Nations Unies

CAT/C/62/D/672/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

19 décembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 672/2015*,**

Communication p résentée par :

John Alfred Vogel (représenté par un conseil, Tony Ellis)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Nouvelle‑Zélande

Date de la requête :

5 janvier 2015

Date de la présente décision :

14 novembre 2017

Objet :

Isolement cellulaire

Questions de procédure :

Réserve de l’État partie à l’article 14

Questions de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate

Article(s) de la Convention :

14 et 16

1.1Le requérant est John Alfred Vogel, de nationalité néo‑zélandaise, né en 1965. Il affirme que l’isolement cellulaire prolongé auquel il a été soumis et le déni de son droit à une indemnisation adéquate constituent une violation par la Nouvelle-Zélande des articles 14 et 16 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Lorsqu’il a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 10 décembre 1989, l’État partie a formulé une réserve à l’article 14. Aux termes de cette réserve, le Gouvernement néo‑zélandais se réserve le droit d’accorder à la victime d’un acte de torture l’indemnisation visée à l’article 14 de la Convention contre la torture, uniquement à la discrétion de l’Attorney general de la Nouvelle‑Zélande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le 26 février 1998, le requérant a été condamné à une peine de réclusion à perpétuité après avoir été reconnu coupable de meurtre. Après avoir purgé dixans de sa peine, il a bénéficié d’une libération conditionnelle le 4 mai 1998. Il a toutefois été de nouveau incarcéré en janvier 2000, après avoir été reconnu coupable de nouvelles infractions.

2.2Le 11 avril 2000, un juge inspecteur a imposé au requérant vingt et un jours d’isolement cellulaire pour des infractions disciplinaires liées à la drogue, à savoir un test de dépistage de drogue positif pour des cannabinoïdes et deux refus de fournir des échantillons d’urine. Le requérant indique que cette sanction était contraire à la législation nationale, le paragraphe 3 g) de l’article 33 de la loi de 1954 relative aux établissements pénitentiaires prévoyant que la durée de l’isolement cellulaire ne peut dépasser quinzejours. Le requérant souligne qu’il est resté confiné dans sa cellule vingt‑troisheures par jour pendant toute la durée de l’isolement. Il n’avait droit qu’à une heure pour faire de l’exercice physique et prendre une douche. Il ne pouvait pas écouter la radio ni regarder la télévision, mais il pouvait lire. Il ne pouvait ni téléphoner ni recevoir des visites et, en pratique, il n’avait guère l’occasion de parler à d’autres personnes, aucun autre détenu ne se trouvant dans le même quartier de la prison que lui. Il fait valoir qu’il était à l’époque d’autant plus vulnérable qu’il souffrait de dépression chronique et de toxicomanie. Il a commencé à parler tout seul dans sa cellule. Il affirme qu’il n’aurait jamais dû être placé en isolement cellulaire.

