Observations finales concernant le huitième rapport périodique du Sénégal *

Le Comité a examiné le huitième rapport périodique du Sénégal (CEDAW/C/SEN/8) à ses 1856e et 1857e séances (voir CEDAW/C/SR.1856 et CEDAW/C/SR.1857), tenues en ligne le 10 février 2022. La liste de points et de questions soulevés par le groupe de travail de présession figure dans le document CEDAW/C/SEN/Q/8, et les réponses du Sénégal dans le document CEDAW/C/SEN/RQ/8.

A.Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le huitième rapport périodique de l’État partie. Il remercie ce dernier des réponses écrites apportées à la liste de points et de questions soulevés par le groupe de travail de présession, et accueille avec satisfaction l’exposé oral de la délégation et les éclaircissements complémentaires donnés en réponse aux questions qu’il a posées oralement dans le cadre du dialogue.

Le Comité félicite l’État partie pour sa délégation de haut niveau, qui a participé à distance depuis Dakar et qui était dirigée par la Ministre de la femme, de la famille, du genre et de la protection des enfants, Ndèye Saly Diop Dieng. La délégation comprenait également des représentants du Ministère de l’agriculture et de l’équipement rural ; du Ministère de l’emploi, de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’insertion ; du Ministère de l’environnement et du développement durable ; du Ministère des affaires étrangères ; du Ministère de la justice ; du Ministère de la santé et de l’action sociale ; du Ministère de l’intérieur ; du Ministère du travail, du dialogue social et des relations avec les institutions ; du Ministère de l’éducation nationale ; du Ministère de la femme, de la famille, du genre et de la protection des enfants et de la Mission permanente du Sénégal auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève.

B.Aspects positifs

Le Comité se félicite des progrès accomplis depuis l’examen, en 2015, du rapport valant troisième à septième rapports périodiques de l’État partie (CEDAW/C/SEN/3-7) dans la mise en place de réformes législatives, et notamment de l’adoption des textes suivants :

a)Le décret no 2021-1469 du 3 novembre 2021 relatif au travail des femmes enceintes ;

b)La loi no 2020-05 du 10 janvier 2020, qui criminalise toutes les formes de viols et de pédophilie ;

c)La circulaire no 09-89 du 5 juin 2018, qui établit des quotas relatifs à l’accès des femmes à la terre, à l’énergie, à l’eau et aux autres ressources naturelles ;

d)La loi no 2016-32 du 8 novembre 2016 portant code minier, dont l’article 109 consacre l’égalité des chances dans l’emploi et l’équité salariale entre les employés masculins et féminins à qualification égale.

Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer son cadre institutionnel et stratégique en vue d’accélérer l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes et de promouvoir l’égalité des genres, notamment l’adoption ou la mise en place des éléments suivants :

a)Le deuxième plan d’action sur la mise en œuvre de la résolution 1325(2000) du Conseil de sécurité, qui couvre la période 2022-2026 ;

b)La stratégie nationale en faveur de l’autonomisation économique des femmes et des filles pour la période 2021-2025 ;

c)Le plan quadriennal de lutte contre le VIH/sida et la tuberculose pour la période 2021-2025 ;

d)La stratégie nationale intitulée « École des maris », adoptée en 2021 (CEDAW/C/SEN/RQ/8, par. 179) ;

e)L’Agenda national de la fille pour la période 2020-2024, dont l’une des priorités est l’élimination du mariage d’enfants (ibid., par. 178) ;

f)Le programme pour la résilience économique et sociale, adopté en 2020 dans le contexte de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) ;

g)Le plan sectoriel pour la résilience économique des femmes, adopté en 2020 ;

h)Le plan national de développement sanitaire et social pour la période 2019-2028 ;

i)La stratégie nationale et le plan d’action 2019-2023 pour l’élimination de l’excision ;

j)Le programme intitulé « Délégation à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes », adopté en 2019 ;

k)Le quatrième plan stratégique national de lutte contre le VIH/sida, qui couvre la période 2018-2022 ;

l)La deuxième stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre 2016‑2026 ;

m)La stratégie numérique du Sénégal pour la période 2016-2025, qui prévoit des mesures consacrées aux femmes et aux filles ;

n)Le Comité technique de révision des dispositions législatives et réglementaires discriminatoires à l’égard des femmes, créé en 2016.

Le Comité se félicite que, depuis l’examen du précédent rapport, l’État partie ait ratifié, le 18 avril 2017, la Convention de 2000 sur la protection de la maternité (no 183) de l’Organisation internationale du Travail (OIT).

C.Objectifs de développement durable

Le Comité se félicite du soutien apporté par la communauté internationale aux objectifs de développement durable et préconise le respect de l’égalité des genres en droit (de jure) et dans les faits (de facto), conformément aux dispositions de la Convention, dans tous les aspects de la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Il souligne l’importance de l’objectif 5 et de la prise en compte systématique des principes d’égalité et de non-discrimination dans la réalisation des 17 objectifs. Il encourage vivement l’État partie à reconnaître le rôle moteur des femmes dans le développement durable du pays et à adopter des politiques et des stratégies en conséquence.

D.Parlement

Le Comité souligne le rôle essentiel du pouvoir législatif s’agissant de garantir la pleine mise en œuvre de la Convention (voir la déclaration faite par le Comité sur ses relations avec les parlementaires, annexe VI du document E/CN.6/2010/CRP.2 ). Il invite l’Assemblée nationale, dans le cadre de son mandat, à prendre les mesures nécessaires en vue de mettre en œuvre les présentes observations finales avant la soumission du prochain rapport périodique, en application de la Convention.

E.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Cadre législatif et lois discriminatoires

Le Comité prend note de l’article 98 de la Constitution sénégalaise, qui consacre la primauté des traités internationaux sur la législation interne. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas encore pleinement intégré la Convention dans sa législation nationale et que cette dernière contient encore des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment en ce qui concerne les droits des femmes dans la sphère privée. Il rappelle que la Convention traite des droits des femmes tant dans la sphère privée que publique et que la discrimination à l’égard des femmes ne peut être justifiée par des motifs religieux ou culturels.

Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’incorporer pleinement les dispositions de la Convention dans le droit interne, conformément à l’article 98 de la Constitution, et notamment de modifier ou d’abroger toutes les lois qui sont contraires aux principes d’égalité et de non-discrimination consacrés dans la Convention, telles que les dispositions discriminatoires du code de la famille (2000), du code pénal (1965) et du code du travail (1997)  ;

b) De réaliser une analyse approfondie de toutes les lois en vigueur sous l’angle du genre et de repérer celles qui sont en conflit avec la Convention, en vue de les harmoniser avec cette dernière, sur la base du travail commencé par le Comité technique de révision des dispositions législatives et réglementaires discriminatoires à l’égard des femmes, créé en 2016, et avec la pleine participation des organisations de la société civile  ;

c) De mener des consultations inclusives, y compris sur la base des présentes observations finales, en particulier avec les chefs traditionnels et religieux, les organisations de la société civile et les jeunes, sur la révision et la mise en œuvre des lois pertinentes, le but étant de prévenir et d’éliminer toutes les formes de discrimination de fait à l’égard des femmes et des filles.

Définition de la discrimination à l’égard des femmes

Le Comité se réjouit que l’article 7 de la Constitution consacre l’égalité des genres. Toutefois, il s’inquiète du fait qu’il n’existe pas de définition complète de la discrimination à l’égard des femmes qui soit conforme à l’article premier de la Convention.

Rappelant sa recommandation générale n o 28 (2010) sur les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention, ainsi que la cible 5.1 des objectifs de développement durable, à savoir mettre fin, partout dans le monde, à toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et des filles, le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’intégrer dans sa législation une définition de la discrimination à l’égard des femmes et des filles complète et conforme à l’article premier de la Convention, qui couvre toutes les formes interdites de discrimination, y compris la discrimination directe et indirecte, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, ainsi que les formes de discrimination croisée  ;

b) De veiller à ce que l’interdiction de la discrimination contre les femmes soit respectée dans la pratique, en mettant en place des sanctions et des mécanismes d’application adaptés.

Accès des femmes à la justice

Le Comité se félicite que le budget alloué à l’aide judiciaire ait augmenté et salue les efforts déployés pour apporter cette aide dans les centres d’assistance juridique décentralisés (« maisons de justice »). Il se félicite également que la Convention ait été traduite dans six langues nationales et qu’elle ait été diffusée au niveau local. Il est toutefois préoccupé par le fait que les femmes continuent de se heurter à de nombreux obstacles pour accéder à la justice, en raison des éléments suivants :

a)L’accès limité à l’aide juridictionnelle et aux services de soutien pour les groupes de femmes défavorisées, notamment les femmes rurales, les femmes vivant dans la pauvreté, les femmes handicapées, les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes et les femmes victimes de violences sexuelles ;

b)Les obstacles socioculturels tels que l’ignorance des textes juridiques, la stigmatisation des victimes et des femmes qui luttent pour leurs droits, que les femmes peuvent rencontrer dans l’accès à la justice ;

c)Le nombre limité de procédures judiciaires dans lesquelles les dispositions de la Convention ont été invoquées ou directement appliquées ;

d)L’impossibilité pour les organisations de la société civile de déposer plainte au nom des victimes de violations des droits de l’homme.

Conformément à sa recommandation générale n o 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De permettre à toutes les femmes et les filles de toutes les régions du pays d’accéder à des services d’aide juridique efficaces et d’accélérer l’adoption de la loi sur l’aide juridictionnelle afin de veiller à ce que cette aide soit disponible, abordable et accessible pour toutes les femmes en toutes circonstances, en particulier pour les groupes de femmes marginalisées  ;

b) De faire mieux connaître aux femmes leurs droits et les moyens de les exercer, notamment grâce à des programmes d’initiation juridique, et de sensibiliser les chefs traditionnels et religieux, les agents de police et le grand public aux droits des femmes et à l’égalité des genres  ;

c) D’accélérer les programmes de renforcement des capacités à l’intention des juges, des procureurs, des avocats et d’autres professionnels du droit et de nommer plus de femmes à la magistrature, et de veiller à intégrer dans leur formation professionnelle la Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant, ainsi que ses propres recommandations générales et avis sur les communications émanant de particuliers et les enquêtes, afin qu’ils puissent directement appliquer et invoquer les dispositions de la Convention ou s’y référer et interpréter la législation nationale à la lumière de la Convention  ;

d) De conférer aux organisations de la société civile la qualité pour agir en justice afin de leur permettre de déposer des plaintes au nom des victimes de violations des droits de l’homme.

Mécanisme national de promotion des femmes

Le Comité félicite l’État partie d’avoir créé la Direction de l’équité et de l’égalité de genre et 21 services chargés des questions de genre au sein des ministères. Il est néanmoins préoccupé par ce qui suit :

a)Le mécanisme national de promotion des femmes dispose de moyens limités pour coordonner comme il se doit l’intégration des questions de genre dans tous les domaines couverts par la Convention, et les moyens humains et financiers alloués à la Direction de l’équité et de l’égalité de genre et à l’Observatoire national de la parité sont insuffisants ;

b)Certains services chargés des questions de genre au sein des ministères ne disposent pas du mandat et des moyens nécessaires pour influencer l’élaboration des politiques et assurer la prise en compte des questions de genre dans les travaux des ministères dont ils relèvent ;

c)L’indice national d’égalité de genre n’a pas encore été validé.

Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De renforcer les mécanismes visant à assurer la coopération entre les organismes chargés de promouvoir l’égalité des genres et avec tous les partenaires gouvernementaux, non gouvernementaux et internationaux, et de doter ces organismes des moyens humains et financiers suffisants pour leur permettre de mener à bien leurs mandats et de mettre en œuvre efficacement la deuxième phase de la stratégie nationale pour l’équité et l’égalité de genre pour la période 2016-2026  ;

b) De remédier aux difficultés qui empêchent les coordonnateurs pour les questions de genre de mener une action efficace, en veillant à ce qu’ils disposent des pouvoirs, des capacités et des ressources nécessaires pour remplir leur rôle  ;

c) De concevoir d’urgence l’indice national d’égalité de genre qu’il est prévu de mettre en place et qui constituera un système complet d’indicateurs relatifs au genre permettant d’améliorer la collecte des données ventilées par sexe, le but étant d’évaluer les effets et l’efficacité des politiques et programmes visant à assurer la prise en compte de l’égalité femmes-hommes et à renforcer l’exercice par les femmes de leurs droits fondamentaux.

Institution nationale pour la promotion et la protection des droits de l’homme

Le Comité salue les mesures prises, notamment l’élaboration du projet de loi actuellement à l’étude, afin que le Comité sénégalais des droits de l’homme respecte les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) et puisse ainsi retrouver son accréditation au statut A de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme. Il reste toutefois préoccupé par le manque d’indépendance du Comité sénégalais des droits de l’homme, l’absence d’impartialité dans la nomination de ses membres et le manque de moyens humains et financiers qui lui sont alloués.

Le Comité recommande à l’État partie de renforcer l’indépendance, l’efficacité et la visibilité de l’institution nationale pour la promotion et la protection des droits de l’homme, conformément aux Principes de Paris, de lui allouer suffisamment de moyens humains et financiers et d’envisager de créer une sous-commission chargée des droits des femmes.

Mesures temporaires spéciales

Le Comité se félicite de l’adoption de la loi no 2010-11 du 28 mai 2010 sur la parité absolue homme-femme dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives et des autres mesures temporaires spéciales mises en œuvre par l’État partie dans le domaine de l’accès à la terre, à l’éducation, au crédit et à l’entrepreneuriat, notamment par l’intermédiaire de la circulaire no 09-89 du 5 juin 2018. Toutefois, il note qu’il est nécessaire de prendre d’autres mesures temporaires spéciales pour améliorer plus rapidement la situation des femmes qui sont sous-représentées ou désavantagées.

Conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à sa recommandation générale n o 25 (2004) sur les mesures temporaires spéciales, le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des mesures législatives et des cadres réglementaires visant à appliquer efficacement les mesures temporaires spéciales qui ont été adoptées, par exemple en modifiant la loi n o  96-06 du 22 mars 1996 sur les collectivités locales afin de l’harmoniser avec la loi n o  2017-12 du 18 janvier 2017 sur le code électoral, et de mettre en place des dispositifs de responsabilisation pour contrôler le respect de la législation  ;

b) D’adopter de nouvelles mesures juridiques, y compris des quotas et d’autres mesures proactives, en fixant des objectifs assortis de délais, en allouant des ressources suffisantes et en prévoyant des sanctions en cas de non-respect, afin d’accélérer la réalisation des droits de toutes les femmes en vertu de la Convention et notamment de leur permettre d’accéder à la terre, au crédit, à l’entrepreneuriat et à l’emploi dans le secteur formel, dans la magistrature et dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie, des mathématiques et des technologies de l’information, et en particulier aux postes de décision dans ces domaines, ainsi qu’aux postes de décision pourvus par élection ou nomination aux niveaux provincial et local.

Stéréotypes discriminatoires et pratiques préjudiciables

Le Comité salue les mesures prises par l’État partie pour éliminer les mutilations génitales féminines et les autres pratiques préjudiciables, notamment au moyen d’activités de sensibilisation à l’intention des jeunes. Il est cependant préoccupé par :

a)La persistance de normes patriarcales qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et légitiment des pratiques néfastes, notamment le mariage d’enfants, la polygamie, le lévirat et le sororat, et les mutilations génitales féminines ;

b)L’article 111 du code de la famille qui autorise le mariage des filles à l’âge de 16 ans ;

c)Le faible nombre d’enquêtes, de poursuites et de sanctions relatives aux mutilations génitales féminines.

Conformément à sa recommandation générale n o 31 et à l’observation générale n o 18 du Comité des droits de l’enfant sur les pratiques préjudiciables, adoptées conjointement (2014), ainsi qu’à la cible 5.3 des objectifs de développement durable, le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’interdire toutes les pratiques néfastes, notamment le mariage d’enfants, la polygamie, le lévirat et le sororat, et les mutilations génitales féminines, d’améliorer la coordination, le partage d’informations et l’utilisation transparente des ressources budgétaires pour éliminer ces pratiques et les stéréotypes de genre discriminatoires, et de renforcer les consultations publiques et les programmes éducatifs sur les effets négatifs de ces pratiques, qui empêchent les femmes et les filles d’exercer leurs droits, en ciblant les chefs traditionnels et religieux, les médias et les populations des régions où les pratiques préjudiciables sont les plus répandues  ;

b) De modifier ou d’abroger l’article 111 du code de la famille, d’accélérer l’adoption d’un code de l’enfance et de l’adolescence afin de porter l’âge minimum du mariage à 18 ans pour les filles, et de continuer de sensibiliser aux conséquences néfastes du mariage d’enfants sur les filles, qui les empêchent d’exercer les droits que leur reconnaît la Convention  ;

c) De faire appliquer les lois qui interdisent les mutilations génitales féminines en enquêtant sur les cas de mutilations, en poursuivant les auteurs et en les condamnant à des peines à la mesure de la gravité des faits, de prolonger le délai de prescription à l’âge de la majorité de la victime pour lui permettre de porter plainte, comme l’ont recommandé les magistrats ( CEDAW/C/SEN/8 , paragraphe 66), de protéger les victimes potentielles contre les auteurs de tels actes et de renforcer la collaboration entre les acteurs nationaux et avec les États voisins.

Violence à l’égard des femmes fondée sur le genre

Le Comité salue les mesures prises par l’État partie pour faire connaître la loi no 2020-05 du 10 janvier 2020 et promouvoir le lancement d’un projet pilote sur le signalement anonyme des cas de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre en novembre 2021. Il est cependant préoccupé par :

a)La forte prévalence du harcèlement sexuel et des violences à l’égard des femmes fondées sur le genre, telles que les violences domestiques et sexuelles, notamment dans la sphère publique ;

b)Le fait que toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles fondée sur le genre ne sont pas totalement interdites dans les sphères publique et privée ;

c)La protection insuffisante des victimes et le manque de refuges et de services de soutien adéquats pour les femmes et les filles victimes de violence fondée sur le genre.

Rappelant sa recommandation générale n o 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n o 19, et compte tenu de la cible 5.2 des objectifs de développement durable, consistant à éliminer de la vie publique et de la vie privée toutes les formes de violence faite aux femmes et aux filles, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De prendre des mesures pour encourager le signalement des actes de harcèlement sexuel et de violence à l’égard des femmes et des filles fondée sur le genre, de veiller à ce que les allégations fassent l’objet d’enquêtes efficaces et que les auteurs de tels actes soient dûment punis par des peines proportionnées à la gravité de leurs actes, et de prendre des mesures pour améliorer la sécurité des femmes et des filles dans l’espace public, notamment au moyen du programme de modernisation des villes (« promovilles »)  ;

b) D’assurer l’application effective des lois interdisant les formes de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre et d’adopter une loi globale visant à prévenir, combattre et punir toute forme de violence à l’égard des femmes, y compris la violence économique, psychologique et physique, la violence sexuelle, le viol conjugal et le harcèlement sexuel, dans les sphères publique et privée, ainsi que toutes les nouvelles formes de violence en ligne et dans les autres espaces numériques  ;

c) D’instaurer des ordonnances de protection et des réparations pour les femmes et les filles victimes de violence fondée sur le genre ou qui risquent d’être victimes de ce type de violence, de mettre en place dans l’ensemble de son territoire des refuges qui soient pleinement accessibles, et de veiller à ce que les victimes bénéficient de services de conseil, de réadaptation et de soutien pour se réinsérer dans la société.

Traite et exploitation de la prostitution

Le Comité se félicite de la mise en œuvre d’un plan d’action national visant à lutter contre la traite des personnes, de la conduite d’activités de sensibilisation et des mesures prises pour identifier les victimes de la traite lors d’examens médicaux routiniers pratiqués sur les femmes exploitées dans le cadre de la prostitution. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’État partie est un pays d’origine, de transit et de destination des victimes de la traite et que la traite interne à des fins d’exploitation sexuelle est également répandue. Il est particulièrement préoccupé par :

a)L’absence de données sur le nombre de victimes de la traite des personnes et le nombre d’enquêtes, de poursuites et de condamnations dans les affaires de traite, notamment en ce qui concerne la traite à des fins d’exploitation sexuelle, de travail forcé et de mendicité forcée dans l’État partie et à des fins de servitude domestique dans les pays étrangers ;

b)Le faible taux de poursuites et de condamnations et l’absence de mécanismes permettant d’identifier les victimes de la traite, notamment les femmes exploitées dans le cadre de la prostitution qui ne sont pas déclarées, et de les orienter vers les services appropriés ;

c)Les informations faisant état d’actes de harcèlement perpétrés par la police contre des femmes exploitées à des fins de prostitution.

Se référant à sa recommandation générale n o 38 (2020) sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations internationales, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De veiller à l’application de la loi n o  2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, de recueillir systématiquement des données ventilées sur le nombre de victimes de traite des personnes et le nombre d’enquêtes, de poursuites et de déclarations de culpabilité auxquelles ont donné lieu de tels faits, et de renforcer les bases de données de la cellule de lutte contre la traite du Ministère de la justice  ;

b) D’identifier, de repérer, de protéger et d’aider les femmes et les filles victimes de traite, d’enquêter sur les faits, d’en poursuivre les auteurs et de les punir comme il se doit en application de la législation antitraite (et non pour des infractions liées à la prostitution), et de renforcer sa coopération bilatérale, régionale et internationale afin de prévenir la traite par l’échange d’informations et l’harmonisation des procédures juridiques qui permettent d’engager des poursuites contre les trafiquants  ;

c) De protéger efficacement les femmes exploitées à des fins de prostitution dans tous les cas où elles sont victimes de violence, de harcèlement et de violations de leurs droits, en particulier les femmes qui courent le risque d’être victimes d’exploitation par la prostitution, en menant des enquêtes sur les auteurs de tels actes dans tous les cas, en les poursuivant en justice et en les punissant comme il se doit, de prendre des mesures visant à réduire la demande de services de prostitution et d’offrir aux femmes qui souhaitent sortir de la prostitution des programmes à cette fin et des possibilités d’exercer d’autres types d’activités rémunératrices.

Participation égale à la vie politique et publique

Le Comité prend note avec satisfaction des effets positifs de la loi no 2010-11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue homme-femme au sein des institutions totalement ou partiellement électives, en particulier en ce qui concerne la représentation des femmes au niveau national, et les mesures prises pour renforcer les capacités des femmes parlementaires et des candidates aux élections. Cependant, il reste préoccupé par le faible nombre de femmes occupant des postes de décision aux niveaux provincial et local, et par leur sous‑représentation dans le secteur public, y compris à des postes de haut niveau à l’échelon international. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles la loi no 2010-11 n’est pas pleinement appliquée et soutenue dans toutes les régions de l’État partie.

Eu égard à sa recommandation générale n o  23 (1997) sur la participation des femmes à la vie politique et publique et à la cible 5.5 des objectifs de développement durable, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De mettre en place un mécanisme de suivi de l’application de la loi n o  2010 ‑11, en particulier au niveau local  ;

b) De continuer de mener des programmes de renforcement des capacités et des activités de sensibilisation afin d’accroître la participation effective des femmes à la prise de décisions à tous les niveaux de la vie politique et publique, notamment dans l’exercice de fonctions électives aux niveaux provincial et local, ainsi qu’au sein du système judiciaire, de l’administration territoriale et locale et du service diplomatique  ;

c) De prendre des mesures pour combattre les attitudes et les stéréotypes nuisibles concernant la participation des femmes à la vie politique et publique, notamment de mener des campagnes globales de formation, de sensibilisation et d’information ciblant les principaux groupes à risque.

Éducation

Le Comité se félicite des programmes mis en place par l’État partie pour promouvoir l’éducation des filles, pour maintenir les filles dans la scolarité et pour accroître leur représentation dans les filières qu’elles ne choisissent pas traditionnellement, notamment au moyen de campagnes de sensibilisation et d’allocations pour les filles issues de familles à faible revenu. Toutefois, le Comité est préoccupé par :

a)Les taux anormalement élevés d’analphabétisme chez les femmes, en particulier les femmes âgées et les femmes rurales ;

b)Les cas de violence, en particulier de violence sexuelle, à l’égard d’enfants, notamment de filles ;

c)Les taux élevés d’abandon scolaire chez les filles aux niveaux supérieurs de l’enseignement et dans les zones rurales, qui s’explique en partie par les frais de scolarité dans le secondaire, la persistance d’attitudes patriarcales et de stéréotypes sexistes discriminatoires concernant les rôles et les responsabilités des filles au sein de la famille et de la société, ainsi que par le travail des enfants, le mariage d’enfants et les grossesses précoces ;

d)La sous-représentation des filles et des femmes dans les filières d’enseignement traditionnellement dominées par les hommes, notamment l’enseignement technique et professionnel ;

e)La pénurie d’enseignants qualifiés et d’installations sanitaires adéquates, ainsi que le nombre toujours faible d’enseignantes et de femmes occupant des postes à responsabilité dans le système éducatif.

Le Comité, conformément à sa recommandation générale n o  36 (2017) sur le droit des filles et des femmes à l’éducation et à la cible 4.1 des objectifs de développement durable, recommande à l’État partie de sensibiliser à l’importance de l’éducation des filles à tous les niveaux en tant que fondement de leur autonomisation, et  :

a) De renforcer les programmes inclusifs d’alphabétisation des adultes ciblés sur les femmes, et de garantir l’accès à ces programmes, en particulier aux femmes âgées et aux femmes rurales  ;

b) D’appliquer une politique de tolérance zéro à l’égard de la violence à l’école, notamment la violence sexuelle, de veiller à ce que les auteurs de tels actes soient punis comme il se doit et de recueillir des données statistiques sur les cas de violence à l’école, ventilées par sexe et autres facteurs pertinents  ;

c) De redoubler d’efforts pour assurer la scolarisation des filles et leur maintien à l’école, en particulier aux niveaux secondaire et supérieur et dans les zones rurales, en supprimant les frais de scolarité au niveau du secondaire et en éliminant les obstacles particuliers auxquels se heurtent les filles, notamment les filles enceintes et les jeunes mères, par exemple en leur fournissant un soutien financier et des services abordables de prise en charge de leur enfant  ;

d) De poursuivre les programmes visant à encourager les femmes et les jeunes filles à choisir des filières d’enseignement et des carrières dans lesquelles elles ne s’engagent pas traditionnellement, notamment dans des domaines traditionnellement dominés par les hommes, tels que les sciences, les technologies, l’ingénierie, les mathématiques et les technologies de l’information et de la communication, et garantir leur accès à l’enseignement et à la formation techniques et professionnels  ;

e) D’augmenter le budget alloué au secteur de l’éducation, d’équiper toutes les écoles d’installations sanitaires adéquates et de continuer d’appliquer des mesures visant à augmenter le nombre d’enseignantes.

Emploi

Le Comité se félicite des mesures prises par l’État partie pour encourager les femmes et les filles à suivre une formation professionnelle et à accroître leurs capacités dans des domaines techniques et dans celui de la gestion, y compris dans des domaines dans lesquels elles ne s’engagent pas traditionnellement. Cependant, le Comité est préoccupé par :

a)L’article L.146 du Code du travail, qui peut limiter l’accès des femmes à un emploi dont il est jugé qu’il n’est pas « convenable » ;

b)La persistance de la ségrégation professionnelle horizontale et verticale, la concentration des femmes sur le marché du travail informel et dans des emplois faiblement rémunérés, l’écart de rémunération persistant entre les sexes et le taux de chômage élevé chez les femmes ;

c)Le manque de mesures prises pour remédier au harcèlement sexuel sur le lieu de travail.

Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’abroger ou de modifier l’article L.146 du Code du travail et de faciliter l’accès des femmes à toute profession de leur choix  ;

b) De veiller au respect du principe de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale dans tous les secteurs, qui est inscrit à l’article L.105 du Code du travail, d’éliminer la ségrégation professionnelle, tant horizontale que verticale, conformément à l’article 25 de la Constitution, notamment en mettant en place des modalités de travail souples et en investissant dans des services de garde d’enfants et un système de transport public, et d’envisager de ratifier la Convention de 1981 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales (n o  156) et la Convention de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques (n o  189) de l’Organisation internationale du Travail (OIT)  ;

c) De veiller à l’application de l’article 319  bis du Code du travail, de renforcer les mécanismes de plaintes et de règlement de différends liés au travail afin de lutter contre la discrimination fondée sur le sexe, y compris le harcèlement sexuel, sur le lieu de travail, d’imposer des sanctions appropriées aux auteurs de tels actes et d’envisager de ratifier la Convention de 2019 sur la violence et le harcèlement (n o  190) de l’OIT.

