Nations Unies

CRC/C/85/D/26/2017

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

2 novembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 26/2017 * , **

Communication présentée par  :

M. B. S. (représenté par l’organisation non gouvernementale Fundación Raíces)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie  :

Espagne

Date de la communicatio n :

19 juillet 2017

Date des constatations :

28 septembre 2020

Objet  :

Procédure de détermination de l’âge d’un enfant non accompagné

Questions de procédure  :

Non-épuisement des recours internes, irrecevabilité ratione personae, défaut de fondement des griefs

Article(s) de la Convention  :

2, 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20 (par. 1), 27 et 29

Article(s) du Protocole facultatif  :

6 et 7 (al. c), e) et f))

1.1L’auteur de la communication est M. B. S., de nationalité guinéenne, né le 1er janvier 2000. Il se dit victime d’une violation des articles 2, 3, 8, 12, 18 (par. 2), 20, 27 et 29 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 20 juillet 2017, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires tendant à suspendre l’exécution de la décision d’expulsion de l’auteur tant que sa communication serait à l’examen et à le transférer dans un centre de protection pour mineurs.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 juillet 2017, l’auteur est arrivé à Almería après que la police locale a intercepté l’embarcation de fortune à bord de laquelle il se trouvait. Après avoir affirmé être mineur, il a été conduit à l’hôpital où il a été soumis à un examen radiologique du poignet. D’après la radiographie, dont les résultats ont été interprétés selon la méthode de Greulich et Pyle, l’auteur était âgé de 19 ans, raison pour laquelle le parquet de la province d’Almería a rendu une décision établissant que l’auteur était majeur. L’auteur n’a pas été convenablement informé, dans une langue qu’il était à même de comprendre, de la procédure ni des possibles conséquences de l’examen réalisé. Le 7 juillet 2017, le tribunal d’instruction no 5 d’Almería a ordonné que l’auteur soit placé dans le centre de détention pour étrangers de Madrid et l’a informé de la décision de le renvoyer dans son pays d’origine, décision dont son avocat commis d’office a fait appel. Après son admission au centre de détention pour étrangers, l’auteur a été conduit à l’hôpital pour être soumis à une radiographie dentaire et une radiographie du poignet, qui auraient montré qu’il était majeur (âgé d’au moins 18 ans selon le premier examen et de 19 ans selon le second).

2.2Le 17 juillet 2017, Fundación Raíces a écrit, au nom de l’auteur, à huit autorités différentes pour leur demander que l’auteur ne soit plus détenu dans le centre pour étrangers mais pris en charge par les services de protection des mineurs de Madrid. Dans ses courriers, elle expliquait que l’auteur allait bientôt être en possession de documents prouvant qu’il était mineur. Le 18 juillet, une photographie de l’extrait d’acte de naissance de l’auteur a été envoyée aux tribunaux et parquets concernés. Le 28 juillet, l’auteur a présenté le document original, qu’il avait reçu par courrier postal.

2.3Le 1er août 2017, l’auteur a été remis en liberté ; il a ensuite trouvé un hébergement dans un foyer social pour adultes, sans qu’un tuteur ne lui ait été assigné et sans avoir bénéficié du traitement auquel, en tant que mineur, il pouvait prétendre au titre du droit national comme du droit international.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie n’a pas respecté le principe de la présomption de minorité, alors même qu’il existait un doute ou une incertitude quant à son âge, ce qui est contraire à son intérêt supérieur et constitue une violation de l’article 3 de la Convention. Cette violation est d’autant plus évidente que l’État partie a exposé l’auteur à un risque réel de subir un dommage irréparable en le plaçant dans un centre de détention pour adultes et en ordonnant son renvoi dans son pays d’origine. L’auteur cite des observations finales concernant l’État partie, dans lesquelles le Comité se dit préoccupé par l’absence de prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et par les disparités dans les méthodes employées pour déterminer l’âge des enfants non accompagnés. Il s’appuie en outre sur diverses études pour affirmer que les méthodes d’évaluation médicale auxquelles l’État partie a recours, en particulier l’examen auquel on l’a soumis, ont une marge d’erreur élevée, étant donné que les recherches sur lesquelles elles sont fondées ont été réalisées sur d’autres populations présentant des caractéristiques raciales et socioéconomiques très différentes.

3.2L’auteur se dit en outre victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, lu conjointement avec l’article 18 (par. 2), au motif qu’aucun tuteur ne lui a été assigné pour défendre ses intérêts, alors même que cela constitue une garantie de procédure fondamentale pour le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant non accompagné. Il affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 3 (par. 2), lu conjointement avec l’article 20 (par. 1), l’État partie ne l’ayant pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Il soutient que l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer les dispositions d’ordre public relatives aux étrangers et qu’en présence d’une personne qui affirme être mineure et qui est sur le point d’obtenir des documents pour le prouver, l’État partie doit mobiliser son appareil administratif et désigner automatiquement un tuteur.

