Nations Unies

CAT/C/62/D/702/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 janvier 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 702/2015 * , **

Communication p résentée par :

S. S. et P. S. (représentés par un conseil, Rajwinder S. Bhambi)

Au nom de :

S. S. et P. S.

État partie :

Canada

Date de la requête :

4 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

14 novembre 2017

Objet :

Expulsion vers l’Inde

Questions de fond :

Non-refoulement

Questions de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes, défaut manifeste de fondement

Article de la Convention :

3 et 22

1.1Les requérants sont S. S., né en 1974, et son fils P. S., né en 1993 ; tous deux sont de nationalité indienne et résident au Canada. L’État partie a ratifié la Convention et fait une déclaration au titre de l’article 22 respectivement en 1987 et en 1989. Les requérants sont représentés par un conseil, Rajwinder S. Bhambi.

1.2Les requérants sont sous le coup d’une mesure d’expulsion vers l’Inde, à la suite du rejet de leur demande de statut de réfugié au Canada. L’expulsion était prévue pour le 7 octobre 2015. Les requérants affirment qu’en les expulsant, le Canada commettrait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention.

1.3Le 7 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a décidé de présenter une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et a prié l’État partie de ne pas expulser les requérants vers l’Inde tant que leur requête serait à l’examen. L’État partie a demandé la levée des mesures provisoires en décembre 2015, puis de nouveau en avril 2016. Le Comité n’a pas accédé à ces demandes.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1S. S. (le premier requérant) est né le 3 juillet 1974 au Penjab (Inde). Il s’est marié en mars 1992 et a eu deux enfants : P. S. (le deuxième requérant), né le 10 janvier 1993 au Penjab (Inde), et une fille, Sukhneet Kaur. Les requérants sont tous deux sikhs. Dans leur village, le temple sikh se trouve à proximité immédiate de leur domicile et au cours des actions militantes qui ont été menées au Penjab, leur région a été le théâtre de descentes de police et de brutalités policières, certains terroristes sikhs étant originaires de cette zone.

2.2 S. S. était ouvrier agricole ; il a également travaillé comme camionneur à Dubaï. Lorsqu’il vivait à Dubaï, il a rencontré un autre sikh du nom de Gurmukh Sigh, qui était également titulaire d’un visa de travail. Gurmukh, qui était « amritdhari », avait une bonne connaissance du sikhisme. Il a dit au requérant qu’il avait été prêtre au Penjab. Les deux hommes se sont liés d’amitié et le requérant a aidé Gurmukh Singh à trouver du travail en tant que prêtre au temple sikh de Dubaï. En octobre 2009, son contrat de travail à Dubaï étant arrivé à son terme, le premier requérant est retourné en Inde. Il était le secrétaire du temple sikh de Gurdawara, son village. En septembre 2010, Gurmukh Singh est arrivé en Inde, son permis de travail à Dubaï n’ayant pas été renouvelé. Le requérant l’a nommé prêtre du temple de son village.

2.3Le 24 décembre 2010, des policiers ont fait une descente au village ; ils cherchaient Gurmukh Singh, qui est parvenu à leur échapper. Ils ont arrêté le premier requérant et l’ont conduit au poste de police, où ils l’ont interrogé pour tenter de savoir où se trouvait Gurmukh Singh et l’ont torturé : ils l’ont giflé, et l’ont roué de coups de poing et de coups de pied jusqu’à ce qu’il perde connaissance ; ils l’ont pendu tête en bas au plafond à l’aide d’une corde, lui ont fait rouler un objet cylindrique sur les cuisses, lui ont donné des coups de ceinturon en cuir sur les fesses et l’ont frappé sur la plante des pieds ; ils lui ont écarté les jambes et lui ont donné des coups de pied sur les parties génitales. Le requérant affirme également qu’un policier l’a blessé à l’abdomen avec une barre de fer, que sa blessure s’est infectée et qu’il a dû être opéré. Il dit que ces tortures lui ont causé de nombreuses lésions externes et internes. Pendant la détention de S. S., les policiers ont prétendu que Gurmukh Singh était un terroriste qui était parti à Dubaï pour suivre un entraînement et était revenu pour recruter de nouveaux militants. Ils ont accusé le requérant d’avoir été son complice et de s’être rendu avec lui à Dubaï depuis le Pakistan pour y rencontrer des militants sikhs. Le comité et le conseil du village ont aidé la famille du requérant, qui a versé un pot-de-vin aux policiers pour obtenir sa libération. Le requérant a été libéré le 27 décembre 2010 à la condition qu’il communiquerait à la police tout renseignement permettant de localiser Gurmukh Singh. Il dit avoir été conduit en ambulance à l’hôpital Satnam, à Nurmahal, le jour même, pour y soigner les blessures résultant des tortures qu’il avait subies. Il explique avoir été traité pour des douleurs physiques aiguës, des contusions, des hématomes, des tuméfactions, une sensibilité des voûtes plantaires, des lacérations et d’autres lésions internes et externes, ainsi qu’une dépression.

2.4Le requérant affirme qu’à compter de ce jour, des perquisitions ont été effectuées régulièrement à son domicile et au temple. La police l’interrogeait aussi régulièrement pour tenter de savoir où se trouvaient Gurmukh Singh et d’autres militants. Il a soudoyé des policiers pour qu’ils le laissent tranquille, mais ils ont continué de le harceler. Le 4 mai 2011, des policiers l’ont arrêté, l’accusant une nouvelle fois de cacher des militants au temple. Le requérant affirme qu’ils lui ont demandé où se trouvait Gurmukh Singh et l’ont une nouvelle fois torturé. Il affirme également que des policiers l’ont pris en photo, ont prélevé ses empreintes et l’ont forcé à signer des documents vierges. Il a été libéré le 8 mai. Il a alors été conduit à l’hôpital, où il a été traité pour les mêmes blessures que la fois précédente. Après avoir été libéré, il a appris que deux bénévoles du temple avaient eux aussi été arrêtés et que la police interrogeait plusieurs personnes, parmi lesquelles des membres du conseil du village. Il a alors décidé de partir et s’est rendu dans un autre village où il a été hébergé par des membres de sa famille. En son absence, la police a continué de harceler sa famille.

