Nations Unies

CAT/C/62/D/683/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 décembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 683/2015*,**

Communication présentée par :

I.E. (représenté par un conseil, Tarig Hassan)

Au nom de :

I.E.

État partie :

Suisse

Date de la requête :

26 mai 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

14 novembre 2017

Objet :

Renvoi au Soudan

Questions de procédure :

Griefs non étayés

Questions de fond :

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine (non-refoulement)

Article de la Convention :

3

1.Le requérant est I.E., de nationalité soudanaise, né à Ashaba, au Darfour, le 12 mars 1983. Il a présenté une demande d’asile en Suisse, mais cette demande a été rejetée. Il est sous le coup d’une décision de renvoi vers le Soudan. Le requérant allègue que son renvoi forcé constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. La Suisse a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 2 décembre 1986. Le requérant est représenté par un conseil, Tarig Hassan.

1.2Le 29 mai 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers le Soudan tant que sa requête serait à l’examen. Le 2 juin 2015, l’État partie a informé le Comité que le renvoi du requérant était suspendu pendant que sa requête était à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant déclare qu’en 2002, les milices janjaouid ont attaqué et incendié son village, forçant les habitants, dont lui-même, à prendre la fuite. Le requérant s’est d’abord rendu à Khartoum. Un an plus tard, il s’est rendu au village de Tawilah, au Darfour, où il a travaillé comme vendeur ambulant et ouvrier agricole. En 2004, les janjaouid et d’autres milices arabes ont attaqué Tawilah, tuant des habitants et leur bétail. Le requérant a réussi à s’enfuir en compagnie de son frère, qui avait été blessé lors de l’attaque. Ils ont marché pendant environ une heure et demie jusqu’à ce que des agents de l’État, qui passaient dans une voiture officielle, les arrêtent et les emmènent en prison.

2.2Le requérant affirme que, pendant sa détention, il a été interrogé à plusieurs reprises et accusé de fournir des armes au groupe ethnique des Four, auquel il appartient. On lui a fracturé une main et une jambe pendant sa détention. Il a été remis en liberté au bout de six mois. Il a quitté le Soudan peu après et a traversé la Libye et l’Italie avant d’arriver en Suisse le 11 juillet 2005. Le 12 juillet 2005, il a présenté sa première demande d’asile.

2.3Le 25 septembre 2006, la demande d’asile du requérant a été rejetée par l’Office fédéral des migrations (devenu depuis le Secrétariat d’État aux migrations), qui a considéré que ses allégations n’étaient pas vraisemblables. Le 24 octobre 2006, le requérant a contesté la décision de l’Office fédéral des migrations ; son recours a été rejeté par le Tribunal administratif fédéral le 16 décembre 2009.

2.4Le 31 janvier 2014, le requérant a présenté une deuxième demande d’asile, alléguant avoir acquis un profil politique depuis qu’il était en Suisse, ayant adhéré à la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité, un groupe d’opposition soudanais dont il était devenu le secrétaire chargé des questions sociales et des médias. Le 5 février 2015, le Secrétariat d’État aux migrations a rejeté la seconde demande d’asile du requérant. Il a considéré que les activités de celui-ci en sa qualité de secrétaire chargé des questions sociales et des médias du Mouvement pour la justice et l’égalité n’étaient pas suffisamment importantes pour attirer l’attention des autorités soudanaises. Pour le Secrétariat d’État aux migrations, le requérant ne possédait pas un profil politique en vue, n’étant qu’un des nombreux partisans du Mouvement pour la justice et l’égalité. Même si les autorités soudanaises s’apercevaient de sa présence, elles ne s’intéresseraient pas à lui. En fait, ses activités donnaient à penser que son objectif était de demeurer en Suisse et non de s’opposer au Gouvernement soudanais. Le 13 février 2014, le requérant a été arrêté par la police cantonale et emmené à l’Office fédéral des migrations où il s’est vu délivrer des documents officiels. Dans ce contexte, il affirme que son identité a été divulguée à l’ambassade du Soudan.

