Nations Unies

CAT/C/62/D/695/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

10 janvier 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 695/2015 * , **

Communication présentée par :

J. S. (représenté par un conseil, Rajwinder S. Bhambi)

Au nom de :

J. S.

État partie :

Canada

Date de la requête :

10 août 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

28 novembre 2017

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Non-refoulement ; risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est J. S., de nationalité indienne, né le 15 juillet 1991. Il affirme que son expulsion vers l’Inde par le Canada constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention, entrée en vigueur pour le Canada le 24 juin 1987. Le 13 novembre 1989, le Canada a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention et reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers se prétendant victimes de violations des dispositions de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 11 août 2015, conformément au paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que la requête serait à l’examen. Le 6 octobre 2015, l’État partie a informé le Comité que, comme suite à sa demande, l’expulsion du requérant avait été reportée.

1.3À la demande de l’État partie, le 21 février 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a réexaminé sa demande de mesures provisoires à la lumière des informations fournies par l’État partie et a décidé de la retirer, conformément au paragraphe 3 de l’article 114 de son règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né dans une famille sikhe du village de Govindpura Satwari, situé dans l’État du Jammu-et-Cachemire (Inde), près de la frontière pakistanaise. Il avance que son père était propriétaire et directeur d’une entreprise de transport routier qui acheminait des marchandises vers différents États de l’Inde. À une date non précisée, la police a trouvé des explosifs dans l’un des camions du père qui avait été abandonné par son chauffeur, employé de l’entreprise. Le 6 juin 2009, le père du requérant a été arrêté par la police dans le cadre de l’enquête sur le camion abandonné. Pendant sa garde à vue, il a été torturé et accusé d’apporter son aide à des terroristes sikhs et musulmans. Il a été relâché le 9 juin 2009, grâce à l’intervention des autorités locales et au paiement d’un pot-de-vin de 50 000 roupies, et la police lui a demandé de la prévenir s’il avait des nouvelles du chauffeur. Les tortures qu’il a subies ont nécessité son hospitalisation. Le père du requérant a de nouveau été arrêté et torturé par la police en août et octobre 2009, et a de nouveau été relâché après avoir versé un pot-de-vin. Le 19 octobre 2009, il a décidé de dénoncer les mauvais traitements infligés par la police et a pris rendez-vous avec un avocat, mais il a disparu le jour du rendez-vous. Le requérant et sa famille pensent que la police est responsable de cette disparition ; des villageois leur auraient dit que la police avait fait une descente et qu’ils avaient vu le père du requérant aux abords du village en compagnie de policiers.

2.2Peu de temps après la disparition du père du requérant, la police a commencé à se rendre au domicile de ce dernier, alléguant que son père s’était associé à des « militants ». La police aurait harcelé la famille pour savoir où se trouvait le père. En décembre 2009, afin de fuir ce harcèlement, le requérant et sa famille ont déménagé dans un lieu reculé du Jammu-et-Cachemire.

2.3Le 24 décembre 2009, la police a perquisitionné le nouveau domicile du requérant dans la région de Jammu. Le requérant avance qu’il a été arrêté et emmené au poste, où il a été interrogé et torturé pendant trois jours. Il soutient que les policiers l’ont giflé, frappé à coups de pieds, de poings, de bâton et de ceinture, et électrocuté, lui ont reproché de savoir où se trouvait son père et ont accusé sa famille de « collaborer avec des terroristes sikhs et musulmans ». Il a été relâché le 27 décembre 2009 grâce à l’intervention des autorités locales et au versement d’un pot-de-vin et à condition qu’il se présente tous les mois au poste de police à partir du 1er février 2010. Le requérant avance qu’il était gravement blessé au moment où il a été mis en liberté et a été immédiatement transporté en ambulance à l’hôpital, où il est resté deux jours. Il aurait présenté des lésions internes et externes, dont des traces de coups et des œdèmes, et souffert de stress et de dépression.

