Trente-sixième session

Compte rendu analytique de la 745e séance (groupe B)

Tenue au Siège, à New York, le vendredi 11 août 2006, à 10 heures

Présidente :Mme Belmihoub-Zerdani (Vice-Présidente)

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Cinquième rapport périodique de la Jamaïque

En l’absence de M me  Manalo, M me  Belmihoub-Zerdani, Vice-Présidente, prend la présidence.

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports présentés par les États partiesconformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Cinquième rapport périodiquede la Jamaïque (CEDAW/C/JAM/5; CEDAW/C/JAM/Q/5 et Add.1)

Sur l’invitation de la Présidente, les membres de la délégation jamaïcaine prennent place à la table du Comité.

M me  Bailey (Jamaïque) dit que le Gouvernement a montré son engagement à l’égard de la promotion et de la défense des droits de l’homme en créant, en 2001, une section spéciale des droits de l’homme au sein du Ministère de la justice. En ce qui concerne la Convention, il est prévu que la Jamaïque adhérera au Protocole dans un avenir proche.

Des initiatives en faveur de l’égalité des sexes et des droits des femmes ont été prises dans le cadre de la coopération du Gouvernement avec des organisation féminines, des ONG, des organisations d’inspiration religieuse, la société civile et le parti de l’opposition. Bien que la question de la violence contre les femmes, y compris la traite des êtres humains et la violence sexuelle, ait été prise en compte dans de nouveaux textes législatifs et qu’elle ait fait l’objet de campagnes publiques d’information, les violations qui continuent d’être signalées exigent une action décisive. Le dialogue entre les parties concernées a porté principalement sur la mobilisation des législateurs, le réexamen de la législation, l’information et la sensibilisation du public, et sur l’hygiène sexuelle, et la santé et les droits génésiques. Une plus grande attention a été portée aux questions concernant les femmes et les enfants grâce, dans une large mesure, à la nomination récente de la première femme qui occupe le poste de Premier Ministre de la Jamaïque. En dépit de ces progrès, les femmes demeurent sous-représentées aux niveaux les plus élevés, en raison de la persistance des idées reçues et des préjugés auxquels les femmes se heurtent encore quant à leur aptitude à exercer l’autorité.

La réalisation des objectifs de la Convention dépend d’une réforme du processus législatif : les retards que connaît l’adoption de modifications de la législation en vigueur sur les droits des femmes est imputable au fait que le Parlement a d’autres problèmes urgents d’intérêt national auxquels consacrer son attention et ses ressources, notamment la délinquance. Le processus législatif lui-même empêche l’adoption rapide de lois importantes. Les projets de loi sont systématiquement renvoyés devant un comité parlementaire mixte qui doit les examiner en détail et en débattre avec des groupements d’intérêt public et privé. Ainsi, le projet de loi constitutionnelle portant modification de la Charte des droits et libertés, moyennant une série d’amendements pour interdire la discrimination fondée sur le sexe, a fait l’objet de débats intenses qui se sont prolongés pendant plusieurs sessions parlementaires. Toutefois, un ensemble de lois sur la violence familiale, la protection de l’enfance, les droits patrimoniaux des époux et les pensions alimentaires ont été promulguées depuis 2004, et l’on attend une décision sur des lois de portée nationale et internationale, relatives à des questions telles que les atteintes à la vie et à l’intégrité de la personne, l’inceste et la production de preuves.

Dans la population active, le pourcentage de femmes reste inférieur à celui des hommes, bien que l’écart se réduise progressivement. Outre qu’elle est sous-représentée sur le marché du travail, la majorité de la main-d’œuvre féminine occupe des emplois mal rémunérés dans des secteurs subalternes, et l’évolution du marché de l’emploi tend nettement à confirmer les différences entre les sexes et les stéréotypes concernant le rôle des femmes. Cependant, grâce à une participation accrue des femmes au niveau de l’enseignement supérieur, leur nombre dans la catégorie des cadres, parmi les fonctionnaires et techniciens qualifiés, a presque doublé entre 1994 et 2003. Dans cette catégorie, les rémunérations des femmes sont moins élevées et ce sont plutôt des hommes qui occupent les postes de responsabilité.