Santé

Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour améliorer l’accès de tous aux soins et aux services de santé, y compris les services de santé procréative et de planification familiale, en particulier dans les zones rurales, par exemple au moyen de postes sanitaires itinérants. En outre, il prend note des mesures prises pour réduire les grossesses précoces, notamment grâce au projet « zéro grossesse précoce », et pour prévenir le VIH/SIDA et traiter les cas d’infection à VIH. Toutefois, le Comité est préoccupé par :

a)L’incrimination de l’avortement et le fait que des exceptions ne sont prévues qu’en cas de menace pour la vie de la femme enceinte ;

b)Le taux toujours élevé de mortalité maternelle, qui peut être attribué, entre autres, aux grossesses précoces et aux avortements non sécurisés, et le taux tout aussi élevé de malnutrition chez les femmes et les filles ;

c)Le nombre élevé de grossesses précoces et le fait que les adolescentes méconnaissent les méthodes de contraception et y ont peu recours ;

d)Le manque d’accès, du fait en particulier de la stigmatisation, des femmes, des adolescentes, des victimes de mutilation génitale féminine et de violence sexuelle et des femmes et des filles vivant avec le VIH/sida aux soins de santé et à l’éducation et aux services en matière de santé sexuelle et procréative ;

e)Les disparités dans l’accès aux services de santé entre les zones urbaines et les zones rurales, et les difficultés rencontrées par les femmes souffrant de fistule obstétricale qui tentent d’accéder à des services spécialisés, notamment dans les régions à forte prévalence.

Le Comité, eu égard à sa recommandation générale n o  24 (1999) sur les femmes et la santé et aux cibles 3.1 et 3.7 des objectifs de développement durable, recommande à l’État partie  :

a) De modifier l’article 305 du Code pénal et la loi n o  2005-18 du 5 août 2005 afin de dépénaliser l’avortement dans tous les cas et le légaliser, au minimum, en cas de viol, d’inceste, de malformation grave du fœtus et de risque pour la santé ou la vie de la femme enceinte, sachant que l’incrimination de l’avortement est une forme de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, comme souligné dans la recommandation générale n o  35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre  ;

b) De redoubler d’efforts pour réduire la mortalité maternelle et la malnutrition, notamment en améliorant, sur l’ensemble de son territoire, l’accès aux soins prénatals et postnatals de base et à des services obstétriques d’urgence fournis par du personnel d’accouchement qualifié  ;

c) De veiller à ce que toutes les femmes et les filles, en particulier celles vivant dans des zones rurales, aient accès à des formes abordables et modernes de contraception, et d’intensifier les efforts de sensibilisation aux moyens contraceptifs et à la santé et aux droits en matière de sexualité et de procréation, notamment par une éducation adaptée à l’âge  ;

d) D’accélérer les campagnes de sensibilisation aux conséquences sur la santé de pratiques néfastes telles que les grossesses précoces et les mutilations génitales féminines, de garantir l’accès des victimes de telles pratiques et de violence sexuelle à des professionnels de la santé qualifiés et de poursuivre son action visant à prévenir les infections au VIH/sida et la transmission du VIH de la mère à l’enfant  ;

e) De renforcer les efforts visant à améliorer l’accès des femmes, en particulier des femmes souffrant de fistule obstétrique et dans les zones rurales, à des services de soins de santé inclusifs et à une assistance médicale abordable fournie par du personnel qualifié, en tenant compte des problèmes de santé qui ont été accentués par la pandémie de COVID-19, tels que la disponibilité réduite d’aliments de qualité, les problèmes de santé mentale et l’augmentation de la violence familiale.

Autonomisation économique des femmes

Le Comité prend note avec préoccupation des difficultés rencontrées par les femmes en matière d’autonomisation économique, en particulier en ce qui concerne leur accès au crédit, et du grand nombre de femmes employées dans le secteur informel.

Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’élargir l’accès des femmes au crédit à faible taux d’intérêt, grâce notamment aux programmes existants, tels que le programme « Délégation générale à l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes » (DER/J), au Fonds national de crédit aux femmes, au Fonds national de promotion de l’entrepreneuriat féminin et au Programme de développement de la microfinance islamique, d’intensifier les programmes de renforcement des capacités qui s’offrent aux femmes et de renforcer l’autonomisation des femmes, conformément aux objectifs de développement durable, en particulier dans le domaine des changements climatiques, afin de leur permettre de mener des activités génératrices de revenus et de créer leurs propres entreprises, par exemple au moyen du projet de réduction de la fracture numérique entre les sexes et du programme d’appui aux filles en matière d’innovation technologique dans l’agriculture  ;

b) De réaliser une étude visant à analyser la situation des femmes dans le secteur informel de l’économie, notamment en ce qui concerne l’accès aux prestations de sécurité sociale et aux régimes de retraite, et, en se fondant sur les résultats de l’étude, de poursuivre le réexamen de la législation et de la politique actuelles en matière d’emploi sous l’angle du genre, en vue de garantir une protection sociale à toutes les femmes, y compris celles qui sont employées dans le secteur informel de l’économie et les femmes à faible revenu et/ou exerçant une activité indépendante.

Femmes rurales

Le Comité prend note avec satisfaction de l’article 15 de la Constitution et de l’article 54 de la loi no 2004-16 du 4 juin 2004 portant loi d’orientation agro-sylvo-pastorale, qui consacre l’égalité des droits des femmes et des hommes en matière de possession et de propriété des terres, en particulier celles destinées à l’agriculture. Il se félicite également des quotas en place concernant l’accès des femmes à la terre, à l’énergie, à l’eau et à d’autres ressources naturelles, de l’existence de programmes visant à faciliter l’accès des femmes au crédit et de la participation des femmes à la prise des décisions concernant l’exploitation des forêts. Le Comité est toutefois préoccupé par la persistance de l’inégalité d’accès des femmes rurales à la terre, aux ressources productives et au crédit, qui participe de pratiques coutumières et de barrières socioculturelles qui perdurent, et par la sous-représentation de ces femmes aux postes de décision.

Rappelant sa recommandation générale n o  34 (2016) sur les droits des femmes rurales, le Comité recommande à l’État partie  :

a) De garantir et de surveiller l’application des quotas inscrits dans la circulaire n o  09-89 du 5 juin 2018 et de prendre toute autre mesure nécessaire pour accélérer l’instauration de l’égalité d’accès des femmes à la terre, aux ressources productives, au capital et aux technologies, afin notamment de promouvoir la petite entreprise et une agriculture résiliente face aux changements climatiques  ;

b) De continuer d’appliquer des mesures visant à autonomiser les femmes rurales, notamment par l’amélioration de leur accès à la terre, à des activités génératrices de revenus, au crédit, aux services de base, aux soins de santé et à l’alimentation, par exemple dans le cadre du Programme d’urgence de développement communautaire lancé en 2015 et du Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers  ;

c) D’assurer une participation égale des femmes et des filles rurales aux processus d’élaboration des politiques, notamment en ce qui concerne l’attribution des terres et la gestion des investissements publics dans les zones rurales.

Femmes victimes de formes croisées de discrimination

Le Comité est préoccupé par :

a)L’accès limité des femmes privées de liberté à des soins de santé, une alimentation, une éducation et une formation professionnelle qui tiennent compte de leurs besoins particuliers, et le peu d’informations sur le recours à des mesures de substitution à la détention, en particulier en ce qui concerne les femmes enceintes, les femmes ayant un enfant et les femmes accusées d’une infraction liée aux droits en matière de sexualité et de procréation ;

b)Les informations faisant état d’actes de violence, y compris sexuelle, commis à l’encontre de femmes et de filles handicapées et de femmes et de filles albinos, notamment en raison de croyances traditionnelles erronées, et des obstacles auxquels se heurtent ces personnes lorsqu’elles essayent d’accéder aux services de santé, en particulier les services liés à la santé sexuelle et reproductive et au VIH/sida, à l’éducation, à l’emploi et aux services sociaux ;

c)Le caractère répandu des discours de haine et des propos incitant à la violence contre les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes, ainsi que les informations signalant des faits de violence, de mauvais traitement et de détention arbitraire et des violations du droit à la vie privée, commis en particulier par les forces de l’ordre ;

d)Le manque de données statistiques sur la situation des groupes de femmes défavorisés, notamment les femmes et les filles handicapées, les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes et les femmes âgées.

Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De garantir l’accès des femmes privées de liberté à la justice, aux soins de santé, à l’alimentation, à l’éducation et à la formation professionnelle, d’encourager le recours à des mesures de substitution à la détention, en particulier pour les femmes enceintes, les femmes ayant un enfant et les femmes accusées d’une infraction liée aux droits en matière de sexualité et de procréation, et d’accroître les ressources de l’Observatoire national des lieux de privation de liberté et d’en renforcer l’indépendance  ;

b) De protéger efficacement les femmes et les filles handicapées et les femmes et les filles albinos contre toute forme de violence, de veiller à ce que des sanctions strictes soient imposées aux auteurs de violations à leur égard, de poursuivre les campagnes de sensibilisation, de garantir l’accès aux services de santé, y compris aux services de santé sexuelle et procréative et aux services de prise en charge du VIH et du sida, et de recueillir des données ventilées par sexe, handicap et autres facteurs pertinents  ;

c) D’adopter les mesures législatives et politiques nécessaires pour lutter contre les discours de haine visant les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes, d’accroître le niveau de protection de ces personnes, de leur donner accès à des foyers d’accueil et de mener des enquêtes approfondies sur tous les cas de violation de leurs droits et, s’il y a lieu, d’en poursuivre les auteurs  ;

d) D’améliorer la collecte, la diffusion et l’analyse de données actualisées, ventilées par facteurs pertinents, sur l’exercice de leurs droits par les groupes de femmes défavorisés, notamment les femmes et les filles handicapées, les femmes lesbiennes, bisexuelles, transgenres et intersexes et les femmes âgées, et sur les mesures prises pour lutter contre les formes croisées de discrimination et de violence dont ces personnes sont victimes.

Mariage et rapports familiaux

Le Comité se félicite de l’élaboration d’une loi sur la protection de l’enfance, du projet pilote « écoles des maris », des consultations nationales sur des questions touchant au mariage et aux relations familiales tenues en 2018 et en 2019, ainsi que des activités de sensibilisation menées pour encourager l’enregistrement des mariages. Cependant, le Comité est profondément préoccupé par :

a)La persistance des pratiques du mariage d’enfant, du mariage polygame, du lévirat et du sororat dans l’État partie, que l’on justifie par la religion et les normes culturelles ;

b)Les nombreuses dispositions discriminatoires à l’égard des femmes du Code de la famille, et le fait qu’aucun calendrier n’a été établi pour l’adoption des propositions formulées par le Comité technique de révision des textes législatifs et réglementaires discriminatoires à l’égard des femmes, mis en place en 2016 ;

c)Le fait que polygamie est autorisée en vertu de l’article 133 du Code de la famille et qu’il y est fait référence dans l’article 116 de ce même code, et le fait que l’État partie considère que « [l]a législation sur la polygamie au Sénégal n’est pas [...] une discrimination ou une violence faite à la femme dans la mesure ou les conjoints consentent librement à leur option durant la célébration de leur union » (CEDAW/C/SEN/RQ/8, par. 174) ;

d)Le fait que le lévirat et le sororat sont légaux ;

e)L’absence de mesure législative visant à protéger les droits économiques et autres des femmes ayant contracté un mariage non enregistré ou un mariage polygame ;

f)Le manque de données complètes, ventilées par sexe, âge, handicap, appartenance ethnique, lieu et situation socioéconomique, sur le nombre de mariages d’enfants, de mariages non enregistrés, de mariages polygames, de lévirats et de sororats.