3.3De surcroît, l’auteur affirme que l’État partie a violé son droit à l’identité, consacré par l’article 8 de la Convention, car l’âge est un aspect fondamental de l’identité, à laquelle l’État partie ne doit pas porter atteinte. Il ajoute que l’État partie est même tenu de conserver et de protéger les données relatives à l’identité qui existent ou peuvent exister encore. Or, l’État partie lui a attribué un âge qu’il n’a pas et une date de naissance qui ne correspond pas à celle qu’il a déclarée et qui figure sur le document d’identité qu’il a présenté par la suite.

3.4L’auteur dénonce en outre une violation de son droit d’être entendu, consacré par l’article 12 de la Convention, étant donné qu’il n’a pas été informé de ses droits en français, aucune traduction n’ayant été assurée, et qu’il n’a pu communiquer avec ses avocats qu’une fois rendue la décision de le renvoyer dans son pays et de le placer dans le centre pour étrangers.

3.5L’auteur se dit également victime d’une violation des articles 27 et 29 de la Convention, car les décisions prises l’ont empêché de développer pleinement toutes ses facultés. Il estime que, parce qu’il n’a pas eu de tuteur pour le guider, il n’a pas pu s’épanouir comme il aurait dû le faire à son âge.

3.6L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation de l’article 20 de la Convention en raison du défaut de protection et de l’exclusion sociale qu’ont entraînés les décisions et actions de l’État partie. Il soutient que l’État partie ne l’a pas protégé puisqu’il l’a considéré comme majeur sans disposer de preuve concluante, et cite l’observation générale no 6 (2005) sur le traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, où il est souligné que le droit à une protection doit être interprété compte tenu de la situation du mineur, de son âge et de son origine ethnique, culturelle et linguistique.

3.7L’auteur estime avoir fait l’objet d’une discrimination fondée sur son statut de mineur étranger non accompagné, en violation de l’article 2 de la Convention. Selon lui, il n’aurait pas été privé de la protection à laquelle il avait droit s’il avait été accompagné par sa famille ou s’il n’avait pas été originaire d’un pays d’Afrique subsaharienne. En effet, la validité des documents établis par les autorités des autres pays n’est jamais mise en doute, pas plus que l’âge des ressortissants guinéens dès lors que ceux-ci sont adultes ou, s’il s’agit de mineurs, accompagnés.

3.8À titre de réparation possible, l’auteur propose :

a) Que l’État partie reconnaisse qu’il est mineur, comme le prouve le document officiel qu’il a présenté, que l’exécution de la décision de renvoi vers son pays d’origine soit suspendue et qu’il soit confié aux services de protection des mineurs ;

b) Que lui soient reconnus tous les droits attachés à son statut de mineur, y compris le droit d’être protégé par l’État, le droit à un représentant légal et le droit à l’éducation, et qu’un permis de séjour et de travail lui soit accordé afin qu’il puisse développer pleinement sa personnalité et s’intégrer dans la société ;

c) Que son droit d’être entendu par les autorités publiques soit reconnu ;

d) Que toute décision le concernant lui soit communiquée, ainsi qu’à son avocat ;

e) Que l’État partie reconnaisse que son âge ne peut être établi sur la base des examens médicaux auxquels il a été soumis ;

f) Que les décisions rendues par le parquet concernant la détermination de l’âge puissent être contestées devant les tribunaux.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

Récit des faits

4.1Dans ses observations du 24 août et du 6 novembre 2017 concernant la recevabilité de la communication et la levée des mesures provisoires, l’État partie affirme que l’auteur a présenté les faits de manière partielle et inexacte. Il soutient que, d’après le rapport de police daté du 5 juillet 2017 sur l’interception de l’embarcation de fortune, 29 hommes « apparemment majeurs » se trouvaient à bord, et il n’y avait aucun mineur. L’auteur ayant déclaré être mineur, une radiographie de son poignet a été réalisée le 6 juillet et celle-ci a permis d’établir qu’il avait 19 ans. Le 7 juillet, le parquet de la province d’Almería a conclu que l’auteur était majeur. À son arrivée à Madrid, l’auteur s’est soumis à une nouvelle radiographie de la main, qui a montré qu’il avait 19 ans, et à un panoramique dentaire, qui a permis d’établir, le 13 juillet, qu’il avait plus de 18 ans.

4.2L’État partie explique que, le 25 juillet 2017, le parquet a décidé de ne pas faire droit à la demande de Fundación Raíces contestant la décision relative à l’âge de l’auteur. En outre, le 19 juillet, le tribunal d’instruction no 19 de Madrid a conclu, sur la base du rapport établi par le médecin légiste, que l’auteur avait au moins 18 ans. C’est pourquoi, le 17 août, le parquet du tribunal d’instruction no 5 d’Almería a demandé au tribunal de ne pas suspendre la mesure de placement de l’auteur au centre de détention pour étrangers.

