Vingt-septième session

Compte rendu analytique de la 566e séance

Tenue au Siège, à New York, le vendredi 14 juin 2002, à 15 heures

Présidente :Mme Açar (Vice-Présidente)

Puis :Mme Abaka (Présidente)

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties en vertu de l’article 18 de la Convention (suite)

Troisième et quatrième rapports périodiques de la Tunisie(suite)

En l’absence de Mme Abaka, Présidente, Mme Açar, Vice-Présidente, assume la présidence .

La séance est ouverte à 15 h 15.

Examen des rapports soumis par les États parties en vertu de l’article 18 de la Convention (suite)

Troisième et quatrième rapports périodiques combinés de la Tunisie (suite) CEDAW/PSWG/ 2002/II/CRP.1/Add.3 et CEDAW/C/PSWG/ 2002/II/CRP.2/Add.2)

À l’invitation de la Présidente, les membres de la délégation de la Tunisie prennent place à la table du Comité.

Articles 1 à 6

La Présidente invite les membres du Comité à continuer à poser des questions et à faire des observations concernant les articles 1 à 6.

Mme González, parlant au nom de Mme Manalo qui est absente, note que, selon le rapport et les réponses données à la liste de problèmes, la violence familiale n’est pas considérée comme un problème social auquel la société doit faire face ou un crime qui puisse être puni en vertu du Code pénal, mais plutôt comme un problème familial privé. Elle se demande si le nombre très faible des accusations et des plaintes déposées reflète la peur des femmes de compromettre leur dignité en signalant l’existence de pareils problèmes au sein de leur famille. Mme Manalo a aussi noté que le Code pénal ne fait pas mention du viol conjugal, de l’inceste ni des sévices sexuels au sein de la famille, non plus que du harcèlement sexuel sur les lieux de travail et dans les écoles. Elle demande au Gouvernement tunisien de s’attaquer directement au problème de la violence familiale, car il semble se défausser d’une grande part de ses responsabilités en faveur des organisations non gouvernementales du pays qui sont très actives.

Mme Regazzoli se fait l’écho des préoccupations des précédents orateurs au sujet de la violence familiale. Elle aimerait aussi avoir plus de renseignements sur la détention des femmes par la police, et notamment savoir quand on les détient (avant leur procès ou à un autre moment) et les principaux crimes dont on les a accusées. Elle s’enquiert au sujet du nombre de détenues politiques, de détenues pour des raisons de conscience et au sujet des enfants nés en prison. Peuvent-ils rester avec leur mère pendant au moins deux ou trois ans? Ayant noté que l’on ne permettait pas à des hommes d’entrer dans des cellules de femme, elle demande si l’on donne une formation physique et psychologique suffisante aux gardiennes pour leur permettre de s’occuper des détenues.

Mme Kapalata félicite l’État partie de ses efforts pour garantir l’égalité des deux sexes. Les réponses données jusqu’ici n’étant pas aussi complètes qu’elles auraient pu l’être, elle espère recueillir des renseignements supplémentaires au cours des débats du Comité.

Mme Kwaku dit qu’étant originaire d’un pays africain où l’on pratique la religion islamique, elle admire les mesures audacieuses prises par la Tunisie, pourtant pays africain où l’on pratique la religion islamique, pour faire progresser les droits de la femme. Comme un certain nombre d’orateurs précédents, elle aimerait avoir des éclaircissements sur certains points relatifs à l’article 6, notamment quant à la « prostitution autorisée », car la prostitution est censée être interdite en vertu de l’article 231 du Code pénal.

M. Khemakhem (Tunisie) souligne, en réponse à Mme González, que la violence familiale et le harcèlement sexuel ne sont pas considérés comme des crimes parce qu’ils se produisent très rarement. Néanmoins, du fait de la politique du Gouvernement à trois volets – la prévention, le traitement et la dissuasion –, les délégués de la protection de l’enfance interviennent lorsque les enfants courent un risque; par ailleurs, selon la législation tunisienne, la violence est considérée comme un crime, quel que soit le sexe de son auteur. En outre, la législation nationale est souple et l’on peut la modifier à tout moment pour l’adapter à des situations nouvelles. Une étude planifiée devrait permettre de recueillir des chiffres plus précis sur les cas de violence familiale et le nombre de plaintes déposées auprès d’un tribunal. Certes, le Code pénal ne couvre pas le viol conjugal parce que cette situation ne s’est pas présentée; il demeure que rien n’empêche les femmes de porter plainte contre leur mari; l’orateur se souvient même que lorsqu’il siégeait à la Cour d’appel, un mari a été condamné pour violation d’un droit.