2.4À la fin de janvier 2010, craignant pour sa vie, le requérant a quitté son domicile et s’est rendu chez des proches à Ambgarh, un village de la région de Jalandhar (État du Penjab), mais ceux-ci ont refusé qu’il reste chez eux. Il a ensuite quitté l’Inde par avion, depuis l’aéroport de Delhi, utilisant son propre passeport. Il est arrivé au Canada le 1erseptembre 2010 avec un visa obtenu par l’intermédiaire d’un passeur. Le requérant avance qu’après son départ, la police a continué à harceler sa famille et que,en février 2010, elle a arrêté et torturé sa mère. La police soutenait que le requérant s’était associé à des militants et avait collecté des fonds à l’étranger au profit de milices. La mère du requérant a été libérée après avoir versé un pot-de vin et grâce à l’intervention de personnes influentes.

2.5Le 13 juin 2011, le requérant a déposé une demande d’asile auprès de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

2.6En février 2013, pour échapper à la police, la mère du requérant est allée s’installer chez l’oncle de ce dernier, dans le village de Maralian, à la sortie de Miran Sahib. Dans la soirée du 1er mars 2013, cet oncle a été arrêté par la police. Le soir même et pendant la journée du lendemain, ses proches ont essayé de savoir où il se trouvait, en vain. Plus tard, ils ont reçu un appel téléphonique d’un inconnu qui leur a dit qu’une personne gravement blessée avait été retrouvée au bord d’une autoroute et emmenée à l’hôpital, mais n’avait pas pu être sauvée. Ils se sont rendus à l’hôpital, où la police a refusé de leur remettre le corps pour qu’il soit incinéré selon les rites sikhs et d’autoriser une autopsie. Compte tenu de ces éléments, la famille a pensé que l’oncle avait été torturé et tué par la police.

2.7Le 4 décembre 2014, la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile du requérant, estimant que ses déclarations n’étaient pas crédibles et qu’il lui était possible de trouver refuge dans une autre partie du pays. La Section a notamment jugé invraisemblable que la police ait relâché le père du requérant contre un maigre pot-de-vin si elle le pensait impliqué dans des activités terroristes et dans l’utilisation d’explosifs. Elle a aussi trouvé peu plausible que l’intéressé ait pu franchir les contrôles de sécurité à l’aéroport de Delhi en présentant son propre passeport s’il était recherché par la police pour militantisme. La Section a en outre constaté qu’au cours de la procédure, le requérant avait donné quatre versions différentes de ce que la police avait dit à son père à propos du camion lorsqu’elle l’avait relâché pour la première fois, le 9 juin 2009. De surcroît, dans sa demande d’asile, le requérant avait avancé que le 24 décembre 2009, la police avait accusé sa famille de travailler pour des militants sikhs et musulmans, alors que dans d’autres écritures, il avait soutenu qu’elle l’avait interrogé pour savoir où se trouvait son père et retrouver les explosifs. La Section a par ailleurs remarqué que, lorsque le requérant avait été interrogé au sujet du certificat médical daté du 16 septembre 2014 et des examens que le médecin lui avait fait subir, il avait répété ce qui était écrit dans le certificat sans dire qu’il avait passé une radiographie. Lorsqu’il avait ultérieurement reconnu avoir subi cet examen, il n’avait pas pu expliquer pourquoi aucune mention n’en était faite dans sa demande ni dans le certificat médical. Compte tenu de ces éléments, la Section a estimé que le certificat n’avait pas de valeur probante.

2.8Le requérant a saisi la Cour fédérale du Canada d’une demande de contrôle juridictionnel de la décision de la Section de la protection des réfugiés, mais sa demande a été rejetée le 18 mars 2015.

2.9Le requérant soutient que, le 4 juin 2015, des policiers en civil ont arrêté sa mère, arguant qu’il aurait été à l’origine d’une manifestation de sikhs qui avait eu lieu à Jammu ce jour-là et que lui et d’autres sikhs aurait financée depuis le Canada. Il avance que sa mère a été détenue et torturée pendant quatre jours, puis libérée après avoir versé un pot-de-vin de 100 000 roupies et à condition qu’elle le fasse revenir en Inde et le livre à la police.

