Quarante-neuvième session

Compte rendu analytique de la 992e séance

Tenue au Siège, à New York, le jeudi 21 juillet 2011 à 15 heures.

Présidente :Mme Ameline (Vice-Présidente)

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en vertu de l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport unique valant rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques de Djibouti (suite)

En l’absence de Mme Pimentel, Mme Ameline, Vice-Présidente, assume la Présidence.

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en vertu de l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport unique valant rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques de Djibouti (CEDAW/C/DJI/1-3; CEDAW/C/DJI/Q/1-3 et CEDAW/C/DJI/Q/1-3/Add.1) (suite)

Sur l ’ invitation de la Présidente, les membres de la délégation de Djibouti prennent place à la table du Comité.

Article 12 (suite)

La Présidente invite les membres de la délégation à continuer à répondre aux questions que le Comité a posées sur l’article 12 à la séance précédente.

M me Hadi (Djibouti) dit que le Ministère de la santé a mis en place en 1997 un programme visant à sensibiliser la population aux risques que présentent sur le plan médical les mutilations génitales féminines. On ne dispose d’aucune statistique sur le nombre de procédures ayant entraîné des complications médicales.

La division de la santé maternelle et infantile récemment créée s’emploie à réduire les taux de mortalité maternelle et infantile. L’accès aux services de santé est décentralisé grâce à un réseau de centres sanitaires ruraux qui dispensent des services gynécologiques et obstétriques, ainsi que des soins médicaux d’urgence. Une centaine d’experts de santé communautaire ont été nommés dans l’ensemble du pays pour fournir des services de santé reproductive et aider les femmes enceintes. Conformément à la politique nationale de santé reproductive adoptée en 2010, le programme de santé reproductive s’inscrit dans le cadre d’une campagne de soins de plus grande envergure, qui vise à fournir gratuitement aux mères et aux enfants des services de distribution de vitamine A, de vaccination systématique, de soins prénatals et postnatals et de soins généraux de prévention. Un centre d’information et de référence en santé reproductive a en outre été établi.

Un système de fonds de soins de santé communautaire a été mis en place à l’échelle locale pour contribuer au règlement des frais des soins obstétriques d’urgence. En ce qui concerne la mortalité maternelle, 3 des 11 décès intra-hospitaliers recensés en 2010 ont eu lieu dans des établissements ruraux. S’agissant de la planification familiale, l’utilisation de contraceptifs a considérablement augmenté depuis 2009; un tiers des femmes en utilisent aujourd’hui.

Article 13

M me Schulz dit que bien qu’il soit plus difficile que jamais de procéder à des réformes dans la Corne de l’Afrique, il n’est pas clairement indiqué pourquoi les taux de pauvreté, d’analphabétisme et de chômage des femmes ne se sont pas améliorés malgré un certain nombre de programmes visant à inclure ces dernières dans le développement économique, ni pourquoi les femmes n’ont pas bénéficié de la croissance économique nationale stable observée au cours des dernières années.

Compte tenu des difficultés que rencontrent les femmes qui souhaitent bénéficier de crédits, l’oratrice souhaite savoir si le Gouvernement compte développer le recours aux tontines, le système de prêts communautaires communément utilisé à Djibouti. Étant donné qu’il existe un certain nombre d’établissements de microfinancement, dont un qui est spécialisé dans l’octroi de prêts aux femmes pauvres, il serait intéressant de savoir si les taux d’intérêt qu’offrent ces établissements sont soumis à la concurrence et à combien ils s’élèvent. Il serait également utile de savoir si ces établissements fournissent une quelconque assistance aux femmes bénéficiant de prêts.

L’oratrice souhaite savoir si la population pastorale, et en particulier les femmes, est concernée par les mesures de développement agricole prises par le Gouvernement et s’il existe un risque de conflit à propos des terres. Enfin, étant donné la famine actuelle, elle souhaite savoir comment le Gouvernement compte fournir des vivres aux personnes en situation de pénurie alimentaire extrême, ce risque étant plus grand chez les femmes que chez les hommes, ainsi qu’aux milliers de réfugiés vivant à Djibouti.

