NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/GC/224 janvier 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS

OBSERVATION GÉNÉRALE N o  2

Application de l’article 2 par les États parties

I. Introduction

1.La présente Observation générale porte sur les trois paragraphes de l’article 2, dont chacun expose des principes fondamentaux distincts mais interdépendants qui étayent l’interdiction absolue de la torture énoncée dans la Convention. Depuis l’adoption de la Convention, le caractère absolu et intangible de cette interdiction s’est progressivement inscrit dans le droit international coutumier. Les dispositions de l’article 2 renforcent cette norme impérative et constituent la base juridique sur laquelle le Comité se fonde pour mettre en œuvre des moyens efficaces de prévention, y compris, mais sans s’y limiter, les mesures énoncées dans les articles3 à 16 compte tenu de l’évolution des menaces, problèmes et pratiques.

2.Les dispositions du paragraphe 1 de l’article 2 obligent chaque État à prendre des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres qui renforceront l’interdiction de la torture et doivent, en fin de compte, être efficaces pour prévenir les actes de torture. Pour que soient effectivement prises des mesures réputées empêcher les actes de torture ou les réprimer, la Convention énonce dans les articles suivants les obligations de l’État partie en la matière.

3.L’obligation de prévenir la torture consacrée à l’article 2 est de portée large. Cette obligation et celle de prévenir les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci‑après «mauvais traitements»), énoncée au paragraphe 1 de l’article 16, sont indissociables, interdépendantes et intimement liées. Dans la pratique, l’obligationde prévenir les mauvais traitements recoupe celle d’empêcher que des actes de torture ne soient commis et lui est dans une large mesure équivalente. En identifiant les moyens de prévenir les mauvais traitements, l’article 16 met l’accent «en particulier» sur les mesures énoncées aux articles 10 à 13, mais sans s’y limiter, comme l’a expliqué le Comité, par exemple, à propos de l’indemnisation visée àl’article 14. Dans la pratique, la ligne de démarcation entre les mauvais traitements et la torture est souvent floue. L’expérience montre que les circonstances qui sont à l’origine de mauvais traitements ouvrent souvent la voie à la torture; les mesures requises pour empêcher la torture doivent donc aussi s’appliquer à la prévention des mauvais traitements. C’est pourquoi le Comité a considéré que l’interdiction des mauvais traitements était elle aussi intangible en vertu de la Convention et que leur prévention devait être efficace et ne souffrir aucune exception.

4.Les États parties sont tenus de supprimer tous les obstacles, juridiques ou autres, qui empêchent l’élimination de la torture et des mauvais traitements et prendre des mesures positives effectives pour prévenir efficacement de telles pratiques et empêcher qu’elles ne se reproduisent. Ils sont également tenus d’effectuer un examen régulier de leur législation et de la mise en œuvre de la Convention et, si besoin est, de les améliorer, conformément aux observations finales du Comité et aux constatations adoptées au sujet de communications individuelles. Si les mesures prises par les États parties ne parviennent pas à éradiquer les actes de torture, la Convention impose de les réviser et/ou d’en adopter de nouvelles qui soient plus efficaces. De même, les mesures que le Comité considère efficaces et recommande d’adopter sont en constante évolution comme le sont aussi, malheureusement, les méthodes de torture et de mauvais traitements.

II. Interdiction absolue

5.Le paragraphe 2 de l’article 2 dispose que l’interdiction de la torture est absolue et qu’il est impossible d’y déroger. Il précise qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée par un État partie pour justifier la torture dans tout territoire sous sa juridiction. La Convention cite entre autres circonstances exceptionnelles l’état de guerre ou de menace de guerre, l’instabilité politique intérieure ou tout autre état d’exception. Cela inclut toute menace d’acte terroriste ou de crime violent ainsi que le conflit armé, international ou non international. Le Comité rejette catégoriquement la pratique profondément préoccupante consistant pour les États à tenter de justifier la torture ou les mauvais traitements par la nécessité de protéger la sécurité publique ou d’éviter une situation d’urgence, que ce soit dans les situations susmentionnées ou dans toute autre situation. Il rejette également l’invocation de motifs fondés sur la religion ou les traditions pour justifier une dérogation à cette interdiction absolue. Il considère qu’une amnistie ou tout autre obstacle juridique qui empêcherait que les auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements fassent rapidement l’objet de poursuites et de sanctions équitables, ou qui exprimerait une réticence à cet égard, violerait le principe d’intangibilité.