2.10Le 2 août 2015, le requérant a demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada de surseoir à son expulsion. Cette demande était encore en cours d’examen au moment où le Comité a été saisi. Le requérant soutient qu’il a informé certains de ses proches et de ses amis restés en Inde de son expulsion, que quelqu’un a transmis cette information à la police, et que des policiers sont allés dans son village et ont dit aux habitants qu’ils savaient qu’il était sur le point d’être expulsé.

2.11Le requérant soutient que, depuis que la Cour fédérale a rendu sa décision du 18 mars 2015, il a épuisé tous les recours internes. Il souligne notamment qu’au moment où il a soumis sa requête au Comité, il ne pouvait pas déposer de demande d’examen des risques avant renvoi car la loi dit que les demandeurs d’asile déboutés doivent attendre un an après s’être vu refuser le statut de réfugié avant de présenter une demande de ce type.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son expulsion vers l’Inde constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention car il courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels s’il était renvoyé dans son pays. Selon lui, les autorités de l’État partie ont arbitrairement rejeté sa demande d’asile en ce qu’elles n’ont pas dûment tenu compte des documents fournis à l’appui de ses allégations.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Les 6 octobre 2015 et 10 février 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond et demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires du 11 août 2015. L’État partie soutient que la requête est irrecevable au motif qu’elle est manifestement infondée en ce que le requérant n’a pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie soutient que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes car, depuis le 5 décembre 2015, il lui est possible de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi ou une demande de résidence fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Le requérant a donc deux recours utiles à sa disposition et, s’il est débouté, il pourra saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle juridictionnel. L’État partie signale que le requérant sera rapidement informé qu’il remplit les conditions requises pour présenter une demande d’examen des risques avant renvoi et, s’il décide de le faire, son expulsion sera suspendue jusqu’à ce que la demande soit tranchée. L’examen des risques avant renvoi repose sur le principe du non-refoulement, en vertu duquel une personne ne doit pas être renvoyée du Canada vers un pays où elle courrait le risque d’être persécutée, torturée, tuée ou soumise à des traitements ou des peines cruels et inusités. Lorsque, comme dans le cas du requérant, il intervient après que la Section de la protection des réfugiés a statué sur la demande d’asile, cet examen consiste largement en l’appréciation de faits ou d’éléments de preuve nouveaux pouvant permettre de démontrer que la personne court un risque actuel d’être persécutée, torturée, tuée ou soumise à des peines ou traitements cruels et inusités, l’objectif étant de déterminer si des faits nouveaux pouvant influer sur l’appréciation des risques sont survenus depuis que la Section s’est prononcée. C’est pourquoi l’article 113 a) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dispose que le demandeur d’asile débouté ne peut présenter d’autres éléments de preuve que ceux qui sont apparus depuis le rejet de la demande d’asile, n’étaient pas raisonnablement accessibles avant, ou dont on ne pouvait raisonnablement s’attendre, dans les circonstances de l’espèce, à ce qu’il les ait présentés au moment de la demande. Si l’agent chargé d’examiner la demande d’examen des risques avant renvoi estime que le requérant a besoin d’être protégé, l’intéressé ne sera pas expulsé du Canada et pourra demander le statut de résident permanent.

4.3Le requérant remplit aussi les conditions requises pour présenter une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Lorsque pareille demande est présentée par un ressortissant étranger qui se trouve au Canada, comme c’est le cas du requérant, elle doit être examinée par le Ministre de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté ou son délégué, qui ont toute discrétion pour déterminer s’il y a lieu de l’accueillir après avoir apprécié la situation globale du demandeur. Le décideur examine toutes les considérations d’ordre humanitaire dont il convient de tenir compte dans tel ou tel cas et décide du poids à leur accorder. Il peut notamment se poser la question de savoir si le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait demander la résidence permanente depuis son pays d’origine. La demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires n’a pas automatiquement pour effet de suspendre le renvoi de son auteur. Toutefois, si l’existence de raisons d’ordre humanitaire impérieuses est démontrée, il peut être sursis au renvoi jusqu’à ce qu’elle soit définitivement tranchée.

