeur. Le 8 février 2018, l’auteur a demandé la révision de cette décision, en présentant une photocopie de son acte de naissance. Le parquet a rejeté cette demande et a rendu une nouvelle décision établissant que l’auteur était majeur, donnant ainsi aux examens médicaux pratiqués la préséance sur le document présenté. Le 10 février 2018, l’auteur a déposé une demande de protection internationale auprès du directeur du centre de détention pour étrangers. Le 12 février, il a été reçu pour un entretien et, le 16 février, il a été informé que sa demande de protection internationale n’avait pas été jugée recevable. Le 20 février, l’avocate commise d’office a demandé le réexamen de la demande de protection internationale. Le 22 février, l’auteur a été informé que sa demande de réexamen avait été rejetée. Le 23 février, il a été remis en liberté au motif qu’il n’était pas possible d’établir les documents nécessaires à son expulsion. L’État partie ne sait pas où il se trouve.

4.4Le 27 février 2018, le Défenseur du peuple a demandé au Commissariat général des étrangers et des frontières de mettre fin à la détention de l’auteur et de faire le nécessaire pour qu’il soit transféré dans un centre de protection pour mineurs, tant que la procédure serait pendante devant le Comité. Le 28 février 2018, la police nationale a informé le Défenseur du peuple de la remise en liberté de l’auteur, le 23 février 2018, et des décisions que les autorités avaient prises, conformément à la législation nationale en vigueur, à l’égard de celui-ci.

Mesures provisoires

4.5L’État partie considère que les mesures provisoires dont l’auteur a bénéficié à la demande du Comité n’ont plus de raison d’être, puisque l’on ignore où celui-ci se trouve depuis sa remise en liberté, le 23 février 2018. Il ajoute que, pendant toute la procédure visant l’auteur, les autorités ont agi conformément à la législation nationale, qui établit le protocole à observer à l’égard des mineurs étrangers non accompagnés présents sur son territoire. Selon ce protocole, si un migrant en situation irrégulière déclare être mineur et semble clairement l’être, il est confié aux services de protection de l’enfance et inscrit au registre des mineurs non accompagnés. Si, a contrario, il se dit mineur, mais que son apparence physique laisse subsister des doutes, comme dans le cas de l’auteur, des examens médicaux sont pratiqués à des fins de détermination de l’âge, sous réserve du consentement de l’intéressé et selon les critères reconnus par la communauté médico‑légale. Dans le cas de l’auteur, les dispositions du protocole ont été pleinement appliquées.

Irrecevabilité de la communication

4.6Dans ses observations du 9 mars 2018, l’État partie affirme que la communication est irrecevable au motif que l’auteur est majeur. Il renvoie à l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif, selon lequel une communication doit être déclarée irrecevable si elle est manifestement mal fondée ou insuffisamment fondée. Il considère que la communication n’est pas dûment fondée, car, d’après les examens médicaux pratiqués, l’auteur a plus de 18 ans.

4.7L’État partie dit que l’auteur n’a pas l’apparence d’un enfant et réaffirme que le document que l’intéressé a présenté pour prouver sa minorité ne peut pas être considéré comme fiable ou authentique, en ce qu’il ne contient aucune donnée anthropométrique permettant d’établir que la personne à laquelle il a été délivré est bien l’auteur, et que le doute à cet égard est d’autant plus grand qu’il ne comporte aucune photographie et a été émis quelques jours seulement avant la présentation de la communication. L’État partie estime que des documents étrangers, comme des actes de naissance ou d’autres actes d’enregistrement, peuvent être une preuve de l’identité de la personne qui les présente, à la condition que l’identité de cette personne ait été préalablement établie, ce qui n’a pas été le cas pour l’auteur. Les documents en question ne sont pas valides en eux-mêmes car, en l’absence de photographie et de données d’identification, rien ne garantit qu’ils se rapportent à la personne qui est en leur possession. Compte tenu de ce qui précède, l’auteur ne satisfait pas à la condition minimale pour saisir le Comité, c’est‑à‑dire avoir moins de 18 ans au moment de la présentation de la communication.