La faible participation des femmes au marché des capitaux doit être considérée dans le contexte d’une féminisation croissante de la pauvreté et de l’augmentation du nombre de femmes chefs de famille. Pour remédier à cette situation, le Gouvernement a mis en place des programmes spéciaux pour la protection des groupes vulnérables de la population.

Tous les services dispensant des soins de santé primaires et secondaires sont accessibles aux femmes comme aux hommes. Mme Bailey a la satisfaction de pouvoir annoncer la baisse du taux de mortalité maternelle qui est passé, entre 2000 et 2005, de 111 à 95 décès pour 100 000 naissances vivantes. Des directives et diverses autres mesures concernant l’hygiène sexuelle et la santé génésique, en particulier, chez les jeunes et les adolescents, sont en cours d’élaboration. Un programme de traitement et de prévention du VIH/sida a été adopté et constitue un ensemble de principes directeurs visant à protéger les droits des personnes atteintes de la maladie et à lutter contre la discrimination à leur égard dans le cadre d’activités d’information et de sensibilisation auprès du public.

Il est regrettable que les statistiques détaillées demandées par le Comité ne soient pas immédiatement disponibles, mais on peut indiquer que les femmes représentent 62 % de la population rurale. Plusieurs groupements de femmes rurales ont organisé des activités économiques dans le domaine de l’agriculture et des entreprises qui s’y rattachent, des systèmes de crédit et d’emprunt ont été institués, et certains ministères intéressés ont établi des programmes spéciaux en faveur de l’autonomie des femmes rurales. De plus, les questions concernant les femmes ont été prises en compte dans le programme national de gestion des ressources en eau afin d’éviter aux femmes et aux enfants la lourde charge que leur impose la pénurie d’eau potable.

Les efforts d’intégration des questions sexospécifiques ont eu plus ou moins de succès. La volonté politique et l’engagement des institutions et des individus sont indispensables pour obtenir des résultats positifs. Il faut donc espérer que la politique nationale d’égalité entre les sexes permettra d’agir de façon systématique dans le sens de cette intégration.

En conclusion, il est clair qu’au cours de la période considérée, la Jamaïque a accompli quelques progrès en matière d’égalité entre les sexes mais qu’il lui reste d’importants obstacles à surmonter. Bien que l’éducation ait amélioré la qualité de vie des Jamaïcaines, elle n’a guère changé leur place dans la société ni débouché sur un partage plus équitable des pouvoirs. Il demeure évident que l’éducation doit être encouragée comme étant le meilleur moyen de faire évoluer les conceptions traditionnelles du rôle des femmes et d’abolir les systèmes et les structures de caractère patriarcal.

Le Gouvernement est prêt à contrôler étroitement l’application de la Convention, avec le concours de la population, des ONG et des organisations féminines. Il est envisagé de constituer un groupe de personnes connaissant bien la Convention, qui aideraient à établir les rapports périodiques et à leur donner suite. Le Gouvernement reste fermement résolu à s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre de la Convention et à établir un programme d’action bien documenté en matière d’intégration des questions sexospécifiques, de manière à rééquilibrer le rapport de force entre les hommes et les femmes et à réorganiser les schémas et structures hiérarchiques.

Articles 1er à 6

M me  Patten félicite le Gouvernement jamaïcain de son action en faveur des droits des femmes et, en particulier, de son engagement en faveur de l’adhésion de la Jamaïque au Protocole facultatif. Elle aimerait en savoir plus sur la date prévue pour cette ratification et pour l’adoption envisagée de la Charte des droits. Il importe de garantir en priorité que les femmes auront accès aux voies de recours invoquant la Constitution. Il serait bon que la Charte envisagée contienne une définition de la discrimination conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention, et prévoie des garanties contre la discrimination directe et indirecte que peuvent exercer les autorités judiciaires, les organisations, les entreprises et les particuliers. Mme Patten demande des informations sur la nature et les programmes de la formation qui est dispensée au personnel judiciaire et aux agents de la force publique, notamment en ce qui concerne la Convention et les recommandations générales du Comité, et elle voudrait savoir s’il arrive que la Convention soit directement invoquée dans les tribunaux jamaïcains.