2.5Le requérant a fait appel de la décision du Secrétariat d’État aux migrations devant le Tribunal administratif fédéral. Le 26 mars 2015, le Tribunal a rejeté l’appel du requérant et confirmé la décision du Secrétariat d’État aux migrations. Il a considéré que les autorités soudanaises étaient susceptibles de s’intéresser aux Soudanais qui, par leurs activités politiques, se distinguaient des simples participants aux manifestations politiques, relativement anonymes. Pour le Tribunal, le requérant n’avait pas apporté la preuve qu’il avait le profil d’un militant en exil et que les autorités soudanaises le considéreraient comme dangereux, puisqu’il n’avait adhéré qu’en juillet 2012 à la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité (un fait confirmé en janvier 2013). Le Tribunal a considéré que les deux lettres du Mouvement pour la justice et l’égalité attestant sa qualité de membre étaient des lettres de complaisance puisqu’elles n’avaient été rédigées que deux mois après son adhésion au Mouvement. Il a en outre considéré que les photographies fournies par le requérant, qui le représentaient en compagnie de cadres du Mouvement pour la justice et l’égalité à une conférence internationale, semblaient avoir été prises avant le début de la conférence, car les cadres politiques et le public ne figuraient jamais sur les mêmes photographies que lui. Il n’était donc pas susceptible d’avoir attiré l’attention des autorités soudanaises. Le Tribunal a de plus jugé que le requérant n’était pas politiquement actif lorsqu’il était au Soudan et qu’il était devenu membre de la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité en vue d’obtenir un permis de séjour en Suisse.

2.6Le requérant affirme qu’il est un membre très actif et en vue de la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité depuis près de trois ans. Contrairement à l’avis du Tribunal, on ne saurait le qualifier de simple participant aux diverses activités du Mouvement pour la justice et l’égalité. Ayant pris part à plusieurs conférences et été photographié lors de celles-ci, le requérant a très certainement attiré l’attention du Gouvernement soudanais. Il affirme que son engagement politique est authentique. Après le rejet de sa première demande d’asile, il avait commencé par se cacher, craignant d’être renvoyé au Soudan. Or il a décidé d’adhérer à la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité bien qu’il soit en situation irrégulière, démontrant ainsi son engagement au service de la cause défendue par celui-ci.

2.7Le requérant craint que, en tant que Darfourien non arabe d’un sous-groupe du groupe ethnique des Four, dont les membres sont représentés au sein du Mouvement pour la justice et l’égalité, il risque tout particulièrement d’être persécuté par les autorités soudanaises. Il fait valoir que, dans son arrêt noE-1979/2008, le Tribunal administratif fédéral a reconnu que les Soudanais renvoyés au Soudan après un long séjour à l’étranger étaient généralement interrogés par les services de renseignement soudanais sur les contacts qu’ils auraient eus avec les groupes d’opposition en exil.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que s’il était renvoyé au Soudan, il serait exposé à un risque réel d’être torturé par les autorités soudanaises en raison de son appartenance à la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité et des fonctions politiques de secrétaire chargé des questions sociales et des médias qu’il y exerce. Il affirme que, s’il le renvoyait au Soudan, l’État partie violerait l’article 3 de la Convention.

3.2Le requérant soutient que le Tribunal administratif fédéral n’a pas tenu compte de la plus grande partie des éléments de preuve qu’il lui a soumis pour établir la visibilité de son profil politique, qui l’expose à un risque de torture s’il était renvoyé au Soudan. Il affirme avoir informé les autorités suisses des multiples tâches qui lui incombaient en sa qualité de secrétaire chargé des questions sociales et des médias, notamment informer les Soudanais nouvellement arrivés de l’existence du Mouvement pour la justice et l’égalité ainsi qu’organiser les réunions et conférences internationales du Mouvement et y participer.

3.3À l’appui de ses allégations de militantisme politique en Suisse, le requérant a produit deux lettres du Mouvement pour la justice et l’égalité attestant sa qualité de membre, une copie de sa carte de membre du Mouvement, le compte rendu de l’audition du 18 novembre 2014 et des photographies le représentant en compagnie de plusieurs membres éminents du Mouvement, prises à l’occasion d’une réunion du Mouvement à la Maison du peuple de Zurich ainsi qu’au siège de l’ONG Geneva Call. Il existe donc des motifs sérieux de croire que le requérant serait exposé à un risque réel s’il était renvoyé au Soudan, d’autant plus que le Secrétariat d’État aux migrations a divulgué son identité et ses activités politiques aux autorités soudanaises.

3.4Le requérant affirme que, s’il ne s’intéressait pas réellement à la politique, il aurait évité de mener des activités permettant aux autorités suisses de savoir où il se trouve. De plus, les lettres du Mouvement pour la justice et l’égalité n’étaient pas des lettres de complaisance puisque l’organisation n’accepte dans ses rangs que ceux dont elle est convaincue qu’ils sont politiquement engagés. À cet égard, il fait valoir que le Mouvement pour la justice et l’égalité est très conscient du risque qu’il court d’être infiltré par des informateurs au service des autorités soudanaises.