Il dit, en réponse à Mme Regazzoli, que le taux de criminalité des femmes est extrêmement faible; la prostitution et l’infanticide sont les sortes de crimes pour lesquels on les condamne le plus souvent. Il n’y a pas de catégorie spéciale qualifiée de « détenues politiques ». Quant à la protection des femmes enceintes incarcérées, le Code pénal prévoit que l’on ne peut exécuter les femmes enceintes tant qu’elles n’ont pas accouché; le cas ne s’est, heureusement, jamais présenté. La nouvelle législation adoptée en 2000, qui a remplacé celle de 1980, permet aux détenues de garder leurs enfants avec elles jusqu’à l’âge de 3 ans à moins qu’un délégué de la protection de l’enfance ne détermine que ce n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. Les femmes détenues ont la garantie d’avoir un traitement égalitaire. Elles sont détenues dans des installations carcérales spéciales pour les femmes, dans lesquelles même les directeurs de prison de sexe masculin ne peuvent entrer sans être accompagnés par des gardiennes. Le Ministère de la justice, auquel le Ministère de l’intérieur a transféré sa responsabilité en matière de prisons en vertu de la nouvelle législation, recrute des médecins pour donner des soins médicaux ou psychologiques aux détenues. Aux termes de l’article 231 au Code pénal, la prostitution est une infraction pénale dont l’auteur est passible d’une peine d’incarcération de six mois à deux ans. Les peines infligées aux proxénètes et aux autres intermédiaires, et pour trafic en vue de prostitution, sont énoncées à l’article 232.

Mme Ben Romdhane (Tunisie) dit que, lors d’une enquête de 1998 portant sur un peu plus de 1,7 million de familles, 2 046 plaintes pour violence familiale ont été déposées par des victimes de sexe féminin et 186 par des victimes de sexe masculin. Une autre enquête menée en l’an 2000 a confirmé que la violence familiale n’excède pas proportionnellement les autres problèmes familiaux, tels que l’abandon de famille, par exemple. Au sujet des observations faites par M. Khemakhem quant aux délégués de la protection de l’enfance, elle dit que le Code de la protection de l’enfant oblige les témoins à signaler les incidents de violence à l’égard des enfants. Un colloque sur la violence à l’intérieur et à l’extérieur du foyer, organisé par le Ministère des affaires de la femme et de la famille en novembre 2000, a conduit à la création d’un comité chargé d’élaborer des lignes directrices en vue d’une étude plus vaste de ce sujet.

Mme Abaka prend la présidence.

Articles 7 à 9

Mme Manalo dit, au sujet de l’article 9, qu’il faut féliciter le Gouvernement tunisien de ses progrès vers l’instauration d’une égalité juridique entre les hommes et les femmes en matière de transmission de la nationalité. Les modifications apportées en 1993 et en 2002 au Code de la nationalité ont permis à une Tunisienne mariée à un non-Tunisien de déclarer les enfants qu’elle a eus dans le cadre de ce mariage comme étant de nationalité tunisienne, même s’ils ne sont pas nés en Tunisie. Il demeure toutefois un certain déséquilibre, car les femmes font l’objet de restrictions qui ne s’appliquent pas aux Tunisiens qui déclarent leurs enfants.

Mme Goonesekere déclare que le Comité apprécie les changements intervenus dans le droit tunisien de la nationalité et elle a hâte de voir le moment où les lois tunisiennes seront en harmonie avec la Convention et où ce pays pourra retirer ses réserves à l’égard du paragraphe 2 de l’article 9. La citoyenneté est, en effet, au coeur des droits. En outre, la loi islamique a été l’un des premiers systèmes juridiques à reconnaître qu’une femme bénéficie d’un droit préférentiel quant à la garde de son enfant, ce qui constitue une reconnaissance nette de l’existence du lien maternel. Il semble donc logique que ce lien se concrétise lors de la transmission de la nationalité.

Mme Gaspard demande si la Tunisie sera en mesure de retirer sa réserve dans un avenir pas trop éloigné.

Mme Corti déclare partager les vues des orateurs qui l’ont précédée. Au sujet de l’article 7 qui a trait aux femmes dans la vie politique et publique, malgré la modification de la Constitution exigeant que les partis politiques ne fassent aucune discrimination et la décision du parti majoritaire d’introduire un quota de 20 %, il convient de faire de plus gros efforts pour augmenter le pourcentage des femmes au Parlement. L’expérience a en effet prouvé que s’il y avait plus de femmes au sein de la législature, d’autres réformes nécessaires seraient adoptées plus rapidement. D’autre part, l’intervenante est très heureuse des progrès accomplis au sein de l’appareil judiciaire depuis 1968, année de la nomination de la première femme magistrat, sa distinguée consœur Mme Aouij. La Tunisie dispose actuellement d’un nombre substantiel de femmes magistrats. L’oratrice se demande si leur interprétation de certaines lois, notamment celles relatives aux femmes, diffère de façon notable de celle de leurs confrères masculins et si l’on a tenté de donner aux juges une formation portant sur les lois relatives aux droits de la femme.

