Nations Unies

CED/C/MEX/FAI/1

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

6 septembre 2019

Français

Original : espagnol

Comité des disparitions forcées

Observations concernant les renseignements complémentaires soumis par le Mexique en application du paragraphe 4 de l’article 29 de la Convention *

Introduction

1.Le Comité accueille avec satisfaction les renseignements supplémentaires que le Mexique a communiqués dans les délais impartis en application du paragraphe 4 de l’article 29 de la Convention, renseignements demandés dans les observations finales concernant le rapport du Mexique qu’il a adoptées dans le cadre de l’examen fait au titre du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention. Il se félicite également du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pour donner suite aux observations finales (CED/C/MEX/CO/1).

A.Aspects positifs

2.Le Comité se félicite que l’État partie ait participé au dialogue concernant la suite donnée à ses recommandations et accueille avec satisfaction les renseignements complémentaires fournis dans ce cadre. Il prend note avec satisfaction des mesures législatives qui facilitent la mise en œuvre de la Convention, telles que l’adoption de la loi générale relative à la disparition forcée, aux cas de crimes de disparition commis par des particuliers et au Système national de recherche de personnes par l’État partie le 17 novembre 2017 et son entrée en vigueur le 16 janvier 2018. Il prend également note du dynamisme de la société civile, en insistant sur le rôle des victimes, et de l’institution nationale des droits de l’homme. Enfin, il relève avec satisfaction que l’État partie reconnaît que les demandes d’action en urgence et les demandes de mesures de protection adressées par le Comité, au titre de l’article 30 de la Convention, sont contraignantes et il relève que l’État partie a exprimé sa volonté de coopérer avec lui à l’avenir.

B.Application des recommandations du Comité et faits nouveaux survenus dans l’État partie

3.Le Comité regrette vivement que les disparitions restent généralisées dans une grande partie du territoire de l’État partie et que règnent l’impunité et la revictimisation. Il constate avec préoccupation qu’il n’existe toujours pas de données fiables sur les disparitions forcées, que peu de déclarations de culpabilité sont prononcées et que le nombre de cadavres non identifiés et de tombes clandestines présents sur l’ensemble du territoire de l’État partie continue de nécessiter une attention urgente qui fait défaut. Il constate que divers obstacles viennent s’opposer à la participation effective des victimes et de leurs organisations, en particulier à leur participation aux mécanismes de recherche et d’enquête, et que des problèmes structurels entravent l’accès à la vérité et à la justice et l’octroi d’une réparation complète. Enfin, il constate qu’il n’y a pas eu de réels progrès concernant la pleine mise en œuvre des recommandations qu’il a formulées dans ses observations finales (CED/C/MEX/CO/1).

Renseignements d’ordre général

Communications émanant de particuliers ou d’États

4.Le Comité constate que l’État partie continue d’examiner l’opportunité de reconnaître la compétence du Comité comme prévu aux articles 31 et 32 de la Convention.

5. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par.  14) et engage l ’ État partie à reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers ou d ’ États, en vertu des articles  31 et 32 de la Convention, en vue de renforcer le régime de protection contre les disparitions forcées prévu dans cet instrument.

Visites

6.Le Comité déplore que la demande de visite qu’il présente au titre de l’article 33 depuis 2013 demeure à l’examen.

7. Le Comité prie instamment l ’ État partie de donner son accord à la visite, de coopérer pour définir les modalités de la visite et de fournir les facilités nécessaires à l’accomplissement de cette visite, conformément au paragraphe 4 de l’article 33 de la Convention .

Application de la loi générale relative à la disparition forcée à tous les niveaux de l’État partie

8.Le Comité constate avec préoccupation que l’application de la loi générale laisse fortement à désirer car aucun règlement n’a été adopté et aucun organe de coordination n’a été chargé d’élaborer un plan de mise en œuvre, et relève que les dates et délais fixés dans la loi ne sont pas respectés et que la répartition des compétences au sein du système fédéral fait obstacle à la pleine application du texte. Il prend note également avec préoccupation de l’absence de garanties d’indépendance des institutions, du manque de ressources budgétaires, matérielles et humaines, et de l’absence de programme de formation portant expressément sur les disparitions forcées, la Convention et la loi générale. En outre, il prend note de l’existence du Conseil national des citoyens, mais demeure préoccupé par l’absence de garanties suffisantes pour assurer la participation effective des victimes et de leurs organisations à l’application de la loi générale et au suivi de celle-ci, ainsi que par l’absence d’instances similaires à l’échelon local.