4.3L’État partie avance que, même si l’auteur a présenté un acte de naissance, rien ne prouve que cet acte est bien le sien, car il ne l’avait pas avec lui au moment de son arrestation et il ne s’agit pas d’un document biométrique. L’authenticité de ce document est donc douteuse, d’autant plus que les informations qu’il contient sont en contradiction avec les résultats des examens médicaux réalisés. L’État partie avance en outre qu’en remettant en question la fiabilité des examens médicaux, l’auteur tente en fait de justifier un argument irrecevable, à savoir que les preuves scientifiques sont moins dignes de foi que la simple copie d’un document dont l’authenticité n’a jamais été démontrée. Enfin, étant donné que l’auteur a été remis en liberté le 1er août 2017, l’État partie ne sait pas où il se trouve actuellement.

Motifs d’irrecevabilité

4.4L’État partie soutient que la communication est irrecevable ratione personae parce que l’auteur est majeur. Il estime que celui-ci est majeur pour les raisons suivantes : a) son apparence est celle d’une personne majeure, comme le montrent les photographies prises au moment de son arrestation ; b) comme il a déclaré être mineur, il a été soumis à des examens médicaux objectifs qui ont permis d’établir qu’il avait au moins 18 ans, tranche d’âge pour laquelle il n’y a pas d’écart-type. De même, l’acte de naissance, fondé sur une déclaration unilatérale, ne peut attester la minorité de l’auteur puisqu’il ne contient pas de données biométriques.

4.5Selon l’État partie, déclarer la communication recevable en l’absence de preuves objectives de la majorité de l’auteur « servirait uniquement les intérêts des mafias impliquées dans le trafic de migrants en situation irrégulière », auxquelles l’auteur a versé de l’argent, et qui « recommandent aux migrants de partir sans documents d’identité et de se dire mineurs ».

4.6Qui plus est, se fondant sur l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, l’État partie soutient que la communication est irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. L’auteur pouvait :

a) Demander au ministère public de faire procéder à des examens médicaux supplémentaires ;

b) En application de l’article 780 de la loi relative à la procédure civile, demander au juge civil dont dépend le centre de détention pour étrangers de réexaminer toute décision rendue par la communauté autonome dans laquelle il n’était pas considéré comme mineur ;

c) Faire appel de la décision de renvoi devant la juridiction administrative ;

d) Former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015 relative à la juridiction gracieuse.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses observations sur la recevabilité du 29 décembre 2017, l’auteur commente les allégations de l’État partie. Il affirme que le rapport médical du 6 juillet 2017, dans lequel son âge osseux est estimé à 19 ans, ne précise pas s’il existe ou non un écart-type pour sa tranche d’âge, alors même que les méthodes utilisées présentent une marge d’erreur telle qu’elles ne permettent pas de tirer des conclusions définitives. Si cette marge d’erreur avait été prise en compte, les résultats des examens ne seraient pas en contradiction avec l’âge que l’auteur affirme et a prouvé avoir. De même, l’État partie soutient qu’il a été procédé aux « vérifications nécessaires » lorsque l’auteur a affirmé être mineur. Ces vérifications se sont toutefois limitées à des examens médicaux et l’État partie n’a pas contacté les autorités guinéennes pour vérifier l’identité de l’auteur telle qu’attestée par le document original et officiel présenté.

5.2En outre, l’auteur n’a pas bénéficié des garanties juridiques auxquelles il avait droit pendant la procédure de détermination de l’âge et n’a pas été informé des conséquences que pourraient avoir les résultats des examens médicaux, et ce, alors qu’il pouvait fournir son acte de naissance. Il n’apparaît dans aucun document qu’un avocat ou un représentant lui aurait été assigné pendant la procédure de détermination de l’âge afin de l’informer des examens qu’il allait subir et de garantir qu’il avait donné son consentement de manière expresse et éclairée. Il est à noter que, dans la décision de renvoi, la date de naissance du 5 juillet 1999 a été attribuée à M. B. S., afin qu’il ait exactement 18 ans le jour de son arrivée sur le territoire espagnol.

5.3L’auteur fait part de faits survenus après la présentation de la communication, à savoir que, au début d’août 2017, à sa sortie du centre de détention pour étrangers, il s’est rendu à l’ambassade de Guinée à Madrid, où il a présenté l’acte de naissance original émis par son pays. Comme l’ambassade ne délivre pas de passeports (ils ne sont délivrés qu’en personne en Guinée), l’auteur disposait, à la date de présentation de ses commentaires sur la recevabilité : a) d’une carte consulaire avec photographie permettant de l’identifier ; b) d’un certificat d’enregistrement consulaire ; c) d’une attestation indiquant que le consulat de Guinée ne délivre pas de passeport. En d’autres termes, la Guinée, pays souverain, lui a délivré des documents en tant que mineur ; l’auteur ne peut rien faire de plus pour prouver son identité.

5.4L’auteur affirme qu’il a soumis les documents susmentionnés au parquet, qui a refusé de revenir sur la décision établissant qu’il était majeur, en fondant son refus uniquement sur les résultats des examens médicaux. Le parquet a déclaré ne pas considérer que les informations figurant dans les documents présentés par l’auteur étaient fiables, alors que tous les documents étaient des originaux et que l’auteur avait soumis tous les documents que l’ambassade était à même de lui délivrer. Le parquet a uniquement reconnu la validité des résultats de tests médicaux qui, s’ils étaient interprétés compte tenu de la marge d’erreur recommandée par les scientifiques, donneraient un âge correspondant à celui qui figure dans les documents de l’auteur.