Le manque de statistiques ventilées par sexe entrave, dans certains domaines, le fonctionnement des mécanismes institutionnels et diminue la capacité des pouvoirs publics de concevoir et d’appliquer des mesures efficaces visant à faire prévaloir les intérêts des femmes. Mme Patten rappelle en outre que le Comité, dans sa recommandation générale no 9, a instamment engagé les États parties à faire en sorte que les organismes nationaux compétents établissent des statistiques qui puissent facilement être ventilées par sexe. Elle suggère donc au Gouvernement jamaïcain de réviser ses méthodes de collecte de données et d’établissement de statistiques, pour pouvoir disposer de données plus fiables sur la promotion des femmes dans les domaines économique, culturel et social.

M. Flinterman demande si la ratification du Protocole facultatif devra être soumise au Comité parlementaire mixte pour examen. Si c’est le cas, le processus risque de subir de nouveaux retards. Il se félicite de l’élaboration du projet de loi portant Charte des droits et demande si une définition de la discrimination à l’égard des femmes figure déjà dans le texte. À défaut, le Gouvernement jamaïcain a-t-il l’intention d’introduire cette définition dans la législation promulguée conformément à la Charte?

Au paragraphe 44 du rapport, il est indiqué que l’absence du terme « sexe », au paragraphe 3 de la section 14 de la Constitution, ne permet pas de porter plainte pour discrimination fondée sur le sexe en invoquant les termes de la Constitution. M. Flinterman demande à la délégation jamaïcaine des éclaircissements sur ces voies de recours invoquant la Constitution. Il lui semble que, sous le régime de la common law, toute personne peut demander réparation en invoquant les dispositions de la législation de droit commun.

Toujours au sujet du cadre constitutionnel et législatif, M. Flinterman appelle l’attention sur la réponse à la question no 2 qui figure dans le document CEDAW/C/JAM/Q/5/Add.1, et demande des explications sur l’idée selon laquelle le chapitre 13 de la Constitution a valeur de préambule et ne crée donc pas de droits. Cette idée est en contradiction avec une décision antérieure du Conseil privé selon laquelle le chapitre 13 établit certains droits. Il voudrait comprendre comment les dispositions de la Constitution peuvent être interprétées comme n’ayant aucun effet juridique.

En ce qui concerne les voies de recours, M. Flinterman demande dans quelle mesure les femmes ont fait appel à une assistance juridique pour porter plainte pour discrimination fondée sur le sexe, et s’il existe d’autres moyens et procédures de règlement des différends. Tout en se félicitant de la révision générale de la législation qui est en cours, il souligne qu’il importe de fixer une date limite précise à laquelle les réformes devront être menées à bonne fin, comme l’exige l’article 2 de la Convention.

M me  Dairiam partage les vues de M. Flinterman sur la nécessité d’entreprendre les réformes législatives indispensables pour éliminer sans plus tarder la discrimination à l’égard des femmes. Le Comité s’inquiète du fait que les réformes visant à renforcer la protection des droits des femmes ne sont pas considérées comme prioritaires par rapport à d’autres questions, alors qu’il s’agit d’une question d’intérêt national. Les campagnes menées auprès du public se sont révélées efficaces pour mobiliser un appui de haut niveau en faveur de la ratification rapide du Protocole facultatif, et il serait peut-être bon que le Bureau des affaires féminines ait recours à cette méthode pour faire reconnaître la nécessité d’une réforme législative.

Mme Dairiam a le sentiment que les efforts de sensibilisation aux questions concernant les femmes n’ont pas apporté de progrès sensibles depuis l’élan initial donné en 1992. Elle est donc curieuse de savoir quelles mesures ont été envisagées pour que la politique nationale pour l’égalité des droits des femmes atteigne plus sûrement le but recherché. Elle voudrait aussi savoir si le Bureau des affaires féminines a un mandat et des attributions clairement définis à cet égard; s’il exerce assez d’influence pour accélérer l’adoption de mesures en faveur de l’égalité des sexes dans le secteur public; et s’il est doté d’une structure adéquate qui lui permette de coordonner l’action dans ce domaine. Elle demande enfin des informations détaillées sur les moyens matériels dont dispose le Bureau, notamment ses ressources en personnel et les fonds qui lui sont affectés, et sur le rang qu’occupe son directeur dans la hiérarchie.