9. Le Comité recommande à l ’État partie :

a) D ’ élaborer et d ’ adopter dès que possible un plan clair et complet assorti d ’ un calendrier précis en vue de l ’ application de la loi générale, et notamment du respect de toutes les obligations mises à la charge des instances fédérales et municipales et des États, et de veiller à ce que ce plan comporte des délais et des indi cateurs objectifs et mesurables ; d ’ élaborer et d ’ adopter également un plan de suivi et d ’ évaluation faisant intervenir les victimes de disparition et leur famille dans le cadre duquel seront régulièrement publiés des rapports sur les progrès réalisés dans la création et la mise en œuvre du cadre institutionnel établi par la loi générale et qui bénéficiera des ressources humaines et matérielles nécessaires à son exécution  ;

b) D ’ élaborer le règlement d ’ application de la loi générale et d ’ établir les instruments dont cette loi prévoit la création et qui ne sont pas encore constitués ou fonctionnels, et ce, dans le cadre d ’ un processus ouvert et participatif faisant intervenir les victimes et leurs organisations ;

c) D ’ évaluer de manière continue et transparente , et sur la base d ’ indicateurs fiables , la mesure dans laquelle la loi générale est appliquée au niveau national et au niveau des États fédérés ;

d) D ’ établir un mécanisme de coordination de l ’ application de la loi générale placé sous la direction du Ministère de l ’ intérieur et auquel tous les niveaux de l ’ État participent.

Définition et incrimination de la disparition forcée (art. 1 à 7)

Crime de disparition forcée

10.Le Comité relève que la loi générale incrimine la disparition forcée. Il est néanmoins préoccupé par le fait que les dispositions de l’article 34 ne sont pas exactement conformes à celles de l’article 3 de la Convention en ce qu’elles prévoient que, pour constituer une disparition forcée, la privation de liberté commise par des particuliers doit avoir eu pour objectif de dissimuler la victime, son sort ou le lieu où elle se trouve. Il est également préoccupé par le fait qu’en droit interne, la disparition forcée n’est pas qualifiée de crime contre l’humanité.

11. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures législatives qui s ’ imposent pour que la disparition commise par des particuliers soit incriminée conformément aux dispositions de l’article  3 de la Convention et que la disparition forcée soit également qualifiée de crime contre l ’ humanité.

Responsabilité pénale du supérieur hiérarchique

12.Le Comité prend note de l’article 29 de la loi générale. Il constate néanmoins que cette disposition ne couvre pas expressément tous les cas de figure envisagés à l’article 6 de la Convention. En outre, il ne sait pas si ces cas de figure sont envisagés dans une autre loi, ni si, le cas échéant, la loi en question peut être ou a déjà été appliquée.

13. Le Comité recommande à l ’ État partie  :

a) D ’ adopter les mesures législatives nécessaires pour que la loi prévoie expressément l ’ engagement de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique selon les termes du paragraphe  1 b) de l ’article  6 de la Convention  ;

b) De veiller à ce que tous les modes de perpétration et de participation à la perpétration du crime de disparition, y compris la perpétration indirecte, soient reconnus et donnent lieu à des enquêtes , à de s poursuites et à des sanctions ;

c) De prendre les mesures qui s ’ imposent pour dispenser au personnel judiciaire une formation sur tous les modes de perpétration et de participation prévus par la Convention.

Responsabilité pénale et coopération judiciaire en matière de disparition forcée (art. 8 à 15)

Compétence des tribunaux militaires

14.Le Comité relève que l’article 26 de la loi générale est conforme à la Convention. Toutefois, il constate avec préoccupation que le Code de justice militaire n’a pas été modifié en ce sens.

15. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 26) et demande instamment à l ’ État partie de faire en sorte que, dans la pratique, la disparition forcée soit systématiquement et expressément exclue de la compétence des tribunaux militaires et que seules les autorités civiles compétentes puissent enquêter sur ce crime et le juger, même lorsqu ’ il est commis par un militaire contre un autre, conformément à l ’article  26 de la loi générale.

Recherche des personnes disparues et enquêtes

Registre des personnes soumises à la disparition

16.Le Comité prend note de la constitution de la Commission nationale de recherche, de l’établissement du registre national des personnes disparues et non localisées et de la création du groupe de travail chargé de développer le système informatique et technologique unique. Il est néanmoins préoccupé par le retard pris dans la mise en place du Système national de recherche, et en particulier dans l’établissement des registres et du système d’information unique prévus par la loi générale, ainsi que par le fait que les organisations de la société civile et les victimes sont rarement consultées et ne participent guère au processus, l’absence de données ventilées fiables, le fait que les victimes ne sont pas consultées préalablement à la publication des informations, l’insuffisance des ressources financières fournies et le manque de personnel approprié.