Mme Ben Yedder (Tunisie) déclare que son gouvernement travaille dur pour éliminer les obstacles restants qui empêchent le retrait des réserves, notamment celles touchant à la nationalité.

M. Khemakhem (Tunisie) répond que l’Administration tunisienne est fermement résolue à éliminer les déséquilibres qui restent entre les hommes et les femmes dans la loi sur la nationalité. Grâce à la modification récemment apportée à l’article 12 du Code de la nationalité, il suffit d’une déclaration de la mère pour que l’enfant issu d’un mariage mixte acquière la nationalité tunisienne si le père est décédé, incapable ou non identifié. De nombreux progrès ont été faits, mais la Tunisie n’est pas encore en mesure de retirer sa réserve actuelle à ce sujet. Changer la mentalité est un processus lent, et le même problème se pose s’agissant de la réserve concernant les droits de succession. La plupart du droit sur le statut personnel et la famille est étroitement mêlée à la tradition religieuse. Il est difficile de se contenter de contourner simplement les règles religieuses à cet égard. Le Comité a approuvé l’interprétation éclairée donnée par la Tunisie des textes religieux, mais il est certain que cette interprétation est en deçà d’une égalité absolue des représentants des deux sexes. Certains des problèmes qui demeurent ont trait à l’égalité des chances du point de vue économique. En effet, les femmes sont d’assez nouvelles venues dans la population active. Dans la société tunisienne, les hommes sont toujours les principaux soutiens de famille et ce sont souvent eux qui tiennent les cordons de la bourse familiale. Le droit ne peut se permettre d’être en décalage complet avec la réalité sociale.

La Tunisie s’enorgueillit du fait que près de 25 % de ses magistrats sont des femmes. Quand Mme Aouij a accédé à la magistrature, elle était l’une des premières femmes juges du monde islamique. Or actuellement des femmes occupent en Tunisie des fonctions de présidente de tribunaux de toutes sortes, civils, pénaux et même des cours d’appel. Ces femmes s’efforcent naturellement d’être impartiales, ce qui est la norme pour tous les juges, mais elles sont fières de ce qu’elles sont parvenues à réaliser et elles espèrent consolider la réussite des femmes dans leur domaine.

Mme Ben Yedder (Tunisie) déclare que, selon la position officielle du Gouvernement tunisien, les droits de la femme font partie intégrante des droits de l’homme. Mais que chaque pays doit être sensible à sa propre culture dans ses efforts pour faire progresser le statut de la femme.

Articles 10 à 14

Mme Açar dit être heureuse de noter la grande amélioration qui s’est produite en matière d’alphabétisation ainsi que de taux d’inscription et de succès féminins dans tout le système d’enseignement. La Tunisie obtient apparemment de bons résultats auprès de sa jeune génération et elle a mis au point des programmes ciblés sur le groupe d’âge des 15 à 44 ans. Cependant, on a encore lieu de s’inquiéter sérieusement au sujet des taux d’analphabétisme au sein du groupe des personnes âgées de plus de 44 ans, surtout dans les zones rurales, aussi voudrait-elle savoir si l’on fait quelque chose pour réduire ces taux, car l’analphabétisme restreint gravement les possibilités des femmes de ce groupe de se recycler et d’accéder à du crédit.

Au niveau universitaire, les statistiques sont impressionnantes quant au taux général d’inscription et à la répartition entre les différentes disciplines. Elle se demande s’il existe des programmes d’études féminines, qui constituent un bon moyen de promouvoir la recherche et de rendre visibles le statut et la condition de la femme au sein de la société. Les études féminines aident aussi à sensibiliser les étudiants aux questions féminines, alors que l’enseignement supérieur seul n’y parvient souvent pas. Le pourcentage de femmes parmi les professeurs d’université titulaires semble anormalement faible dans un pays où il y a de nombreux médecins et juges de sexe féminin. Elle se demande s’il y a une résistance particulière, peut-être traditionnelle dans les milieux universitaires, à cet égard.

Mme Livingstone Raday dit, quant à l’article 11, que l’accroissement de l’emploi des femmes de carrière est une bonne chose, mais globalement les femmes représentent toujours moins de 25 % de la population active, un pourcentage qui n’a pas augmenté de façon appréciable depuis 1975. Le Gouvernement ayant déclaré qu’il entendait accroître la participation des femmes à l’activité économique du pays, l’intervenante voudrait savoir ce qu’il fait pour faciliter leur placement, empêcher la discrimination lors de l’embauche de la part des employeurs publics et privés et déterminer dans quelle mesure les femmes participent à l’« emploi invisible », c’est-à-dire à celui qui consiste à travailler hors de chez soi pour des membres de la famille sans salaire ni avantages sociaux.