M me  Arocha Domínguez connaît bien les difficultés auxquelles se heurtent les petits pays des Caraïbes comme la Jamaïque, dont les institutions chargées des questions féminines sont d’une portée limitée, faute de ressources suffisantes. Elle partage les vues de Mme Dairiam en ce qui concerne la capacité du Bureau des affaires féminines de fournir à tous les niveaux de l’administration nationale les conseils et les informations nécessaires et de promouvoir la reconnaissance des intérêts des femmes dans les collectivités locales et rurales. Elle demande si des organismes subsidiaires ont été constitués pour jouer ce rôle, et voudrait avoir des informations supplémentaires sur la coordination entre le Bureau et le Comité consultatif de la condition de la femme, et sur les résultats obtenus par ce comité depuis sa création en 2004.

M me  Boxill (Jamaïque), répondant aux questions concernant la définition de la discrimination, dit que le chapitre 24 de la Constitution jamaïcaine traite en termes généraux de la discrimination. L’absence du mot « sexe » signifie que cette disposition ne vise pas spécifiquement la discrimination fondée sur le sexe. Avec les modifications envisagées, ce chapitre sera mis en conformité avec l’article premier de la Convention.

En ce qui concerne le chapitre 13 de la Constitution et son interprétation apparemment contradictoire, Mme Boxill fait observer qu’il garantit des droits égaux et un traitement égal à toutes les personnes au regard de la loi. À sa connaissance, les tribunaux n’ont jamais eu à connaître de la discrimination à l’égard des femmes et l’on ne peut donc que s’interroger sur la position que les tribunaux adopteraient dans une affaire de cette nature. Il est d’autant plus utile et urgent de modifier le chapitre 24 pour apporter la clarté qui s’impose.

La Charte a fait l’objet de beaucoup de controverses qui ont retardé son adoption, mais les dispositions traitant spécifiquement de la discrimination à l’égard des femmes ont été unanimement approuvées. Le Comité mixte d’enquête a publié son rapport, ce qui devrait accélérer la procédure d’adoption et la mener à bonne fin dans les délais prescrits par la loi.

Les voies de recours constitutionnelles s’appliquent par principe aux cas de violation des droits garantis par la Constitution mais ne peuvent être portées devant le tribunal constitutionnel qu’après épuisement des voies de recours de droit commun.

M me  Macaulay (Jamaïque) dit que la Convention n’a pas été invoquée devant les tribunaux jamaïcains parce que ses dispositions ne peuvent pas être appliquées avant d’avoir été introduites dans la législation nationale. Il est également regrettable que, malgré leur formation très complète, les membres de la magistrature n’aient pas de directives précises concernant la discrimination à l’égard des femmes. Cependant, à l’issue de débats qui ont eu lieu récemment, il a été largement reconnu que les programmes de formation à l’intention du personnel judiciaire devraient traiter de la Convention et d’autres instruments internationaux.

Dans la pratique, l’aide judiciaire n’est octroyée qu’aux justiciables, hommes ou femmes, inculpés d’infractions graves. Les femmes, toutefois, peuvent s’adresser à un avocat public qui relève directement du Parlement.

En ce qui concerne le rythme des réformes, Mme Macaulay souligne qu’il est fort utile et même indispensable que le public participe aux débats, non seulement en application du processus démocratique, mais aussi compte tenu du fait que la population connaît ses droits et y est attachée. Bien que la législation réprimant la délinquance et le terrorisme soit prioritaire, et que ce soit au détriment des projets de loi relatifs à la protection des droits des femmes, il est indéniable que les femmes, elles aussi, ont tout intérêt à ce que la sécurité générale soit renforcée. Mais les organisations féminines restent vigilantes. Elles suivront attentivement l’action du Gouvernement et veilleront à ce que la législation relative à la promotion des droits des femmes ne subisse pas trop de retards.