17. Le Comité réitère l a recommandation qu’il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par.  18) et engage vivement l ’ État partie à mettre en place dès que possible les registres et mécanismes prévus par la loi générale, notamment le R egistre national des personnes décédées non identifiées et non réclamées, la B anque nationale de données médico-légales, le R egistre national des sépultures et le système informatique et technologique unique ; à faire participer les familles et les organisations de la société civile à l ’ établissement de ces instruments et au suivi de l ’ action menée ; à renforcer la coordination entre les entités chargées de gérer et d ’ alimenter les registres ; à veiller à ce que les données existantes soient rapidement incorporées dans les nouveaux registres. Tous ces registres doivent répondre aux normes de sécurité et garantir l’authenticité, la confidentialité, l’exhaustivité, la disponibilité, la traçabilité et la sauvegarde des renseignements qui y figurent. En outre, le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre les progrès accomplis en ce qui concerne la collecte de données sur les disparitions survenues dans l’État partie et l’accès à ces données , y compris  :

a) Des données ventilées notamment par âge, sexe, situation socio économique et origine nationale ou ethnique de la personne disparue , et lieu où la disparition s ’est produite ;

b) Des données sur les signalements de disparitions et les mesures prises pour rechercher immédi atement les personnes disparues ;

c) Des données sur la localisation des personnes disparues et la localisation, l ’ identification et la restitution des restes humains.

Recherche des personnes disparues

18.Le Comité prend note avec satisfaction des mécanismes et outils de recherche prévus par la nouvelle loi générale, en particulier la Commission nationale de recherche et ses équivalents au niveau des États fédérés. Toutefois, le Comité est préoccupé par les lacunes telles que la mise en œuvre tardive du Système national de recherche, la participation limitée des organisations de la société civile et des associations de victimes, le manque de données fiables et ventilées, les besoins de financement, les insuffisances et les retards injustifiés dans la recherche immédiate et l’identification, l’absence de perspective de genre, ainsi que la publication d’informations sans consultation préalable avec les victimes.

19. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par.  41) et invite instamment l ’État partie à :

a) Assurer la bonne mise en marche de l ’ ensemble du S ystème national de recherche, y compris de tous les registres et outi ls prévus par la loi générale ;

b) Doter la Commission nationale de recherche de tous les outils, du personnel approprié , dûment formé, et d ’ un budget suffisant pour g arantir son bon fonctionnement ;

c) Élaborer et édicter dès que possible le Programme national de recherche et le Programme national d ’ exhumation et d ’ identification conformément aux normes int ernationales les plus élevées ;

d) Harmoniser les lois locales avec la nouvelle loi générale afin que celle-ci soit correctement appliquée et créer toutes les commissions locales de recherche prévues , en les dotant du personnel approprié et d ’ un budget suffisant pour garantir leur bon fonctionnement ;

e) Garantir la participation effective des victimes et de leurs représentants, ainsi que des organisations de la société civile et d ’ autres entités spécialisées, à tous les processus d ’ application de la nouvelle loi générale et garantir aux familles des processus d ’ information accessibles, respectueux, culturellement acce ptables et non revictimisants ;

f) Veiller à ce que les procédures de recherche donnent la priorité à des activités qui permettent de localiser les personnes disparues lorsqu ’ elles sont encore en vie et d ’ obtenir leur libération  ;

g) Faire en sorte que les agents de l ’ État n ’ omettent pas de lancer immédiatement des procédures de recherche, enquêter sur l ’ absence de procédures de recherche et sanctionner les agents qui n ’ ont rien fait  ;

h) Veiller à ce que toutes les autorités qui possèdent des informations utiles pour les recherches les communiquent rapidement, et dans leur intégralité, aux commissions de recherche.

Médecine légale d’urgence

20.Le Comité prend note de l’existence du Groupe de travail sur l’identification des restes humains. Il est cependant profondément préoccupé par l’insuffisance des services médico-légaux dans l’État partie pour répondre aux besoins dans le cadre des procédures de recherche, d’enquête, d’exhumation et d’identification et pour faire face au nombre croissant de personnes portées disparues, aux milliers de cadavres et de restes osseux à identifier et aux fosses communes et clandestines qui continuent d’être découvertes dans différentes parties du territoire.