2.5Le 12 juillet 2011, des policiers ont effectué une nouvelle descente au domicile du requérant. Ne le trouvant pas, ils ont arrêté son fils (le deuxième requérant). Ils ont conduit celui-ci au poste de police, où ils l’ont interrogé pour tenter de savoir où se trouvaient son père ainsi que Gurmukh Singh, et l’ont torturé : ils l’ont giflé, l’ont roué de coups de poing et de pied, l’ont pendu tête en bas au plafond à l’aide d’une corde, lui ont fait rouler un objet cylindrique sur les cuisses, lui ont donné des coups de ceinturon en cuir sur les fesses, l’ont déshabillé et plongé dans l’eau, lui ont donné des coups de pied sur les parties génitales, et l’ont forcé à boire sa propre urine. Il affirme également qu’ils lui ont arraché un ongle de pied à l’aide d’une pince. Sous la torture, il a fini par leur révéler où se trouvait son père. La police a fait une descente dans le village de Shahpur où se cachait le premier requérant, qui a réussi à s’enfuir. Le 13 juillet, le deuxième requérant a été libéré après avoir versé un pot-de-vin et après que le conseil du village eut assuré à la police que son père se présenterait de lui-même au commissariat. Le deuxième requérant affirme, lui aussi, que des policiers l’ont pris en photo, ont prélevé ses empreintes et l’ont forcé à signer des documents vierges. Après que le deuxième requérant eut été traité pour ses blessures, les deux hommes ont décidé de quitter le pays.

2.6 Le 3 novembre 2011, les requérants sont arrivés au Canada avec des visas de visiteur. Le 1er août 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté les demandes d’asile des requérants. Le 3 décembre, la Cour fédérale a débouté les requérants de leur demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés. Le 28 juillet 2015, les autorités d’immigration ont rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par les requérants. Elles ont estimé que les requérants ne correspondaient pas au profil des personnes que la police rechercherait dans tout le pays. Les requérants n’ont donc pas montré qu’ils courraient personnellement un risque s’ils étaient renvoyés en Inde. Le 18 septembre, ils ont déposé une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de rejet de leur demande d’ERAR, ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans l’attente de l’examen de leur demande d’autorisation. Le sursis leur a été refusé par la Cour fédérale du Canada à l’issue d’une audience tenue le 24 septembre. Leur demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée le 10 novembre. Les requérants ont présenté une nouvelle demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire le 7 décembre.

2.7Les requérants affirment qu’après leur départ du pays, la police a continué de harceler l’épouse et la fille de S. S., accusant les requérants de financer des militants sikhs depuis l’étranger. L’épouse de S. S. et sa fille ont donc décidé de quitter Gurdawara, leur village, et d’aller s’installer chez Avtar Singh, le frère de l’épouse, à Johal Bolina, un autre village. En septembre 2015, après le rejet de leur demande d’ERAR, les requérants ont demandé à leur famille de se rendre à Gurdawara pour évaluer la situation. Le 10 septembre, l’épouse et son frère se sont rendus à Gurdawara. Alors qu’ils se trouvaient au domicile des requérants, des policiers sont arrivés et ont arrêté Avtar Singh. Les requérants affirment que la police avait été informée de la présence des intéressés au domicile familial. Avtar Singh a été torturé par la police : il a souffert de plusieurs traumatismes crâniens graves, notamment d’une fracture du crâne, et sa jambe a été cassée ; il présentait également plusieurs hématomes sur la poitrine et dans le bas du dos. Il a été libéré le 15 septembre, après le versement d’un pot-de-vin par le conseil du village. Les requérants affirment qu’Avtar Singh est décédé le 24 septembre des suites des blessures qui lui avaient été infligées par la police.

2.8 Les requérants affirment n’être pas retournés en Inde parce qu’ils sont encore recherchés par la police du Penjab, qui les attendait à l’aéroport le jour prévu de leur renvoi. Ils affirment en outre que les autorités du village les ont informés que la tension était palpable au village depuis le meurtre d’Avtar Singh et que la police avait des indicateurs parmi les villageois. Des policiers avaient menacé de tuer les requérants s’ils les arrêtaient.

2.9Les requérants fournissent plusieurs rapports décrivant les violences commises en Inde par la police et les forces de sécurité ; il y est question notamment d’exécutions extrajudiciaires, de torture, de viol, et d’attaques visant des minorités religieuses, ainsi que de l’impunité dont jouissent les auteurs d’exécutions extrajudiciaires.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment qu’en cas de renvoi en Inde, ils courraient un risque réel d’être arrêtés, torturés ou victimes de mauvais traitements, ou même d’être tués par la police indienne, au vu des menaces proférées contre eux et des attaques dont ils ont été victimes par le passé en raison des liens qu’ils sont soupçonnés d’entretenir avec des militants sikhs. Ils affirment également que les demandeurs d’asile déboutés risquent particulièrement d’être torturés en cas de renvoi en Inde. En les expulsant vers l’Inde, le Canada commettrait donc une violation de l’article 3 de la Convention, et manquerait en particulier à l’obligation de non-refoulement que celui-ci met à sa charge. Les requérants affirment en outre qu’ils courent le risque que les autorités fabriquent de toutes pièces un dossier contre eux pour les mettre en cause dans une affaire d’infraction à la législation antiterroriste, ce qui leur vaudra peut-être d’être condamnés à la peine capitale ou à la réclusion criminelle à perpétuité.

