Nations Unies

CCPR/C/CAF/CO/3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 avril 2020

Original : français

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de la République centrafricaine *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le troisième rapport périodique de la République centrafricaine (CCPR/C/CAF/3) à ses 3694e et 3695e séances (CCPR/C/SR.3694 et 3695), les 4 et 5 mars 2020. Le Comité a adopté, le 27 mars 2020, les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de l’État partie et les renseignements qu’il contient. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie sur les mesures prises par celui-ci pour donner effet aux dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites (CCPR/C/CAF/Q/3/Add.1) apportées à la liste de points (CCPR/C/CAF/Q/3) ainsi que des réponses données oralement par la délégation.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue les mesures législatives et institutionnelles prises par l’État partie, notamment :

a)La loi no 06.032 du 27 décembre 2006 portant protection de la femme contre les violences en République centrafricaine ;

b)La loi organique no 15.003 du 3 juin 2015 portant création, organisation et fonctionnement de la Cour pénale spéciale, la loi no 18.010 du 2 juillet 2018, portant règlement de procédure et de preuve devant la Cour pénale spéciale de la République centrafricaine, et la stratégie d’enquêtes, de poursuites et d’instruction présentée le 4 décembre 2018 ;

c)La loi no 16.004 du 24 novembre 2016 instituant la parité entre les hommes et les femmes en République centrafricaine, notamment l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux, et la création de l’Observatoire national de parité hommes/femmes ;

d)La loi no 17.015 du 20 avril 2017 portant création d’une commission nationale des droits de l’homme et des libertés fondamentales en République centrafricaine ;

e)L’arrêté interministériel du 28 septembre 2017 instituant l’organisation d’enquêtes de moralité et criblage de sécurité à l’encontre des membres des groupes armés candidats à la réinsertion ou à l’intégration dans les Forces armées centrafricaines ;

f)La signature de l’Accord politique pour la paix et la réconciliation en République centrafricaine, le 6 février 2019, qui prévoit notamment l’établissement de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation ;

g)Le Code électoral adopté en juillet 2019 ;

h)La loi portant création, organisation et fonctionnement de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation, adoptée le 27 février 2020 ;

i)La loi relative aux partis politiques et au statut de l’opposition, adoptée en février 2020 et prévoyant notamment le respect de la parité dans la présentation des candidatures aux élections.

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Protocole facultatif s’y rapportant, en 2016 ;

b)La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en 2016 ;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2017 ;

d)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2016.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité interne du Pacte

5.Le Comité prend note des circonstances particulières dans lesquelles l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie s’effectue, en l’occurrence la situation de conflit qui perdure depuis 2013 et les difficultés rencontrées par l’État central pour contrôler l’intégralité de son territoire. Le Comité considère cependant que les difficultés qui peuvent entraver le contrôle effectif de l’État partie sur certaines parties de son territoire n’exonèrent pas celui-ci de l’obligation de faire usage de tous les moyens pour assurer la pleine mise en œuvre des droits énoncés dans le Pacte à l’égard de toute personne se trouvant sur son territoire. Le Comité note par ailleurs que malgré l’existence de l’article 94 de la Constitution, selon lequel les traités ont une autorité supérieure à celle des lois, dans les faits, aucun exemple concret de cas dans lesquels les dispositions du Pacte ont été invoquées devant les tribunaux ou appliquées par ces derniers n’a été fourni par l’État partie (art. 2).

6. À la lumière de l’ o bservation générale n o 3 1 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, l’ État partie devrait veiller à ce que les obligations découlant du Pacte s’étendent à l’ensemble du territoire national, en prenant toutes les mesures nécessaires compatibles avec le droit international. En outre, dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 6), l’État partie devrait prendre des mesures pour mieux faire connaître le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant auprès des juges, des avocats et des procureurs ainsi qu’auprès du public, afin de garantir que leurs dispositions sont prises en compte et appliquées par les tribunaux nationaux. Il devrait également établir un mécanisme pour le suivi des observations finales et d es constatations du Comité.