21. Le Comité exhorte l ’État partie à :

a) Veiller à ce qu ’en cas d e décès, la récupération, l ’ identification, le signalement et la restitution des restes des personnes disparues à leur famille se fassent dans la rigueur scientifique, la dignité et le respect, conformément aux normes les plus élevées en la matière ;

b) Renforcer les services médico-légaux et les services d ’ experts en créant un mécanisme international d ’ assistance technique médico-légale en collaboration avec les victimes, les organisations spécialisées et d ’ autres entités compétentes afin de procéder d ’ urgence au traitement médico-légal des milliers de cadavres et de restes osseux non identifiés  ;

c) Réformer les institutions médico-légales et spécialisées de l ’ État partie, notamment en créant une institution nationale spécialisée et autonome qui soit dotée de professionnels et tenue de rendre des comptes, notamment dans le cadre d’un système de contrôle de la qualité .

Disparitions de migrants

22.Le Comité prend note des mesures que l’État partie a prises en ce qui concerne l’Unité d’enquête sur les infractions liées aux migrants, la création d’un mandat légal pour le Mécanisme mexicain d’appui externe en matière de recherche et d’enquête, les bonnes pratiques concernant la Commission de médecine légale et l’adoption de mesures de réparation dans des affaires de migrants disparus. Il est toutefois préoccupé par l’extrême vulnérabilité des migrants dans l’État partie. Il relève avec inquiétude l’insuffisance des mesures prises pour garantir la prévention des infractions et la recherche des victimes, ainsi que l’accès à la vérité, à la justice et à la réparation pour les migrants disparus et les membres de leur famille.

23. Le Comité recommande à l ’ État partie, en coopération avec les pays d ’ origine et de destination et avec la participation des vic times et de la société civile :

a) De redoubler d’efforts pour garantir l ’ échange rapide de toutes les informations utiles entre l ’ État partie et les autres pays concernés, principalement l es pays d ’ Amérique centrale, y compris des données relatives à l ’ enregistrement des migrants disparus dans l ’ État partie et le croisement des bases de donn ées ante mortem −  post ‑ mortem ;

b) De garantir la continuité des travaux de la Commission de médecine légale, d ’en élargir le mandat et d ’ e n reproduire l es bonnes pratiques en vue de renforcer les mesures d ’ identification et de restitution des dépouilles ;

c) De veiller à ce que l ’ application de la loi générale, y compris les instruments qui en découlent, fasse l ’ objet d ’ une approche spéciale et différenciée en fonction des affaires liées aux migrants disparus ;

d) De garantir le bon fonctionnement, grâce à l ’ adoption de directives et à la mise à disposition d’un personnel approprié et de ressources matérielles suffisantes, de l ’ Unité d ’ enquête sur les infrac tions liées aux migrants et du M écanisme mexicain d ’ appui externe en matière de recherche et d ’ enquête, y compris l ’ affectation spécifique et permanente de personnel spécialisé dans les représentations de l ’ État partie dans les pays concernés ;

e) D e garantir la participation et la coordination au sein du M écanisme mexicain d ’ appui externe en matière de recherche et d ’ enquête de toutes les institutions nécessaires à son bon fonctionnement, y compris de la Commission exécutive d ’ aide aux victimes, de la Commission nationale des droits de l ’ homme et de l ’ In stitut national des migrations ;

f) De garantir la participation adéquate des victimes et de leurs représentants aux activités de recherche et d ’ enquête, et, à cette fin, la délivrance rapide de visas humanitaires d’une durée optimale afin d’en garantir l’utilité .

Enquêtes sur les cas de disparition forcée

24.Le Comité prend note de la création, en 2015, du Parquet spécialisé dans la recherche de personnes disparues, qui a été remplacé en février 2018 par le Parquet spécialisé dans les enquêtes sur les crimes de disparition forcée. Il prend également note de l’adoption du Protocole homologué d’enquête sur les crimes de disparition forcée. Toutefois, il relève de graves lacunes dans les enquêtes sur les disparitions forcées, notamment le manque d’autonomie, le retard dans la conduite des enquêtes de base, l’absence d’enquêtes sur le terrain, l’absence de preuves scientifiques, la fragmentation des enquêtes et l’absence générale d’une stratégie d’enquête globale, le suivi dans le cadre des enquêtes d’hypothèses non fondées reposant sur des préjugés et des stéréotypes concernant les personnes disparues, le rejet automatique des cas de disparition forcée temporaire, ainsi que l’absence de garanties excluant d’infliger la torture et autres mauvais traitements dans le but d’obtenir des éléments de preuve. Il relève avec une profonde préoccupation que ces lacunes contribuent à l’impunité qui règne dans l’État partie, comme en témoigne le petit nombre d’inculpations et de jugements par rapport au grand nombre de personnes disparues.

25. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par.  28) selon laquelle l ’ État partie devrait garantir le droit à la justice et à la vérité, et, à cette fin :

a) Faire avancer la création d’un Bureau du Procureur général de la République qui soit autonome et indépendant ;

b) Mener immédiatement des enquê tes approfondies et impartiales ;

c ) Garantir la participation effective à l ’ enquête des proches de la personne disparue et de leurs représentants, sans que cela n ’ entraîne pour eux de frais de procédure  ;

d ) Veiller à ce que les forces de l ’ ordre ou de sécurité, civiles ou militaires, dont les membres sont soupçonnés d ’ être les auteurs d ’ une disparition forcée ne participent pas à l ’ enquête et n ’ aient aucune possibilité d ’influencer celle-ci ;

e ) Continuer à renforcer le Protocole homologué d ’ enquête sur les crimes de disparition forcée ou disparition commise par des particuliers, en tenant compte des contributions des victimes, des défenseurs des droits de l ’ homme , des organes de défense des droits de l’homme et de toutes les autorités participant aux procédures d ’enquête et de recherche ;

f ) Veiller à ce que, lorsqu ’ il existe des motifs raisonnables de croire qu ’ une personne a disparu à l ’ occasion de la commission d ’ une infraction, l’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir d’une disparition forcée ou d’une disparition commise par des particuliers ne soit pas écartée , indépendamment du fait que d ’ autres infractions puissent également donner lieu à une enquête ;

g ) Mettre en place des stratégies d’enquête globale sur les cas de disparition, afin d’éviter la fragmentation des enquêtes, de procéder à une analyse du contexte, de cerner les tendances, de définir et de suivre toutes les hypothèses et pistes d’enquête possibles, y compris l’implication d’acteurs étatiques, et d’en assurer le suivi ;

h ) Enquêter sur les chaînes de commandement possibles, les personnes moralement responsables et les autres formes de respon sabilité et de participation, y  compris toutes celles visées à l ’ article  6 de la Convention ;

i ) Enquêter efficacement sur tout cas de disparition forcée , quelle que soit sa durée  ;

j ) Fournir le personnel approprié et des ressources matérielles suffisantes au P arquet spécialisé dans les enquêtes sur les crimes de disparition forcée et aux parquets locaux spécialisés afin de garantir leur bon fonctionnement, en particulier du personnel dûment formé, qui soit régulièrement évalué sur la base des résultats obtenus, qui ait une vision stratégique du phénomène aux niveaux national et transnational, qui privilégie les activités de recherche et qui travaille de manière concertée avec les autres organismes compétents, en particulier la Commission nationale et les com missions locales de recherche ;

k) Garantir la collecte et l ’ accessibilité des données sur les enquêtes en cours et les enquêtes achevées, le nombre d ’ affaires ayant abouti à une condamnation définitive, le comportement délictueux sanctionné et le statut de la personne sanctionnée (par exemple s ’ il s ’ agit d ’ un agent de l ’ État) et la durée des peines.

Protection des personnes qui signalent une disparition forcée ou participent à l’enquêtesur une disparition forcée

26.La loi générale reconnaît certes le droit des victimes de demander une protection, mais le Comité relève avec préoccupation que des victimes et des défenseurs des droits de l’homme font toujours l’objet d’actes d’intimidation, de stigmatisation et d’agression, actes pour lesquels aucune enquête ni sanction n’est garantie.

27. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 31 ) et recommande à l ’État partie :

a) D e garantir le respect effectif de l ’ obligation de protection durant les opérations de recherche, en particulier celles sur le terrain, grâce à des mécanismes s pécialement conçus à cette fin ;

b) De renforcer le mécanisme de protection des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes en veillant à ce qu ’ il dispose d ’ un personnel suffisamment formé pour mett r e en œuvre ses activités, d ’ un budget et d ’ une capacité juridique suffisante pour que ses décisions soient effectivement appliquées par to utes les autorités compétentes ;

c) De pre ndre des mesures appropriées, y  compris de mener des campagnes de sensibilisation, pour prévenir et sanctionner les actes qui incriminent, intimident ou stigmatisent les personnes disparues, les membres de leur famille ou les défenseurs des droits de l ’ homme qui les accompagnent ;

d) D ’ enquêter sur les cas d ’ agression visant des survivants de disparitions, des membres de la famille de personnes disparues, des témoins, des défenseurs des droits de l ’ homme, des journalistes , des experts et des fonctionnaires qui travaill e nt dans le domaine des disparitions, et de sanctionner leurs auteurs.