Elle apprécierait avoir plus de données ventilées par sexe sur les salaires et sur le décalage de la rémunération tant dans le secteur public que dans le secteur privé, de préférence énoncées par profession. L’intervenante aimerait aussi en savoir plus sur le cadre juridique existant pour assurer l’égalité salariale, notamment s’il existe une législation spécifique relative à l’égalité des chances. Elle se demande si les lois antidiscrimination non seulement permettent aux femmes d’intenter une action administrative, mais encore leur permettent d’obtenir une réparation civile auprès des tribunaux.

La présence d’un sérieux problème de harcèlement sexuel sur les lieux de travail a été porté à l’attention du Comité, et il semble que les femmes commencent à avoir le courage de s’en plaindre. Apparemment, bien qu’il soit possible d’intenter une action en vertu de l’ article 76 du Code du travail, ce code ne fait pas expressément mention du harcèlement sexuel. L’État auteur du rapport pourrait envisager de mettre en oeuvre une législation qui s’attaque à ce problème.

En ce qui a trait aux retraites de la sécurité sociale, elle voudrait savoir quelle incidence le statut matrimonial des femmes peut avoir sur leurs droits à une retraite et si les femmes qui n’ont pas été actives du point de vue économique ont droit à une retraite. Les retraites sont importantes pour combattre la pauvreté des femmes âgées.

Mme Feng Cui dit être intéressée par les buts ambitieux fixés par la stratégie nationale d’alphabétisation, notamment par une grosse réduction des taux d’analphabétisme des femmes rurales, et elle aimerait en savoir davantage sur la façon dont le Gouvernement prévoit atteindre ces buts. Le fait que de nombreuses jeunes filles vont aller travailler en usine constitue un autre problème avec lequel les femmes sont confrontées dans les zones rurales, si bien que ce sont de plus en plus des femmes d’âge moyen et des femmes âgées qui assument la charge des travaux agricoles. L’oratrice se demande si des études ont été faites sur ce problème. Elle voudrait également savoir si des femmes qui participent à des travaux agricoles ont leur mot à dire dans les projets ruraux et dans quelle mesure on les a mises au courant de leurs droits. De grands pas ont de toute évidence été accomplis dans les domaines de la santé et de l’éducation, notamment par les jeunes femmes. L’intervenante apprécierait que la délégation tunisienne fasse une évaluation des principaux problèmes toujours en suspens.

Mme Kwaku note que le droit tunisien interdit aux femmes de porter le hijab dans les établissements d’enseignement et les ministères du gouvernement. Cette interdiction peut être considérée comme une violation de leurs droits dans la mesure où elle restreint leur accès à l’enseignement et à l’emploi. Il serait peut-être préférable de laisser aux femmes le choix de porter ou non la tenue traditionnelle.

Mme Ben Romdhane (Tunisie) dit qu’en raison de l’effort réalisé par le Gouvernement pour accroître la scolarité des filles, le décalage entre les taux d’alphabétisation des garçons et des filles s’est considérablement amoindri tant dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Un plan d’action bien doté, à l’échelle nationale, est en place pour balayer complètement l’analphabétisme. Il incite les femmes et les jeunes filles à s’inscrire à des programmes d’alphabétisation.

En ce qui a trait aux études sur le statut des femmes et des filles, elle dit que le Centre de recherche, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF) a instauré un programme dans lequel les études sont menées en collaboration avec des professeurs d’université, comprenant à la fois des nationaux tunisiens et des professeurs invités en provenance d’autres pays. Le dixième plan national de développement des femmes comprend des plans destinés à étudier le rôle des femmes au niveau universitaire. Le Ministère des affaires de la femme et de la famille s’est inspiré d’un certain nombre d’études existantes ainsi que de renseignements fournis par les médias sur l’image des femmes dans la société. Le pourcentage de femmes professeurs dans l’enseignement supérieur est en fait de 30 %; le chiffre de 8 % dont il a été fait mention a trait à des postes aux niveaux les plus élevés.

