Nations Unies

CRC/C/85/D/92/2019

Convention relative aux droits de l’enfant

Distr. générale

2 novembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’enfant

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communication no 92/2019*,**

Communication p résentée par :

K. S. G.

Victime(s) présumée(s) :

A. R. G.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

21 juin 2019

Date de la présente décision :

28 septembre 2020

Objet :

Intérêt supérieur de l’enfant, violences sexuelles, séparation d’avec les parents

Question(s) de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Article(s) de la Convention:

3, 6, 9, 12, 19 et 34

Article(s) du Protocole facultatif:

7 (al. f))

1.1L’auteure de la communication est K. S. G., de nationalité britannique, née en 1989. Elle soumet la communication au nom de son fils, A. R. G., né le 29 août 2014. Elle est représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 4 septembre 2019, le Comité, se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif et agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications, a rejeté la demande de mesures provisoires présentée par l’auteure et tendant à ce que le droit de visite accordé au père d’A. R. G. soit suspendu tant que les procédures pénales engagées contre lui pour violences sexuelles présumées sur la personne de son fils seraient en instance. Le même jour, le Comité a considéré, conformément à l’article 18 (par. 1) de son règlement intérieur, qu’il n’était pas nécessaire de transmettre la communication à l’État partie pour qu’il communique ses observations avant l’examen de la recevabilité.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure affirme que le père d’A. R. G. a agressé sexuellement son fils à plusieurs reprises, quand celui-ci avait entre 2 et 3 ans. Trois procédures judiciaires − deux de nature pénale et une de nature civile − ont été engagées contre lui pour ces faits. Dans le cadre de la première procédure pénale, le père fait l’objet d’une enquête pour des agressions et des violences sexuelles qu’il aurait commises sur la personne de son fils entre mars 2017 et mai 2018. Après l’ouverture de cette procédure pénale, le père d’A. R. G. a présenté devant une juridiction civile une demande de mesures provisoires afin d’obtenir la garde partagée de l’enfant. Le 18 septembre 2017, le juge a accordé la garde d’A. R. G. à la mère et un droit de visite au père. Dans la troisième procédure en cours (la seconde procédure pénale), le père fait l’objet d’une enquête pour des blessures qu’il aurait infligées à son fils en mars 2018.

2.2Depuis qu’elle a déposé la plainte qui a donné lieu à la seconde procédure pénale, l’auteure ne respecte pas le régime des visites afin de protéger A. R. G. de son père. Dans le même but, le 19 mars 2018, elle a demandé des mesures de protection, à savoir l’adoption d’une mesure d’éloignement visant à ce que le père ne puisse pas s’approcher d’A. R. G. ou communiquer avec lui, et la suspension de son droit de visite.

2.3Le 9 juillet 2018, le tribunal d’instruction no 1 de Blanes a refusé les mesures de protection demandées par l’auteure, sans préjudice de l’adoption ultérieure de telles mesures au cas où de nouvelles enquêtes démontreraient leur nécessité. Le 30 janvier 2019, l’auteure a saisi le même tribunal d’instruction d’une nouvelle demande de mesures de protection mais elle a été déboutée le 27 février 2019. Elle a fait appel de cette décision le 5 mars 2019 devant l’Audiencia provincial de Gérone. Le 7 mai 2019, l’Audiencia provincial a confirmé le refus des mesures de protection mais a modifié le droit de visite en limitant les visites à un week-end sur deux, sans possibilité de passer la nuit chez le père, et en ordonnant qu’elles aient lieu en présence d’un tiers désigné par le père et connu d’A. R. G. ou, à défaut, dans un lieu choisi par les services sociaux et en présence de travailleurs sociaux.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’affaire met au jour un conflit entre les droits d’A. R. G. (son intérêt supérieur et son droit à la sécurité, à la vie, à l’intégrité physique et psychologique, et à la protection contre toute forme de violence) et le droit du père d’être présumé innocent. Les tribunaux espagnols ont toutefois fait passer les droits du père avant ceux d’A. R. G., sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, qui doit prévaloir sur tout autre intérêt en jeu.

3.2L’auteure affirme que les nouvelles conditions de visite adoptées par l’Audiencia provincial ne protègent pas A. R. G. de son père et l’obligent, en tant que victime, à voir son agresseur. Elle soutient notamment que le fait qu’A. R. G. ne passe pas la nuit chez son père ne le protège en rien contre de nouvelles violences, car rien ne garantit qu’il ne se retrouve pas seul avec lui. Elle soutient en outre qu’obliger l’enfant à voir son père aura des répercussions sur son développement.

3.3L’auteure affirme que son fils est victime d’une violation de l’article 3 de la Convention, étant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte, alors même que celui-ci doit primer les autres intérêts en jeu. Elle ajoute que le droit à la vie d’A. R. G., qui est protégé par l’article 6 et recouvre le droit de vivre dans la dignité et la liberté, a aussi été bafoué, puisque son fils est obligé d’avoir des contacts avec son agresseur. L’État partie ne respecte pas non plus l’article 9 de la Convention, car A. R. G. a le droit d’être séparé de son père. L’auteure affirme également que le droit d’A. R. G. d’être entendu dans le cadre des procédures judiciaires n’a pas été respecté, en violation de l’article 12 de la Convention. Enfin, elle soutient que les mesures nécessaires pour protéger A. R. G. contre toute forme de violence, y compris les violences sexuelles, n’ont pas été prises, en violation des articles 19 et 34 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

4.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable.

4.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles les tribunaux nationaux, en refusant d’ordonner des mesures de protection tendant à suspendre totalement le droit de visite du père, n’ont pas dûment pris en considération l’intérêt supérieur d’A. R. G., en violation du droit que celui-ci tient de l’article 3 de la Convention. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions nationales d’examiner les faits et les éléments de preuve et d’interpréter la législation, à moins que l’appréciation ou l’interprétation faite par celles-ci ait été manifestement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Il fait observer que tant le tribunal d’instruction no 1 de Blanes que l’Audiencia provincial de Gérone ont évalué les risques que courait A. R. G. et jugé qu’il n’était pas utile de prendre des mesures de protection. L’Audiencia provincial, invoquant la nécessité de respecter le principe de la protection de l’intérêt de l’enfant, a néanmoins modifié les conditions du droit de visite pour éviter que le père et le fils se retrouvent seuls tous les deux. Le Comité estime que, si elle n’est pas satisfaite des décisions rendues par les autorités nationales, l’auteure n’a pas démontré que l’examen des faits et éléments de preuve soumis à ces autorités avait été manifestement arbitraire ou avait constitué un déni de justice. Par conséquent, il estime que ce grief n’a pas été suffisamment étayé et le déclare irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

4.3Concernant les griefs que l’auteure tire des articles 6, 9, 12, 19 et 34 de la Convention, le Comité estime que l’intéressée n’a pas suffisamment étayé ses allégations selon lesquelles les droits qu’A. R. G. tient de ces articles ont été violés parce que le droit de visite du père, dont les conditions ont été modifiées par l’Audiencia provincial, n’a pas été totalement suspendu. Par conséquent, le Comité conclut que ces griefs sont manifestement infondés et les déclare irrecevables au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

5.Le Comité des droits de l’enfant décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteure de la communication et, pour information, à l’État partie.