Disparitions forcées survenues pendant la période dite de la « sale guerre »

28.Le Comité prend note de certaines mesures que l’État partie a prises à titre ponctuel pour octroyer une réparation aux victimes de disparition forcée pendant la période dite de la « sale guerre ». Il constate cependant avec préoccupation qu’il n’y a pas eu de progrès en ce qui concerne l’enquête sur ces affaires, la recherche des personnes disparues et la réparation intégrale de toutes les victimes.

29. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 33) et recommande à l ’ État partie :

a) De garantir que les personnes disparues seront immédiatement et efficacement recherchées en créant et en mettant en place un mécanisme de recherche spéci alisé , auquel participent effectivement les proches des personnes disparues  ;

b) De garantir que tous les plans administratifs relatifs à la réparation intégrale prévoient la consultation et la participation des victimes et de leurs représentants, ainsi que des organisations des droits de l’homme, et que ces plans sont conçus et exécutés dans les plus brefs délais, compte tenu du temps écoulé et de l’âge avancé des membres des familles concernés.

Mesures de prévention des disparitions forcées (art. 16 à 23)

Registre des personnes privées de liberté

30.Le Comité prend note des mesures prises par l’État partie pour centraliser les informations recueillies dans les centres fédéraux de détention pénale. Il est néanmoins préoccupé par l’absence d’informations au sujet de l’état des autres registres de détention, notamment les registres locaux et les registres administratifs.

31. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 35) et prie instamment l ’ État partie :

a) De garantir l’accès immédiat à tous les registres de détention et de privation de liberté à toute autorité compétente, en particulier aux commissions de recherche ;

b) D’établir un registre unique pour toutes les personnes privées de liberté qui soit complet, fiable, à jour et confidentiel et dont la tenue soit contrôlée de manière à pouvoir garantir la véracité des renseignements qui y figurent ;

c) De contrôler effectivement l’enregistrement des personnes privées de liberté dans les institutions privées, telles que les hôpitaux, les établissements psychiatriques, les centres de jour, les centres de désintoxication et de réadaptation pour les usagers de drogues, et les établissements d’aide et de protection de remplacement pour les enfants, les adolescents et les adultes handicapés. Il convient notamment de recenser ces lieux et d’enregistrer les personnes qui y séjournent.

Formation relative à la Convention

32.Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie au sujet de la formation des agents de l’État, y compris des forces militaires, au contenu de la Convention. Il constate néanmoins avec préoccupation que ces renseignements ne concernent que quelques autorités fédérales.

33. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 37) en ce qu’il recommande à l’État partie qu’il adopte les mesures nécessaires pour veiller à ce que, au niveau de l’État fédéral comme au niveau des États fédérés et des municipalités, le personnel militaire ou civil chargé de l’application des lois, le personnel médical, les agents de la fonction publique et autres personnes qui peuvent intervenir dans la garde ou le traitement de toute personne privée de liberté, y compris les juges, les procureurs et autres fonctionnaires chargés de l’administration de la justice, reçoivent une formation appropriée et régulière concernant les dispositions de la Convention, conformément à l’article 23 dudit instrument. Ces mesures doivent s’inscrire dans le processus d’amélioration des institutions et être conçues et mises en œuvre au moyen de méthodes adéquates. En outre, elles doivent être évaluées afin d’établir leurs effets à moyen et long terme sur les agissements des personnes visées au paragraphe 1 de l’article 23 de la Convention.

Sécurité publique

34.Le Comité prend note avec préoccupation du rôle octroyé aux forces militaires dans des fonctions de sécurité publique sur la plupart du territoire de l’État partie, de la militarisation croissante des autorités civiles chargées de faire appliquer la loi et des effets que cette tendance pourrait avoir sur l’augmentation des cas de disparition forcée et sur l’impunité.

35. Le Comité prie instamment l’État partie de renforcer les forces civiles de maintien de l’ordre et d’établir un plan de retrait progressif, ordonné et mesurable des forces militaires dans des fonctions de sécurité publique. Il lui recommande d’adopter un cadre normatif qui régisse l’utilisation de la force par les agents des forces de l’ordre et qui soit compatible avec le droit international des droits de l’homme et les normes internationales.

Mesures de réparation et mesures de protection des enfants contre la disparition forcée (art. 24 et 25)

Droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé rapidement, équitablement et de manière adéquate

36.Le Comité prend note des efforts engagés par l’État partie pour mettre en œuvre la loi générale relative aux victimes, notamment des règles de fonctionnement des différents fonds et du fait que l’État partie s’intéresse à l’élimination des obstacles administratifs à une réparation effective. Il se dit néanmoins préoccupé par la question de la pleine application de cette loi générale, principalement dans les États fédérés. Il est également préoccupé par l’absence de garanties concernant l’exercice des droits à la vérité, à la justice et à la réparation, sachant que l’octroi de réparations complètes et adaptées n’est pasgaranti.

37. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 39) et recommande à l’État partie :

a) De continuer à renforcer la Commission exécutive d’aide aux victimes en la dotant du personnel approprié et des ressources matérielles suffisantes pour garantir son bon fonctionnement ;

b) De redoubler d’efforts pour faciliter l’accès au Registre national des victimes et aux différents dispositifs d’aide naissants, y compris pour les victimes qui résident à l’étranger ;

c) D’harmoniser les législations locales avec la loi générale relative aux victimes afin que celle-ci soit correctement appliquée et de créer toutes les commissions d’aide aux victimes dans tous les États fédérés, en les dotant du personnel approprié et des ressources matérielles suffisantes et adaptées pour garantir son bon fonctionnement ;

d) De garantir l’égalité effective en matière d’accès aux droits relatifs à la réparation et à l’aide accordées aux victimes de disparition, que l’instance compétente soit fédérale ou fédérée, et qu’un organe national, régional ou international des droits de l’homme ait prononcé une condamnation ou rendu une décision définitive, ou non.

Situation légale des personnes disparues dont le sort n’a pas été élucidé et de leurs proches

38.Le Comité prend note des nouvelles mesures législatives que l’État partie a prises au sujet de la déclaration spéciale d’absence pour personne disparue, aussi bien dans la nouvelle loi générale que dans la loi fédérale relative à cette déclaration spéciale. Il constate cependant avec préoccupation que cette dernière ne peut pas être directement appliquée dans les entités fédérées et qu’il n’y a pas d’harmonisation de la législation à cette fin.

39. Le Comité réitère la recommandation qu ’ il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 43) en ce qu’il recommande à l’État partie de faire en sorte que la situation légale des personnes disparues dont le sort n’est pas élucidé et de leurs proches soit régie de manière appropriée à l’échelle nationale. Ainsi, il prie instamment l’État partie de prendre les mesures nécessaires pour que les dispositions relatives à la déclaration d’absence qui figurent dans la loi générale soient appliquées sur l’ensemble du territoire et que toutes les autorités soient tenues de les appliquer, ce qui garantirait une protection pleine et entière de la situation juridique et du patrimoine des personnes disparues et de leur famille.

Législation relative à la soustraction d’enfants

40.Le Comité prend note de la récente loi générale relative à la disparition forcée qui intègre des infractions spécifiques liées à la soustraction d’enfants. Il constate néanmoins avec préoccupation que cette loi ne prévoit ces infractions que pour les enfants nés pendant la période au cours de laquelle la privation de liberté a été occultée et qu’elle ne prévoit pas les deux premiers cas de figure énoncés au paragraphe 1 a) de l’article 25 de la Convention, à savoir « [l]a soustraction d’enfants soumis à une disparition forcée ou dont le père, la mère ou le représentant légal sont soumis à une disparition forcée ».

41. Le Comité réitère la recommandation qu’il a précédemment formulée (CED/C/MEX/CO/1, par. 45) en ce qu’il prie instamment l’État partie d’harmoniser la législation nationale avec le paragraphe 1 de l’article 25 de la Convention.

Conséquences des disparitions pour les femmes, les enfants et les adolescents

42.Le Comité prend note avec préoccupation des conséquences que les disparitions survenues dans l’État partie ont pour les femmes, les enfants et les adolescents. Il est également préoccupé par les effets préjudiciables que les stéréotypes sexistes et la discrimination dont les autorités font preuve à l’égard des femmes ont sur les enquêtes, celles-ci piétinant ou étant abandonnées.

43. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De garantir que les enfants et adolescents dont on ignore le sort soient immédiatement et efficacement recherchés ;

b) De mettre en place des mesures spéciales et prioritaires d’aide aux enfants de famille de personnes disparues, en respectant le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et en leur apportant la prise en charge psychosociale nécessaire ;

c) D’adopter des mesures spéciales de protection de l’enfance et de l’adolescence, et d’utiliser au mieux les dispositions de la loi générale qui visent à combattre la disparition d’enfants et d’adolescents ;

d) De garantir l’intégration des questions de genre dans les enquêtes menées sur la disparition de filles et de femmes, en mettant particulièrement l’accent sur la formulation d’hypothèses et de pistes d’enquête tenant compte des éventuelles motivations liées aux questions de genre.