6.Le Comité rappelle à tous les États parties à la Convention qu’il leur est impossible de déroger aux obligations auxquelles ils ont souscrit en ratifiant la Convention. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, il a précisé que les obligations énoncées aux articles 2 (selon lequel «aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, … ne peut être invoquée pour justifier la torture»), 15 (qui interdit d’invoquer des aveux obtenus sous la torture comme élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre l’auteur des actes de torture) et 16 (qui interdit les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) doivent être respectées en toutes circonstances. Le Comité considère que les obligations énoncées dans les articles 3 à 15 s’appliquent indifféremment à la torture et aux mauvais traitements. Il reconnaît que les États parties peuvent choisir les mesures par lesquelles ils s’acquittent de ces obligations pour autant qu’elles soient efficaces et conformes à l’objet et au but de la Convention.

7.Le Comité considère également que la notion de «territoire sous sa juridiction», étroitement liée au principe d’intangibilité, s’entend de tout territoire ou établissement et doit être appliquée sans discrimination d’aucune sorte de manière à protéger quiconque, ressortissant ou non‑ressortissant, relève de droit ou de fait d’un État partie. Il souligne que l’obligation de l’État de prévenir la torture s’applique aussi à quiconque agit, de droit ou de fait, au nom de l’État partie ou en liaison avec lui ou encore à sa demande. Il est urgent que chaque État partie suive de près ses agents et quiconque agit à sa demande et repère tout acte de torture ou tout mauvais traitement résultant notamment de mesures antiterroristes et en rende compte au Comité, en lui indiquant les mesures prises pour enquêter sur les actes de cette nature, et les punir et les prévenir à l’avenir, en accordant une attention particulière à la responsabilité légale des auteurs directs et des supérieurs hiérarchiques, que les actes aient été commis à leur instigation ou avec leur consentement explicite ou tacite.

III. Teneur de l’obligation de prendre des mesures efficaces

8.Les États parties doivent ériger la torture en infraction passible de sanctions pénales. Pourcela, ils doivent se fonder à tout le moins sur la définition de la torture figurant à l’article premier de la Convention, et sur les dispositions de l’article 4.

9.Si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l’impunité. Dans certains cas, même si les termes utilisés sont les mêmes, le sens peut en être restreint par le droit interne ou par la jurisprudence; c’est pourquoi le Comité appelle chaque État partie à veiller à ce que toutes les branches de son gouvernement se conforment à la définition de la Convention pour définir les obligations de l’État. En même temps, le Comité reconnaît que les définitions de portée plus vaste inscrites dans les lois nationales servent également l’objet et le but de la Convention pour autant, à tout le moins, qu’elles contiennent les normes énoncées dans la Convention et qu’elles soient mises en œuvre conformément à ces normes. Il souligne en particulier que les critères d’intention et d’objectif énoncés à l’article premier ne supposent pas une analyse subjective des motivations de l’auteur et doivent être déterminés de manière objective compte tenu des circonstances. Il est essentiel d’enquêter et d’établir la responsabilité des personnes appartenant à la chaîne de commandement autant que celle des auteurs directs.

10.Le Comité reconnaît que la plupart des États parties identifient ou définissent certains actes comme des mauvais traitements dans leur Code pénal. Comparés aux actes de torture, les mauvais traitements peuvent différer par l’intensité de la douleur et des souffrances infligées et le fait qu’il ne doit pas nécessairement être prouvé qu’ils servent des fins illicites. Le Comité souligne que le fait d’engager des poursuites pour mauvais traitements seulement alors qu’il existe des éléments constitutifs de torture serait une violation de la Convention.