5.5En ce qui concerne la demande de l’État partie visant à ce que la communication soit déclarée irrecevable ratione materiae au motif que l’auteur serait majeur, celui-ci fait valoir que cela ne peut être considéré comme un motif d’irrecevabilité parce que son âge est précisément la question de fond de la communication. Comme il l’a indiqué précédemment, les documents qu’il a soumis sont authentiques et valables aux fins de son identification et devraient être considérés comme une preuve sérieuse de sa minorité, ce qui devrait entraîner, à tout le moins, la mise en œuvre des mesures susmentionnées, compte tenu du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la présomption de minorité.

5.6Pour ce qui est de l’irrecevabilité de la communication pour non-épuisement des recours internes, l’auteur explique que les voies de recours disponibles en droit interne sont inutiles, soit parce qu’elles ne permettent pas d’obtenir une réparation effective pour le préjudice subi, soit parce qu’elles excèdent des délais raisonnables, et que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation de prouver le contraire. Premièrement, l’auteur souligne qu’il est impossible, dans la pratique, que le parquet revienne sur sa décision relative à l’âge puisque, même après avoir reçu les documents que l’auteur a pu obtenir de l’ambassade, il a refusé de réexaminer sa décision au motif que les documents fournis contredisaient les résultats des examens médicaux réalisés. Deuxièmement, le recours contre la décision de renvoi est un recours administratif qui n’a pas d’effet suspensif sur la décision de renvoi et dont le délai d’examen est fixé à trois mois. Ce n’est qu’une fois ce que le recours a été examiné ou que le délai a expiré qu’il est possible de saisir la juridiction contentieuse administrative. Il n’existe donc pas de recours utile permettant d’éviter les effets préjudiciables et irréversibles d’une expulsion, a fortiori lorsque l’intéressé n’est informé de son expulsion que douze heures à l’avance. C’est pourquoi, se trouvant dans une situation d’impuissance totale après avoir fait savoir à diverses institutions espagnoles qu’une personne possiblement mineure allait être renvoyée dans son pays d’origine sans qu’aucune mesure ne soit prise, sachant qu’il était improbable qu’il obtienne effectivement réparation au moyen des recours internes et afin d’éviter des dommages irréparables, l’auteur a saisi le Comité. Qui plus est, il ne partage pas l’interprétation que fait l’État partie de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif, selon laquelle il doit épuiser tous les recours internes sans exception. Cette interprétation n’est pas conforme à l’objectif qui sous-tend cet article, à savoir donner aux autorités nationales la possibilité d’offrir réparation en cas de violation des droits de l’homme. Dans ce contexte, il suffit donc qu’un seul des recours internes disponibles ait été épuisé, dans la droite ligne de ce qu’ont affirmé le Comité contre la torture et la Cour européenne des droits de l’homme.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations datées du 15 janvier 2018, l’État partie soutient qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré par l’article 3 de la Convention, étant donné que l’auteur est majeur. Il précise que la présomption de minorité ne doit être appliquée qu’« en cas d’incertitude », mais pas lorsque l’intéressé est manifestement majeur. Il conclut qu’en l’espèce, l’auteur, qui n’a aucun document d’identité, a l’apparence d’une personne majeure et que les autorités peuvent donc légalement le considérer comme tel sans qu’il soit nécessaire de procéder au moindre examen. Toutefois, l’auteur ayant affirmé être mineur, l’État partie a décidé de le soumettre, après avoir obtenu son consentement éclairé, à des examens médicaux, étant donné que l’observation générale no 6 n’empêche ni, à plus forte raison, n’interdit de procéder à des examens médicaux objectifs de détermination de l’âge sur des personnes qui semblent être majeures, n’ont pas de documents d’identité et affirment être mineures. L’État partie soutient que considérer un adulte comme mineur, en l’absence de preuves irréfutables et sur la seule foi de la déclaration de la personne concernée, ferait courir un risque important aux mineurs placés dans les centres d’accueil (lesquels pourraient être soumis par cet adulte à des violences et à des mauvais traitements), ce qui constituerait une violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

6.2L’État partie affirme en outre qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des articles 18 (par. 2) et 20 (par. 1) de la Convention, pour les raisons suivantes : a) l’auteur a été pris en charge par les services de santé dès son arrivée sur le territoire espagnol ; b) il s’est vu délivrer des documents et a bénéficié gratuitement, aux frais de l’État, des services d’un avocat et d’un interprète ; c) sa situation a été immédiatement signalée à l’autorité judiciaire compétente afin que le respect de ses droits soit assuré pendant le déroulement de la procédure découlant de son séjour irrégulier ; d) dès qu’il a prétendu être mineur, le ministère public, qui est l’autorité chargée de veiller à l’intérêt supérieur de l’enfant, en a été informé, et il a provisoirement déterminé qu’il était majeur. L’État partie soutient donc qu’on ne peut guère parler d’un défaut d’assistance juridique ou de protection de l’auteur, et ce, même dans l’hypothèse où il aurait été mineur.