2.3En octobre 2004, le requérant a intenté une action civile devant la HauteCour de Nouvelle‑Zélande, alléguant que la sanction de mise à l’isolement constituait une violation de ses droits en vertu de la Charte néo‑zélandaise des droits de 1990. Il affirmait que l’isolement dont il avait fait l’objet avait eu une durée supérieure à la durée maximale prévue par la loi et avait violé les droits qu’il tenait de l’article 9 (droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, dégradants ou d’une sévérité disproportionnée) et du paragraphe 5 de l’article 23 (droit des personnes privées de liberté d’être traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne) de la Charte des droits. Il faisait valoir qu’il n’avait pas reçu de soins médicaux adéquats alors qu’il était en isolement puisqu’il n’avait pas eu accès à un médecin. Dans son arrêt du 24 février 2012, la HauteCour a estimé que le juge inspecteur n’avait pas le pouvoir d’imposer au requérant une sanction de vingt et un jours d’isolement cellulaire puisqu’aux termes du paragraphe 3 g) de l’article 33 de la loi relative aux établissements pénitentiaires la durée de l’isolement ne pouvait être supérieure à quinze jours. La Haute Cour a également constaté que c’était parce que le requérant avait demandé au juge inspecteur de lui imposer une sanction de vingt et unjours pour pouvoir s’occuper de son problème de toxicomanie avant une prochaine audience de demande de libération conditionnelle que la durée maximale de l’isolement avait été dépassée de six jours. Elle a conclu que l’administration pénitentiaire avait violé l’article 56 b) du règlement applicable aux établissements pénitentiaires, en application duquel elle était tenue, lorsqu’elle plaçait un détenu en isolement cellulaire, d’en informer le personnel médical. La Haute Cour n’a par contre pas conclu à une violation des articles 9 et 23 de la Charte des droits, au motif que la sanction avait été prononcée à la demande du requérant et ne visait pas à lui infliger des souffrances. Rien n’attestait que cette sanction avait en pratique causé un préjudice moral au requérant, et elle n’avait été ni dégradante ni humiliante. La HauteCour a relevé que tous les détenus de l’établissement pouvaient consulter un médecin s’ils le demandaient et que le requérant s’était prévalu de cette possibilité, comme en témoignait le fait qu’il avait été emmené à l’hôpital entre le 19 et le 20 avril 2000 pour y subir une biopsie du foie. Elle a en outre constaté que des infirmiers passaient tous les jours auprès des détenus placés en isolement.

2.4Le requérant a fait appel du jugement devant la Cour d’appel de Nouvelle‑Zélande. Le 7 novembre 2013, la Cour d’appel a conclu que les droits qu’il tenait du paragraphe 5 de l’article 23 de la Charte des droits et du paragraphe 3 g) de l’article 33 de la loi relative aux établissements pénitentiaires avaient été violés. Elle a relevé que le dossier médical du requérant révélait qu’en 2000, il avait été soigné pour une dépression chronique au moyen d’antidépresseurs. Elle a estimé que le fait que le requérant avait demandé au juge inspecteur de le placer en isolement pendant vingt et un jours était dénué de pertinence et qu’il incombait au juge inspecteur de veiller non seulement à ce que la sanction imposée ne dépasse pas la durée maximale prévue par la loi mais aussi à ce qu’elle puisse être imposée en toute sécurité. La Cour d’appel a jugé que ce que l’on savait de la toxicomanie et de l’état mental du requérant aurait dû appeler l’attention sur les effets potentiellement néfastes d’un isolement d’une durée excessive sur sa santé mentale. Elle a donc jugé qu’en raison de cette sanction illégale, le requérant n’avait pas été traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à sa personne, en violation des droits qu’il tenait du paragraphe 5 de l’article 23 de la Charte des droits. Elle a néanmoins conclu que les droits du requérant en vertu de l’article 9 de la Charte des droits n’avaient pas été violés et ne lui a pas accordé de dommages‑intérêts. Elle a fait observer que la violation avait eu lieu treize ans auparavant et que ce laps de temps rendait problématique le calcul du montant de l’indemnisation. Elle a toutefois noté que le requérant aurait pu prétendre au versement d’une petite indemnité s’il avait suivi la procédure de demande d’indemnisation prévue par la loi de 2005 sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes. Elle a noté que le requérant n’avait pas demandé d’indemnisation au titre de ce mécanisme en adressant une plainte au Médiateur et qu’elle ne pouvait donc pas lui accorder des dommages‑intérêts en vertu de l’article 13 de la loi. Le requérant a demandé l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême de la décision de ne pas lui accorder de dommages‑intérêts mais cette demande a été rejetée le 19 février 2014.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que l’imposition d’une sanction de vingt et un jours d’isolement constituait une violation flagrante de la législation interne de l’État partie et fait valoir que cette sanction équivalait à un isolement prolongé. Il fait observer que la Cour d’appel a estimé que cette sanction portait atteinte à ses droits en vertu du paragraphe 5 de l’article 23 de la Charte des droits et qu’il n’avait pas été traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à sa personne. Il fait valoir qu’en plaçant un détenu vulnérable et malade mental en isolement pendant une période plus longue que la période maximale autorisée par la loi, l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 16 de la Convention. Il affirme que le placement en isolement ne devrait être utilisé que dans des circonstances exceptionnelles, et que de telles conditions n’étaient pas réunies dans son cas. Il note qu’à l’époque, il souffrait de dépression et de toxicomanie, et qu’il n’aurait jamais dû être placé en isolement. Il fait valoir que son placement en isolement pendant une période supérieure à celle autorisée par la loi aggrave la violation que constituait déjà son placement en isolement. Il affirme avoir éprouvé pendant son isolement des souffrances physiques et mentales assimilables à un traitement cruel et inhumain.