11.Le Comité estime que les États parties, en définissant une infraction de torture qui soit distincte des voies de fait ou d’autres infractions, serviront directement l’objectif général de la Convention qui consiste à prévenir la torture et les mauvais traitements. Le fait de nommer et de définir ce crime contribuera à la réalisation de l’objectif de la Convention, entre autres en appelant l’attention de chacun − notamment les auteurs, les victimes et le public − sur la gravité particulière du crime de torture. Le fait de codifier ce crime permettra également de: a) souligner la nécessité de prévoir un châtiment approprié qui tienne compte de la gravité de l’infraction, b) renforcer l’effet dissuasif qu’a en soi l’interdiction de la torture, c) améliorer l’aptitude des fonctionnaires responsables à repérer l’infraction particulière de torture, et d) permettre au public, en lui en donnant les moyens, de surveiller et, si nécessaire, de contester l’action de l’État ou son inaction lorsque celle-ci viole la Convention.

12.L’examen des rapports successifs des États parties et des communications individuelles ainsi que le suivi des progrès enregistrés ont permis au Comité, dans ses observations finales, d’expliquer ce qu’il considérait comme des mesures efficaces, dont l’essentiel est exposé ici. Qu’il s’agisse des principes d’application générale énoncés à l’article 2 ou de l’interprétation de certains articles de la Convention, le Comité a recommandé aux États parties des actions concrètes qui visent à les aider à adopter rapidement et efficacement les mesures nécessaires et adaptées pour prévenir la torture et les mauvais traitements et, partant, à rendre leur législation et leur pratique pleinement conformes à la Convention.

13.Certaines garanties fondamentales des droits de l’homme s’appliquent à toutes les personnes privées de liberté. Plusieurs sont précisées dans la Convention et le Comité demande systématiquement aux États parties de s’y reporter. Les recommandations du Comité au sujet des mesures efficaces visent à préciser sa position actuelle et ne sont pas exhaustives. Ces garanties comprennent, notamment, la tenue d’un registre officiel des détenus, le droit des détenus d’être informés de leurs droits, de bénéficier promptement d’une assistance juridique et médicale indépendante ainsi que de prendre contact avec leur famille, la nécessité de mettre en place des mécanismes impartiaux pour l’inspection des lieux de détention et d’internement, et la possibilité pour les détenus et les personnes qui risquent d’être victimes d’actes de torture et de mauvais traitements d’avoir accès à des recours judiciaires et autres qui leur permettent de bénéficier rapidement d’un examen impartial de leur plainte, de défendre leurs droits et de contester la légalité de leur détention ou de leur traitement.

14.Depuis l’entrée en vigueur de la Convention, l’expérience a renforcé la connaissance qu’a le Comité de la portée et de la nature de l’interdiction de la torture, des méthodes de torture, des situations dans lesquelles ces actes se produisent ainsi que de l’évolution des mesures efficaces pour prévenir la torture dans différents contextes. Par exemple, le Comité a souligné l’importance du fait que les gardiens soient du même sexe que les détenus afin de protéger l’intimité des personnes. À mesure que de nouvelles méthodes de prévention (par exemple, l’enregistrement vidéo de tous les interrogatoires, l’utilisation de procédures d’enquête telles que celles proposées dans le Protocole d’Istanbul de 1999 ou de nouvelles méthodes d’éducation du public ou de protection des mineurs) sont découvertes, mises en œuvre et jugées efficaces, l’article 2 permet de s’appuyer sur les autres articles et d’élargir le champ des mesures requises pour prévenir la torture.

IV. P orté e des obligations et de la responsabilité de l’État

15.La Convention impose des obligations aux États parties et non aux particuliers. La responsabilité internationale des États est engagée par les actes ou omissions de leurs fonctionnaires et de leurs agents, ainsi que de toute personne agissant à titre officiel, au nom de l’État ou en liaison avec celui-ci, sous sa direction ou son contrôle, ou encore au nom de la loi, comme indiqué au paragraphe 6 ci-dessus. En conséquence, chaque État partie doit interdire, prévenir et réparer les actes de torture et mauvais traitements dans toutes les situations de garde ou de surveillance, notamment dans les prisons, les hôpitaux, les écoles, les institutions chargées de la protection de l’enfance, des personnes âgées, des malades mentaux ou des handicapés, et autres institutions, dans le cadre du service militaire ainsi que dans les situations dans lesquelles la non-intervention des autorités renforce et accroît le risque que des individus portent atteinte à autrui. Toutefois, la Convention ne restreint pas la responsabilité internationale encourue, en vertu du droit international coutumier et d’autres traités, par les États ou les particuliers qui commettent un acte de torture ou infligent des mauvais traitements.