En réponse à une question sur ce que l’on fait pour protéger les droits des femmes analphabètes ainsi que de celles les moins instruites et pour leur offrir plus de possibilités, l’oratrice signale que le pourcentage des femmes qui participent à des microprojets mis à exécution par l’entremise de la Banque tunisienne de solidarité a progressé de 27 % en l’an 2000 à 35 % en 2002. Ce chiffre indique les femmes qui ne pouvaient pas, au préalable, recevoir de formation professionnelle mais dont le niveau de compétence leur permet néanmoins d’entreprendre des projets. Le Ministère des affaires de la femme et de la famille a mis sur pied deux programmes majeurs visant cette catégorie de femmes. Ces programmes ont été mis en oeuvre en étroite collaboration avec la Banque tunisienne de solidarité et avec des organisations non gouvernementales intéressées par les problèmes de développement et les questions féminines.

En réponse à des questions relatives à la place des femmes dans la population active, l’oratrice fait remarquer que le taux de participation féminin s’est accru rapidement au cours des années 80 et 90 et, par ailleurs que, dans les années à venir, l’effet combiné de divers paramètres, y compris l’éducation, se reflètera dans d’autres améliorations. Un certain nombre d’études ont été menées sur la situation d’ensemble des femmes dans la population active. Des initiatives proactives sont en cours afin d’attirer plus de femmes dans le secteur productif de l’économie. En ce qui a trait aux traitements et salaires, l’oratrice souligne que, dans la fonction publique, le principe du salaire égal pour un même niveau de compétence s’applique. Dans le secteur privé, le fait que les femmes commencent souvent à des niveaux de formation et de compétence plus faibles que les hommes les place en position désavantageuse vis-à-vis d’eux quant à leur rémunération.

En réponse à des questions relatives aux femmes des campagnes, elle dit que le CREDIF a fait diverses études sur le statut des femmes rurales qui ont servi de base au plan d’action à l’échelle du pays lancé en 1999. Les femmes rurales participent à des projets de développement, dont la plupart tiennent expressément compte de la dimension féminine.

M. Khemakhem (Tunisie) dit, en réponse à des questions relatives à la discrimination sur les lieux de travail, qu’en vertu d’une législation promulguée en 1993, les femmes qui estiment avoir fait l’objet de discrimination peuvent saisir un tribunal et obtenir des réparations. Le chapitre 76 du Code du travail prévoit que les employeurs de femmes ont l’obligation de veiller à la bonne conduite au travail. Il n’y a pas de peine correspondant au harcèlement sexuel.

Quant aux interprétations erronées relatives à l’interdiction pour les femmes de porter le hijab, il dit que plusieurs décrets ont été promulgués à ce sujet. En 1987, le Ministre de l’éducation a émis une ordonnance exigeant une tenue appropriée dans les établissements d’enseignement. En 1991, un décret a été promulgué pour interdire aux fidèles de porter des vêtements religieux dans les établissements publics. L’on incite les fidèles à porter de tels vêtements lors des célébrations traditionnelles et dans des occasions spéciales, mais pas sur des lieux publics de travail. Les décrets dont il a fait mention n’ont pas le même poids que la législation, mais les citoyens sont censés les respecter. Ils visent à prendre en compte les valeurs du peuple tunisien et à créer un environnement neutre du point de vue politique sur les lieux de travail. Il n’y a ni minorités ni tribus distinctes en Tunisie.

Articles 15 et 16

Mme Manalo demande des éclaircissements au sujet de l’âge du mariage. Pourquoi n’est-il pas le même pour les femmes et les hommes? Certes, cet âge a été porté de 15 à 17 ans pour les femmes, mais c’est encore un très jeune âge pour se marier, car cela pousse les jeunes filles à abandonner leurs études et les expose à une grossesse précoce ainsi qu’au risque de violence familiale. Quant à la dot, l’oratrice signale que la poursuite de l’usage à cet égard donne l’impression que l’on achète son épouse et que l’on peut la considérer comme un bien à gérer.

Mme Kwaku renvoie à l’article 16 de la Convention et demande quelles sont les implications du nouvel article 218 du Code pénal tunisien qui prévoit de dures peines pour ceux qui se rendent coupables de violence à l’égard des femmes, surtout de violence conjugale. Elle note qu’une disposition prévoit que la victime peut retirer sa plainte. Elle voudrait savoir combien de causes semblables ont été déclarées à la police ou ont fait l’objet de la saisine d’un tribunal puis ont ensuite été abandonnées. Étant elle-même Africaine, elle connaît le genre de pressions que les membres de la famille et la société exercent généralement sur une femme victime de violence conjugale. Dans la plupart des cas, la victime retire sa plainte sous cette pression. Si tel est le cas, il n’y a aucune raison de réprimer sévèrement pareille violence. Quelle est la position du Gouvernement à cet égard? Aussi, faut-il reconsidérer la disposition relative au retrait des plaintes.