3.2Le requérant affirme aussi que l’État partie a violé le droit qu’il tient de l’article 14 de la Convention. Il note que, bien que la Cour d’appel eût estimé qu’il n’avait pas été traité avec humanité et dignité, elle ne lui avait pas accordé de dommages‑intérêts. Il se réfère à l’observation générale no3 du Comité (2012), relative à l’application de l’article 14, selon laquelle l’article 14 s’applique à toutes les victimes d’actes de torture et de traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. Le requérant fait valoir que l’une des raisons pour lesquelles la Cour d’appel ne lui a pas accordé de dommages‑intérêts était que, lorsqu’elle avait rendu son arrêt, plus d’une décennie s’était écoulée depuis que la violation s’était produite. Le requérant renvoie à l’observation générale no 3 et affirme que l’État partie a l’obligation d’accorder réparation aux victimes de torture ou de mauvais traitement, indépendamment de la date à laquelle la violation a été commise.

3.3Le requérant note que l’autre raison pour laquelle la Cour d’appel ne lui a pas accordé de dommages‑intérêts était qu’il n’avait pas présenté de demande en vertu de la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes. Il fait valoir que cette loi elle‑même est contraire au but de la Convention dans la mesure où, en application de ce texte, des dommages‑intérêts ne peuvent être accordés que si la juridiction saisie considère que le détenu a d’abord fait raisonnablement usage des mécanismes de plainte internes et externes disponibles. Il fait en outre valoir que cette loi est incompatible avec la Convention parce que, en vertu de ses dispositions, une réadaptation et une indemnisation rapides ainsi qu’un accès égal à la justice sont impossibles, car toute indemnisation est sujette à des déductions en règlement de dettes et d’éventuelles réclamations formulées par des tiers contre le détenu. Il note que parce qu’elle est sujette à ces déductions, toute indemnisation est placée sous séquestre pendant six mois, en attendant le règlement des réclamations éventuellement formulées par des tiers contre le détenu. Le requérant affirme que les détenus constituent le seul groupe dont le droit à indemnisation est ainsi sujet à déductions en règlement de dettes ou réclamations de tiers, et qu’en soumettant l’indemnisation aux conditions établies par la loi, l’État partie n’offre pas de réparation effective, complète et individualisée aux détenus victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements, en violation de l’article 14 de la Convention.

3.4Le requérant note que l’État partie a formulé une réserve à l’article 14 de la Convention. Il renvoie à l’observation générale no 3, dans laquelle le Comité indique qu’il considère que les réserves qui visent à limiter l’application de l’article 14 sont incompatibles avec l’objet et le but de la Convention, et il fait valoir que le grief qu’il tire de l’article 14 est donc recevable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 13 octobre 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il fait valoir que le grief du requérant au titre de l’article 14 de la Convention est irrecevable en raison de la réserve qu’il a formulée à l’article 14. L’État partie affirme en outre que les droits que le requérant tient des articles 14 et 16 de la Convention n’ont pas été violés.