3.2Les requérants disent avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes et affirment que les autorités canadiennes n’ont pas dûment examiné leurs demandes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 5 avril 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond des allégations des requérants. Il fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable pour deux raisons : en premier lieu, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes puisqu’ils n’ont pas effectué toutes les démarches nécessaires aux fins de l’examen de leur demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de rejet de leur demande d’ERAR, et de leur demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Ils n’ont pas non plus demandé de sursis administratif à l’expulsion, mesure qui peut être ordonnée lorsque de nouvelles preuves ont été mises en évidence, comme les requérants l’affirment en l’espèce. En deuxième lieu, l’État partie fait valoir que les allégations des requérants selon lesquelles en les renvoyant en Inde, l’État partie manquerait aux obligations mises à sa charge par l’article 3 sont manifestement sans fondement puisque les requérants n’ont pas démontré à première vue qu’ils courraient un risque réel et personnel d’être torturés en Inde.

4.2Concernant les allégations des requérants selon lesquelles ils auraient pris peur en apprenant le décès d’Avtar Singh et auraient alors décidé de ne pas se présenter le jour prévu de leur renvoi, l’État partie fait valoir que les requérants n’ont pas signalé ces faits à l’agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada le 18 septembre 2015, lorsqu’ils l’ont informé qu’ils avaient vendu leurs biens et qu’ils étaient prêts à quitter le Canada. Ils n’ont pas dit à l’agent qu’Avtar Singh avait été arrêté à leur domicile, ni que des policiers l’avaient conduit au commissariat, où ils l’avaient torturé et soumis à un interrogatoire pour tenter de savoir où se trouvaient les requérants. Ils ont donné à l’agent des précisions au sujet de l’acquéreur de leurs biens. Toutefois l’acquéreur présumé, qui a été contacté, a nié avoir acheté des biens appartenant aux requérants. Les requérants n’ont pas non plus expliqué aux responsables de l’Agence et du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration qu’ils ne s’étaient pas présentés le jour prévu de leur renvoi parce que le décès d’Avtar Singh leur faisait craindre de retourner en Inde. Leur avocat a prétendu qu’on les avait manipulés en leur donnant de fausses informations moyennant finance et qu’ils avaient ainsi cru que le renvoi avait été annulé et qu’ils n’étaient donc pas tenus de se rendre à l’aéroport.

4.3L’État partie affirme que des responsables nationaux compétents et impartiaux ont examiné de manière approfondie les allégations selon lesquelles les requérants courraient un risque en cas de renvoi en Inde et ont estimé qu’aucun élément de preuve crédible ne permettait d’étayer ces allégations. Les demandes de protection des requérants ont été présentées au titre des articles 96 et 97 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sur la base de la religion, de l’appartenance à un groupe social particulier et de l’opinion politique supposée des intéressés. Les griefs des requérants ont été examinés par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. À l’audience, les requérants étaient représentés par un conseil et assistés d’un interprète, et ont eu la possibilité de présenter leurs griefs oralement. La Section de la protection des réfugiés détermine non seulement si le requérant correspond à la définition de réfugié énoncée dans la Convention relative au statut des réfugiés, mais aussi s’il a besoin d’une protection au titre de l’article 97 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui garantit la protection des personnes exposées à un risque réel de torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les personnes visées ont le droit de ne pas être expulsées du Canada.

4.4Dans sa décision du 1er août 2013, la Section de la protection des réfugiés a conclu que les allégations des requérants selon lesquelles ils seraient en danger à leur retour en Inde n’étaient pas crédibles et qu’en tout état de cause, les requérants auraient la possibilité de trouver refuge à l’intérieur même du pays. Elle n’a pas retenu les allégations essentielles selon lesquelles la police continuait de rechercher les requérants depuis leur départ d’Inde, avait des doutes quant aux allégations de torture, mais a accordé le bénéfice du doute aux requérants en considérant qu’ils avaient eu des démêlés avec la police locale en 2010 et 2011 ; elle a également estimé que certaines allégations formulées par les requérants manquaient de crédibilité, d’autant que ceux-ci avaient dit avoir envoyé une copie de leur pièce d’identité à la police locale depuis le Canada pour que cette dernière puissent les localiser, alors même qu’ils prétendaient se cacher. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les requérants ne correspondaient pas au profil des personnes susceptibles d’être recherchées par la police ou des personnes suffisamment importantes pour attirer l’attention des autorités centrales indiennes. Les requérants ont également déclaré qu’ils avaient pu passer les dispositifs de sécurité aéroportuaires en présentant leurs propres passeports et qu’ils ne faisaient l’objet d’aucun mandat d’arrêt, ni d’aucune procédure judiciaire. Dans ces circonstances, la Section a estimé que rien ne prouvait qu’ils étaient recherchés par les autorités indiennes ou que les autorités indiennes auraient la volonté de les rechercher sur tout le territoire national. Elle a considéré que puisque les requérants avaient quitté le pays, et y retourneraient, avec des documents de voyage valides, le fait qu’ils s’étaient vu refuser l’asile ne leur causerait pas d’ennuis à leur retour dans le pays.

4.5En outre, il a été conclu que les requérants auraient des chances de trouver refuge à l’intérieur même du pays, à Mumbai ou à Delhi, s’ils intéressaient effectivement la police du Penjab ; différents documents attestaient en effet que la population jouissait du droit de circuler librement, que nul n’était tenu de faire enregistrer sa religion, et que la police locale n’avait pas les ressources nécessaires pour vérifier l’identité de tous les nouveaux arrivants. Le deuxième requérant a confirmé qu’il pourrait trouver du travail dans une grande ville et aucun des éléments de preuve dont disposait la Section de la protection des réfugiés ne permettait de démontrer que le premier requérant ne pourrait pas vivre dans l’une de ces villes.