L’oratrice note avec satisfaction la réponse donnée par la délégation tunisienne à sa question relative aux magistrats féminins de la famille. Elle aimerait savoir si les femmes magistrats sont des non-initiées ou si elles sont qualifiées du point de vue professionnel. Si tel est le cas, quelles qualifications professionnelles sont exigées pour pouvoir briguer le poste? En ce qui a trait aux relations hors mariage, elle note que le Code de protection de l’enfant de 1998 cherche à protéger l’enfant né en dehors des liens du mariage. Quels droits ce code protège-t-il exactement? Ces droits comprennent-ils le droit à l’héritage et au nom du père? Enfin, elle a noté que le Code du statut personnel prévoit qu’une musulmane ne doit pas se marier avec un non-musulman. La loi interdit-elle expressément de tels mariages? Si un mariage de cette nature se produit, une peine est-elle prévue? Quels sont les droits des enfants d’une femme placée dans ce cas?

Mme Achmad déclare être encouragée par les progrès accomplis par la Tunisie, étant donné les valeurs socioculturelles et religieuses prévalant actuellement qui admettent encore les stéréotypes. L’abolition de la polygamie, l’octroi du droit au divorce, la possibilité pour les femmes d’intenter des poursuites judiciaires et d’autres réalisations dont il est fait mention dans le rapport sont extraordinaires. Dans la pratique, toutefois, les familles continuent à suivre des stéréotypes traditionnels relatifs au rôle de la femme. L’oratrice apprécie les réformes apportées au système d’enseignement. Elle demande comment ces progrès pourront se maintenir; elle comprend que l’Administration tunisienne a adopté une stratégie progressive. Y a-t-il un programme en place pour éduquer les couples avant le mariage afin d’assurer que l’égalité dans la famille est une réalité? Y a-t-il un moyen de contrôler si l’égalité est en fait une réalité dans la famille? Dans quelle mesure l’Administration tunisienne entend-elle mobiliser les médias afin de faire entrer dans la société la notion de partenariat efficace entre les hommes et les femmes dans la gestion des affaires familiales? Cela est particulièrement important pour éviter la violence et faire en sorte que les femmes participent au processus de prise de décisions.

Mme Açar, Vice-Présidente, assume la présidence.

Mme Shin demande des éclaircissements au sujet du régime successoral. D’après ce qu’elle a compris, les hommes reçoivent actuellement une double part d’héritage. Dans l’hypothèse où un homme ayant une femme et quatre enfants – un fils marié et un célibataire ainsi qu’une fille mariée et une célibataire – laisse des biens d’une valeur de 1 million de dollars, comment ces biens seront-t-il transmis à ces héritiers en vertu de la loi? En ce qui a trait aux réserves à la Convention, elle dit comprendre que lorsque la Tunisie aura instauré l’égalité dans la loi en vertu des articles 15 et 16 de la Convention, ces réserves seront abrogées. Les représentants de ce pays ont laissé entendre que cela prendrait du temps et exigerait en outre une volonté politique. Quelle serait, à leur avis, la durée du processus en l’absence de volonté politique?

Mme Goonesekere, après avoir souligné l’importance des réformes introduites en matière de pension alimentaire, de divorce, d’aliments et de communauté de biens, suggère à l’Administration tunisienne de considérer que les lois sur la violence familiale ont une valeur normative : elles déterminent, selon elle, une norme pour la société et signalent que l’on ne saurait tolérer de sévices au sein de la famille. L’oratrice prie donc instamment cette administration d’empêcher qu’une plainte puisse être retirée en cas de blessure grave. Quant à la question de la filiation et du nom des enfants nés hors mariage, elle aimerait connaître la situation en ce qui a trait au droit aux aliments de ces enfants.

M. Khemakhem (Tunisie) explique, en réponse à la question sur l’âge minimum des femmes pour se marier, que la différence entre les hommes et les femmes réside dans l’âge minimal du mariage. Dans la pratique, toutefois, quand les jeunes hommes et les jeunes femmes font des études universitaires, l’âge moyen auquel ils se marient est de 28 ans. La loi n’est pas immuable et elle aura peut-être changé quand la Tunisie présentera son prochain rapport. Quant à la question de la dot, il dit que, comme dans le cas de l’héritage, la coutume a des origines religieuses et que la religion est la source d’une bonne part de la législation, notamment de celle relative au statut personnel. Pourquoi considérer le mariage comme une transaction du fait de la dot? Cette conclusion est sans fondement. La dot est avant tout symbolique et n’existe pas que dans une religion. Le judaïsme a aussi une tradition en cette matière. C’est une question de mentalité; il sera peut-être possible dans un certain temps de l’éliminer, mais on n’en parle pas pour le moment.