M me  Webster (Jamaïque) dit que l’action en faveur de la reconnaissance des droits des femmes a vraiment commencé en 1999 grâce à un organisme de contrôle mis en place avec l’aide du Secrétariat du Commonwealth. Depuis lors, un certain nombre d’activités ont été menées, visant essentiellement à sensibiliser et à informer le grand public et, en particulier, le secteur public. Malgré d’importants progrès accomplis dans ce domaine, les activités étaient trop dispersées. Le Comité consultatif de la condition de la femme et le Bureau des affaires féminines ont lancé plusieurs programmes plurisectoriels visant à déceler les faiblesses et à y remédier. Un effort particulier a été fait pour mettre au point des programmes de formation et du matériel d’éducation à diffuser dans les diverses institutions, établissements d’enseignement, centres religieux et autres, et pour appeler les femmes à participer à cette action dans leurs communautés rurales.

Il est évident que le Bureau, qui ne compte que 18 fonctionnaires, n’a pas la capacité de remplir pleinement sa mission. Il a cependant établi des relations de collaboration avec certains organismes et institutions gouvernementaux pour faire avancer les activités d’intégration, d’information et de diffusion. Outre les activités du Bureau, l’Institut jamaïcain de statistique, avec l’assistance technique d’organismes régionaux, et l’Institut jamaïcain de planification, s’emploient activement à améliorer la collecte de données sur la situation des femmes. Il est vrai que le perfectionnement des méthodes de collecte de données pourrait progresser plus rapidement, mais Mme Macaulay peut affirmer au Comité que le Gouvernement est convaincu de l’utilité des données ventilées par sexe pour l’élaboration et l’application de ses programmes.

M me  Bailey (Jamaïque) dit que le Comité consultatif de la condition de la femme a eu pour objectif, depuis sa création en 2004, d’élaborer la politique nationale d’égalité entre les sexes, dont le texte préliminaire, mis au point après de larges consultations à travers le pays, est presque achevé. La prochaine étape consistera à définir les mécanismes nécessaires pour appliquer cette politique. Ce sera l’occasion de présenter des recommandations visant à renforcer les moyens d’action du Bureau des affaires féminines.

M me  Ingleton (Jamaïque), évoquant la ratification du Protocole facultatif, dit qu’un projet de texte sera soumis au Cabinet en septembre, et que l’on peut prévoir l’achèvement de la procédure avant la fin de 2006.

M me  Patten note que le rapport ne mentionne pas de mesures temporaires spéciales relatives à la discrimination à l’égard des femmes. Les femmes jamaïcaines sont pratiquement absentes des postes de responsabilité et se retrouvent en majorité dans des emplois mal rémunérés. Les mesures et programmes visant à améliorer la situation des femmes ne peuvent pas être considérés comme des mesures temporaires spéciales au sens du paragraphe 1 de l’article 4. Mme Patten appelle l’attention sur la recommandation générale no 25, qui définit ces mesures et leur utilisation pour parvenir à des résultats concrets en matière d’égalité des sexes. Les États parties sont en outre engagés à fournir des informations sur les raisons qui les empêchent d’adopter des mesures temporaires spéciales. Pour parvenir à établir une égalité de fait, il est indispensable d’adopter des stratégies efficaces visant à remédier à la sous-représentation des femmes, et à redistribuer les ressources et les pouvoirs entre les hommes et les femmes. Les mesures temporaires spéciales offrent le moyen d’accélérer la représentation des femmes à égalité avec les hommes dans tous les domaines d’activité, et joueraient un rôle extrêmement utile pour lutter contre les stéréotypes, si répandus en Jamaïque, à l’égard des femmes. Mme Patten demande instamment au Gouvernement de tenir compte du paragraphe 1 de l’article 4, à la lumière de la recommandation générale no 25. Elle espère que des mesures temporaires spéciales seront prises au cours de la période couverte par le prochain rapport.

M me  Gabr appelle l’attention sur le paragraphe 65 du rapport, où il est indiqué que les stéréotypes à l’égard des femmes sont profondément ancrés et largement répandus dans la société jamaïcaine. Cette question a été évoquée dans les conclusions du Comité lors de l’examen du rapport précédent, dans les réponses à la liste des questions et au cours de la présentation orale du cinquième rapport périodique. De l’avis général, les attitudes traditionnelles stéréotypées portent préjudice à la dignité des femmes et à leur rôle dans la société. À cet égard, l’élection d’une femme au poste de Premier Ministre a été un événement prometteur. Par l’intermédiaire du Bureau des affaires féminines, le Gouvernement collabore activement avec les médias et la société civile, entre autres, pour changer les mentalités et éliminer les stéréotypes concernant les femmes. Cependant, des mesures complémentaires s’imposent pour accomplir de réels progrès et Mme Gabr demande à la délégation d’informer le Comité des mesures de tous ordres qui seraient envisagées pour venir à bout des stéréotypes. Elle est convaincue que le caractère généralisé de ces préjugés a un lien direct avec la violence à l’égard des femmes, et espère vivement qu’une législation appropriée sera adoptée sans tarder sur la question, ainsi que pour condamner et réprimer l’inceste.