4.8Au cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie demande à titre subsidiaire que celle-ci soit classée sans suite, comme le prévoit l’article 26 du règlement intérieur au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, puisqu’il n’existe pas de motifs de fond qui justifient l’intervention du Comité.

Observations sur le fond de la communication

4.9L’État partie renvoie à la législation nationale applicable aux personnes qui, à leur arrivée sur le territoire espagnol, disent être des mineurs non accompagnés et qui a été systématiquement respectée dans le cas de l’auteur. Il renvoie à la loi organique no 4/2000 sur les droits et libertés et l’intégration sociale des étrangers en Espagne, en particulier aux dispositions relatives aux conditions d’entrée sur le territoire, parmi lesquelles figurent l’obligation d’être en possession d’un passeport ou d’un document de voyage qui prouve son identité et qui soit considéré comme valide au regard des conventions internationales signées par l’État partie. L’auteur n’a pas satisfait à cette obligation. L’État partie renvoie également à la loi organique no 1/1996 sur la protection juridique du mineur, selon laquelle, lorsque l’âge d’une personne ne peut pas être établi, le parquet doit apprécier, dans le respect du principe de proportionnalité, la fiabilité du document d’identité présenté par cette personne et soumettre celle-ci aux examens médicaux nécessaires, dans le respect de sa dignité et avec son consentement éclairé. Les autorités ont satisfait à ces dispositions dans le cas de l’auteur.

4.10L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention, étant donné que l’auteur est majeur. Il précise que la présomption de minorité ne s’applique qu’en « cas d’incertitude », mais non lorsqu’il est manifeste que la personne est majeure et affirme qu’en l’espèce, l’auteur n’étant muni d’aucun document d’identité et ayant l’apparence d’un adulte, les autorités étaient fondées à le considérer comme tel sans qu’il soit nécessaire de procéder à un quelconque examen. Toutefois, l’auteur ayant affirmé être mineur, l’État partie a décidé de le soumettre, après avoir obtenu son consentement éclairé, à des examens médicaux, étant donné que l’observation générale no 6 n’empêche ni, à plus forte raison, n’interdit de procéder à des examens médicaux objectifs de détermination de l’âge sur des personnes qui semblent être majeures, n’ont pas de documents d’identité et affirment être mineures. Ces examens ont été réalisés et leurs résultats ont montré que l’auteur était sans conteste majeur. L’État partie soutient que considérer un adulte comme mineur, en l’absence de preuves irréfutables et sur la seule foi de la déclaration de la personne concernée, ferait courir un risque important aux mineurs placés dans les centres d’accueil (lesquels pourraient être soumis par cet adulte à des violences et à des mauvais traitements), ce qui constituerait une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

4.11L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, pour les raisons suivantes :

a) L’auteur a été pris en charge par les services de santé dès son arrivée sur le territoire espagnol ;

b) Il s’est vu délivrer des documents et a bénéficié gratuitement, aux frais de l’État, des services d’un avocat et d’un interprète ;

c) Sa situation a été immédiatement signalée à l’autorité judiciaire compétente afin que le respect de ses droits soit assuré pendant le déroulement de la procédure découlant de son séjour irrégulier ;

d) Dès qu’il a prétendu être mineur, le ministère public, qui est l’autorité chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, en a été informé, et il a provisoirement déterminé qu’il était majeur. L’État partie soutient donc qu’on ne peut guère parler d’un défaut d’assistance juridique ou de protection de l’auteur, et ce, même dans l’hypothèse où il aurait été mineur.

4.12L’État partie affirme également que, à supposer que l’auteur ait été mineur, son droit à l’identité, protégé par l’article 8 de la Convention, n’a pas non plus été violé. L’identité de l’auteur a été préservée puisque les autorités ont enregistré l’identité qu’il a déclarée être la sienne, dès son arrivée illégale sur le territoire espagnol.