6.3L’État partie affirme également que, à supposer que l’auteur ait été mineur, son droit à l’identité, protégé par l’article 8 de la Convention, n’a pas non plus été violé puisque son identité déclarée a été enregistrée dès son arrivée illégale sur le territoire espagnol, après son sauvetage en haute mer.

6.4L’État partie soutient en outre qu’il n’y a pas eu violation du droit d’être entendu, protégé par l’article 12 de la Convention, car l’auteur a toujours eu la possibilité d’être entendu et de s’exprimer. Il a été entendu et assisté par un avocat dans toutes les procédures judiciaires qui le concernaient.

6.5L’État partie soutient enfin qu’il n’y a pas eu de violation des droits énoncés aux articles 20, 27 et 29 de la Convention, car ces droits concernent exclusivement les personnes qui sont incontestablement mineures. Étant donné qu’il existe des preuves de la majorité de l’auteur, les droits revendiqués sont inapplicables.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires datées du 20 avril 2018, Fundación Raíces a précisé qu’en début d’année, l’auteur avait quitté le foyer social pour adultes dans lequel il logeait et qu’elle ne savait pas où il se trouvait ni quelle était sa situation.

7.2S’agissant de l’article 3 de la Convention, l’auteur soutient que son intérêt supérieur n’a pas été pris en compte, puisque la présomption de minorité n’a pas été respectée ; en effet, il n’a jamais été considéré comme potentiellement mineur et le protocole prévu pour les mineurs étrangers non accompagnés n’a pas été appliqué. L’État partie affirme que l’auteur n’avait « aucun document d’identité », ce qui est inexact : il n’avait certes pas de papiers à son arrivée en Espagne, mais une copie de son acte de naissance a été envoyée aux autorités le 18 juillet 2017, suivie par le document original le 28 juillet de la même année. Dans ces circonstances, l’État partie aurait dû transférer immédiatement l’auteur dans un centre pour mineurs ou, si le doute persistait, contacter les autorités consulaires guinéennes pour vérifier son identité. Qui plus est, si l’État partie estime que la présomption de minorité ne s’applique qu’en cas de doute, le document présenté par l’auteur crée, au minimum, des incertitudes. De surcroît, et ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de l’Audiencia Nacional et de la littérature scientifique, il faut toujours appliquer aux examens médicaux en question une marge d’erreur de plus ou moins deux ans, en raison de leur manque de précision. Dans le cas présent, cette marge n’a pas été prise en compte. Si cela avait été le cas, l’auteur aurait été considéré comme mineur.

7.3L’auteur soutient que l’on ne saurait affirmer que le ministère public a agi, en quelque sorte, comme son représentant légal et qu’il a protégé ses intérêts, le rôle joué par l’institution étant en réalité fort éloigné des compétences prévues dans les normes citées par l’État partie. Premièrement, le ministère public n’a jamais engagé de procédure visant à déterminer l’âge de l’auteur après que celui-ci a présenté son acte de naissance. Il s’est simplement déclaré incompétent au motif que l’auteur se trouvait déjà au centre de détention pour étrangers de Madrid. Deuxièmement, il semble inapproprié de parler de l’indépendance du ministère public, tant cette institution est hiérarchisée et imprégnée par les politiques fixées par l’exécutif à l’échelle nationale. En effet, il est arrivé que des tribunaux espagnols reconnaissent l’existence d’une forme de conflit d’intérêts entre les mineurs étrangers non accompagnés et le ministère public, et qu’ils insistent sur la nécessité d’assigner à ces mineurs un représentant légal ou de leur reconnaître la capacité d’agir en justice lorsque leurs intérêts ne coïncident pas avec ceux de l’entité tutélaire. On ne saurait donc affirmer que le ministère public a assumé de manière adéquate le rôle qui aurait incombé au tuteur ou au représentant légal qui n’a jamais été désigné. L’auteur n’a par conséquent jamais eu de tuteur. Concernant l’article 20 de la Convention plus particulièrement, les États parties sont tenus de prendre des mesures pour assurer la prise en charge et l’hébergement des mineurs privés de leur milieu familial. Cependant, après avoir été remis en liberté le 1er août 2017, et malgré les mesures provisoires demandées par le Comité, M. B. S. n’a jamais été conduit dans un centre de protection.

7.4S’agissant de la violation de l’article 8 de la Convention, l’auteur soutient que l’État partie a porté atteinte à des éléments importants de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondent pas à ceux figurant sur le document officiel qu’il a présenté, document dont la validité n’a jamais été officiellement contestée. Il est reconnu, tant à l’article 4 de la loi organique no 4/2000 sur les droits et libertés et l’intégration sociale des étrangers en Espagne que dans la jurisprudence du Tribunal suprême, que ce sont les documents délivrés par le pays d’origine qui établissent l’identité d’un étranger, et non les registres tenus par les autorités de l’État partie.