4.6Le 3 septembre 2013, les requérants ont saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés. Ils étaient représentés par un conseil dans le cadre de cette procédure. Pour que la Cour fasse droit à leur demande, ils devaient présenter des arguments relativement défendables ou soulever une question grave. Ils ont été déboutés de leur demande le 3 décembre 2013.

4.7Le 21 novembre 2014, les requérants ont déposé une demande d’ERAR. Cette procédure repose sur les engagements nationaux et internationaux contractés par l’État partie en faveur du principe de non-refoulement. Les demandes d’ERAR sont examinées par des agents d’immigration supérieurs. Lorsque la Section de la protection des réfugiés s’est déjà prononcée sur une demande, pareilles évaluations se fondent en grande partie sur des faits ou des éléments de preuve qui ont été mis au jour depuis l’intervention de la décision ou dont le demandeur n’aurait pas raisonnablement pu avoir connaissance au préalable, ou encore sur des faits et des éléments de preuve dont on ne pouvait raisonnablement attendre du demandeur, compte tenu des circonstances, qu’il les produise à ce moment-là, et qui attestent que le demandeur risque désormais d’être persécuté et de subir des actes de torture ou des peines cruelles ou inusitées, ou que sa vie est en danger. Il a été considéré que les déclarations écrites sous serment, datant de février 2014, qui avaient été produites à l’appui de la demande avaient une valeur probante très faible, puisqu’elles reprenaient les arguments invoqués par les requérants devant la Section de la protection des réfugiés et ne contenaient aucun élément nouveau. L’agent d’ERAR a examiné de manière approfondie différents rapports de pays objectifs et a pris note des questions générales liées aux droits de l’homme en Inde. Il a toutefois conclu que les requérants n’avaient pas produit de preuve de nature à démontrer qu’ils courraient un risque personnel lié à ces questions. Il a également estimé que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils ne pourraient pas se réinstaller sans trop de difficultés à l’intérieur même du pays, dans d’autres régions désignées par la Section de la protection des réfugiés, à savoir à Mumbai ou à Delhi. Enfin, il a estimé que les requérants ne correspondaient pas au profil des personnes susceptibles de retenir l’attention des autorités centrales indiennes, et a donc conclu qu’ils ne courraient aucun risque à leur retour en Inde.

4.8Le 29 mai 2015, les requérants ont présenté, depuis le Canada, une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Ce recours permet d’assurer un redressement équitable dans les cas où le demandeur rencontrerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger, comme cela se fait normalement. Les raisons qui le justifient varient selon les cas ; parmi les exemples de difficultés, on retiendra les situations nationales difficiles qui ont des conséquences néfastes directes pour le demandeur. Reprenant les arguments déjà invoqués auprès de la Section de la protection des réfugiés, les requérants ont fait valoir qu’ils rencontreraient des difficultés parce qu’ils étaient établis au Canada et en raison du risque auquel ils étaient exposés en Inde. Le 10 novembre, leur demande a été rejetée pour les raisons suivantes : ils n’étaient pas établis au Canada au point que cela justifie une dérogation à la règle selon laquelle les demandes doivent être présentées depuis l’étranger ; ils n’avaient pas démontré qu’ils étaient recherchés par les autorités indiennes ou que ces dernières s’intéresseraient à eux parce qu’ils avaient tenté d’obtenir l’asile ou pour toute autre raison.

4.9L’État partie fait valoir que les décisions concernant l’ERAR peuvent faire l’objet d’un contrôle, soumis à autorisation, par la Cour fédérale. Il est également possible de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue définitive de cette procédure. Le 22 septembre 2015, les requérants ont sollicité l’autorisation de saisir la Cour fédérale en vue du contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR. Ils devaient soumettre à la Cour fédérale au plus tard le 22 octobre 2015 les documents requis aux fins de l’examen de leur demande. Or, ils ne l’ont pas fait. La procédure n’est donc pas allée au-delà du dépôt de la demande.

4.10 Le 22 septembre 2015, les requérants ont également saisi la Cour fédérale d’une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans l’attente de l’examen de leur demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR. Ils ont produit, à l’appui de leur demande, une attestation et des observations écrites dans lesquelles ils expliquaient les risques auxquels ils se disaient exposés s’ils étaient renvoyés en Inde, et mentionnaient l’arrestation et l’agression présumées d’Avtar Singh. Les requérants étaient représentés par un conseil. Pour obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, les trois conditions suivantes doivent avoir été remplies : le requérant doit avoir soulevé une question importante à trancher par les voies judiciaires ; le requérant doit avoir montré qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé ; la prépondérance des inconvénients doit favoriser le requérant. Le 24 septembre 2015, un juge de la Cour fédérale a débouté les requérants de leur demande, estimant qu’il n’avait pas été établi qu’il y avait une question importante à trancher par les voies judiciaires ou que les requérants subiraient un préjudice irréparable si un sursis ne leur était pas accordé. Le juge a donc conclu que la prépondérance des inconvénients ne favorisait pas les requérants. À la suite de la décision de rejet rendue par la Section de la protection des réfugiés et du rejet de leur demande d’ERAR, les requérants sont tombés sous le coup d’une mesure de renvoi le 25 septembre 2015 ; ils ne se sont toutefois pas présentés à la date prévue du renvoi comme ils étaient tenus de le faire.