16.Le paragraphe 1 de l’article 2 impose à tout État partie de prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture ne soient commis non seulement sur son propre territoire mais aussi «dans tout territoire sous sa juridiction». Le Comité considère que le «territoire» s’étend à toutes les régions sur lesquelles l’État partie exerce de fait ou de droit, directement ou indirectement, en tout ou en partie, un contrôle effectif, conformément au droit international. Il considère que la référence à «tout territoire», à l’article 2 comme aux articles 5, 11, 12, 13 et 16, concerne les infractions commises, non seulement à bort d’un navire ou d’un aéronef immatriculé sur le registre d’un État partie, mais aussi pendant une occupation militaire ou des opérations de maintien de la paix et dans des lieux tels qu’une ambassade, une base militaire, des locaux de détention ou tout autre espace sur lequel un État partie exerce un contrôle effectif. Le Comité note qu’une telle interprétation renforce les dispositions de l’alinéa b du paragraphe 1 de l’article 5, qui imposent à tout État partie de prendre les mesures nécessaires pour établir sa compétence «quand l’auteur présumé de l’infraction est un ressortissant dudit État». Le Comité considère également que la notion de «territoire» à l’article 2 doit s’étendre en outre aux situations dans lesquelles l’État partie exerce, directement ou indirectement, de fait ou de droit, un contrôle sur des détenus.

17.Le Comité fait observer que les États parties sont tenus d’adopter des mesures efficaces pour empêcher que des agents publics ou toute autre personne agissant à titre officiel ne commettent personnellement des actes de torture tels qu’ils sont définis par la Convention, ne poussent ou n’incitent quiconque à les commettre, ne soient impliqués dans des actes de cette nature ou y participent, ou encore ne les encouragent ou n’y consentent. Les États parties sont donc tenus d’adopter des mesures efficaces pour empêcher que ces fonctionnaires ou autres agents de l’État agissant à titre officiel ou au nom de la loi ne donnent leur consentement exprès ou tacite à tout acte de torture. Le Comité a conclu que lorsqu’ils manquent à ces obligations, les États parties contreviennent à la Convention. Par exemple, lorsqu’un centre de détention est géré ou détenu par une entreprise privée, le Comité considère que ses personnels agissent à titre officiel en ce sens qu’ils se substituent à l’État en s’acquittant des obligations qui lui incombent et qu’ils ne sont pas dispensés de l’obligation qui incombe aux agents de l’État d’être vigilants et de prendre toutes mesures efficaces pour prévenir la torture et les mauvais traitements.

18.Le Comité a clairement indiqué que si les autorités de l’État ou toute autre personne agissant à titre officiel ou au nom de la loi savent ou ont des motifs raisonnables de penser que des actes de torture ou des mauvais traitements sont infligés par des acteurs non étatiques ou du secteur privé et n’exercent pas la diligence voulue pour prévenir de tels actes, mener une enquête ou engager une action contre leurs auteurs afin de les punir conformément à la Convention, l’État partie est tenu pour responsable et ses agents devraient être considérés comme les auteurs, les complices ou les responsables d’une quelconque autre manière, en vertu de la Convention, pour avoir consenti, expressément ou tacitement, à la commission d’actes interdits. Le fait que l’État n’exerce pas la diligence voulue pour mettre un terme à ces actes, les sanctionner et en indemniser les victimes a pour effet de favoriser ou de permettre la commission, en toute impunité, par des agents non étatiques, d’actes interdits par la Convention, l’indifférence ou l’inaction de l’État constituant une forme d’encouragement et/ou de permission de fait. Le Comité a appliqué ce principe lorsque les États parties n’ont pas empêché la commission de divers actes de violence à motivation sexiste, dont le viol, la violence dans la famille, les mutilations génitales féminines et la traite des êtres humains, et n’ont pas protégé les victimes.