7.5L’auteur affirme qu’on ne saurait dire qu’il a été dûment entendu car, bien qu’il ait déclaré être mineur à son arrivée en Espagne, il a été enregistré avec un âge qui n’était pas le sien et, bien qu’il ait de nouveau déclaré être mineur au commissariat d’Almería, il a été soumis à des examens radiologiques. En outre, il n’a pas bénéficié de l’assistance d’un conseil à ce moment-là, et n’a donc pas disposé des garanties nécessaires à l’exercice du droit d’être entendu. Il rappelle que le placement à 17 ans dans un centre de détention pour étrangers n’est pas propice à l’exercice de ce droit, car il s’agit d’un environnement hostile et inadapté pour un mineur. C’est pourquoi il affirme être victime d’une violation de l’article 12 de la Convention.

7.6Pour ce qui est du droit consacré par l’article 27 de la Convention, l’auteur affirme que le seul argument avancé par l’État partie est sa majorité supposée. Ainsi, l’État partie lui-même reconnaît qu’il n’a pas respecté les obligations qui lui incombaient au titre de cet article en considérant l’auteur comme majeur. Selon l’auteur, il ne fait aucun doute que l’État partie ne lui a pas garanti les conditions nécessaires à son développement physique, mental, spirituel et social. L’auteur souligne que, depuis l’adoption de nouvelles dispositions légales en 2012, les migrants en situation irrégulière ne sont plus couverts par le système de soins de santé dans l’État partie.

7.7L’auteur affirme que l’État partie n’a fait aucun commentaire concernant la violation de l’article 2 de la Convention. Il reprend son grief en ajoutant que, si la Convention oblige l’État partie à éliminer activement la discrimination à l’égard des enfants, en l’espèce, c’est l’État partie lui-même qui a opéré une discrimination. Qui plus est, les motifs mentionnés à l’article 2 sont purement illustratifs. En l’espèce, l’auteur est victime d’une discrimination fondée sur son statut d’étranger et de mineur non accompagné, ce qui l’a empêché d’être assisté d’un représentant légal et d’être correctement protégé par l’État partie.

7.8Enfin, l’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 6 du Protocole facultatif étant donné que l’État partie n’a pas pris les mesures provisoires demandées par le Comité. S’il a été remis en liberté le 1er août 2017, il n’a jamais été transféré dans un centre de protection des mineurs et n’a pas été placé sous la tutelle de la Communauté autonome de Madrid.

Intervention de tiers

8.Le 3 mai 2018, le Défenseur français des droits a soumis en qualité de tiers une intervention portant sur la question de la détermination de l’âge et de la détention, dans des centres pour adultes, de mineurs sous le coup d’une décision d’expulsion. Cette intervention a été transmise aux parties, qui ont été invitées à faire part de leurs commentaires. Elles ont soumis leurs commentaires dans le cadre de la communication J. A. B. c. Espagneet ont indiqué qu’ils étaient applicables à toutes les communications dans lesquelles cette intervention a été retranscrite. Dans un souci de concision, le Comité renvoie aux paragraphes 8 à 10 de cette communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione personae, car : a) l’apparence de l’auteur est celle d’une personne majeure ; b) des preuves médicales objectives ont permis de déterminer que l’auteur était âgé d’au moins 18 ans ; c) son acte de naissance ne peut attester sa majorité étant donné qu’il ne s’agit pas d’un document biométrique. Il observe toutefois que l’auteur a déclaré être mineur à son arrivée en Espagne et qu’il a présenté au parquet et au tribunal d’instruction une copie de son acte de naissance guinéen qui établissait son statut de mineur. Il note en outre que l’État partie avance que, faute de données biométriques, l’acte de naissance soumis ne peut pas servir à vérifier l’identité de l’auteur. Il rappelle que la charge de la preuve ne saurait incomber exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours le même accès aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations pertinentes. En l’espèce, il prend note de l’argument de l’auteur, selon lequel, s’il avait des doutes quant à l’authenticité de l’acte de naissance, l’État partie aurait dû s’adresser aux autorités consulaires guinéennes pour vérifier l’identité de l’intéressé, ce qu’il n’a pas fait. À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que l’article 7 (al. c)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

9.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles, étant donné qu’il aurait pu : a) demander au ministère public de faire procéder à des examens médicaux supplémentaires ; b) demander au juge civil, en application de l’article 780 de la loi relative à la procédure civile, de réexaminer la décision au titre de laquelle il n’a pas été placé sous tutelle ; c) faire appel de la décision de renvoi devant la juridiction administrative ; d) former devant les tribunaux civils une demande en matière gracieuse aux fins de la détermination de l’âge, conformément à la loi no 15/2015. Parallèlement, il prend note des arguments avancés par l’auteur selon lesquels les recours internes mentionnés par l’État partie ne lui sont pas ouverts ou ne sont pas utiles. Il considère que, dans le contexte de l’expulsion imminente de l’auteur du territoire espagnol, tout recours qui se prolongerait excessivement ou qui ne suspendrait pas la décision d’expulsion ne saurait être considéré comme utile. Il constate que l’État partie n’a pas démontré que les recours mentionnés suspendraient l’expulsion de l’auteur. Par conséquent, le Comité considère que l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