4.11Pour ce qui est du non-épuisement des recours internes, l’État partie dénonce un manque de diligence de la part des auteurs, qui n’ont pas effectué l’ensemble des démarches requises aux fins de l’examen de leur demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR. L’État partie affirme en outre que les auteurs n’ont pas davantage demandé le contrôle de la décision de rejet de leur demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Enfin, les auteurs n’ont pas demandé de sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi auprès d’un agent d’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada. Or, le contrôle judiciaire et les demandes de sursis administratif offrent un recours utile contre une décision de renvoi, et constituent des voies de recours qui doivent être épuisées par les auteurs aux fins de la recevabilité.

4.12 En cas d’issue favorable, la Cour fédérale peut ordonner le réexamen de la décision contestée. L’État partie renvoie aux constatations adoptées par le Comité concernant plusieurs communications, qui démontrent que, dans l’État partie, le contrôle judiciaire n’est pas une simple formalité et peut donner lieu à un examen au fond, dans les cas où cela se justifie. L’État partie renvoie à des constatations récentes dans lesquelles le Comité a estimé que, dans l’État partie, cette procédure ne consistait pas et ne devrait pas consister à soumettre à un examen au fond les décisions de renvoi de personnes courant un risque sérieux d’être soumises à la torture. L’État partie n’admet pas l’hypothèse selon laquelle son système national de contrôle judiciaire, en particulier sa Cour fédérale, n’offre pas de recours utile contre une décision de renvoi lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire que les requérants sont exposés à un risque important. Il affirme que le système actuel prévoit au contraire un examen au fond lorsque la question se pose de savoir : si l’agent appelé à se prononcer sur la demande a agi dans les limites de sa compétence, si les principes relatifs à l’équité de la procédure ont été respectés, si une erreur de fait a été commise, et si le responsable a fait une erreur de droit. En pareil cas, la Cour fédérale réexamine forcément les allégations du demandeur selon lesquelles celui-ci risquerait d’être torturé s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Lorsque la Cour fédérale constate qu’une erreur de droit a été commise ou lorsqu’elle conclut à une mauvaise appréciation des faits, elle accorde au demandeur une autorisation de contrôle judiciaire et a compétence pour annuler la décision rendue et renvoyer la demande devant un autre agent, qui sera chargé de la réexaminer conformément aux instructions que la Cour jugera bon de lui donner. La Cour fédérale n’hésite pas à intervenir si elle considère que la décision contestée résulte d’une erreur. L’État partie affirme en outre que les décisions rendues à l’issue du contrôle judiciaire, lesquelles reposent sur le principe de l’attitude raisonnable, sont conformes à l’approche adoptée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé que, s’il reposait sur ce principe, le contrôle judiciaire satisfaisait à l’obligation d’assurer un recours utile. La procédure de contrôle judiciaire constitue donc une voie de recours qui doit être épuisée aux fins de la recevabilité et les auteurs n’ont pas expliqué pourquoi ils ne l’avaient pas épuisée.

4.13L’État partie dit, en outre, que les auteurs étaient en droit de demander à la Cour fédérale l’autorisation d’introduire un recours en contrôle judiciaire de la décision de rejet de leur demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. En cas d’issue favorable, la Cour aurait ordonné le réexamen de la décision contestée. Pareille décision n’aurait pas entraîné de sursis automatique, mais les auteurs auraient pu, parallèlement à leur demande d’autorisation, présenter une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans l’attente que la Cour se prononce sur la demande d’autorisation. Les auteurs n’ont toutefois exercé ni l’un, ni l’autre de ces recours utiles et disponibles, et n’ont pas expliqué pourquoi ils ne l’avaient pas fait.

4.14Les auteurs disposaient également d’un autre recours, qu’ils n’ont pas exercé : ils auraient pu présenter une demande de sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada. Quiconque affirme pouvoir démontrer qu’il court un risque personnel au moyen de nouvelles preuves, c’est-à-dire de preuves qui n’ont pas déjà été examinées par un représentant des autorités nationales (par exemple, par l’agent de la Section de la protection des réfugiés ou par l’agent d’ERAR), peut déposer une demande de sursis auprès d’un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada. Bien que les agents d’exécution de l’Agence aient une marge de manœuvre limitée pour ce qui est de décider du moment du renvoi, la Cour d’appel fédérale de l’État partie a estimé qu’ils devaient surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi lorsque la personne visée démontrait l’existence d’un « risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain » apparu depuis la dernière évaluation des risques. Dans le cadre de l’examen d’une demande, l’agent d’exécution ne procède pas à une évaluation complète des allégations de risque. Il examine et évalue les preuves mettant en évidence l’existence d’un risque pour décider s’il est justifié de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi afin de pouvoir procéder à une évaluation complète des risques (c’est-à-dire à un nouvel ERAR). Les requérants ont fait valoir qu’ils ne s’étaient pas présentés le jour prévu du renvoi en raison du décès d’Avtar Singh et qu’ils estimaient que ce décès démontrait qu’ils courraient un risque en cas de renvoi en Inde ; or, ils n’ont pas invoqué ces arguments devant une instance nationale avant de saisir le Comité. En cas d’issue favorable, ce recours aurait pu leur permettre de bénéficier d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi dans l’attente de la réalisation d’une évaluation complète des risques. Dans le cas contraire, ils auraient pu présenter une demande de contrôle judiciaire assortie d’une demande de sursis dans l’attente de la décision de la Cour concernant la demande d’autorisation. Les requérants n’ont pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas exercé ce recours.

4.15L’État partie avance que de nouvelles preuves ont été produites et qu’en conséquence, la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Le Comité a estimé, à plusieurs occasions, que lorsque des éléments de preuve, tels que des pièces justificatives ou des attestations médicales, étaient produits une fois les procédures internes terminées, ces éléments de preuve devaient d’abord être soumis à un examen interne pour que les autorités nationales aient la possibilité d’en prendre connaissance. L’État partie fait valoir en outre qu’il appartient aux juridictions nationales, et non au Comité, d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée. Le Comité ne devrait donc pas fonder ses constatations sur des preuves que les auteurs n’ont pas produites dans le cadre des procédures utiles qu’il leur était possible d’engager au plan national, étant entendu que de telles procédures auraient été les voies de recours adéquates.