4.2L’État partie fait valoir que sa réserve à l’article 14 de la Convention est valide parce qu’elle n’est pas incompatible avec l’objet et le but de la Convention. Il affirme qu’elle ne prive pas les victimes de torture du droit à indemnisation mais donne simplement à l’Attorneygeneral plutôt qu’aux tribunaux ou à d’autres acteurs le pouvoir de se prononcer sur les demandes d’indemnisation. Il souligne que l’Attorneygeneral exerce ses fonctions en toute indépendance et que, par conséquent, les décisions qu’il prend sont apolitiques et ne sauraient priver une victime d’actes de torture de l’indemnisation à laquelle elle aurait droit.

4.3L’État partie affirme que le placement du requérant en isolement cellulaire ne constitue pas une violation de l’article 16 dans les circonstances de l’espèce. Il note que le requérant allègue que les droits qu’il tient de l’article 16 ont été violés au motif que la Cour d’appel a conclu que ses droits au titre du paragraphe 5 de l’article 23 de la Charte des droits avaient été violés. L’État partie souligne à cet égard que le paragraphe 5 de l’article 23 de la Charte n’est pas comparable à l’article 16 de la Convention. La Charte des droits énonce deux droits qui, ensemble, établissent une hiérarchie des droits des détenus en ce qui concerne leurs conditions de détention. L’article 9 interdit la torture et les peines ou traitements cruels, dégradants ou d’une sévérité disproportionnée, et le paragraphe 5 de l’article 23 impose une obligation positive de traiter les détenus avec humanité et dans le respect de la dignité qui leur est inhérente. L’État partie note que la Cour d’appel a estimé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 9 de la Charte des droits, à savoir la disposition qui s’apparente le plus à l’article 16 de la Convention. Elle a par contre considéré que l’État avait manqué à l’obligation positive que lui imposait le paragraphe 5 de l’article 23 au motif que les autorités pénitentiaires auraient dû empêcher le requérant, en raison de sa vulnérabilité, de choisir volontairement d’être placé en isolement cellulaire pendant vingt et un jours. Il note en outre que le requérant n’a pas cherché à se pourvoir devant la Cour suprême contre la décision par laquelle la Cour d’appel a jugé que son placement en isolement n’avait pas violé l’article 9 de la Charte des droits.

4.4L’État partie fait valoir que dans le cas du requérant, ni la durée ni les conditions de la détention ne constituent une violation de l’article 16. Il renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme et souligne que celui-ci a constaté des violations des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans des circonstances beaucoup plus extrêmes que dans le cas du requérant. L’État partie fait observer qu’en l’espèce l’isolement a été volontaire et s’est déroulé dans des conditions décentes. Il note que ces conditions ont été décrites devant les tribunaux internes par le directeur par intérim de l’établissement dans lequel le requérant était détenu, lequel a indiqué que l’isolement cellulaire consistait à placer les détenus dans des cellules situées dans un autre quartier que celui où ils étaient habituellement incarcérés. Ces cellules étaient essentiellement les mêmes que celles des autres quartiers de la prison en termes de fenêtres, de lumière et d’équipement et, bien que les livres fussent autorisés, la télévision et la radio ne l’étaient pas. Les détenus pouvaient entendre les détenus des cellules voisines mais il leur était difficile de converser avec eux. Ils avaient l’eau courante et des installations sanitaires dans leur cellule, et les repas habituels leur étaient livrés pendant la journée. Ils étaient autorisés à sortir de leur cellule une heure par jour pour se doucher et faire de l’exercice dans la cour. Ils avaient le droit d’envoyer et de recevoir du courrier, et continuaient de bénéficier de tous les autres droits de base, à l’exception des visites personnelles (non officielles) et des appels téléphoniques. L’État partie note qu’à l’époque le requérant ne s’est pas plaint de ses conditions de détention et souligne qu’il existe des preuves attestant que les surveillants et le personnel sanitaire se sont occupés de lui comme il convenait et l’ont bien suivi pendant tout le temps qu’il a passé en cellule d’isolement.