9.4Le Comité considère que les griefs que l’auteur soulève au titre des articles 2, 18 (par. 2), 27 et 29 de la Convention n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

9.5Le Comité considère cependant que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 3, 8, 12 et 20 de la Convention, en ce sens qu’aucun représentant ne lui a été assigné pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis, que cette procédure n’a pas respecté son droit d’être présumé mineur et a violé son droit à l’identité, et qu’il n’a pas bénéficié de la protection à laquelle il pouvait prétendre en tant que mineur. Par conséquent, le Comité déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.6Conformément au paragraphe 1 de l’article 10 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’enfant a examiné la présente communication en tenant compte de toute la documentation qui lui a été soumise par les parties.

9.7Le Comité doit déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui a déclaré être mineur et a présenté son acte de naissance pour le prouver, constitue une violation des droits qu’il tient de la Convention. L’auteur a affirmé en particulier que son intérêt supérieur en tant qu’enfant n’a pas été pris en compte au cours de cette procédure, étant donné le type d’examen médical pratiqué pour déterminer son âge et compte tenu qu’aucun tuteur ou représentant en lui a été désigné dans ce contexte.

9.8Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question peut ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits consacrés par la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif qu’il existe une procédure adéquate pour déterminer l’âge et qu’il soit possible d’en contester les résultats au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, l’intéressé doit se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

9.9Le Comité rappelle en outre que les documents disponibles doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. Ce n’est qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés que, pour estimer l’âge sur des bases solides,

les États doivent faire procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant par des pédiatres, des spécialistes et d’autres professionnels capables d’examiner conjointement différents aspects du développement. Ces évaluations doivent être faites sans attendre, selon une procédure adaptée, qui tienne compte du genre et de la culture de l’enfant, et qui comporte des entretiens dans une langue qui lui est compréhensible.

La personne soumise à l’évaluation doit se voir accorder le bénéfice du doute. En l’espèce, le Comité constate que la validité du document officiel présenté par l’auteur, à savoir son acte de naissance, n’a pas été contestée par l’État partie.

9.10Le Comité constate que :

a)L’auteur, qui était sans papiers lorsqu’il est entré sur le territoire espagnol, a été soumis à un examen médical osseux visant à déterminer son âge, en l’espèce une radiographie du poignet et un panoramique dentaire, sans qu’aucun examen complémentaire, notamment aucune expertise psychologique, ne soit pratiqué et, d’après les informations dont le Comité dispose, sans que le moindre entretien ne soit conduit avec l’intéressé dans le cadre de cette procédure ;

b)à l’issue des examens susmentionnés, l’hôpital a établi que l’âge osseux de l’auteur était de 19 ans selon l’Atlas de Greulich et Pyle, sans tenir compte du fait que cette méthode, qui n’établit pas d’écart-type pour cette tranche d’âge, ne peut pas nécessairement être extrapolée aux personnes présentant les caractéristiques de l’auteur ;

c)Sur la base de ces résultats médicaux, le parquet a rendu une décision dans laquelle il déclarait l’auteur majeur ;

d) Sur la base de cette décision, le juge compétent a ordonné le placement de l’auteur dans un centre pour adultes ;

e) L’auteur a été remis en liberté après avoir présenté son acte de naissance officiel ;

f) L’auteur n’était pas accompagné d’un représentant légal pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis.

9.11Le Comité prend note en outre des nombreux renseignements figurant dans le dossier qui laissent supposer un manque de précision des examens osseux, qui comportent une grande marge d’erreur et ne sauraient donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’un jeune qui affirme être mineur et a présenté des documents pour l’attester. Il prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’existence d’une marge d’erreur, loin de contredire ses déclarations et les informations figurant sur son acte de naissance officiel, les étaye.

9.12Le Comité note que l’État partie a conclu que l’auteur avait manifestement l’apparence d’une personne majeure. Il rappelle néanmoins son observation générale no 6 dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe et équitablement, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur.

9.13Le Comité note en outre que l’auteur affirme qu’aucun tuteur ou représentant ne lui a été assigné pour défendre ses intérêts en tant que enfant migrant non accompagné présumé, ni avant ni pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle il a été soumis et à l’issue de laquelle le parquet a conclu qu’il était majeur. Il rappelle que les États parties doivent désigner gratuitement un représentant légal qualifié et, au besoin, un interprète, pour toutes les personnes jeunes qui affirment être mineures, le plus rapidement possible après leur arrivée sur leur territoire. Il considère que le fait de faciliter la représentation de ces personnes au cours de la procédure de détermination de l’âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendues, le rôle joué par les services du ministère public chargé de la protection des mineurs n’étant pas suffisant à cet égard. Ne pas le faire constituerait une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une injustice importante.