Passant aux questions sur la possibilité pour une femme de retirer une plainte de violence familiale, il explique que la réconciliation suppose le libre arbitre de la femme. Le principal est de punir l’auteur de la violence familiale, mais si, dans des cas exceptionnels, la femme préfère se réconcilier, cela est aussi prévu. Quant à la situation des enfants nés hors mariage, ils n’ont pas droit au nom de famille ni à l’héritage. Initialement, il n’y avait aucune disposition en leur faveur, mais des progrès considérables ont été faits. La politique suivie en Tunisie consiste à faire les choses progressivement; en 1998, certains changements ont été apportés et il y en aura d’autres à l’avenir.

Rien n’empêche une musulmane de se marier avec un non-musulman. La Tunisie a ratifié la Convention de l’ONU sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement du mariage en 1967, et comme les traités internationaux l’emportent sur le droit interne, ces mariages sont reconnus par le droit tunisien. Cependant, l’article 5 du Code du statut personnel exige que les deux parties à un mariage soient libres d’empêchements juridiques et, selon une publication émise par le Ministère de la justice, ces mariages sont interdits à moins que le partenaire non-musulman ne se convertisse à l’islam. Ainsi dans la pratique, les deux interprétations de la loi sont suivies. Depuis 1993, le Code du statut personnel, notamment son article 23, ont mis l’accent sur le partenariat au sein de la famille.

Mme Ben Romdhane (Tunisie) confirme que l’âge minimum du mariage pour les filles est de 17 ans. En se mariant, une personne acquiert la pleine capacité juridique dans tous les domaines du droit civil et commercial. Les disparités entre les hommes et les femmes ont été considérablement réduites par suite de la réforme de 1993 du Code du statut personnel et l’inclusion du nouvel article 153. Depuis 1996, une campagne de sensibilisation ciblée sur les médias, les familles et les étudiants a beaucoup fait pour répandre une culture des droits de l’homme. Le Ministère des affaires de la femme et de la famille a émis un guide du Code du statut personnel des jeunes qui met l’accent sur les droits tant des hommes que des femmes. Il a aussi préparé un guide sur le régime de la communauté de biens. On incite les personnes qui contractent un mariage à opter pour ce régime, et le Ministère mène actuellement une enquête pour déterminer dans quelle mesure la population a recours à cette solution. Quant à savoir s’il a une valeur normative, il en a certainement une à titre d’accord promulgué par une loi; en outre, il a une incidence positive sur les esprits et le comportement. Quant à la situation des femmes âgées, ces dernières profitent, comme les hommes, du programme national pour les personnes âgées. Un plan d’action pour la famille est en vigueur depuis 1996, et un deuxième plan d’action, actuellement en cours d’élaboration, sera inclus dans la stratégie nationale des pensions.

Mme Tavares da Silva note que, malgré la notion de partenariat au sein de la famille, le mari est toujours considéré comme étant le chef de la famille et son principal soutien. A-t-il le droit exclusif de choisir le domicile familial et de décider quel sera le nom de famille? Les biens acquis durant un mariage sont-ils enregistrés au nom des deux conjoints ou seulement au nom de l’homme? Un musulman peut-il se marier avec une non-musulmane dans les mêmes conditions qu’une autre musulmane? L’article 58 du Code du statut personnel semble discriminatoire à l’égard des femmes divorcées, parce qu’elles doivent rester célibataire si elles veulent avoir la garde des enfants après leur divorce, alors que l’on s’attend à ce qu’un divorcé ait une femme pour s’occuper des enfants. Il semble aussi qu’une mère divorcée ne puisse obtenir le droit à la garde complète des enfants que si le père est mort ou incapable; cela aussi constitue une discrimination. Quelle est la situation des femmes célibataires qui ont des enfants nés hors mariage? Peuvent-elles disposer d’un soutien?

Mme Saiga aimerait avoir des précisions sur le financement du Fonds de garantie de la pension alimentaire et de la rente de divorce et elle demande si l’on accorde un congé parental, payé ou non, aux nouveaux parents.