4.13L’État partie soutient enfin qu’il n’y a pas eu de violation des droits énoncés aux articles 20, 27 et 29 de la Convention, car ces droits concernent exclusivement les personnes qui sont incontestablement mineures. Étant donné qu’il existe des preuves de la majorité de l’auteur, les droits revendiqués sont inapplicables.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1L’auteur a présenté ses commentaires concernant la recevabilité et le fond de la communication le 4 décembre 2018. Commentant les allégations de l’État partie, il dit que l’État partie omet de préciser à quel type d’examens médicaux il a été soumis à des fins de détermination de l’âge et d’indiquer que ces examens n’ont pas été assortis d’une marge d’erreur. Or, cette indication est selon lui fondamentale, car, si ladite marge d’erreur avait été appliquée, les résultats obtenus n’auraient pas été en contradiction avec l’âge qu’il avait déclaré et qui était attesté par le document qu’il avait présenté. Il dit aussi que l’État partie ne fait pas mention du fait que les examens médicaux pratiqués et l’analyse de leurs résultats selon l’Atlas de Greulich et Pyle ont été remis en question et discrédités par la communauté scientifique en raison de leur manque de précision, surtout lorsqu’aucune marge d’erreur n’est appliquée. Même le parquet a reconnu que les résultats de ce type d’examen étaient purement approximatifs.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel la date de de naissance de l’auteur figurant sur la décision de renvoi a été modifiée manuellement par suite d’une erreur involontaire, l’auteur affirme qu’il ne s’agissait pas d’une erreur et que cette modification a été apportée délibérément pour faire croire qu’il était majeur. Cet acte délibéré des autorités est attesté par plusieurs éléments : a) l’auteur a déclaré tout de suite qu’il était mineur et il était présenté comme tel dans la fiche de renseignement le concernant ; b) sa déclaration a été rejetée sans aucune raison valable et, en conséquence, il a été soumis à des examens invasifs et inutiles ; c) l’acte par lequel il est supposé avoir donné son consentement éclairé a en réalité été signé sous la contrainte car, s’il avait refusé de signer, il aurait été considéré comme majeur et aurait donc été automatiquement expulsé ; d) tout cela s’est déroulé en l’absence d’avocat ou d’expert totalement indépendant ; e) compte tenu de la nature « prédéterminée » des examens réalisés, le résultat obtenu est contraire aux intérêts de l’auteur, puisque celui-ci a été déclaré majeur, dans une décision administrative qui mentionnait toutefois sa date de naissance exacte, mais que les autorités ont ensuite grossièrement corrigée afin de le faire passer pour majeur.

5.3L’auteur affirme que le juge du tribunal no 4 d’Almería, en ordonnant son placement au centre de détention pour étrangers, est allé dans le sens de la politique nationale de fermeture des frontières, au mépris de ses intérêts en tant que mineur non accompagné. Il fait valoir que le centre de détention pour étrangers n’est pas un endroit approprié pour un mineur car, comme cela a été amplement démontré dans des rapports de diverses entités et organisations non gouvernementales, il ne dispose pas de services suffisants et est constamment placé sous la surveillance de la police. Il ajoute que, dans ses observations, l’État partie semble insinuer qu’il était déjà au centre de détention pour étrangers lorsqu’il a déclaré pour la première fois être mineur, ce qui est inexact, car il a dit qu’il était mineur dès son arrivée sur le territoire espagnol. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il a été soumis à de nouveaux examens médicaux pendant son séjour au centre de détention pour étrangers, à la demande de son mandataire, l’auteur précise qu’il s’agissait du même type d’examens que ceux qui avaient déjà été réalisés et que, comme il fallait s’y attendre, ils ont donné les mêmes résultats, une fois de plus sans que la marge d’erreur soit évoquée.