4.5L’État partie note que le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a fait observer que l’isolement prolongé pouvait constituer une violation de l’article 16 de la Convention selon les circonstances. Il note en outre que le Rapporteur spécial a estimé que pour apprécier si l’isolement constituait un acte de torture ou une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, il convenait de prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce, au cas par cas, y compris le but, les conditions, la durée et les effets de l’isolement et, bien sûr, la situation subjective de chaque victime qui la rend plus ou moins vulnérable à ces effets. L’État partie affirme que, dans les circonstances de l’espèce, l’isolement de vingt et un jours imposé au requérant à sa demande ne constituait pas une violation de l’article 16, et que, par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention.

4.6En ce qui concerne le grief que le requérant tire de l’article 14 de la Convention, l’État partie note que les tribunaux internes ont reconnu que les victimes de violations de la Charte des droits ont droit à une réparation effective, qui peut comprendre une indemnisation. Le versement d’une indemnisation aux détenus est régi par la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes. L’État partie note qu’en l’espèce, la Cour d’appel a jugé que le requérant aurait pu prétendre à des dommages‑intérêts s’il avait respecté les dispositions du paragraphe 1 de l’article 13 de la loi. Bien que la Cour ait noté que le calcul du montant de l’indemnisation serait problématique, ça n’était pas la raison pour laquelle elle n’avait pas accordé de dommages‑intérêts. L’État partie fait valoir que la loi ne dénie pas aux détenus victimes d’actes de torture le droit à une indemnisation mais énonce simplement des conditions préalables à l’octroi de celle-ci. Il fait également valoir que le requérant aurait eu droit à une indemnisation s’il avait d’abord eu recours à d’autres mécanismes de plainte, notamment celui disponible au sein du Bureau du Médiateur. L’État partie renvoie à l’arrêt de la Cour d’appel et note que celle-ci a relevé que le requérant avait, le 9 juillet 2000, demandé un entretien au Médiateur mais avait ensuite retiré sa demande. L’État partie note également que le requérant n’a saisi les tribunaux qu’en octobre 2004 et que l’affaire n’a été examinée par la Haute Cour qu’en 2012. Il soutient que le requérant avait amplement la possibilité d’adresser une plainte aux autorités pénitentiaires ou au Médiateur avant de saisir les tribunaux ainsi qu’entre le moment où il a saisi la Haute Cour et celui où celle-ci a examiné sa demande.

4.7L’État partie note que le requérant affirme que le droit à indemnisation est limité parce que la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes exige que certaines dettes contractées par le détenu soient déduites du montant de l’indemnité. L’État partie fait valoir que cette exigence ne limite pas le droit à une indemnisation, car ces dettes ont été contractées par le détenu indépendamment de tout droit à indemnisation. Il fait valoir que la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes établit un processus efficace permettant de s’assurer que le détenu rembourse ses dettes. Il note également que le requérant affirme que la loi en questionn’offre pas une réparation effective, intégrale et individualisée, mais fait valoir que si un détenu dont la plainte est légitime satisfait aux conditions préalables de saisine des mécanismes de plainte compétents, il peut prétendre à une telle réparation, telle que déterminée par le tribunal.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie en date du 21 janvier 2016, le requérant réaffirme que la réserve de l’État partie à l’article 14 de la Convention est incompatible avec l’objet et le but de celle-ci et que le Comité devrait par conséquent déclarer recevables les griefs qu’il tire de l’article 14. Il réitère également son argument selon lequel les vingt et un jours qu’il a passés en cellule d’isolement constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 16. Il fait valoir qu’il n’a pas contesté devant la Cour suprême la décision par laquelle la Cour d’appel a jugé que l’isolement ne constituait pas une violation de l’article 9 de la Charte des droits − un point souligné par l’État partie − parce que son recours aurait été vain puisqu’il avait été jugé dans un certain nombre d’affaires antérieures que le placement en isolement cellulaire pendant plus de vingt et un jours ne violait pas l’article 9.