M me Daoud (Djibouti) dit que les femmes constituent plus de la moitié des participants au système semi-officiel de tontine. Ce système permet aux femmes de bénéficier de garanties collectives, de s’instruire et d’obtenir des soutiens et à terme d’accéder à des prêts plus importants. Il est aujourd’hui plus facile aux femmes d’établir leur microentreprise et d’améliorer leur qualité de vie.

Le système pastoral traditionnel n’a pas résisté à la sécheresse et à la pauvreté et les troupeaux ont ainsi été décimés. Le développement de l’activité agropastorale vise à permettre aux populations pastorales d’assurer leur sécurité alimentaire. Le Gouvernement s’emploie à établir des centres agropastoraux dans les régions comptant d’importantes populations pastorales, en construisant des points d’eau permanents autour desquels pourraient se former des communautés. Une fois ces centres établis, les centres de soins et écoles suivront.

Le Fonds de développement économique de Djibouti tend à apporter son soutien à des projets menés par des femmes diplômées de l’enseignement supérieur tandis que les deux coopératives nationales d’épargne et de crédit, qui ont fusionné, aident les femmes et les ménages défavorisés. Ces établissements ne sont pas en concurrence car leurs services répondent à d’énormes besoins. L’organisme chargé de mettre en œuvre l’Initiative nationale de développement social apporte soutien et formation aux microentreprises.

La Présidente, s’exprimant en qualité d’experte, demande si le Gouvernement s’est doté d’objectifs et d’une stratégie pour accroître dans les années à venir le nombre de femmes ayant recours au microcrédit.

M me Daoud (Djibouti) fait savoir que le Gouvernement compte intégrer des objectifs sexospécifiques dans l’Initiative nationale de développement social au cours d’un prochain examen.

Article 14

M me Zou Xiaoqiao dit que les femmes rurales doivent participer au développement sur un pied d’égalité. Elle souhaiterait connaître le pourcentage de femmes rurales par rapport à la population rurale, la proportion de femmes contribuant à l’agriculture ou à d’autres types d’activité économique et la proportion de femmes se consacrant exclusivement aux travaux ménagers. Il serait également utile de disposer de données ventilées par sexe sur les taux de pauvreté en milieu rural. Des informations supplémentaires sur les projets menés en direction de groupes vulnérables particuliers de Djiboutiennes et les programmes d’information et de soins de santé reproductive destinés aux femmes rurales seraient également appréciées. L’oratrice souhaite enfin savoir combien il existe d’établissements coopératifs de prêt spécifiquement destinés aux femmes. Quelles mesures ont été prises pour encourager les femmes à y participer ?

M me Daoud (Djibouti) dit que la délégation comptait apporter les statistiques obtenues dans le cadre d’une étude effectuée récemment sur tous les aspects sociaux et économiques de la vie à Djibouti mais que ces informations ne lui ont pas été fournies à temps. Si l’on sait que 20 % de la population vivent en milieu rural, où les taux de pauvreté sont élevés, on ne dispose d’aucune donnée portant spécifiquement sur les femmes rurales. Djibouti se sert cependant de l’indicateur sexospécifique de développement humain et s’efforce de collecter des données ventilées par sexe.

Un certain nombre d’entités gouvernementales, y compris les Ministères de l’éducation et de la santé, collaborent en vue d’améliorer les méthodes d’irrigation et l’utilisation de l’eau en milieu rural. Dans le cadre de la première phase d’un programme mis en place en 2008, 20 puits cimentés ont été construits. La deuxième phase visera à établir des centres agropastoraux qui faciliteront l’accès de la population pastorale, et des femmes en particulier, à l’eau et aux écoles et centres de santé communautaire qui seront ensuite ouverts.

On a amélioré l’accès des femmes rurales aux services de santé grâce au déploiement d’équipes médicales mobiles et d’ambulances dans des régions où il n’existait aucun centre de santé communautaire. Des comités chargés de superviser les questions relatives à la vaccination et la contraception ont en outre été établis dans ces communautés.