5.4De plus, l’auteur soutient qu’alors qu’il était en possession d’un document attestant sa minorité, l’État partie l’a soumis à des examens médicaux sans contacter les autorités guinéennes pour vérifier l’exactitude des données figurant sur le document en question. Il soutient que, même si l’acte de naissance qu’il a présenté le 8 février 2018 ne satisfait pas à toutes les conditions pour être considéré comme un acte authentique ayant force probante, il suffit à justifier que les autorités remplissent leur obligation de protection des mineurs en entreprenant des démarches consulaires à la fois par l’intermédiaire du Consulat d’Espagne en Guinée et auprès du Consulat de Guinée en Espagne.

5.5L’auteur affirme que, lorsqu’il a soumis le document susmentionné au parquet, celui‑ci a refusé de revenir sur la décision établissant qu’il était majeur, en fondant son refus uniquement sur les résultats des examens médicaux. Dans sa décision, le parquet a indiqué que le document présenté par l’auteur ne présentait aucune garantie d’authenticité. Il a uniquement reconnu la validité des résultats des tests médicaux qui, s’ils étaient interprétés compte tenu de la marge d’erreur recommandée par les scientifiques, donneraient un âge correspondant à celui qui figure dans les documents de l’auteur. L’auteur ajoute qu’à l’heure actuelle, les scientifiques et même le Bureau du Procureur général de l’État estiment que l’évaluation de l’âge doit s’effectuer selon une méthode globale, faisant intervenir non pas une, mais plusieurs radiographies, et tenant aussi compte d’autres éléments comme la maturité affective et intellectuelle, et que son résultat ne pourra jamais être précis et qu’il faut donc appliquer une marge d’erreur d’au moins deux ans. L’auteur soutient que, si cette méthode avait été employée, il aurait été considéré comme mineur.

5.6En ce qui concerne la demande de l’État partie visant à ce que la communication soit déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement mal fondée, puisque des examens médicaux ont établi que l’auteur avait plus de 18 ans, l’auteur affirme, comme il l’a déjà fait, que l’acte de naissance qu’il a présenté est un acte authentique et valable à des fins d’identification, et devrait tout au moins être considéré comme une preuve indiciaire de sa minorité, et qu’au regard des obligations mises à sa charge par la Convention, l’État partie aurait dû engager les démarches consulaires précitées.

5.7S’agissant de l’article 3 de la Convention, l’auteur soutient que son intérêt supérieur n’a pas été pris en compte, puisque la présomption de minorité n’a pas été respectée ; en effet, il n’a jamais été considéré comme potentiellement mineur et le protocole prévu pour les mineurs étrangers non accompagnés n’a pas été appliqué. À cet égard, il considère que la référence que fait l’État partie à la législation interne applicable aux personnes qui disent être des mineurs non accompagnés, en particulier à la loi organique no 1/1996 sur la protection juridique du mineur, n’est pas pertinente en l’espèce, car les autorités ont agi en contradiction avec les dispositions de cette loi, notamment son article 12, selon lequel, en cas de doute sur la majorité d’une personne, celle-ci doit être considérée comme mineure tant que son âge n’est pas déterminé. L’auteur affirme que les autorités ont commis une violation flagrante de cette disposition, en le considérant systématiquement de manière abusive comme majeur, d’abord à titre provisoire, puis à titre définitif.

5.8En ce qui concerne les arguments de l’État partie selon lesquels il n’a pas porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’auteur, étant donné que la présomption de minorité n’est d’usage qu’en cas d’incertitude, mais non lorsque la personne concernée est manifestement majeure, et la Convention n’interdit pas de procéder à des examens médicaux objectifs de détermination de l’âge sur des personnes qui semblent être majeures, n’ont pas de documents d’identité et affirment être mineures, l’auteur dit que, dès le début, les autorités l’ont entièrement présumé majeur, sans accorder aucun crédit à ses déclarations, et l’ont soumis à des examens médicaux sans fondements scientifiques qui avaient pour but non pas d’établir la vérité, mais de légitimer a posteriori la décision de le considérer comme majeur. De plus, l’État partie a dénié toute validité au document présenté par l’auteur, au motif qu’il ne le jugeait pas authentique, mais n’a rien fait pour s’assurer qu’il s’agissait d’un faux, préférant se cacher derrière des considérations générales sur le manque de fiabilité et d’authenticité.