4.16L’État partie affirme que les requérants n’ont pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les allégations selon lesquelles, en cas de renvoi en Inde, ils courraient un risque réel et personnel tel que leur renvoi constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. La communication est donc manifestement dénuée de fondement et, par conséquent, elle est également irrecevable au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité.

4.17L’État partie fait valoir que, dans son observation générale no 1 (1997) concernant l’article 3, le Comité a déclaré qu’il appartenait aux auteurs de démontrer qu’ils seraient exposés à un risque personnel. Les motifs sur lesquels reposent de telles allégations ne doivent pas se limiter « à de simples supputations ou soupçons » (par. 6). Les allégations doivent être « suffisamment étayées et crédibles ». D’importantes incohérences dans les déclarations du requérant « peuvent avoir une incidence sur les délibérations du Comité quant à la question de savoir si le requérant risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays ». Selon l’observation générale no 1, l’existence de « preuves de la crédibilité de l’auteur » et la présence d’« incohérences factuelles dans ce que l’auteur affirme » doivent également être prises en compte (par. 8). L’État partie fait valoir également que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations et aux conclusions des responsables nationaux et qu’il n’appartient pas au Comité de réexaminer l’appréciation faite par les autorités nationales à moins qu’il ne soit manifeste que cette appréciation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice.

4.18L’État partie avance que les allégations des requérants ne justifient pas le réexamen des constatations et des conclusions des représentants des autorités nationales. Des représentants compétents et impartiaux des autorités nationales ont procédé à un examen approfondi des allégations de risque formulées par les requérants et conclu que ces derniers n’avaient pas étayé lesdites allégations. L’État partie ajoute que l’analyse des preuves et les conclusions auxquelles avaient abouti les responsables nationaux, en particulier la Section de la protection des réfugiés, étaient valables et fondées. Les auteurs n’ont pas donné d’exemple précis d’appréciation arbitraire ou de déni de justice mis en évidence dans les décisions des autorités nationales, lesquelles ne sont en réalité entachées d’aucune irrégularité.

4.19L’État partie affirme que les requérants n’ont pas produit d’attestation médicale suffisamment crédible et établie au moment des faits permettant de démontrer qu’ils avaient été torturés, transportés en ambulance et hospitalisés en 2010 et 2011, et que le premier requérant avait dû être opéré de l’abdomen, ainsi que celui-ci l’affirme dans la communication. Si tout cela était vrai, les récits des requérants seraient étayés par des preuves crédibles, qu’on leur aurait fournies pendant leur traitement. Au lieu de cela, ils ont produit, pour toute attestation médicale, une lettre chacun, datée du 19 décembre 2012, qui aurait été rédigée sur une feuille à l’en-tête de l’hôpital Satnam et signée de la main du docteur Gian Chand. Aucune de ces lettres n’indique si le docteur Chand a personnellement traité les auteurs. Il est précisé dans la lettre concernant le premier requérant que ce dernier a été blessé par des policiers ; il n’est pas indiqué, en revanche, si le deuxième requérant a informé le docteur Chand de l’origine de ses blessures présumées. Aucune des deux lettres n’indique que les blessures semblent être le résultat d’actes de torture ou si ces blessures cadrent avec les allégations de torture formulées par les requérants. En outre, il est précisé dans ces deux lettres qu’il s’agit de documents n’ayant pas vocation à être utilisés à des fins médico-légales, en d’autres termes, qu’il ne s’agit pas de documents juridiques (de déclarations sous serment) ; on ne saurait donc être certain de la véracité et de l’exactitude des renseignements contenus dans ces documents. Même si l’on admet la véracité et l’exactitude de ces renseignements, la lettre concernant le premier requérant ne corrobore pas les allégations selon lesquelles celui-ci aurait été opéré de l’abdomen par suite des blessures qui lui auraient été infligées le 24 décembre 2012. Quant à la lettre concernant le deuxième requérant, elle ne corrobore pas les allégations de l’intéressé, selon lesquelles il aurait été hospitalisé du 13 au 19 juillet 2015 (l’État partie suppose qu’il s’agit là d’une erreur typographique, puisque les requérants affirment que le fils a été hospitalisé en 2011). Il est en réalité indiqué dans la lettre que le fils a été hospitalisé pendant une journée.

4.20Pour ce qui est des photographies produites par les requérants qui montreraient les blessures qui auraient été causées à ceux-ci par des actes de torture, l’État partie fait valoir qu’aucune de ces photographies n’est datée et qu’on ignore qui les a prises et dans quelles circonstances. Enfin, le premier requérant affirme avoir été blessé de la même manière et avoir reçu le même traitement les deux fois où il dit avoir été torturé, ce qui est improbable.