3.5Le requérant affirme que les autorités soudanaises ont intensifié leur répression contre les militants politiques, en particulier ceux du Darfour. Il fait valoir que les conditions de détention au Soudan sont très mauvaises et que les détenus sont souvent mal traités. Il invoque aussi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle ce ne sont pas seulement les dirigeants ou les personnalités en vue qui risquent d’être détenus, maltraités ou torturés au Soudan, mais quiconque s’oppose ou est soupçonné de s’opposer au régime en place dans ce pays. Ce risque peut être accru si la personne concernée a longtemps séjourné à l’étranger. En tant que partisan du Mouvement pour la justice et l’égalité et membre actif de sa section suisse, qui est demeuré à l’étranger pendant plus de dix ans, le requérant affirme que sa crainte d’être arrêté à son retour au Soudan et soumis à la torture et à d’autres traitements inhumains ou dégradants est bien fondée.

3.6Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles puisque le Tribunal administratif fédéral, en tant que juridiction spécialisée, est l’instance nationale de dernier ressort en matière d’asile. De plus, la présente communication n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Le 27 novembre 2015, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la requête. Il appelle l’attention du Comité sur le fait que, le 4 mars 2010, le requérant a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme pour contester la décision du Tribunal administratif fédéral en date du 16 décembre 2009. La Cour européenne n’a pas accordé d’effet suspensif à cette requête et l’a déclarée irrecevable parce que manifestement mal fondée.

4.2S’agissant des décisions relatives à la première et la seconde demande d’asile, l’État partie fait valoir que les allégations faisant état d’un risque de persécution en cas de renvoi au Soudan ont été soigneusement examinées tant par le Secrétariat d’État aux migrations que par le Tribunal administratif fédéral. Il considère que la présente requête devant le Comité ne contient aucune allégation ou preuve nouvelle.

4.3L’État partie indique que les autorités ont dûment examiné la question de savoir si le requérant serait exposé à un risque de torture prévisible, réel et personnel s’il était renvoyé dans son pays d’origine et a conclu que son renvoi au Soudan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

4.4L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l’existence de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme dans le pays d’origine ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que l’individu concerné risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes. Selon l’État partie, le Soudan ne connaît pas actuellement une situation de violence généralisée. Par contre, comme le Tribunal administratif fédéral l’a déclaré dans son arrêt du 26 mars 2015, le Darfour est bien en proie à la guerre civile et à des violences généralisées. De plus, il existe des conflits armés au Kordofan méridional et dans l’État du Nil Bleu. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, selon laquelle la réinstallation interne est possible au Soudan, d’autant plus que les intéressés peuvent bénéficier de la protection des autorités dans la région de Khartoum.

4.5L’État partie fait valoir que, dans son arrêt A. A . c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué que la situation au Soudan sur le plan de la sécurité et des droits de l’homme était alarmante et qu’elle s’était encore détériorée. Elle a toutefois considéré que, même dans de telles circonstances, le requérant devait prouver aux autorités nationales compétentes en matière d’asile que le traitement qui lui serait réservé s’il était renvoyé au Soudan était incompatible avec l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour européenne a reconnu que les membres de mouvements politiques d’opposition, les personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec des groupes rebelles darfouriens, les étudiants, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme étaient particulièrement visés, même si tous ceux qui s’opposaient au régime en place ou étaient soupçonnés de s’y opposer se trouvaient, de manière générale, dans une situation de risque. Pour la Cour européenne, le Gouvernement soudanais surveille aussi les activités de l’opposition à l’étranger.

4.6L’État partie renvoie à divers rapports sur la situation des droits de l’homme au Soudan qui indiquent entre autres choses que le Gouvernement soudanais n’enquête pas sur les cas de torture ou d’usage excessif de la force par des agents de sécurité, que les autorités soudanaises ne s’intéressent généralement qu’aux activités dont elles considèrent qu’elles pourraient nuire à leurs intérêts et qu’elles ne se soucieront pas d’une personne qui n’a fait que demander l’asile à l’étranger. Ces rapports indiquent aussi que le Service national du renseignement et de la sécurité continue d’arrêter et de détenir de manière arbitraire les personnes considérées comme des opposants au parti au pouvoir, le Parti du congrès national. S’agissant de la situation actuelle dans le pays, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas démontré qu’il courrait un risque personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan.