5.2Le requérant relève également l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas été indemnisé par la Cour d’appel parce qu’il n’avait entrepris aucune démarche en vertu de la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes. Il affirme que cette loi elle‑même fait obstacle à une indemnisation effective car l’inspecteur des établissements pénitentiaires et le Médiateur ne sont légalement pas compétents pour accorder une indemnisation et que l’obligation de recourir en premier lieu à ce mécanisme de plainte est un obstacle discriminatoire à l’indemnisation. Il fait valoir que ces mécanismes de plainte sont utiles pour les affaires mineures, mais non pour les plus graves. Il note en outre que les services responsables de ces mécanismes manquent de personnel. Le requérant rappelle que toute indemnité accordée au titre de la loi est sujette à des déductions et gelée pendant sixmois. Il affirme que cette procédure est dégradante pour les détenus et retarde le versement des indemnités pouvant leur être accordées. Il souligne que les non‑détenus qui saisissent les tribunaux de l’État partie en invoquant des violations des droits que leur garantit la Charte des droits ne sont pas tenus d’adresser préalablement une plainte au Médiateur et que les dommages‑intérêts qui leur sont octroyés ne sont pas placés sous séquestre pendant sixmois.

5.3Le requérant réaffirme son grief selon lequel un isolement d’une durée supérieure à quinzejours constitue un traitement inhumain et dégradant et fait valoir que la règle 43 de l’Ensemble de règles minima des NationsUnies pour le traitement des détenus de2015 (RèglesNelson Mandela) interdit l’isolement cellulaire prolongé. Ilfait en outre observer qu’aux termes de la règle 44, l’isolement cellulaire prolongé s’entend d’un isolement d’une durée de plus de quinzejours consécutifs. Le requérant demande auComité de déclarer, aux fins de sa jurisprudence,qu’un isolement cellulaire de plus de quinzejours consécutifs constitue une violation de l’article 16. Selon le requérant, le temps qu’il a passé en cellule d’isolement a été préjudiciable à sa santé mentale.

5.4Le requérant demande au Comité de conclure que les droits qu’il tient des articles 14 et 16 de la Convention ont été violés, et de prier l’État partie de lui accorder une indemnisation adéquate et d’abroger la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes. Il demande au Comité de constater que la réserve de l’État partie à l’article 14 de la Convention est incompatible avec celle-ci.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait utilisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’examiner la présente communication.

6.3Le Comité note que l’État partie affirme qu’eu égard à la réserve qu’il a formulée à l’article 14 de la Convention, le grief que le requérant tire de l’article 14 devrait être déclaré irrecevable. Il prend également note de l’affirmation du requérant selon laquelle cette réserve est incompatible avec l’objet et le but de la Convention. La réserve à l’article 14 formulée par la Nouvelle-Zélande indique toutefois que l’autorité responsable de l’indemnisation des victimes d’actes de torture visées à l’article 14 de la Convention est l’Attorney general. Cette réserve ne s’applique donc pas à la question faisant l’objet de la requête à l’examen, et le Comité n’est pas empêché d’examiner le grief que le requérant tire de l’article 14 de la Convention.

6.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare recevable la communication soumise au titre des articles 14 et 16 de la Convention et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Dans la présente affaire, la première question dont est saisi le Comité est de savoir si le placement du requérant en isolement cellulaire pendant vingt et un jours équivalait à un traitement cruel, inhumain ou dégradant et constituait ainsi une violation de l’article 16 de la Convention. Le Comité estime que l’isolement peut constituer une violation de l’article 16 selon les circonstances de l’affaire et compte tenu des conditions particulières de l’isolement, de la sévérité de la mesure, de sa durée, de l’objectif poursuivi et des effets sur l’intéressé. Le Comité rappelle sa recommandation tendant à ce que le régime cellulaire et le placement en isolement ne soient appliqués qu’en dernier recours, pour une période aussi brève que possible, sous une stricte supervision et avec possibilité de réexamen judiciaire. En l’espèce, le Comité note que le requérant a été placé en isolement pendant vingt et un jours, une période d’une durée incontestablement plus longue que la durée maximum prévue par la loi de l’État partie. Le Comité prend également note de l’argument du requérant selon lequel il était confiné dans sa cellule vingt‑trois heures par jour, avec une seule heure prévue pour se doucher et faire de l’exercice. Il ne pouvait pas écouter la radio ni regarder la télévision, mais pouvait lire. Il n’était pas autorisé à téléphoner ni à recevoir des visites. Le Comité note en outre l’allégation du requérant selon laquelle il était à l’époque particulièrement vulnérable, car il souffrait de dépression chronique et de toxicomanie, et l’isolement a eu de lourdes répercussions sur sa santé mentale. Le Comité prend note des arguments de l’État partie, à savoir que c’est à sa demande que le requérant a été placé en cellule d’isolement et qu’il y était détenu dans des conditions décentes, qu’à l’époque le requérant ne s’est pas plaint de ses conditions de détention, qu’il a été suivi par des surveillants et du personnel de santé pendant toute la durée de son isolement, qu’il avait le droit d’envoyer et de recevoir du courrier et pouvait lire, et que sa cellule était essentiellement la même que les autres en termes de fenêtres, de lumière et d’équipement.