4.21L’État partie affirme en outre que les requérants n’ont pas produit de preuves suffisamment crédibles et objectives pour étayer leurs allégations concernant Avtar Singh. La déclaration in articulo mortis n’est pas datée, elle n’a pas été écrite sous serment et en présence de témoins, et n’est pas certifiée ; rien ne permet donc d’authentifier ce document et son contenu, ni de déterminer la date à laquelle il a été établi et l’identité de son auteur. De la même manière, la lettre manuscrite qui aurait été rédigée par le docteur Kholi, dans laquelle celui-ci confirme avoir traité Avtar « Johal », n’a pas été écrite sous serment et en présence de témoins, et n’est pas certifiée. Rien ne permet d’authentifier son contenu, ni de déterminer l’identité de son auteur et rien ne permet d’affirmer qu’elle concerne Avtar Singh, le frère de l’épouse et mère des requérants. S’agissant du document présenté comme l’acte de décès d’Avtar Singh, qui s’accompagnait d’une traduction, son authentification pose également des difficultés puisque ce document est une copie de l’original. On peut y lire qu’il s’agit d’un extrait d’acte de décès original. Il ne comporte aucune information concernant le lien de parenté du défunt avec les requérants et les circonstances du décès ; il ne précise pas non plus si l’intéressé est décédé des suites de blessures infligées le 10 septembre 2015 ; enfin, on peut y lire que l’intéressé est décédé à Phillaur, une ville située à une trentaine de minutes en voiture de Johal, village natal d’Avtar Singh. L’État partie avance que les preuves apportées à l’appui des allégations concernant Avtar Singh ne sont pas suffisamment fiables pour étayer lesdites allégations et ne devraient pas être retenues par le Comité. Le fait que les requérants n’aient communiqué aucune information aux autorités de l’État partie concernant le décès d’Avtar Singh laisse supposer que ces renseignements ne sont pas crédibles et qu’ils ne devraient pas être pris en considération par le Comité.

4.22Compte tenu de ce qui précède, l’État partie avance que les requérants n’ont pas démontré, ne serait-ce qu’à première vue, qu’ils courraient un risque réel et personnel d’être torturés s’ils étaient renvoyés en Inde. Rien ne permet d’affirmer que les requérants ont un profil susceptible d’intéresser les autorités nationales ; cela signifie que les requérants auraient la possibilité de trouver refuge dans d’autres régions du pays et de se soustraire ainsi au risque de préjudice grave auquel ils pourraient être exposés. Les auteurs n’ont produit aucune preuve de nature à leur permettre de réfuter cette hypothèse.

4.23La communication est donc irrecevable pour les motifs susmentionnés. Si toutefois le Comité la jugeait recevable, en s’appuyant sur les faits et les observations ci-dessus, l’État partie avance qu’elle est dénuée de fondement, les auteurs n’ayant pas démontré qu’ils courraient un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Inde.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 3 juillet 2016, les requérants ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication.

5.2Comme suite à leurs observations du 4 octobre 2015 et du 25 février 2016, sur lesquelles ils continuent de s’appuyer, les requérants font valoir, une fois de plus, que les procédures juridiques en vigueur dans l’État partie n’offrent pas véritablement de garantie contre les violations de l’article 3 de la Convention. Il existe un risque important que des actes de torture soient infligés aux requérants, qui portent sur le corps des marques visibles de torture, dont ils ont produit des photographies couleur, accompagnées de lettres délivrées par des médecins confirmant qu’ils ont été traités pour des blessures résultant d’actes de torture. Ils font valoir en outre qu’ils ont soumis des documents attestant le risque auquel les sikhs sont exposés en Inde. Ils affirment que les sikhs restent victimes de brutalités et de torture de la part des agents de l’État dans différentes régions d’Inde. En réponse à l’observation de l’État partie selon laquelle seuls les militants de premier plan courent des risques, les requérants affirment une nouvelle fois que les individus soupçonnés d’être des criminels ou des insurgés sont également visés. Ils déclarent que l’État partie a écarté arbitrairement des éléments de preuve utiles, ce qui a constitué un déni de justice. Ils affirment que rien ne permet de mettre en doute les preuves produites à l’appui de leurs allégations.

5.3S’agissant de l’argument selon lequel ils ont la possibilité de trouver refuge à l’intérieur du pays, les requérants renvoient à la position du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui estime que lorsque les persécuteurs sont des agents de l’État, une telle possibilité est exclue. Le risque est partout. Si une personne s’installe dans une nouvelle région, elle doit en informer les autorités policières. En Inde, les personnes qui partent s’installer dans une nouvelle région, en particulier les personnes qui parlent le punjabi ou les sikhs, font l’objet d’une surveillance et d’un contrôle systématiques. Il n’y a pas de zone de sécurité en Inde et les autorités s’intéresseront de près aux requérants s’ils y retournent.

5.4Selon l’État partie, les requérants ont fait preuve d’un manque de diligence en n’effectuant pas l’ensemble des démarches requises aux fins du contrôle judiciaire, par la Cour fédérale, de la décision concernant l’ERAR ; en réponse à cet argument, les requérants font savoir que c’est en réalité leur avocat, qui avait pourtant perçu l’intégralité de ses honoraires, qui n’a pas effectué les démarches nécessaires.

5.5La première demande de résidence permanente déposée par les requérants pour des considérations d’ordre humanitaire a été rejetée le 10 novembre 2015. Les requérants ont déposé une nouvelle demande le 7 décembre 2015, mais le traitement d’une telle demande peut prendre quatre ans et la présentation d’une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire n’entraîne pas de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi sauf lorsqu’une approbation de principe est accordée à cette fin par le Ministère de la citoyenneté et de l’immigration. En tout état de cause, il est tenu compte, dans le cadre de cette procédure, des difficultés susceptibles d’être rencontrées par le demandeur ; cette procédure ne permet pas, en revanche, d’obtenir une exemption en cas de menace de torture.