Mme Gabr espère que les conclusions du Comité seront communiquées au Parlement pour faire prévaloir la nécessité d’adopter une législation qui s’attaque fermement à la dévalorisation des femmes et à toutes les formes de violence à leur égard.

M me  Shin s’interroge sur l’efficacité de la législation et des mesures adoptées par le Gouvernement au titre des articles 5 et 6, pour faire évoluer la culture et les traditions patriarcales qui sont à l’origine de la fréquence alarmante des actes de violence commis contre les femmes en Jamaïque. Elle voudrait savoir, tout d’abord, quelles mesures ont été prises pour faire cesser l’incitation à la violence contre les femmes, si souvent mise à l’honneur dans la musique populaire. En deuxième lieu, elle demande des informations sur la nature des mesures prises en application de la Charte et du Code pour la protection des mineurs, qui permettraient de lutter contre l’influence néfaste des programmes présentés sur les médias électroniques, et sur l’efficacité de ces mesures. En troisième lieu, elle voudrait savoir si, dans les collectivités, l’action de la police a permis une diminution des actes de violence familiale.

Dans certains systèmes juridiques, les juges étaient naguère tenus, dans les procès pour sévices sexuels, de mettre les jurés en garde contre les fausses déclarations que pouvaient faire les victimes de viol. Mme Shin demande si c’est la règle en Jamaïque et, dans l’affirmative, elle estime que le Gouvernement doit prendre les mesures qui s’imposent pour abolir cette règle.

En ce qui concerne le tourisme et la prostitution, Mme Shin note avec préoccupation que les Caraïbes sont souvent recommandées comme destination du tourisme sexuel. Elle demande ce qui a été fait pour donner de la Jamaïque une image moins dégradante, et si ceux qui rémunèrent les faveurs sexuelles sont considérés comme des délinquants, au même titre que les prostitués, hommes ou femmes.

M me  Bailey (Jamaïque) dit que le Gouvernement est bien conscient que les stéréotypes sexospécifiques sont à l’origine des inégalités qui existent entre les hommes et les femmes. Diverses mesures ont été adoptées, visant essentiellement à donner une nouvelle orientation à l’influence que certaines personnes exercent dans la société, principalement dans les domaines de l’enseignement, de la formation des enseignants, et de l’éducation familiale, ainsi qu’à contrôler le contenu des programmes diffusé par les médias. Les groupements religieux et le personnel judiciaire prennent également part à ces activités de sensibilisation.

Il est généralement reconnu que l’adaptation des structures dans les divers secteurs revêt une importance capitale et c’est dans ce sens que des organismes comme le Comité consultatif de la condition de la femme ont orienté leurs efforts pour faire reconnaître la nécessité d’adopter une politique nationale d’égalité entre les hommes et les femmes.

M me  Macaulay (Jamaïque) dit que la règle de la common law selon laquelle les juges doivent mettre les jurés en garde est toujours en vigueur, mais les réformes législatives envisagées l’aboliront. Elle précise que le racolage est une infraction, contrairement à la prostitution proprement dite. Il est regrettable que les hommes qui fréquentent des prostituées ne soient généralement pas poursuivis en raison des préjugés culturels dans le domaine des relations sexuelles, et qu’aucune pression ne se soit exercée sur les pouvoirs publics pour que les clients des prostituées soient poursuivis.

L’adoption de modifications à la loi de 1948 sur la répression de l’inceste et de la loi de 1864 (sic) réprimant les atteintes dirigées contre la personne est attendue pour moderniser ces textes et les adapter aux réalités présentes. Ces modifications indiqueront clairement que les infractions en cause seront passibles de peines plus sévères que par le passé. Mme Macaulay saisit l’occasion de présenter des chiffres montrant que la modification de la loi de 1995 sur la violence familiale a déjà eu des résultats concrets car elle en étend le champ d’application et renforce la protection des victimes.