4.4L’État partie est en désaccord avec la jurisprudence du Comité selon laquelle la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne participe pas d’un recours devant être épuisé pour qu’une requête soit recevable au regard de l’article 22 de la Convention. À cet égard, il soutient qu’en application du paragraphe 1 de l’article 25 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le Ministre est tenu d’examiner la situation de l’étranger qui demande la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Les demandes de résidence permanente fondées sur des considérations d’ordre humanitaire sont examinées par de hauts fonctionnaires du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration dont les tribunaux canadiens ont jugé qu’ils étaient tout aussi indépendants et impartiaux que les hauts fonctionnaires du Ministère chargés d’examiner les demandes d’examen des risques avant renvoi.

4.5Quant à la possibilité d’un contrôle juridictionnel des décisions concernant les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire et les demandes d’examen des risques avant renvoi, l’État partie fait observer que le contrôle juridictionnel sert à garantir la légalité, le caractère raisonnable et l’équité des procédures et des décisions rendues. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 18.1 de la loi sur les cours fédérales, une décision peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel lorsqu’il existe des raisons de penser que le décideur a outrepassé les limites de sa compétence, n’a pas respecté les règles d’équité procédurale ou a commis une erreur de fait ou de droit. Ainsi, pour s’acquitter de ses responsabilités, la Cour fédérale devrait nécessairement apprécier l’argument selon lequel le requérant risque d’être torturé s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

4.6L’État partie explique dans le détail la procédure de demande d’asile prévue par la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et fait observer que la demande d’asile du requérant a d’abord été examinée par la Section de la protection des réfugiés, instance spécialisée indépendante et quasi judiciaire. À l’audience que la Section a tenue, l’intéressé était représenté par un conseil, et il lui était loisible de présenter des éléments de preuve écrits et oraux et de formuler des observations. Ultérieurement, le 18 mars 2015, la Cour fédérale a examiné la demande de contrôle juridictionnel présentée par le requérant.

4.7La requête est manifestement infondée. Elle repose en grande partie sur les mêmes arguments que ceux que le requérant a fait valoir auprès des autorités de l’État partie et que des instances indépendantes et impartiales ont jugés dénués de fondement. Le requérant n’a pas démontré qu’il courrait un risque réel et personnel de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Inde. La Section de la protection des réfugiés a refusé de lui accorder le statut de réfugié au motif que ses allégations n’étaient pas crédibles et qu’il avait la possibilité de trouver refuge dans une autre région du pays. Elle a jugé que le récit du requérant n’était pas plausible et qu’il y avait des omissions et des incohérences dans les éléments présentés à l’appui de sa thèse. Le requérant a eu l’occasion d’expliquer ces incohérences à l’audience, mais la Section n’a pas trouvé ses explications convaincantes.

4.8L’État partie renvoie à la décision de la Section de la protection des réfugiés et soutient que les allégations selon lesquelles la police indienne soupçonne le requérant d’aider des terroristes ne sont pas crédibles, notamment parce que si c’était le cas, l’intéressé n’aurait pas pu se rendre au Canada depuis Delhi en utilisant son propre passeport et, après avoir été arrêté par la police, il n’aurait pas été libéré en échange d’un pot-de-vin modique sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. Rien ne donne à penser que les autorités indiennes s’intéresseraient d’une quelconque manière au requérant. La Section a en outre noté qu’avant de quitter l’Inde, le requérant avait vécu à Jalandhar pendant plusieurs mois sans être inquiété, et que ses déclarations concernant ce qu’il était advenu de sa mère étaient contradictoires. Enfin, elle a estimé que, même si ses allégations avaient été dignes de foi, le requérant avait la possibilité de trouver refuge dans une autre région du pays.