4.7En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il aurait été soumis à la torture et à des mauvais traitements, affirmant qu’on lui a cassé une main et une jambe pendant qu’il était détenu au Soudan, l’État partie souligne que le requérant n’a pas décrit les circonstances dans lesquelles cela se serait produit ni présenté d’éléments étayant ses dires à cet égard. Dans le cadre de la première procédure d’asile, l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont soigneusement examiné les allégations du requérant et ne les ont pas jugées crédibles. Dans le cadre de la seconde procédure d’asile, le requérant s’est contenté de réitérer ses précédentes allégations sans produire de nouvelles preuves.

4.8Comme il l’a affirmé lui-même, le requérant n’a pris contact avec le Mouvement pour la justice et l’égalité qu’en Suisse et ne s’est engagé politiquement qu’après la première procédure d’asile. Il ne prétend pas avoir été politiquement actif avant de quitter le Soudan, pas plus qu’il n’a attiré l’attention des autorités soudanaises lorsqu’il était au Soudan. À l’issue de la première procédure d’asile, les autorités suisses compétentes ont conclu que les allégations du requérant relatives à sa détention au Soudan ne paraissaient pas crédibles. Il semble que la Cour européenne a été du même avis.

4.9Les autorités nationales compétentes en matière d’asile ont conclu que l’adhésion du requérant à la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité, les activités qu’il allègue avoir mené pour celle-ci et les fonctions qu’il affirme avoir exercées en tant que secrétaire chargé des questions sociales et des médias ne lui ont pas conféré un profil qui l’exposerait à être persécuté. Le requérant a lui-même admis qu’il n’exerçait pas des fonctions de direction au Mouvement et qu’il n’était pas la seule personne chargée des relations avec les médias. Le titre de « secrétaire » dénote des fonctions générales n’exigeant pas de qualifications particulières ni un haut niveau d’engagement. Selon l’État partie, le requérant décrit son rôle en des termes vagues et prétend qu’il a participé à de nombreuses réunions et conférences, mais ne fournit des photographies que pour deux de ces manifestations. Il n’a été en contact qu’en une occasion avec le secrétaire général du Mouvement pour la justice et l’égalité à Londres, bien qu’il affirme être fréquemment en contact avec des responsables du Mouvement et donner régulièrement des informations aux Soudanais nouvellement arrivés en Suisse. L’État partie soutient que, contrairement à la situation du requérant dans l’affaire A.A. c. Suisse dont a été saisie la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant n’a pas un profil politique d’une envergure particulière ni établi de longue date et n’a eu ni relations ni contacts directs avec les autorités soudanaises. La décision de la Cour européenne à laquelle il renvoie se fonde sur des circonstances particulières dont on ne saurait conclure que tous les Soudanais qui sont politiquement actifs en Suisse courraient un risque personnel d’être torturés s’ils sont renvoyés au Soudan, quelle que soit la nature, l’importance ou la durée de l’engagement politique qu’il allègue.

4.10L’État partie maintient que les circonstances propres au cas du requérant ont été dûment prises en compte par le Secrétariat d’État aux migrations. Il semble qu’après le rejet de sa première demande d’asile, le requérant ait essayé d’acquérir un profil politique qui lui permette d’obtenir un permis de séjour en Suisse. Ses prétendues activités politiques visaient à influencer les autorités suisses et non à influer sur la situation au Soudan. C’est la raison pour laquelle le requérant a indiqué dans sa seconde demande d’asile qu’il avait acquis un profil politique à la suite du rejet de sa première demande d’asile. L’État partie considère par conséquent que le tableau qu’il brosse de ses activités est exagéré et n’est pas étayé.

4.11Le requérant n’explique pas en quoi son profil politique l’exposerait à des persécutions. L’État partie soutient que les autorités soudanaises sont en mesure de distinguer les nombreux Soudanais qui manifestent en Europe pour obtenir un permis de séjour des véritables opposants politiques qui pourraient représenter un danger pour le régime et ont déjà attiré leur attention avant de quitter le Soudan. L’État partie soutient que l’identité du requérant n’a pas été divulguée aux autorités soudanaises lorsqu’il a demandé ses documents puisqu’il n’a pas parlé arabe ou anglais en présence de la délégation soudanaise. Par conséquent, l’État partie ne considère pas comme vraisemblable que le requérant puisse être identifié à son retour au Soudan.