19.En outre, dans les cas où un individu doit être transféré ou dirigé à des fins de garde ou de surveillance vers une personne ou une institution, publique ou privée, dont on sait qu’elle a été impliquée dans des actes de torture ou des mauvais traitements ou qu’elle n’a pas mis en place de garanties suffisantes, l’État est tenu pour responsable, et ses agents passibles de sanctions pour avoir ordonné ce transfert, l’avoir autorisé ou y avoir participé, ce qui constitue un manquement de l’État à son obligation d’adopter des mesures efficaces pour empêcher, conformément au paragraphe 1 de l’article 2, que des actes de torture ne soient commis. Le Comité a dit sa préoccupation devant le fait que des États parties envoient des personnes dans des établissements de ce type au mépris des garanties requises par les articles 2 et 3.

V. Protection des individus et des groupes rendus vulnérables par la discrimination ou la marginalisation

20.Le principe de non-discrimination, qui est un principe général de base en matière de protection des droits de l’homme, est fondamental pour l’interprétation et l’application de la Convention. Il est inscrit dans la définition même de la torture énoncée au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention, qui interdit expressément certains actes lorsque ceux-ci sont commis «pour tout motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit…». Le Comité met l’accent sur le fait que le recours discriminatoire à des violences ou à des mauvais traitements mentaux ou physiques est un critère important permettant de conclure à l’existence d’un acte de torture.

21.La protection de certaines personnes ou populations minoritaires ou marginalisées particulièrement exposées au risque de torture fait partie de l’obligation qui incombe à l’État de prévenir la torture et les mauvais traitements. Pour s’acquitter de leurs obligations en vertu de la Convention, les États parties doivent veiller à ce que leurs lois soient dans la pratique appliquées à tous, sans distinction fondée sur la race, la couleur de la peau, l’origine ethnique, l’âge, la croyance ou l’appartenance religieuse, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, le sexe, les préférences sexuelles, l’identité transgenre, un handicap mental ou autre, l’état de santé, le statut économique ou la condition d’autochtone, le motif pour lequel la personne est détenue, y compris les personnes accusées d’avoir commis des infractions politiques ou des actes de terrorisme, les demandeurs d’asile, les réfugiés ou toute autre personne placée sous protection internationale, ou sur toute autre condition ou particularité. Les États parties devraient en conséquence garantir la protection des membres de groupes particulièrement exposés à la torture, en poursuivant et en punissant les auteurs de tous les actes de violence ou mauvais traitements à l’encontre de ces personnes et en veillant à la mise en œuvre d’autres mesures positives de prévention et de protection, y compris, mais sans s’y limiter, celles énoncées plus haut.

22.Les rapports des États parties ne fournissent généralement pas suffisamment d’informations précises sur la mise en œuvre de la Convention eu égard aux femmes. Des données ventilées par sexe − croisées avec d’autres données personnelles telles que la race, la nationalité, la religion, les préférences sexuelles, l’âge ou encore le statut d’immigré − sont cruciales pour déterminer dans quelle mesure les femmes et les filles sont soumises ou exposées à la torture et aux mauvais traitements et quelles en sont les conséquences. Les situations dans lesquelles les femmes sont exposées incluent la privation de liberté, les traitements médicaux, en particulier en cas de décisions concernant la procréation, et les violences exercées en privé, dans la communauté ou au foyer. Les hommes sont eux aussi victimes de violations de la Convention qui visent en général les femmes, notamment de viols et de violences et atteintes sexuelles. Les hommes comme les femmes, adultes ou enfants, peuvent être victimes de violations de la Convention en raison de leur non-respect − réel ou supposé − du rôle dévolu à leur sexe par la société. Les États parties sont tenus de faire le point sur ces actes discriminatoires et d’exposer dans leurs rapports les mesures prises pour les empêcher et en punir les auteurs.

23.Une évaluation régulière de la situation est donc indispensable pour que les mesures soient efficaces. Le Comité recommande systématiquement aux États parties de présenter dans leurs rapports des données ventilées par âge, sexe et autres facteurs clefs afin qu’il puisse évaluer de manière appropriée la mise en œuvre de la Convention. Ces données permettent aux États parties et au Comité de repérer l’existence de traitements discriminatoires qui pourraient passer inaperçus et ne susciter aucune réaction, de procéder à des comparaisons et de prendre des mesures pour y remédier. Il est demandé aux États parties de décrire, dans la mesure du possible, les facteurs qui influent sur l’incidence et la prévention de la torture et des mauvais traitements, ainsi que les difficultés rencontrées dans le cadre de la prévention de la torture et des mauvais traitements dont sont victimes des groupes particuliers de la population dont il y a lieu de se préoccuper tels que les minorités, les victimes de la torture, les enfants et les femmes, en tenant compte des diverses formes que ces actes peuvent prendre.