4.9Le requérant n’a pas fourni d’éléments de nature à démontrer que son père a disparu. Par ailleurs, s’il soutient que les actes de torture subis pendant sa garde à vue, en 2009, l’ont amené à être hospitalisé pendant deux jours puis soigné à domicile pendant dix jours, le seul élément qu’il présente à l’appui de cette allégation est un certificat médical établi après les faits, en 2014, et il ne décrit ses blessures qu’en des termes vagues, avançant qu’il présentait de « graves lésions internes et externes » sans donner davantage de précisions. De surcroît, le requérant avance que, depuis qu’il a quitté l’Inde, la police a continué de harceler sa famille et a tué son oncle en mars 2013, mais aucune preuve écrite ne vient étayer ces allégations et, bien que l’oncle ait été retrouvé dans un endroit public, il n’a fourni au Comité aucun élément indiquant que les médias locaux aient diffusé cette information.

4.10L’État partie fait observer que le requérant est arrivé au Canada avec un visa de visiteur, en utilisant son propre passeport, et qu’il a résidé dans le pays environ neuf mois avant de demander le statut de réfugié. L’intéressé a de surcroît fait des déclarations contradictoires au sujet de ce qu’il est advenu de sa mère. Lorsqu’il a demandé aux autorités canadiennes de l’immigration de surseoir à son renvoi, il a déclaré que celle-ci n’avait jamais été libérée par la police après son arrestation, en juin 2015, et avait probablement été tuée, tandis que dans la requête qu’il a adressée au Comité, il avance qu’elle a été libérée le 8 juin 2015 après quatre jours de garde à vue. Il a de surcroît fourni une attestation de sa mère datée du 24 juillet 2015, ce qui réfute la thèse de la disparition.

4.11Même en admettant que les allégations du requérant soient véridiques, aucun élément ne permet raisonnablement de conclure que l’intéressé risquerait réellement de subir un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Inde. Les mauvais traitements allégués ne se sont pas produits dans un passé récent, mais il y a huit ans, en 2009. Aucun élément objectif ne permet non plus de penser que le requérant serait recherché dans toute l’Inde. D’après des rapports objectifs, la situation actuelle dans le pays est telle que le requérant pourrait trouver refuge dans une autre région, et le respect des droits de l’homme des sikhs s’est à ce point amélioré que l’on ne peut plus dire qu’il existe un risque général que ces personnes soient exposées à des mauvais traitements en cas de retour dans le pays sur la seule base de leurs opinions politiques réelles ou supposées. Seuls les militants de premier plan qui participent activement à des activités militantes, soutiennent ce type d’activités ou sont soupçonnés de le faire sont susceptibles d’attirer l’attention des autorités centrales à leur retour en Inde. S’il ressort d’un rapport que les sikhs qui épousent ou prônent certaines opinions politiques risquent d’être harcelés, arrêtés, et soumis à la détention arbitraire ou à la torture, ce risque ne concerne en principe que le Penjab. Il se dégage en outre de rapports sur le pays que dans la plupart des cas, même dans cet État, la police ne s’en prend pas à une cause ou à un groupe donné pour des raisons politiques ou religieuses. Sous prétexte de déjouer des menaces d’ordre politique ou autre, elle forge des accusations de toutes pièces dans le but de soutirer des pots-de-vin. Les minorités sikhes vivant dans d’autres États que le Penjab sont libres de pratiquer leur religion et ont accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Les 28 décembre 2015 et 2 septembre 2016, le requérant a présenté des commentaires concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond de la requête et la demande de l’État partie tendant à la levée des mesures provisoires. Le requérant soutient de nouveau qu’en cas de renvoi en Inde, il serait exposé à un risque réel de torture, et souligne qu’il a fourni aux autorités de l’État partie des documents venant étayer ses allégations, notamment un certificat dans lequel le médecin qui l’a soigné à l’hôpital le 27 décembre 2009 confirme qu’il présentait des blessures résultant d’actes de torture. Il allègue que, comme le montrent les photos qu’il a fournies, son corps portait des traces de torture, et que certains des membres de sa famille ont eux aussi été torturés par la police indienne.