4.12Les preuves produites par le requérant ne pouvaient pas conduire à une évaluation différente. Il a présenté deux lettres d’Abdulrahman Sharafedin datées du 25 mars 2013 selon lesquelles il était un « membre actif », un « partisan convaincu » et un « membre hautement qualifié » du Mouvement pour la justice et l’égalité. Le Tribunal administratif fédéral a relevé que ces lettres avaient été rédigées immédiatement après l’adhésion du requérant au Mouvement, à la fin de janvier 2013, et a considéré qu’elles avaient été rédigées par complaisance. Ni la lettre d’Ahmed Atim du 13 mars 2013 attestant sa qualité de membre du Mouvement pour la justice et l’égalité, ni sa carte de membre du Mouvement, si elle est authentique, ne sauraient être considérées comme des preuves que le requérant courrait un risque particulier d’être maltraité s’il était renvoyé au Soudan. De plus, le Tribunal administratif fédéral a jugé que les deux photographies du requérant à des réunions du Mouvement pour la justice et l’égalité, tenues à la Maison du peuple de Zurich le 26 novembre 2013 et au siège de Geneva Call le 25 février 2014, avaient un caractère privé et ne confirmaient pas que le requérant était un membre du Mouvement particulièrement en vue. Le requérant lui‑même a confirmé que la photographie qui le représente en compagnie des secrétaires chargés des médias, Tom Hajo et Jibril Ibrahim, a été prise avant l’arrivée du public. L’autre photographie, prise depuis la salle, atteste que le siège voisin de celui du secrétaire chargé des questions sociales et des médias n’était pas réservé au requérant. L’État partie fait valoir qu’aucune de ces photographies ne montre le requérant avec le public et qu’elles ont été prises lors de réunions d’un petit comité, en présence de quelques personnes seulement. De plus, le requérant lui-même a indiqué qu’il n’a pas pris la parole lors de la réunion tenue à la Maison du peuple. Il affirme en revanche avoir participé à l’organisation de cette réunion et aux contacts avec les dirigeants du Front révolutionnaire soudanais.

4.13L’État partie rappelle en outre que l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral ont conclu, dans le cadre de la première procédure d’asile, que les allégations du requérant concernant sa détention au Soudan n’étaient pas crédibles. Selon le Tribunal administratif fédéral, les informations fournies par le requérant sur son rôle et ses activités au sein du Mouvement pour la justice et l’égalité n’étaient pas convaincantes. Dans le cadre de la seconde demande d’asile, le requérant a indiqué qu’il était membre du Mouvement pour la justice et l’égalité depuis la fin de janvier 2013. Or, la lettre du 25 mars 2013 de M. Sharafedin indique qu’il est membre du Mouvement depuis le 15 juillet 2012. L’État partie souligne que le requérant n’a jamais fourni d’éclaircissements à cet égard.

4.14L’État partie maintient que les autorités nationales ont soigneusement évalué le risque de persécution que courrait le requérant s’il était renvoyé au Soudan et qu’aucune nouvelle allégation ou preuve n’a été soumise qui vienne remettre cette conclusion en question. Concernant les conclusions des deux procédures d’asile, l’État partie affirme qu’un poids considérable devrait être accordé aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, sauf si l’appréciation des faits ou des preuves était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. En l’espèce, le requérant n’a pas prétendu que les procédures nationales relatives à l’asile étaient entachées d’irrégularités. De plus, la décision de renvoyer le requérant au Soudan est conforme à la pratique générale des autorités suisses à l’égard des personnes qui affirment avoir eu des activités politiques en Suisse avant leur renvoi.

4.15En conclusion, l’État partie réitère son argument selon lequel il n’existe pas de motif sérieux de craindre que le renvoi du requérant au Soudan exposerait celui-ci à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture ou à de mauvais traitements. L’État partie prie le Comité de déclarer que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention par la Suisse.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 31 mars 2016, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie, dans lesquels il décrit une altercation qui l’a opposé à un surveillant pendant sa détention. Après que le surveillant l’eut insulté, le requérant s’est jeté sur lui ; le surveillant est alors allé chercher un fusil avec lequel il a frappé le requérant aux jambes, lui causant de fortes douleurs. Il a ensuite été emmené dans un bureau où il a été passé à tabac. Pour étayer ces allégations, le requérant renvoie aux déclarations qu’il a faites lors de l’audition du 28 mars 2006 dans le cadre de la première procédure d’asile.