5.9L’auteur réaffirme en outre que ses droits ont été violés en ce qu’il ne s’est jamais vu assigner un tuteur qui aurait pu veiller sur ses intérêts et qu’il n’a même pas eu accès à un avocat pendant toute la première phase de la procédure ; il n’a bénéficié des services d’un avocat qu’au moment où la décision d’expulsion lui a été notifiée, après qu’on lui a fait signer un formulaire par lequel il donnait supposément son consentement éclairé à la réalisation d’examens peu fiables. L’auteur dit que le parquet a agi avec négligence, avec la volonté de ne pas entraver le travail de la police aux frontières et au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le prouvent la présence de fausses informations dans son dossier et le fait que les autorités n’ont même pas tenté de vérifier l’authenticité de son acte de naissance auprès des autorités consulaires compétentes. Il rappelle que les États parties sont tenus de prendre des mesures pour assurer la prise en charge et l’hébergement des mineurs privés de leur milieu familial. Or, dans son cas, ces mesures n’ont jamais été prises ; au contraire, il a été conduit au centre de détention pour étrangers, ce qui est la même chose, ou même pire, qu’un établissement pénitentiaire.

5.10En ce qui concerne la violation de l’article 8 de la Convention, l’auteur soutient que l’État partie a modifié des éléments importants de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne sont pas ceux qui figurent sur le document officiel qu’il a présenté, en remettant en cause non seulement l’acte de naissance lui-même, mais aussi le fait que celui‑ci soit bien le sien, car il n’est pas accompagné d’une photographie.

5.11L’auteur affirme que l’État partie a manqué aux obligations qui sont mises à sa charge par l’article 27 de la Convention en le considérant comme majeur, ce qui l’a privé de la protection sociale et des garanties contre l’exclusion auxquelles il avait droit en tant que mineur.

Intervention de tiers

6.1Le 3 mai 2018, le Défenseur français des droits a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et de la détention, dans des centres pour adultes, de mineurs sous le coup d’une décision d’expulsion. Cette intervention a été transmise aux parties, qui ont été invitées à faire part de leurs commentaires. Elles ont soumis leurs commentaires dans le cadre de la communication J .  A .  B . c .  Espagne, et ont indiqué qu’ils étaient applicables à toutes les communications dans lesquelles cette intervention a été retranscrite. Dans un souci de concision, le Comité renvoie aux paragraphes 8 à 10 de cette communication.

6.2Le 13 mai 2019, l’auteur a présenté ses commentaires sur l’intervention de tiers. Il estime que cette intervention s’applique au cas des nombreux mineurs non accompagnés qui entrent sur le territoire de l’État partie et invite les autorités à donner suite aux recommandations qu’elle contient. Il rappelle les difficultés rencontrées par les mineurs non accompagnés à compter de leur arrivée en Espagne :

a)Plusieurs mineurs non accompagnés affirment qu’à leur arrivée sur le territoire espagnol, ils étaient en possession de documents d’identité établissant qu’ils étaient mineurs, mais qu’après avoir présenté ces documents aux gardes frontière, ils n’y ont plus eu accès ou ont vu les gardes frontière les détruire ou les jeter à la mer ;

b)Même s’ils déclarent immédiatement qu’ils sont mineurs, les enfants migrants sont enregistrés avec des dates de naissance qui en font des majeurs, et le dossier transmis à la Sous-Délégation du Gouvernement et au juge d’instruction contient donc une date de naissance qui n’est pas celle qu’ils ont déclarée ; cette situation est aggravée par le fait qu’il n’est pas demandé aux migrants en question de signer ou de valider la fiche de renseignement les concernant et par la pratique des décisions collectives de placement en détention ;