Articles 15 et 16

M me Halperin-Kaddari dit que les réponses données en ce qui concerne le droit coutumier et les traditions à Djibouti ne sont guère satisfaisantes. L’État partie a adopté la Convention sans réserve et est tenu de combattre toute notion d’inégalité entre les femmes et les hommes qui est inscrite dans les lois, le droit religieux ou privé ou les coutumes. Le Comité ne peut donc accepter la réponse selon laquelle il serait impossible de modifier certaines coutumes. Elle incite vivement Djibouti à chercher des moyens d’harmoniser ses lois religieuses avec les principes de la Convention. Les organisations non gouvernementales peuvent peut-être apporter une assistance à cette fin.

Un certain nombre d’éléments cités dans le rapport sont en contradiction directe avec la Convention et la recommandation générale No 21 du Comité. Elle souhaite savoir s’il est prévu de mettre fin au versement du mahr, une dot sans laquelle un mariage n’est pas considéré comme valide. En ce qui concerne la pratique de la polygamie, elle constate que le Code de la famille a été modifié de telle sorte que la première épouse puisse se prononcer sur la décision de son mari de prendre une deuxième femme. L’oratrice souhaite savoir s’il est prévu de complètement abolir cette pratique.

Les hommes n’ont aucune justification à fournir quand ils demandent le divorce mais les femmes qui engagent une procédure de divorce sans justification doivent renoncer à certains droits et peuvent avoir à verser des dommages et intérêts. L’oratrice demande que cette différence de traitement soit expliquée et s’il est prévu de modifier de telles mesures discriminatoires. Elle souhaiterait également obtenir des renseignements sur l’évolution des lois relatives aux mariages entre musulmans et non-musulmans et les pratiques en matière de succession. Les faits observés dans d’autres pays au contexte similaire montrent sans ambiguïté que le cadre juridique adopté à Djibouti n’est pas la seule interprétation possible du Coran en ce qui concerne les droits des femmes en matière de succession.

M me Daoud (Djibouti) dit que même face à des mesures préférentielles, le poids de certaines traditions risque de freiner les efforts déployés en faveur des droits des femmes. La volonté politique est bien là, ainsi qu’en témoignent les mesures prises, qui font évoluer les mentalités, lentement mais sûrement. Cependant, dans le contexte social de Djibouti, certaines préoccupations, comme le droit à l’alimentation et de fait le droit à la survie même, constituent naturellement des priorités. Malgré tous les efforts du Gouvernement, les femmes ne peuvent ainsi entendre certains messages. Dans le cadre des efforts déployés pour remédier aux problèmes posés par les mentalités traditionnelles, Djibouti souhaiterait tirer les enseignements de l’expérience acquise par d’autres pays. Djibouti n’a pas interdit la polygamie mais a posé comme condition que l’homme concerné puisse subvenir aux besoins matériels de plus d’une épouse. En outre, depuis 2002, un homme ne peut prendre une deuxième épouse sans en informer la première et, en vertu du Code de la famille, le divorce par répudiation n’est plus possible.

Questions complémentaires

M.  Bruun, revenant à l’article 11, demande de nouveau des précisions sur la question du congé de maternité.

M me Halperin-Kaddari dit que le Comité a conscience des circonstances particulières de Djibouti et comprend que les changements nécessaires ne pourront se concrétiser sans véritable mobilisation. La Première Dame s’est entretenue de questions relatives aux femmes avec des chefs religieux, ce qui semble constituer un pas dans la bonne direction. L’oratrice se demande si une suite a été donnée à cette réunion et combien de femmes y ont participé, notamment parmi les représentants des religions. Il serait également intéressant de savoir si le Conseil constitutionnel examine les lois relatives au statut de la personne, car il est chargé de déterminer la constitutionnalité des lois, et s’il compte des femmes parmi ses membres.

M me Šimonović demande, à propos de l’article 10, quelles mesures ont été prises par le Gouvernement pour éliminer les stéréotypes, d’autant que les femmes elles-mêmes contribueraient soi-disant à les perpétuer. Malgré le recul observé des mutilations génitales féminines, la pratique reste profondément ancrée. L’oratrice se demande ce qui pourrait être faire pour contribuer à l’éliminer. L’État partie a-t-il besoin d’un appui financier ou autre? Des actions de sensibilisation sont-elles menées en direction des parents? Le Comité souhaiterait également savoir si les exciseuses peuvent être traduites en justice et, le cas contraire, si elles pourront l’être à l’avenir.