5.2Le requérant confirme que, comme le souligne l’État partie, il n’était pas politiquement actif avant de quitter le Soudan, mais conteste l’affirmation selon laquelle il n’a jamais eu maille à partir avec les autorités, puisqu’il a été détenu pendant six mois et a décrit en détail les circonstances de cet incident, ce qui atteste, selon lui, que ses allégations sont crédibles. Il fait valoir que les divergences éventuelles entre une première et une seconde audition doivent être examinées de près pour ne pas être interprétées au détriment du demandeur d’asile concerné. Le requérant soutient qu’il a décrit en détail la cellule dans laquelle il a été interrogé. La description plus détaillée qu’il a donnée lors de l’audition de la seconde procédure d’asile devrait être considérée comme apportant des précisions supplémentaires et non comme dénotant une contradiction. Le requérant fait observer que le premier entretien a un objectif relativement général, puisqu’il vise à donner au demandeur d’asile la possibilité de fournir des informations sur son identité, de décrire son voyage, etc. Le requérant explique qu’il n’avait pas pu dire quel traitement médical avait été administré à son frère blessé parce que cela s’était passé en dehors de la cellule où il était détenu. Il réfute l’argument de l’État partie selon lequel ses allégations n’étaient pas crédibles parce qu’elles manquaient de précision et fait valoir que l’État partie est insensible aux différences culturelles existant entre le Soudan et la Suisse dans la manière de s’exprimer.

5.3En ce qui concerne les considérations formulées par les autorités nationales compétentes en matière d’asile selon lesquelles, au vu des circonstances, il n’était pas vraisemblable que le requérant ait été remis en liberté, d’autant plus qu’il s’était battu avec un surveillant en menaçant de tuer celui-ci, le requérant convient que l’État partie a probablement raison de penser que les circonstances de sa remise en liberté sortaient de l’ordinaire. Il admet ne pas savoir précisément pourquoi on l’a remis en liberté, mais comme il n’était pas politiquement actif, il n’y avait pas vraiment de raison de le maintenir en détention. On ne peut toutefois conclure du fait que les circonstances de sa remise en liberté ne sont pas claires que sa détention au Soudan n’est pas crédible. Au contraire, le requérant maintient que les circonstances de sa détention au Soudan ont été décrites de manière crédible et cohérente, que son récit des événements ne présente aucune contradiction et que les autorités soudanaises connaissent assurément son identité.

5.4S’agissant de ses activités politiques en Suisse, le requérant renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire A. A.  c.  Suisse, selon laquelle la situation des opposants politiques au Gouvernement soudanais demeure précaire. Il affirme que ce ne sont pas seulement les opposants en vue qui sont exposés à un risque, mais quiconque s’oppose ou est soupçonné de s’opposer au régime au pouvoir. Le Tribunal administratif fédéral suisse l’a confirmé dans l’arrêt qu’il a rendu le 27 janvier 2016 dans une affaire similaire. Le requérant affirme que les faits de la présente espèce sont de même nature et que ses activités politiques ont encore plus de visibilité. Plus précisément, il n’est pas seulement un vice-secrétaire mais le principal secrétaire chargé des médias et le secrétaire de la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité. À ce propos, le requérant rappelle son audition du 19 novembre 2014, au cours de laquelle il a décrit son rôle et ses contacts et produit des preuves à ce sujet, dont des lettres de soutien et des photographies le montrant à des réunions du Mouvement pour la justice et l’égalité. Il fait valoir que la régularité et la fréquence de ses activités politiques ne sauraient être étayées par des preuves.

5.5Le requérant conteste aussi l’argument de l’État partie selon lequel il ne s’est engagé politiquement que pour obtenir un permis de séjour en Suisse, faisant valoir que les activités qu’il menait faisaient l’objet d’une surveillance permanente du Service du renseignement et de la sécurité du Soudan. Il craint précisément ce type de risque, c’est‑à‑dire d’être suivi et surveillé. Étant donné sa participation aux conférences du Mouvement pour la justice et l’égalité et le rôle qu’il joue auprès des médias pour le compte de celui-ci, les arguments de l’État partie devraient être considérés comme erronés. Il affirme que le Tribunal administratif fédéral a en outre indiqué, dans l’arrêt susvisé rendu dans une affaire similaire, que les Soudanais qui rentraient dans leur pays d’origine après plusieurs années à l’étranger (le requérant vivait à l’étranger depuis près de onze ans à la date de présentation des présents commentaires) étaient généralement interrogés par les services de sécurité soudanais. Le Tribunal a également indiqué que ceux qui avaient été en contact avec un des groupes d’opposition à Genève et qui s’étaient engagés politiquement contre le Gouvernement soudanais faisaient très probablement l’objet d’une surveillance des services de sécurité. De ce fait, il affirme que les personnes qui se trouvent dans une telle situation sont arrêtées et détenues par les autorités à leur retour au Soudan. Il conclut que le fait qu’il n’a pas été en contact direct avec les autorités soudanaises est dénué de pertinence.