Rappelant ses recommandations générales n o  21 (1994) sur l’égalité dans le mariage et les rapports familiaux, et n o  29 (2013) sur les conséquences économiques du mariage et des liens familiaux et de leur dissolution, le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’encourager des débats publics ouverts et inclusifs sur la diversité des interprétations des lois et pratiques familiales musulmanes et de mener de vastes consultations à ce sujet, en particulier avec les chefs traditionnels et religieux et les jeunes, afin de lutter contre la justification de la discrimination à l’égard des femmes par la religion et/ou la culture et de parvenir à un consensus sur le caractère néfaste de pratiques telles que le mariage d’enfants, le mariage polygame, le lévirat et le sororat, et de procéder à une évaluation des meilleures pratiques suivies dans les pays ayant des cultures similaires et de la diffuser  ;

b) D’abroger toutes les dispositions discriminatoires du Code de la famille, notamment celles pour lesquelles le Comité technique a proposé des modifications, en particulier celles qui concernent l’âge du mariage (art. 111), le chef de famille (art. 152), les causes de divorce (art. 166), la résidence du ménage (art. 153), les charges du ménage (art. 375) et l’interdiction de la recherche de paternité (art. 196), ainsi que toutes les autres dispositions discriminatoires, telles que celles relatives à l’attribution du nom du père à l’enfant (art. 3), à la polygamie (art. 116 et 133), à la puissance paternelle (art. 277), à l’administration des biens matrimoniaux par le mari (art. 385) et à la discrimination à l’égard des femmes musulmanes en matière de droit à l’héritage (art. 637)  ;

c) D’abroger ou de modifier les articles 116 et 133 du Code de la famille, d’entreprendre une étude sur l’ampleur du phénomène de la polygamie dans l’État partie, en vue de s’attaquer à ses causes profondes, et de prévenir efficacement toutes les formes de mariage polygame  ;

d) D’interdire expressément le lévirat et le sororat, de sensibiliser au fait qu’il s’agit de formes de mariage forcé, de prévoir des sanctions adéquates, de protéger les femmes soumises à un lévirat ou à un sororat, de leur apporter un soutien et de leur permettre d’accéder à la justice, et de protéger les droits économiques des femmes et des filles qui ont contracté ce type de mariage, y compris lors de la dissolution de ce mariage  ;

e) De prendre des mesures, notamment législatives, pour faciliter l’enregistrement des mariages et pour assurer aux femmes ayant contracté un mariage non enregistré ou polygame une protection juridique adéquate pendant ce mariage et lors de sa dissolution  ;

f) De recueillir, d’analyser et de diffuser des données complètes et actualisées, ventilées par sexe, âge, handicap, origine ethnique, lieu et situation socioéconomique sur les mariages d’enfants, les mariages non enregistrés, les mariages polygames, les lévirats et les sororats.

Collecte et analyse des données

Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie afin de mettre au point un indice national d’égalité de genre et de renforcer les moyens dont disposent les services chargés des questions de genre pour recueillir et diffuser des données ventilées par sexe. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’on dispose de données ventilées dans certains domaines présentant un intérêt pour la réalisation des droits des femmes, mais pas dans tous, et que l’on manque de données en particulier concernant les pratiques préjudiciables, les stéréotypes de genre, le mariage d’enfants, la polygamie, le lévirat et le sororat, la violence à l’égard des femmes, la traite, l’éducation, l’emploi, l’autonomisation économique et la santé.

Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts pour améliorer la collecte, la diffusion et l’analyse systématiques de données relatives aux droits des femmes, ventilées par sexe, âge, appartenance ethnique, religion, situation géographique, handicap et contexte socioéconomique, dans tous les domaines, et de s’appuyer sur ces données pour élaborer des politiques visant à mettre en œuvre la Convention et évaluer les progrès accomplis à cet égard. Il invite également l’État partie à accélérer l’élaboration d’indicateurs mesurables sur les questions liées au genre et à continuer de prendre des mesures de renforcement des capacités pour améliorer la collecte de données.

Modification du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention

Le Comité encourage l’État partie à accepter dès que possible la modification du paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention concernant la période pendant laquelle le Comité se réunit.

Déclaration et Programme d’action de Beijing

Le Comité invite l’État partie à s’appuyer sur la Déclaration et le Programme d’action de Beijing et à continuer d’évaluer l’application de la Convention dans le contexte de l’examen, après 25 ans, de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme en vue de parvenir à une réelle égalité entre hommes et femmes.

Diffusion

Le Comité demande à l’État partie de veiller à diffuser rapidement les présentes observations finales, dans la ou les langue(s) officielle(s) de l’État partie, aux institutions publiques compétentes à tous les niveaux (national, régional et local), en particulier au Gouvernement, au Parlement et au corps judiciaire, afin d’en permettre la pleine application.

Ratification d’autres traités

Le Comité note que l’adhésion de l’État partie aux neuf principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme contribuerait à favoriser l’exercice effectif par les femmes de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales dans tous les aspects de la vie. Il encourage donc l’État partie à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, auxquels il n’est pas encore partie.

Suite donnée aux observations finales

Le Comité regrette que l’État partie ne lui ait pas communiqué d’informations sur les mesures prises pour appliquer les recommandations appelant une action immédiate formulées dans ses observations finales précédentes, et le prie de lui communiquer par écrit, dans un délai de deux ans, des informations sur les mesures qu’il aura prises pour appliquer les recommandations énoncées aux paragraphes 14 a) et d), 22 b) et 34 a) ci-dessus.

Établissement du prochain rapport

Le Comité invite l’État partie à soumettre son dixième rapport périodique en février 2026. Le rapport devra être présenté dans les délais et couvrir toute la période écoulée, jusqu’à la date à laquelle il sera soumis.

Le Comité invite l’État partie à se conformer aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, englobant le document de base commun et les rapports pour chaque instrument (voir HRI/GEN/2/Rev.6 , chap. I).