9.14Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle un mineur non accompagné est considéré comme ayant des papiers s’il est en possession d’un passeport ou d’un document d’identité analogue attestant son âge et comportant des données biométriques. Non seulement s’agit-il d’une exigence que ne pose pas la jurisprudence du Tribunal suprême de l’État partie lui-même (note 23, supra), mais on ne saurait agir dans un sens contraire à ce qu’établit un acte de naissance original et officiel délivré par un pays souverain sans avoir officiellement contesté la validité ce document. En outre, le Comité note que le Tribunal suprême de l’État partie a récemment rendu une décision dans les mêmes termes.

9.15À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumis l’auteur, qui affirmait être mineur, n’a pas été assortie des garanties nécessaires à la protection des droits que celui-ci tient de la Convention, car en l’espèce, son acte de naissance officiel et original, délivré par son pays d’origine, n’a pas été dûment pris en compte et aucun tuteur n’a été désigné pour l’accompagner pendant cette procédure. En conséquence, il considère que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle l’auteur a été soumis, en violation des articles 3 et 12 de la Convention.

9.16Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a violé les droits consacrés par l’article 8 de la Convention, car il a porté atteinte à certains éléments de son identité en lui attribuant un âge qui ne correspondait pas aux informations figurant sur le document officiel délivré par son pays d’origine. Il considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans priver l’enfant d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il observe que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteur puisqu’il a refusé d’accorder une quelconque valeur probante à l’acte de naissance attestant sa minorité, sans même en avoir contrôlé l’authenticité ni avoir vérifié les données y figurant auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur, alors que celui-ci n’était pas demandeur d’asile et qu’il n’y avait donc pas de raison de penser que le fait de prendre contact avec les autorités guinéennes lui aurait fait courir un risque quelconque. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a enfreint l’article 8 de la Convention.

9.17Le Comité prend également note des affirmations de l’auteur, non contestées par l’État partie, selon lesquelles celui-ci ne l’a pas protégé en dépit de la situation d’abandon et de grande vulnérabilité dans laquelle il se trouvait en tant que mineur migrant non accompagné. Le Comité observe que cette absence de protection s’est poursuivie, même après que l’auteur a présenté aux autorités espagnoles son acte de naissance et, en particulier, après que le centre de détention pour étrangers l’a libéré au motif qu’il n’était pas possible d’établir les documents nécessaires à son expulsion (note 34, supra). Par conséquent, il considère que ce qui précède constitue une violation de l’article 20 (par. 1) de la Convention.

9.18Enfin, le Comité note que l’auteur affirme que l’État partie n’a pas respecté la mesure provisoire demandée, à savoir son placement dans un centre de protection des mineurs. Il rappelle qu’en ratifiant le Protocole facultatif, les États parties s’engagent à mettre en œuvre les mesures provisoires demandées en application de l’article 6 du Protocole facultatif, qui visent à prévenir tout préjudice irréparable tant qu’une communication est en cours d’examen et, partant, à assurer l’efficacité de la procédure de présentation de communications émanant de particuliers. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le transfert de l’auteur dans un centre de protection des mineurs aurait pu faire courir un risque important aux enfants qui se trouvaient dans ce centre. Il observe toutefois que cet argument est fondé sur l’hypothèse que l’auteur est majeur. En conséquence, le Comité estime que la non-application de la mesure provisoire demandée constitue en elle-même une violation de l’article 6 du Protocole facultatif.

9.19Le Comité des droits de l’enfant, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, constate que les faits dont il est saisi sont constitutifs d’une violation des articles 3, 8, 12 et 20 (par. 1) de la Convention et de l’article 6 du Protocole facultatif.

10.En conséquence, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective pour les violations subies. Il est également tenu d’empêcher que de telles violations ne se reproduisent. À cet égard, le Comité recommande à l’État partie :

a)De garantir que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens qui affirment être mineurs soit conforme à la Convention et, en particulier :

i) Que les documents présentés par les intéressés soient pris en considération et que, dès lors qu’ils ont été établis ou que leur validité a été confirmée par l’État concerné ou son ambassade, leur authenticité soit reconnue ;

ii) Que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant légal qualifié ou un autre représentant, que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister au cours de la procédure ;

b)De faire en sorte que les jeunes gens non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans se voient assigner un tuteur compétent le plus rapidement possible, y compris lorsque la procédure de détermination de l’âge est encore en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible pour les jeunes migrants non accompagnés qui affirment être âgés de moins de 18 ans, afin qu’ils puissent demander le réexamen des décisions des autorités par laquelle ils ont été déclarés majeurs dans les cas où la procédure de détermination de leur âge a été menée sans les garanties nécessaires pour protéger leur intérêt supérieur et leur droit d’être entendu ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des enfants migrants, et en particulier sur la teneur de l’observation générale no 6 du Comité, l’observation générale conjointe no 3 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et no 22 du Comité des droits de l’enfant (2017) sur les principes généraux relatifs aux droits de l’homme des enfants dans le contexte des migrations internationales et l’observation générale conjointe no 4 et no 23 susmentionnée.

11.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. Il demande en outre à l’État partie d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.