7.3Le Comité relève que la Cour d’appel a jugé dénué de pertinence l’argument de l’État partie selon lequel l’isolement a été imposé au requérant à sa demande, au motif qu’il incombait au juge inspecteur de s’assurer non seulement que la sanction imposée ne dépassait pas la durée légale mais aussi qu’elle pouvait être imposée en toute sécurité. La Cour d’appel a estimé que ce que l’on savait de la toxicomanie et de l’état mental du requérant aurait dû appeler l’attention sur les effets potentiellement néfastes sur sa santé mentale d’un isolement d’une durée excessive. Le Comité prend de plus note de l’affirmation du requérant selon laquelle la sanction lui avait causé des souffrances physiques et mentales. Le Comité estime qu’étant donné la dépression chronique – connue des autorités – dont souffrait le requérant et sa toxicomanie, l’isolement cellulaire qui lui a été imposé et la durée de celui-ci n’étaient pas proportionnels à l’objectif poursuivi. Le Comité conclut donc que l’isolement cellulaire imposé au requérant a constitué une violation des droits qu’il tenait de l’article 16 de la Convention.

7.4Le Comité note que le requérant a également affirmé que les droits qu’il tient de l’article 14 de la Convention ont été violés du fait que les tribunaux de l’État partie ne lui ont pas accordé d’indemnisation. Le Comité rappelle son observation générale no 3 et note que l’article 14 s’applique à toutes les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements. Il rappelle également que l’article 14 non seulement garantit le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, mais impose aussi aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. Le Comité considère que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non‑répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire. Le Comité note qu’en l’espèce le requérant a intenté une action civile devant les tribunaux internes en alléguant que les droits qu’il tenait de la Charte néo‑zélandaise des droits avaient été violés et demandant des dommages‑intérêts à raison de cette violation. La Cour d’appel a estimé que le requérant était probablement fondé à obtenir une petite indemnité mais qu’elle ne pouvait lui octroyer des dommages‑intérêts en vertu de la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes parce qu’il n’avait pas suivi la procédure de plainte prévue par ce texte, qui exigeait le dépôt d’une plainte au Bureau du Médiateur. Le requérant soutient que cette exigence est un obstacle discriminatoire à l’indemnisation ; toutefois, étant donné qu’il a retiré sa demande d’entretien avec le Médiateur, le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce, exiger du requérant qu’il recoure d’abord aux mécanismes de plainte prévus par la loi sur les demandes d’indemnisation des détenus et des victimes ne constituait pas un déni de son droit à indemnisation ni une violation des droits qu’il tenait de la Convention. En conséquence, le Comité conclut qu’il n’y a pas eu violation des droits que le requérant tenait de l’article 14 de la Convention.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

9.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité prie instamment l’État partie de veiller à ce que le requérant reçoive une indemnisation équitable et adéquate, y compris les moyens nécessaires à une réadaptation aussi complète que possible, et de l’informer, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci‑dessus.