Institution nationale des droits de l’homme

7.Le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles, malgré l’octroi par la loi de finances de 2019 de moyens financiers destinés au fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ceux-ci n’ont pas encore été mis à sa disposition. Il regrette l’inactivité de la Commission nationale, qui n’a pas réellement commencé ses activités et ne dispose pas de bureaux régionaux lui permettant de déployer son action sur l’ensemble du territoire (art. 2).

8. L’État partie devrait s’assurer que les ressources allouées à la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont effectivement attribuées afin de lui permettre de s’acquitter efficacement de son mandat en toute indépendance. Il devrait veiller à ce qu’elle dispose de bureaux et de moyens d’action effectifs sur l’ensemble du territoire, tout en prenant en compte le contexte de sécurité dans certaines régions du pays. Le Comité encourage l’ État partie à se prévaloir du soutien technique de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine, pour ce faire. L’ État partie devrait en outre prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre l’institution nationale des droits de l’homme conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme ( Principes de Paris).

Impunité, recours effectif et réparations

9.Le Comité salue les efforts entrepris par l’État partie pour faire la lumière sur les violations les plus graves des droits de l’homme et entamer un processus de justice transitionnelle, notamment avec la création de la Cour pénale spéciale, qui a commencé son travail d’enquête et d’instruction, et de la Commission vérité, justice, réparation et réconciliation. Il est néanmoins préoccupé par le fait que ces mécanismes ne sont pas encore complètement opérationnels. Il note notamment que la Cour pénale spéciale n’a pas le nombre suffisant de juges internationaux pour siéger en chambre d’accusation et juger les personnes accusées des crimes les plus graves commis dans le cadre du conflit ; ces juges semblent être déjà nommés, mais tous n’ont pas pris possession de leur charge. En outre, bien que la Cour pénale spéciale ait mis en place un dispositif de protection des témoins et des victimes, l’actionnement de ce dernier est laissé à la discrétion des juges qui y ont recours « en cas de besoin », et dans les faits, aucune mesure n’a été prise pour rendre cette procédure opérationnelle. Enfin, tout en notant les actions prises en vue d’établir la vérité et la réconciliation dans le pays, le Comité regrette que ces actions soient accompagnées de la décision de nommer dans le Gouvernement inclusif un certain nombre de personnes soupçonnées de violations graves des droits de l’homme, ce qui pourrait créer un blocage de facto des possibles poursuites judiciaires à leur encontre (art. 2, 6 et 7).

10. Dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 7 et 8), l ’État partie devrait :

a) Prendre les mesures nécessaires, y compris par le recours à la coopération internationale, pour accélérer l’entrée en fonction des juges internationaux à la Cour pénale s péciale afin que les affaires instruites puissent être jugées ;

b) Veiller à ce que toutes les victimes disposent d’un recours utile, notamment devant la Cour p énale s péciale , et qu’elles puissent bénéficier de mesures adéquates d’indemnisation, de restitution et de réadaptation, compte tenu des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire  ;

c) S ’assurer que les victimes et les témoins peuvent prendre part aux procès devant la Cour pénale s péciale grâce à un dispositif opérationnel de protection des victimes et des témoins , en prenant exemple sur les pratiques établies par la Cour pénale internationale ;

d ) Rendre o pérationn elle dans les plus brefs délais la Commission vérité, justice, réparation et r éconciliation , et veiller à ce qu’elle fonctionne de manière inclusive, efficace et indépendante, conformément au droit et aux normes internationaux, notamment en interdisant toute amnistie pour les violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et les violations graves du droit international humanitaire , l e Comité soulignant à cet égard que la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle ne saurait dispenser de poursuivre pénalement les responsables de violations graves des droits de l’homme ;

e ) R enforcer les mesures prises relatives à la vérification des antécédents afin d’empêcher les personnes accusées de violations des dispositions du Pacte d’exercer des fonctions publiques et d’être promues.