5.6Les requérants ont donc épuisé toutes les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes. Pour ce qui est du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi qui pourrait leur être accordé par l’Agence des services frontaliers du Canada, cette mesure n’est ordonnée que dans des cas extrêmement rares si bien qu’une demande à cette fin doit être considérée comme un recours n’ayant aucune chance d’aboutir. S’agissant du sursis que pourrait leur accorder le Ministère de la citoyenneté et de l’immigration, et de la possibilité, pour les requérants, de présenter une demande de contrôle judiciaire et d’obtenir un sursis auprès de la Cour fédérale, les requérants confirment que ces voies de recours leur sont ouvertes, mais ils font valoir qu’elles sont très onéreuses, et qu’il est peu probable qu’elles leur donneraient satisfaction puisqu’elles n’ont que très peu de chances d’aboutir. Ils estiment donc être dispensés d’exercer ces recours, en application du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

5.7Les requérants affirment que s’ils n’ont pas apporté la preuve des actes de torture dont aurait été victime Avtar Singh et du décès de celui-ci devant les autorités nationales, c’est parce qu’ils ont saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR, assortie d’une demande de sursis, le 18 septembre 2015, par l’intermédiaire de leur ancien avocat, et ont été déboutés de ces demandes le 22 septembre 2015. Avtar Singh est décédé le 24 septembre 2015 en Inde des suites des blessures qui lui avaient été infligées en détention. Aucune voie de recours n’était donc disponible. Les requérants ont bien informé leur avocat des faits, mais celui-ci n’en a pas avisé les autorités. Ils communiquent ces informations au Comité de bonne foi. Ils font en outre observer que la cause du décès n’est habituellement pas précisée sur les actes de décès en Inde. Ils ajoutent que M. Avtar Singh se trouvait à trente minutes de voiture de son village au moment de sa mort parce qu’il avait été arrêté par la police de Phillaur et qu’à sa libération, il avait été conduit dans l’hôpital le plus proche pour y être soigné.

5.8Les requérants affirment une fois de plus qu’ils courraient un risque sérieux d’être torturés et tués s’ils étaient renvoyés en Inde et qu’en les renvoyant dans leur pays, l’État partie manquerait donc aux obligations mises à sa charge par l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’avait pas été examinée et n’était pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête est irrecevable au regard du paragraphe 5 b) de l’article 22 au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés puisque les requérants n’ont pas effectué les démarches nécessaires aux fins de l’examen de leur demande de contrôle judiciaire de la décision de rejet de leur demande d’ERAR, laquelle peut être assortie d’une demande de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi ; ils n’ont pas présenté de demande de contrôle judiciaire de la décision de rejet de leur demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire ; ils n’ont pas soumis aux autorités nationales les preuves de l’arrestation présumée d’Avtar Singh, des actes de torture dont il aurait été victime et de son décès, qui en aurait résulté. Plus particulièrement, les requérants n’ont pas exercé une voie de recours qui leur était ouverte en ne présentant pas de demande de sursis administratif sur la base de ces nouveaux éléments de preuve, demande qui est, elle aussi, susceptible de contrôle judiciaire en cas d’issue défavorable. L’État partie avance que, dans le cadre du contrôle judiciaire de ce type de décisions, la Cour s’attache notamment à déterminer si une erreur de fait a été commise, que cette procédure de contrôle constitue un recours utile, qu’elle repose sur un examen au fond et que, dans la pratique, la Cour ordonne le réexamen des décisions contestées pour les motifs susdits. Il affirme en outre que les requérants n’ont pas étayé les allégations selon lesquelles ils courraient personnellement le risque d’être torturés s’ils étaient renvoyés en Inde.

6.3Le Comité note que les requérants affirment n’avoir pas exercé les recours susmentionnés parce que leur ancien avocat, qui avait pourtant été mis au courant de l’évolution de la situation, n’avait pas fait le nécessaire. Il note également que les requérants font valoir qu’en tout état de cause, ces recours sont onéreux et ont peu de chances d’aboutir et de leur donner satisfaction et que, par conséquent, la communication devrait être déclarée recevable au titre de l’exception prévue par le paragraphe 5 b) de l’article 22. Ils affirment que les preuves produites démontrent manifestement l’existence d’un risque personnel et que, partant, leurs allégations sont étayées et recevables.

6.4Le Comité note que, d’après les requérants, les informations concernant les actes de torture dont aurait été victime Avtar Singh et le décès présumé de celui-ci sont « cruciales » en ce qu’elles permettent de démontrer que leur vie est menacée, mais il relève que les requérants n’ont pas porté ces informations à la connaissance des autorités judiciaires nationales, alors qu’ils ont eu la possibilité de le faire à la fois lorsqu’ils ont été invités à produire des documents à l’appui de leur demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR et lorsqu’ils ont présenté leur demande de sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi. Il note qu’il était fait état de l’arrestation de M. Singh dans une attestation jointe à la demande d’autorisation de contrôle judiciaire, datée du 18 septembre 2015, mais qu’aucune preuve du décès de M. Singh le 24 septembre 2015 n’a été présentée. Au moment des faits, les requérants n’ont pas non plus invoqué le décès de M. Singh pour expliquer leur crainte d’être renvoyés dans leur pays et leur absence le jour prévu du renvoi.

6.5Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que le contrôle judiciaire n’est pas une simple formalité et que la Cour fédérale peut procéder à un examen au fond dans les cas où cela se justifie. Il estime que de simples doutes quant à l’utilité d’un recours ne dispensent pas de l’obligation de s’en prévaloir. Il conclut que les requérants n’ont pas produit suffisamment d’éléments de nature à démontrer que le contrôle judiciaire de la décision concernant l’ERAR et la demande de sursis administratif n’auraient aucune chance d’aboutir en l’espèce et n’ont pas donné d’explication susceptible de justifier le fait qu’ils ne se sont pas prévalus de ces différentes possibilités. Il note en outre que les requérants n’ont pas indiqué qu’ils étaient représentés par un avocat commis d’office au moment des faits et rappelle sa jurisprudence dont il ressort que les erreurs commises par un avocat engagé à titre privé ne peuvent pas en principe être imputées à l’État partie.

6.6Par conséquent, le Comité estime, comme l’État partie, qu’en l’espèce, les requérants disposaient de recours utiles qu’ils n’ont pas épuisés. Compte tenu de cette conclusion, il considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ;

b)Que la présente décision sera communiquée aux requérants et à l’État partie.