c)Les Audiencias Provinciales ne remédient pas à ce manque de garanties procédurales, puisqu’elles confirment presque toujours les décisions prises en première instance ;

d)Une fois placés au centre de détention pour étrangers, de nombreux enfants non accompagnés déclarent être mineurs ; leur déclaration est portée à la connaissance du parquet qui, dans la majorité des cas, leur refuse la possibilité de se soumettre à des tests de détermination de l’âge, au motif qu’aucun élément contredisant la date inscrite sur la fiche de renseignement n’a été apporté ;

e)Lorsque la réalisation de tests est autorisée, les experts médico‑légaux ont tendance à confirmer que l’intéressé est majeur, en se contentant de procéder à des examens osseux et sans mentionner qu’il existe une marge d’erreur ;

f)Lorsque le mineur reçoit de son pays d’origine la copie d’un document prouvant sa minorité, qui est souvent dépourvu de photographie, mais sur lequel figure son nom, le parquet rejette ce document au motif qu’il ne satisfait pas aux critères applicables ou qu’il n’est pas authentique ;

g)Les recours ouverts contre la décision relative à la détermination de l’âge ne sont pas effectifs, car ils sont indirects et n’ont pas d’effet immédiat. Par exemple, le recours contentieux administratif contre la décision de renvoi nécessite la désignation d’un avocat, ce qui est rendu très difficile par le placement immédiat du mineur en détention ; quant à la demande de protection et de prise en charge, elle est généralement rejetée, ce qui oblige l’intéressé à faire appel de la décision devant le juge compétent, ce qui prend beaucoup de temps.

6.3L’auteur fait valoir que la situation décrite ci-dessus constitue un cercle vicieux dans lequel les autorités s’attachent moins à protéger l’intérêt supérieur de l’enfant que la politique de contrôle des frontières, et formule les recommandations suivantes :

a)Il faudrait que les décisions relatives à la détermination de l’âge ne relèvent pas d’une seule personne (le policier qui consigne les informations, le procureur qui décide de l’âge, le médecin légiste qui procède aux examens), mais de plusieurs personnes issues de différentes entités, ce qui éviterait les erreurs et la falsification de documents et permettrait de mieux contrôler les décisions d’ouverture d’une procédure de détermination de l’âge, et il faudrait en outre que les résultats des examens réalisés sur le mineur soient corroborés par plusieurs professionnels ;

b)Il faudrait mettre en place un mécanisme de contrôle juridictionnel automatique, direct et effectif des décisions prises dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, déterminer si la communication est recevable.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable pour défaut de fondement des griefs, étant donné que des examens médicaux ont démontré que l’auteur avait plus de 18 ans. Il observe toutefois que l’auteur a déclaré être mineur à son arrivée en Espagne et qu’il a présenté au parquet une copie de son acte de naissance guinéen qui établissait son statut de mineur. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel le document présenté par l’auteur pour prouver sa minorité ne peut pas être considéré comme fiable ou authentique, en ce qu’il ne contient aucune donnée anthropométrique permettant d’établir que la personne à laquelle il a été délivré est bien l’auteur, et que le doute à cet égard est d’autant plus grand qu’il ne comporte ni photographie, ni donnée d’identification, et a été émis quelques jours seulement avant la présentation de la communication. Il rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours le même accès aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. De plus, le Comité constate que l’État partie n’explique pas en quoi la délivrance de l’acte de naissance de l’auteur seulement quelques jours avant la présentation de la communication remet en cause l’authenticité de ce document qui, par ailleurs, n’a pas été contestée en justice ni réfutée par un tribunal. À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

7.3Le Comité considère que les griefs que l’auteur soulève au titre des articles 18 (par. 2), 27 et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

7.4Par contre, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il soulève au titre des articles 3, 8 et 20 de la Convention, à savoir que son intérêt supérieur n’a pas été protégé pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis, puisque son droit d’être présumé mineur n’a pas été respecté, que son droit à l’identité a été violé et qu’il n’a pas bénéficié de la protection à laquelle il pouvait prétendre en tant que mineur. Le Comité constate que l’auteur ne s’est vu assigner aucun représentant pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis et conclut donc que, dans les circonstances de l’espèce, la plainte est suffisamment fondée au regard de l’article 12 de la Convention. En conséquence, le Comité déclare que les griefs soulevés au titre des articles susmentionnés sont recevables et passe à l’examen de la communication au fond.

Examen au fond

7.5Conformément l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.6Le Comité doit déterminer si, en l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et a présenté son certificat de naissance pour le prouver, a violé les droits qu’il tient de la Convention. En particulier, l’auteur a affirmé que l’intérêt supérieur de l’enfant n’avait pas été pris en considération au cours de cette procédure, du fait du type de tests médicaux pratiqués pour déterminer son âge et de l’absence de désignation d’un tuteur ou d’un représentant.

7.7Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question peut ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits consacrés par la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif qu’il existe une procédure adéquate pour déterminer l’âge et qu’il soit possible d’en contester les résultats au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, l’intéressé doit se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

7.8Le Comité rappelle en outre que les documents disponibles doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. Ce n’est qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés que

[p]our obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, comporter des entretiens avec l’enfant, dans une langue que l’enfant comprend […].

La personne soumise à l’évaluation doit se voir accorder le bénéfice du doute. En l’espèce, le Comité constate que la validité du document officiel présenté par l’auteur, à savoir son acte de naissance, n’a pas été contestée par l’État partie.

7.9Le Comité constate que :

a)L’auteur, qui était sans papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, a été soumis à des examens médicaux osseux visant à déterminer son âge, en l’espèce une radiographie du poignet, puis une radiographie de la clavicule et un panoramique dentaire dont les résultats n’ont pas été communiqués à l’auteur ni à son avocat, sans qu’aucun examen complémentaire, en particulier un examen psychologique, ait été mené, et sans qu’il soit indiqué qu’un quelconque entretien a été conduit avec l’auteur dans le cadre de cette procédure ;

b)à l’issue des examens susmentionnés, l’hôpital a établi que l’âge osseux de l’auteur était de 19 ans selon l’Atlas de Greulich et Pyle, sans tenir compte du fait que l’étude en question, qui n’établit pas d’écart-type pour cette tranche d’âge, ne peut pas nécessairement être extrapolée aux personnes présentant les caractéristiques de l’auteur ;

c)Sur la base de ces résultats médicaux, le parquet a rendu une décision dans laquelle il déclarait l’auteur majeur ;

d)Sur la base de cette décision, le juge compétent a ordonné le placement de l’auteur dans un centre pour adultes ;

e)L’auteur a été remis en liberté au motif qu’il n’était pas possible d’établir les documents nécessaires à son expulsion ;

f)L’auteur n’était pas accompagné d’un représentant légal pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis.

7.10Le Comité prend note en outre des nombreux renseignements figurant dans le dossier qui laissent supposer un manque de précision des examens osseux, lesquels comportent une grande marge d’erreur et ne sauraient donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’un jeune qui affirme être mineur et présente des documents pour l’attester. Il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’existence d’une marge d’erreur, loin de contredire ses déclarations et les informations figurant sur son acte de naissance officiel, les étaye.

7.11Le Comité note que l’État partie a conclu que l’auteur avait manifestement l’apparence d’une personne majeure. Il rappelle néanmoins son observation générale no 6 dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.

7.12Le Comité note en outre que l’auteur affirme qu’aucun tuteur ou représentant ne lui a été assigné pour défendre ses intérêts en tant que personne pouvant être un enfant migrant non accompagné, ni avant ni pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis et à l’issue de laquelle le parquet a conclu qu’il était majeur. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces personnes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendues, le rôle joué par les services du ministère public chargé de la protection des mineurs n’étant pas suffisant à cet égard. Ne pas le faire constituerait une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une grave injustice.