24.Il est fondamental d’éliminer la discrimination dans l’emploi et d’organiser régulièrement des activités de sensibilisation dans les cas où des actes de torture ou des mauvais traitements risquent d’être commis si l’on veut prévenir ce type de violations et instaurer des attitudes de respect à l’égard des femmes et des minorités. Les États sont encouragés à promouvoir l’embauche de membres de minorités et de femmes, en particulier dans les domaines de la santé et de l’éducation, dans les prisons et les lieux de détention, dans la police ainsi que dans les professions judiciaires et juridiques, et ce au sein des institutions tant publiques que privées. Les États parties devraient rendre compte dans leurs rapports des progrès enregistrés en la matière, en présentant des données ventilées par sexe, race, origine nationale ou autre caractéristique pertinente.

VI. Autres mesures de prévention requises dans la Convention

25.Les articles 3 à 15 de la Convention définissent les mesures de prévention spécifiques que les États parties ont jugées essentielles pour prévenir la torture et les mauvais traitements, notamment en cas de garde à vue ou de détention. Le Comité insiste sur le fait que l’obligation de prendre des mesures de prévention efficaces va au-delà des éléments énumérés expressément dans la Convention ou des exigences énoncées dans la présente observation générale. Par exemple, il est important que l’ensemble de la population soit sensibilisé à l’histoire, à la portée et à la nécessité de l’interdiction intangible de la torture et des mauvais traitements et que les agents des services de répression, notamment, apprennent à repérer et à prévenir les actes de torture et les mauvais traitements. De la même façon, fort d’une longue expérience de l’examen et de l’évaluation de rapports d’États ayant trait à la torture et aux mauvais traitements infligés par les autorités d’un État ou sanctionnés par elles, le Comité souligne qu’il importe d’adapter les modalités de surveillance de la torture et des mauvais traitements aux situations où la violence est infligée dans la sphère privée. Les États parties devraient veiller à faire figurer dans leurs rapports au Comité des informations détaillées sur la mise en œuvre des mesures de prévention, ventilées par catégorie pertinente.

VII. Ordres d’un supérieur

26.Le fait qu’il est impossible de déroger à l’interdiction de la torture s’appuie sur le principe déjà ancien consacré au paragraphe 3 de l’article 2, selon lequel l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut jamais être invoqué pour justifier la torture. Ainsi, un subordonné ne peut se retrancher derrière un supérieur hiérarchique et doit être tenu pour responsable personnellement. Dans le même temps, les supérieurs hiérarchiques − y compris les fonctionnaires − ne peuvent se soustraire à l’obligation de s’expliquer ni à leur responsabilité pénale pour des actes de torture ou des mauvais traitements commis par des subordonnés lorsqu’ils savaient ou auraient dû savoir que ceux-ci commettaient, ou étaient susceptibles de commettre, ces actes inadmissibles et qu’ils n’ont pas pris les mesures de prévention raisonnables qui s’imposaient. Le Comité juge primordial qu’une enquête en bonne et due forme soit menée par des autorités judiciaires et des autorités de poursuites compétentes, indépendantes et impartiales, sur les actes de torture ou les mauvais traitements commis à l’instigation d’un haut fonctionnaire ou avec son consentement exprès ou tacite, ou encore encouragés par lui, afin de déterminer sa responsabilité. Les personnes qui se refusent à exécuter ce qu’elles considèrent être un ordre illégitime ou qui coopèrent dans le cadre d’une enquête portant sur des actes de torture ou des mauvais traitements, commis notamment par des hauts fonctionnaires, doivent être protégées contre les représailles de toute nature.

27.Le Comité réaffirme que la présente Observation générale doit être considérée comme étant sans préjudice de tout instrument international ou texte de loi national offrant un degré de protection supérieur, pour autant qu’ils renferment à tout le moins les normes consacrées par la Convention.

-----