5.2Les exécutions extrajudiciaires, les actes de torture et les autres crimes commis par la police indienne restent souvent impunis, en particulier dans la région du Jammu‑et‑Cachemire. Si la situation des sikhs en Inde s’est améliorée, dans diverses régions du pays, les membres de la communauté sikhe continuent néanmoins d’être victimes de graves mauvais traitements et d’actes de torture commis par des agents de l’État. Les minorités sont tout particulièrement prises pour cible dans le Gujarat, le Penjab et le Jammu-et-Cachemire. En outre, le Premier Ministre et le dirigeant du parti au pouvoir ont été mis en cause dans le massacre de milliers de musulmans dont l’État du Gujarat a été le théâtre en 2002. En 2016, la situation au Jammu-et-Cachemire s’est détériorée et, le 15 juillet, un couvre-feu a été imposé dans tous les districts de la vallée du Cachemire. La police et les forces paramilitaires ont employé une force excessive contre des manifestants et fait plus de 70 morts.

5.3Le requérant soutient que les autorités indiennes ne sont pas capables de protéger les Indiens comme il se doit contre les violences policières et que ceux qui déposent plainte sont victimes de représailles et sont arrêtés, tués ou soumis à la disparition forcée. Il avance que s’il était renvoyé en Inde, il serait probablement arrêté par la police ou les forces de sécurité et poursuivi au pénal. La police pourrait porter contre lui des accusations dénuées de fondement, voire fabriquées de toutes pièces, pour l’impliquer dans des infractions relevant de la loi sur la prévention du terrorisme, en particulier les articles 121 et 121 a), qui concernent des crimes punissables de la peine de mort ou de l’emprisonnement à vie. Le requérant soutient de surcroît que depuis juin 2005, les juridictions indiennes ont condamné plus de 100 anciens policiers pour des meurtres liés à de fausses accusations de terrorisme.

5.4Le requérant soutient que les personnes persécutées par des agents de l’État ne peuvent pas trouver refuge à l’intérieur du pays et que ceux qui s’installent dans une nouvelle région sont soumis à une surveillance et un contrôle systématiques, à plus forte raison s’ils sont sikhs ou parlent le penjabi. Il lui serait donc extrêmement difficile, voire impossible, d’être en sécurité en Inde.

5.5Le requérant allègue qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. Les procédures permettant de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi ou une demande de résidence fondée sur des considérations humanitaires ne sont pas des recours utiles pour la personne qui risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. Au moment où il a saisi le Comité, le requérant ne remplissait pas les conditions requises pour présenter une demande d’examen des risques avant renvoi. En outre, bien qu’il puisse présenter une demande de ce type depuis le 5 décembre 2015, au moment où ses commentaires sur les observations de l’État partie ont été soumis au Comité, l’Agence des services frontaliers ne l’avait pas invité à le faire. Le requérant soutient qu’il appartient à l’Agence de décider qui peut présenter une demande d’examen des risques avant renvoi à l’issue de la période d’interdiction d’un an et que, pour qu’il soit sursis au renvoi, il faut non seulement être autorisé à présenter pareille demande, mais aussi être invité à le faire par l’Agence. Le requérant ajoute qu’en tout état de cause, une forte proportion des demandes d’examen des risques avant renvoi sont rejetées, et la sienne le serait probablement aussi.

5.6Le requérant informe le Comité que, le 8 août 2016, il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires, au titre de l’article 25 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il soutient toutefois que la procédure permettant de présenter ce type de demande ne constitue pas un recours interne utile en ce qu’elle n’a pas d’effet suspensif sur l’expulsion, dure entre quarante-huit et cinquante-sept mois seulement et aboutit dans la plupart des cas à une décision défavorable au demandeur. En outre, il est rare que l’Agence des services frontaliers fasse droit à une demande de sursis au renvoi. Si le rejet d’une demande d’examen des risques avant renvoi, d’une demande de permis de résidence fondée sur des raisons humanitaires ou d’une demande de sursis à renvoi ouvre droit à la présentation d’une demande de contrôle juridictionnel, la procédure est néanmoins très onéreuse, inefficace et peu susceptible de permettre l’obtention d’une réparation car dans bien des cas, le demandeur est débouté.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit s’assurer qu’elle est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note que, selon l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention au motif que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes. Il rappelle que, conformément à la disposition susmentionnée, il n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Toutefois, cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que les procédures de recours ont dépassé les délais raisonnables ou ne sont pas susceptibles de permettre au requérant d’obtenir réparation.