Non-discrimination et égalité femmes-hommes

11.Le Comité est préoccupé par l’absence de législation générale contre la discrimination. Il regrette en outre l’absence d’information sur les mesures concrètes adoptées pour inclure la dimension du genre dans tout le processus de justice transitionnelle, y compris sur la pratique réelle de la Cour pénale spéciale. Le Comité regrette également le manque d’information sur les actions prises pour assurer une égalité entre les hommes et les femmes non seulement en droit mais aussi en pratique, notamment dans la participation aux affaires publiques, où le taux de représentation des femmes dans les organes législatifs, aux postes de décision de l’exécutif et parmi les magistrats demeure très faible (art. 2, 3, 23, 25 et 26).

12. Dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 9), l’État partie devrait :

a) Adopter une loi générale de lutte contre la discrimination , prévoyant notamment des recours utiles en cas de violation , pour faire en sorte que son cadre juridique offre une protection complète et efficace contre la discrimination dans tous les domaines , y compris la sphère privée, et pour tout motif de discrimination comprenant le sexe, la couleur de peau, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, le handicap, l’orientation sexuelle et l’identité de genre ou toute autre situation ;

b) Inclure la dimension du genre dans tout le processus de justice transitionnelle, y compris dans l a pratique de la Cour pénale spéciale ;

c) S’assurer de la participation effective des femmes à la vie publique, en renforçant notamment les actions d’éducation et de sensibilisation de la population pour lutter contre les stéréotypes sexistes relatifs à la subordination des femmes aux hommes et à leurs rôles et responsabilités respectifs dans la famille et au sein de la société.

Pratiques préjudiciables et violences sexuelles

13.Le Comité note les efforts de l’État partie pour lutter contre certaines pratiques préjudiciables et les violences sexuelles, notamment à l’égard des enfants, au moyen de la loi no 06.032 portant protection de la femme, du projet de loi relatif à la protection de l’enfant et du plan national de transition ayant pour objectif premier de favoriser un système éducatif de base. Il s’inquiète néanmoins de la persistance de ces pratiques et violences, notamment des progrès limités pour endiguer certaines pratiques comme la polygamie, et du maintien de certaines dispositions du Code pénal tel l’article 105, au titre duquel l’auteur d’un enlèvement peut épouser sa victime, la privant d’un droit de recours contre lui. Le Comité regrette le manque d’information sur l’effet des mesures prises, notamment par l’Unité mixte d’intervention rapide et de répression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants. Il est préoccupé par les allégations selon lesquelles les violences sexuelles continuent d’être utilisées comme arme de guerre et par l’ineffectivité des recours pour les victimes, du fait notamment du tabou social, de la crainte des représailles ou des incitations à accepter des conciliations à l’amiable, et de l’insécurité rendant inaccessibles les commissariats de police et les tribunaux (art. 2, 3, 6, 7 et 26).

14. L’État partie devrait intensifier ses efforts pour combattre les attitudes patriarcales profondément enracinées et les stéréotypes liés au rôle dévolu par la société aux hommes et aux femmes , qui contribue nt aux violations graves des droits des femmes et des filles et aux atteintes à leur intégrité . Conformément à la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité , et aux observations finales du Comité des droits économiques , sociaux et culturels (E/C.12/CAF/CO/1, par. 14), l’État partie devrait :

a) Abroger toutes les dispositions , notamment du C ode de la famille et du C ode pénal, y compris l’article 105 du Code pénal, qui favorise nt les atteintes à l’intégrité des femmes et des filles ;

b) Renforcer les moyens d’action de l’Unité mixte d’intervention rapide et de r épression des violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants pour que tous les cas de violences sexuelles, y compris le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines, fassent l’objet d’une enquête, que les auteurs de ces violences soient traduits en justice et qu’ils soient punis s’ils sont recon nus coupables  ;

c ) Sensibiliser la population, en particulier les chefs traditionnels et les responsables religieux, aux conséquences néfastes et à long terme des violences faites aux femmes et aux filles ;

d ) S’assurer qu’une aide juridique, médicale, financière et psychologique de même que l’accès à des recours utiles et à des mesures de protection so ien t octroyés aux victimes ;

e ) Accélérer la formation des juges et des procureurs , y compris ceux de la Cour p énale s péciale , et des agents des forces de l’ordre pour leur permett r e de traiter les affaires de violence à l’égard des femmes et de violence s familiale s de manière efficace et en tenant compte des considérations de genre ;

f ) Mettre en place un système fiable de collecte de données statistiques ventilées sur la violence à l’égard des femmes et les pratiques préjudiciables .

Mortalité maternelle et infantile, et interruption volontaire de grossesse

15.Compte tenu de la prévalence élevée de la mortalité maternelle et des allégations de recours aux avortements clandestins non sécurisés, dans des conditions qui mettent la vie et la santé des femmes en danger, le Comité regrette que l’interruption thérapeutique de grossesse prévue par le Code pénal ne permette qu’une fenêtre temporelle restreinte et conditionne son recours à la décision d’un collège de professionnels (art. 3, 6, 7, 17 et 26).

16. L’État partie devrait modifier sa législation en vue de garantir un accès sécurisé, légal et effectif à l’avortement lorsque la vie et la santé de la femme ou fille enceinte sont en danger et lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme ou la fille une douleur ou une souffrance considérable, tout particulièrement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou n’est pas viable. Il devrait également veiller à ce que les femmes et les filles ayant recours à l’avortement ainsi que les médecins qui les aident ne fassent pas l’objet de sanctions pénales, étant donné que de telles sanctions contraignent les femmes et les filles à recourir à l’avortement non sécurisé. L’ É tat partie devrait en outre mettre en œuvre des politiques de sensibilisation afin de lutter contre la stigmatisation des femmes et des filles qui ont recours à un avortement , et veiller à ce que toutes les femmes et les filles aient accès à la contraception et à des services de santé procréative adaptés et à un prix abordable.

Peine de mort

17.Tout en saluant le moratoire de facto appliqué par l’État partie se traduisant par l’absence d’exécutions depuis 1981, le Comité demeure préoccupé par : a) le fait que des condamnations à mort sont encore prononcées ; et b) l’absence d’avancée dans l’adoption d’une loi abolissant la peine de mort (art. 6).

18. Dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 13), l’État partie devrait envisager d’entamer un processus politique et législatif visant à abolir la peine de mort , et mettre en place des mesures de sensibilisation de l’opinion publique et des campagnes en faveur de son abolition. Il devrait également envisager d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.

Droit à la vie et protection des populations civiles

19.Tout en notant les efforts menés par l’État partie pour enquêter sur certaines exécutions extrajudiciaires commises depuis 2013, le Comité regrette le caractère nonsystématique de ces enquêtes, notamment s’agissant des allégations de violations commises par l’Office centrafricain de répression du banditisme et de celles commises par des soldats de la paix congolais de l’Union africaineàBoali,où une fosse commune a été trouvée. Le Comité est préoccupé par les informations indiquant que des violations graves des droits de l’homme, notamment des viols, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires, ont été et continuent d’être commises contre des civils dans des zones de conflit où sévissent plusieurs groupes et milices armés et où, du fait de leur commission sur des territoires en dehors du contrôle de l’État, elles ne font pas l’objet d’enquêtes. Le Comité est également préoccupé par des allégations de lynchages et d’homicides pour actes de sorcellerie et de charlatanisme(art. 2, 6 et7).

20.Au vu du nombre préoccupant d’allégations d’exécutions extrajudiciaires par des acteurs non étatiques, l’État partie devrait s’attaquer au problème notamment en accélér ant les mesures visant au désarmement et à la démobilisation des groupes armés , et en v eill ant à ce que les allégations d’exécutions extrajudiciaires et autres violations graves des droits de l’homme fassent l’objet d’enquêtes approfondies et que tous les auteurs, quel le que soit leur affiliation, soient poursuivis et sanctionnés proportionnellement à la gravité des faits reprochés. L’ État partie devrait faire toute la lumière sur les actes reprochés aux soldats de la paix de l’Union a fricaine à Boali , afi n que les victimes connaissent la vérité et obtiennent réparation pour ces crimes. Il devrait r edoubler d’efforts pour faire la lumière sur les actes de représailles et homicides pour les cas de sorcellerie et de charlatanisme .

Torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants

21.Le Comité s’inquiète du manque d’information sur le nombre de poursuites et de condamnations prononcées pour actes de torture. Tout en notant que la torture est incriminée par le Code pénal, le Comité regrette que les articles 118 à 120 de ce dernier ne donnent pas de définition de la torture. Il regrette également l’absence dans le Code de procédure pénale de dispositions garantissant l’inadmissibilité des aveux obtenus par la torture. Enfin, il est préoccupé par des allégations d’actes de torture pratiqués sur des personnes en détention par des agents de l’État et sur des populations civiles par des membres de groupes armés (art. 2 et 7).

22. L’État partie devrait :

a) Modifier ses dispositions internes pour définir la torture en conformité avec l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) Veiller à rendre inadmissible s dans un procès pénal les aveux obtenus par la torture ;

c) Renforcer la formation des acteurs de la justice, de la défense et de la sécurité ;

d) V eiller à ce que les cas présumés de torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’une enquête approfondie, à ce que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et à ce que les victimes obtiennent réparation et notamment se voient proposer des mesures de réadaptation ;

e) Mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture en conformité avec le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants .

Conditions carcérales

23.Tout en notant les efforts de l’État partie pour démilitariser les lieux de privation de liberté, le Comité est préoccupé par les conditions de détention inadéquates dans ceux qui sont sous le contrôle de l’État, notamment dans les cellules où les détenus sont en garde à vue, et par le manque d’informations sur ceux qui sont situés dans les zones contrôlées par les groupes armés. Le Comité est en particulier préoccupé par les taux élevés de surpopulation carcérale et de personnes en détention préventive, et par l’absence de mesures de réhabilitation dans les prisons pour hommes. Enfin, il est préoccupé par le taux élevé de femmes en détention préventive pour des actes de sorcellerie et de charlatanisme, lesquelles sont souvent détenues sous prétexte de les protéger de la vindicte populaire (art. 3, 6, 7 et 10).

24.Dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 17), l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour :

a) Améliorer les conditions de détention, notamment dans les lieux de garde à vue , et veiller à la séparation des détenus selon le régime de détention, y compris entre mineurs et adultes, entre hommes et femmes, et entre détenus en préventive et condamnés, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) ;

b) Remédier au problème de la surpopulation carcérale, notamment en mettant en place une politique de recours à des mesures de substitution à la privation de liberté dans les peines prononcées , mais aussi de substitution à la détention préventive avant que les jugements soient prononcés ;

c) Entreprendre des travaux de rénovation des centres de détention existants et de construction de nouveaux centres  ;

d) Mettre en place un système de substitution à la détention pour les femmes accusées de charlatanisme et de sorcellerie .

Détention arbitraire

25.Le Comité s’inquiète de ce que le délai de garde à vue est de soixante-douze heures et renouvelable une fois pour les lieux où réside un magistrat du ministère public, et d’une durée qui peut aller jusqu’à huit jours et renouvelable une fois pour les autres lieux. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles dans la pratique, les délais de garde à vue et de détention préventive fixés par la loi ne sont pas observés, et que les magistrats du siège et du parquet ne visitent que rarement les lieux de privation de liberté, ce qui contribue au taux élevé de surpopulation carcérale et rend la détention arbitraire au sens de l’article 9 du Pacte (art. 9 et 14).

26. L’État partie devrait prendre des mesures pour remédier à la situation des personnes qui sont en détention préventive au-delà des délais prescrits par la loi, modifier celle-ci pour la rendre conforme à l’article 9 du Pacte  et garantir de manière systématique aux personnes en garde à vue, ou en détention préventive, la notification de leurs droits et l’application des garanties juridiques fondamentales, en particulier le droit d’accès à un avocat.

Administration de la justice

27.Tout en notant la volonté affichée par l’État partie de mettre en conformité son dispositif législatif actuel avec les exigences d’une justice indépendante, le Comité regrette que ces efforts n’aient pas encore abouti à une réforme en ce sens et que des allégations fréquentes de corruption du système judiciaire soient rapportées sans que des réponses concrètes aient été pour l’instant élaborées. Le Comité est préoccupé par l’insuffisance de magistrats et leur couverture géographique inégale sur le territoire, se traduisant de facto par l’inaccessibilité de la justice pour certains (art. 2 et 14).

28. Dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 18), l ’État partie devrait :

a) Lutter contre la corruption au sein du pouvoir judiciaire, notamment en réform ant le Conseil supérieur de la m agistrature pour le rendre indépendant du pouvoir exécutif ,  et en renforçant les procédures permettant de prémunir les magistrats du siège et du parquet contre toute forme d’ingérence et de corruption ;

b) Garantir, dans la pratique, l’inamovibilité des magistrats du siège et du parquet ;

c) Recruter et former un nombre suffisant de magistrats afin de garantir une bonne administration de la justice sur tout son territoire , et de lutter contre la criminalité et l’impunité  ;

d) Allouer d es ressources budgétaires suffisantes à l’administration de la justice ;

e ) Renforcer les mesures visant à garantir l’accès à la justice pour tous, notamment en investissant dans les systèmes de justice itinérante ,  tout en tenant compte des limites actuelles liées à l’insécurité.

Traite des êtres humains, travail forcé et enfants soldats

29.Malgré la volonté affichée par l’État partie de s’attaquer à la traite des personnes et notamment des enfants, le Comité est préoccupé par l’impunité qui persiste, laquelle se traduit notamment par l’absence d’informations sur des poursuites et des condamnations au titre de l’article 151 du Code pénal pour traite d’êtres humains. Le Comité s’alarme des allégations de recrutement et d’utilisation d’enfants par des groupes armés aux fins d’exploitation en tant que combattants et esclaves sexuels, ainsi que dans le secteur de l’extraction minière (art. 7, 8 et 24).

30. L’État partie devrait poursuivre et intensifier son action visant :

a) À prévenir, à combattre et à réprimer les formes contemporaines d’esclavage, le travail forcé et la traite des êtres humains en faisant une application rigoureuse des dispositions du C ode pénal ;

b) À mettre un terme à l’implication des enfants dans les conflits armés, en procédant à l’accélération des opérations de désarmement et de démobilisation des groupes armés ,  et à la réintégration des enfants dans leur famille tout en veillant à l’intérêt supérieur de ces enfants ;

c ) À éliminer toutes les formes d’exploitation de la main - d’œuvre enfantine, en particulier dans les industries extractives.

Personnes déplacées, réfugiés et apatrides

31.Le Comité est préoccupé par le grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays et de réfugiés dans les pays voisins. Tout en notant les efforts affichés pour permettre un retour des déplacés dans leur lieu d’origine et les retours volontaires de réfugiés, le Comité regrette le manque d’informations concrètes sur la stratégie utilisée pour permettre de tels retours dans des conditions sûres et durables. Il regrette également les restrictions actuelles à l’enregistrement des naissances, qui n’est pas gratuit et doit s’opérer dans les trente jours suivant la naissance, ce qui, en l’absence d’officier d’état civil dans une grande partie du territoire, entraîne un risque accru d’apatridie (art. 7, 12, 13, 16 et 24).

32. L’ État partie devrait :

a) É laborer et adopter un cadre juridique et une stratégie nationale portant assistance et protection aux personnes déplacées à l’intérieur du pays, conformément aux normes internationales pertinentes, notamment la Convention de l’Union a fricaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kampala) et les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays ;

b) C réer des conditions offrant des solutions durables pour les personnes déplacées et les réfugiés apatrides , y compris leur retour librement consenti en toute sécurité ;

c) F aciliter l’enregistrement des naissances, notamment en sensibilisant les populations et en permettant un accès facile et rapide aux bureaux d’état civil.

Liberté de religion

33.Le Comité est préoccupé par les allégations indiquant que des minorités musulmanes et chrétiennes feraient l’objet de discriminations et de restriction à leur liberté de mouvement, notamment dans les zones contrôlées par les milices ex-Séléka et anti-balaka. Dans le contexte des élections présidentielle et législatives à venir, le Comité est préoccupé par l’éventuelle instrumentalisation de la religion et la recrudescence d’appels à la haine, notamment sur la base de l’appartenance religieuse (art. 2, 6, 12, 18, 20 et 26).

34. L’État partie devrait garantir l’exercice effectif de la liberté de religion et de conviction dans la pratique , en conformité avec l’article 18 du Pacte. Il devrait prendre des mesures pour lutter contre la discrimination et les discours de haine ainsi que contre l’incitation à la haine et à la violence visant les communautés religieuses, quelles qu’elles soient , en dotant notamment le Haut C onseil de la c ommunication des outils et de la compétence nécessaire s pour exercer son rôle de veille.

Liberté d’expression, de réunion et d’association, et défenseurs des droits de l’homme

35.Le Comité note avec préoccupation l’absence de cadre législatif protégeant les défenseurs des droits de l’homme, hormis la loi sur la liberté de la communication. Il note également avec préoccupation les restrictions fixées par l’article 14 de la Constitution, qui prévoit une limitation à la formation d’associations, rédigée de manière vague, puisqu’elle vise les associations dont les activités sont « contraires à l’ordre public ainsi qu’à l’unité et à la cohésion du peuple centrafricain ». Le Comité est préoccupé par les actes d’intimidation dont font l’objet les défenseurs de droits de l’homme, y compris les acteurs communautaires et religieux qui œuvrent pour la paix. Il regrette enfin l’absence d’information faisant la lumière sur les assassinats présumés de certains journalistes, tels que Camille Lepage, Orhan Djemal, Kirill Radtchenko et Alexandre Rasstorgouïev (art. 6, 7, 19 et 21).

36. Dans la continuité des précédentes observations finales du Comité (CCPR/C/CAF/CO/2, par. 20) et du dernier rapport du Rapporteur s pécial sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits de la personne (A/HRC/43/51), l’État partie devrait :

a) Élaborer une législation d’ensemble et des politiques globales tenant compte des questions de genre et d’âge pour protéger les défenseurs des droits de l’homme, conformément à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus ( Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme ) , et mettre en place des mécanismes de protection accessibles aux défenseurs qui interviennent dans des zones de conflit ;

b ) Assurer la protection des défenseurs de droits de l’homme qui coopèrent et fournissent des informations à la Cour p énale s péciale, à la Commission v érité, justice, réparation et r éconciliation et à tout autre organisme chargé de faire la lumière sur les violations de droits de l’homme dans le pays ;

c) Enquêter, poursuivre et condamner les responsables d’actes de harcèlement, de menace et d’intimidation à l’encontre de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme, y compris les acteurs communautaires et religieux.

Populations autochtones

37.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les populations autochtones (Mbororo et Baka) continuent à se heurter à d’importants obstacles dans la jouissance des droits énoncés dans le Pacte. Le Comité est notamment préoccupé par les allégations selon lesquelles certains, dont des personnes de nationalité étrangère, seraient réduits en esclavage. Il est également préoccupé par le manque de représentation des populations autochtones dans les sphères décisionnelles et électives (art. 8, 25, 26 et 27).

38. Conformément aux observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/CAF/CO/1, par. 22), l’État partie devrait adopter une stratégie nationale de promotion et de protection des droits des populations autochtones, avec la participation des communautés concernées, permettant notamment d’éradiquer certaines pratiques d’esclavage des populations autochtones , de promouvoir leur participation aux affaires publiques et d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause , pour toutes les décisions qui les concernent .

D.Diffusion et suivi

39. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son troisième rapport périodique, des réponses écrites à la liste de points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays , ainsi qu’auprès du grand public afin de les sensibiliser aux droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport, les réponses écrites et les présentes observations finales soient traduits dans les principales langues écrites du pays.

40. Conformément au paragraphe  1 de l’article  75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 20 mars 202 2 au plus tard , des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 8 (institution nationale des droits de l’homme), 10 (lutte contre l’impunité) et 20 ( d roit à la vie et protection des populations civiles ).

41. En conformité avec le cycle d’examen prévisible du Comité, l’État partie recevra du Comité en 2025 la liste de points à traiter avant soumission du rapport et aura un an pour soumettre ses réponses à la liste de points, qui constitueront son quatri ème rapport périodique. Le Comité demande également à l’État partie de consulter largement la société civile et les organisations non gouvernementales œuvrant dans le pays lors de la préparation de son rapport. En conformité avec la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, la limite fixée pour ce rapport est de 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’État partie se tiendra en 2027 , à Genève.