5.6Enfin, le requérant réaffirme que le récit qu’il a fait des circonstances de sa détention était véridique et que ses dires sur son rôle et ses activités pour le compte du Mouvement pour la justice et l’égalité doivent être considérés comme crédibles. En ce qui concerne la date de son adhésion au Mouvement, il l’a située, lors de l’audition du 18 novembre 2014, aux alentours de 2013. Par la suite, il a constamment affirmé être devenu membre en juillet 2012. À son sens, il n’y a pas de contradiction à cet égard. Concernant les photographies attestant sa présence aux réunions du Mouvement, le requérant concède que ces images le représentent dans des réunions de petits comités, auxquels la participation est limitée, mais il fait valoir que c’est parce que son profil lui permet de participer à des réunions qui ne sont ouvertes qu’aux hauts responsables du Mouvement, ce qui l’expose en fait au risque d’être surveillé par les autorités soudanaises. Il conteste par ailleurs l’appréciation de l’État partie selon laquelle ses allégations sont exagérées. La preuve du contraire est notamment donnée par les lettres confirmant qu’il est membre du Mouvement et les photographies susmentionnées, ainsi que par la manière précise et détaillée dont il a décrit son rôle de secrétaire chargé des questions sociales et des médias.

5.7En conclusion, le requérant fait valoir que, s’il était renvoyé au Soudan, il serait arrêté et détenu et donc soumis à un traitement constituant une violation de l’article 3 de la Convention. Il prie le Comité de conclure que son renvoi au Soudan constituerait une violation de l’obligation que l’article 3 de la Convention impose à l’État partie, à savoir ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

5.8Le 4 octobre 2017, le conseil du requérant a invoqué la jurisprudence du Comité dans l’affaire N.A.A. c. Suisse et prié le Comité de rendre rapidement sa décision en l’espèce.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une requête, le Comité doit décider s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Il prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le requérant a présenté une requête à la Cour européenne des droits de l’homme pour contester l’arrêt du Tribunal administratif fédéral relatif à sa première demande d’asile et la Cour européenne a déclaré cette requête irrecevable parce que manifestement mal fondée. Constatant qu’aucune autre requête n’a été présentée à la Cour européenne pour contester la décision finale relative à la seconde demande d’asile du requérant et compte dûment tenu de l’absence d’objections de l’État partie concernant la recevabilité, le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut donc qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention d’examiner la présente communication

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer en l’espèce si, en renvoyant le requérant au Soudan, l’État partie manquerait à l’obligation que lui impose l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour au Soudan. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante pour déterminer qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que la personne concernée courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997), relative à l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à des simples supputations ou soupçons. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), le Comité rappelle que le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui se doit de présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas lié par ces constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Aux fins de l’évaluation du risque de torture en l’espèce, le Comité prend note des allégations du requérant selon lesquelles il avait été détenu au Soudan, il avait été interrogé plusieurs fois et on lui avait cassé une main et une jambe pendant qu’il était en détention. Il prend de plus note de l’affirmation du requérant selon laquelle, s’il était renvoyé au Soudan, il serait exposé à un risque réel d’être torturé par les autorités soudanaises, en raison du profil politique qu’il a acquis du fait de son adhésion à la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité, de sa participation à des réunions de haut niveau de celui-ci et de son rôle de secrétaire du Mouvement chargé des questions sociales et des médias. Le Comité note en outre que, pour étayer ses allégations, le requérant a fait état d’informations selon lesquelles la répression contre les militants politiques, en particulier ceux originaires du Darfour, se serait intensifiée. Il a également fait valoir que ce ne sont pas seulement les dirigeants ou les personnalités politiques en vue qui risquent d’être détenus, maltraités ou torturés au Soudan, mais quiconque s’oppose ou est soupçonné de s’opposer au régime en place, et que ce risque est accru si la personne concernée a longtemps séjourné à l’étranger.