6.3Le Comité note également que, selon les parties, le requérant a présenté deux demandes fondées sur des considérations humanitaires, les 8 août 2016 et 10 juillet 2017, et la seconde, au moins, est toujours à l’examen. Cela étant, il estime que la présentation de ce type de demande ne constitue pas un recours utile aux fins de la recevabilité au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention car c’est une procédure non judiciaire dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du juge et qui n’emporte pas le sursis de l’expulsion.

6.4Le Comité prend note des observations de l’État partie, qui soutient que lorsque la Section de la protection des réfugiés a déjà statué sur une demande d’asile − comme dans le cas du requérant −, cet examen consiste surtout en une évaluation des faits ou éléments nouveaux pouvant permettre de démontrer que la personne court le risque d’être persécutée, torturée, tuée ou soumise à des peines ou traitements cruels et inusités ; que la procédure a pour effet de reporter l’expulsion ; et qu’en cas de décision négative, l’intéressé peut saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle juridictionnel. L’État partie maintient que la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le requérant a été rejetée le 8 juin 2017 et que, bien qu’il ait eu la possibilité de demander l’autorisation de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle juridictionnel et donc d’obtenir le report de l’expulsion jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue, le requérant ne l’a pas fait.

6.5En l’espèce, le Comité constate que la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le requérant était assortie d’éléments de preuve qui n’avaient pas été examinés par la Section de la protection des réfugiés ni par la Cour fédérale dans le cadre de la procédure d’asile. L’agent chargé d’examiner la demande d’examen des risques avant renvoi a tenu compte de ces nouveaux éléments, qu’il a appréciés en même temps que les informations relatives à la situation des droits de l’homme en Inde (voir par. 6.2), et a conclu que le requérant n’avait pas démontré qu’il courrait probablement personnellement un danger de mort ou un risque d’être soumis à des traitements cruels et inhumains s’il était renvoyé en Inde. Le Comité remarque que, selon l’article 18.1 (par. 4) de la loi sur les cours fédérales, la Cour fédérale peut, dans le cadre d’un contrôle juridictionnel, examiner non seulement les griefs fondés sur une erreur de droit ou un vice de forme, mais aussi les griefs fondés sur le principal. Il remarque également que le requérant ne présente aucun argument à l’appui de l’allégation selon laquelle le contrôle juridictionnel d’un examen des risques avant renvoi ne constitue pas un recours utile et se contente d’avancer que la procédure est très onéreuse et, de surcroît, inutile car elle aboutit rarement. Or, le Comité estime que le fait de douter de l’utilité d’un recours ne suffit pas à dispenser le requérant de l’obligation d’épuiser le recours en question. Partant, il conclut que les éléments présentés par le requérant ne suffisent pas à démontrer que le contrôle juridictionnel de l’examen des risques avant renvoi ne serait pas utile dans son cas. De surcroît, il note que les informations fournies par les parties n’indiquent pas que le requérant était représenté par un avocat commis d’office et rappelle que, selon sa jurisprudence, les erreurs commises par un conseil choisi par le plaignant ne sauraient en principe être attribuées à l’État partie.

6.6En conséquence, compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité estime que le requérant n’a pas épuisé tous les recours utiles car il n’a pas demandé le contrôle juridictionnel de la décision relative à l’examen des risques avant renvoi rendue par la Cour fédérale le 8 juin 2017. De ce fait, le Comité ne juge pas nécessaire de se pencher sur l’argument de l’État partie selon lequel la requête n’est pas recevable au motif qu’elle est manifestement infondée.

7.Partant, le Comité décide ce qui suit :

a)La requête n’est pas recevable au regard de l’article 22 (par. 5 b)) de la Convention ;

b)La présente décision sera communiquée au requérant et à l’État partie.