Vingt-huitième session

Compte rendu analytique de la 594e séance

Tenue au Siège, à New York, le jeudi 16 janvier 2003, à 10 h 30

Président :Mme Açar

Sommaire

Moyens d’accélérer les travaux du Comité (suite)

Examen des rapports soumis par les États parties en vertu de l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième rapport périodique combinés de l’Albanie

La séance est ouverte à 10 h 35.

Moyens d’accélérer les travaux du Comité (suite)(CEDAW/PSWG/2003/I/CRP.1)

Mme Tavares da Silva, parlant au nom du groupe de travail présession, présente le rapport de ce groupe (CEDAW/PSWG/2003/I/CRP.1). Ce groupe de travail a préparé des listes de problèmes et de questions concernant les rapports du Canada, d’El Salvador, du Kenya, du Luxembourg et de la Norvège qu’il a transmises aux États parties. Il a également reçu des informations concernant particulièrement ces États de l’Organisation internationale du Travail et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Elle tient à attirer l’attention du Comité sur les observations figurant aux paragraphes 9, 10 et 11 du rapport.

Examen des rapports soumis par les États partiesen vertu de l’article 18 de la Convention (suite)(CEDAW/C/ALB/1 et 2)

(CEDAW/C/ALB/1 et 2)

Sur invitation de la Présidente, Mme Ruci (Albanie) prend place à la table du Comité.

Mme Ruci (Albanie), présentant le rapport de l’Albanie, déclare que la transition de l’Albanie vers l’économie de marché, amorcée en 1991, a suscité une brusque détérioration de la condition économique, sociale et politique des femmes qui, bien que jouissant des mêmes droits constitutionnels que les hommes, n’ont pas l’égalité d’accès aux ressources, aux possibilités et aux avantages. En raison de la faible représentation des femmes dans les milieux gouvernants, qui limite leur participation au développement démocratique du pays, la dimension féminine de la gouvernance a pris une importance prioritaire en Albanie. À ce propos, le Gouvernement, les organisations non gouvernementales féminines et d’autres parties prenantes s’emploient activement à promouvoir la présence de femmes dans les sphères dirigeantes dans tous les domaines de la vie économique, sociale et politique et à souligner que les femmes doivent être considérées comme des partenaires égaux lors de la formulation d’une politique nationale et de plans nationaux de développement. Une participation inégale au processus de décision a toutes les chances d’aboutir à des solutions inéquitables et à réduire ainsi la qualité, l’efficacité et l’efficience de la gouvernance.

À l’époque du communisme, les femmes avaient fait des progrès considérables dans les domaines de l’éducation et de l’emploi et étaient relativement bien représentées au sein du Gouvernement. Toutefois, l’accentuation des disparités entre les sexes après l’effondrement du régime communiste a montré qu’il s’est produit une redéfinition des rôles des femmes sans la libre participation de celles-ci, de sorte que si les politiques communistes avaient favorisé une plus grande égalité du point de vue des indicateurs socioéconomiques, elles ont moins bien réussi à modifier les relations sociales entre hommes et femmes. Après la chute du communisme, la participation déjà limitée des femmes à la gouvernance s’est trouvée considérablement réduite, et leurs indicateurs sociaux ont reculé. De plus, l’abolition des services sociaux d’appui tels que les jardins d’enfants a obligé les femmes une fois encore à faire face à la fois à leurs responsabilités domestiques et professionnelles. De ce fait, elles ont moins de temps et d’occasions de participer à la lutte pour leurs droits.

Le programme gouvernemental de promotion de la femme en Albanie, mis en œuvre par l’État en collaboration avec les organisations non gouvernementales féminines, a adopté une approche globale qui vise à pourvoir aux insuffisances socioéconomiques, mais a aussi à mettre l’accent sur la nécessité d’associer les femmes aux processus de décision. Dans un premier temps, il importe de mettre en place un dispositif national de promotion de l’égalité entre les sexes; c’est ainsi qu’a été créé en 1998 le Comité d’État sur les femmes et la famille, rebaptisé par la suite Comité pour l’égalité des chances. Ce comité, qui travaille en collaboration avec d’autres structures administratives aux niveaux international, national et local, est chargé d’exécuter et d’évaluer les politiques et programmes gouvernementaux concernant les femmes, de coordonner les programmes de promotion de l’égalité entre hommes et femmes, de proposer l’adoption de nouvelles lois ou l’amendement des lois en vigueur dans le domaine des droits de la femme et d’appuyer et de coordonner les activités des organisations non gouvernementales.

Le Programme national pour les femmes a été conçu comme moyen de mettre en œuvre le Programme d’action de Beijing, et englobe 5 des 12 priorités fixées à la Conférence de Beijing. Il a notamment réussi à promouvoir la participation des femmes à la prise de décisions, à établir des programmes de microfinancement pour les femmes rurales, à organiser des activités de plaidoyer, à renforcer les mécanismes institutionnels dans le domaine des droits de la femme et à susciter une prise de conscience de la problématique hommes-femmes.

L’Albanie a la volonté politique d’intégrer la dimension hommes-femmes à ses politiques et programmes gouvernementaux : en fait, le travail dans ce domaine a déjà commencé au Ministère du travail et des affaires sociales et au Ministère de l’éducation, où a été entrepris un réexamen des plans et des programmes d’un point de vue sexospécifique. Le Ministère de l’éducation inclura les questions d’égalité entre hommes et femmes dans les programmes scolaires et révisera les manuels scolaires. En outre, le Comité pour l’égalité des chances collabore avec les organisations non gouvernementales afin d’organiser des séminaires de formation pour groupes gouvernementaux et non gouvernementaux afin de les sensibiliser à la nécessité de généraliser l’application d’une stratégie d’égalité entre les sexes.

Des difficultés demeurent en ce qui concerne la mise en place de mécanismes d’exécution et de suivi efficaces, propres à assurer un financement adéquat des activités du Programme national et à agir sur les comportements sociaux qui font obstacle au progrès de la femme. Néanmoins, des mesures positives sont en cours d’application sur plusieurs fronts : les principaux partis politiques sont conscients de la nécessité d’accroître la participation des femmes à la vie politique et aux processus de décision; des efforts sont faits dans le cadre des projets de groupe d’étude sur les questions féminines du Pacte de stabilité; et une perspective sexospécifique est incorporée à la Stratégie nationale pour l’enfant. Enfin, le Gouvernement albanais se rend compte qu’il reste beaucoup à faire pour assurer l’égalité de fait des droits pour la femme et réitère sa détermination à mettre en œuvre les recommandations du Comité.

M. Flinterman aimerait savoir combien de fois il a été demandé à la Cour constitutionnelle de statuer sur le point de savoir s’il y avait conflit entre une loi nationale et les dispositions de la Convention. Comme les particuliers ne sont pas habilités à saisir la Cour d’une affaire, il demande si l’Avocat du peuple a été saisi de litiges concernant la Convention et s’il l’a été par des organisations non gouvernementales. Il aimerait également savoir si le Comité pour l’égalité des chances est habilité à saisir la Cour constitutionnelle de telles affaires.

D’après le rapport, l’article 18 de la Constitution albanaise dispose que nul ne doit être l’objet d’une discrimination « injuste ». Il se demande si le terme « injuste » figure dans la version en langue albanaise de la Constitution et, si tel est le cas, si le Comité pourrait donner quelques exemples de discrimination juste fondée sur le sexe. Le Comité aimerait savoir si l’interprétation de l’article 18 par la Cour constitutionnelle inclut la discrimination directe et indirecte et si le principe de l’égalité englobe à la fois l’égalité de forme et non substantive. Enfin, il demande si les organisations non gouvernementales albanaises connaissent la teneur de la Convention et si elles seront informées des recommandations du Comité.

Mme Schöpp-Schilling se félicite que l’Albanie n’ait pas exprimé de réserves sur la Convention. En ce qui concerne le rapport, elle aurait aimé qu’il contienne davantage de statistiques d’actualité, et elle note le manque apparent d’initiatives gouvernementales spécifiques pour faire face aux problèmes de l’inégalité entre les sexes. L’Albanie devrait indiquer si le Gouvernement a mis en place un mécanisme propre à garantir que les rapports soumis aux organes internationaux des droits de l’homme seront débattus par le Cabinet et le Parlement et, dans l’affirmative, si ce mécanisme prévoit également l’examen des conclusions et recommandations du Comité.

Mme Shin estime que le rapport ne contient pas suffisamment de données sur la situation des femmes en Albanie. Elle aimerait savoir si le pays a un office de la statistique et, dans ce cas, si cet office a été sensibilisé à la nécessité de recueillir des données ventilées par sexe. La version anglaise du rapport fait souvent usage du pronom masculin « il » lorsque le rapport se réfère à des individus qui pourraient être hommes ou femmes. Elle encourage l’Albanie à faire usage de termes plus inclusifs. Enfin, elle a pris note du fait que le Comité sur les femmes et la famille a été rebaptisé Comité pour l’égalité des chances et aimerait savoir pourquoi l’ancienne appellation continue de figurer dans son rapport et dans sa présentation orale.

Mme Šimonović demande des informations plus détaillées sur les mesures envisagées ou en cours en vue d’assurer la pleine application du Programme d’action de Beijing et des conclusions de la Conférence Beijing +5.

Mme Gaspard demande que soient indiquées les difficultés rencontrées dans la préparation du rapport et qui expliqueraient sa présentation tardive. L’Albanie devrait indiquer si la Convention a été traduite en albanais et distribuée aux parties prenantes. Elle demande si les médias ont eu connaissance du rapport présenté par la délégation au Comité et si les conclusions et recommandations du Comité seront divulguées.

Mme Morvai reconnaît que, comme dans la plupart des ex-pays communistes, l’égalité entre les sexes faisait partie intégrante de l’idéologie, de sorte que l’égalité était imposée du haut vers le bas sans réelle conscience du problème de la discrimination fondée sur le sexe dans la société en général aussi bien qu’au sein de l’appareil de l’État ou des partis politiques. Il est donc essentiel que le Gouvernement prenne sur lui de promouvoir la sensibilisation qui faisait défaut du temps du régime communiste aux principes de la Convention, afin que la population prenne conscience de la problématique hommes-femmes. Elle désirerait savoir quelles sont les mesures concrètes prises et les structures mises en place par le Gouvernement pour appuyer et coordonner l’action des organisations non gouvernementales non seulement pour la préparation du rapport mais aussi pour promouvoir les droits de la femme.

Article 2

Mme Schöpp-Schilling s’étonne que le pays n’ait pas entrepris de revoir ses lois afin d’y incorporer la dimension hommes-femmes. S’il est vrai que la discrimination était en principe interdite, nombre de dispositions et de définitions de la Convention étaient beaucoup plus larges et nécessitaient que la législation nationale soit amendée, notamment dans les domaines de la violence à l’égard des femmes et de la définition du viol. Elle aimerait savoir qui sera chargé de revoir la législation, si tant est que cela soit prévu. Sinon, pourquoi le Comité pour l’égalité des chances ou le Parlement n’a-t-il pas demandé un tel réexamen?

L’État ayant présenté le rapport devrait indiquer si la législation internationale en matière de droits de l’homme est un sujet obligatoire dans les universités et quand un nouveau code de la famille sera adopté. Par ailleurs, l’oratrice craint que la notion de privilèges « inéquitables » (art. 253 du Code pénal) ne fasse obstacle à l’application de mesures provisoires et spéciales et aimerait savoir si cette question a été débattue lors de la rédaction de la Constitution ou par des femmes juristes.

Mme Gnacadja aimerait avoir des renseignements sur les recours que peuvent avoir les femmes si elles estiment que leurs droits ont été violés. Par exemple, elle ne voit pas clairement si l’Avocat du peuple (l’Ombudsman) joue le moindre rôle dans la protection des droits des femmes. Bien que le rapport qualifie la législation albanaise de moderne et de barrage à la discrimination, il est évident que, dans la pratique, la discrimination persiste. La définition donnée par la Constitution de la discrimination diffère de celle de la Convention, et elle se demande si le Gouvernement a la moindre intention de revoir et d’actualiser sa législation à cet égard.

Mme Šimonović demande si les instruments internationaux peuvent être invoqués devant les tribunaux pour résoudre les problèmes de discrimination et si des sanctions ou des peines peuvent être infligées en cas de discrimination fondée sur le sexe.

Article 3

Mme Achmad souligne que de nombreuses instances de l’appareil de l’État, au sein de divers ministères, ont été successivement responsables des questions féminines depuis 1992, avant que le Comité pour l’égalité des chances, appellation plus adéquate, ait finalement été créé. On ne sait rien de la législation ou des mécanismes actuels destinés à assurer une véritable égalité des chances entre hommes et femmes, et elle se demande si le nouveau Comité sera habilité à revoir les mécanismes en place de manière à assurer la pleine application de la Convention.

Il importe d’alléger l’appareil national et d’assurer la coordination, au sein du Gouvernement, entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales et entre les pouvoirs centraux et locaux. L’autorité, les domaines de responsabilité, la division du travail doivent être clairement définis de manière à assurer l’examen, le suivi et l’évaluation des progrès réalisés dans les domaines des lois et des politiques. Elle demande dans quelle mesure une telle structure a été créée car elle est indispensable pour promouvoir l’intégration de la dimension hommes-femmes dans tous les secteurs.

Mme Gabr souligne l’importance de la volonté politique et de la coordination entre le Gouvernement et la société civile ainsi qu’avec les acteurs internationaux pour la promotion des droits de la femme. Elle demande si les institutions nationales ont pour mandat de coopérer pleinement avec les organisations non gouvernementales; si la nouvelle législation mentionnée dans le rapport et dans les exposés oraux a été promulguée; comment les organisations non gouvernementales sont structurées et si elles reçoivent une aide financière du Gouvernement, étant donné l’importance de leur rôle. Il est essentiel de disposer de ressources suffisantes pour les initiatives de promotion des droits de la femme.

Mme Ferrer-Gómez, notant l’énorme accroissement de la pauvreté pendant les années de transition, en particulier dans les zones rurales où il y a peu d’accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’emploi et aux services essentiels, se demande si le Gouvernement a prévu des programmes pour réduire la pauvreté, notamment parmi les femmes vulnérables telles que les mères célibataires ou chefs de famille, par exemple, en offrant à celles-ci des possibilités d’éducation et de formation professionnelle.

Bien qu’elle se félicite de la création du Bureau de l’Avocat du peuple (Ombudsman), elle note que, malgré l’accroissement de la discrimination, ce bureau n’a pas reçu de plaintes, et elle se demande si les femmes ont suffisamment connaissance des droits que leur confère la loi et la Convention, y compris du droit de demander réparation devant les tribunaux, ce qui est un moyen important de renforcer la protection des droits de la femme. Enfin, l’Albanie devrait indiquer si elle a prévu des moyens de suivre la mise en œuvre des conclusions de la Conférence Beijing +5.

Mme Tavares da Silva se demande pourquoi la délégation continue de parler du Comité sur les femmes et la famille alors que ce comité a théoriquement été rebaptisé en 2001 Comité pour l’égalité des chances, et aimerait savoir s’il s’agit simplement d’un changement de nom ou plutôt d’un changement d’optique. Elle craint qu’en liant constamment la femme et la famille, on ne tende à renforcer les stéréotypes sur le rôle et les intérêts des femmes.

Les tâches du nouveau Comité semblent être les mêmes que celles de son prédécesseur : initiatives en matière de politiques et de lois visant à promouvoir les droits de la femme, coordination des programmes de promotion de l’égalité hommes-femmes et appui aux organisations non gouvernementales. Toutefois, dans le domaine des lois et des politiques, il semble que peu de choses aient été faites pour intégrer la dimension hommes-femmes aux politiques gouvernementales. En ce qui concerne la coordination et l’appui, elle espère que la coordination ne signifie pas une prise de contrôle par le Gouvernement. Il est essentiel que les organisations non gouvernementales, tout en travaillant en collaboration avec lui, restent indépendantes du Gouvernement.

Mme Saiga estime que les organisations non gouvernementales pourraient sans nul doute contribuer activement à combler le fossé entre les garanties théoriques des droits de la femme et le respect de ces droits dans la pratique, mais il est également essentiel que le Gouvernement établisse des programmes en vue de développer la sensibilité à la problématique hommes-femmes. Comme le nouveau Comité pour l’égalité des chances a la même structure que son prédécesseur, il semble que la seule différence entre les deux réside dans le changement de nom. Elle se demande de quelles ressources humaines et financières dispose le Comité et quels sont ses rapports avec les ministères intéressés et les parties prenantes.

Mme Shin aimerait avoir des renseignements sur les ressources dont dispose le Comité pour l’égalité des chances et sur son niveau d’autonomie, d’influence sur les ministères, d’autorité et de pouvoir. Par exemple, que se passerait-il si le Comité recommandait certaines mesures qui se heurteraient à l’opposition du Vice-Premier Ministre?

Mme Gnacadja demande quels obstacles institutionnels, structurels, législatifs, financiers ou autres semblent s’opposer aux progrès vers la pleine intégration de l’égalité entre les sexes aux niveaux politique, social et économique.

Article 4

Mme Schöpp-Schilling remarque que le rapport de l’Albanie traite des efforts consacrés par le Comité pour l’égalité des chances à diffuser la connaissance du Programme national pour les femmes. Elle aimerait avoir plus de renseignements sur les mesures déjà prises ou prévues pour l’avenir à cet égard, et sur les obstacles aux travaux du Comité. Elle aimerait également savoir si la Constitution contient des dispositions relatives à l’adoption de mesures spéciales temporaires et si des pourparlers ont eu lieu à cet égard entre les femmes juristes et les organisations non gouvernementales féminines. L’article 4 de la Convention pourrait être le moyen le plus important d’accélérer l’accession à l’égalité.

Mme Tavares da Silva, à propos des mesures positives décrites dans le rapport, note que les partis politiques ont accepté des quotas de 30 % pour les femmes et que des résultats positifs ont été obtenus, mais se demande si l’abandon ultérieur de ces quotas a été motivé par une crainte de la part de ces partis. Il n’est pas prévu de les rétablir, et elle aimerais savoir si cela est dû à des comportements culturels ou à l’opinion publique. Il semble qu’il n’y ait aucune volonté de changer cette situation, et le rapport laisse une impression de résignation.

Il semble que l’admission des femmes dans la vie politique se heurte à une vive résistance culturelle et qu’il n’y ait aucune réelle volonté de changer la situation en ce qui concerne l’éducation, la vie familiale, l’acceptation des femmes comme chefs de famille, le partage des responsabilités ou la violence domestique. Elle a pris note avec intérêt de la remarque de Mme Ruci selon laquelle la redéfinition des rôles semble s’être produite entre l’État et les femmes plutôt qu’entre les femmes et les hommes. Il est regrettable qu’aucune mesure anticipative n’ait été prise, et le Comité aimerait savoir ce que le Gouvernement envisage de faire pour accélérer le processus d’établissement de l’égalité.

Mme Gaspard se demande également quelles mesures spéciales temporaires l’Albanie a prises. Bien qu’il soit généralement très difficile de persuader les autorités d’adopter des quotas, le mélange des régimes de scrutin de liste et de scrutin majoritaire pourrait faciliter la tâche, car il est généralement plus facile d’introduire des quotas dans des listes. C’est pourquoi elle se demande si des propositions ont été faites à cet égard et si les organisations non gouvernementales ont avancé des idées pour améliorer le système électoral.

Article 5

Mme Ferrer-Gómez déplore que les Albanaises aient à faire face à la discrimination salariale et à la violence; qu’elles pensent n’avoir d’autre choix que de subir la violence; et qu’elles ne participent pas à la vie culturelle. Elle se demande donc comment le Gouvernement albanais et l’appareil de l’État envisagent d’améliorer la sensibilité de la population aux droits des femmes.

Mme Khan se félicite que la Convention ait été incorporée au droit national, et l’emporte sur les lois du pays, mais elle se demande si les comportements culturels et le climat général sont les seules raisons pour lesquelles il y a eu si peu de changement à l’égard des stéréotypes sur les sexes. On remarque, par exemple, que les hommes sont communément appelés chefs de famille dans les statistiques. De même, les lois sur le domicile et les noms de famille sont fortement tendancieuses à cet égard, au même titre que les lois sur la terre et l’héritage. Bien que les lois sur la propriété foncière aient été décrites comme consacrant l’égalité, la terre est en fait toujours enregistrée au nom de l’homme. Autrement dit, de nombreux autres éléments en plus du simple comportement continuent de renforcer le statu quo, notamment la résurgence des lois coutumières. Mme Khan se demande si les Albanaises sont au courant de la Convention et, à l’égard des changements dans les programmes scolaires, elle signale que les élèves doivent apprendre le rôle de la maternité. L’article 5 de la Convention stipule clairement que la procréation est la responsabilité commune de la mère et du père. L’enseignement de la vie familiale devrait être introduit dans ce contexte, et un vaste programme d’éducation du public devrait être entrepris. Elle termine en demandant plus de précisions sur le pourcentage de femmes travaillant dans les médias – notamment la télévision – et aux postes de décision.

Mme Kapalata note avec découragement que la violence à l’égard des femmes continue de sévir dans la société albanaise, principalement en raison de la situation économique du pays. Les femmes n’ont pas leur mot à dire dans les questions politiques ou économiques, et tous les ingrédients essentiels d’une législation discriminatoire semblent être en place. Le Gouvernement semble léthargique dans ses efforts en vue de mettre fin à la violence à l’égard des femmes. Par exemple, la peine infligée pour actes discriminatoires est de 50 fois le salaire minimum, ce qui n’est simplement pas réaliste. Il semble que la violence envers les femmes soit jugée naturelle, et que les femmes elles-mêmes la trouvent acceptable.

On note même des signes de détérioration dans la situation des Albanaises. Il est urgent que le Gouvernement mette en œuvre une stratégie de réduction de la pauvreté chez les femmes, et elle aimerait avoir plus de précisions sur les programmes gouvernementaux dans ce domaine. Pour conclure, elle estime que si les Albanaises ne sont pas habilitées à agir d’elles-mêmes, il leur sera très difficile de se libérer de leurs entraves dans le court terme. Les femmes ont besoin d’être sensibilisées; les médias doivent s’engager dans cette action; une éducation doit être dispensée sur la vie familiale; et il faut prendre des mesures pour faire connaître la Convention.

Mme Shin, notant que les clichés sur les sexes sont source d’inégalité en Albanie, aimerait savoir quelles mesures concrètes ont été prises pour les éliminer. Ces mesures doivent viser trois catégories de population : les jeunes, les enfants et les étudiants; les médias; et les adultes, y compris les enseignants. À cet égard, il est particulièrement important d’éduquer les médias. Par ailleurs, la violence à l’égard des femmes est un grave problème. Le rapport présenté par l’Albanie donne des chiffres sur le nombre de femmes condamnées pour avoir tué leur mari, mais ne fait aucune mention du nombre d’hommes condamnés pour le meurtre de leur femme. Il incombe du Gouvernement d’éliminer la violence à l’égard des femmes. Il ne peut compter sur les organisations non gouvernementales pour faire ce travail à sa place. L’Albanie devrait étudier la Recommandation générale No 19 du Comité sur la violence à l’égard des femmes, car elle indique ce qu’il faut faire pour former la police et pour d’autres questions similaires. Il faut espérer que l’Albanie prendra prochainement des mesures concrètes à cet égard.

La Présidente fait observer que l’influence des valeurs patriarcales et des lois coutumières profondément ancrées peut parfois être très grande. Bien que le Comité parle souvent de la nécessité pour les pays de réformer leurs lois coutumières et de les aligner sur la législation écrite, la situation de l’Albanie, marquée par une recrudescence des lois coutumières, est assez différente de la norme. Néanmoins, l’Albanie devrait examiner très attentivement la question de la réapparition de codes culturels discriminatoires. Il incombe à la société civile de contrer très tôt cette tendance réactionnaire. Elle aimerait savoir quelles mesures sont envisagées pour combattre ce réveil du Kanun, et si le Gouvernement a entrepris une campagne de sensibilisation ou de plaidoyer à cet égard. Le Gouvernement doit agir immédiatement afin d’éliminer des tendances discriminatoires qui pourraient devenir une puissante source de discrimination à l’égard des femmes.

Article 6

Mme Popescu apprécie la franchise avec laquelle est reconnue la disparité croissante entre hommes et femmes observée depuis le début du processus de transition. Son pays a connu une expérience similaire avec les coûts sociaux et économiques élevés de la transition, qui s’est traduite, du moins au début, par une baisse des niveaux de vie et une résurgence de phénomènes sociaux négatifs tels que la prostitution et la traite des femmes. Le rapport ne contient aucune information sur l’incidence de la prostitution, et s’il mentionne les sanctions pénales infligées aux prostituées, il ne dit rien des sanctions éventuelles imposées aux proxénètes. La traite pose aussi un problème de plus en plus préoccupant, mais là encore, aucune donnée n’est fournie. Elle aimerait avoir plus de précisions sur les mesures prises par le Gouvernement pour permettre la réadaptation et la réinsertion sociale des victimes de la traite qui ont été rapatriées.

Mme Kuenyehia souligne que, malheureusement, la prostitution s’accompagne souvent de l’infection par le VIH/sida et de l’abus des drogues, et elle aimerait voir quelques statistiques sur la prévalence du VIH/sida chez les prostituées.

Mme Gaspard demande si les jeunes Albanaises, certaines d’entre elles très jeunes, qui ont été expulsées d’autres pays où elles avaient été envoyées pour être livrées à la prostitution, sont passibles de poursuites judiciaires en tant que prostituées à leur retour en Albanie. Elle aimerait également que les statistiques sur les cas de traite ayant fait l’objet d’une enquête d’Interpol soient clarifiées.

Mme Gabr estime que la situation est très grave parce que la prostitution et la traite sont liées au crime transnational organisé. Les organisations non gouvernementales et les institutions de l’État s’occupant des questions féminines ont un rôle à jouer, mais il incombe directement au Gouvernement de protéger la population de ce fléau. Elle aimerait avoir plus de détails sur le Plan d’action national mentionné dans le rapport.

Article 7

Mme Šimonović souligne que son pays a aussi connu un recul de la participation féminine à la vie politique pendant la période de transition, et que les quotas de femmes candidates sur les listes des partis avaient été un moyen de remédier à cette situation. Elle aimerait avoir plus de précisions sur les mesures envisagées pour accroître la participation des femmes au processus de décision et à la vie politique. La raison invoquée dans le rapport pour la faible participation des femmes, à savoir leur impression que la politique est trop complexe et que les femmes ne sont pas qualifiées pour prendre des décisions, reflète les stéréotypes classiques et devrait être analysée de façon plus approfondie.

Mme Achmad demande dans quelle mesure le code électoral est régi par la loi électorale et, si les quotas ne sont pas autorisés par la loi, de quelles autres mesures dispose le Gouvernement pour accroître la participation des femmes. Elle aimerait également savoir si le Gouvernement encourage la formation d’organisations féminines.

Mme Khan dit qu’il n’y a pas d’autre solution que les quotas pour tenter d’accroître la participation des femmes à la vie politique. Sous le régime communiste, les femmes participaient pleinement à la vie politique; par conséquent, il lui semble que la perception qu’ont les femmes de leurs aptitudes ne soit pas le problème.

Mme Popescu dit que l’une des principales causes de la faible participation des femmes est la pauvreté et le double fardeau qui en résulte des responsabilités professionnelles et familiales. Elle se demande quels efforts sont faits pour encourager les hommes à partager ces fardeaux, et si l’affiliation religieuse a le moindre rapport avec la participation politique. Dans le prochain rapport, il serait utile que les statistiques soient ventilées par sexe.

Article 8

Mme Shin demande des statistiques sur le nombre et le pourcentage de femmes représentant l’Albanie dans les instances internationales, par grade, et plus de précisions sur le système de recrutement pour le service diplomatique.

Mme Popescu aimerait savoir quelles mesures sont prises pour encourager les femmes à embrasser la carrière diplomatique.

Article 10

Mme Ferrer-Gómez demande les dernières informations sur la situation actuelle dans le domaine de l’éducation et aimerait savoir si la tendance à la perte d’enseignants expérimentés et à l’accroissement des taux d’abandon scolaire signalés durant les premières années de la transition a été inversée. Compte tenu de la diminution des budgets d’éducation et de la privatisation, l’Albanie devrait indiquer s’il existe des programmes garantissant le droit à l’éducation et permettant de maintenir les filles à l’école. Le Comité aimerait savoir comment les questions d’égalité entre hommes et femmes sont traitées dans la formation des enseignants et s’il existe des programmes de prévention de l’abus des drogues et de réadaptation liés au système scolaire.

Mme Shin demande que soit précisée la différence entre les écoles obligatoires et les écoles privées, et si les filles musulmanes exclues des écoles religieuses pour garçons ont le droit de fréquenter les écoles obligatoires.

La Présidente, parlant à titre personnel, demande des statistiques sur les taux d’alphabétisme des femmes et aimerait savoir si l’alphabétisme est en progrès ou en recul.

Article 11

Mme Khan souligne que l’emploi est un grave sujet de préoccupation, et elle aimerait savoir pourquoi les femmes tendent à choisir les postes aux exigences moins rigoureuses. Le Code du travail semble avoir tendance à trop protéger les femmes. Les dispositions relatives aux congés de maternité seraient déjà très lourdes pour le secteur public. Si elles devaient aussi être appliquées dans le secteur privé, leur coût élevé risquerait de décourager les employeurs de recruter des femmes en état de procréer. Le Comité aimerait également savoir si le congé parental ne peut être accordé qu’à la mère. Les femmes représentent une fraction importante du secteur informel et de l’agriculture, et l’Albanie devrait indiquer si ces femmes sont considérées comme travailleurs indépendants.

Mme Schöpp-Schilling aimerait savoir quel pourcentage du budget est consacré à la création d’emplois pour les femmes et si des fonds sont alloués à des programmes de recyclage. Elle demande également qui a conçu le nouveau système de salaires et si le Gouvernement a utilisé des études récentes pour l’établissement de ce système.

Mme Kuenyehia demande s’il existe des programmes de recyclage pour les femmes qui n’ont pas de qualifications professionnelles à offrir sur le marché du travail.

Mme Tavares da Silva estime que, d’après les informations contenues dans le rapport, les Albanaises sont hautement qualifiées, et elle espère que le prochain rapport présentera plus clairement la situation réelle du marché du travail et expliquera pourquoi ces qualification ne sont pas mises à profit. Elle espère également que les contradictions dans les données sur l’emploi seront éliminées.

La séance est levée à 13 heures.