M me  Boxill (Jamaïque) explique que les directives publiées en application de la Charte et du Code de conduite des médias ont force de loi, et l’organisation Women’s Media Watch (Comité féminin de surveillance des médias) a déposé plainte contre plusieurs programmes dont le contenu allait à l’encontre de ces directives.

M. Flinterman, revenant à la question de l’interprétation du chapitre 13 de la Constitution, se dit satisfait de l’interprétation assez large qu’en a donné le Conseil privé, mais quelque peu préoccupé par l’interprétation étroite du Gouvernement. À son avis, si l’on se fonde sur les principes régissant l’interprétation des dispositions constitutionnelles et légales, il est possible de trouver dans ce chapitre une définition de la discrimination fondée sur le sexe mais, en l’absence d’une décision contraire émanant d’un tribunal, il appartient au Gouvernement de démontrer le bien-fondé de sa propre interprétation. M. Flinterman demande à la délégation jamaïcaine de présenter ses observations à ce sujet.

Il serait également intéressant de savoir si la disposition en question serait conforme à l’article premier de la Convention si l’on ajoutait le terme « sexe »a dans la définition de la discrimination qui figure au paragraphe 3 du chapitre 24 de la Constitution, comme cela est envisagé dans le projet de loi en cours d’examen. M. Flinterman doute que ce soit le cas car il n’est pas convaincu que la définition concerne aussi la discrimination « indirecte ».

Selon certaines déclarations, sous le régime juridique dualiste de la common law, les dispositions des instruments internationaux ne peuvent pas être invoquées si elles n’ont pas été introduites dans la législation interne. Or, il est également reconnu que, dans tous les pays, les autorités judiciaires doivent interpréter les lois internes sans contrevenir aux obligations internationales des États parties. Il importe donc au plus haut point que la formation du personnel judiciaire porte sur l’étude de la Convention. Aussi, M. Flinterman apprend-il avec satisfaction que des stages de formation dans ce domaine sont organisés.

M. Flinterman prend note avec satisfaction de l’explication fournie par la délégation jamaïcaine sur le système d’assistance judiciaire, mais se demande cependant, si le Gouvernement ne pourrait pas envisager favorablement d’octroyer aux femmes une assistance judiciaire qui les encouragerait à demander réparation et à recourir aux tribunaux pour porter plainte et obtenir que leurs droits soient respectés.

M me  Dairiam, préoccupée par le fait que les actes de violence commis contre des femmes bénéficient trop souvent de l’impunité, approuve les modifications envisagées qui pourraient remédier à cette situation. Il semble, toutefois, que le système juridique jamaïcain favorise l’impunité en multipliant les obstacles qui dissuadent les femmes de porter plainte et de demander réparation.

Elle n’est pas entièrement satisfaite des motifs invoqués pour expliquer les retards dont souffre la réforme législative, et aimerait savoir dans quelle mesure les femmes participent aux débats du Comité parlementaire mixte. Elle demande à la délégation jamaïcaine de fournir des exemples de mesures temporaires spéciales qui pourraient être prises en application de la nouvelle politique d’égalité entre les hommes et les femmes.

M me  Shin revient sur la question du tourisme sexuel qui la préoccupe car elle considère que c’est un des corollaires des stéréotypes qui dévalorisent les femmes. Elle voudrait savoir si le Gouvernement envisage de coopérer dans ce domaine avec les gouvernements des pays donc ces touristes sont originaires.

M me  Boxill (Jamaïque) souscrit à l’interprétation du chapitre 13 de la Constitution dans son sens large. Afin de dissiper les doutes qui entourent la discrimination, la modification proposée consisterait à mentionner expressément la discrimination fondée sur le sexe parmi les autres types de discrimination, et cette disposition s’appliquerait alors encore plus largement. La nouvelle Charte des droits protègera les femmes contre la discrimination, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, et concernera non seulement les relations entre l’État et les citoyens mais aussi les relations entre les particuliers.