M me Rasekh se félicite des modifications apportées au Code de la famille, notamment de la possibilité de faire évaluer par un tribunal les préjudices causés par un deuxième mariage. Il serait utile d’être informé des moyens d’accès au système judiciaire dont disposent les femmes. L’oratrice demande si les femmes ont véritablement accès à la justice ou s’il s’agit seulement d’une possibilité théorique.

M me Schulz demande si la mise en place des nouveaux points d’eau mentionnés s’inscrit dans le cadre de la sédentarisation de la population pastorale. Elle souhaite également savoir quel taux d’intérêt est offert aux femmes dans le cadre du microcrédit.

M me Daoud (Djibouti) explique, pour répondre à la question sur le microcrédit, que les femmes bénéficient de trois mois et demi de congé intégralement rémunéré après l’accouchement. En ce qui concerne les mutilations génitales féminines, quelque 600 associations et ONG participent à la campagne menée contre ces pratiques et 300 d’entre elles sont dirigées par des femmes. Ces associations et ONG coopèrent avec le Gouvernement et participent également à la lutte contre le VIH/sida. Les femmes participent directement à l’administration de la charia en qualité de juristes et de juges, en particulier dans les tribunaux de statut personnel. En ce qui concerne l’élimination des stéréotypes, le Gouvernement s’efforce entre autres de retirer des manuels scolaires les références aux femmes qui sont dévalorisantes et de produire des émissions télévisées éducatives; le Ministère dont relève l’oratrice participe constamment à ces efforts. S’agissant de savoir si les exciseuses sont poursuivies en justice, l’oratrice fait savoir qu’elles le sont quand elles sont dénoncées. La priorité consiste à l’heure actuelle à mener une action de sensibilisation et de prévention; la prochaine étape consistera à condamner les exciseuses à des fins dissuasives. L’accès aux tribunaux est garanti de la même façon aux hommes qu’aux femmes, sans distinction, en particulier grâce à l’apport d’assistance juridique, qui est automatiquement accordée à certains groupes comme les personnes atteintes du VIH/sida et les mineurs victimes de violence; cela représente un coût énorme qui a été pris en charge par l’État conformément à une loi récemment adoptée. En réponse à la question portant sur la mise en place de nouveaux points d’eau, l’oratrice indique qu’il s’agit en effet de promouvoir la sédentarisation en faveur d’un mode de vie plus durable dans les régions reculées. S’agissant du microcrédit, aucun intérêt n’est imposé mais plusieurs garanties, dont une commune, sont exigées d’un des cinq membres de chaque groupe bénéficiaire; dans le cas du microfinancement, le taux d’intérêt est de 1 %.

M.  Abdou (Djibouti), abordant la question de la constitutionalité, dit qu’en cas de violation de droits de l’homme fondamentaux, le plaignant peut saisir directement le Conseil constitutionnel. En outre, lors d’une procédure judiciaire ordinaire, si le plaignant considère que la loi en vertu de laquelle il est jugé n’est pas constitutionnelle, il a la possibilité de soulever une exception d’inconstitutionnalité. La Cour suprême est alors saisie de l’affaire. Elle statue sur le fond de la demande et saisit, si besoin est, le Conseil constitutionnel. La décision de celui-ci est sans appel.

M me Daoud (Djibouti) dit en guise de conclusion que la présentation du premier rapport périodique de Djibouti est un motif de satisfaction personnelle et témoigne de l’ambition du Président de la République, qui, malgré l’inertie socioculturelle, même parmi certaines femmes, fait preuve de la volonté politique de promouvoir les droits des femmes. Une conscience collective de ces droits a ainsi vu le jour, qui permet aux femmes d’assumer de plus en plus la place qui devrait être la leur au sein de la société. Elle remercie les membres du Comité pour leur soutien et leurs conseils et attend avec intérêt de recevoir leurs recommandations visant à continuer à améliorer la situation des femmes à Djibouti.

La séance est levée à 16 h 5.