Mme Livingstone Raday demande si une femme mariée au père de ses enfants peut obtenir des droits de garde ou si cela n’est possible qu’après le divorce ou la mort du père. Elle est d’accord avec les observations faites par Mme Shin sur les inégalités du droit successoral. L’article 23 modifié du Code du statut personnel impose aux femmes une obligation égale de contribuer à l’entretien de la famille. Pour s’acquitter de cette obligation, une femme doit avoir un accès égalitaire aux ressources de la famille. Le régime de la communauté de biens dans le mariage est le plus souvent le plus équitable pour les femmes. Le Gouvernement envisage-t-il d’étendre ce régime à tous les conjoints, que ces derniers l’aient ou non choisi de plein gré? Au sujet de la question de la violence familiale, elle est d’accord avec Mme Kwaku que l’on ne devrait pas permettre à une femme qui a souffert de violence familiale, notamment si les sévices ont été graves et répétés, de retirer une plainte lorsqu’elle l’a déposée. Quelles mesures préventives de la violence familiale envisage-t-on d’appliquer en Tunisie? A-t-on pensé à émettre des ordonnances de protection grâce auxquelles l’on peut exclure un mari violent de la maison familiale? La recommandation de l’étude de 1991 de l’Union nationale des femmes tunisiennes de créer des abris pour les femmes victimes de violence familiale a-t-elle été appliquée et, dans ce cas, combien y a-t-il d’abris? Le viol conjugal est-il considéré comme une infraction, et le mariage réparateur, grâce auquel le violeur peut mettre fin à son infraction en se mariant avec sa victime, est-il encore permis?

M. Khemakhem (Tunisie) dit, en réponse aux questions sur le rôle du mari dans la famille, que, selon l’article 23 du Code du statut personnel, le mari est toujours le chef de la famille, mais que la révision du Code de 1993 a restreint la gamme de ses responsabilités en introduisant la notion de partenariat. Le mari n’est pas censé agir de façon autoritaire ni comme un décideur unique, et la femme a aussi le droit de dépenser le revenu familial. Le nom patronymique est celui du mari, mais une femme peut donner son nom à un enfant né hors mariage. Le choix de la maison de famille doit se faire en commun par le couple marié. Le système de la communauté des biens après le mariage est facultatif et il coexiste avec le système du propriétaire unique. Les biens achetés par le mari pendant le mariage lui appartiennent. Ce n’est pas normal qu’une femme doivent rester mariée afin d’avoir la garde de ses enfants. La garde des enfants n’est pas régie par le statut matrimonial des parents, mais par les principes enchâssés dans la Convention relative aux droits de l’enfant. Quant aux coûts des aliments après divorce, le Fonds de garantie de la pension alimentaire et de la rente de divorce appartient au Trésor public. Les sommes déboursées pourront être récupérées auprès du mari précédent lorsqu’il ne sera plus pauvre. Le congé parental peut être accordé tant aux mères qu’aux pères. Quant à l’héritage, les usages actuels sont le reflet d’influences religieuses, économiques et culturelles. Toutefois, la loi évolue dans une direction plus progressive. Un violeur ou un ravisseur ne peut se marier avec sa victime. La loi établit une distinction entre le crime de viol et les relations sexuelles consensuelles. Ces dernières sont interdites hors mariage, mais une femme est libre de se marier avec son séducteur si elle le désire et si leur relation est consensuelle.

Mme Ben Romdhane (Tunisie) dit que l’Administration tunisienne favorise la mise d’abris à la disposition des femmes victimes de violence familiale. Les abris sont créés par des organisations non gouvernementales et subventionnés par le Ministère des affaires de la femme et de la famille. L’on y donne un appui juridique et psychologique aux bénéficiaires.

M. Mejdoub (Tunisie) prend la parole à titre de Représentant permanent de la Tunisie aux Nations Unies et dit apprécier l’esprit d’ouverture, d’objectivité et de curiosité intellectuelle avec lequel le Comité a examiné le rapport de son pays. La Tunisie est une réussite au sein du monde musulman. Avec sa population de 10 millions d’habitants seulement, elle reçoit chaque année 5 millions de visiteurs, dont 90 % viennent d’Europe. Elle est étroitement alliée à l’Union européenne avec laquelle elle a signé un accord de libre-échange en juillet 1995. Elle fait respecter des normes européennes tout en préservant ses traditions et sa culture.

Mme Ben Yedder (Tunisie) remercie les membres du Comité de leurs questions et de leurs observations, ainsi que d’avoir donné lieu à un dialogue constructif. La Tunisie s’efforcera d’atteindre les buts dont le Comité a fait mention. De plus, l’oratrice transmettra à l’Administration tunisienne les observations qui ont été faites sur son rapport. Elle considère que les droits de la femme font partie intégrante des droits de l’homme. Son gouvernement est conscient de l’importance de la position des femmes dans la société. Il fera son possible pour apporter de nouvelles modifications à ses lois qui continuent à poser des problèmes quant à l’application de la Convention et il réexaminera ses réserves actuelles.

La Présidente note que la Tunisie envisage de lever ses réserves qui restent au sujet d’importants articles de la Convention. Ce pays semble, de toute évidence, avoir la volonté politique de parvenir à l’égalité des sexes. Aussi la Présidente espère-t-elle que la Tunisie répandra ses bons usages au-delà de ses frontières en incitant d’autres pays arabes d’Afrique à continuer dans la même veine qu’elle.

La séance est levée à 17 h 55 .