7.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’existence, dans un pays, de violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan. Il prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, indépendamment de l’instabilité générale sur le plan de la sécurité et des droits de l’homme au Soudan, et en particulier au Darfour, le requérant n’a pas apporté aux autorités suisses compétentes la preuve qu’il courrait un risque personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan du fait du profil d’opposant et membre de la section suisse du Mouvement pour la justice et l’égalité qu’il revendique. Le Comité note en outre l’argument de l’État partie selon lequel les allégations du requérant concernant les actes de torture et mauvais traitements dont il aurait été victime par le passé et, en particulier, les circonstances dans lesquelles il aurait été blessé pendant sa détention au Soudan, n’ont pas été jugées crédibles dans le cadre de la première procédure d’asile et qu’aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté à cet égard lors de la seconde procédure d’asile. Il note que, selon l’État partie, le requérant n’était pas politiquement actif avant de quitter le Soudan. Le Comité prend toutefois note des objections du requérant, qui affirme qu’il a bien eu maille à partir avec les autorités quand il était au Soudan, puisqu’il a décrit les circonstances de sa détention et de sa remise en liberté, et que ses allégations étaient crédibles car elles ne contenaient aucune contradiction. Le Comité constate que le requérant n’a produit aucune preuve à l’appui de ses allégations relatives aux violences qu’il aurait subies aux mains des autorités soudanaises avant son départ et rien qui suggère que la police ou d’autres autorités au Soudan sont depuis lors à sa recherche. Le requérant n’a d’ailleurs pas prétendu devant les autorités suisses compétentes en matière d’asile ni dans sa requête au Comité qu’il était accusé d’infractions au Soudan en vertu de la législation interne.

7.7En ce qui concerne les activités politiques du requérant, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pris contact avec le Mouvement pour la justice et l’égalité qu’une fois en Suisse et que son adhésion à ce mouvement et les activités et fonctions qu’il allègue exercer en Suisse au service de celui-ci ne lui confèrent pas un profil particulier qui l’exposerait au risque d’être persécuté, d’autant plus que le requérant a lui‑même admis qu’il n’était pas un membre de haut rang du Mouvement. Le Comité note également que, selon l’État partie, le requérant a décrit son rôle au sein du Mouvement en des termes vagues ; que sa participation aux réunions du Mouvement n’est étayée que par deux photographies qui n’ont pas été prises en présence du public ; et qu’il n’a eu de contacts avec le secrétaire général du Mouvement pour la justice et l’égalité à Londres qu’en une occasion, alors qu’il allègue être fréquemment en contact avec les responsables du Mouvement. De plus, il n’a pas un profil politique particulier qui l’exposerait à des persécutions et il n’a pas eu de contacts directs avec les autorités soudanaises. Le Comité note en outre l’affirmation du requérant selon laquelle les autorités soudanaises surveillent les membres de l’opposition en exil, mais relève qu’il n’a pas développé cet argument dans sa requête au titre de ce grief ni présenté de preuves pour l’étayer. De l’avis du Comité, le requérant n’a pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle les activités politiques qu’il mène sont si importantes qu’elles attireraient l’attention des autorités soudanaises, et il n’a pas produit d’autres éléments de preuves attestant que les autorités de son pays d’origine le recherchent et qu’il courrait personnellement le risque d’être torturé s’il était renvoyé au Soudan. S’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle il serait arrêté et interrogé à son arrivée au Soudan en raison de son long séjour à l’étranger et de sa demande d’asile, le Comité rappelle que la seule existence d’un risque d’être arrêté et interrogé ne suffit pas pour conclure qu’il existe aussi un risque d’être soumis à la torture.

7.8Le Comité rappelle qu’il doit évaluer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan. Il note que le requérant a eu amplement l’occasion de produire des preuves de ce qu’il affirme et de donner davantage de détails à l’Office fédéral des migrations et au Tribunal administratif fédéral, mais que les éléments de preuve qu’il a produits n’ont pas permis aux autorités nationales de conclure que sa participation à des activités politiques en Suisse, bien qu’établie, l’exposerait au risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan. Le Comité fait par ailleurs observer que le requérant n’a pas fait valoir que les procédures nationales d’examen de ses demandes d’asile ont été entachées d’irrégularités. En ce qui concerne la pratique de l’État partie d’accepter la réinstallation interne au Soudan, le Comité appelle l’attention sur sa jurisprudence selon laquelle la fuite ou la réinstallation interne ne constitue pas une solution fiable et durable, en particulier lorsque l’absence de protection est généralisée et que la personne concernée serait également exposée à un risque de persécution ou de préjudice grave dans la partie de l’État vers laquelle elle serait renvoyée. Le Comité rappelle toutefois que l’existence de violations des droits l’homme dans le pays d’origine du requérant n’est pas suffisante en soi pour conclure que le requérant court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé dans ce pays. Étant donné ce qui précède, le Comité considère que les informations présentées par le requérant sont insuffisantes pour étayer son affirmation selon laquelle il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé s’il était renvoyé au Soudan.

8.En conséquence, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’exécution de la décision de l’État partie de renvoyer le requérant au Soudan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention .