Nations Unies

CED/C/MEX/VR/1 (Recommendations)

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

16 mai 2022

Français

Original : espagnol

Anglais, espagnol et français seulement

Comité des disparitions forcées

Rapport du Comité des disparitions forcées sur la visite qu’il a effectuée au Mexique en application de l’article 33 de la Convention * , ** , ***

Observations et recommandations (art. 33, par. 5)

I.Objectifs à inscrire au rang des priorités de la politique nationale visant à prévenir et faire cesser les disparitions forcées

1.Le Comité considère que l’État partie doit non seulement créer les conditions minimales pour que la politique nationale visant à prévenir et faire cesser les disparitions forcées soit effective et efficace, mais aussi adopter une série de mesures propres à faciliter la réalisation des objectifs suivants : a) renforcer les services et procédures de recherche et d’enquête ; b) assurer une coordination interinstitutionnelle systématique et efficace ; c) lever les obstacles qui empêchent d’engager des poursuites en cas de disparition forcée ; d) traiter comme il se doit les disparitions survenues dans le contexte de la migration ; e) faciliter les procédures de recherche, d’enquête et de réparation ainsi que la préservation de la mémoire collective concernant les cas anciens ; f) faire face à la crise médico-légale ; g) faciliter l’accès aux activités de recherche, à la vérité, à la justice et aux mesures de réparation fondées sur une approche différenciée ; h) reconnaître le rôle des victimes et répondre comme il se doit à leurs besoins en matière de prise en charge et de protection ; i) protéger les fonctionnaires qui participent aux recherches et aux enquêtes ; j) combler les lacunes des registres afin d’établir des stratégies efficaces en vue de prévenir et faire cesser les disparitions forcées.

A.Renforcer les services et procédures de recherche et d’enquête

2.Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré la création d’un cadre institutionnel et normatif global, les procédures de recherche et d’enquête continuent de présenter certaines lacunes qui avaient déjà été signalées dans les observations finales et dans les demandes d’action en urgence. Une telle situation s’explique par l’absence de stratégie globale de conduite des recherches et des enquêtes, bien que les protocoles homologués contiennent des instructions incitant à adopter une telle démarche.

3.D’une manière générale, les victimes interrogées pendant la visite ont fait part de leur préoccupation et de leur frustration face aux retards injustifiables pris dans la conduite des enquêtes. Elles ont signalé qu’en cas de dépôt de plainte, certaines autorités continuaient d’observer un délai de soixante-douze heures avant d’agir, qui empêchait de déclencher immédiatement les activités de recherche de la personne disparue. Elles ont apporté de nombreuses preuves d’inaction dans les procédures de recherche et d’enquête liées à leur propre situation, que la disparition soit ancienne ou récente. Ces pratiques permettent aux auteurs de jouir de l’impunité et font indûment peser sur les proches des victimes la charge de mener des recherches et des enquêtes, de rassembler les éléments de preuve, de retrouver des témoins, de tenir à jour le registre des personnes disparues et de fouiller des fosses communes et autres lieux d’inhumation clandestins.

4.En ce qui concerne les recherches, il convient de souligner la création, au niveau fédéral, de la Commission nationale de recherche et, au niveau des entités fédérées, de commissions locales. Toutefois, le Comité regrette que, malgré les efforts de l’État partie, il est fréquent que la Commission nationale et les commissions locales ne disposent pas des ressources nécessaires à leur fonctionnement. À quelques exceptions près, les congrès des États sont tenus de verser au Secrétariat du Gouvernement les crédits inscrits au budget de l’État en question. Le Secrétariat du Gouvernement reverse ces crédits aux commissions locales de recherche et octroie à celles-ci des ressources fédérales afin d’appuyer, à titre subsidiaire, leurs activités de recherche et de renforcement des capacités. Cette situation entraîne des niveaux d’engagement différents de la part des autorités des États et d’importantes inégalités. Lorsque les fonds sont insuffisants, les commissions doivent annuler les activités prévues ou rechercher d’autres modes de financement. À cet égard, le Comité a reçu des informations selon lesquelles, dans certains cas, le personnel des commissions avait utilisé ses propres moyens financiers ou sollicité l’aide des victimes, par exemple pour payer le carburant, ou avait été contraint d’éviter les autoroutes pour réduire les frais, empruntant à la place des itinéraires plus longs et souvent plus dangereux. À l’évidence, de telles pratiques ne sauraient être considérées comme une solution acceptable.

5.Le Comité est également préoccupé par le fait que la part du budget annuel de la Commission nationale de recherche consacrée aux dépenses de fonctionnement a diminué, passant de 29 % en 2020 à 12 % en 2021 (annexe 10). Le personnel des commissions se heurte en outre à des difficultés opérationnelles, parfois dues aux réglementations internes. Ainsi, l’obligation de demander les indemnités journalières au moins trois jours à l’avance nuit souvent au déclenchement immédiat des opérations de recherche. À Veracruz, le règlement intérieur du Secrétariat du Gouvernement limite les sorties sur le terrain des agents titulaires, ce qui réduit les possibilités de déplacement.

6.En ce qui concerne les ressources humaines, le Comité relève que plusieurs commissions locales ne comptent encore qu’une seule personne. Quant à la Commission nationale de recherche, si son budget consacré au personnel est passé de 0 % en 2019 à 7 % du budget annuel total depuis 2020, il reste insuffisant. En outre, le personnel de la Commission nationale de recherche et des commissions locales ayant des contrats temporaires, il se trouve dans une situation de précarité incompatible avec ses fonctions, qui sont complexes et sensibles. Ensemble, ces éléments font qu’il est difficile de suivre efficacement et de manière personnalisée les procédures de recherche et d’enquête et nécessitent que des mesures d’urgence soient prises.

7.Le Comité regrette que, quatre ans après l’adoption de la loi générale, seules certaines entités fédérées (les États de Coahuila, de Guerrero, de México, de Nayarit, de San Luis Potosí, de Tamaulipas et de Veracruz) possèdent des parquets spécialisés, tandis que d’autres (les États de Basse-Californie, de Jalisco et de Sonora) les ont intégrés dans un dispositif qui ne correspond ni à la structure organisationnelle ni aux attributions énoncées dans la loi générale. En outre, les parquets spécialisés ne disposent généralement pas des ressources financières, matérielles et humaines nécessaires pour exercer leurs fonctions. Cette situation est très préoccupante car elle empêche un suivi efficace et personnalisé des procédures de recherche et d’enquête.

8.En ce qui concerne le cadre normatif lié aux recherches, le Comité constate que, selon les informations reçues, le Programme national de recherche et de localisation établi par le Système national de recherche, organe composé de plus de 40 autorités, comporte neuf étapes. Il se félicite que la Commission nationale de recherche ait, avec le concours des proches de victimes, progressé dans l’exécution de la première partie du programme (2020‑2024). Toutefois, il constate avec préoccupation que ce projet n’a pas encore été adopté.

9.Le Comité se félicite de la création de l’Unité d’analyse de contexte de la Commission nationale de recherche, en mars 2020. Il prend note avec satisfaction des outils méthodologiques élaborés et des études d’analyse de contexte réalisées par l’Unité. Il regrette toutefois que très peu de dossiers aient pour l’instant bénéficié de ces analyses, pourtant fort utiles tant pour les recherches que pour les enquêtes.

10.Pour ce qui est des enquêtes, les informations recueillies ont confirmé qu’il n’y avait souvent pas d’enquête sur le terrain, les services compétents se contentant d’envoyer des notifications officielles qui restaient sans réponse. Certaines victimes se sont plaintes de tendances que le Comité avaient déjà observées, à savoir « le suivi dans le cadre des enquêtes d’hypothèses non fondées reposant sur des préjugés et des stéréotypes concernant les personnes disparues, le rejet automatique des cas de disparition forcée temporaire, ainsi que l’absence de garanties interdisant d’obtenir des éléments de preuve par la torture ou d’autres mauvais traitements ».

11.L’utilisation d’éléments de preuve scientifiques dans les enquêtes sur des disparitions reste également très limitée. Plusieurs personnes interrogées ont indiqué que certains enquêteurs n’étaient pas expressément formés au type d’élément de preuve à recueillir ; d’autres ont mentionné l’absence de ressources techniques et scientifiques permettant de répondre à la demande ; d’autres, enfin, ont regretté que des éléments de preuve disparaissent dans les locaux du ministère public ou que, face à l’ampleur du travail d’enquête, certains agents du ministère public aient renoncé à mener à bien leur mission.

12.On observe également une fragmentation des enquêtes : les informations sont rarement recoupées et les infractions pénales sont morcelées en de multiples dossiers et traitées à de multiples niveaux (État fédéral et entités fédérées). En cas de concours d’infractions, dont celle de disparition forcée, plusieurs enquêtes distinctes sont ouvertes, sans que les divers parquets spécialisés coordonnent le traitement de ces dossiers et les analysent de manière conjointe.

13.Une telle situation conduit à ce qu’une partie seulement des faits soit incriminés. Dans les dossiers de disparition, les infractions pénales les plus courantes sont l’homicide, la privation illégale de liberté par séquestration, le port d’armes interdites et les faits de criminalité organisée. Les auteurs de disparitions forcées sont rarement poursuivis pour une infraction de discrimination forcée en tant que telle, même lorsqu’il existe des preuves tangibles de l’implication d’autorités publiques. Lorsque de telles poursuites ont lieu, si certains critères d’établissement de la preuve, imposés de manière particulièrement stricte pour ce type de crime, ne sont pas remplis, les personnes présumées responsables de disparitions forcées sont acquittées.

14.Le Comité considère comme une priorité que l ’ État partie établisse une stratégie globale et complète de recherche et d ’ enquête, qui permette de traiter comme il se doit les cas récents de disparition tout comme les dossiers en souffrance . Cette stratégie doit être assortie d ’ un plan d ’ action et d ’ un calendrier permettant de garantir la mise en application de procédures approfondies et impartiales, et d ’ enquêter systématiquement sur les chaînes de commandement possibles, les personnes moralement responsables et les autres formes de responsabilité et de participation, y compris toutes celles qui sont visées à l ’ article 6 de la Convention. Elle doit tenir compte de toutes les informations disponibles, y compris du contexte dans lequel la disparition s ’ est produite.

15.Il s ’ agira notamment  : a) de veiller à ce que la stratégie soit régulièrement évaluée et que toutes les étapes de la procédure soient effectuées dans le respect du principe de la diligence raisonnable (l ’ enquête étant menée de manière diligente, immédiate et exhaustive) ; b) de s ’ assurer de la compétence et de l ’ indépendance des professionnels concernés ; c) de déterminer les mesures à prendre de manière intégrée, efficace et coordonnée, et de prévoir, pour leur exécution, les moyens et procédures nécessaires et voulus pour localiser la personne disparue et enquêter sur sa disparition .

16. Compte tenu de ce qui précède , le Comité prie instamment l ’ État partie d ’ appliquer systématiquement l ’ analyse de contexte dans les opérations de recherche comme dans les actes d ’ enquête, ce qui permettra de comprendre de manière globale les disparitions et de recenser les méthodes efficaces, d ’ aider à définir les responsabilités tout au long de la chaîne de commandement et d ’ élaborer des stratégies efficaces pour les poursuites à engager au niveau international.

17. Pour ce faire, l ’ État partie doit créer et mettre en place des unités d ’ analyse de contexte dans toutes les commissions de recherche et tous les parquets spécialisés, et instaurer des mécanismes de coordination systématique entre ces entités.

18. En ce qui concerne plus particulièrement les recherches, le Comité prie instamment l ’ État partie d ’ adopter et d ’ appliquer sans délai l e Programme national de recherche, dans le respect des procédures de consultation prévu e s dans la loi générale.

19. Dans ce contexte, le Comité rappelle que l ’ État partie doit donner la priorité aux activités qui permettent de localiser les personnes disparues lorsqu ’ elles sont encore en vie et d ’ obtenir leur libération, et faire en sorte que les agents de l ’ État n ’ omettent pas de lancer immédiatement des procédures de recherche, enquêter sur l ’ absence de procédures de recherche et sanctionner les agents qui n ’ ont rien fait .

20.L ’ État partie doit veiller à ce que la Commission nationale de recherche et les commissions locales disposent des ressources humaines et financières nécessaires pour s ’ acquitter correctement de leurs fonctions. À cette fin, le Comité considère que chacune de ces institutions doit planifier régulièrement et de manière détaillée les ressources dont elle a besoin. Dans le même temps, les autorités fédérales et les entités fédérées doivent allouer des budgets à la hauteur des besoins planifiés et en fonction des priorités des commissions nationales et locales de façon à privilégier , notamment, le recrutement d ’ un personnel spécialisé et le développement d es opérations de recherche .

21. Le Comité considère également comme une priorité que l ’ État partie s ’ efforce d ’ assurer la stabilité de l ’ emploi du personnel affecté à la Commission nationale de recherche et aux commissions locales.

22. En outre, le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que les autorités fédérales et les entités fédérées revoient les règlements des commissions de recherche à la lumière de l ’ expérience acquise, en veillant à ce que les exigences administratives ne les empêchent pas de s ’ acquitter comme il se doit de leurs fonctions.

23. En ce qui concerne les enquêtes, le Comité réitère ses recommandations précédentes concernant la nécessité de renforcer le Bur eau du P rocureur général de la République et les parquets locaux . L ’ État partie doit veiller à ce que les autorités fédérales, étatiques et municipales dotent ces institutions des ressources humaines, techniques, spécialisées et multidisciplinaires dont elles ont besoin pour s’acquitter de leurs fonctions, besoins qui doivent être définis sur la base d’ une analyse annuelle .

24. Le Comité souligne qu ’ il importe que les parquets accordent la priorité aux enquêtes sur le terrain et évitent de fragmenter les dossiers. Pour chaque cas de disparition, ils doivent émettre et prendre en compte toutes les hypothèses pertinentes, y compris la possible implication d ’ acteurs étatiques par action, autorisation, appui ou acquiescement , et garder ces hypothèses à l ’ esprit jusqu’à ce qu’une décision de justice soit rendue .

25. L ’ État partie doit également promouvoir l ’ utilisation des preuves scientifiques en proposant des formations spécialisées et en se dotant de l’infrastructure nécessaire à cette fin.

B.Assurer une coordination interinstitutionnelle systématique et efficace

26.La recherche de la personne disparue et l’enquête pénale visant les responsables de la disparition doivent se renforcer mutuellement. À cet égard, la loi générale porte création du Système national de recherche de personnes, espace de coordination interinstitutionnelle destiné à jeter les bases de la politique publique relative à la recherche, à la localisation et à l’identification des personnes disparues, ainsi qu’à la prévention, à l’enquête et à la répression. Néanmoins, quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi générale, d’importants problèmes de coordination entre les institutions chargées des procédures de recherche et d’enquête ont affaibli le modèle du Système national de recherche de personnes.

27.Le Comité a reçu plusieurs plaintes au sujet des difficultés opérationnelles rencontrées dans le cadre de la recherche de personnes disparues et dues à ce que l’on peut qualifier de « conflit institutionnel » entre la Commission nationale de recherche et le Bureau du Procureur général. Une conception erronée de l’autonomie de ce dernier, assimilée à une sorte de pouvoir discrétionnaire, s’est traduite par le non-respect du principe du partage des compétences et par une résistance à la mise en place de mécanismes de communication, de collaboration et d’échange d’informations. La Commission nationale de recherche et les commissions locales de recherche ayant un mandat limité, cette absence de coordination et le fait que le Bureau du Procureur se montre peu enclin à traiter les demandes émanant d’elles réduisent souvent leurs capacités d’intervention. Ainsi, bien qu’elles aient pour rôle de déclencher immédiatement les recherches, ces commissions ne sont pas compétentes pour procéder à des perquisitions, effectuer des géolocalisations, recueillir des restes humains et établir les chaînes de responsabilité. En résumé, pour exercer leurs fonctions, elles sont entièrement tributaires de l’action des parquets.

28.L’absence de coordination interinstitutionnelle systématique et efficace a également des conséquences sur les procédures exigeant la participation d’autres institutions. Le Comité a appris que l’absence de coordination avec les commissions des droits de l’homme et les commissions d’aide aux victimes compliquait le soutien aux opérations de recherche et l’accompagnement des familles. De même, le manque de coordination avec les secrétariats à la sécurité publique posait problème lorsque les commissions de recherche devaient intervenir dans des situations où la personne localisée était détenue après avoir commis une infraction. Le manque de coordination empêche également un fonctionnement optimal des mécanismes de sécurité et de protection qui ont un rôle essentiel à jouer pour les victimes, les personnes qui les accompagnent et les fonctionnaires qui participent aux procédures de recherche et d’enquête.

29.Le Comité a reçu des témoignages qui mettent en lumière les difficultés découlant des lacunes des mécanismes de coordination institutionnelle. Certains témoins ont souligné le manque de coordination à la fois entre les différents parquets spécialisés et entre les parquets de l’État fédéral et des entités fédérées.

30. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère comme une priorité que l ’ État partie précise les compétences du Bureau du Procureur général, des parquets spécialisés ( au niveau fédéral comme au niveau des États) et des commissions de recherche, de sorte à permettre à ces entités de remplir efficacement leurs fonctions .

31.E n ce qui concerne la coordination intra et interinstitutionnelle, l ’ État partie doit garantir l ’ application effective des principes énoncés dans les protocoles homologués de recherche et d ’ enquête. Pour cela, il faut : a) établir des mécanismes et des canaux de communication intra et interinstitu tionnels, qui permettent d ’ échanger des informations de manière systématique, instantanée et souple, selon les besoins ; b) avoir accès aux informations et les gérer de manière appropriée ; c) autoriser, par la loi, les commissions de recherche à agir en qualité de premiers intervenants, au même titre que le s parquets  ; d) veiller à ce que tous les services de secours, d ’ information et de diffusion énoncés dans les protocoles soient associés aux actions entreprises .

32. Dans le même temps, l ’ État partie doit élaborer et appliquer des méthodes et des indicateurs afin d ’ évaluer régulièrement la mise en place des mécanismes de coordination et les résultats obtenus dans la recherche de personnes et dans les enquêtes sur les disparitions, et de corriger tout dysfonctionnement.

C.Lever les obstacles qui empêchent d’engager des poursuites en cas de disparition forcée

33.Il demeure exceptionnel qu’un cas de disparition forcée donne lieu à des poursuites. Le Comité est préoccupé par les pratiques qui retardent les enquêtes et font obstacle aux poursuites en cas de disparition forcée. Il souligne que les procédures sont fragmentées entre différentes juridictions, qu’il y a un excès de formalisme et qu’il est fait droit à des recours en amparo déposés de manière abusive pour empêcher que des mesures soient prises contre les auteurs. Il relève également que plusieurs critères d’interprétation de la norme constitutionnelle coexistent pour déterminer la compétence des tribunaux chargés de connaître des affaires, dans le système accusatoire comme dans le système mixte. Il en va de même pour ce qui est de déterminer la compétence entre les juges de contrôle et les juges de district dans les procédures pénales fédérales, en fonction de leur spécialité. De telles pratiques retardent les procédures et entravent l’accès à la justice dans la quasi-totalité des cas, y compris dans les cas les plus emblématiques comme celui d’Ayotzinapa.

34. Le Comité prie instamment l’État partie de lever les obstacles qui entravent l’accès à la justice et de faire en sorte que les cas présumés de disparition forcée donnent lieu à des poursuites.

35.De même, le Comité prie instamment le pouvoir judiciaire de garantir la sécurité juridique en définissant des critères uniformes qui permettent de déterminer la compétence des tribunaux de l ’ actuel système accusatoire , de l ’ ancien système mixte et des juges dans les procédures pénales fédérales spécialisées. Il engage l’État partie à  : a) faire usage de la possibilité de joindre les affaires, prévue à l’article 100 de la Constitution et à l ’ article 86 de la n ouvelle loi organique relative au pouvoir judiciaire fédéral dans les cas de disparition forcée ; b) adopter des normes similaires au niveau local ; c) mettre fin à l ’ excès de formalisme dans les procédures, ce qui permettra d ’ accélérer le cours de la justice ; d ) prendre des mesures pour éviter le recours abusif, à titre préventif, à l ’ amparo et à d ’ autres mesures analogues dans le but d ’ entraver la justice , d ’ empêcher la manifestation de la vérité et d’empêcher aussi que les auteurs des faits soient sanctionnés.

D.Traiter comme il se doit les disparitions survenues dans le contexte de la migration

36.Les disparitions survenues dans le contexte de la migration posent des difficultés particulières face auxquelles il convient de prendre des mesures adaptées. On ignore encore le nombre exact de disparitions survenues dans le contexte de la migration. Au 21 octobre 2021, le Registre national des personnes disparues et non localisées contenait 2 522 entrées correspondant à des ressortissants étrangers. Cependant, si ce registre prévoit la catégorie des migrants en situation irrégulière, les informations disponibles ne permettent pas de distinguer clairement les cas dans lesquels des personnes relevant de cette catégories ont disparu alors qu’elles étaient en transit dans le pays. De plus, en général, les migrants en situation irrégulière ne signalent pas la disparition de leurs compagnons de voyage ou des membres de leur famille, faute de connaître les mécanismes accessibles pour ce faire ou par crainte d’être placés en détention et expulsés. Cette situation conduit à une sous-déclaration importante des disparitions de migrants et ne permet pas de mesurer l’efficacité des initiatives prises dans ce domaine.

37.Le Comité prend note du Plan stratégique 2019-2024 de l’Institut national des migrations pour la protection et le respect des droits de l’homme et pour la sécurité des migrants nationaux et étrangers. Il se félicite de la création de plusieurs mécanismes chargés de traiter ces cas : le Mécanisme d’appui externe en matière de recherche et d’enquête, au moyen duquel le Ministère des affaires étrangères coordonne les activités de recherche en dehors du territoire national par l’intermédiaire des services diplomatiques, en coopération avec le Bureau du Procureur général de la République et la Commission nationale de recherche ; le Groupe de travail interinstitutions chargé de la recherche par mode opératoire, qui a pour objet d’accélérer la coordination entre les institutions participant aux activités de recherche et d’enquête ; le Groupe de recherche des migrants disparus, chargé de favoriser la collaboration et la coordination entre la société civile, les familles de migrants disparus et la Commission nationale de recherche. Il accueille avec satisfaction la création d’un groupe de travail interinstitutions spécialisé dans la recherche des migrants étrangers. Il regrette toutefois que le Plan stratégique mis en place et les entités et mécanismes créés ne soient pas encore opérationnels : le Groupe de recherche des migrants disparus n’a pas commencé ses travaux et le Groupe de travail interinstitutions spécialisé n’a pas été constitué. Quant au Mécanisme d’appui externe en matière de recherche et d’enquête, son efficacité a été limitée par l’absence de lignes directrices concernant la coordination avec les ambassades et les consulats dont dépend sa mise en application.

38.Les informations reçues montrent combien il est urgent que tous les agents du Ministère des affaires étrangères, du Bureau du Procureur général de la République, des parquets d’État, des commissions de recherche, de la Commission nationale des droits de l’homme et des commissions des droits de l’homme des États et de l’Institut national des migrations remplissent leurs fonctions et jouent un rôle plus proactif et plus important afin que les victimes de disparition dans le contexte de la migration puissent exercer leurs droits. Pour l’heure, le manque de coopération interinstitutions entrave la collecte de données et d’éléments de preuve concernant les disparitions de migrants, en particulier lorsqu’opèrent des réseaux criminels transnationaux de trafic et de traite des personnes. L’absence d’analyse du contexte, de perspective transnationale et d’approche multidisciplinaire nuit à l’efficacité des activités de recherche et d’enquête et empêche de bien comprendre les différentes formes de criminalité, de les combattre et de les prévenir.

39.La criminalisation de la migration et la vulnérabilité des migrants en situation irrégulière continuent de faire obstacle à l’exercice des droits de ces personnes et de ceux des membres de leur famille. Les migrants subissent de multiples formes de discrimination aggravées par l’absence de réponse institutionnelle de la part des autorités, situation qui crée un climat d’impunité. Le Comité regrette l’absence de progrès et l’existence de graves irrégularités dans les enquêtes sur ces cas. Il regrette en particulier que la Commission de médecine légale créée en 2013 en vue de faire avancer l’enquête sur les massacres commis à Cadereyta (Nuevo León) et San Fernando (Tamaulipas), et sur les charniers qui y ont été découverts, n’ait pas bénéficié du soutien nécessaire pour s’acquitter de sa mission. Ainsi, par exemple, elle n’a pas eu accès aux rapports sur les disparitions et les enlèvements demandés il y a plusieurs années au parquet de Tamaulipas et au ministère public.

40.Les témoignages reçus illustrent les difficultés auxquelles se heurtent les proches de migrants disparus, notamment la vulnérabilité structurelle des migrants dans un pays étranger, où ils n’ont pas d’attaches familiales et ne disposent pas des ressources nécessaires pour obtenir un accès effectif à la justice et faire valoir leurs droits, et l’insuffisance des capacités des organismes compétents lorsqu’il s’agit d’enquêter sur les marchés illégaux liés à la traite des êtres humains, dans lesquels les services de l’État sont parfois impliqués. Les interlocuteurs du Comité ont souligné le manque de clarté des procédures applicables dans leurs cas respectifs ; les difficultés à obtenir les permis et les visas dont ils avaient besoin pour participer aux procédures de recherche et d’enquête ; le peu d’informations disponibles quant à l’état d’avancement de ces procédures et aux résultats obtenus. Ils ont en outre dénoncé la durée déraisonnablement longue des procédures d’identification et de rapatriement, dans la dignité, des corps déjà localisés.

41.Depuis 2016, 124 plaintes pour disparition de migrants ont été déposées par l’intermédiaire des consulats du Mexique au Guatemala, en El Salvador et au Honduras. Elles ne représentent qu’une fraction des cas signalés. Les témoignages reçus montrent que si les victimes n’insistent pas pour que des enquêtes soient menées auprès du Service des migrants du Bureau du Procureur général de la République et de la Commission exécutive d’aide aux victimes, le Bureau du Procureur général de la République et les parquets locaux se contentent de gérer les dossiers et les affaires n’avancent pas.

42.Le Comité a également reçu des témoignages de personnes placées dans des centres de détention pour migrants qui ont signalé qu’elles étaient sur le point d’être renvoyées de force dans leur pays d’origine où elles avaient reçu des menaces de disparition, ce qui contrevient aux dispositions de l’article 16 de la Convention.

43. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie doit veiller à ce que les différentes institutions signalent les cas de migrant s disparus dont elles ont connaissance et que le Registre national des personnes disparues et non localisées fasse clairement ressortir le phénomène des disparitions de migrants en situation régulière ou irrégulière et soit interopérable avec les registres de migrants existants, y compris dans les centres de détention pour migrants.

44. L’État partie doit faire en sorte que toutes les disparitions survenues dans le contexte de la migration donnent lieu à des recherches et à des enquêtes, ainsi qu’à des poursuites effectives.

45.À cette fin, la mise en application du cadre normatif et institutionnel existant dans ce domaine doit être considérée comme une priorité. C’est pourquoi le Ministère des affaires étrangères et le Bureau du Procureur général de la République doivent adopter sans délai les directives opérationnelles relatives au Mécanisme d ’ appui externe en matière de recherche et d ’ enquête , et veiller à ce qu’elles soient conformes à la loi générale et aux normes internationales, et prévoient des critères clairs de coordination avec d’autres institutions, principalement la Commission exécutive d’aide aux victimes, l’Institut national des migrations et la Commission nationale de recherche. Il est également urgent de faire en sorte que le Groupe de travail interinstitutions spécialisé dans la recherche des migrants étrangers et le Groupe de recherche des migrants disparus deviennent opérationnels, la première étape étant l’adoption de leurs directives opérationnelles.

46. Conformément aux dispositions de la loi générale et de la loi relative aux victimes, l’État partie doit adopter des mesures qui, en cas de disparition de migrants, facilitent le dépôt de plaintes depuis l’étranger, soit par voie électronique, soit par l’intermédiaire des consulats.

47. L’État doit promouvoir la participation des familles des migrants disparus aux procédures de recherche et d’enquête, ainsi qu’à la définition des politiques et stratégies adoptées à l ’ échelle fédéra le et à l ’ échelle des États dans ce domaine. À cette fin, l’État partie doit faciliter l’obtention de visas humanitaires gratuits pour les familles et les proches des migrants disparus au Mexique, en permettant que les demandes soient traitées par les consulats du Mexique situés dans les pays de résidence des proches des migrants disparus.

48. Afin de faciliter les activités de recherche et d’enquête concernant les disparitions survenues dans le contexte de la migration, l’État partie doit veiller à ce que les mécanismes de coordination interinstitutionnelle mis en place entre les institutions primaires, de transmission, d’information et de diffusion désignées dans les protocoles de recherche et d’enquête (voir par. 28 et 31 ci-dessus) sollicitent systématiquement l’Institut national des migrations, ainsi que les autorités mexicaines et les autorités et institutions compétentes des pays d’origine et de destination des victimes.

49. Afin d’accélérer et de faciliter l’obtention de dossiers, de données, de rapports circonstanciés, de registres et de références permettant de localiser les proches des victimes encore non identifiées, le Bureau du Procureur général de la République doit renforcer les mécanismes de coopération interne, de coopération avec les parquets des États de la République et de coopération avec les autorités des pays d’origine des migrants.

50. En ce qui concerne les enquêtes sur les cas de massacres de migrants, le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que la Commission de médecine légale créée en 2013 bénéficie de la coopération de toutes les autorités de l’État afin qu’elle puisse s’acquitter de ses fonctions. Il estime également nécessaire de créer une commission spéciale multidisciplinaire d’enquête sur les disparitions et les massacres de migrants, composée d’experts nationaux et étrangers, qui faciliterait les enquêtes sur les faits en question dans une perspective régionale .

51.En application de l’article 16 (par. 1) de la Convention, l’État partie doit s’interdire d’expulser ou de refouler une personne vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être victime d’une disparition forcée. À cette fin, les autorités de l ’ État partie doivent procéder à une évaluation individualisée du r isque auquel s erait exposée la pers onne concernée si elle était renvoyée dans son pays et lui apporter la protection internationale requise .

52. En outre, le Comité considère comme une priorité que l’État partie mène des campagnes de prévention de grande ampleur, multilingues et accessibles dans tout le pays ainsi que dans les communautés d’origine des migrants, les refuges et les foyers de migrants, afin de diffuser des informations sur les mécanismes et les organes officiels de signalement et de plainte, et de promouvoir la non-discrimination à l’égard des victimes.

53. L’État partie doit mener dans les consulats des campagnes d’information sur les mécanismes existants au Mexique. Il doit également promouvoir la coopération et l’entraide judiciaire entre les États concernés par les cas de disparition de migrants.

E.Faciliter les procédures de recherche, d’enquête et de réparation ainsi que la préservation de la mémoire collective concernant les cas anciens

54.Le Comité considère que la création de la Commission pour l’accès à la vérité, la clarification du passé et la promotion de la justice en réaction aux violations graves des droits de l’homme commises entre 1965 et 1990 constitue une avancée très importante qui devrait faciliter les procédures de recherche, d’enquête et de réparation, ainsi que la préservation de la mémoire collective nécessaire pour éviter que des événements similaires se produisent. Il regrette toutefois qu’il n’existe pas d’autres mécanismes pour les cas anciens survenus après 1990.

55. L’État partie doit fournir à la Commission pour l’accès à la vérité les ressources humaines et matérielles nécessaires à l’accomplissement de son mandat, et étendre à tous les cas anciens la méthode d’élucidation mise au point.

56. L’État partie doit veiller à ce que les experts de la Commission pour l’accès à la vérité puissent exercer leurs fonctions en toute indépendance et aient un accès illimité aux camps et aux bases militaires qui ont servi de lieux de privation de liberté, ainsi qu’aux archives publiques pertinentes, notamment celles du Ministère de la défense nationale, du Ministère de la m arine et de l’État-major présidentiel.

F.Faire face à la crise médico-légale

57.La crise médico-légale est une autre priorité à laquelle l’État partie doit s’attaquer, tant au niveau fédéral qu’au niveau des entités fédérées. Parmi les causes structurelles pouvant expliquer la crise médico-légale figurent, d’une part, l’augmentation des niveaux de violence due à la militarisation de la sécurité publique, dont témoigne le nombre d’homicides (27,8 pour 100 000 habitants en 2020) et le grand nombre de personnes disparues, et d’autre part, l’inefficacité des services de médecine légale due, entre autres facteurs, à une structure institutionnelle inadaptée, au manque d’infrastructures, d’équipements, de ressources budgétaires et de ressources humaines spécialisées, ainsi qu’à une mauvaise utilisation de la génétique et des bases de données et à la pratique consistant à conserver les corps des personnes décédées sans procéder à leur identification.

58.La crise médico-légale se manifeste par l’incapacité à répondre aux immenses besoins qui existent en matière d’identification des corps et des restes humains qui ont été retrouvés. Elle se traduit également par des lacunes dans la localisation des personnes disparues et la notification des membres de la famille ou des proches des personnes identifiées et par des irrégularités dans la procédure d’identification, qui empêchent les personnes informées de la découverte et de l’identification d’un proche d’avoir la certitude que les restes reçus sont ceux de leur parent disparu. Des projets ont été élaborés afin de promouvoir les bonnes pratiques dans ce domainemais il n’existe pas de normes ou de mécanismes officiels permettant de garantir leur exécution effective.

59.Le Comité est également préoccupé par le traitement du matériel génétique remis par les proches des personnes disparues, ainsi que par la manière dont les données qui en découlent sont conservées et protégées. Nombre des victimes ont rapporté qu’elles avaient dû resoumettre jusqu’à cinq fois des échantillons de matériel génétique, les précédents ayant été mal enregistrés ou perdus.

60.La crise médico-légale est aggravée par les déficiences du système d’enregistrement. Les informations sont souvent incomplètes et obsolètes et des données importantes, telles que la date de réception des corps des personnes décédées, leur provenance, le lieu où ils ont été exhumés, leur identification et leur remise ou non aux familles, ainsi que le lieu où ils se trouvent. Quatorze des services de médecine légale du pays ne tiennent pas de registre électronique. De plus, plusieurs des registres prévus par la loi générale sous la responsabilité du Bureau du Procureur général de la République n’ont pas encore été créés et le Système unique d’information technologique et informatique n’a pas été mis en application.

61.Conscient de cette crise médico-légale, l’État partie a pris des mesures comme l’inauguration de centres régionaux d’identification médico-légale à Coahuila et San Luis Potosí ; la création de laboratoires médico-légaux mobiles à Sonora ; la construction de cimetières médico-légaux à Jalisco, Michoacán, Tamaulipas et Veracruz ; la création, à la Commission nationale de recherche, de registres internes contenant des informations sur les fosses clandestines, le contexte dans lequel elles ont été trouvées, les corps exhumés et les fosses communes. La Commission nationale de recherche a également commencé à systématiser la tenue de registres des inhumations dans les fosses communes des cimetières de Mexico, Puebla, Sonora et Veracruz, où 47,2 % des personnes inhumées ne sont pas identifiées.

62.Sous l’impulsion des groupes de victimes et des organisations qui les soutiennent et grâce à la coopération internationale, l’État partie a créé un mécanisme extraordinaire d’identification médico-légale, organisme multidisciplinaire chargé d’examiner les corps ou les ossements non identifiés ou de faciliter un tel examen. Le Groupe de coordination du mécanisme, financé par le Gouvernement fédéral, est composé de sept experts nationaux et étrangers, et jouit d’une autonomie technico-scientifique.

63.En ce qui concerne l’identification de restes humains retrouvés en dehors du Mexique, le Comité a reçu des informations sur l’utilisation de systèmes qui permettent à plusieurs pays de comparer des échantillons de références familiales. Il se félicite en particulier de l’utilisation de la base de données Humanitarian DNA Identification Database du Center for Human Identification (centre d’identification médico-légale) de l’Université du Nord du Texas (États-Unis d’Amérique), qui permet de comparer les échantillons de références familiales de personnes étrangères avec les profils ADN de restes humains non identifiés dans la banque de données ADN locale. Il constate néanmoins que l’utilisation de ce système est encore limitée.

64.Le Comité a conscience de l’importance des mesures prises, mais estime que la crise médico-légale ne pourra être surmontée sans une ferme détermination de toutes les institutions compétentes en la matière.

65. Compte tenu de ce qui précède, le Comité prie l’État partie de veiller à ce que le Mécanisme extraordinaire d ’ identification médico-légale dispose du budget, de la structure organisationnelle et de l ’ indépendance nécessaires à l ’ exercice de ses fonctions et d ’ achever au plus vite la création du centre national d ’ identification médico-légale et créer des centres régionaux d’identification médico ‑légale dûment équipés pour répondre aux besoins d’identification des corps et des restes retrouvés, en donnant la priorité à l’identification de masse .

66. L’État partie doit garantir l’indépendance opérationnelle et technique des services de médecine légale et doter ceux-ci de ressources humaines dûment qualifiées, ainsi que des ressources matérielles et techniques dont ils ont besoin pour s’acquitter de leurs fonctions, y compris des registres numériques contenant des informations sur l’admission des personnes décédées, qui soient détaillées, actualisées et protégées. Il doit également mettre en place des mécanismes efficaces et indépendants chargés de rendre compte des activités de ces services.

67. Le Comité considère comme une priorité que les institutions responsables de l’identification de personnes décédées établissent des mécanismes de coordination interinstitutionnelle systématique, conformément aux lignes directrices des protocoles homologués de recherche et d’enquête.

68. Le Comité souligne combien il est urgent que, dans l’exercice des fonctions que lui confie la loi générale, le Bureau du Procureur général de la République : a) crée une base de données médico-légales nationale, un registre national des personnes disparues non identifiées et non réclamées et un registre national des fosses communes et des fosses clandestines ; b) mette en application le Système unique d’information technologique et informatique, en garantissant son interopérabilité avec les autres registres.

69. En outre, le Comité recommande à l’État partie de mettre en place une banque nationale de données génétiques et de veiller à ce qu’elle soit interopérable avec les autres banques de profils génétiques existant au Mexique et dans d’autres pays. À cette fin, l’État partie doit inciter les autorités nationales à présenter les profils des échantillons de références familiales des personnes disparues pour permettre de les rechercher dans les systèmes existants, par comparaison des échantillons de référence ADN des membres de leur famille avec les profils ADN des restes humains non identifiés enregistrés dans les systèmes de base de données nationales des pays susceptibles d’avoir un lien avec les cas en question . Il doit également promouvoir la mise en place d’accords, de mécanismes et de pratiques avec tous les pays voisins afin de multiplier les possibilités de croisement de données génétiques, en garantissant le plein respect des principes de protection des données individuelles, conformément aux dispositions de l’article 19 de la Convention.

70. L’État partie doit faire en sorte que toute personne décédée non identifiée soit inhumée dans une tombe individuelle et que des informations détaillées la concernant soient enregistrées dans une base de données fonctionnelle. Il doit également veiller à ce que les corps des personnes décédées non identifiées ne soient pas remis à des universités ou à d’autres entités susceptibles de les faire disparaître.

71. Le Comité invite l’État partie à adopter des protocoles pour les différentes disciplines médico-légales, notamment pour la notification de l’identification et la remise, dans la dignité, des restes des personnes disparues.

G.Faciliter l’accès aux activités de recherche, à la vérité, à la justice et aux mesures de réparation fondées sur une approche différenciée

72.Actuellement, la non-application des cadres juridiques et institutionnels existants, déjà constatée, constitue une sérieuse limitation de l’accès aux activités de recherche, à la vérité, à la justice et aux mesures de réparation. Cette situation est aggravée par l’attitude passive de nombreuses institutions judiciaires face aux disparitions. En outre, selon les informations reçues, la conception actuelle de la répartition des compétences entre l’État fédéral et les entités fédérées en matière d’assistance aux victimes entraîne une inégalité de traitement dans l’accès à la justice et à la vérité. Cela est dû au fait que les services offerts et l’aide accordée dépendent dans bien des cas des normes, des pratiques et des décisions adoptées au niveau étatique.

73.La situation décrite ci-dessus est particulièrement préoccupante pour certains groupes de la population en situation de vulnérabilité, comme les femmes, les enfants, les autochtones, les personnes handicapées, les migrants, les personnes âgées, les personnes vivant en zone rurale et les personnes LGBTIQ+, qui se heurtent à des obstacles d’ordre géographique, linguistique et discriminatoire, notamment. Au cours de la visite du Comité, une victime a raconté, par exemple, les difficultés qu’elle avait à expliquer à sa nièce, sourde, que son père avait disparu : « Il est toujours difficile d’expliquer ce qu’est une disparition. Pour un enfant qui n’entend pas, c’est pire. Nous ne parlons pas la langue des signes. Et les autorités chargées de l’affaire non plus. Nous avons demandé de l’aide, mais la personne qui parle la langue des signes ne vient presque jamais. L’enfant ne fait que pleurer, pleurer et pleurer, ou alors elle garde le silence [...]. Personne ne sait ce qu’il faut faire. ».

74. Compte tenu de ce qui précède, le Comité recommande à l’État partie d e garantir l ’ accès des victimes, dans des conditions d ’ égalité, aux activités de recherche , à la vérité, à la justice et aux mesures de réparation et, s ’ il y a lieu, de revoir la répartition des pouvoirs entre l ’ État fédéral et les entités fédérées dans le domaine de la prise en charge des victimes .

75. Dans ce contexte, l ’ État partie doit prendre en considération les besoins particuliers des victimes et y répondre, en adoptant une approche différenciée. Il doit également s’attaquer aux causes à l’origine des obstacles existants, notamment au moyen de grandes campagnes de prévention et de lutte contre la discrimination.

H.Reconnaître le rôle des victimes et répondre comme il se doit à leurs besoins en matière de prise en charge et de protection

76.Les progrès dont il est fait mention dans le présent rapport n’auraient pas été obtenus sans la mobilisation des victimes et leur lutte quotidienne. Le rôle central des victimes est clairement établi à l’article 24 de la Convention et dans les Principes directeurs concernant la recherche de personnes disparues, ainsi que dans la législation nationale (loi sur les victimes et loi générale). Cependant, la participation des victimes aux divers processus semble dépendre principalement de la volonté des fonctionnaires chargés de les aider.

77.Dans le même temps, les familles et les proches des personnes disparues continuent d’assumer des fonctions de recherche et d’enquête qui incombent à l’État. Sans préjudice de l’appui qu’ils reçoivent de la Commission nationale de recherche, ils exercent souvent ces activités sans être accompagnés par les autorités et sans la protection dont ils ont besoin. Le Comité accueille avec satisfaction les progrès accomplis grâce au Mécanisme de protection des défenseurs et défenseuses des droits humains et des journalistes, mais constate que les besoins de protection des victimes ne sont toujours pas suffisamment pris en compte. Il regrette profondément que depuis décembre 2010 à ce jour, au moins 13 personnes qui effectuaient des recherches (6 personnes depuis 2018) aient été tuées, vraisemblablement en représailles à leur travail de recherche. En outre, on recense chaque jour des dizaines de problèmes de sécurité, tels que des cas de traque, de surveillance, de persécution, de disparition et de torture visant des victimes ou des personnes les accompagnant, prises pour cible pour avoir signalé une disparition ou pour avoir participé à des activités de recherche et d’enquête.

78.Au début de 2013, est entrée en vigueur la loi relative aux victimes. En application de cette loi, ont été créés le Système national d’aide aux victimes, qui fait la liaison entre les différentes institutions, et la Commission exécutive d’aide aux victimes, organe décentralisé (semi-autonome) de l’administration fédérale dirigé par une personne nommée par le Congrès. La Commission exécutive gère 32 centres de services intégrés, répartis sur tout le territoire national.

79.Dans le cas des personnes disparues, la Commission exécutive d’aide aux victimes et les commissions locales d’aide aux victimes sont compétentes pour examiner, notamment des questions telles que l’orientation vers des établissements de santé, le soutien psychologique, la représentation légale dans les procédures d’enquête, la prise en charge des frais de déplacement pour l’examen des dossiers d’enquête et la prise en charge des frais découlant de tout déplacement dû à des attaques ou des menaces. Cependant, près de neuf ans après l’adoption de la loi relative aux victimes, son efficacité est largement mise en question.

80.Premièrement, le Système national d’aide aux victimes ne s’est réuni qu’une seule fois, en 2015. Par conséquent, il n’existe pas de coresponsabilité institutionnelle en matière de prise en charge dans des domaines tels que la santé, le développement social ou l’éducation, et la Commission exécutive d’aide aux victimes n’a pas les moyens de faire participer d’autres institutions à ces procédures, ce qui fait que les victimes sont laissées pour compte.

81.Deuxièmement, bien qu’en principe la Commission exécutive d’aide aux victimes ne couvre que la prise en charge et la réparation des victimes dont le cas est en cours d’examen par les tribunaux fédéraux, elle peut intervenir exceptionnellement si l’entité fédérée compétente n’a pas les moyens de s’occuper des droits des victimes. Toutefois, plusieurs des personnes interrogées au cours de la visite ont indiqué que l’examen des cas locaux par la Commission est laissé à la discrétion de celle-ci.

82.Plusieurs personnes interrogées par le Comité ont dénoncé le fait que la politique d’aide aux victimes et de réparation se concentrait essentiellement sur les questions financières, la réparation étant considérée uniquement comme une mesure d’indemnisation. Ainsi, malgré la situation dramatique dans laquelle se trouvent les victimes, l’aide qui leur est proposée est extrêmement limitée et ne répond pas à leurs besoins réels. Des milliers d’entre elles sont laissées pour compte.

83.L’insuffisance des moyens dont disposent les commissions d’aide aux victimes a été mentionnée à plusieurs reprises : cinq des entités fédérées n’ont toujours pas de commission et la plupart des commissions qui existent manquent de ressources humaines et financières. Son budget ayant été réduit ces dernières années, la Commission exécutive d’aide aux victimes a une capacité d’intervention de plus en plus limitée. De plus, en 2020, le Gouvernement a supprimé le fonds budgétaire créé par la loi relative aux victimes sous la forme d’un trust, ainsi qu’un grand nombre de trusts publics. Le budget consacré à l’aide aux victimes demeure doncimprévisible et insuffisant pour couvrir les dépenses auxquelles les victimes doivent faire face, comme celles liées aux déplacements qu’elles doivent faire jusqu’à Mexico pour consulter leur dossier.

84.Beaucoup de conseillers juridiques sont chargés de centaines de dossiers à la fois, ce qui les empêche de fournir une assistance adéquate aux victimes. En outre, les interlocuteurs du Comité ont souligné que les critères régissant l’octroi d’un soutien ne sont pas adaptés aux victimes de disparition. Par exemple, les résultats scolaires requis pour accéder aux bourses d’études sont très difficiles à obtenir dans un contexte familial bouleversé par une disparition. En conséquence, les enfants de personnes disparues doivent souvent abandonner leurs études, ce qui est un facteur de revictimisation.

85.La Commission exécutive d’aide aux victimes est censée couvrir sur ses fonds propres les dépenses liées aux mesures de réparation, puisque les institutions et agences responsables des violations des droits de l’homme ne le font pas. Cependant, elle ne dispose pas des ressources nécessaires pour le faire. Dans les faits, dans la plupart des cas, la Commission exécutive d’aide aux victimes et les commissions des entités fédérées ne traitent pas les demandes de mesures de réparation.

86.Plusieurs personnes ont dénoncé le fait que les agents de la Commission exécutive d’aide aux victimes et des commissions des entités fédérées n’assument pas leur rôle de représentants des victimes et n’ont pas toujours les connaissances nécessaires pour orienter correctement les victimes de disparition. Comme il n’existe pas de système d’aide juridictionnelle pour les victimes, plusieurs organisations non gouvernementales et collectifs ont mis au point des projets pour combler ce vide institutionnel. Cependant, leur soutien dépend de ressources temporaires, ce qui limite leur capacité d’intervention.

87.De nombreuses victimes ont mentionné les difficultés qu’elles ont à accéder aux services de santé dont elles ont besoin pour traiter des problèmes de santé liés à leur situation de victime, comme la dépression, les maladies cardiovasculaires, les troubles hormonaux graves ou le cancer, et rares sont les victimes qui reçoivent le soutien psychologique dont elles ont besoin. À cet égard, les conséquences transgénérationnelles de la disparition et la situation des enfants de personnes disparues sont particulièrement préoccupantes. De multiples témoignages font état de cas de dépression et de suicide. Une grand-mère a ainsi déclaré : « Mes petits-enfants ne peuvent pas comprendre que leurs parents aient disparu. Ils sont convaincus qu’ils ont été abandonnés. Ils sont très malheureux et ne sont plus de ce monde [...]. Mon petit-fils de 11 ans est tombé dans la criminalité organisée. Il pense que les gens de ce milieu vont lui donner des informations sur ses parents. Je suis désespérée. Les enfants des personnes disparues sont les oubliés du système. ».

88.De plus, le Comité a reçu des allégations selon lesquelles des représentants de victimes avaient subi des persécutions ; selon certaines informations, des enquêtes auraient été ordonnées et menées de manière arbitraire contre des victimes, des défenseurs et défenseuses des droits humains, et des journalistes. Le cas de San Fernando est un exemple typique. Le Comité est préoccupé par ces pratiques, qui constituent une violation des droits de ces personnes et engagent la responsabilité de l’État.

89.Après avoir dialogué avec les collectifs de victimes au cours de sa visite, le Comité condamne avec la plus grande fermeté les actes de vandalisme commis contre un lieu dédié à la mémoire des personnes disparues à Guadalajara .

90. Le Comité rappelle à l’État partie qu’il a pour obligation de prévenir, y compris au moyen de campagnes de sensibilisation, et sanctionner les actes qui incriminent, intimident, persécutent ou stigmatisent les personnes disparues, les membres de leur famille ou les personnes qui les accompagnent . Il doit également veiller à ce que toute attaque et tout acte d’intimidation donne nt lieu à une enquête et à des sanctions afin de mettre fin à l’impunité des auteurs de tels actes.

91.De plus, le Comité prie instamment l’État partie de renforcer sans tarder le système de protection des victimes afin de garantir la sécurité des membres de la famille de personnes disparues, et des personnes qui les accompagnent. À cette fin, l’État partie doit renforcer le Mécanisme de protection des défenseurs et défenseuses des droits humains et des journalistes, ainsi que les mécanismes fédéraux et étatiques de protection des victimes. Dans ce contexte, il doit veiller en priorité à ce qu’il soit procédé à l’analyse des risques auxquels sont exposés les collectifs et les proches de personnes disparues participant aux activités de recherche, d’enquête et d’accompagnement des victimes de disparition, et à régler rapidement et avec efficacité les problèmes de sécurité.

92. Le Comité considère comme une priorité que les autorités fédérales et étatiques créent des commissions exécutives d’aide aux victimes dans toutes les entités fédérées qui n ’ ont et ne fournissent toujours pas l’appui matériel et technique dont la Commission exécutive nationale et les commission s locales d’aide aux victimes ont besoin pour remplir leurs fonctions.

93. Le Comité considère également qu’il est urgent de réformer le mode de fonctionnement du système d’aide aux victimes. Il invite l’État partie à réviser la loi relative aux victimes et les critères d’attribution de l’aide appliqués par la Commission exécutive nationale d’aide aux victimes afin de multiplier le nombre de familles bénéficiaires, de diversifier le type d’appui offert et de faire en sorte qu’il soit pleinement adapté aux besoins des victimes, en adoptant une approche différenciée. Dans le cadre de cette révision, il doit également établir des principes et des mécanismes visant à prévenir toute forme d’abus du système.

94. L’État partie doit également établir plus clairement les procédures et les responsabilités des institutions et du pouvoir exécutif, en garantissant leur participation réelle en la matière.

95. L’État partie doit aussi veiller à ce que toutes les autorités agissent sur la base de critères clairs, dans le respect des dispositions de l’article 24 de la Convention, pour faciliter la participation des victimes et leur accès à l’information dans le cadre de toutes procédures relatives à leur cas.

96. L’État partie doit également garantir l’existence d’un système d’aide juridictionnelle efficace à l ’ intention des victimes, qui soit disponible chaque fois que cela est nécessaire dans les procédures relatives à leur cas.

97. En outre, il est urgent de créer un programme national de réparation, inscrit dans le projet de réforme de la loi générale relative aux victimes. Ce programme doit promouvoir une vision globale de la réparation, fondée sur une approche différentielle, qui couvre toutes les formes de réparation envisagées à l’article 24 (par. 5) de la Convention et établisse clairement les responsabilités institutionnelles de toutes les autorités concernées.

98. Le Comité considère qu’il est impératif que l’État partie garantisse la cessation immédiate de toute pratique illégale et arbitraire contre les victimes, les défenseurs ou défenseuses des droits humains ou les journalistes participant aux procédures de recherche et d’enquête, et qu’il enquête sur ces pratiques et les réprime.

99. Le Comité rappelle que la solidarité et l ’ empathie à l ’ égard des victimes doivent être une priorité pour la société dans son ensemble.

100. Quiconque a coopéré avec le Comité ou lui a fourni des renseignements ne peut faire l ’ objet d ’ actes d ’ intimidation ou de représailles. C ’ est aux États parties qu ’ incombe la responsabilité principale de prévenir tout acte d ’ intimidation ou de représailles dirigé contre les personnes et les groupes qui cherchent à coopérer, coopèrent ou ont coopéré avec le Comité , et de s ’ abstenir de commettre de tels actes .

I.Protéger les fonctionnaires qui participent aux recherches et aux enquêtes

101.Au cours de sa visite, le Comité a également reçu des témoignages sur la situation d’insécurité qui régnait et ses incidences sur les fonctionnaires chargés des recherches et des enquêtes. Plusieurs des personnes interrogées ont signalé une augmentation du nombre d’actes de traque, de surveillance, de persécution, de menace et de torture à leur encontre. Ces actes ont obligé la Commission nationale de recherche à suspendre plusieurs activités de recherche à Guanajuato, Michoacán, Sinaloa, Sonora et Tamaulipas. La Commission nationale de recherche et les commissions locales sont protégées par les forces de sécurité fédérales ou étatiques dans leurs activités de recherche, mais cette protection ne couvre pas d’autres situations et lieux de vulnérabilité, comme les déplacements vers les sites de recherche, les refuges, le domicile des personnes vivant dans les zones concernées et, par conséquent, leur famille.

102.Lorsqu’ils doivent retarder les procédures pour des raisons de sécurité, les agents doivent également faire face à la frustration légitime des victimes. Comme l’a déclaré un agent interrogé : « Nous voulons aller de l’avant, rechercher et retrouver les victimes, si possible vivantes. Mais lorsque la vie des membres de la famille des personnes disparues et celle des agents est en jeu, nous devons accepter nos limites. Les victimes pensent souvent que les risques nous servent d’excuse pour ne pas faire notre travail. Ce n’est pas le cas. Leur frustration nous tourmente jour et nuit, mais nous ne sommes pas des super-héros. ».

103. L’ État partie doit garantir une protection permanente aux fonctionnaires chargés des recherches et des e nquêtes, et mettre au point un programme de protection intégrale de ces personnes. Il doit tenir particulièrement compte des risques latents dans les lieux où les réseaux de criminalité organisée ont prévenu qu ’ ils ne permettraient pas à ces fonctionnaires de poursuivre leurs activités ou d ’ exercer leurs fonctions.

J.Combler les lacunes des registres afin d’établir des stratégies efficaces en vue de prévenir et faire cesser les disparitions forcées

104.Le Comité constate que, dans les stratégies qu’il a mises en place jusqu’à présent, l’État partie aborde les disparitions forcées sous l’angle de leurs conséquences, sans les combattre ou s’attaquer à leurs causes. Or, la prévention des disparitions doit être l’axe transversal de la politique nationale.

105.Le présent rapport met l’accent sur l’importance que revêtent les registres pour ce qui est de distinguer clairement et de rendre visibles les différentes formes de disparitions qui se produisent dans le pays, et d’établir des stratégies efficaces pour mener des recherches, enquêter, s’occuper des victimes et éliminer ce fléau. Les registres doivent également jouer un rôle essentiel dans la prévention des disparitions.

106.Les registres des personnes privées de liberté requièrent une attention particulière et immédiate. Si tous les centres de détention fédéraux et étatiques et tous les centres de détention pour migrants visités par le Comité disposent bien de registres, ceux-ci ne contiennent pas toujours les informations requises par les articles 17 et 18 de la Convention. En outre, plusieurs mois peuvent s’écouler entre l’arrivée d’une personne dans un centre et l’inscription de ses données dans le registre. Le Comité a également été témoin de « problèmes techniques » concernant ces registres, qui empêchent l’accès aux données censées avoir été enregistrées. Ces lacunes nuisent à la fiabilité des résultats des consultations effectuées pour rechercher une personne disparue. De plus, le manque d’interopérabilité des registres des personnes privées de liberté avec le Registre national des personnes disparues et non localisées, les bases de données de l’Institut national des migrations et d’autres registres, rend les délais de consultation incompatibles avec l’urgence avec laquelle il faut agir pour retrouver une personne disparue.

107.Le Comité constate avec préoccupation que les personnes détenues dans les centres de détention pour migrants sont désignées par des euphémismes comme « personas rescatadas » (personnes secourues) ou « alojadas temporalmente » (hébergées temporairement), ce qui fait qu’elles ne figurent pas dans les registres de personnes privées de liberté.

108.Les registres des empreintes digitales sont un outil essentiel dans la recherche et l’identification des personnes disparues. À cet égard, le Comité reconnaît l’importance de l’accord de collaboration signé entre l’Institut national électoral et la Commission nationale de recherche, qui permet l’identification des personnes disparues et l’identification des cadavres et des restes humains par comparaison des empreintes digitales avec les données des registres de l’Institut national électoral. Toutefois, ce système n’est pas applicable aux mineurs, qui ne peuvent pas être inscrits sur les listes électorales. L’acte de naissance est donc le seul moyen d’identifier les mineurs mais il ne contient pas les données nécessaires pour comparer leurs empreintes en cas de disparition.

109.Le Comité invite instamment l ’ État partie à prendre des mesures préventives globales pour s’attaquer aux causes de la disparition de personnes, les combattre et éliminer ce fléau. Dans cette perspective, il doit prendre en compte les analyses de contexte menées dans le cadre des procédures de recherche et d’enquête, afin d’identifier les facteurs de risque, les modes opératoires et les pratiques délictueuses. Dans la même perspective, les autorités fédérales et étatiques doivent améliorer l’analyse des informations relatives aux personnes qui ont été retrouvées vivantes (profils, temps écoulé entre la disparition et la localisation, ou les circonstances dans lesquelles les personnes ont été retrouvées).

110. Le Comit é prie instamment l’État partie de ne pas utiliser d’euphémismes qui occultent la véritable situation des personnes détenues dans les centres de détention pour migrants, qui doivent figurer dans les registres de personnes privées de liberté, conformément à l’article 17 de la Convention.

111.Le Comité réitère ses recommandations et prie instamment l’État partie : a) de garantir l’accès immédiat à tous les registres de détention et de privation de liberté à toute autorité compétente, en particulier aux commissions de recherche ; b) d’établir un registre unique pour toutes les personnes privées de liberté, y compris dans les centres de détention pour migrants, qui soit complet, fiable, à jour et confidentiel et dont la tenue soit contrôlée de manière à pouvoir garantir la véracité des renseignements qui y figurent ; c) de contrôler effectivement l’enregistrement des personnes privées de liberté dans les institutions privées, telles que les hôpitaux, les établissements psychiatriques, les centres de jour, les centres de désintoxication et de réadaptation pour les usagers de drogues, et les établissements d’aide et de protection de remplacement pour les enfants, les adolescents et les adultes handicapés. Il convient notamment de recenser ces lieux et d’enregistrer les personnes qui y séjournent.

112.Le Comité prie instamment l’État partie de créer un registre unique d’identification des personnes dans lequel soient consignées les empreintes digitales, les photographies et les données relatives à chaque personne, pouvant permettre de les identifier, de la naissance à la mort. À défaut, un système informatique interopérable doit être mis en place afin que la comparaison des empreintes digitales puisse être faite rapidement. Dans les deux cas, l’État doit tenir compte des dispositions de l’article 19 de la Convention relative s à la protection des données à caractère personnel.

II.Conclusion

113. Pour qu’au Mexique, la disparition cesse d’être le paradigme du crime parfait, il est urgent de s’attaquer à tous les problèmes recensés dans le présent rapport, qu’il s’agisse des disparitions forcées survenues dans le passé ou de celles qui ont été commises récemment.

114. Dans cette perspective, la prévention doit être au centre de la politique nationale et doit être considérée comme une politique d’État portant sur tous les points mis en évidence dans le présent rapport dans une perspective à court, à moyen et à long terme, fondée sur le recensement des causes structurelles qui sous-tendent les disparitions forcées.

115. La politique nationale visant à prévenir les disparitions forcées et à y mettre fin ne doit pas être limitée à la dimension opérationnelle, qui vise uniquement à écarter les risques concrets de disparition et d’autres violations des droits de l’homme ou à réduire le nombre de disparitions en cours. L’objectif est de prévenir les violations systémiques et de lutter contre l ’ impunité des personnes responsables de disparitions forcées, qu’elles se soient produites récemment ou dans le passé.

116.Le Comité remercie le Mexique de sa coopération et de son appui avant et pendant la visite. Il ne doute pas que l’État partie s’acquittera des obligations que lui impose la Convention et appliquera les recommandations formulées dans le présent rapport et s’attaquera au fléau des disparitions forcées au Mexique. Il réaffirme qu’il est pleinement disposé à coopérer à ce processus.

117. En application de l’article 97 (par. 2) de son règlement intérieur, le Comité accorde à l’État partie un délai de quatre mois pour lui faire part des commentaires qu’il jugera pertinents sur le présent rapport. Ces commentaires seront publiés sur la page Web du Comité. À l’expiration du délai fixé, le Comité examinera la suite donnée à ses recommandations, conformément aux dispositions de l’article 29 (par. 4) de la Convention et de l’article 98 de son règlement intérieur, en coordination et en coopération avec l’État partie et les diverses parties prenantes.