7.13Le Comité note enfin que, pour l’État partie, un mineur non accompagné est en situation régulière dès lors qu’il est en possession d’un passeport ou d’un document de voyage qui prouve son identité et qui est considéré comme valide au regard des conventions internationales signées par l’État partie, c’est-à-dire qui peut attester l’identité de la personne qui le présente au moyen de photographies ou de données d’identification. Cependant, il constate que, selon une décision rendue par le Tribunal suprême de l’État partie lui-même, les doutes quant à la fiabilité d’un acte de naissance officiel délivré par un pays souverain ne peuvent prévaloir si la validité de ce document n’a pas été officiellement contestée.

7.14À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui affirmait être mineur, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que celui-ci tient de la Convention, car en l’espèce, son acte de naissance officiel, délivré par son pays d’origine, n’a pas été dûment pris en compte et aucun tuteur n’a été désigné pour l’accompagner pendant cette procédure. En conséquence, le Comité estime que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

7.15Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a violé les droits consacrés par l’article 8 de la Convention, car il a porté atteinte à certains éléments de son identité en lui attribuant un âge qui ne correspondait pas aux informations figurant sur le document officiel délivré par son pays d’origine. Le Comité considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans priver l’enfant d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il observe que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur puisqu’il a refusé d’accorder une quelconque valeur probante à l’acte de naissance attestant sa minorité, sans même en avoir contrôlé l’authenticité ni avoir vérifié les données y figurant auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur, alors que celui-ci n’était pas demandeur d’asile et qu’il n’y avait donc pas de raison de penser que le fait de prendre contact avec les autorités guinéennes lui aurait fait courir un risque quelconque. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a enfreint l’article 8 de la Convention.

7.16Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur, que l’État partie n’a pas contestées, selon lesquelles l’État partie ne l’a pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Le Comité observe que cette absence de protection s’est poursuivie, même après que l’auteur a présenté aux autorités espagnoles son acte de naissance et, en particulier, après que le centre de détention pour étrangers l’a libéré au motif qu’il n’était pas possible d’établir les documents nécessaires à son expulsion. Par conséquent, il considère que ce qui précède constitue une violation de l’article 20 (par. 1) de la Convention.

7.17Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8, 12 et 20 (par. 1) de la Convention.

8.En conséquence, l’État partie doit accorder à l’auteur une réparation effective pour les violations subies. Il est également tenu d’empêcher que de telles violations ne se reproduisent. À cet égard, le Comité recommande à l’État partie :

a)De garantir que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens qui affirment être mineurs soit conforme à la Convention et, en particulier :

i)Que les documents présentés par les jeunes gens en question soient pris en considération au cours de cette procédure et que, dès lors qu’ils ont été établis ou que leur validité a été confirmée par l’État concerné ou son ambassade, leur authenticité soit reconnue ;

ii)Que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant légal qualifié ou un autre représentant, que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister au cours de la procédure ;

b)De faire en sorte que les jeunes non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans se voient assigner un tuteur compétent le plus rapidement possible, y compris lorsque la procédure de détermination de l’âge est encore en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible pour les jeunes migrants non accompagnés qui affirment être âgés de moins de 18 ans, afin qu’ils puissent demander le réexamen des décisions des autorités par lesquelles ils ont été déclarés majeurs, dans les cas où la procédure de détermination de leur âge a été menée sans les garanties nécessaires pour protéger leur intérêt supérieur et leur droit d’être entendu ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des enfants migrants, et en particulier sur la teneur de l’observation générale no 6 du Comité, de l’observation générale conjointe no3 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no22 du Comité des droits de l’enfant (2017) sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales et de l’observation générale conjointe no4 et no23 susmentionnée.

9.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif établissant une procédure de présentation de communications, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est aussi invité à faire figurer des renseignements sur ces mesures dans les rapports qu’il soumettra au Comité au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, il est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.