C.Actions en urgence et mesures de protection

Procédure d’action en urgence

44.Le Comité constate que l’État partie a manifesté sa volonté de fournir des renseignements dans le cadre des procédures d’action en urgence et de donner suite aux recommandations relatives à la procédure visée à l’article 30 de la Convention. Il relève néanmoins avec préoccupation que les agents de l’État chargés de rechercher les personnes disparues et d’enquêter sur ces affaires ne connaissent ni cette procédure ni les recommandations formulées dans ce cadre, que la mise en œuvre de mesures urgentes prend du retard, que la coordination entre entités et autorités aux niveaux de l’État fédéral, des municipalités et des États fédérés est insuffisante et qu’il n’existe pas de mécanisme efficace garantissant l’application et le contrôle de ces mesures, y compris au sein des autorités locales compétentes.

45. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D’établir un mécanisme chargé de mettre en œuvre les mesures urgentes et d’en assurer le suivi et l’évaluation qui garantira la coordination entre les autorités des trois niveaux, la recherche immédiate des personnes disparues et la participation des victimes et de leurs organisations ;

b) D’établir dans les meilleurs délais un mécanisme garantissant que les recommandations du Comité sont communiquées aux autorités de l’État fédéral, des États fédérés et des municipalités chargées des recherches et des enquêtes.

D.Diffusion et suivi

46.Le Comité tient à rappeler les obligations auxquelles les États ont souscrit en ratifiant la Convention et, à ce propos, engage l’État partie à veiller à ce que toutes les mesures qu’il adopte, quelles que soient leur nature et l’autorité dont elles émanent, soient pleinement conformes aux obligations qu’il a acceptées en ratifiant la Convention et d’autres instruments internationaux pertinents. À cet égard, il engage tout particulièrement l’État partie à garantir la conduite d’une enquête efficace sur toutes les disparitions forcées et la pleine satisfaction des droits des victimes tels qu’ils sont consacrés par la Convention.

47.Le Comité tient également à souligner l’effet particulièrement cruel qu’ont les disparitions forcées sur les droits fondamentaux des femmes et des enfants qui en sont victimes. Les femmes soumises à une disparition forcée sont particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et à d’autres formes de violence sexiste. Les femmes parentes d’une personne disparue sont particulièrement susceptibles d’être gravement défavorisées sur les plans économique et social, et de subir des violences, des persécutions et des représailles du fait des efforts qu’elles déploient pour localiser leur proche. Les enfants victimes de disparition forcée, qu’ils y soient eux-mêmes soumis ou qu’ils subissent les conséquences de la disparition d’un membre de leur famille, sont particulièrement exposés à de multiples violations des droits de l’homme, notamment la substitution d’identité. C’est pourquoi le Comité insiste sur la nécessité, pour l’État partie, de tenir compte des questions de genre et de la sensibilité des enfants dans le cadre de la réalisation des droits et du respect des obligations qui découlent de la Convention.

48.L’État partie est invité à diffuser largement la Convention, les renseignements supplémentaires qu’il a soumis en application du paragraphe 4 de l’article 29 de la Convention et les présentes observations, en vue de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile et les organisations non gouvernementales qui sont actives dans l’État partie, ainsi que le grand public. De manière plus générale, le Comité invite l’État partie à établir un mécanisme national de suivi de la mise en œuvre des recommandations formulées par les mécanismes internationaux des droits de l’homme garantissant une large participation de toutes les parties intéressées, en particulier des victimes et de leurs organisations.

49.En application du paragraphe 4 de l’article 29 de la Convention, le Comité demande à l’État partie de lui soumettre, au plus tard le 16 novembre 2021, des informations précises et actualisées sur la mise en œuvre des présentes recommandations, ainsi que tous renseignements nouveaux concernant l’exécution des obligations découlant de la Convention, dans un document conforme aux prescriptions énoncées au paragraphe 39 des Directives concernant la forme et le contenu des rapports que les États parties doivent soumettre en application de l’article 29 de la Convention (CED/C/2). Il encourage l’État partie à promouvoir et à faciliter la participation de la société civile, en particulier les associations de familles de victimes, à la compilation de ces informations.