La loi en vigueur sur l’assistance juridique s’applique non seulement aux affaires pénales mais aussi aux affaires civiles et constitutionnelles. Cependant, faute de ressources suffisantes, elle n’a été appliquée jusqu’à présent que par étapes, mais avec la ferme intention de l’appliquer plus largement par la suite. Mme Boxill précise que l’Avocat public est spécialement chargé de traiter les questions et les plaintes relatives aux droits de l’homme et, par conséquent, les plaintes déposées par les victimes de la discrimination fondée sur le sexe. Elle appelle l’attention sur le qualificatif « discriminatoire » qui figure au paragraphe 3 du chapitre 24, et répète que c’est la portée générale de cette disposition qu’il faut retenir, même s’il convient d’ajouter le sexe aux autres motifs de discrimination.

Mme Boxill reconnaît avec M. Flinterman que les magistrats doivent tenir compte des obligations des États dans leurs décisions, même si les dispositions des instruments internationaux n’ont pas été introduites dans la législation interne.

M me  Macaulay (Jamaïque) pense qu’il serait souhaitable de prendre modèle sur le système en vigueur en droit civil et de rendre obligatoire, pour les juristes qui se préparent à la fonction de magistrat, de suivre une formation spéciale.

Elle estime que le Gouvernement devrait s’efforcer d’encourager les partis politiques à accélérer le rythme auquel progresse la réforme législative. Elle est certaine que personne ne souhaite limiter la participation du public aux débats de la Commission mixte. Soit en groupe, soit à titre individuel, des femmes ont déjà participé activement à ces débats et formulé d’importantes recommandations qui ont été prises en considération. Le Bureau des affaires féminines entend poursuivre ses activités de formation et d’information de l’opinion en faveur de la réforme de la législation. Ses activités visent aussi à renforcer la prise de conscience des droits des femmes chez les agents de la force publique et de la santé publique, et à réexaminer l’ensemble du système judiciaire afin de faire mieux comprendre la violence familiale et les autres formes de violence, y compris sexuelle, dont les femmes sont les victimes.

M me  Bailey (Jamaïque) signale au Comité que, depuis deux ans, se déroulent des activités concernant la politique nationale d’égalité entre les hommes et les femmes et que des débats seront organisés sur l’infrastructure, les ressources et les activités de formation nécessaires pour constituer un personnel d’encadrement ayant les capacités et les connaissances voulues pour faire reconnaître le rôle et les droits des femmes dans tous les secteurs concernés. Elle ne doute pas que des mesures temporaires spéciales seront adoptées pour que ces activités atteignent leur objectif.

M me  Ingleton (Jamaïque) affirme catégoriquement que le Gouvernement jamaïcain ne tolère ni ne cautionne le tourisme sexuel. Lors des préparatifs de la coupe mondiale de cricket, qui aura lieu en 2007, tout sera fait pour barrer la route au tourisme sexuel, qui est surtout un « produit d’importation ».

Articles 7 à 9

M me  Popescu encourage la Jamaïque à continuer de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes et la participation de celles-ci à la vie politique et publique car elles sont vraiment trop peu représentées dans les secteurs public et privé. L’élection d’une femme au poste de Premier Ministre et le nombre de femmes placées à la tête d’organisations internationales sont la preuve que les Jamaïcaines sont capables d’occuper des postes de premier plan.

Elle demande quelles mesures ont été prises par le Comité consultatif et par le Bureau des affaires féminines pour que les femmes participent davantage à la vie publique et politique. Elle aimerait également savoir s’il existe des programmes éducatifs destinés spécialement aux hommes, sur le partage des responsabilités familiales et sur l’appui qu’ils se doivent d’apporter à la promotion de la femme. Elle demande aussi quelle est l’image que donnent les médias des femmes et du rôle qu’elles ont à jouer.

Mme Popescu voudrait en outre savoir si les femmes rurales ont les moyens de participer à la prise de décisions dans leur collectivité, et quelles mesures ont été prises par le Gouvernement et le Bureau pour les encourager à assumer des responsabilités importantes. Enfin, elle demande ce que fait le Gouvernement pour inciter les partis politiques à recruter des femmes parmi leurs adhérents, et souligne combien il importe d’adopter des mesures temporaires spéciales pour que les femmes participent davantage à la vie politique et publique.

La séance est levée à 13 heures.